Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a présenté un grief à l’encontre de la décision de son employeur de ne pas lui verser son salaire à compter de la date à laquelle son médecin l’avait déclarée apte à retourner au travail dans un établissement autre que celui de son poste d’attache – l’employeur a soulevé une objection à savoir que le grief avait été présenté tardivement au premier palier de la procédure applicable aux griefs individuels – la Commission a conclu que l’employeur était réputé avoir renoncé au délai de présentation, parce qu’il ne s’était pas conformé aux exigences des articles 72 et 95 du Règlement – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait présenté une preuve prima facie de discrimination fondée sur une incapacité – la Commission a aussi conclu que l’employeur n’avait pas établi qu’il avait pris à l’égard de la fonctionnaire s’estimant lésée des mesures d’adaptation raisonnables – la Commission a ordonné à l’employeur de rembourser à la fonctionnaire s’estimant lésée tout salaire échu depuis la date à laquelle elle était apte à retourner au travail – la Commission a aussi ordonné le paiement d’une indemnité au titre d’un préjudice moral.


Objection rejetée.

Contenu de la décision

Date:  20190705

Dossier:  566-02-10939

Référence:  2019 CRTESPF 66

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

ENTRE

Marie-Christine Emard

fonctionnaire s’estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié

Emard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant :  Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée :  Olivier Rousseau, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels canadiens - CSN

Pour l'employeur :  Cristina St-Amant-Roy, avocate

Affaire entendue à Montréal (Québec),

du 25 au 28 septembre 2018 et du 20 au 22 février 2019.


motifs de décision

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

[1]  Marie-Christine Emard, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a renvoyé à l’arbitrage un grief portant sur la discrimination dont elle aurait été victime en raison du défaut de son employeur de faciliter son retour au travail dans un délai raisonnable. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 13 mars 2015 à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui porte depuis le 19 juin 2017 le nom de Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

[2]  La fonctionnaire est agente correctionnelle (groupe et niveau CX-02) au Service correctionnel du Canada (SCC). L’employeur de la fonctionnaire est légalement le Conseil du Trésor, avec qui son agent négociateur, l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels canadiens - CSN (UCCO-SACC-CSN) a conclu une convention collective dont la date d’échéance était le 31 mai 2014. Dans la présente décision, le terme « employeur » fait référence au SCC, où travaille la fonctionnaire.

[3]  Le grief de la fonctionnaire, déposé le 1er octobre 2014, se lit en partie comme suit :

[…]

Je conteste la décision de l’employeur de ne pas prendre les mesures nécessaires afin de m’accommoder en raison de mon incapacité physique, de créer un délai déraisonnable afin de m’octroyer un poste indéterminé et de ne pas me fournir mes uniformes de travail et ce, contrairement à l’art. 37 de la Convention collective et à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le 30 mai 2014, le représentant syndical Luc Tessier (qui est aussi membre du comité PRT [Programme de retour au travail] de l’Établissement) a fait parvenir à l’employeur, par courriel et en mon nom, les informations sur mes limitations et la date de mon retour en PRT du 2 juin. Le billet médical confirmait que j’étais apte à retourner au travail avec certains accommodements, dont la nécessité de travailler ailleurs qu’à l’Établissement Drummond ainsi qu’un retour progressif.

L’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour m’accommoder. L’employeur a commencé à verser mon salaire seulement en date du 28 juillet 2014, sans pour autant m’octroyer un poste. Par ailleurs, le 27 août 2014, l’employeur a confirmé son intention (téléphone Olivier Rousseau / Renée-Claude Côté) de ne pas me rémunérer rétroactivement pour la période du 2 juin au 27 juillet 2014.

L’employeur avait aussi reçu un billet médical pour préparer mon retour au travail en PRT de mon médecin en avril 2014.

[…]

[4]  La fonctionnaire termine son grief en demandant une déclaration que l’employeur a agi de façon discriminatoire en ne lui fournissant pas une mesure d’adaptation dès le 2 juin 2014, et en réclamant le salaire et les avantages sociaux du 2 juin au 27 juillet 2014, ainsi qu’une indemnité au montant de 5 000 $ pour préjudice moral, le tout avec intérêts au taux légal.

[5]  Pour les motifs qui suivent, le grief est accueilli.

