Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La présente décision a été rendue dans le contexte de deux demandes d’accréditation – la demanderesse, l’Association des membres de la Police Montée du Québec (AMPMQ), a fait une demande d’accréditation d’employés membres de la GRC dans la Division « C » (Québec) nommés à un grade – la demanderesse, la Fédération de la police nationale (FPN), a présenté une demande d’accréditation pour tous les employés membres de la GRC et nommés à un grade et les réservistes – dans une décision antérieure, la Commission avait décidé qu’en vertu d’une disposition législative, il devait exister une seule unité de négociation nationale pour les employés membres de la GRC nommés à un grade et les réservistes – l’AMPMQ a contesté le caractère constitutionnel de la disposition – dans la décision précédente, la Commission avait conclu que, étant donné que seule la demande de la FPN était conforme à la législation, un vote était nécessaire pour déterminer si la FPN bénéficiait du soutien de l’unité de négociation – la Commission a ordonné le vote – les résultats ont été suspendus dans l’attente du règlement de la question relative au caractère constitutionnel – dans cette décision, la Commission a examiné la requête de l’AMPMQ demandant que la disposition en question soit déclarée inopérante, car elle est incompatible avec le droit d’association – l’AMPMQ souhaitait déposer un rapport d’expert, que la Commission n’a pas autorisé – elle a conclu que le rapport n’était ni pertinent ni nécessaire pour déterminer la question constitutionnelle, ne proposait aucune expertise particulière que la Commission ne possédait pas et n’était ni impartial ni objectif – la Commission a appliqué l’analyse établie dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 RCS 103 à la question constitutionnelle – elle a conclu que les restrictions législatives ne violaient pas la garantie de la liberté d’association – elle a conclu qu’il n’y avait aucune entrave substantielle au droit des membres de la GRC à un processus véritable de négociation collective – même si la Commission avait conclu à une entrave à la liberté d’association, elle a décidé qu’elle aurait été justifiée en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne des droits et libertés – compte tenu de la mobilité requise des membres de la GRC et de l’importance de l’uniformité des conditions de travail dans l’ensemble du pays, l’exigence législative d’une unité de négociation unique a un objectif réel et urgent, toute atteinte était minimale et la mesure législative prise était proportionnelle à l’objectif – la requête de l’AMPMQ a été rejetée – en conséquence, sa demande d’accréditation a été rejetée – la Commission a ordonné qu’il soit mis fin au sursis de procédure relatif à la demande d’accréditation de la FPN et que le scrutin soit dépouillé.

Requête rejetée.
Demande d’accréditation de l’AMPMQ rejetée.
Fin du sursis de procédure de la décision de la Commission dans 2018 CRTESPF 31.
Scrutin relatif à la demande d’accréditation à être dépouillé.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20190711
  • Dossier:  542-02-12 et 13
  • Référence:  2019 CRTESPF 70

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

ASSOCIATION DES MEMBRES DE LA POLICE MONTÉE DU QUÉBEC

Demanderesse

et

FÉDÉRATION DE LA POLICE NATIONALE

Demanderesse

et

CONSEIL DU TRÉSOR

Défendeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Intervenant

Répertorié
Association des membres de la Police Montée du Québec c. Conseil du Trésor


Affaire concernant des demandes d’accréditation en vertu de l’article 54 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral


Devant:
Catherine Ebbs, Steven B. Katkin et Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour l'Association des membres de la Police Montée du Québec :
Vincent Jacob et Alexandre Plakhov, avocats
Pour la Fédération de la police nationale :
Christopher Rootham et Alison McEwen, avocats
Pour le Conseil du Trésor et le Procureur général du Canada :
Sean Kelly et Kevin Dulude, avocats
Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 19 au 21 novembre 2018 et les 26 et 27 mars 2019;
et à Ottawa (Ontario),
les 22 et 23 novembre 2018.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Requête devant la Commission

1         À la suite de demandes d’accréditation déposées par les demanderesses, l’Association des membres de la Police Montée du Québec (« AMPMQ ») et la Fédération de la police nationale (« FPN »), la Commission a rendu une décision le 11 octobre 2017 (Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor du Canada, 2017 CRTESPF 34) qui déclarait que l’unité de négociation habile à négocier collectivement est celle prescrite par la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), qui a été modifiée par la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9, art. 33; la « Loi modifiant la LRTFP »), et qui prévoit ce qui suit à l’article 238.14 :

238.14 Saisie d’une demande d’accréditation conforme au paragraphe 238.13(1), la Commission définit l’unique unité nationale habile à négocier collectivement comme étant le groupe composé exclusivement de l’ensemble des fonctionnaires qui sont des membres de la GRC et des fonctionnaires qui sont des réservistes.

2         Les demandes d’accréditation ont été déposées, respectivement, les 5 et 18 avril 2017. La Loi modifiant la LRTFP a été promulguée le 19 juin 2017. Par conséquent, les demandes sont visées par les dispositions transitoires de la Loi modifiant la LRTFP, qui prévoit ce qui suit à son alinéa 63(1)a) :

63 (1) Lorsqu’avant la date d’entrée en vigueur de l’article 238.13 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, édicté par l’article 33, une organisation syndicale sollicite son accréditation en vertu de l’article 54 de l’ancienne loi comme agent négociateur pour un groupe composé notamment de fonctionnaires qui sont des membres nommés à un grade ou qui sont des réservistes, l’accréditation de l’organisation ne peut être accordée sauf si, à la fois:

a) le groupe est composé exclusivement de l’ensemble des fonctionnaires qui sont des membres nommés à un grade, à l’exclusion des officiers au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur Gendarmerie royale du Canada, et des fonctionnaires qui sont des réservistes; […]

3         L’effet des dispositions sous le régime des deux lois est le même : le législateur impose une unité de négociation nationale unique pour les employés qui sont des membres de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») nommés à un rang (« membres réguliers ») ou des réservistes. Dans une lettre datée du 9 novembre 2017, l’AMPMQ a demandé à la Commission de trancher la question de la validité constitutionnelle de la disposition de la Loi qui légiférait une unité de négociation unique pour les membres réguliers et les réservistes de la GRC.

4         Comme nous l’avons précisé dans la décision Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2018 CRTESPF 31 (« Ordonnance de 2018 »), au paragraphe 36, la Commission n’a pas le pouvoir de faire une déclaration d’invalidité inconstitutionnelle. Toutefois, la Commission peut examiner la question de savoir si la disposition est incompatible avec la Constitution, et peut juger la disposition inopérante en raison de son incompatibilité (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, au paragraphe 143). Pour les motifs qui suivent, la Commission conclut que l’article 238.14 de la Loi et la disposition transitoire prévue à l’article 63(1)a) de la Loi modifiant la LRTFP ne sont pas incompatibles avec la Constitution. Par conséquent, la requête de l’AMPMQ et la demande d’accréditation de l’AMPMQ sont rejetées. La présente décision met fin au sursis de procédure imposé par l’Ordonnance de 2018. La demande d’accréditation de la FPN se poursuit, et le scrutin sera dépouillé.

II. Résumé de la preuve

5         L’AMPMQ a cité à témoigner les personnes suivantes : Gaétan Delisle, Paul Dupuis et Serge Bilodeau. Les témoins de l’employeur étaient les suivants : Stephen White, Claude Castonguay et Dennis Duggan. La FPN n’a pas présenté de preuve à l’audience.

6         L’AMPMQ souhaitait déposer en preuve un rapport d’expert préparé par le professeur Michel Coutu et citer celui-ci à témoigner. L’employeur s’est opposé au dépôt du rapport et au témoignage du professeur Coutu, essentiellement parce que cette preuve n’est pas conforme aux critères applicables au témoignage expert. À l’audience, nous avons accueilli l’objection de l’employeur et n’avons pas permis le dépôt du rapport ni le témoignage du professeur Coutu. Les motifs de cette décision sont énoncés dans la partie Analyse de la présente décision.

A. Pour l’AMPMQ

1. Gaétan Delisle

7         M. Delisle a été membre de la GRC de 1969 à 2010, et a atteint le grade de sergent d’état-major. En début de carrière, il a été affecté en Nouvelle-Écosse comme patrouilleur ainsi qu’à l’aéroport de Halifax. En 1974, il a été affecté à la Division « C », à Montréal, où il est demeuré jusqu’à la fin de sa carrière.

8         En 1969, les recrues unilingues francophones en entrainement à Régina devaient suivre des cours d’anglais trois à quatre soirs par semaine, puisque l’entrainement avait lieu en anglais. Les recrues francophones passaient les mêmes examens que les recrues anglophones faisant partie de la même troupe, mais leurs résultats étaient inférieurs à ceux des anglophones.

9         Au début des années 1970, il y a eu des rencontres dans l’ensemble du pays entre les membres qui voulaient des changements à leurs conditions de travail, qu’ils trouvaient inadéquates. Les autres corps policiers étaient syndiqués et avaient des conditions de travail plus avantageuses.

10        En 1972, un Programme de représentants des relations fonctionnelles divisionnaires (PRRFD) était en place. Pour chacune des 17 divisions, le commandant de la division nommait un représentant. Seuls les représentants de la Division « C » étaient élus par les membres.

11        En 1974, on a demandé aux membres s’ils voulaient conserver le PRRFD. Seule la Division « C » a voté pour remplacer le système par une association accréditée qui pourrait négocier pour ses membres. Les autres divisions ont accepté le système, qui a été mis en place à travers le pays. Le seul endroit pour discuter des conditions de travail était devant le commissaire de la GRC (le « commissaire ») et l’état-major. Les représentants n’avaient qu’un pouvoir de recommandation.

12        En 1975, une association a été mise sur pied pour former un syndicat national pour les 17 divisions. À l’époque, cette association, dont M. Delisle était le président en 1978, comptait 3 000 membres sur les 16 000 membres réguliers de la GRC. M. Delisle a témoigné qu’en parcourant le pays pour promouvoir cette association, il a constaté que chaque division avait une particularité et qu’elles n’étaient pas toutes administrées de la même façon.

13        En 1980, le Conseil du Trésor comparait les salaires de la GRC à ceux des huit corps policiers les plus nombreux au pays. En 1981, le gouvernement a décidé de comparer les salaires de la GRC à ceux des militaires plutôt qu’à ceux des corps policiers, ce qui a provoqué un influx de membres dans l’association. Les membres ont tenu des assemblées pour dénoncer la situation. Face à ces protestations, le gouvernement a accordé les augmentations demandées. Par la suite, le nombre de membres a chuté dans toutes les divisions, sauf au Québec.

14        Selon M. Delisle, l’association des 17 divisions n’a pas fonctionné pour plusieurs raisons : la grande diversité du territoire et des demandes, la langue et la prime de bilinguisme refusée par d’autres représentants divisionnaires, et la liberté d’expression des membres, qui revêtait une plus grande importance au Québec.

15        En 1977, M. Delisle était représentant divisionnaire et les assemblées des représentants se déroulaient en anglais. Au Québec, la grande majorité des membres occupaient des postes bilingues et souhaitaient recevoir la prime de bilinguisme. En 1988, le PRRFD a été enchâssé dans un règlement (l’article 96 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, 1988, DORS/88-361).

16        M. Delisle a expliqué que le caucus national était composé des représentants divisionnaires et se rencontrait quatre fois par an, soit deux rencontres entre les représentants et deux rencontres avec le commissaire et l’état-major. Le caucus national établissait les points à discuter avec le commissaire et l’état-major. Le Conseil de la solde de la GRC a été mis sur pied pour faire le lien avec les représentants divisionnaires afin de déterminer les conditions de travail dont bénéficiaient d’autres corps policiers.

17         L’impossibilité de faire valoir les points particuliers des membres de la Division « C » auprès de l’association des représentants divisionnaires et la perte des membres de l’association des 17 divisions sont des facteurs ayant mené à la création de l’AMPMQ.

18        La Division « C » a formé sa propre Association des membres de la Division « C » dans le but d’obtenir une accréditation du Conseil canadien des relations de travail, prédécesseur du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI). La requête en accréditation a été rejetée en 1986.

19         En 1986, M. Delisle était à la fois président de l’Association des membres de la Division « C » et représentant divisionnaire. Il a dit que les représentants divisionnaires représentaient l’employeur, même s’ils se disaient indépendants. Les représentants divisionnaires ont adopté une résolution selon laquelle M. Delisle ne pouvait pas agir comme représentant puisqu’il était président de l’Association. Selon lui, une des raisons de cette mise à l’écart était qu’il exigeait que les rencontres aient lieu avec un service d’interprétation simultanée, ce qui irritait les gens. M. Delisle a dû déposer une requête en injonction à la Cour fédérale pour empêcher les membres du caucus national de lui interdire de participer à la conférence des représentants avec le commissaire et l’état-major.

20        La juge Reed lui a donné raison (voir Delisle c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, (1990), 39 F.T.R. 217). Elle a été scandalisée du tee-shirt dont copie était jointe à l’affidavit de M. Delisle et qui représentait un bison déféquant sur les lettres « GRC ».

21        Concernant les particularités de l’AMPMQ, M. Delisle a dit que l’action de l’AMPMQ a apporté des changements à la GRC dans les domaines suivants : la langue de travail, le respect accru de l’état-major à l’égard des membres, la politique sur les voyages de la GRC et la politique de réinstallation.

22        M. Delisle a témoigné que lorsqu’il y avait de grands événements sur le territoire de la Division « C », l’AMPMQ s’assurait que la politique sur les voyages soit appliquée. Selon lui, les membres des autres divisions n’en revenaient pas puisqu’ils étaient logés dans des lieux confortables et que les heures supplémentaires (soit tout travail au-delà de 40 heures par semaine) étaient payées.

23        M. Delisle a dit que la solidarité entre les membres de l’AMPMQ est très forte et qu’il y a toujours un noyau de membres qui travaillent pour défendre les droits des membres. Le degré de confiance envers les membres élus de l’AMPMQ est très élevé.

24        Il a témoigné que l’attitude de la GRC vis-à-vis la syndicalisation était négative. Il a fait référence à son affidavit à l’appui de la requête de l’Association de la police montée de l’Ontario (APMO) devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario ainsi qu’à son exclusion des délibérations du caucus des représentants en 2003.

25        M. Delisle a également fait allusion au Fonds de recours juridique des membres de la Gendarmerie (« Fonds de recours juridique ») mis sur pied par les représentants divisionnaires. Il a fait valoir qu’il existait une politique selon laquelle les employés pouvaient se faire représenter par des avocats du ministère de la Justice lorsqu’ils faisaient face à une situation dans l’exercice de leurs fonctions. Selon lui, comme il pouvait s’écouler du temps avant de rencontrer un avocat, l’AMPMQ offrait les services de représentation par avocat. À la demande du caucus et avec l’approbation du commissaire, le Fonds de recours juridique a été établi. Les membres voulant y participer devaient remplir une formule pour déduction à la source. M. Delisle et un autre ont rempli le formulaire afin d’y participer, mais après cinq déductions, ils ont été avisés qu’ils ne pouvaient pas participer, alors que personne d’autre n’était exclu.

26        En poursuivant avec les particularités de la Division « C », M. Delisle a expliqué la structure nationale de la GRC. Chaque division représente une région ou une province. Il y a aussi le quartier général à Ottawa, ainsi que le service de protection. Chaque division comprend un commandant, des postes, des sous-postes et des services administratifs. Tous les secteurs d’activités se rapportent à un quartier général de la division.

27        M. Delisle a dit que les ressources varient selon les divisions. La langue de travail de la Division « C » est le français. Dans les autres divisions, il y a certains postes bilingues pour fournir le service.

28        Selon M. Delisle, un seul poste à la GRC est identifié comme unilingue, soit celui d’inspecteur. D’après lui, un membre unilingue anglophone peut devenir commissaire, tandis qu’un membre unilingue francophone ne peut atteindre que le grade de sergent.

29        Il a dit qu’il recevait trois ou quatre appels par semaine de membres francophones provenant d’autres divisions et qui lui demandaient de l’aide pour traiter avec l’employeur en français relativement à différents dossiers, par exemple les griefs, les mesures disciplinaires, les services médicaux et familiaux, les écoles et les transferts.

30        En ce qui concerne la distinction entre les conditions de travail dans les différentes divisions, M. Delisle a dit que les membres de la Division « C » n’appliquaient que les lois fédérales.

31        Alors qu’il était représentant divisionnaire, M. Delisle revendiquait plusieurs choses, dont l’établissement de politiques de relocalisation et de voyage. Il a dit qu’après plusieurs années, la GRC accordait plus d’importance aux conséquences des transferts et des promotions sur les familles.

32        Concernant la mentalité et les divergences entre les divisions, M. Delisle a dit que le caucus national discutait des véhicules, de l’uniforme et des armes à feu. Selon lui, la discussion portait davantage sur les différences entre les divisions que sur les avantages dont devraient bénéficier les membres. Il a dit que la Division « C » était la plus revendicatrice, à tout le moins en ce qui concerne le respect accordé aux membres.

33        En ce qui a trait aux différences culturelles concernant le conformisme, M. Delisle a souligné que la majorité des membres anglophones étaient plus militarisés, habitués à recevoir des ordres sans discussion, tandis qu’à la Division « C », il y avait davantage de discussion.

34        À la question de savoir si les particularités de la Division « C » étaient reconnues par les autres divisions, M. Delisle a répondu que non en ce qui concerne les représentants divisionnaires. Cependant, des membres qui ont participé aux événements sur le territoire de la Division « C » en parlaient et y référaient, puisqu’il a reçu des appels de ces membres à la suite de ces événements.

35        M. Delisle a affirmé que la particularité la plus importante pour l’AMPMQ est d’être capable de s’exprimer en français. L’AMPMQ est le seul organisme de défense des droits des membres francophones dans d’autres divisions et il a fait des présentations aux comités de la Chambre des communes et du Sénat à cet égard. Selon M. Delisle, les autres divisions n’ont jamais encouragé ses démarches pour la protection des droits linguistiques.

36        Quant à la particularité fonctionnelle de la Division « C », M. Delisle a dit qu’il y avait une différence dans l’échange de points de vue. Par exemple, il a mentionné des problèmes avec la politique sur les voyages, qui ont entraîné la présentation de 600 griefs. Un nouveau commandant de la Division « C » en a discuté avec l’exécutif de l’AMPMQ et le problème a été réglé, alors que les autres divisions appliquaient la politique telle que mandatée par le quartier général à Ottawa.

37        Concernant une expertise propre ou unique à la Division « C », M. Delisle a mentionné des évènements ou des activités, par exemple le Sommet des Amériques de 2001, à Québec et le G7 de 2018, à Charlevoix. Les membres de la GRC doivent préparer le terrain pour ces conférences. De plus, les membres de la Division « C » sont souvent appelés à appuyer d’autres divisions, par exemple dans le cadre des Jeux Olympiques de Vancouver, en 2010.

38        À la question de savoir si plus d’événements majeurs ont été tenus au Québec par rapport aux autres provinces, M. Delisle a répondu que, sur les événements majeurs auxquels il a participé, il en comptait huit au Québec, en plus du Sommet de la Francophonie, à Moncton, en 1999, les Jeux Olympiques de Calgary en 1988, la visite du Pape en 1984, et une visite de la famille royale ainsi que le G8 de Kananaskis.

39        À la question de savoir si l’ensemble des particularités ont mené à des revendications particulières, M. Delisle a répondu qu’il y a des revendications ponctuelles que l’AMPMQ continue d’appuyer.

40        La Division « C » n’applique que des lois fédérales, alors que dans les autres divisions il y a des contrats entre la GRC et la province ou la municipalité qui régit le nombre de membres sur place en tout temps et les activités des membres. À l’époque pertinente à M. Delisle, les commandants de divisions dans les autres provinces étaient nommés avec l’assentiment de la province.

41        M. Delisle a dit qu’au cours de sa carrière, il était personnellement au courant du manque de personnel dans les Divisions « C » et « O » (Ontario). À titre d’exemple, si le Conseil du Trésor autorisait 1000 membres, un minimum de 150 à 200 postes n’étaient pas pourvus. Quand il a pris sa retraite, il y avait 1 100 membres incluant les membres civils à la Division « C ».

42        Concernant le programme de langues, la GRC a mis sur pied un programme selon lequel lorsqu’un individu francophone est engagé, il doit suivre des cours d’anglais avant d’être assigné à l’entrainement à Régina. Certains membres anglophones qui se portaient volontaires pour apprendre le français ont été déménagés avec leur famille au Québec afin d’être dans un environnement entièrement francophone.

43        En contre-interrogatoire par l’employeur, M. Delisle a dit que pendant son affectation en Nouvelle-Écosse, il a effectué des tâches de police contractuelle et de police fédérale, soit dans le domaine des stupéfiants.

44        Il a été représentant divisionnaire de 1977 à 2010. Lorsqu’il avait des rencontres avec le commissaire, il agissait à titre de représentant divisionnaire et de président de l’AMPMQ.

45        M. Delisle a reconnu que les politiques de repas, de relocalisation et de voyages étaient nationales et pas uniques au Québec.

46        M. Delisle a dit que des membres francophones travaillaient à l’extérieur du Québec et que, en 2008, tous les postes unilingues français étaient au Québec, soit 60 % des postes identifiés.

47        Concernant les événements planifiés ou non planifiés, M. Delisle a reconnu que la GRC affectait des membres de plusieurs divisions sur le territoire du lieu de l’événement.

48        En ce qui a trait à la situation où différentes divisions travaillent ensemble pour contrecarrer des activités criminelles, M. Delisle a dit qu’il avait une grande connaissance de cette coopération entre divisions ainsi que du travail avec des corps policiers au pays et à l’international.

49        M. Delisle a été renvoyé à son témoignage selon lequel les commandants des divisions qui effectuent du travail contractuel sont nommés avec l’assentiment de la province. Lorsqu’on lui a suggéré qu’un représentant de la province pouvait siéger au comité de sélection, mais que le commandant était nommé par le Gouverneur en conseil, M. Delisle a répondu que dans les années 1980, les contrats avaient une telle clause d’approbation de la province.

50        En réponse à la question de la FPN, M. Delisle a dit qu’il n’avait pas témoigné devant les comités de la Chambre des communes et du Sénat concernant le projet de loi C-7.

2. Paul Dupuis

51        M. Dupuis s’est joint à la GRC en 1980 et a travaillé au sein de la Division « C » jusqu’en août 2016, ayant atteint le grade de sergent d’état-major. Au cours de sa carrière, il a travaillé entre autres dans les domaines suivants : la patrouille frontalière, les enquêtes fédérales, la section des délits commerciaux et de la contrefaçon de la monnaie à Montréal, et la section des faillites. Il a aussi participé à la planification de plusieurs événements majeurs.

52        En 1993, M. Dupuis a été élu sous-représentant du PRRFD et administrateur de l’AMPMQ. Il s’est intéressé à la politique sur les voyages et au Fonds de recours juridique, qui a été créé en mars 1997 avec déductions à la source. En 2004, il était président de l’exécutif divisionnaire du Fonds. Même si la constitution du Fonds de recours juridique ne contenait pas de dispositions visant l’exclusion des membres, deux RRF, dont M. Delisle, ont été exclus sans explication. Par conséquent, ils ne pouvaient pas participer à la réunion nationale et ne pouvaient pas se faire représenter par un avocat.

53        Après la décision de la Cour suprême du Canada dans Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1 (« APMO »), le commissaire a coupé les déductions à la source. Selon M. Dupuis, le commissaire a dit qu’il avait agi ainsi pour maintenir l’indépendance de la GRC face au Fonds de recours juridique. Quant au Conseil de la solde de la GRC, M. Dupuis a dit qu’aucun membre de la Division « C » n’était nommé au Conseil.

54        Lors de la consultation nationale Défi 2000, les deux RRF de la Division « C » n’ont pas été acceptés sur le comité qui rencontrait le centre de politique de la GRC. Après Défi 2000, il a été résolu que les régions choisiraient et nommeraient les représentants qu’ils désiraient sur les comités, sauf pour le comité national et le comité de la paie. Ce dernier comité était élu par le caucus national. Le comité national établissait les priorités mises de l’avant dans des rencontres avec le commissaire. Chacun des comités avait un président et un vice-président, mais les membres de la Division « C » n’ont jamais été invités à occuper ces postes. Le caucus national était composé d’environ 40 représentants divisionnaires à temps plein et le caucus comptait huit comités. Pour les régions Ontario, Québec et corporatif, M. Dupuis a siégé à titre de représentant de la Division « C » sur les comités de ressources humaines, des affaires internes, de la santé et de la politique sur les voyages. Cependant, aucun membre de la Division « C » ne présidait ces comités.

55        À partir de 2000, M. Dupuis a agi à titre de secrétaire au sein de l’AMPMQ et, à partir de 2015 jusqu’à sa retraite en août 2016, à titre de président. À l’époque, entre 300 à 400 membres de la Division « C », soit une majorité, étaient membres de l’AMPMQ.

56        En ce qui a trait aux particularités administratives ou fonctionnelles de la Division « C », M. Dupuis a dit que le fait d’être une division de police fédérale entrainait des contraintes pour les ressources humaines. Dans les divisions qui effectuent du travail contractuel, la GRC sous-évalue les besoins de personnel afin de décrocher le contrat, puisque les contrats sont lucratifs pour la GRC. Selon M. Dupuis, la GRC utilise les services de police des villes avoisinantes ou les membres attitrés au fédéral pour pallier aux effectifs. En 2016, la Division « C » devait avoir 1 144 membres, alors qu’elle en comptait 900; le taux de vacance était de 20 %. Quant au manque d’effectifs dans d’autres divisions, M. Dupuis a dit que, selon les chiffres, la police contractuelle avait du mal à rencontrer un taux de vacance de 5 %.

57        M. Dupuis a dit que puisque les villes de Montréal et de Québec étaient souvent visitées par des dignitaires de l’extérieur ou servaient de lieux de rencontres internationales, les membres de la Division « C » avaient développé une expertise pour la protection des dignitaires. De plus, vu leurs revendications concernant la politique sur les voyages de la GRC, lors de certains événements planifiés, les membres de la Division « C » ont pu bénéficier de certaines conditions de travail plus favorables que ceux des membres d’autres divisions déployés aux mêmes événements. À la question de savoir si d’autres divisions avaient un niveau d’expertise similaire, M. Dupuis a répondu que c’était le cas de la Division « O », mais qu’elle consultait la Division « C » à l’occasion.

58        La Division « C » est la seule division à avoir une section consacrée aux produits de la criminalité. Dans les autres divisions, cette section fait partie des opérations de la police fédérale.

59        Selon M. Dupuis, un aspect très important pour la Division « C » est la protection des droits des francophones. La Division « C » est le seul endroit où la langue de travail est le français et où un membre francophone unilingue peut travailler. Lorsqu’un francophone unilingue se joint à la GRC, il entre au dépôt à Regina dans une troupe francophone. Ceux qui ne reçoivent pas un « B » en anglais retournent à Regina pendant trois mois pour parfaire leur anglais. Ils sont ensuite déployés à un détachement et ils sont souvent mis à l’épreuve à cause du harcèlement et décident de quitter. S’ils demandent un transfert au Québec, ils sont informés qu’il n’y a pas d’ouverture. Donc, il n’y a pas de place pour le membre francophone qui n’est pas bilingue.

60        M. Dupuis a dit que le plus haut grade qu’un membre francophone unilingue au Québec peut atteindre est celui de caporal. Bien qu’un membre francophone unilingue puisse être un expert dans un domaine, il ne peut être en charge parce que cela revient généralement à un grade plus élevé, soit ceux de sergent ou d’inspecteur.

61        M. Dupuis a dit que la Division « C » avait dû se battre pour avoir des services d’interprétation simultanée pour les rencontres nationales.

62        Un problème particulier pour les membres de la Division « C » s’est présenté lorsque la GRC a développé un programme national de promotion avec examen de connaissances. Les questions d’examen étaient créées en anglais et ensuite traduites par des personnes à l’extérieur de la GRC. Plusieurs des traductions ont créé une certaine ambiguïté entre la meilleure réponse et la bonne réponse. Selon M. Dupuis, six psychologues industriels ont fait le tour du pays pour examiner le problème. Ils ont conclu qu’un membre francophone qui écrivait l’examen en français avait une note de 10 % inférieure à celle des membres qui écrivaient l’examen en anglais. Ils ont recommandé que les questions soient rédigées en anglais, traduites en français puis retraduites en anglais pour en assurer la validité, ce que la GRC a refusé. Après le premier examen, 3 000 griefs ont été présentés; les notes ont été réajustées suite aux griefs en raison de la traduction fautive.

63        M. Dupuis a dit que les membres unilingues francophones subissaient des effets psychologiques pouvant entrainer la séparation des couples et des familles brisés. Les membres unilingues francophones qui ne peuvent s’adapter reviennent au Québec. Cette discrimination a un effet concret sur le recrutement des membres. De plus, le taux d’attrition est très haut parmi les unilingues francophones qui ne peuvent pas apprendre l’anglais. Même un francophone bilingue peut subir du harcèlement à cause de la jalousie de membres anglophones qui croient que les membres bilingues volent les promotions.

64        Quant au sondage auprès des membres, M. Dupuis a souligné que l’employeur avait engagé une experte de régimes non syndiqués pour le concevoir.

65        M. Dupuis a corroboré le témoignage de M. Delisle selon lequel il y a un très haut degré de confiance d’une très forte majorité des membres de la Division « C » en leur représentation par l’AMPMQ.

66        En contre-interrogatoire par l’employeur, M. Dupuis a dit que, en principe, la Division « C » était francophone et qu’il y avait des membres anglophones bilingues, puisqu’elle offre des services aux anglophones et que la Ville de Montréal est désignée zone bilingue.

67        M. Dupuis ne savait pas quel pourcentage des membres francophones unilingues travaillait à la Division « C » en 2016. Il a toutefois précisé qu’à l’époque, il y avait 3 400 membres réguliers bilingues à travers le Canada. Il ne savait pas le nombre de membres travaillant à l’extérieur de la Division « C » qui s’identifiaient comme francophones. Il a reconnu qu’il y a des détachements à travers le Canada qui offrent des services au public en français.

68        Concernant le sondage auprès des membres, M. Dupuis a participé à l’assemblée publique à la Division « C ». La question numéro 4 était une question dirigée et les membres n’avaient pas eu le temps de se consulter; personne n’avait consulté l’AMPMQ. Les questions ont été posées avant la consultation. M. Dupuis n’était pas d’accord avec le résultat indiquant que la majorité des membres de la Division « C » voulait un regroupement national unique habile à négocier collectivement, puisque le processus du sondage n’était pas légitime.

69        En ce qui a trait à ses comparutions devant les comités de la Chambre des communes et du Sénat concernant le projet de loi C-7, M. Dupuis a reconnu que l’article 238.14 était déjà inclus dans le premier projet de loi C-7 et qu’il le savait lors de ses comparutions qu’il considérait importantes et pour lesquelles il s’était préparé. De plus, il a reconnu que lors de ces comparutions, il n’a fait aucun commentaire concernant l’article 238.14 et n’a pas fait parvenir un document concernant cette disposition aux comités.

70        À la question de savoir si la priorité de l’AMPMQ est une unité de négociation régionale pour le Québec, M. Dupuis a répondu que l’AMPMQ veut représenter les membres réguliers au Québec, sans toutefois vouloir dire que l’AMPMQ ne veut pas représenter les membres francophones hors Québec.

71        M. Dupuis a dit que l’AMPMQ pensait se joindre à d’autres associations de membres de la GRC, dont l’APMO et l’association de la Colombie-Britannique. À l’époque, il se dégageait une unité entre les associations, mais il fallait quelque chose à négocier.

72        En contre-interrogatoire par la FPN, M. Dupuis a été renvoyé à son commentaire selon lequel les membres devaient être mieux informés afin de donner des réponses significatives au sondage, ce à quoi il a répondu que, au sein de la GRC, le sentiment d’antisyndicalisme émanait de la direction. Lorsque les membres étaient sondés, ils étaient incertains de ce en quoi consistait la syndicalisation.

73        M. Dupuis a souligné qu’on avait dit aux membres de l’AMPMQ qu’il s’agissait d’un sondage de l’employeur et que l’employeur était antisyndical. L’AMPMQ n’a pas suggéré le boycottage du sondage, mais a dit aux membres que ce dernier était douteux et qu’il incombait à chacun de décider s’il souhaitait y participer. L’AMPMQ n’a pris aucune mesure pour informer ses membres des réponses qu’elle souhaitait au sondage et n’a pas tenté d’influencer leurs réponses. M. Dupuis a indiqué que l’AMPMQ n’avait pris aucune mesure pour dire aux membres comment répondre, mais qu’elle contesterait le sondage.

74        À la question de savoir comment l’AMPMQ s’y prendrait pour contester le sondage, M. Dupuis a dit qu’elle ne donnerait pas son aval au sondage. L’AMPMQ n’a ni contesté la validité du sondage ni envoyé de lettre à la GRC pour dire que le sondage était inapproprié. Comme la GRC savait que l’AMPMQ ne donnerait pas son aval au sondage, il était inutile de lui envoyer une lettre. M. Dupuis a déclaré que la GRC savait que l’AMPMQ ne donnerait pas son aval puisque, depuis 40 ans, l’AMPMQ avait contesté plusieurs questions. À la question de savoir si l’AMPMQ avait déjà fourni un sondage à ses membres, M. Dupuis a répondu que les membres connaissaient l’AMPMQ et qu’ils respectaient sa philosophie. Il a ajouté que soit les individus respectent cette philosophie, soit ils ne la respectent pas.

3. Serge Bilodeau

75        M. Bilodeau, qui détient un baccalauréat en sciences de l’administration en ressources humaines, s’est joint à la GRC en 2004. Il était affecté à la Division « C », dans la section de crimes économiques, soit la fraude et la contrefaçon, jusqu’en 2015. De 2015 à 2017, il a été affecté aux renseignements. Il a été promu au grade de caporal en 2017. À compter de juillet 2017, il a été affecté à la planification de la conférence G-7 qui a eu lieu en 2018 dans la Ville de Québec et, depuis septembre 2018, il est à la section des fraudes majeures. Pendant toute sa carrière, M. Bilodeau a travaillé dans la Division « C ». Avant d’intégrer la GRC, il était enseignant au secondaire et représentant syndical à son école.

76        Lors de son entrainement à la GRC, M. Bilodeau faisait partie de la seule troupe francophone parmi 39 troupes. Le matériel fourni aux francophones n’était pas approprié. Lors des examens, il demandait la version anglaise pour faciliter sa compréhension, malgré ses faibles connaissances en anglais. À titre d’exemple, dans les sciences policières appliquées, on a fourni aux anglophones le Code criminel Martin alors que le Code criminel bilingue fourni aux francophones ne contenait pas la même jurisprudence que le code Martin. Comme les examens étaient axés sur le code Martin, cela demandait plus de temps pour les francophones.

77        M. Bilodeau est devenu membre de l’AMPMQ pendant la présidence de M. Dupuis. Il a été élu administrateur et est devenu secrétaire de l’exécutif. À la retraite de M. Dupuis, il a été élu président.

78        Concernant le contexte du dépôt de la demande d’accréditation par l’AMPMQ le 5 avril 2017, M. Bilodeau a dit qu’à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans APMO et les comités parlementaires concernant le projet de loi C-7, l’AMPMQ a communiqué avec deux autres associations avec l’idée de se regrouper pour déposer une demande commune. L’AMPMQ a rencontré la FPN en août 2017, et a essayé de l’inclure avec l’Association professionnelle de la police montée du Canada (APPMC), mais cela a échoué avec APPMC. L’AMPMQ cherchait une représentation pour les membres francophones parce que nul autre ne pouvait aussi bien les représenter.

79        Vu que le projet de loi n’avait pas été adopté, l’AMPMQ a décidé de procéder selon la loi existante, soit la LRTFP. L’AMPMQ a déposé une demande d’accréditation pour les membres du Québec seulement, étant donné qu’il était ainsi plus facile de satisfaire aux critères de cette loi. Le 18 avril 2017, la FPN a déposé une demande d’accréditation visant l’ensemble des membres de la GRC au Canada.

80        M. Bilodeau a dit que dans sa demande d’accréditation, l’AMPMQ a souligné la région géographique et la langue française comme première langue de travail. Concernant la communauté d’intérêts, la demande indique que les membres de la Division « C » ont une communauté d’intérêts différente des membres dans les autres provinces, étant donné que ceux de la Division « C » n’appliquent que les lois fédérales, alors que les autres appliquent les lois provinciales et locales.

81        M. Bilodeau a affirmé que la confiance des membres de l’AMPMQ dans leur représentation existe toujours. Quant à l’intention de l’AMPMQ d’avoir une représentation régionale, M. Bilodeau a dit qu’elle était évolutive. Il croyait qu’avec les autres associations, le seuil de 40 % aurait pu être atteint. L’AMPMQ désirait une représentation sur le comité exécutif pour un droit de parole sans droit de véto et une place sur le comité de négociation.

82        Quand on lui a demandé pourquoi l’AMPMQ n’avait pas réclamé une unité de négociation pour le Québec avant l’adoption du projet de loi C-7, M. Bilodeau a répondu qu’il s’était concentré sur ce qui serait exclu d’une convention collective éventuelle, car l’AMPMQ désirait un pouvoir réel de négociation. Comme l’adoption du projet de loi avait un effet rétroactif, cela rendait caduque la demande d’accréditation de l’AMPMQ.

83        M. Bilodeau a souligné l’enregistrement d’un lobbyiste-conseil du Fonds de recours juridique en date du 10 mai 2017, concernant les projets de loi C-4 et C-7.

84        M. Bilodeau a dit que les 800 membres de la GRC dans la Division « C » ont une culture différente, une langue différente, et une structure différente. Selon lui, depuis son entrée à la GRC en 2004, il y a plus d’événements majeurs qui ont lieu au Québec que dans les autres divisions. De plus, les membres effectuent la surveillance de la frontière. En ce qui a trait à la structure des enquêtes au Québec par rapport aux autres provinces, M. Bilodeau a dit que les membres de la Division « C » et de la Division « O » appliquent les lois fédérales et emploient des techniques différentes de celles des autres provinces où les membres appliquent les lois municipales et provinciales.

85        En contre-interrogatoire par l’employeur, M. Bilodeau a confirmé que l’ensemble des documents contenus dans la pièce A-14 étaient publiés sur le site Internet de l’AMPMQ. Parmi ces documents, mentionnons les suivants : un communiqué de presse en date du 4 avril 2017 intitulé « Les policiers de la GRC du Québec déposent une demande d’accréditation syndicale »; une lettre aux membres de l’AMPMQ du 4 avril 2017, signée par M. Bilodeau à titre de président; un message aux policiers de la GRC de partout au Canada signé par M. Bilodeau; et une lettre aux membres de l’AMPMQ en date du 1er mai 2018, signée par M. Bilodeau ainsi que par le vice-président intérimaire et le trésorier de l’AMPMQ.

86        Le communiqué de presse du 4 avril 2017 annonçait le dépôt d’une demande d’accréditation par l’AMPMQ pour les membres qu’elle représentait au Québec. Il renvoie aux dires de M. Bilodeau que bien qu’il aurait été préférable que les deux autres associations (APPMC et FPN) déposent avec l’AMPMQ une seule demande d’accréditation, les démarches par l’AMPMQ pour s’unir ont été vaines. M. Bilodeau a témoigné l’avoir mentionné parce que les autres associations ne voulaient pas reconnaître les particularités des membres de la Division « C ».

87        Dans sa lettre aux membres de l’AMPMQ du 4 avril 2017, M. Bilodeau a mentionné la demande d’accréditation et les démarches vers l’unification des associations, y compris les demandes de l’AMPMQ aux autres associations. La lettre mentionnait des discussions qui auraient lieu avec les autres associations sous forme de médiation en vue d’un rapprochement.

88        Dans sa lettre aux membres de l’AMPMQ du 1er mai 2018, M. Bilodeau leur a fait part, entre autres, du déroulement des événements, des demandes que l’AMPMQ avait faites à la FPN et des difficultés rencontrées avec la FPN en vue de faire respecter les particularités des membres de la Division « C ». La lettre indiquait que la FPN n’avait pas répondu à l’offre de l’AMPMQ en date du 31 octobre 2017 lors de la médiation, et contenait la phrase suivante : « Notre demande de vérification de validité constitutionnelle n’est qu’une conséquence de l’absence de volonté du FPN de discuter, de s’entendre ».

89        L’employeur a ensuite remis en question la prétention de l’AMPMQ que l’une des particularités de la Division « C » est une spécialisation dans la planification des événements majeurs. M. Bilodeau a dit que si on ne participe pas régulièrement à la planification d’événements majeurs, on ne sait pas de quoi il s’agit. M. Bilodeau a été renvoyé à une pièce indiquant les déploiements des membres réguliers aux événements planifiés suivants : les Olympiques 2010 à Vancouver, le Sommet G8/G20 2010 à Toronto, le Sommet des leaders nord-américains 2016 à Ottawa, et le Sommet G7 2018 à Québec. M. Bilodeau a reconnu que des événements majeurs ont lieu ailleurs que sur le territoire de la Division « C » et que lors de ces événements, des membres de toutes les divisions y sont affectés. Selon M. Bilodeau, les membres de la police fédérale sont affectés prioritairement à ces déploiements.

90        M. Bilodeau a confirmé que les membres réguliers de la Division « C » ne sont pas automatiquement membres de l’AMPMQ, puisqu’il faut contribuer pour devenir membre. À la question de savoir si, dans la Division « C », il y a des membres réguliers qui sont membres d’autres associations, M. Bilodeau a dit qu’il en connaissait deux.