II. Résumé de la preuve

[6]  La fonctionnaire a témoigné, et a cité à témoigner Éric Thibault, président régional (région du Québec) UCCO-SACC-CSN (de 2013 à 2016), Suzanne Robitaille, gestionnaire des relations de travail au SCC, Renée-Claude Côté, conseillère régionale du SCC pour le programme de retour au travail (PRT), et Luc Tessier, coordonnateur syndical du programme de santé et sécurité au travail et pour le PRT. L’employeur a cité à témoigner Suzanne Legault, sous-directrice puis directrice intérimaire de l’Établissement Drummond (de 2010 à 2016), Annie Fontaine, gestionnaire correctionnelle à l’Établissement Drummond, Pierre-Luc Lauzon, sous-directeur intérimaire à l’Établissement Drummond (2014), Francis Anctil, sous‑directeur intérimaire à l’Établissement Drummond (2014), François Luneau, directeur adjoint aux opérations (DAO) au Centre de formation fédéral (CFF) (2014) et Édith Brouillard, directrice adjointe aux services de gestion à l’Établissement Drummond (2014).

[7]  La fonctionnaire était une agente correctionnelle (poste classifié au groupe et au niveau CX-02) à l’Établissement Drummond, à Drummondville (Québec). Elle subit un accident au travail et s’absente du travail à partir de mai 2011. En août 2011, la fonctionnaire est victime d’un acte criminel grave. De juin à août 2011, elle reçoit des prestations de la Commission de la santé et de la sécurité au travail du Québec (CSST), maintenant la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CNESST). Son salaire à partir d’août 2011 est versé par le système d’Indemnisation des victimes d’actes criminels du Québec (IVAC).

[8]  Dès l’automne 2013, la fonctionnaire commence à envisager un retour au travail. Elle en parle avec sa gestionnaire, Annie Fontaine, qui l’appuie dans cette démarche. En raison du traumatisme de l’acte criminel, la fonctionnaire ne peut plus vivre à Drummondville. Les intervenants qui l’aident (psychoéducatrice et psychiatre) lui conseillent de déménager. Elle a aussi l’appui de M. Tessier, coordonnateur régional d’UCCO-SACC-CSN, qui connait bien le programme de retour au travail de l’employeur. La fonctionnaire n’a pas accès au système de l’employeur, puisqu’elle est en congé, mais elle demande à ses collègues d’effectuer pour elle une demande de mutation dès le 30 octobre 2013. À la fin de décembre 2013, la fonctionnaire achète une maison au nord de Montréal, dans l’espoir de travailler à l’Établissement Archambault à Sainte-Anne-des‑‑plaines, un établissement à sécurité minimale, ou au CFF à Laval. Cela lui conviendrait mieux, compte tenu des traumatismes qu’elle a vécus.

[9]  Le 27 février 2014, le gestionnaire des opérations à l’Établissement Archambault lui demande de confirmer si elle est toujours intéressée à se faire muter dans cet établissement. Le 2 mars 2014, elle confirme son intérêt pour la mutation. La mutation ne peut se faire, toutefois, avant un retour au travail certifié par son médecin traitant.

[10]  Le 25 mars 2014, son psychiatre traitant signe un billet qui comprend le passage suivant :

[…] Envisageons RAT [retour au travail] progressif en milieu carcéral d’ici 1-2 mois. Recommandons transfert de milieu pour éviter retour à Drummondville (trop de souvenirs rattachés) – RAT progressif probablement sur 6 mois sans contact détenus [sic] au départ – réévaluation prévue selon expertise psychiatrique à venir en avril.

[11]  Le 29 mai 2014, son médecin la déclare apte à retourner au travail, le 2 juin 2014, avec les restrictions suivantes :

• Pas de retour à Drummondville

• 3 jours par semaine non consécutifs (lundi, mercredi, vendredi)

• Pas de travail de soir ou de nuit pour l’instant (à réévaluer dans 1 mois);

• Aucune intervention avec les détenus et pas de port d’arme (à réévaluer dans 1 mois).

[12]  Le billet se termine sur la phrase suivante : « Nous envisageons un retour à ses fonctions habituelles complètes d’ici 6 mois maximum si tout se passe bien. »

[13]  L’IVAC annonce à la fonctionnaire, dans une lettre datée du 23 mai 2014, que le versement de ses indemnités cessera le 29 mai 2014 puisqu’elle est désormais apte au travail. L’IVAC avait déjà communiqué avec la fonctionnaire pour lui communiquer cette nouvelle dès le début mai. Elle communique avec sa gestionnaire et avec Luc Tessier, le coordonnateur syndical pour le retour au travail.