91        En contre-interrogatoire par la FPN, M. Bilodeau a été renvoyé au document indiquant l’enregistrement d’un lobbyiste-conseil pour le compte du Fonds de recours juridique en date du 10 mai 2017 concernant, entre autres, les projets de loi C-7 et C-4. À la question de savoir s’il demandait à la Commission de tirer une conclusion à partir du document selon laquelle le gouvernement du Canada a fait l’objet de pressions pour présenter le projet de loi C-7 afin d’empêcher la demande d’accréditation de l’AMPMQ, M. Bilodeau a répondu qu’il avait dit que l’enregistrement du lobbyiste visait à promouvoir les projets de loi C-7 et C-4. La date d’enregistrement était 14 ou 15 mois après le dépôt des projets de loi, mais moins d’un mois suivant le dépôt de la demande d’accréditation de l’AMPMQ. M. Bilodeau a également dit que l’enregistrement correspondait à la période pendant laquelle l’AMPMQ tenait des discussions avec la FPN. M. Bilodeau ne savait pas si le lobbying avait eu lieu puisque sa seule référence était le formulaire d’enregistrement et sa date.

B. Pour l’employeur

1. Stephen White

92        M. White est le sous-commissaire de la GRC et son dirigeant principal des ressources humaines adjoint depuis 2016. Il s’est joint à la GRC en 1986 et a eu une carrière variée au sein des services de maintien de l’ordre, et ce, tant à l’échelle nationale qu’internationale. En mai 2008, il a été nommé directeur général de la criminalité financière de la GRC. De 2011 à 2016, il était le commandant de la Division « O » pour toutes les activités de la GRC dans la province de l’Ontario, lequel mandat exclut la région de la capitale nationale qui relève de la Division nationale.

93        En tant que dirigeant principal des ressources humaines adjoint, il est chargé de la surveillance nationale de toutes les activités de ressources humaines (RH) au Canada. La GRC est une organisation qui compte 30 000 employés, dont environ 19 000 sont des membres réguliers et 11 000 sont des employés civils.

94        La GRC offre des services de police contractuelle dans 150 municipalités, ainsi que dans huit provinces, les trois territoires et de nombreuses communautés autochtones. Elle offre des services de police fédérale dans l’ensemble du Canada. En Ontario et au Québec, elle n’offre que des services de police fédérale.

95        L’ensemble de la carrière de M. White auprès de la GRC a été exercée dans le cadre des services de police fédérale, y compris dans la Division « C ». Conformément au Rapport sur les résultats ministériels de 2016-2017 de la GRC, le mandat de la police fédérale comprend ce qui suit :

  • enquêter sur les affaires de drogue, le crime organisé, la criminalité économique et les activités terroristes;
  • veiller à l’exécution des lois fédérales;
  • sécuriser les frontières du Canada;
  • appuyer le renforcement des capacités internationales, la liaison avec les partenaires internationaux et les efforts de maintien de la paix;
  • assurer la sécurité lors d’événements majeurs, et la sécurité des représentants de l’État, des dignitaires et des missions étrangères.

96        La police fédérale est appuyée par des services spécialisés axés sur la surveillance, la criminalité technologique et les services de police aérienne.

97        M. White a déposé un tableau en preuve qui indique le nombre de membres réguliers et de réservistes de la police fédérale en date du 2 octobre 2018. Du nombre total de 3 775 membres réguliers et réservistes, les trois premières divisions, par taille, sont la Division « O » (975), la Division « C » (755) et de la Division nationale (Ottawa) (658).

98        Les opérations majeures et les enquêtes d’envergure nécessitent l’approbation de la Direction générale située à Ottawa. La surveillance est fournie par le directeur général, dont le grade est celui de surintendant en chef, en vue d’assurer l’uniformité des opérations dans l’ensemble du pays. Les décisions peuvent être prises au niveau de la Division, mais certaines opérations exigent l’approbation d’Ottawa. À titre d’exemple, M. White a indiqué une opération visant à suivre le mouvement de stupéfiants pour entrer au Canada. L’approbation doit être obtenue d’Ottawa en vue de permettre l’importation de stupéfiants; davantage de coordination pourrait être nécessaire si les stupéfiants traversent plusieurs provinces. M. White a expliqué que les activités criminelles importantes ne se limitent généralement pas à une province. L’enquête peut être dirigée par une seule division, mais d’autres ressources des services de police fédérale à l’extérieur de cette division seront mobilisées.

99        Selon M. White, les services de police fédérale sont les mêmes dans toutes les divisions, mais la portée des enquêtes peut différer. Les centres importants, comme Montréal, Toronto ou Vancouver, mènent des enquêtes semblables.

100        M. White a été interrogé au sujet de ses responsabilités lorsqu’il était le commandant de la Division « O ». Il a répondu que pendant cette période, il était chargé de toutes les activités de la GRC en Ontario, c’est-à-dire la surveillance de toutes les enquêtes et de toutes les opérations. Il était responsable du budget et de la formation, du ressourcement et des opérations. Son rôle concernait également la consultation d’autres organismes policiers et gouvernementaux.

101        Dans le cadre de son rôle actuel de dirigeant principal intérimaire des RH, M. White supervise tous les programmes liés aux RH à la GRC, y compris la dotation, la classification, le recrutement, l’embauche, la formation, la rémunération (la paie et les avantages sociaux) et la santé et sécurité. Une des principales responsabilités du poste consiste à veiller à ce que les activités des RH soient uniformes dans l’ensemble du pays. À compter du 1er avril 2018, le taux de postes vacants des services de police contractuelle était de 4 % et celui des services de police fédérale était de 7 %. À la question de savoir si le taux de postes vacants de 20 % pour la Division « C » était exact, M. White a répondu que le taux n’était pas si élevé. Bien qu’il soit supérieur à 7 %, il a fait valoir qu’il était important de faire une distinction entre ce qu’il a qualifié d’absences « permanentes » et « temporaires », dont la première vise des postes qui sont financés mais non dotés et la deuxième vise des postes détenus réservés aux titulaires qui sont absents en raison d’un congé prolongé, par exemple, pour des raisons médicales.

102        M. White a déclaré que les conditions d’emploi, ainsi que la paie et les avantages sociaux, sont établies par le Conseil du Trésor et s’appliquent partout au Canada.

103        M. White a déposé un certain nombre de documents en preuve qui sont signés par toutes les nouvelles recrues. Un document consiste en une lettre confirmant l’inscription à une formation au Dépôt de Regina; un autre document consiste en une entente sur la formation des cadets. Le troisième document est intitulé « Politique de mutation » et est ainsi rédigé :

Je reconnais par la présente que l’on m’a expliqué la politique de mutation de la GRC. Je comprends pleinement qu’après avoir terminé avec succès le Programme de formation des cadets de la GRC, au moment de mon engagement comme membre régulier ou membre régulière de la GRC, je serai affecté(e) dans un détachement ou à groupe n’importe où au Canada, selon les besoins de la GRC. Je comprends en outre également que toute situation personnelle dont je connais l’existence avant d’être engagée(e) comme membre régulier ou membre régulière pourrait ne pas être prise en considération aux fins de la gestion des ressources humaines pendant mon service dans la GRC.

J’accepte cette politique comme condition d’emploi.

104        M. White a discuté du troisième chapitre du manuel de gestion des carrières de la GRC qui porte sur les mutations et les déploiements. Il a affirmé que lorsque les nouvelles recrues qui ont terminé leur formation au dépôt sont affectées, leurs préférences sont prises en considération, comme le confirment les articles 3.2 et 3.3 du chapitre sur les mutations et les déploiements, qui sont ainsi rédigés :

3.2 Dans la planification des mutations latérales, on tiendra compte des circonstances et des ambitions du membre, mais les besoins organisationnels de la GRC ont préséance.

3.3 Avant l’exécution de la mutation, on consultera les membres touchés et on consignera leurs opinions […]

105        En outre, l’acquisition de la deuxième langue officielle sera prise en considération à l’égard des nouveaux membres réguliers embauchés. L’article 11.1 du même chapitre prévoit ce qui suit :

11.1 Un nouveau membre régulier ne sera pas muté à un endroit où sa première langue officielle n’est pas couramment parlée, à moins qu’il ne soit jugé compétent dans sa langue seconde.

106        M. White a expliqué un tableau de promotions et de mutations pour les exercices 2016-2017 et 2017-2018, qui indique la mobilité des membres réguliers qui sont mutés à la Division « C » ou à partir de celle-ci (par promotion ou par mutation latérale). Le tableau est à jour au 3 octobre 2018. Il y a eu 51 mutations en 2016-2017 et 59 en 2017-2018 à la Division « C »; il y a eu 33 mutations en 2016-2017 et 30 en 2017-2018 à partir de la Division « C ». M. White a ajouté que la mobilité est encouragée aux fins de la progression de carrière des membres réguliers.

107        Une autre composante importante du travail des membres réguliers consiste à offrir des services de police aux événements importants, soit prévus (les sommets des G7, G8 ou G20, les Olympiques, etc.) ou imprévus (les catastrophes naturelles, un afflux soudain de personnes qui entrent au Canada, les fusillades à Moncton, etc.). Toutes les divisions offrent les services de leurs membres réguliers aux fins de ces activités. Les membres peuvent également se porter volontaires et, au besoin, ils peuvent être déployés. M. White a convenu que la Division « C » possédait une vaste expérience dans la planification d’événements majeurs, mais il a ajouté que c’était également le cas de la Division « O » (Ontario) et de la Division « E » (Colombie-Britannique), puisqu’elles organisaient régulièrement des événements majeurs.

108        En ce qui concerne le bilinguisme à la GRC, M. White a reconnu que la Directive sur les langues officielles pour la gestion des personnes du Conseil du Trésor s’applique à la GRC. Cette directive porte sur l’identification linguistique des postes dans la fonction publique fédérale, qui sont visés par l’une des quatre catégories suivantes : Anglais essentiel (les tâches requièrent l’utilisation de l’anglais et le poste est considéré comme unilingue anglais); Français essentiel; Bilingue (les tâches requièrent l’utilisation des deux langues officielles; un poste bilingue); l’un ou l’autre (le titulaire du poste peut choisir de travailler dans la langue officielle de son choix).

109        M. White a déposé en preuve un tableau indiquant le nombre de bureaux ou de détachements bilingues au Canada. Le nombre indique une répartition comme suit partout au Canada :

Milieux de travail désignés bilingues – Toutes les divisions (au 17 octobre 2018)

Division

Bureaux ou détachements bilingues

B – Terre-Neuve-et-Labrador

8

C - Québec

16

D - Manitoba

19

E – Colombie-Britannique

36

F - Saskatchewan

13

G – Territoires du Nord-Ouest

4

H – Nouvelle-Écosse

26

J – Nouveau-Brunswick

35

K - Alberta

28

L – Île-du-Prince-Édouard

3

M - Yukon

3

National - Ottawa

7

Direction générale - Ottawa

2

O - Ontario

20

T - Dépôt

1

V - Nunavut

1

110        En octobre 2018, le gouvernement du Canada a annoncé des modifications au Règlement sur les langues officielles. Entre autres changements, selon M. White, certains des changements modifieront la façon dont la GRC offre des services à la population canadienne. Tandis que l’ancien règlement prévoyait que les services offerts dans la deuxième langue officielle dans une collectivité donnée dépendaient de la taille et du pourcentage de personnes en situation minoritaire en ce qui concerne les langues officielles, d’autres facteurs seront maintenant pris en considération. Par exemple, les voyageurs sur la route transcanadienne auront droit à un service offert par la GRC dans la langue officielle de leur choix, peu importe la langue des collectivités avoisinantes. Par conséquent, le nombre de détachements et de membres réguliers bilingues augmentera.

111        Selon les données de la GRC, en date du 4 juillet 2018, 2 831 membres réguliers ont déclaré que le français était leur première langue. De ce nombre, 823 sont dans la Division « C », ce qui signifie, comme M. White l’a souligné, que 70 % des membres réguliers dont la première langue est le français travaillent à l’extérieur du Québec.

112        En contre-interrogatoire, M. White a témoigné que, à sa connaissance, il n’existe aucun poste unilingue français au Québec pour les membres réguliers. Il est possible que dans le passé, certains détachements au Québec aient eu des postes unilingues français, mais ce n’est plus le cas maintenant.

113        À la question de savoir si le français est une langue de travail dans les détachements à l’extérieur du Québec, M. White a répondu que c’était fort probablement le cas au Nouveau-Brunswick. Il est au courant de détachements en Ontario, comme à Cornwall, qui sont désignés bilingues et où il est courant d’entendre le français au travail.

114        Selon le témoignage de M. White, la communication par l’intermédiaire de l’intranet de la GRC était effectuée dans les deux langues officielles dans toutes les divisions.

2. Claude Castonguay

115        M. Castonguay est, depuis octobre 2016, l’officier responsable des Enquêtes criminelles (« OREC ») pour le Québec; il occupe le rang de surintendant principal. Dans ses trente années de carrière, M. Castonguay a travaillé tant dans la police contractuelle en Colombie-Britannique (1990-1997, 2005-2010) que dans la police fédérale à la Division « C » (1997-2005, 2010-2016).

116        En tant qu’OREC, il est responsable des enquêtes criminelles au Québec, ce qui comprend six principaux programmes : le crime organisé, la sécurité nationale, l’intégrité financière, le domaine frontalier, le renseignement criminel et le support technologique aux enquêtes. Des surintendants gèrent ces différents programmes et relèvent de M. Castonguay. Les surintendants ont sous leur gouverne des équipes dirigées par des inspecteurs. La majorité des membres de la Division « C » se rapportent, par l’entremise des surintendants, à M. Castonguay, les exceptions étant le secteur de la protection des dignitaires et l’administration des RH, qui relèvent du Commandant de la Division, de qui M. Castonguay relève directement.

117        Les priorités de l’OREC du Québec sont établies à partir d’un document intitulé « Plan stratégique 2017-2020 de la Police fédérale ». Selon M. Castonguay, l’organisation du travail est la même que celle de la Division « O ». Les secteurs sont identiques, la seule différence étant le nombre de membres. Dans les autres provinces, on ne trouve pas nécessairement les mêmes secteurs de police fédérale, selon la taille de la division. La Division de l’Île-du-Prince-Édouard ne comprend pas les six secteurs, mais assure le travail de façon plus globale. Les divisions « E » (Colombie-Britannique) et « K » (Alberta), de plus grande taille, ont des structures de police fédérale semblables à celles des divisions « O » et « C ». En matière d’enquête sur la criminalité, la police fédérale est surtout présente dans les grandes villes où la criminalité organisée est plus présente, par exemple Montréal, Toronto et Vancouver.

118        Le plan stratégique est axé sur des enjeux prioritaires, énoncés comme suit :

  • Blanchiment d’argent/financement du terrorisme
  • Migration illégale/passage de clandestins
  • Personnes soupçonnées de terrorisme
  • Cybercriminalité
  • La police des marchés financiers
  • Opioïdes
  • Bandes de motard [sic] criminels
  • Sécurité du G7

119        Le Plan stratégique est établi à partir du quartier général (QG) à Ottawa, sous la direction de Gilles Michaud, sous-commissaire de la police fédérale. Le QG établit les priorités et la gradation des enquêtes. Les enquêtes sont évaluées en fonction de nombre de facteurs et reçoivent une cote. Celles qui sont jugées moins importantes, une fois l’évaluation faite, ne sont pas entreprises, vu le manque de ressources.

120         En matière de sécurité nationale, M. Castonguay explique comment pourrait s’articuler l’enquête. Les renseignements viennent du terrain, disons Montréal, mais parce que la sécurité nationale fait partie du cadre de gouvernance du QG, l’approbation pour débuter l’enquête doit venir d’Ottawa. Le plan opérationnel est développé par Montréal, et ensuite approuvé par le QG, c’est-à-dire par le surintendant principal qui est directeur général de la sécurité nationale au sein de la police fédérale.

121        Selon M. Castonguay, la Division « C » n’a qu’une autonomie restreinte dans les projets d’enquête. Il y a une certaine flexibilité quant aux cibles ou à la façon d’enquêter, mais tout est rapporté au QG, qui doit approuver l’exécution de l’enquête.

122        Le travail des enquêtes criminelles entraîne une collaboration fréquente avec les autres divisions, qu’il s’agisse d’entrée de produits illégaux par les ports d’Halifax ou St. John’s, ou de réseaux criminels situés à la fois à Montréal et à Toronto.

123        M. Castonguay donne l’exemple d’une enquête récente, où la surveillance électronique a permis de cibler un projet criminel d’importation de fentanyl. Le QG a approuvé l’enquête, jugée prioritaire. L’écoute électronique visait des cibles à Halifax, où arriverait le fentanyl, et à Montréal, la destination finale. L’enquête était coordonnée par Ottawa, avec deux enquêteurs principaux, l’un à Montréal, l’autre à Halifax, qui dirigeaient 30 enquêteurs de la Division « C » et 20 enquêteurs de la Division « H » (Nouvelle-Écosse).

124        Étant donné le rôle de sécurité nationale de la police fédérale, celle-ci doit entretenir des relations avec nombre d’autres partenaires canadiens – Service du renseignement secret, Agence du revenu du Canada, Agence des services frontaliers, entre autres, et internationaux – Drug Enforcement Agency, Homeland Security Agency, U.S.A. Border Patrol, aux États-Unis, et les services policiers des autres nations, avec qui (sauf les pays francophones) la langue de communication est généralement l’anglais. Outre les partenaires étatiques, la police fédérale entretient également des relations avec des partenaires privés, tels Facebook, les compagnies de télécommunication et les banques.

125        M. Castonguay a déclaré que la langue de travail au sein de la Division « C » est majoritairement le français. On y parle anglais aussi, plus ou moins selon les détachements. Il n’y a plus de postes unilingues français pour les membres réguliers. Au Québec, tous les postes sont bilingues. Compte tenu des fonctions de la police fédérale, il n’est pas possible pour un membre régulier de fonctionner uniquement en français. Il ne s’agit pas d’offrir un service de police local, comme dans toutes les autres provinces (sauf l’Ontario). La GRC au Québec a pour mandat d’être police fédérale, avec tout ce que cela implique de coordination avec les juridictions canadiennes et américaines avoisinantes.

126        La planification des événements internationaux qui requièrent une présence de la GRC est faite par le QG à Ottawa, qui détermine les besoins d’effectifs. Dans un cas comme le sommet du G7 dans Charlevoix en 2018, une équipe d’Ottawa coordonne avec une équipe de la Division « C » sur place. La planification de la logistique est partagée.

127        M. Castonguay a été interrogé sur l’expertise de la Division « C » en contrefaçon et faillite. Il a répondu que la Division « C » ne s’occupait plus de contrefaçon ni de faillite. Par contre, il s’agit de la seule division qui a une équipe entièrement consacrée aux produits de la criminalité. Dans d’autres divisions, ce travail est intégré au secteur du crime organisé.

3. Dennis Duggan

128         M. Duggan travaille pour le Secrétariat du Conseil du Trésor en tant que conseiller principal en relations de travail. Il travaille auprès du Conseil du Trésor depuis 1980. Il a été négociateur, coordonnateur de politiques pour les employeurs distincts et analyste principal de politiques. Il a négocié avec plusieurs agents négociateurs.

129        À l’audience, plusieurs conventions collectives que M. Duggan a négociées au nom du Conseil du Trésor lui ont été présentées. La première a été conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC »), dont la date d’échéance était le 4 août 2000, visant le groupe Services de l’exploitation. L’annexe A indique les taux horaires de rémunération pour le groupe Services hospitaliers; ces taux varient d’une région à l’autre, tel qu’il est indiqué au moyen d’une grille à l’annexe A. Les régions sont l’Atlantique, le Québec, l’Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta avec le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest, et la Colombie-Britannique avec le Yukon.

130        La deuxième convention collective (dont la date d’échéance était le 4 août 2018) vise le même groupe. Dans cette convention, les taux de rémunération régionaux ont été éliminés. M. Duggan a expliqué qu’ils étaient inclus dans le passé en vue de faire concurrence avec le secteur privé et qu’ils étaient les vestiges d’une époque antérieure à la négociation collective. Les parties à cette entente particulière estimaient qu’ils n’étaient plus nécessaires.

131        Cependant, différentes conditions de travail peuvent être négociées pour les sous-groupes, tel qu’il est établi dans les exemples figurant à l’annexe D « s’appliquant aux gérants de pâturage, aux surveillants de pâturage et aux patrouilleurs à cheval » et à l’annexe E « s’appliquant aux éclusiers, aux maîtres-pontiers et aux employé-e-s de canaux », ainsi qu’à l’annexe I « s’appliquant aux employé-e-s du bureau de la lutte contre la lamproie marine du ministère des Pêches et des Océans ». M. Duggan a expliqué que, étant donné la diversité des fonctions du groupe opérationnel, il est nécessaire d’offrir une certaine souplesse pour en tenir compte.

132        Les mêmes commentaires ont été dits au sujet de la convention collective visant les Services techniques dans laquelle les annexes constituent généralement des protocoles d’entente qui portent sur les particularités des différents groupes. Un autre exemple a été présenté concernant une convention collective avec l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada visant les Services de santé (venant à échéance le 30 septembre 2018) dans laquelle figurent de nouveau les taux régionaux, cette fois-ci en réponse aux questions liées au maintien en poste, selon M. Duggan. Il en est de même pour la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Association des juristes de justice visant le groupe Droit, dans laquelle un taux de rémunération différent a été négocié pour les avocats à Toronto, encore une fois aux fins du maintien en poste.

133        En tant que conseiller principal en relations de travail, M. Duggan a participé à l’élaboration du projet de loi C-43, soit la réponse législative à la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans laquelle il a été conclu que le régime de relations de travail à la GRC était inconstitutionnel (Mounted Police Association of Ontario v. Canada (Attorney General), 2009 CanLII 15149, 96 OR (3d) 20 (ON SC)). Le projet de loi a été déposé à un moment donné en 2010 et est mort au feuilleton. Il contenait déjà la clause qui est contestée devant la Commission, exigeant une unité de négociation unique pour les membres réguliers.

134        M. Duggan a également participé à l’élaboration du projet de loi C-7, qui est devenu la Loi édictée le 19 juin 2017, créant ainsi le nouveau régime de relations de travail de la GRC. Cette fois-ci, le projet de loi a été conçu en réponse à la décision finale de la Cour à ce sujet, soit la décision APMO de 2015 rendue par la Cour suprême du Canada. Il faisait suite à un rapport rédigé par Alain Jolicoeur, le président de l’époque du Conseil de la solde, qui avait mené une recherche visant à recueillir les points de vue des membres réguliers de la GRC concernant le régime qui devrait remplacer celui qui avait été déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême. La recherche a été effectuée au moyen d’un sondage et de la tenue de séances de discussion ouverte partout au pays. Les séances ont été tenues après le sondage en vue de mieux informer les membres et d’obtenir leurs commentaires précis.

135        Le sondage a été élaboré par Daphne Taras, la doyenne de l’école de commerce de l’université de la Saskatchewan, en collaboration avec M. Jolicoeur. Tel qu’il a été indiqué en contre-interrogatoire, Mme Taras a rédigé de nombreux documents sur les régimes de travail non-syndiqués.

136        Le sondage a été distribué en juillet et en août 2015. Tous les membres réguliers ont été invités à y participer. Le centre des enquêtes a envoyé des invitations à 17 366 membres réguliers actifs, ainsi que des lettres à 1 140 membres en congé. Le taux de participation s’élevait à environ 50 %. Deux questions visaient à constater la mesure dans laquelle les membres réguliers favorisaient une unité de négociation unique.

137        La question 4 était ainsi rédigée (le nombre de réponses et le pourcentage sont indiqués par la suite - le pourcentage est fondé sur le nombre de personnes qui ont répondu à la question) :

Laquelle des réponses suivantes représente davantage votre préférence à l’égard d’un regroupement de membres habile à négocier collectivement?

  • Un regroupement national unique correspondant à la situation unique de la GRC (Gendarmerie royale du Canada) comme service policier national (5 277, 62 %)
  • Un certain nombre de regroupements de la GRC (Gendarmerie royale du Canada) qui pourraient être divisés par province ou par région (2 862, 34 %)
  • Je ne sais pas (403, 5 %)

Total (8 542, 100 %)

138        La question 7 a été utilisée pour valider la question 4, soit un dispositif normal dans un sondage, selon M. Duggan. Elle était ainsi rédigée :

Dans quelle mesure est-ce important pour vous que le regroupement de membres de la GRC (Gendarmerie royale du Canada) habile à négocier collectivement soit une unité nationale unique?

  • Pas important (617, 7 %)
  • Un peu (408, 5 %)
  • Quelque peu (1 553, 19 %)
  • Beaucoup (2 010, 24 %)
  • Très important (3 518, 42 %)
  • Je ne sais pas (289, 3 %)

Total (8 395, 100 %)

139         Une répartition des réponses par région à la question 4 indique que le soutien à l’égard d’une unité de négociation unique était moins élevé au Québec et en Colombie-Britannique par rapport au reste du pays, même s’il s’agissait quand même d’un point de vue majoritaire. Dans les autres régions, le soutien à l’égard d’une unité de négociation unique variait de 61 % à 81 %, alors qu’au Québec il était de 54 % et en Colombie-Britannique de 53 %.

140        Tel qu’il a été indiqué en contre-interrogatoire, la question 7 est quelque peu ambiguë et peut être interprétée comme ne signifiant pas nécessairement un soutien à l’égard d’une unité de négociation unique, mais plutôt comme une préoccupation. Le pourcentage au Québec qui estimait que c’était « beaucoup » important ou « très important » s’élevait à 66 %, alors qu’en Colombie-Britannique il s’élevait à 57 %. La validité de la question n’est pas claire.

141        Le projet de loi C-7 a été déposé pour la première fois le 9 mars 2016. Il a été adopté par le Sénat avec modifications le 21 juin 2016. À la question de savoir pourquoi l’examen des modifications du Sénat n’a été effectué que le 12 mai 2017, et s’il y avait un lien avec la demande d’accréditation de l’AMPMQ devant la Commission, M. Duggan a répondu que, à sa connaissance, il n’y avait aucun lien avec la demande d’accréditation. Au contraire, il s’agissait du processus des projets de loi du Parlement; le Parlement a été ajourné pour l’été 2016 et il a fallu jusqu’au mois de mai 2017 pour la Chambre des communes à intégrer la grande majorité des modifications proposées par le Sénat.

142        M. Duggan a été interrogé à savoir pourquoi l’article 238.05 a été ajouté au projet de loi C-7. Cet article donne des directives précises à la Commission relativement à l’application de la Loi aux membres réguliers et aux réservistes de la GRC. Il prévoit ce qui suit :

238.05 Lorsqu’elle met en œuvre la présente loi et exerce les attributions que celle-ci lui confère ou qu’implique la réalisation de ses objets, notamment en rendant des ordonnances qui en exigent l’observation, celle des règlements pris sous son régime ou des décisions qu’elle rend sur les questions dont elle est saisie, la Commission doit, en ce qui touche les questions concernant les membres de la GRC et les réservistes, tenir compte, d’une part, du rôle unique de la Gendarmerie royale du Canada en tant qu’organisation policière à l’égard de la protection de la sécurité publique et de la sécurité nationale et, d’autre part, du besoin de celle-ci de procéder à des mutations de ses membres et de ses réservistes lorsqu’elle l’estime indiqué.

143        M. Duggan a répondu que la GRC est la seule opération policière au sein de l’administration publique centrale et qu’il était important de donner des directives à la Commission afin de tenir compte de la nature opérationnelle du corps policier. Par exemple, le déploiement ne peut pas nécessiter le consentement de l’employé comme c’est le cas pour tous les autres fonctionnaires.

144        M. Duggan a également été interrogé à savoir pourquoi le législateur a choisi d’inclure l’article 238.14, la disposition contestée, plutôt que de laisser la Commission exercer son pouvoir discrétionnaire, conformément à l’article 57 de la Loi, pour décider l’unité ou les unités de négociation appropriées pour les membres réguliers et les réservistes de la GRC.

145        M. Duggan a répondu que cette option avait été choisie en vue de respecter la décision de la Cour suprême tout en maintenant l’efficacité dans l’administration du régime des relations de travail de la GRC. Il a ajouté que la négociation collective de plusieurs unités de négociation représentant des groupes exécutant le même travail pourrait créer des questions morales internes qui pourraient compromettre l’efficacité de la GRC.

146        M. Duggan a mentionné la Garde côtière canadienne (GCC) à titre d’exemple d’une unité de négociation unique. La GCC a des bureaux au Québec où la langue du milieu de travail est le français, mais elle n’a pas une unité de négociation spécifique pour le Québec.

147        On a demandé à M. Duggan si le gouvernement avait tenu compte des résultats du sondage pour rédiger l’article 238.14. Il a répondu que le gouvernement s’intéressait à la perception des membres de la GRC, mais qu’il avait rédigé l’article en vue de répondre à la situation d’une organisation unique en son genre.

148        Dans son témoignage, M. Duggan a dit qu’il avait négocié, à titre de représentant du Conseil du Trésor, avec des petits agents négociateurs et des agents négociateurs importants. L’agent négociateur le plus important est l’AFPC, qui représente de 60 % à 70 % des employés de l’administration publique centrale. À la question de savoir si l’AFPC déterminait les ententes visant les petites unités de négociation, M. Duggan a répondu que les petites unités effectuaient leurs propres évaluations des conditions, mais il a reconnu qu’il serait difficile pour les petites unités d’obtenir plus que ce que les unités plus importantes obtenaient, puisque le Conseil du Trésor, qui négociait avec toutes les unités, ne voudrait pas miner sa position. Pour que des conditions différentes soient négociées, il faut que les agents négociateurs distinguent clairement les circonstances, ce qui arrive rarement.

149        M. Duggan a également témoigné au sujet de la tendance à l’élargissement des unités de négociation et à la baisse correspondante de leur nombre entre les années 1970 et 2000, ce qui a donné lieu à un processus de négociation plus efficace.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’AMPMQ

150        Selon l’AMPMQ, il faut répondre aux deux questions suivantes :

  1. L’article 238.14 de la LRTSPF viole-t-il le droit constitutionnel d’association de l’AMPMQ?
  2. Si oui, la violation est-elle justifiable au sens de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.U.) (la « Charte »)?

1. L’article 238.14 de la LRTSPF viole-t-il le droit constitutionnel d’association de l’AMPMQ?

151        L’AMPMQ soutient que la Commission devrait déclarer inopérant l’article 238.14, parce qu’il viole la liberté d’association des membres de la Division « C ».

152        Selon l’AMPMQ, l’objectif principal du droit constitutionnel d’association est de donner le pouvoir de revendiquer des conditions d’emploi à un groupe dont les membres n’auraient pas ce pouvoir individuellement.

153        L’AMPMQ cite la décision APMO pour dégager en quoi consiste le droit constitutionnel d’association, et en énonce les composantes (paragraphe 29 des arguments écrits de l’AMPMQ) :

Selon la Cour suprême du Canada, les composantes cumulatives du droit constitutionnel d’association sont donc les suivantes :

  1. le droit de choisir et de former un groupe ayant des objectifs ou revendications communes;
  2. Le droit de faire des activités collectives de revendication ou de défense de droits, y compris le droit de négocier collectivement;
  3. Le droit par la création d’une association de se retrouver à armes égales avec l’employeur;
  4. La possibilité de l’association choisie de faire une reddition de compte réelle quant aux revendications faites à l’employeur.

154        La Cour suprême du Canada a développé, notamment dans les arrêts Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27 (B.C. Health Services) et Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20 (Fraser), la notion d’ « entrave substantielle » au droit de négocier collectivement comme étant la norme pour déterminer s’il y a eu violation de l’alinéa 2d) de la Charte. L’AMPMQ cite notamment le paragraphe 19 de l’arrêt B.C. Health Services :

19. Il s’agit en l’espèce de déterminer si la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte protège le droit de négociation collective. Nous concluons que l’al. 2d) de la Charte protège la capacité des syndiqués de participer en groupe à la négociation collective des questions fondamentales liées au milieu de travail. Cette protection ne couvre pas tous les aspects de la « négociation collective » au sens où ce terme est employé dans les régimes légaux des relations du travail applicables dans tout le pays. Elle ne garantit pas non plus un résultat particulier d’un différend en matière de relations du travail ou l’accès à un régime légal précis. Elle protège simplement le droit des employés de s’associer dans le cadre d’une action collective visant à atteindre des objectifs liés au milieu de travail. Si le gouvernement entrave de façon substantielle l’exercice de ce droit, il contrevient à l’al. 2d) de la Charte […].

155        L’AMPMQ soutient qu’un des aspects fondamentaux de la liberté d’association est la liberté de choix. Elle s’appuie notamment sur la décision de la Cour d’appel du Québec dans Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 574 (SEPB) CTC-FTQ c. Association syndicale des employés(es) de production et de services (ASEPS), 2017 QCCA 737 (« Renaud-Bray ») (demande d’autorisation d’appel rejetée [2017] C.S.C.R. no 280).

156        L’affaire Renaud-Bray portait sur une demande d’accréditation par l’ASEPS devant la Commission des relations du travail (CRT) (maintenant remplacée par le Tribunal administratif du travail (TAT)) pour une unité de négociation constituée des 9 employées d’une librairie Renaud-Bray à Victoriaville. Le SEPB détenait l’accréditation pour l’ensemble des succursales de Renaud-Bray au Québec, y compris celle de Victoriaville, mais les employées étaient insatisfaites de la représentation offerte, car elles étaient désormais englobées dans une seule unité de négociation et avaient l’impression que le SEPB ne tenait pas compte de leurs préoccupations, compte tenu du faible nombre d’employées par rapport à l’ensemble des autres succursales, concentrées dans la région du Montréal métropolitain.

157        La CRT a vu la demande d’accréditation de l’ASEPS comme une demande de fractionnement d’unité de négociation et a rejeté la demande, jugeant qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour renverser la présomption du maintien d’une unité de négociation existante. En première instance, la Cour supérieure du Québec a accueilli la demande en contrôle judiciaire et accrédité l’ASEPS comme agent négociateur de l’unité des employées de Victoriaville. La Cour d’appel du Québec, à la majorité, a accueilli l’appel en partie, jugeant déraisonnable la décision de la CRT de considérer la demande d’accréditation comme une demande de fractionnement (le fardeau de la preuve étant beaucoup plus lourd dans le second cas), mais a renvoyé l’affaire au TAT pour une nouvelle évaluation de la demande d’accréditation.

158        La décision de la Cour d’appel du Québec est partagée. Le juge Gagnon, en dissidence, aurait rétabli le jugement de la CRT et refusé l’accréditation à l’ASEPS. Selon lui, le choix de représentation qu’affirme la CSC dans l’arrêt APMO ne signifie pas nécessairement le choix d’un agent négociateur particulier.

159        Le juge Mainville, qui écrit le jugement majoritaire, juge que la notion de choix exige que les salariés soient consultés sur qui les représentera. Il lui apparaît clair que l’unité constituée par les neuf employées a le droit de décider de sa représentation.

160        Le juge Mainville s’appuie dans son raisonnement sur la décision APMO, tout comme l’avait fait le juge de première instance. Il reprend la conclusion de la Cour suprême au paragraphe 104 de sa décision, que « […] la liberté d’association garantie par la Charte canadienne protège l’existence d’un processus véritable de négociation collective qui offre aux salariés une liberté de choix et une indépendance suffisantes pour leur permettre de décider de leurs intérêts collectifs et de les défendre ».

161        Le juge Mainville concède que la liberté de choix ne signifie pas que chaque association pourra être reconnue; il reconnaît que le modèle des relations de travail « impose des restrictions aux droits individuels afin de réaliser des objectifs communs » (APMO, au paragraphe 98).

162        L’argument dans Renaud-Bray est que l’analyse en fonction des critères de fractionnement constitue une entrave substantielle à la liberté des employées d’adhérer à l’association de leur choix. Le juge Mainville fait ressortir que la volonté des salariés est primordiale au processus d’accréditation, et dans son argumentation, l’AMPMQ insiste sur ce fait.

163        L’AMPMQ souligne que dans l’arrêt APMO, la Cour suprême a déclaré que la liberté de choix des employés est inhérente à la nature et à l’objet de la négociation collective (au paragraphe 39 de l’argumentation de l’AMPMQ). Elle cite le paragraphe 86 de l’arrêt APMO pour énoncer les composantes suivantes de la liberté de choix :

[86] Parmi les caractéristiques de la liberté de choix des employés dans un tel contexte figurent la capacité de constituer de nouvelles associations et d’y adhérer, celle de changer de représentants, celle d’établir et de modifier les objectifs collectifs relatifs au travail et celle de dissoudre les associations existantes.

164        L’AMPMQ soutient que la liberté d’association fait en sorte que le gouvernement ne peut entraver substantiellement la liberté des employés de choisir leur agent négociateur exclusif; elle cite à ce propos le paragraphe 98 de l’arrêt, dont la première partie se lit comme suit :

[98] L’intimé soutient que cette façon d’interpréter l’al. 2d) imposerait à l’employeur, même au gouvernement employeur, l’obligation de reconnaître chaque association choisie par les employés, quelle que soit sa taille, et de négocier avec elle. À notre avis, ce n’est pas le cas. La liberté d’association suppose, entre autres choses, qu’aucun processus gouvernemental ne puisse entraver substantiellement la liberté des employés de créer une association ou d’adhérer à une association de leur choix, même si, de ce fait, ils écartent une association existante. […]

165        L’AMPMQ reconnaît qu’il peut y avoir des limites à la liberté de choix dans un système d’accréditation; ces limites, toutefois, sont restreintes, comme l’indique la décision Syndicat des juristes du secteur municipal (CSQ) c. Alliance des professionnels et professionnelles de la Ville de Québec, 2017 QCCA 736, rendue par la Cour d’appel du Québec le même jour que Renaud-Bray, et dont l’AMPMQ cite le passage suivant :

[81] Dans Renaud-Bray, j’ai énoncé que des limites à la liberté de choix des salariés quant aux unités de négociation auxquelles ils appartiennent sont inévitables dans un régime de relations du travail de type loi Wagner. Cela étant, si des limites au droit à la liberté d’association sont inévitables dans le cadre d’un tel régime, la nature et la portée de ces limites ne doivent restreindre la liberté d’association des salariés que dans la mesure justifiée et proportionnée qui permet au régime de relations du travail de fonctionner adéquatement. Une limite au droit à la liberté d’association qui ne répond pas à ce critère est, de prime abord, suspecte au plan constitutionnel.

166        L’AMPMQ invoque à l’appui de ses arguments le fait que d’autres tribunaux administratifs, dans l’esprit de l’arrêt APMO, emboîtent le pas pour souligner l’importance du choix de l’agent négociateur par les salariés. Elle cite notamment Unifor c. Enbridge Pipelines inc., 2018 CCRI 871.

167        Dans cette décision, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) accorde l’accréditation au syndicat Unifor pour une unité de négociation comprenant 17 personnes affectées à l’entretien du pipeline de la région Saint-Laurent. L’employeur soutenait que l’unité habile à négocier comprenait 62 personnes, en y incluant les employés chargés de l’entretien de deux autres pipelines dans la région de l’Est. Le CCRI a jugé que l’unité de 17 personnes était habile à négocier, nonobstant les préférences opérationnelles de l’employeur. (Commentaire de la Commission : fait curieux, on parle dans cette décision de la liberté d’association au sens de l’arrêt APMO, mais en même temps, le CCRI écarte les objections des employés de Belleville, minoritaires, en désaccord avec la définition de l’unité de négociation, au motif que les employés ne sont pas partie à une demande d’accréditation.)

168        L’AMPMQ cite également la décision Syndicat des inspecteurs du RTM - CSN et Unifor, 2018 QCTAT 3310, où la question concernait l’accréditation de salariés dans le contexte de la transformation du Réseau de transport métropolitain, et met en lumière le passage suivant :

[87] Ceci dit avec égards, il ne faut pas voir dans cette affirmation de la Cour suprême [Le modèle faisant appel à un agent négociateur désigné (voir, par ex., la Loi de 2014 sur la négociation collective dans les conseils scolaires, L.O. 2014, c. 5) offre un autre exemple de régime qui pourrait être acceptable.] l’autorisation de mélanger les genres de façon infinie sans que le droit d’association ne soit mis en cause. Il est fort possible qu’une analyse contextuelle d’un régime de négociation où l’agent négociateur est désigné puisse permettre de conclure que la liberté de choix et l’indépendance face à l’employeur sont suffisantes pour respecter les exigences du droit d’association. Ceci ne veut pas dire que la liberté de choisir l’agent négociateur n’est pas protégée par le droit d’association. C’est en faisant une analyse contextuelle du processus mis en place que l’exercice du choix de l’agent négociateur sera mesuré.

169        L’AMPMQ soutient que les membres de la Division « C » constituent un groupe distinct et homogène qui a exprimé sa volonté de s’associer au sein de l’AMPMQ. Elle prétend également que la Division « C » est un groupe distinct qui a des particularités administratives et fonctionnelles. La Division « C » se distingue notamment du fait qu’elle ne comprend pas une composante de police contractuelle, contrairement au reste du pays (sauf l’Ontario). Elle se distingue également en raison de sa réalité linguistique.

170        La Division « C » se distingue également, toujours selon l’AMPMQ, par sa nature plus revendicatrice en termes de droit du travail, comme en ont témoigné MM. Delisle et Dupuis. La Division « C » a été la seule à voter contre le PRRF en 1974. M. Delisle a mené la lutte dans les années 1990 pour faire reconnaître le droit à la syndicalisation des membres de la GRC, droit enfin reconnu par l’arrêt APMO.

171        Enfin, l’AMPMQ soutient que la Division « C » a des revendications distinctes, notamment pour le taux de postes vacants au Québec, pour la reconnaissance d’expertises particulières à la Division « C », et pour la défense du français à la GRC.

2. S’il y a violation, celle-ci est-elle justifiable au sens de l’article 1 de la Charte?

172        L’AMPMQ soutient qu’il y a violation, et que celle-ci ne peut être justifiée au sens de l’article 1 de la Charte. L’AMPMQ reprend l’analyse établie dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 RCS 103.