[14]  Malgré des contacts avec sa gestionnaire dès le début mai pour dire qu’elle reviendra au travail à la fin mai, il n’y a pas de suivi de la part de l’employeur.

[15]  M. Thibault, représentant syndical régional, a déclaré lors de son témoignage qu’il était en contact en juin et juillet avec le niveau régional du SCC pour tenter de rétablir le salaire de la fonctionnaire. Le problème semblait être que le poste d’attache de la fonctionnaire demeurait à l’Établissement Drummond, dans l’attente d’une mutation. Il était clair d’après le certificat médical que la fonctionnaire ne pouvait retourner à l’Établissement Drummond.

[16]  Dès le début de juin 2014, M. Tessier demande à la direction de l’Établissement Drummond de rémunérer la fonctionnaire, en attendant sa mutation, qui est une condition médicale. Il parle des possibilités d’emploi à l’Établissement Archambault. Dans un courriel daté du 2 juin 2014, Mme Brouillard écrit qu’il sera difficile de faire un PRT « puisqu’elle ne peut travailler à l’Établissement Drummond ».

[17]  Le 7 juillet 2014, M. Tessier réitère ses demandes au nom de la fonctionnaire en s’adressant à Mme Brouillard.

[18]  Mme Côté travaillait pour le SCC à titre de conseillère régionale pour le PRT. Elle s’est occupée du dossier de la fonctionnaire à partir du 2 juin 2014, date à laquelle la fonctionnaire était apte au travail d’après son médecin. Elle avait vu un billet quelques mois auparavant (billet du 25 mars 2014) qui annonçait un retour imminent. Elle a fait des démarches pour trouver un poste dans un établissement à sécurité minimale, notamment à l’Établissement Archambault et au CFF.

[19]  Mme Côté a témoigné qu’elle avait vérifié si des postes étaient disponibles dès le 31 mai 2014, mais que le SCC a demandé la mutation en juillet 2014. Entre-temps, elle a pris des vacances, et elle a échangé avec le DAO de l’Établissement Archambault, selon lequel il y a certaines réticences à accueillir la fonctionnaire en raison des mesures d’adaptation. Mme Côté a expliqué qu’on procédait un établissement à la fois pour une mutation, et que par conséquent, elle n’a parlé aux autorités du CFF que vers le 17 juillet.

[20]  Elle a également expliqué que le fait de rémunérer la fonctionnaire ne dépendait pas d’elle, mais de l’établissement d’attache, qui était encore l’Établissement Drummond. Elle aurait sûrement conseillé à la direction de rétablir le salaire de la fonctionnaire, mais ce n’était pas sa décision.

[21]  Mme Côté a indiqué qu’il est toujours difficile d’organiser le retour au travail d’un employé qui ne pourra revenir dans son poste d’attache. Un certain temps de préparation est nécessaire pour offrir un accommodement raisonnable.

[22]  Mme Brouillard était la représentante de l’employeur au sein du comité PRT. M. Tessier a témoigné que les communications avec elle étaient difficiles.

[23]  Le 7 juillet 2014 Mme Brouillard a communiqué avec Manon Houle, conseillère principale du SCC en relations de travail pour la région du Québec, pour savoir où en était le dossier de la fonctionnaire. Mme Brouillard indique dans son courriel qu’elle ne pense pas qu’il soit possible d’agir localement pour la fonctionnaire.

[24]  Mme Brouillard a témoigné à l’audience. Elle était en 2014 directrice adjointe aux services de gestion à l’Établissement Drummond. Elle faisait partie du PRT, mais pour le cas de la fonctionnaire, son rôle était de faire le lien avec le bureau régional, puisque le certificat médical du 29 mai indiquait que la fonctionnaire ne pouvait revenir à l’Établissement Drummond. Elle a communiqué avec Mme Côté, puis elle a attendu une réponse.

[25]  On a posé des questions à Mme Brouillard au sujet d’un courriel envoyé par une conseillère en réadaptation de l’IVAC. Le courriel, daté du 30 avril 2014, est adressé à M. Tessier, Mme Fontaine et Mme Brouillard. Il s’intitule : « Dossier retour au travail », et se lit comme suit :

Bonjour,

Je suis la conseillère en réadaptation qui gère le dossier de Mme Marie-Christine Emard. J’aimerais discuter des différentes options de retour au travail pour Mme Emard en fonction du mandat de l’IVAC. Nous avons reçu les résultats d’une expertise qui déclare qu’elle est apte au retour au travail. J’ai envoyée [sic] par télécopie le 7 avril dernier un rapport médical signé par son médecin traitant mais je crois que vous l’avez pas reçu.