173        Selon l’article premier de la Charte, un droit ou une liberté qui y est garanti ne peut être restreint que par une règle de droit dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. L’arrêt Oakes précise deux critères à appliquer : l’objectif visé par la restriction doit se rapporter à une préoccupation réelle et urgente, et la restriction doit être raisonnable. Le caractère raisonnable se mesure au moyen de trois éléments : la restriction doit avoir un lien rationnel avec l’objectif visé, elle doit porter atteinte le moins possible à la liberté ou au droit restreint, et il doit y avoir proportionnalité entre les effets de la mesure restrictive et l'objectif poursuivi, de sorte que les effets bénéfiques l’emportent sur l’effet délétère. Selon l’AMPMQ, l’article 238.14 de la Loi échoue cette analyse.

174        D’abord, il n’y a pas d’objectif réel et urgent. Le procureur général du Canada a parlé des avantages d’efficacité d’avoir une seule unité de négociation. Il aurait pu présenter les mêmes arguments si la Commission avait gardé le pouvoir discrétionnaire de décider quelle unité était habile à négocier. Il est permis de douter de l’importance de l’objectif, que le législateur a mis plus de deux ans à adopter (de la décision APMO en janvier 2015 à l’adoption du projet de loi le 19 juin 2017). Il semble plutôt que l’objectif du législateur, qui se confond avec l’employeur, était d’éviter d’avoir une unité distincte représentée par l’AMPMQ, avec qui l’employeur entretient depuis longtemps une relation conflictuelle.

175        Si l’objectif du gouvernement, comme il le prétend, est de favoriser de meilleures relations de travail, il n’y a pas de lien logique entre cet objectif et la mesure prise, puisque celle-ci ne fait qu’accroître les tensions entre le groupe francophone et le groupe anglophone, en imposant une seule unité et un seul agent négociateur. La négation d’un droit d’association ne va pas dans le sens de la paix industrielle, bien au contraire. L’AMPMQ renvoie aux propos du juge Cory, dissident dans la décision Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989, qui écrit que si on peut penser que d’empêcher la syndicalisation des membres de la GRC empêchera les conflits de travail, la conclusion contraire est tout aussi raisonnable.

176        L’imposition d’une unité de négociation unique n’est pas une atteinte minimale à la liberté d’association. L’employeur aurait pu faire valoir son point de vue à la Commission s’il était convaincu que sa solution était préférable. En légiférant, le législateur prive les membres de la Division « C » de la possibilité de créer l’association de leur choix pour négocier collectivement, l’essence même du droit protégé par l’alinéa 2d).

177        Dans B.C. Health Services, la Cour suprême parle de l’absence de consultation comme étant un facteur qu’on peut considérer dans l’étude de l’atteinte minimale (au paragraphe 157). Ici, il n’y a eu aucune consultation avec les parties prenantes, c’est-à-dire les trois associations qui ont eu gain de cause dans l’affaire APMO. Le gouvernement s’est contenté d’un sondage par des experts en milieux de travail non syndiqués et d’une consultation bidon menée par un représentant de l’employeur.

178        L’atteinte n’est pas minimale car elle prive les membres de la Division « C » de la possibilité de véritablement établir leurs objectifs collectifs, noyés par une forte majorité extérieure au Québec. Une association nationale majoritairement anglophone ne peut tenir compte des particularités linguistiques, culturelles et fonctionnelles de la Division « C ».

179        Enfin, les effets préjudiciables de l’article 238.14 l’emportent largement sur ses effets bénéfiques. Les intérêts de la Division « C » en matière de relations de travail sont bafoués par cette mesure. On ne tient pas compte de leur réalité linguistique, du fait que la Division n’a pas de composante de police contractuelle, contrairement à ce qui se passe ailleurs au pays, ni de la volonté des membres d’être représentés par l’AMPMQ, tel qu’il ressort clairement de la demande d’accréditation.

180        Les facteurs repris dans l’arrêt Delisle qui favoriseraient la retenue du tribunal par rapport au choix du législateur ne s’appliquent pas ici. L’AMPMQ cite le passage suivant de l’arrêt Delisle :

127. […] quatre facteurs contextuels qui favoriseraient une plus grande retenue à une ou plusieurs étapes de l’examen fondé sur l’article premier, à savoir: (1) le rôle du législateur dans la recherche du point d’équilibre entre les intérêts de groupes opposés, par opposition à la situation où le législateur est l’«adversaire singulier» de la personne dont les libertés garanties par la Charte ont été violées, (2) la vulnérabilité du groupe que le législateur cherche à protéger ainsi que les craintes subjectives de ce groupe et son appréhension de subir un préjudice, (3) l’incapacité de mesurer scientifiquement le préjudice particulier en cause ou l’efficacité d’une réparation, et (4) la faible valeur sociale de l’activité réprimée par la mesure législative.

181        L’AMPMQ conclut que l’article 238.14 constitue une entrave totale, et donc substantielle, au droit constitutionnel de négociation collective des membres de la Division « C » et, partant, une violation à la liberté d’association garantie par l’alinéa 2d) de la Charte.

1. Pour le Conseil du Trésor et le Procureur général du Canada

182        L’employeur, le Conseil du Trésor, et l’intervenant, le Procureur général du Canada, ont fait leurs représentations de façon conjointe par l’entremise des mêmes avocats. Leurs intérêts ne divergent pas.

183        Selon l’employeur, les questions en litige sont les suivantes : (1) est-ce que l’article 238.14 de la Loi entrave de façon substantielle le droit des membres réguliers et des réservistes de la GRC à un processus véritable de négociation collective au sens de l’alinéa 2d) de la Charte? (2) dans l’affirmative, s’agit-il d’une limite raisonnable, établie par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique conformément à l’article 1 de la Charte?

184        L’employeur soutient qu’on doit répondre à la première question par la négative. L’alinéa 2d) de la Charte protège le droit à la liberté d’association. Dans le contexte des relations de travail, cette disposition protège le droit à un processus véritable de négociation collective. La Charte ne protège pas un modèle particulier de relations de travail ni un résultat spécifique. (APMO, aux paragraphes 67, 93, 98 137 et 193; Fraser, aux paragraphes 42, 45 à 47; Meredith c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 2, aux paragraphes 24 et 25) Le droit à un processus véritable de négociation collective appartient aux employés, et non aux associations. L’alinéa 2d) n’impose pas un processus où chaque association finira par obtenir la reconnaissance qu’elle cherche (APMO, aux paragraphes 67 et 68; Meredith, aux paragraphes 24 et 25).

185        Pour déterminer s’il a été porté atteinte au droit des employés à un processus véritable de négociation collective, il faut examiner si le mécanisme porte substantiellement atteinte à l’équilibre des rapports de force entre les employés et l’employeur nécessaire à la poursuite véritable d’objectifs relatifs liés au travail. Il suffit que les employés aient un degré de liberté de choix et d’indépendance pour leur permettre de décider de leurs objectifs collectifs et comment les atteindre. L’analyse est contextuelle et varie en fonction de la culture du secteur d’activité et du milieu de travail en question (APMO, aux paragraphes 67, 71,72, 93, 137 et 140; Meredith, aux paragraphes 24 et 25).

186        L’employeur a cité des exemples de la caractéristique du degré de choix et d’indépendance mentionnée dans APMO, dont la capacité de constituer un nouvel agent négociateur et d’y adhérer, de dissoudre l’agent négociateur existant, d’établir et de modifier la gouvernance interne de l’agent négociateur et d’établir et de modifier les objectifs collectifs relatifs au travail (APMO, aux paragraphes 81 à 89, 92, 95 et 97 à 99).

187        Selon la Cour suprême dans APMO, l’alinéa 2d) de la Charte accorde une grande latitude au législateur dans l’établissement d’un régime de négociation collective qui satisfait aux exigences spéciales de la GRC (APMO, aux paragraphes 137 et 140).

188        L’employeur a fait référence aux exemples suivants où les tribunaux ont déterminé que des régimes de négociation collective autre que le modèle Wagner peuvent satisfaire à l’alinéa 2d) de la Charte en assurant à l’employé un degré acceptable de liberté de choix et d’indépendance qui permet une véritable négociation collective : un régime distinct pour les travailleurs agricoles prévoyant le droit de former une association et d’y adhérer, de participer à ses activités, de se réunir, de présenter à l’employeur des observations relatives à leurs conditions d’emploi qu’il doit considérer de bonne foi, et le droit d’exercer ces droits sans crainte d’ingérence ou de représailles (Fraser); un modèle fixant l’unité de négociation (Québec (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux, 2011 QCCA 1247, au paragraphe 94; demande d’autorisation d’appel refusée [2011] C.S.C.R. no 424); un modèle désignant l’agent négociateur (Loi de 2014 sur la négociation collective dans les conseils scolaires, L.O. 2014, ch. 5; APMO, au paragraphe 95); un modèle reposant sur la majorité et l’exclusivité (tel que le modèle Wagner) qui impose des restrictions aux droits des individus afin de réaliser des objectifs communs (APMO, aux paragraphes 92, 94 et 98); une loi interdisant ou limitant l’augmentation de salaire pendant une période déterminée (Meredith, aux paragraphes 48 et 49; Canada (Procureur général) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 675, 2016 QCCA 163, au paragraphe 100; demande d’autorisation d’appel refusée [2016] C.S.C.R. no 117; Federal Government Dockyard Trades and Labour Council v. Canada (Attorney General), 2016 BCCA 156, aux paragraphes 92 et 93).

189        L’employeur a aussi donné des exemples où les tribunaux ont conclu qu’il y avait entrave substantielle au droit à un processus véritable de négociation collective, dont un modèle fixant un agent négociateur influencé par la gestion (APMO), un modèle limitant le droit de grève, sans prévoir un mécanisme véritable de règlement de différends (Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4), et une loi invalidant des dispositions de la convention collective et interdisant toute véritable négociation collective sur certaines questions importantes (B.C. Health Services).

190        L’employeur soutient que la Loi accorde un processus véritable de négociation collective aux membres réguliers et aux réservistes. Nous y reviendrons dans notre analyse.

191        Dans la mesure où la volonté des employés serait déterminante pour résoudre une dispute concernant l’unité de négociation dans un modèle Wagner, l’employeur a fait valoir qu’en l’espèce, la volonté de la majorité des membres est d’avoir une seule unité de négociation nationale tel qu’il est exprimé dans le sondage auprès des membres. Selon l’employeur, cela améliorerait le pouvoir de négociation des membres et permettrait à l’employeur de négocier avec un agent négociateur le plus représentatif des employés qui en sont membres.

192        Subsidiairement, en réponse à la deuxième question, l’employeur soutient que même si l’article 238.14 de la Loi impose une limite à l’alinéa 2d) de la Charte, l’exigence d’une seule unité de négociation nationale est une limite raisonnable, dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, conformément à l’article 1 de la Charte.

193        L’employeur a énoncé les étapes de l’analyse selon l’arrêt Oakes. Il a fait valoir que l’objectif principal de l’exigence d’une seule unité de négociation nationale est d’assurer la stabilité et la cohérence des opérations uniques et nationales offertes par la GRC. Cela comprend les objectifs suivants : instituer des conditions de travail uniformes à l’échelle nationale, assurer la mutation des membres pour répondre aux besoins opérationnels et minimiser les risques de conflits de travail. Ces besoins urgents et réels sont liés à la protection et à la sécurité du public, puisque la GRC est la seule à assurer des services de sécurité, de protection et d’application de la loi aux niveaux municipal, provincial, fédéral et international.

194        Concernant l’étape de l’évaluation de la proportionnalité du moyen choisi pour atteindre l’objectif, l’employeur a d’abord avancé qu’il y a un lien rationnel entre l’exigence d’une seule unité nationale et l’objectif principal d’assurer la stabilité et la cohérence de la GRC à l’échelle nationale. Ce lien existe aussi quant aux objectifs relatifs aux conditions de travail uniformes, à la mutation des membres et à la minimisation des risques de conflits de travail.

195        Pour établir le lien rationnel, il suffit qu’il y ait une inférence raisonnable basée sur la logique et le bon sens que les moyens adoptés par le gouvernement aideront à réaliser l’objectif en question (APMO, au paragraphe 143).

196        L’employeur a fait valoir que l’exigence d’une seule unité de négociation nationale élimine le risque qu’il y ait morcellement des unités de négociation qui donnerait lieu à la divergence des conditions de travail. Vu que les opérations de la GRC exigent une mobilité de ses membres, des conditions de travail uniformes favorisent une transition harmonieuse des membres d’une région à l’autre.

197        L’employeur soutient que l’atteinte est minimale et qu’exiger une seule unité de négociation nationale est à l’intérieur de la gamme de mesures alternatives raisonnables. Cette exigence correspond à la communauté d’intérêts de tous les membres, puisqu’ils reçoivent la même formation, exécutent les mêmes fonctions, ont la même rémunération et avantages sociaux et peuvent être mutés partout au pays.

198        L’employeur souligne qu’à ce stade de l’analyse, les tribunaux doivent accorder une certaine déférence au législateur et n’interviendront pas du seul fait qu’ils peuvent imaginer un moyen plus adéquat, moins attentatoire, de remédier au problème.

199        Quant au dernier volet de l’analyse, l’employeur fait valoir que les effets de la mesure sont bénéfiques. Il réitère qu’une seule unité nationale améliore le pouvoir de négociation des membres et minimise les risques de conflits de travail causés par la divergence des conditions de travail qui, selon lui, menaceraient la stabilité et la cohérence des opérations de l’employeur.

200        L’employeur avance que la mesure est tempérée, puisque les membres peuvent quand même former une association ou un regroupement d’associations et y adhérer, et profiter de tous les droits prévus par la Loi. L’employeur plaide que comme les revendications particulières aux membres du Québec peuvent, s’il y a lieu, être abordées dans le cadre de négociations collectives, l’exigence d’une seule unité nationale n’a pas pour effet de les laisser sans voix collective pour établir leurs objectifs collectifs et la façon de les atteindre. Selon l’employeur, il n’y a pas de preuve empirique contraire.

201        L’employeur soutient que l’exigence d’une seule unité nationale a une incidence limitée sur le choix d’un groupe d’employés restreint qui préfère une unité provinciale.

2. Pour la Fédération de la police nationale

202        La FPN déclare que dans l’arrêt B.C. Health Services, la Cour suprême a décrit le droit à la négociation collective en vertu de l’alinéa 2d) de la Charte en tant que droit à un processus, et non à un modèle particulier ou à un résultat. Au paragraphe 91, la Cour a déclaré qu’afin d’être inacceptable sur le plan constitutionnel, l’atteinte au droit doit également substantielle « au point de constituer une entrave non seulement à la réalisation des objectifs des syndiqués (laquelle n’est pas protégée), mais aussi au processus même qui leur permet de poursuivre ces objectifs en s’engageant dans de véritables négociations avec l’employeur ».

203        La FPN soutient que dans l’arrêt APMO, la Cour suprême a établi que le critère pour déterminer s’il y a eu violation de l’alinéa 2d) de la Charte est une entrave substantielle avec « […] la possibilité d’engager de véritables négociations collectives sur des questions relatives au travail » (APMO, au paragraphe 68). En appliquant ce critère, la FPN conclut que l’article 238.14 ne viole pas l’alinéa 2d) de la Charte. Subsidiairement, si la Commission conclut que l’article 238.14 viole l’alinéa 2d) de la Charte, il est justifié au regard de l’article premier de la Charte.

204        Dans l’arrêt APMO, la Cour suprême a déclaré que l’alinéa 2d) de la Charte a pour but d’améliorer le déséquilibre de pouvoir entre les employés et les employeurs. La Cour a déclaré que les deux éléments essentiels d’un véritable processus de négociation collective sont le choix et l’indépendance. Elle a ajouté que le choix et l’indépendance étaient limités dans le contexte de la négociation collective. En ce qui concerne le choix, la Cour a déclaré ce qui suit : « À notre avis, la liberté de choix requise par la Charte à des fins de négociation collective correspond à celle qui permet aux employés de participer véritablement au choix des objectifs collectifs que devra poursuivre leur association. » (APMO, au paragraphe 83).

205        La FPN a déclaré que le principe de « choix » en tant qu’élément d’une véritable négociation collective ne comprend pas le choix de l’unité de négociation ni même le choix de l’agent négociateur. Elle est d’avis que le choix signifie que les représentants des employés doivent être redevables envers les employés, afin de s’assurer que l’association travaille à réaliser les objectifs pour lesquels les employés se sont joints. La FPN soutient qu’une unité de négociation nationale unique comprend une myriade de protections pour groupes discrets au sein d’une unité plus importante.

206        La FPN fait valoir que la liberté d’association porte sur la correction du déséquilibre du pouvoir. Le fait d’exiger une unité de négociation nationale unique ne viole pas l’alinéa 2d) de la Charte parce qu’il améliore réellement le pouvoir de négociation des membres et des réservistes de la GRC. Une unité de négociation unique nationale réglementée par la loi fait la promotion de la liberté d’association et favorise l’exercice du droit constitutionnel garanti des membres et des réservistes à participer à la négociation collective.

207        La FPN déclare que la jurisprudence reconnait que les unités de négociations sectorielles imposées par la loi sont conformes à l’alinéa 2d) de la Charte. Les commissions de relations de travail et les tribunaux, tant avant qu’après la décision APMO, ont déterminé que les lois ou les politiques qui établissent la taille et la composition de l’unité de négociation ne violent pas l’alinéa 2d) de la Charte.

208        De plus, dans l’arrêt APMO, la Cour suprême a conclu que le « modèle de négociation désigné », dans le cadre duquel l’agent négociateur est déterminé par la loi et non par le choix des employés, peut être acceptable sur le plan constitutionnel, pourvu qu’ils conservent la liberté de choisir les objectifs relatifs à leurs conditions de travail et une indépendance suffisante à l’égard de l’employeur (APMO, au paragraphe 95). De même, un modèle de relations de travail majoritaire peut être acceptable sur le plan constitutionnel (APMO, au paragraphe 94).

209        Par ailleurs, l’article 238.14 ne viole pas l’alinéa 2d) de la Charte parce qu’il établit ce qui est la pratique courante pour les milieux de travail des services de police et du secteur public, comme la GRC.

210        La FPN soutient également que les commissions de relations de travail, y compris la CRTESPF et ses prédécesseurs, ont toujours privilégié les larges unités de négociation tant pour les employés du secteur public fédéral que provincial.

211        Une unité de négociation unique et nationale régie par la loi est conforme aux normes juridiques internationales. Le rapport de l’Organisation internationale du Travail (OIT) de 2018 sur la liberté d’association déclare que la détermination législative de l’unité de négociation appropriée est acceptable. L’OIT a également déclaré que les syndicats minoritaires dans un régime majoritaire conservent certains droits autres que la négociation collective. La FPN soutient que l’article 238.14 de la Loi n’empêche pas les membres de la GRC de former des organisations de leur choix et de s’y joindre, en plus d’un agent négociateur accrédité, et que ces organisations syndicales ont le droit de représenter les membres relativement aux questions de travail non visées par la convention collective.

212        La FPN aborde la décision rendue par la Cour d’appel du Québec dans Renaud- Bray, qui est invoquée par l’AMPMQ. La FPN soutient que la CRTESPF, en tant que tribunal fédéral, n’est pas liée par la décision de la Cour d’appel du Québec. Elle déclare que la Cour d’appel du Québec n’avait pas mis l’accent sur la Charte, mais plutôt sur la conclusion selon laquelle le décideur s’était fondé entièrement sur une présomption sans examiner de manière adéquate les faits de l’affaire. La FPN fait valoir en outre que la Commission a refusé de suivre la décision de la Cour d’appel du Québec dans une décision récente concernant la détermination de l’unité de négociation de certains membres civils de la GRC (SCFP c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2017 CRTESPF 36).

213        La FPN reconnaît la preuve concernant le traitement négatif du leadership de l’AMPMQ par la direction de la GRC et estime qu’il est inexcusable. Toutefois, la FPN n’estime pas que ces éléments de preuve permettent d’établir que les membres et les réservistes du Québec nécessitent leur propre unité de négociation.

214        La FPN souligne que les représentants de l’AMPMQ ont comparu devant les comités du Sénat et de la Chambre des communes relativement aux projets de loi qui comprenaient l’article 238.14 et qu’ils n’ont soulevé aucune préoccupation au sujet de l’article 238.14. Elle ajoute que l’AMPMQ commet une erreur lorsqu’elle soutient que l’appartenance à celle-ci constitue la preuve d’une préférence d’une unité de négociation pour le Québec seulement.

215        La FPN rejette l’argument de l’AMPMQ selon laquelle une unité de négociation du Québec est requise parce que le milieu de travail du Québec se distingue clairement en raison de la langue, des services de police fédérale et des demandes de remboursement des frais de déplacement. Elle déclare que les supposées différences ne sont pas pertinentes en l’espèce.

216        À titre d’argument subsidiaire, la FPN fait valoir que si la Commission conclut que l’article 238.14 viole l’alinéa 2d) de la Charte, la disposition est alors justifiée par l’article premier de la Charte en vertu du critère de l’arrêt Oakes : il existe un objectif urgent et réel et les moyens choisis pour réaliser cet objectif sont proportionnels; c’est à dire, ils ont un lien rationnel avec l’objectif, causant une atteinte minimale et conservant l’équilibre.

217        La FPN est d’accord avec l’employeur que l’article 238.14 comporte un objectif urgent (protéger l’intérêt public dans le cadre de relations de travail stables pour les membres de la GRC) et qu’il existe un lien rationnel entre une unité de négociation nationale unique et l’objectif.