Je suis disponible par téléphone pour discuter de la situation et éventuellement, pour vous rencontrer.

[…]

[26]  Mme Brouillard a déclaré lors de son témoignage qu’elle ne considérait pas que ce courriel lui était adressé, mais plutôt qu’il était adressé à Mme Fontaine, la gestionnaire immédiate de la fonctionnaire, et à M. Tessier, qui s’occupait du dossier de la fonctionnaire pour le syndicat. Selon Mme Brouillard, elle n’était pas concernée.

[27]  L’employeur a déposé en preuve un tableau qui fait état des congés de plus de 30 jours, dans le cadre du PRT, dont Mme Brouillard s’occupe, pour la période du 1er avril au 30 juin 2014. Dans la section « commentaires » on lit, pour la fonctionnaire, ce qui suit :

La gestionnaire a effectué plusieurs tentatives pour entrer en contact avec l’employée, mais sans succès, elle ne retourne jamais nos appels et nous n’avons aucun certificat médical depuis août 2013. L’employée est déclarée apte au travail depuis le 2 uin [sic] avec des limitations qui font en sorte qu’elle ne peut pas travailler à l’Établissement Drummond et aucune intervention avec les détenus pour 6 mois. Des démarches ont été entreprises avec l’AR pour la muter vers un autre établissement à sa demande.

[28]  Il n’était pas clair à partir du témoignage de Mme Brouillard qui était « la gestionnaire » en question. Mme Fontaine, la superviseure immédiate de la fonctionnaire, a témoigné qu’elle n’avait pas de difficulté à communiquer avec la fonctionnaire, comme en font foi les nombreux échanges de courriels entre elles qui ont été déposés en preuve. Mme Fontaine avait compris que la réintégration devait se faire en consultation avec le niveau régional, puisque la fonctionnaire ne pouvait revenir à l’Établissement Drummond.

[29]  Mme Brouillard a communiqué avec Mme Houle le 7 juillet pour dire qu’elle n’avait pas de réponse de Mme Côté à propos du dossier de Mme Emard.

[30]  Mme Houle a répondu le 8 juillet qu’on attendait des nouvelles de l’Établissement Archambault. Mme Côté était au courant au moins depuis le mois d’avril 2014 de la demande de mutation de la fonctionnaire.

[31]  D’après un courriel de Mme Brouillard du 15 juillet 2014, la direction de l’Établissement Drummond n’était pas d’accord pour rémunérer la fonctionnaire pour du travail qu’elle n’avait pas accompli.

[…]

Après discussion avec la Directrice ce matin, nous ne sommes pas d’accord à rémunérer l’employée pour du travail qu’elle n’a pas accompli. Dès que vous aurez un retour à savoir si l’employée peut être formée à partir du Collège étant donné la restriction médicale de ne pas travailler à l’Établissement Drummond, elle pourrait alors être rémunérée pour les 3 jours/semaine dès qu’elle sera au Collège. Nous savons qu’elle habitue [sic] près de Laval, […].

[32]  Dans une lettre datée du 15 juillet 2014, le sous-directeur intérimaire de l’Établissement Drummond, M. Anctil, demande au médecin traitant de préciser les limitations fonctionnelles de la fonctionnaire au regard du certificat médical du 29 mai 2014. La lettre se lit comme suit :

[…]

La présente fait suite au certificat médical que vous avez émis le 29 mai 2014 concernant votre patiente susmentionnée. Afin de permettre à l’employeur d’envisager toutes les options possibles dans le cadre du retour au travail, et ce, tenant compte également des besoins et du contexte organisationnel actuel, serait-ce possible d’obtenir des clarifications à l’égard des points suivants :

Le billet médical indique « Je certifie que Marie‑Christine  est apte au retour au travail en milieu carcéral à partir du 2 juin 2014 avec les restrictions suivantes : Pas de retour à Drummonville; 3 jours par semaine non consécutifs (lundi, mercredi, vendredi); Pas de travail de soir ou de nuit pour l’instant (à réévaluer dans 1 mois); aucune intervention avec les détenus et pas de port d’arme (à réévaluer dans 1 mois) ». Nous aimerions obtenir des précisions concernant les points suivants :

• Est-ce que Mme Emard a des limitations fonctionnelles en regard du lieu de travail considérant que le billet médical cible Drummonville?

• S’il s’agit de l’établissement Drummond, quelles sont les limitations fonctionnelles considérant que vous n’excluez pas les autres pénitenciers de la région du Québec?

• Est-ce qu’il s’agit de limitations fonctionnelles temporaires ou permanentes?

• S’il s’agit de limitations temporaires, quelle est la durée de celles-ci et/ou à quelle date ces limitations seront réévaluées?

• Concernant l’horaire à 3 jours par semaine, s’agit-il d’un horaire fixe pour les 6 prochains mois?

Mme Emard est absente du travail depuis le 25 avril 2012 et la clarification des limitations fonctionnelles est nécessaire afin d’évaluer la capacité de l’employée à effectuer toutes les tâches de son poste d’agente de correction II. Vous trouverez à cet effet, une copie de la description de travail. Afin d’accélérer la transmission de l’information et ainsi favoriser un retour au travail dans les meilleurs délais, pourriez-vous nous transmettre votre retour de correspondance par télécopieur au numéro indiqué ci-dessous.

[…]

[33]  M. Anctil a expliqué à l’audience que l’interdiction du retour à l’Établissement Drummond dans le certificat médical du 29 mai 2014 n’était pas claire. L’employeur devait comprendre quels étaient les obstacles à l’Établissement Drummond – d’une part pour assurer le succès d’un retour au travail même dans un autre établissement, d’autre part pour vérifier s’il ne serait pas possible de faire des modifications afin de permettre un retour à l’Établissement Drummond. Il ne savait pas pourquoi la demande de clarification avait tardé pour n’être faite que le 15 juillet 2014, alors que l’employeur avait reçu le certificat médical au plus tard le 2 juin.

[34]  M. Anctil se rappelait avoir parlé avec le sous-directeur du CFF au sujet d’un transfert de la fonctionnaire, en commençant par un détachement pour ensuite procéder à une mutation. Les discussions ont eu lieu fin juillet, et les clarifications du médecin ont été envoyées au CFF le 22 août; le détachement a alors été conclu.

[35]  Mme Legault était pendant cette période la directrice intérimaire de l’Établissement Drummond. Elle a témoigné qu’elle était au courant dès le début juin 2014 que la fonctionnaire était apte à retourner au travail, mais que celle-ci ne pouvait revenir à l’Établissement Drummond. Elle était la directrice dans le courriel adressé par Mme Brouillard le 15 juillet 2014 à Mme Robitaille et Mme Côté, qui confirme que la direction de l’Établissement Drummond ne veut pas rémunérer la fonctionnaire si elle ne travaille pas.

[36]  Malgré ce courriel, Mme Legault a signé le 25 juillet 2014 une note adressée à la Rémunération pour indiquer le retour au travail de la fonctionnaire le 28 juillet 2014, avec un PRT. Au cours de son interrogatoire et contre-interrogatoire, il est devenu clair que la fonctionnaire n’avait pas travaillé à l’Établissement Drummond à partir du 28 juillet, mais que son salaire était payé. À l’audience, Mme Legault ne pouvait expliquer pourquoi la rémunération avait débuté le 28 juillet plutôt que le 2 juin. Elle ne pouvait expliquer non plus la nécessité de demander une clarification au médecin. Cette demande de clarification n’a pas joué un rôle pour elle, puisqu’elle a décidé de rétablir la paie de la fonctionnaire le 25 juillet, bien avant qu’on reçoive une réponse du médecin le 22 août. Le salaire a commencé à être versé le 28 juillet 2014, mais selon le témoignage de la fonctionnaire, elle n’a commencé à le recevoir qu’à la fin août.

[37]  Mme Legault a signé une convention de détachement avec le CFF, le détachement commençant le 27 août 2014. La convention prévoyait que l’établissement d’attache, l’Établissement Drummond, continuerait de verser le salaire de la fonctionnaire.

[38]  Par ailleurs, Mme Legault a déclaré lors de son témoignage qu’elle n’avait pas été vraiment engagée dans le dossier de la fonctionnaire, mais simplement informée, par exemple, de la démarche de clarification effectuée par M. Anctil et des démarches pour placer la fonctionnaire dans un autre établissement. Puisque la fonctionnaire ne pouvait revenir à l’Établissement Drummond, les démarches devaient se faire au niveau régional.