218        La FPN déclare que les effets bénéfiques d’une unité de négociation nationale unique sont importants. Par exemple, une unité nationale unique protège les membres lorsqu’ils sont mutés et permet de s’assurer que l’agent négociateur tienne compte des divers points de vue et antécédents. Une unité de négociation nationale unique protégera les droits linguistiques de tous les membres francophones, non seulement ceux situés au Québec.

219        Au contraire, les effets préjudiciables sont modestes parce que les membres peuvent choisir d’être représentés par d’autres organisations d’employés pour des questions qui ne sont pas liées à la convention collective. De plus, les membres sont protégés parce que l’unité nationale unique a un devoir de juste représentation de tous ses membres et ils ont le droit de révoquer l’accréditation et de remplacer un agent négociateur.

IV. Analyse

220        La présente section porte sur le fond de la requête visant une déclaration que la disposition contestée est inopérante pour des motifs constitutionnels, mais nous faisons d’abord état de nos motifs pour rejeter le rapport et le témoignage d’expert présentés par l’AMPMQ.

A. Rejet du rapport et du témoignage de l’expert

1. Contenu du rapport

221        L’AMPMQ a fait parvenir aux parties et à la Commission un rapport d’expert avant l’audience; son intention était de faire témoigner l’expert à l’audience. L’employeur a indiqué avant l’audience qu’il entendait s’opposer au dépôt du rapport. Nous avons entendu l’objection de l’employeur et la réponse de l’AMPMQ à l’audience. La FPN appuyait la position de l’employeur.

222        Le rapport est intitulé « Les unités appropriées de négociation dans le secteur public fédéral ». L’auteur est le professeur Michel Coutu, Professeur de droit du travail et de sociologie du droit à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. Il se dit spécialiste en sociologie du droit, qu’il distingue du droit normatif, et qu’il définit de façon suivante : « La sociologie du droit a pour objet de mettre en relation les phénomènes juridiques avec les autres faits sociaux, d’ordre économique, politique, religieux, cultures, etc. ». Plus loin dans son introduction, il écrit que l’expert en sociologie du droit se réfère à la loi, aux règlements, à la jurisprudence, non pas « […] pour plaider en faveur de telle ou telle interprétation, mais simplement pour tracer un tableau exact de l’état du droit (au sens large du terme) afin d’en illustrer les tenants et aboutissants sociologiques ».

223        Le professeur Coutu fait état du mandat dont il a été chargé, comme suit :

  1. D’un point de vue sociologique et historique, étudier l’émergence des unités d’accréditation dans le secteur public fédéral et provincial (le cas échéant), en mettant en relief les choix politiques et administratifs ayant présidé à leur découpage, les facteurs de conflit dans ce domaine (exemple : les tentatives d’accréditation du Syndicat des contrôleurs aériens du Québec) et la dynamique fonctionnelle conditionnant l’orientation de la Commission des relations de travail dans le secteur public fédéral.
  2. Du même point de vue, en ce qui concerne les membres de la GRC relevant de la Division « C » : retracer l’historique de l’Association des membres de la police montée du Québec (AMPMQ), faire état de ses tentatives de syndicalisation des agents au Québec et, plus largement, de ses activités de représentation et de défense de ses membres, notamment par rapport au programme des représentants de la GRC; identifier les objets spécifiques de revendication/négociation qui différencient l’AMPMQ des autres organisations volontaires de membres de la GRC, telles la Fédération de la police nationale (FPN); faire état des difficultés à accepter les particularités des membres de la GRC au Québec (le cas échéant); montrer en quoi l’amendement exigeant une seule structure de négociation pan canadienne pénalise les membres de l’AMPMQ et entrave substantiellement un processus véritable de négociation fondé sur la volonté des membres concernés.
  3. En tenant compte du droit international du travail (OIT, Conseil de l’Europe) et du droit comparé, tout en se situant essentiellement dans une perspective de sociologie du droit du travail, voir dans quelle mesure le droit international, et les droits nationaux prévalant dans certains états fédéraux (telles la Belgique, la Suisse et l’Allemagne) ou pluri étatiques (tel le Royaume-Uni), permettent une représentation segmentée des membres de la police fédérale ou de son équivalent. Préciser les conséquences qu’on pourrait en déduire quant à la structure souhaitable de la négociation dans le cas de la GRC.

224        Après une introduction (section 1) portant sur l’expertise du professeur Coutu, sur la sociologie du droit et sur le mandat, le rapport comprend quatre sections principales et se termine sur une synthèse générale.

225        La section 2 s’intitule « L’émergence des unités de négociation dans le secteur public fédéral : un point de vue socio-historique ». Essentiellement, l’auteur présente un bref historique de l’article 57 de la Loi, et illustre ensuite l’interprétation possible de la définition des unités appropriées par deux décisions contraires. La première est celle où la Commission telle qu’elle était alors, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), refuse la fragmentation de l’unité de négociation composée de contrôleurs de l’air pour créer une unité de négociation propre au Québec (Syndicat des contrôleurs aériens du Québec et Canada (Conseil du Trésor) (Groupe des contrôleurs aériens – Catégorie technique), dossier de la CRTFP 143-2-164 (19780926), [1978] C.R.T.F.P.C. no 9 (QL)). La seconde est une décision du Conseil canadien des relations de travail (maintenant Conseil canadien des relations industrielles), qui permet la division de l’unité de négociation des employés de production pour créer une unité distincte au Québec pour la Division de production des émissions en français (Syndicat des employés de production du Québec et Société Radio-Canada, Ottawa (Ont.), dossier CCRT 555-445 (19770617), [1977] 2 Can. LRBR 481 (QL)). Dans l’analyse de ces deux décisions, l’auteur fait ressortir les différents facteurs qui peuvent jouer pour décider s’il convient de maintenir une unité nationale ou, à l’inverse, s’il est préférable de créer des unités régionales, notamment en raison de considérations linguistiques et culturelles. Il distingue l’approche fonctionnelle (que semble favoriser la CRTFP, selon le professeur Coutu), qui considère le fonctionnement de l’unité de négociation au regard des unités de travail et de la classification, de l’approche volontaire, qui tient compte de la volonté des employés de s’associer à un groupe plutôt qu’à un autre (dont la CRTFP ne semble pas tenir compte, encore une fois, de l’avis du professeur Coutu).

226        La section 3 comporte une description de la GRC, dans une perspective d’argumentation en faveur d’une unité de négociation distincte pour le Québec. Un des arguments importants est la langue. Le professeur Coutu met l’accent sur le fait que le service policier offert par la GRC au Québec est entièrement fédéral, et non partiellement contractuel comme dans toutes les autres provinces sauf l’Ontario. Il note la nature du travail d’une police fédérale (protection des frontières, sécurité nationale, enquêtes d’envergure sur le trafic des stupéfiants et le crime organisé). Il fait également l’historique de la représentation des membres au sein de la GRC, soulignant que les membres de la Division « C » prônent depuis longtemps le modèle syndical plutôt que la représentation interne contrôlée par l’employeur et déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt APMO.

227        La section 4 traite de l’état de la syndicalisation des corps policiers dans certains pays européens. La section 5 parle des instruments en droit du travail international « […] qui garantissent, directement ou par interprétation des organes de contrôle compétents, la liberté syndicale y compris le droit de former des syndicats habiles à négocier collectivement ».

228        La synthèse est un ensemble de conclusions qui prônent non seulement la création d’une unité distincte pour la Division « C », mais également l’accréditation de l’AMPMQ. La conclusion no 17 résume l’analyse de la façon suivante :

Tant l’approche fonctionnelle que volontaire convergent donc pour favoriser à notre avis, du point de vue des relations industrielles, l’institution d’une unité distincte de négociation pour les membres de la division « C » de la GRC, avec la reconnaissance de l’AMPMQ en tant qu’agent négociateur

2. Objection de l’employeur

229        L’employeur s’est opposé au dépôt du rapport et au témoignage de l’expert pour les motifs suivants : la teneur du rapport n’est pas pertinente pour la question constitutionnelle à trancher, le rapport est essentiellement un avis juridique, l’expertise n’est pas nécessaire, et le rapport manque d’objectivité et d’impartialité.

230        L’employeur cite comme point de départ sur la preuve d’expert R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, où la Cour suprême du Canada s’étend sur le caractère nécessaire, pertinent et fiable de la preuve d’expert. La Cour énonce comme suit les critères d’admission (au paragraphe 17) :

[…]

  1. la pertinence;
  2. la nécessité d’aider le juge des faits;
  3. l’absence de toute règle d’exclusion;
  4. la qualification suffisante de l’expert.

[…]

231        D’après l’employeur, le rapport n’est pas pertinent parce qu’il porte principalement sur une question qui n’est pas devant la Commission, soit les unités appropriées de négociation. Cela devance l’analyse que pourrait faire la Commission, si elle juge inconstitutionnelle la modification législative qui lui enlève le pouvoir de déterminer l’unité de négociation appropriée. La question constitutionnelle n’est pas de décider l’unité appropriée, mais de trancher si le fait d’imposer une unité pancanadienne constitue une entrave substantielle à la négociation collective, au regard des décisions rendues par la Cour suprême sur la protection offerte par l’alinéa 2d) de la Charte.

232        L’employeur soutient que le rapport est essentiellement un avis juridique, avec une conclusion bien précise sur ce qui constitue la meilleure unité de négociation pour la Division « C ». Il manque d’objectivité et d’impartialité, en ce sens que la conclusion qui veut que l’AMPMQ soit la mieux en mesure de représenter les membres de la Division « C » est clairement partisane, et s’appuie sur une interprétation des faits qui n’est pas objective mais tendancieuse.

233        Enfin, l’employeur est d’avis que l’expertise n’est pas nécessaire parce qu’elle ne contribue rien aux connaissances de la Commission. La Commission a une longue expérience en matière de détermination des unités de négociation, et n’a pas besoin d’un expert dans sa propre sphère d’expertise. L’employeur cite à ce titre le passage suivant de Mohan :

21 Dans l'arrêt R. c. Abbey, précité, le juge Dickson, plus tard Juge en chef, a dit à la p. 42:

Quant aux questions qui exigent des connaissances particulières, un expert dans le domaine peut tirer des conclusions et exprimer son avis. Le rôle d'un expert est précisément de fournir au juge et au jury une conclusion toute faite que ces derniers, en raison de la technicité des faits, sont incapables de formuler. [traduction] «L'opinion d'un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire» (Turner (1974), 60 Crim. App. R. 80, à la p. 83, le lord juge Lawton).

22 Cette condition préalable est fréquemment reprise dans la question de savoir si la preuve serait utile au juge des faits. Le mot «utile» n'est pas tout à fait juste car il établit un seuil trop bas. Toutefois, je ne jugerais pas la nécessité selon une norme trop stricte. L'exigence est que l'opinion soit nécessaire au sens qu'elle fournit des renseignements «qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury»: cité par le juge Dickson, dans Abbey, précité. Comme le juge Dickson l'a dit, la preuve doit être nécessaire pour permettre au juge des faits d'apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique. […]

23 Comme la pertinence, analysée précédemment, la nécessité de la preuve est évaluée à la lumière de la possibilité qu'elle fausse le processus de recherche des faits. Comme le lord juge Lawton l'a remarqué dans l'arrêt R. c. Turner, [1975] Q.B. 834, à la p. 841, qui a été approuvé par lord Wilberforce dans l'arrêt Director of Public Prosecutions c. Jordan, [1977] A.C. 699, à la p. 718:

[traduction] «L'opinion d'un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire. Dans un tel cas, si elle est exprimée dans un jargon scientifique, elle rend la tâche de juger plus difficile. Le seul fait qu'un témoin expert possède des qualifications scientifiques impressionnantes ne signifie pas que son opinion sur les questions de la nature et du comportement humains dans le cadre de la normalité est plus utile que celle des jurés eux-mêmes; ces derniers risquent toutefois de croire qu'elle l'est.»

234        L’employeur ne remet pas en question l’expertise du professeur Coutu en droit du travail, mais s’oppose plutôt à la preuve d’expert selon les deux premiers critères : la preuve n’est pas pertinente, et elle n’est pas nécessaire. En outre, elle risque de fausser le processus de recherche des faits en imposant une vision partiale des relations de travail au sein de la GRC et une conclusion favorable à son client.

3. Position de la FPN

235        La FPN reconnaît que devant un tribunal administratif, les règles d’admissibilité sont plus souples, et qu’une question constitutionnelle est d’un autre ordre qu’une question en droit civil ou criminel. Cela dit, la FPN appuie largement les observations de l’employeur, et ajoute les commentaires suivants.

236        Dans la décision Boily c. Canada, 2017 CF 102, la Cour fédérale devait se prononcer sur la décision d’un protonotaire de radier un rapport d’expert dans son entièreté. La Cour a confirmé la décision, parce que l’expert a fourni des conclusions juridiques sur les questions dont la Cour elle-même était saisie, ce qui est inadmissible. L’analyse juridique ne peut faire partie de la preuve d’expert. La preuve d’expert juridique, sur la question à décider, est inadmissible.

237        La FPN offre quelques exemples de l’expert se prononçant sur la question de fond, et outrepassant ainsi son rôle. À la page 58 du rapport, le professeur Coutu écrit : « En clair : l’obligation de former, pour un secteur d’activité ou une profession donnée, une organisation syndicale uniquement au niveau national (plutôt que régional, si tel est le libre choix des employés) n’est pas compatible avec les principes de la liberté syndicale. » [le passage en italique l’est dans l’original] À la page 61, au chapitre des conclusions, il écrit : « Le changement fondamental de paradigme en droit constitutionnel du travail, suite en particulier aux décisions de 2007 et de 2015 de la Cour suprême du Canada inciterait en toute logique à favoriser bien davantage qu’auparavant l’approche volontaire (critère du libre choix des salariés » [le passage en italique l’est dans l’original]. C’est une position que l’on peut soutenir, mais l’argument contraire est également possible. Il s’agit de la question que doit trancher la Commission.

4. Réponse de l’AMPMQ

238        L’AMPMQ répond à ces arguments qu’en matière d’interprétation des chartes (Charte canadienne des droits et libertés ou Charte québécoise des droits et libertés de la personne), il faut appliquer les règles d’admissibilité de la preuve avec beaucoup de souplesse. Il est important pour les tribunaux d’avoir un fondement factuel pour établir un contexte social, économique et culturel.

239        Dans l’arrêt MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, la Cour suprême insiste sur l’importance d’un contexte factuel pour rendre une décision fondée sur la Charte (canadienne). Il faut illustrer l’atteinte aux droits par des exemples vécus, et non hypothétiques. L’AMPMQ cite notamment la phrase suivante (p. 361) : « il est souvent très utile pour les tribunaux de connaître l’opinion d’experts sur les répercussions futures de la loi contestée et le résultat des décisions possibles la concernant ».

240        L’AMPMQ ajoute que les tribunaux administratifs sont maîtres de leur propre procédure et, partant, plus flexibles que les tribunaux judiciaires. L’AMPMQ soutient que l’équité procédurale milite en faveur de l’admission du rapport d’expert. À cet effet, elle renvoie à la décision Société canadienne des postes, 2012 CCRI 638, dans laquelle le CCRI déclare que dans le doute quant à la pertinence d’un rapport d’expert, mieux vaut l’accepter, quitte à l’écarter à l’étape de l’analyse, plutôt que de priver le tribunal d’une preuve qui pourrait être pertinente.

241        Il s’agissait dans cette affaire de l’opposition du syndicat au dépôt par l’employeur d’un rapport d’expert. Comme en l’espèce, l’objection visait essentiellement la pertinence et la nécessité de la preuve d’expert. Le litige portait sur la notion d’employeur véritable dans le cadre de l’ouverture de comptoirs de Postes Canada dans certaines pharmacies. Le rapport d’expert traitait de la notion de franchise et de concession en droit commercial. Selon le syndicat, cette notion n’était pas pertinente pour la question à trancher, et le rapport n’était pas nécessaire, compte tenu de l’expertise du CCRI. Celui-ci a conclu qu’il admettrait une partie du rapport d’expert. Il justifie sa décision sur la base de la pertinence, comme suit :

41 En ce qui concerne la pertinence du rapport d’expert, le Conseil reconnaît qu’il n’a pas une connaissance d’office des règles commerciales propres aux franchises et aux concessions. Dans le dossier à l’étude, le Conseil doit déterminer qui est le véritable employeur des employés visés par la demande d’accréditation présentée par le syndicat. Les différents employeurs au dossier ont fait valoir qu’ils avaient adopté un modèle commercial propre à la franchise. Dès lors, le Conseil est soucieux de procéder de la manière la plus efficace dans la recherche de la vérité et il lui apparaît pertinent de recevoir la preuve d’un expert portant sur un élément permettant de mieux comprendre la relation contractuelle entre les différentes parties au dossier.

242        L’AMPMQ prétend que l’expertise du professeur Coutu est nécessaire et pertinente « pour dresser un portrait sociohistorique » sur la détermination des unités d’accréditation et sur la situation internationale. L’AMPMQ note entre autres que le rapport permet d’établir « les répercussions futures de la loi contestée » au sens de l’arrêt MacKay, en précisant les effets préjudiciables de l’unité de négociation nationale sur l’AMPMQ et ses membres. Enfin, l’AMPMQ soutient que le rapport n’est pas une opinion juridique et qu’il ne dicte pas un résultat particulier à la Commission.

5. Décision de la Commission

243        Nous avons considéré les décisions invoquées par les parties pour notre décision. Nous en retenons les principes suivants :

  • L’expertise doit être utile à la prise de décision. Comme l’indique Mohan, l’expertise doit être non seulement utile, mais nécessaire. Dans l’arrêt Abbey, la Cour suprême du Canada a déclaré que la preuve doit être nécessaire pour permettre au juge des faits d’apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique;
  • « Les critères de pertinence et de nécessité sont à l’occasion appliqués strictement pour exclure la preuve d’expert sur une question fondamentale » (Mohan);
  • Il faut tenir compte du contexte constitutionnel (MacKay c. Manitoba);
  • L’opinion de l’expert doit être impartiale, indépendante, et exempte de parti pris (White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., [2015] 2 R.C.S. 182, 2015 CSC 23, au par. 32).

6. Pertinence et nécessité

244        En fait, l’analyse que le professeur prétend sociologique tient beaucoup plus de l’argumentaire juridique que du texte sociologique, malgré l’introduction qui parle de sociologie du droit. La distinction que fait le professeur Coutu entre l’approche fonctionnelle et l’approche volontaire pour déterminer les unités de négociation appropriées est fort intéressante, mais elle relève de l’argumentaire juridique que peuvent présenter les parties et que peut décider la Commission. Le professeur Coutu déclare qu’il serait préférable d’envisager une unité de négociation distincte au Québec, pour des raisons historiques, culturelles et linguistiques et parce que, selon lui, l’approche volontaire reflète davantage ce qui sous-tend l’analyse de la Cour suprême du Canada dans son élaboration du droit de négocier collectivement en vertu de l’alinéa 2d) de la Charte.

245        Ces conclusions sont problématiques à deux égards. D’abord, elles ne découlent pas d’une expertise qui est propre à l’expert. La Commission a les outils nécessaires, en termes de connaissances et d’expérience, pour juger des unités appropriées pour négocier. Plus important encore, le rapport devance l’étape où la Commission aurait à décider des unités de négociations appropriées. La présente décision porte sur le caractère constitutionnel d’une disposition qui enlève à la Commission toute latitude de décider de l’unité de négociation. L’enjeu est de décider si cela constitue une entrave substantielle au droit des membres de la GRC de négocier leurs conditions de travail. Toutefois, même si le rapport devance l’étape de la détermination, il présente une conclusion qui règle le sort de la constitutionnalité, en soutenant que la liberté d’association des membres de la Division « C » ne peut être assurée qu’en leur accordant une unité de négociation distincte.

246        Par ailleurs, dans son mandat même, le rapport prétend répondre à la question dont la Commission est saisie, comme l’illustre le passage suivant tiré du mandat : « […] montrer en quoi l’amendement exigeant une seule structure de négociation pancanadienne pénalise les membres de l’AMPMQ et entrave substantiellement un processus véritable de négociation fondé sur la volonté des membres concernés ». Or, il ressort clairement de la jurisprudence que le rapport d’expert ne doit pas tenter de répondre à la question juridique dont le tribunal est saisi.

7. Le contexte constitutionnel

247        Dans l’arrêt MacKay, la Cour suprême du Canada affirme que « [l]a présentation des faits […] est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte ». À cet égard, l’AMPMQ a présenté la décision Société canadienne des postes du CCRI, selon laquelle il convient, dans un cadre constitutionnel, de faire preuve de davantage de souplesse.