[39]  Le 22 août 2014, le médecin traitant de la fonctionnaire répond comme suit à la demande de clarification du 15 juillet 2014 :

[…]

Pour faire suite à votre lettre du 15 juillet, voici mes recommandations concernant Madame Emard :

Cette dernière ne devrait pas retourner travailler au pénitencier de Drummonville étant donné les événements antérieurs qui s’y sont produits. Elle devrait donc être relocalisée dans un autre pénitencier dans la mesure du possible.

Les limitations fonctionnelles émises sur mon certificat médical datant du 29 mai 2014 s’appliquent aux autres pénitenciers. Je ne peux ajouter de limitations fonctionnelles pour Drummondville car elle ne devrait pas y retourner du tout.

Les limitations émises sont temporaires et le retour au travail débute par 3 jours/sem avec augmentation progressive au cours des 6 prochains mois jusqu’à un retour à temps plein et à toutes ses tâches habituelles sans restriction d’ici environ 6 mois.

[…]

[40]  Vers le 24 ou 25 août 2014, Marie-Renée Côté, gestionnaire à l’Établissement Montée Saint-François (qui comprend le CFF), téléphone à la fonctionnaire, lui demandant si elle est toujours intéressée par un détachement. La fonctionnaire répond par l’affirmative, et elle retourne au travail dès le 27 août 2014, au moyen d’une convention de détachement. Son poste d’attache est toujours l’Établissement Drummond, mais elle est détachée au CFF, en attendant un poste permanent. Elle est mutée de façon définitive le 6 octobre 2014, mais n’en a la confirmation par lettre que le 26 novembre 2014. La lettre comprend le paragraphe suivant :

Le Service Correctionnel Canada accepte de vous fournir de l’aide à la réinstallation jusqu’à un maximum de 5 000$, conformément au paragraphe 12.1.2.b et aux dispositions de la Directive sur la réinstallation du Conseil national mixte que vous pouvez consulter au lien internet suivant : […].

[41]  Par contre, dans la convention de détachement qui a précédé la lettre de mutation, le raisonnement de l’employeur est que la fonctionnaire n’aura pas droit à un remboursement pour frais de déplacement ou de repas. La convention de détachement comprend le passage suivant :

Dans le cadre d’un PRT, l’employée est habilitée à réintégrer le milieu de travail, mais non pas à l’emplacement de son po[s]te d’attache. Afin de respecter ses limitations fonctionnelles temporaires, l’employée sera affectée à des tâches administratives, jusqu’à ce qu’elle obtienne un billet médical confirmant qu’elle est apte à occuper ces [sic] fonctions de CX.

L’établissement Drummond continuera d’assumer le salaire de l’employée durant son affectation. Considérant qu’il s’agit de [sic] mesure d’adaptation à la demande de l’employée et que celle-ci sera plus près de son domicile en travaillant au CFF, aucun frais de déplacement ni de repas ne seront remboursés.

[42]  Le même raisonnement s’appliquera aux frais de réinstallation, puisqu’en fin de compte, l’employeur a conclu que la fonctionnaire n’avait pas droit à des frais de réinstallation, car elle avait déjà déménagé, pour des raisons personnelles. L’emploi au CFF suivait son déménagement dans la région avoisinante, et non l’inverse.

[43]  M. Luneau, qui en 2014 était directeur adjoint aux opérations au CFF, ne pouvait expliquer la contradiction entre la lettre de mutation et la convention de détachement. À son avis, l’employeur avait suivi la directive sur la réinstallation; il n’en savait pas plus.

[44]  Somme toute, la fonctionnaire a trouvé sa réintégration au travail très difficile et très stressante. Pendant juin et juillet 2014, elle était sans salaire et sans travail. À partir de la fin de juillet 2014, Mme Legault a décidé de lui verser un salaire, mais elle n’avait toujours pas de poste. Ce n’est qu’à la fin août qu’elle est retournée au travail. Certaines personnes l’ont beaucoup aidée, notamment M. Tessier, en tant que coordonnateur syndical régional du PRT, ainsi que sa gestionnaire immédiate à l’Établissement Drummond, Mme Fontaine. Par contre, les instances décisionnelles ont été plus lentes à agir.

[45]  La mutation permanente au CFF se fait le 6 octobre 2014, à la suite d’un certificat médical daté du 16 septembre 2014, où le médecin de famille de la fonctionnaire indique que celle-ci peut retourner au travail à temps plein à compter du 22 septembre. Le contact avec les détenus est alors permis, ainsi que le port de l’uniforme et le travail de soir, mais non de nuit. Cependant, la lettre qui confirme la mutation permanente est datée du 26 novembre 2014. La fonctionnaire était déjà dans le poste, mais la confirmation de la mutation a considérablement tardé.

[46]  À partir du 16 septembre 2014, selon la note de son médecin, la fonctionnaire pouvait de nouveau porter l’uniforme. Elle a commandé de nouveaux uniformes, et les a reçus au mois de novembre.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire

[47]  L’employeur a indiqué dans ses réponses au grief, et dans sa déclaration d’ouverture, qu’il considère que le grief est hors délai. Le grief a été déposé le 1er octobre 2014. Il est hors délai, selon l’employeur, parce qu’il conteste la non-rémunération à partir du 2 juin. Toutefois, soutient la fonctionnaire, la réponse finale de l’employeur au sujet de la non-rémunération de la fonctionnaire date du 27 août 2014, quand l’employeur a confirmé au syndicat qu’il ne paierait pas le salaire du 2 juin au 28 juillet. Le grief est fondé sur le refus de l’employeur, et est donc dans les délais.

[48]  Selon la fonctionnaire, la discrimination prima facie est établie dans le présent dossier, et l’employeur n’a pas fait la preuve de mesures d’adaptation raisonnables.

[49]  Les trois éléments nécessaires pour conclure à la discrimination prima facie sont présents : la fonctionnaire fait partie d’un groupe protégé par la Loi canadienne sur les droits de la personne, (L.R.C. (1985), ch. H-6, (LCDP)), soit le groupe des personnes ayant une invalidité; elle a subi un traitement défavorable, soit une réintégration ralentie; le lien entre les deux est l’exigence d’un poste autre que son poste d’attache, ce qui retarde le processus de retour au travail, mais qui est une raison médicale liée à son invalidité.

[50]  La lenteur à réintégrer la fonctionnaire était justifiée, d’après l’employeur, par la nécessité d’avoir plus de précisions sur les limitations fonctionnelles afin de pouvoir réintégrer la fonctionnaire avec succès. Pourtant, on a fini par payer la fonctionnaire avant d’avoir des clarifications du médecin. Il semble y a voir un flou chez l’employeur à savoir qui au juste est responsable du retour au travail de la fonctionnaire.

[51]  L’employeur a dit qu’il fallait trouver un poste; pourtant, des offres de mutation ont été faites avant que la fonctionnaire obtienne son certificat d’aptitude. Mme Côté a parlé de réticences, pourtant, des offres avaient été faites.

[52]  M. Anctil a parlé de formations, pourtant M. Luneau ne voyait pas d’obstacles à intégrer la fonctionnaire avant qu’elle complète ses formations. Certains témoins de l’employeur ont dit que la fonctionnaire était difficile à joindre, pourtant Mme Fontaine et M. Tessier ont eu des rapports suivis et continus avec elle.

[53]  La demande de clarification faite au médecin le 15 juillet semble un obstacle. La demande de mutation procédait, et la direction de l’Établissement Drummond n’a finalement pas attendu les clarifications pour rémunérer la fonctionnaire; les clarifications répétaient essentiellement le certificat du 29 mai, sans plus.

[54]  La fonctionnaire s’absente du travail à partir de 2011. Dès 2013, elle prend contact avec sa gestionnaire, Mme Fontaine, parce qu’elle veut revenir travailler. Des démarches sont faites pour qu’elle puisse être mutée, car elle sait qu’elle ne peut rester à Drummondville.

[55]  À partir du moment où elle a son certificat d’aptitude le 29 mai, elle est prête à revenir. Suit une longue période d’anxiété pour elle, de lutte acharnée pour M. Tessier. Finalement l’employeur reconnaît son droit à la rémunération à partir du 28 juillet, et la mutation se fait, d’abord par détachement, puis par mutation confirmée par une lettre le 26 novembre 2014.

[56]  La fonctionnaire demande sa pleine rémunération du 29 mai au 27 juillet 2014. Selon elle, elle devrait avoir droit à un remboursement de 5 000 $ pour son déménagement. Le SCC s’était engagé à le donner dans la lettre de mutation, comme cela se fait dans un cas de mutation volontaire aux termes de la Directive. Le déménagement s’est produit avant le retour au travail de la fonctionnaire, mais dès octobre 2013, avant son déménagement, la fonctionnaire demandait une mutation.

[57]  Selon la fonctionnaire, elle devrait également recevoir une indemnité pour le port de vêtements civils pendant qu’elle attendait de recevoir son nouvel uniforme, aux termes de la clause 43.03 de la convention collective.