248        Dans cette décision, le CCRI a choisi de retenir une partie d’un rapport d’expert. Il écarte les éléments qui sont du ressort du CCRI, et retient les éléments d’expertise extérieure à l’expertise du CCRI – soit, dans cette affaire, le droit commercial, et plus précisément, le fonctionnement des franchises et concessions pour mieux comprendre leur incidence sur l’organisation du travail à la Société canadienne des postes. Il convient de citer la raison pour laquelle le Conseil ne retient du rapport que la partie qui explique le fonctionnement commercial des franchises et concessions (paragraphe 46, Société canadienne des postes) :

46 Par ailleurs, l’exercice auquel s’est livré l’expert dans les trois dernières sections de son rapport constitue, dans les faits, une analyse juridique sur la question qui doit être tranchée par le Conseil, à savoir qui est le véritable employeur des employés visés par la demande d’accréditation présentée par le syndicat.

249        Il est donc possible de prendre des parties du rapport sans accepter le rapport dans son entièreté. De même, dans la décision La Presse Ltée c. Poulin, 2012 QCCA 2030, la Cour d’appel du Québec juge non recevables les parties d’un rapport expert qui expriment un avis juridique, et permet le dépôt des parties qui traitent davantage de faits, voire de faits juridiques.

250        Nous avons étudié le rapport avec soin, pour déterminer si à l’instar du CCRI ou de la Cour d’appel du Québec dans les décisions mentionnées ci-dessus, nous devions retenir au moins une partie du rapport. Nous en sommes arrivés aux conclusions suivantes. Le rapport n’offre aucune expertise particulière que nous n’avons déjà sur la question des unités de négociation selon la jurisprudence canadienne. L’historique de l’AMPMQ et de la syndicalisation à la GRC est entièrement axé sur le Québec, pour en arriver à la conclusion que seule une unité de négociation québécoise serait acceptable. Or, dans l’étude de l’entrave substantielle au droit des membres de la GRC à la négociation collective, la Commission doit considérer le contexte global de la GRC et non seulement celui de la Division « C ». Cela est d’autant plus vrai qu’un des arguments principaux du professeur Coutu en faveur de l’unité particulière pour le Québec est la langue. Or, cet aspect n’est pas uniquement confiné au Québec, puisque la majorité des membres francophones travaillent à l’extérieur du Québec.

8. L’opinion impartiale, indépendante et exempte de parti pris

251        Dans l’arrêt White Burgess, la Cour suprême du Canada souligne que l’expert doit au décideur l’obligation d’être impartial, indépendant et sans parti pris. À cet égard, elle constate ce qui suit :

[32]    Trois concepts apparentés sont à la base des diverses définitions de l’obligation de l’expert, à savoir l’impartialité, l’indépendance et l’absence de parti pris. L’opinion de l’expert doit être impartiale, en ce sens qu’elle découle d’un examen objectif des questions à trancher. Elle doit être indépendante, c’est-à-dire qu’elle doit être le fruit du jugement indépendant de l’expert, non influencée par la partie pour qui il témoigne ou l’issue du litige. Elle doit être exempte de parti pris, en ce sens qu’elle ne doit pas favoriser injustement la position d’une partie au détriment de celle de l’autre. Le critère décisif est que l’opinion de l’expert ne changerait pas, peu importe la partie qui aurait retenu ses services (P. Michell et R. Mandhane, « The Uncertain Duty of the Expert Witness » (2005), 42 Alta. L. Rev. 635, p. 638-639). Ces concepts, il va sans dire, doivent être appliqués aux réalités du débat contradictoire. Les experts sont généralement engagés, mandatés et payés par l’un des adversaires. Ces faits, à eux seuls, ne compromettent pas l’indépendance, l’impartialité ni l’absence de parti pris de l’expert.

252        Nous avons de sérieux doutes quant à l’impartialité du rapport d’expert présenté par l’AMPMQ. Au départ, le professeur Coutu énonce son mandat comme étant en partie de « [… ] montrer en quoi l’amendement exigeant une seule structure de négociation pan canadienne pénalise les membres de l’AMPMQ et entrave substantiellement un processus véritable de négociation fondé sur la volonté des membres concernés ».

253        Le professeur Coutu consacre la majeure partie de son rapport à l’analyse juridique de décisions de tribunaux administratifs, qu’il utilise pour démontrer deux approches à la détermination de l’unité habile à négocier. Il applique ensuite son analyse au contexte de la GRC pour conclure, « Tant l’approche fonctionnelle que volontaire convergent donc pour favoriser à notre avis, du point de vue des relations industrielles, l’institution d’une unité distincte de négociation pour les membres de la division « C » de la GRC, avec la reconnaissance de l’AMPMQ en tant qu’agent négociateur ».

254        La preuve démontre que pour plusieurs questions clés, le rapport n’offre pas une analyse équilibrée. Par exemple :

  • Le rapport conclut que la Division « C » a des préoccupations linguistiques qui lui sont propres. Or, le professeur Coutu passe sous silence le pourcentage de membres francophones qui travaillent à l’extérieur du Québec (70 %, d’après les chiffres de l’employeur qui n’ont pas été contestés).
  • Il note la nature du travail d’une police fédérale (protection des frontières, sécurité nationale, enquêtes d’envergure sur le trafic des stupéfiants et le crime organisé), sans relever que ce genre de travail comporte nécessairement la communication en anglais, compte tenu des juridictions voisines du Québec.

255        Bien que le professseur Coutu reconnaisse que les services policiers sont exclus de la convention internationale qu’il invoque, il conclut qu’en droit international, un agent négociateur national imposé par la loi « n’est pas compatible avec les principes de la liberté syndicale », si les employés souhaitent une représentation régionale.

256        La dimension de droit international est d’une utilité très limitée. Le fonctionnement syndical en Europe s’écarte trop du modèle Wagner pour être applicable dans le contexte des unités de négociations à la GRC. Les principes de syndicalisation reconnus par les traités internationaux sont maintenant entérinés par la Cour suprême du Canada, et nous notons l’exception faite pour les syndicats de police. Cela dit, la question pointue de l’unité de négociation unique n’est pas éclairée par le débat international, encore une fois, compte tenu de l’exception pour les syndicats de police. Finalement, la synthèse est un plaidoyer en faveur d’une unité distincte pour le Québec. On anticipe une décision éventuelle, et on rend une conclusion de droit, qui n’a pas sa place dans un rapport d’expert.

257        Nous convenons avec l’AMPMQ que la Commission doit avoir un tableau factuel aussi complet que possible pour rendre une décision en matière constitutionnelle qui soit étayée. Cela dit, les faits présentés dans le rapport d’expert ne peuvent être acceptés pour leur véracité, le professeur Coutu n’étant pas un témoin direct de la situation à la GRC. À cet égard, nous avons reçu les témoignages des trois témoins de l’AMPMQ, qui ont été aux premiers rangs des efforts et des démarches pour permettre la syndicalisation des membres de la GRC. Leur témoignage est certainement un apport précieux à la présente décision. Le rapport ne peut rien contribuer de plus au tableau factuel. Nous soulignons que le rapport ne présente, côté factuel, aucune donnée sur l’ensemble de la GRC.

258        Pour résumer, la Commission conclut ce qui suit :

  • Le rapport n’est pas pertinent. Il met l’accent sur la détermination de l’unité de négociation habile à négocier pour la GRC, et l’accréditation de l’AMPMQ comme agent négociateur pour la Division « C », des questions dont la Commission n’est pas saisie;
  • Il n’est pas nécessaire. Il s’agit avant tout d’un argumentaire juridique qui mène à des conclusions favorables à la position de l’AMPMQ. Les faits qui s’y trouvent sont soit connus de la Commission, soit présentés en détail dans les témoignages à l’audience;
  • La Commission a tenu compte du contexte constitutionnel, et a décidé qu’aucune partie du rapport n’était admissible;
  • Le rapport n’est ni impartial ni objectif.

259        Pour tous ces motifs, la Commission n’a admis ni le rapport ni le témoignage du professeur Coutu.

B. Requête visant une déclaration que l’article 238.14 est inopérant pour des motifs constitutionnels

1. Questions en litige

260        Techniquement, les demandes d’accréditation de l’AMPMQ et de la FPN sont visées par les dispositions transitoires de la Loi modifiant la LRTFP, plus précisément l’alinéa 63(1)a), mais cet alinéa a le même effet que la disposition contestée, qui ordonne à la Commission de ne reconnaître qu’une seule unité de négociation. Pour les fins de la présente analyse, nous traiterons donc de l’article 238.14, qui n’était pas en vigueur au moment où l’AMPMQ et la FPN ont fait leurs demandes d’accréditation, mais qui l’est aujourd’hui, ce dont fait état la décision rendue par la Commission déclarant l’unique unité nationale habile à négocier (Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor du Canada, 2017 CRTESPF 34). Nous répondrons donc aux deux questions suivantes :

  • L’article 238.14 de la Loi porte-t-il atteinte à la liberté d’association garantie à l’article 2d) de la Charte?
  • S’il y a une violation, celle-ci est-elle justifiable au sens de l’article 1 de la Charte?
a) L’article 238.14 de la Loi porte-t-il atteinte à la liberté d’association garantie à l’article 2d) de la Charte?

261        L’arrêt-clé pour les fins de notre analyse est l’arrêt APMO de la Cour suprême du Canada, qui a décidé que le régime de relations de travail des membres de la GRC n’était pas conforme à la liberté d’association protégée par l’alinéa 2d) de la Charte. L’importance de cet arrêt est qu’il précise les contours de la liberté d’association dans une perspective de relations de travail. La Cour a conclu que l’alinéa 2d) garantit le droit des employés de s’associer afin de poursuivre collectivement des objectifs relatifs au travail, et que le droit à un processus véritable de négociation collective constitue un élément nécessaire de ce droit (APMO, au paragraphe 71).

262        Dans l’arrêt B.C. Health Services, la Cour suprême a déclaré que l’atteinte par voie législative à la liberté d’association doit être substantielle afin de permettre de conclure qu’il y a violation de l’alinéa 2d) de la Charte. La Cour a déclaré ce qui suit :

92 Pour qu’il s’agisse d’une atteinte substantielle à la liberté d’association, l’intention ou l’effet doit sérieusement compromettre l’activité des travailleurs qui consiste à se regrouper en vue de réaliser des objectifs communs, c’est-à-dire négocier des conditions de travail et des modalités d’emploi avec leur employeur, une activité qualifiée de négociation collective[…] Dans tous les cas, une analyse contextuelle et factuelle s’impose et il faut se demander s’il y a eu ou s’il surviendra vraisemblablement des effets négatifs importants sur le processus de négociation collective volontaire menée de bonne foi entre les employés et l’employeur.

263        Il s’agit maintenant de déterminer si une des dispositions du régime créé par le législateur en réponse à l’arrêt APMO est elle-même contraire à la liberté d’association. C’est-à-dire, l’article 238.14, qui impose une unité de négociation unique et nationale, viole-t-il l’alinéa 2d) de la Charte en constituant une entrave substantielle à un processus véritable de négociation collective?

i. Un processus véritable de négociation collective

264        Il est important dans la présente analyse de ne pas perdre de vue le contexte dans lequel se situe le régime de négociation collective de la GRC. Le législateur a précisé à l’article 238.05 de la Loi la réalité dont la Commission doit tenir compte lorsqu’elle traite de questions relatives à la GRC :

238.05 Lorsqu’elle met en œuvre la présente loi et exerce les attributions que celle-ci lui confère ou qu’implique la réalisation de ses objets, notamment en rendant des ordonnances qui en exigent l’observation, celle des règlements pris sous son régime ou des décisions qu’elle rend sur les questions dont elle est saisie, la Commission doit, en ce qui touche les questions concernant les membres de la GRC et les réservistes, tenir compte, d’une part, du rôle unique de la Gendarmerie royale du Canada en tant qu’organisation policière à l’égard de la protection de la sécurité publique et de la sécurité nationale et, d’autre part, du besoin de celle-ci de procéder à des mutations de ses membres et de ses réservistes lorsqu’elle l’estime indiqué.

265        Dans l’arrêt APMO, la Cour suprême a déclaré au paragraphe 81 qu’un « processus véritable de négociation collective est tel qu’il offre aux employés une liberté de choix et une indépendance suffisantes pour leur permettre de décider de leurs intérêts collectifs et de véritablement les réaliser. » L’AMPMQ ne conteste pas l’aspect indépendance du nouveau régime. Notre analyse sera donc centrée sur la liberté de choix.

266        Il convient de définir ce que la Cour suprême entend par liberté de choix dans l’arrêt APMO. La Cour, après avoir dit que la liberté de choix est importante, limite néanmoins sa portée dans les termes suivants :

[83] Cela dit, cette liberté de choix et cette indépendance ne sont pas absolues : elles sont limitées par le contexte de la négociation collective. À notre avis, la liberté de choix requise par la Charte à des fins de négociation collective correspond à celle qui permet aux employés de participer véritablement au choix des objectifs collectifs que devra poursuivre leur association. Dans la même veine, l’indépendance exigée par la Charte à des fins de négociation collective se définit comme celle qui assure une correspondance entre les activités de l’association et les intérêts de ses membres.

267        La question est donc de savoir si la disposition contestée constitue une entrave à la liberté de choix.

ii. Liberté de choix

268        La Commission souligne que le processus de négociation collective en vertu de la Loi protège la liberté de choix des employés qui sont membres réguliers et réservistes de la GRC au moyen de plusieurs dispositions qui ne sont pas touchées par la disposition contestée. Dans l’arrêt APMO, la Cour Suprême a déclaré que « [p]armi les caractéristiques de la liberté de choix des employés […] figurent la capacité de constituer de nouvelles associations et d’y adhérer, celle de changer de représentants, celle d’établir et de modifier les objectifs collectifs relatifs au travail et celle de dissoudre les associations existantes » (au paragraphe 86). La Commission conclut que la Loi comprend ces caractéristiques.

269        L’article 5 protège le droit de chaque employé de se joindre à l’organisation syndicale de son choix. Toutefois, il ne confère pas un droit à chaque organisation syndicale d’obtenir l’accréditation en tant qu’agent négociateur.

270        Les employés peuvent choisir de remplacer leur agent négociateur en vertu de l’article 83.

271        En outre, il n’y a rien dans la Loi, y compris dans la disposition contestée, qui empêche les employés d’établir ou de modifier leurs objectifs collectifs relatifs au travail.

272        La liberté de choix entraîne également une obligation de rendre compte, tel que l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt APMO, au paragraphe 87:

[87] L’obligation de rendre compte aux membres de l’association joue un rôle important pour apprécier la suffisance de la liberté de choix des employés dans un régime de relations de travail donné. Ces derniers choisissent leurs représentants en tenant pour acquis que leur point de vue sera transmis à l’employeur par les gens qu’ils ont choisis (A. Bogg et K. Ewing, « A (Muted) Voice at Work? Collective Bargaining in the Supreme Court of Canada » (2012), 33 Comp. Lab. L. & Pol’y J. 379, p. 405). Tout régime qui oblige les représentants à rendre compte aux employés qui les ont choisis garantit que l’association travaille à l’atteinte des objectifs pour lesquels les employés se sont associés. L’obligation de rendre compte assure aux employés un meilleur contrôle sur le choix des questions soumises à l’attention de l’employeur et sur les ententes conclues en leur nom à l’issue du processus de négociation collective.

273        L’obligation de rendre compte de la part de l’agent négociateur envers les employés de l’unité de négociation est prévue par la Loi. Les employés qui sont insatisfaits de la représentation par l’agent négociateur peuvent déposer une plainte auprès de la Commission en vertu de l’article 187 de la Loi. Ils peuvent également déposer une plainte contre l’agent négociateur en vertu de l’article 188 au titre de pratiques déloyales de travail. Enfin, ils peuvent également demander la révocation de l’accréditation de leur agent négociateur en vertu de l’article 238.17 de la Loi.

274        La Commission conclut que dans la mesure où les employés pourront « participer véritablement au choix des objectifs collectifs », le mécanisme qui permet cette participation respecte la liberté de choix. L’argument principal de l’AMPMQ est justement qu’étant un groupe minoritaire au sein d’une entité qui ne peut réellement représenter leurs intérêts, les membres de la Division « C » n’auront pas voix au chapitre pour ce qui est de choisir les objectifs collectifs.

275        L’AMPMQ invoque la décision Renaud-Bray pour appuyer son propos. L’AMPMQ a retenu de cette décision l’idée suivante, dans les mots du juge Mainville : « la volonté des salariés est primordiale au processus d’accréditation ». Cela est certain, mais ce principe ne règle pas la question devant nous, à savoir si l’imposition d’une unité de négociation unique est contraire à la liberté d’association. Plus précisément, la question est de savoir si une loi qui impose une unité de négociation unique et nationale prive les membres et les réservistes de leur droit de véritablement s’associer en vue de réaliser des objectifs collectifs relatifs aux conditions du travail (au paragraphe 67, APMO). Autrement dit, est-ce qu’on enlève aux employés un degré de choix suffisant pour leur permettre de déterminer leur intérêts collectifs et de les réaliser?

276        La disposition contestée exigeant une unité de négociation unique et nationale empêcherait les employés d’être représentés par l’AMPMQ à titre d’agent négociateur, puisque l’AMPMQ a présenté une demande visant seulement la représentation des membres de la Division « C ». Cependant, le juge Mainville reconnaît que la Cour suprême n’impose l’obligation de reconnaître chaque association et renvoie au paragraphe 98 de l’arrêt APMO :

[98] L’intimé soutient que cette façon d’interpréter l’al. 2d) imposerait à l’employeur, même au gouvernement employeur, l’obligation de reconnaître chaque association choisie par les employés, quelle que soit sa taille, et de négocier avec elle. À notre avis, ce n’est pas le cas. La liberté d’association suppose, entre autres choses, qu’aucun processus gouvernemental ne puisse entraver substantiellement la liberté des employés de créer une association ou d’adhérer à une association de leur choix, même si, de ce fait, ils écartent une association existante. Elle suppose également que l’employeur examine les observations des employés de bonne foi et qu’il s’engage avec ces derniers dans une véritable discussion. L’alinéa 2d) n’impose cependant pas un processus où chaque association finira par obtenir la reconnaissance qu’elle cherche (voir M. Coutu et autres, Droit des rapports collectifs du travail au Québec (2e éd. 2013), vol. 1, Le régime général, par. 98). Comme nous l’avons dit, il peut aussi être satisfait à l’al. 2d) en présence d’un modèle reposant sur la majorité et l’exclusivité (tel que le modèle fondé sur la loi Wagner) qui impose des restrictions aux droits des individus afin de réaliser des objectifs communs.

277        Par ailleurs, les faits de l’affaire Renaud-Bray sont bien différents. Il s’agissait dans cette affaire de décider quelle serait la façon de représenter une unité donnée, et si l’analyse du tribunal administratif devait être celle du fractionnement d’unité ou d’accréditation d’un agent négociateur. Il s’agit pour nous de décider si l’unité unique permet aux membres de la Division « C » d’exercer leur liberté d’association telle qu’elle a été définie par la Cour suprême. Il convient en outre de citer le passage suivant de la décision Renaud-Bray :

127. Tel que le souligne la Cour dans Québec (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux (CSN), le modèle de la loi Wagner incorpore un arbitrage ou un compromis qui peut s’avérer contraignant pour une minorité de salariés : ainsi en est-il de ceux qui auraient souhaité appartenir à une autre unité appropriée de négociation, ainsi que de ceux qui n’ont pas adhéré à l’association majoritaire ou ne lui ont pas donné leur voix lors d’un scrutin. En un sens, la liberté d’association individuelle de ces salariés est brimée par le compromis sur lequel repose le modèle de la loi Wagner. On aurait tort, cependant, de conclure de tout cela qu’il en résulte par le fait même une atteinte injustifiée au droit à la liberté d’association énoncé à la Charte canadienne.

iii. Restrictions législatives quant au choix

278        Les décisions administratives citées par l’AMPMQ qui font suite à l’arrêt APMO reprennent l’ambiguïté de l’arrêt quant à la portée du choix qu’ont les salariés pour leur agent négociateur. La décision du TAT dans le cadre de l’accréditation des salariés qui travaillent pour le Réseau de transport métropolitain le dit bien en parlant d’ « une analyse contextuelle du processus mis en place » qui pourrait permettre de conclure que la désignation de l’agent négociateur respecte tout de même la liberté de choix qui découle de la liberté d’association (Syndicat des inspecteurs du RTM - CSN et Unifor, 2018 QCTAT 3310, au paragraphe 87).

279        Des restrictions législatives quant au choix qui sont constitutionnelles peuvent exister. Dans l’arrêt APMO, la Cour suprême a donné des exemples de restrictions législatives à la liberté d’association qui étaient acceptables sur le plan constitutionnel. Par exemple, elle a conclu que le modèle Wagner de relations de travail comportait un choix suffisant pour les employés. Elle a déclaré ce qui suit :

[94] La loi Wagner, appliquée dans la grande majorité du secteur privé et dans plusieurs lieux de travail du secteur public, constitue un exemple de la façon dont les exigences de la liberté de choix et de l’indépendance assurent la conduite d’une véritable négociation collective. Ce modèle permet à un secteur d’employés suffisamment important de choisir de s’associer à un syndicat en particulier et, au besoin, d’obtenir le retrait d’accréditation d’un agent négociateur qui ne répond pas à leurs besoins. Les principes de la majorité et de l’exclusivité, le mécanisme des « unités de négociation » et les processus d’accréditation et de retrait d’accréditation — le tout sous la supervision d’une commission indépendante des relations de travail — garantissent que l’employeur négocie avec l’association la plus représentative des travailleurs qui en sont membres (G. W. Adams, Canadian Labour Law (2e éd. (feuilles mobiles)), par. 2.3800 à 2.4030; D. D. Carter et autres, Labour Law in Canada (5e éd. 2002), p. 286-287; P. Verge, G. Trudeau et G. Vallée, Le droit du travail par ses sources (2006), p. 41-42).

280        La Cour a également conclu que certains modèles de négociation désignés ne violaient pas nécessairement l’alinéa 2d) de la Charte; elle donne l’exemple de la loi ontarienne qui prévoit la désignation de l’agent négociateur pour une unité de négociation définie de façon législative :

[95] La loi Wagner n’est cependant pas le seul modèle capable de concilier la liberté de choix et l’indépendance d’une façon qui permette une véritable négociation collective. Le modèle faisant appel à un agent négociateur désigné (voir, par ex., la Loi de 2014 sur la négociation collective dans les conseils scolaires, L.O. 2014, c. 5) offre un autre exemple de régime qui pourrait être acceptable. Bien que, suivant ce modèle, l’agent négociateur représentant les employés soit désigné plutôt que choisi par les employés, ces derniers semblent conserver la liberté de choisir les objectifs relatifs à leurs conditions de travail et une indépendance à l’égard de l’employeur qui suffisent à assurer la tenue d’une véritable négociation collective. Ce n’est qu’un exemple; d’autres régimes de négociation collective peuvent aussi assurer à l’employé un degré acceptable de liberté de choix et d’indépendance qui permet une véritable négociation collective.

281        Le même principe est répété comme suit au paragraphe 97 de l’arrêt APMO :

[…] La désignation d’agents négociateurs et l’établissement d’un cadre de négociation collective ne porteraient donc pas atteinte à l’al. 2d) si la structure qui est créée reste à l’abri de l’ingérence de l’employeur, demeure sous le contrôle des employés et offre à ces derniers une liberté de choix suffisante quant aux objectifs qu’ils entendent poursuivre au sujet de leurs conditions de travail.

282        Les restrictions législatives imposées dans les services de police et dans d’autres secteurs publics sont courantes. Par exemple, en Ontario et en Alberta, les unités de négociation des services de police sont établies par la loi (Loi de 2006 sur la négociation collective relative à la Police provinciale de l’Ontario, L.O. 2006, chap. 35, annexe B, par. 2(1); Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, chap. P.15, art. 118; Police Officers Collective Bargaining Act, RSA 2000, c. P-18, al. 1c)). La loi albertaine prévoit une seule unité de négociation pour les employés de la Couronne (Public Service Employee Relations Act, RSA 2000, c P-43, s. 10). Au Québec, la loi impose une seule unité de négociation, pour tous les employés de la Sûreté du Québec (Loi sur le régime syndical applicable à la Sûreté du Québec, RLRQ c R-14, art. 2.). De même, les unités de négociation sectorielles sont également courantes et n’ont pas été jugées inconstitutionnelles. (Voir Québec (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux, 2011 QCCA 1247).

283        Par conséquent, que signifie donc le « […] législateur ne doit pas entraver substantiellement le droit des membres de cette organisation à un processus véritable de négociation collective »?

284        Un processus véritable de négociation collective est la capacité de poursuivre les intérêts collectifs sans intervention de la part de l’employeur. Une des caractéristiques d’un tel processus véritable de négociation collective est la présence de mesures de protection adéquates permettant d’empêcher une atteinte substantielle, tel que l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt APMO comme suit au paragraphe 80 :

Portera […] atteinte au droit à un processus véritable de négociation collective tout régime législatif qui prive les employés de protections adéquates dans leurs interactions avec l’employeur de manière à créer une entrave substantielle à leur capacité de véritablement mener des négociations collectives.

285        Ce droit est protégé en vertu de la Loi par les dispositions suivantes.

286        L’unité de négociation composée des membres et des réservistes de la GRC a droit à l’arbitrage en tant que processus de règlement des différends (art. 238.18). L’employeur doit négocier de bonne foi (art. 106). L’employeur ne peut intervenir à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale et les employés sont protégés contre les représailles de la part de l’employeur pour avoir exercé leurs droits d’association (art. 186).

iv. Entrave substantielle

287        L’AMPMQ soutient qu’il y a entrave substantielle à un processus véritable parce que le fait de créer une unité de négociation unique ne tient pas compte des intérêts distincts de la Division « C ». Toutefois, d’après les éléments de preuve, la Commission n’est pas du tout convaincue que les intérêts de la Division « C » diffèrent des intérêts collectifs de tous les membres et réservistes de la GRC. Au contraire, la Commission estime que l’AMPMQ n’a pas établi les intérêts distincts des membres et des réservistes de la Division « C ».

288        L’AMPMQ se fonde sur plusieurs caractéristiques de la Division « C » pour étayer cet argument : soit la langue, la structure organisationnelle et la culture syndicale différente. Nous examinerons chacune de ces caractéristiques à tour de rôle.

v. La langue

289        La différence linguistique est un argument de taille. La province de Québec est la seule province canadienne où la langue officielle est le français, et où la langue de travail est majoritairement le français. Cependant, plusieurs facteurs jouent en sens inverse.

290        L’AMPMQ a cité la Cour suprême, au paragraphe 6 de l’arrêt APMO, qui relève le fait que l’AMPMQ « […] représente la majorité des membres de la Division « C » […] ». L’AMPMQ n’a pas ajouté, dans ses arguments, le reste de la phrase « de même que les membres francophones de l’ensemble du pays ». Dans ses arguments devant nous, l’AMPMQ ne prétend pas représenter les membres francophones, seulement les membres de la Division « C ». Pourtant, d’après les chiffres non contestés de l’employeur, 70 % des membres qui se déclarent francophones travaillent à l’extérieur du Québec. Si le fait français doit être défendu dans le contexte des relations de travail, il devra l’être dans le contexte de l’ensemble de l’organisation; le fait d’avoir une unité de négociation unique n’est pas une entrave à cette représentation, bien au contraire.

291        Le français est sans doute la langue de travail dans la majorité des détachements du Québec. Mais d’après la preuve, il est également une langue de travail dans certains détachements de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick. Par ailleurs, compte tenu de la fonction de police fédérale qu’exerce la Division « C », il est impératif pour les membres qui travaillent dans cette division d’être bilingues. La Commission accepte l’explication logique de l’employeur : la police fédérale, de par son mandat, doit nécessairement entretenir des liens étroits avec les juridictions anglophones avoisinantes, dans la lutte contre le crime organisé, le terrorisme ou le trafic des stupéfiants et dans le contrôle frontalier. La connaissance de l’anglais est donc essentielle à l’exercice des fonctions des membres et réservistes travaillant dans la Division « C », dont le mandat est exclusivement la police fédérale. Par conséquent, nous concluons que la langue n’est pas une caractéristique qui distingue la Division « C » par rapport aux autres membres réguliers et réservistes de la GRC.

vi. Structure organisationnelle

292        L’AMPMQ soutient que les intérêts de la Division « C », compte tenu de son mandat de police fédérale, ne seront pas défendus de façon adéquate dans le cadre d’une unité de négociation dont la vaste majorité des membres exercent leurs fonctions dans le cadre de contrats conclus avec les provinces, territoires et municipalités pour offrir des services de police locale, de première ligne.

293        L’AMPMQ n’a pas expliqué en quoi la situation de la Division « C » différait à cet égard de celle de la Division « O », soit la Division de l’Ontario. Celle-ci est également entièrement consacrée à la police fédérale. L’AMPMQ a tenté de mettre en lumière l’expertise particulière de la Division « C », mais cette preuve a été contredite de façon convaincante par les témoins de l’employeur. Il n’y a pas d’expertise particulière au Québec en matière de faillites, de contrefaçon ou d’organisation d’événements majeurs : ces réalités sont également présentes en Ontario et dans d’autres provinces du Canada. La Commission conclut que la Division « C » ne se distingue pas du reste de la GRC par son travail ou son organisation.

vii. Culture syndicale différente

294        L’AMPMQ a présenté des éléments de preuve du militantisme traditionnel de la Division « C », incarné par l’AMPMQ, qui se démarque de l’attitude des membres du reste du pays. La Commission accepte cette preuve, mais juge qu’elle n’est pas déterminante pour la question de la constitutionnalité de l’article 238.14. L’AMPMQ a mené une lutte pour ses membres, le fait est indéniable. Mais il faut reconnaître aussi que la victoire emportée devant la Cour suprême est l’œuvre de trois associations.

295        Il convient de noter que la composition de la Division « C » n’est pas chose statique. La preuve montre un changement annuel (arrivées et départs) se situant entre 7 % et 10 %. La mobilité des membres est une condition qui s’applique partout, et elle fait partie des conditions de travail, témoin l’engagement que doivent signer les recrues d’accepter les mutations selon les besoins opérationnels de la GRC. Cette mobilité des membres rend difficile l’évaluation de la volonté des membres de la Division « C ». L’AMPMQ n’a pas établi qu’à l’heure actuelle, la Division « C » a une culture différente de celle des membres réguliers et réservistes dans le reste du Canada.

296        De plus, la Commission est frappée par le nombre impressionnant de similitudes entre toutes les divisions de la GRC, y compris la Division « C ». Par exemple, les membres réguliers font partie du même groupe professionnel, ils ont le même régime de salaire et d’avantages sociaux, ils reçoivent la même formation au moment du recrutement, au même endroit, ils portent les mêmes uniformes, et ils ont les mêmes obligations de mutation.

297        Compte tenu des similitudes et de l’absence de distinctions, la Commission conclut que l’AMPMQ n’a pas établi que la Division « C » a des caractéristiques qui la distinguent des autres divisions de la GRC.

298        En dernier lieu, les objectifs du milieu de travail des membres de la Division « C » sont les mêmes que ceux des autres membres, ce qui a été confirmé dans les procédures devant comité parlementaire où l’AMPMQ a présenté des observations sur les dispositions législatives concernant les conditions de travail. Fait important, à ce moment-là, elle n’a pas soulevé l’unité de négociation unique en tant que question.

299        Nous estimons que l’article 238.14 n’entrave aucunement l’accès à une véritable négociation collective pour les membres et les réservistes, y compris ceux de la Division « C ». Nous avons constaté que la liberté de choix n’est pas absolue; les employés n’ont pas nécessairement leur mot à dire sur la composition de l’unité de négociation à laquelle ils appartiennent. Ils peuvent se prononcer à savoir qui les représentera, ici, par voie de scrutin. Nous concluons que cette situation n’est pas contraire à la liberté d’association dans le contexte des relations de travail, conformément aux décisions de la Cour suprême du Canada.

300        Nous retenons de l’arrêt APMO que la liberté de choix peut s’exercer dans le cadre d’une unité définie par la loi. La preuve présentée à l’audience ne nous convainc pas que les membres de la Division « C » ne pourront exercer leur liberté de choix dans l’exercice de la liberté d’association garantie par la Charte : ils peuvent voter, ils peuvent faire entendre leurs revendications à leurs représentants.

301        L’AMPMQ plaide au nom des membres de la Division « C » que leur situation minoritaire au sein d’une unité de négociation nationale les empêchera d’avoir accès à une véritable représentation. Cette situation minoritaire ne constitue pas en soi une entrave à la négociation collective; elle est en fait caractéristique du modèle Wagner, applicable à tous les agents négociateurs accrédités en vertu de la Loi, qui accorde la représentation exclusive à l’organisation qui représente la majorité des membres. La règle de la majorité n’a pas été jugée une entrave substantielle à l’exercice du droit protégé par l’alinéa 2d) de la Charte.

302        Nous concluons que l’article 238.14 ne constitue pas une entrave substantielle à la négociation collective, et donc ne porte pas atteinte à la liberté d’association garantie à l’article 2d) de la Charte.

b) S’il y a atteinte à la liberté d’association garantie à l’article 2d) de la Charte, celle-ci est-elle justifiable au sens de l’article 1 de la Charte?

303        Nous avons conclu que l’article 238.14 ne viole pas la protection assurée par l’alinéa 2d) de la Charte. Toutefois, si nous sommes dans l’erreur, et que l’imposition d’une unité de négociation nationale ne respecte pas les paramètres de la liberté d’association, nous sommes d’avis que cette violation peut se justifier au regard de l’article 1 de la Charte.

304        Dans l’arrêt APMO, la Cour suprême a énoncé les points principaux d’une analyse de l’article premier de la Charte, surtout dans le contexte de la GRC :

[139] L’article premier de la Charte permet au législateur d’adopter des lois qui restreignent les droits garantis par la Charte s’il est établi que les limites imposées sont des limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cette procédure de justification exige que l’objectif de la mesure soit urgent et réel et que le moyen choisi pour l’atteindre soit proportionné à cet objectif, c.-à-d. qu’il possède un lien rationnel avec l’objet de la loi, qu’il porte le moins possible atteinte au droit garanti par l’al. 2d) et qu’il soit proportionné sur le plan de ses effets (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Health Services, par. 137-139). La partie qui défend la validité de la mesure restreignant un droit protégé par la Charte doit établir qu’elle est justifiée, suivant la prépondérance des probabilités (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 137-138 (« RJR-MacDonald (1995) »). []

[140] Comme nous l’avons vu précédemment, l’al. 2d) accorde au législateur une grande latitude dans l’établissement d’un régime de négociation collective qui satisfait aux exigences spéciales de la GRC. En outre, l’article premier accorde à celui-ci une marge de manœuvre additionnelle qui lui permet d’établir un régime de relations de travail pour atteindre des objectifs urgents et réels, dans la mesure, toutefois, où il peut démontrer que ces objectifs sont justifiés.

305        La Commission est d’avis que la cohésion de la GRC est un objectif urgent et réel. Les membres de l’organisation font partie d’un tout, ils sont souvent déployés hors de leur zone d’affectation, la mobilité est encouragée et nécessaire aux opérations de la GRC, comme le souligne l’article 238.05, reproduit plus haut. Le fait que les membres sont appelés à être postés partout au Canada, comme condition de leur emploi, est un argument important pour justifier l’unité unique.

306        Une fois établi qu’il est important d’uniformiser les conditions de travail à l’échelle du pays, il en découle logiquement qu’il y a un lien rationnel entre les objectifs du gouvernement et la désignation d’une unité de négociation nationale pour la GRC. L’employeur a pris le soin de démontrer dans sa preuve que cela ne signifie pas qu’il soit impossible de prévoir dans les négociations des arrangements ponctuels et ciblés pour tenir compte des réalités régionales, selon le cas. Il semble toutefois préférable, pour assurer la cohésion, d’avoir un cadre unique de négociation.

307        La Commission conclut que l’atteinte à la liberté d’association est minimale. Dans l’arrêt APMO, la Cour suprême déclare qu’en établissant si une atteinte est minimale, « le gouvernement n’est pas tenu de recourir au moyen le moins attentatoire possible pour réaliser son objectif, mais celui qu’il choisit doit se situer à l’intérieur d’une gamme de mesures alternatives raisonnables » (au paragraphe149). La Cour suprême cite le paragraphe 160 de l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199 :

La restriction doit être "minimale", c'est-à-dire que la loi doit être soigneusement adaptée de façon à ce que l'atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire. Le processus d'adaptation est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Si la loi se situe à l'intérieur d'une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu'elle a une portée trop générale simplement parce qu'ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l'objectif et à la violation; [références omises]. Par contre, si le gouvernement omet d'expliquer pourquoi il n'a pas choisi une mesure beaucoup moins attentatoire et tout aussi efficace, la loi peut être déclarée non valide.

308        Dans l’arrêt B.C. Health Services, au paragraphe 157, la Cour suprême élabore davantage sur les éléments de l’analyse :

Le législateur n'est pas tenu de consulter les parties visées avant d'adopter une mesure législative. Par contre, il peut être utile de se demander, dans le cadre de l'analyse de la justification fondée sur l'article premier, si le gouvernement a envisagé d'autres solutions ou consulté les parties visées, en choisissant d'adopter la méthode qu'il privilégiait. Par le passé, la Cour a déjà examiné ce genre de facteurs prélégislatifs dans le contexte de l'étude de l'atteinte minimale. Ce type de preuve permet tout simplement d'étudier quelles options à l'intérieur d'une gamme de choix possibles ont été prises en considération.

309        La Commission a reçu en preuve un document intitulé « Un nouveau régime de relations de travail pour la Gendarmerie royale du Canada ». Ce document est le produit d’une consultation lancée par le gouvernement « afin de recueillir le point de vue des membres au sujet de certaines options à leur disposition ». Les consultations comprenaient un sondage, des assemblées publiques, des vidéoconférences et des téléconférences.

310        Concernant la question de l’unité de négociation habile à négocier collectivement, le gouvernement a recherché l’opinion des membres concernant les deux options possibles : l’unique unité nationale habile à négocier collectivement, ou plusieurs unités qui pourraient être divisées par province ou par région. La majorité des membres qui ont répondu au sondage ont préféré une unique unité nationale. La majorité des membres de la Division « C » qui ont répondu au sondage ont aussi préféré une seule unité nationale.

311        La Commission conclut que le législateur a considéré les deux options possibles. Il a tenu compte des résultats des consultations avec les membres de la GRC. La détermination d’une seule unité de négociation nationale est une mesure raisonnable pour atteindre l’objectif de la cohésion de la GRC. De plus, le régime créé par la Loi permet aux membres de choisir leur agent négociateur, et de faire part à leurs représentants de leurs intérêts dans la négociation. Il convient de signaler que même si la Commission avait gardé sa discrétion, la détermination de l’unité de négociation habile à négocier ne reviendrait ni aux membres ni aux agents négociateurs.

312        Enfin, nous sommes d’avis que l’effet bénéfique l’emporte sur l’effet néfaste. On prive les membres de la Division « C » d’une possibilité de plaider à la Commission en faveur d’une unité de négociation qui leur est propre, mais ils sont membres d’une unité de négociation, avec des intérêts communs, dont l’agent négociateur pourra mieux faire face à l’employeur, ayant la force du nombre et l’apanage de la représentation de tous les membres. L’unité unique évite les conflits entre les régions.

313        La Commission considère donc que la mesure est raisonnable et acceptable, et qu’elle est proportionnelle à l’objectif visé, soit la cohésion afin d’assurer un régime de travail véritablement national, dans la perspective d’un corps policier caractérisé entre autres par la mobilité de ses membres.

V. Conclusion

314        Compte tenu de la preuve à l’audience, la Commission n’est pas convaincue que la Division « C » constitue un groupe tellement distinct que ses intérêts ne pourront être représentés dans le cadre d’une unité nationale de négociation. Le travail des membres de la Division « C » est exactement le même que celui des membres de la Division « O ». Les services de police fédérale sont offerts par toutes les divisions. Par ailleurs, la mobilité des membres fait en sorte qu’il n’est pas déraisonnable d’assurer l’uniformité des conditions de travail dans le cadre de la négociation collective. Enfin, l’argument de la langue ne tient pas vu la réalité de la GRC : plus de 70 % des francophones travaillent à l’extérieur du Québec.

315        Il est difficile de ne pas voir la lutte de l’AMPMQ pour être reconnue comme porte-parole de la Division « C » comme une lutte historique, qu’il convient de saluer avec respect. N’eut été des efforts de l’AMPMQ, joints à ceux de l’APMO et de la British Columbia Mounted Police Professional Association, les membres réguliers et les réservistes de la GRC ne jouiraient pas aujourd’hui du droit à la négociation collective que la Cour suprême du Canada leur a reconnu. Mais cette lutte historique ne mène pas à une déclaration que l’article 238.14 est inconstitutionnel.

316        La Loi actuelle assure aux membres réguliers et aux réservistes la possibilité de se regrouper, sans ingérence de l’employeur, pour faire valoir leurs revendications dans le cadre de négociations collectives. Ils auront l’occasion de participer activement dans le choix des objectifs collectifs, dans le cadre d’un « […] régime qui oblige les représentants à rendre compte aux employés qui les ont choisis » (APMO, au paragraphe 87). C’est ce que protège l’alinéa 2d) de la Charte, d’après l’interprétation donnée par la Cour suprême dans l’arrêt APMO.

317        Par conséquent, la requête pour une déclaration que l’article 238.14 est inopérant pour des motifs constitutionnels est rejetée. La demande d’accréditation de l’AMPMQ est rejetée. La Commission poursuit la demande d’accréditation de la FPN qui avait été suspendue dans l’Ordonnance de 2018.

318        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

319        La requête pour une déclaration que l’article 238.14 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral est inopérant parce qu’incompatible avec la Constitution est rejetée.

320        La demande d’accréditation de l’AMPMQ est rejetée.

321        La Commission met fin au sursis de procédure ordonné le 17 avril 2018 dans la décision Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor du Canada, 2018 CRTESPF 31. Le scrutin tenu du 21 novembre au 20 décembre 2018, dans le cadre de la demande d’accréditation de la Fédération de la police nationale, sera maintenant dépouillé.

Le 11 juillet, 2019.

Catherine Ebbs, Steven B. Katkin et Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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