[58]  La fonctionnaire réclame aussi 5 000 $ à titre de dommages moraux (al. 52(2)e) de la LCDP) pour l’incertitude financière et morale dans laquelle elle a été plongée jusqu’à sa réintégration. De plus, elle réclame 2 500 $ pour sanctionner l’acte inconsidéré de l’employeur qui n’a pas cherché à l’accommoder (par. 53(3) de la LCDP). Elle était prête à travailler au début de juin 2014, mais aucune démarche n’a été entreprise. Lorsqu’en juillet 2014, les instances au niveau régional ont commencé à s’activer, l’Établissement Drummond a demandé des clarifications du médecin. On a usé de prétextes en invoquant la nécessité de formation, alors qu’elle pouvait se faire autrement. Il est clair que le dossier était marqué par l’inaction de divers intervenants. Entre l’Établissement Drummond et la région, on se renvoyait la balle.

[59]  Dès avril 2014, la conseillère à l’IVAC proposait une rencontre pour favoriser le retour de la fonctionnaire. L’employeur n’y a toutefois pas donné suite.

[60]  Il était clair dès le départ, avec le certificat du 29 mai 2014, que le non-retour à l’Établissement Drummond était d’ordre médical, ce que le médecin a confirmé en août 2014. M. Tessier a proposé dès la fin mai la rémunération de la fonctionnaire. Le refus est imputable à l’Établissement Drummond, mais ultimement, à l’employeur.

[61]  La fonctionnaire soutient que le parallèle est clair avec la décision Duval c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 52. Nous y reviendrons dans l’analyse.

B. Pour l’employeur

[62]  L’employeur est d’avis que le grief est hors délai. La fonctionnaire savait dès le 26 juillet que son salaire débuterait le 28 juillet, mais ne couvrirait pas la période du 2 juin au 27 juillet. L’employeur a d’ailleurs soulevé la question du respect du délai lors des deux premiers paliers du processus de règlement du grief (celui-ci a été renvoyé à l’arbitrage avant la réponse au 3e palier).

[63]  L’employeur a satisfait à ses obligations à l’égard de la fonctionnaire, puisqu’elle a été placée au CFF, selon sa demande. L’employeur a fait les démarches nécessaires pour que cela se réalise. Contrairement à la situation dans l’affaire Duval, l’employeur a toujours considéré le dossier sous l’angle de l’accommodement. Il s’agissait de trouver la mesure d’adaptation qui conviendrait à la fonctionnaire, et les démarches de l’employeur s’expliquent en ce sens. Il serait déraisonnable de penser que l’employeur peut fournir une mesure d’adaptation du jour au lendemain, ce que la fonctionnaire a demandé dans son grief.

[64]  L’employeur plaide que la fonctionnaire n’a pas fait la preuve prima facie de discrimination pour invalidité, car il n’était pas au courant des circonstances menant à l’indemnisation par l’IVAC. De plus, dans son grief, la fonctionnaire parle d’incapacité physique; pourtant, il n’y a aucune preuve d’incapacité physique.

[65]  Par ailleurs, l’employeur n’a pas nié le droit de la fonctionnaire à des mesures d’adaptation pour qu’elle puisse exercer ses fonctions, et il a accepté les limitations fonctionnelles imposées par le médecin traitant. Il n’était pas déraisonnable pour l’employeur de chercher des clarifications, pour bien comprendre les enjeux et ainsi favoriser un retour réussi.

[66]  Somme toute, l’employeur a agi aussi rapidement que possible pour réintégrer la fonctionnaire, et a commencé à lui verser un salaire dès le 28 juillet, donc dans les deux mois de son certificat d’aptitude au travail.

[67]  L’employeur a activement cherché à placer la fonctionnaire, envisagé des formations, et a eu quelques difficultés à communiquer avec elle. L’obligation de fournir un accommodement raisonnable ne signifie pas le droit à un accommodement immédiat.

IV. Analyse

[68]  Je traite en premier lieu de l’objection de l’employeur, selon lequel le grief est hors délai. Selon l’employeur, la fonctionnaire savait dès le 26 juillet 2014 qu’elle ne serait pas payée du 2 juin au 27 juillet 2014. Le grief a été présenté à l’employeur le 1er octobre 2014.

[69]  L’article 95 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005-79 prévoit ce qui suit :

95(1) Toute partie peut, au plus tard trente jours après avoir reçu copie de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage :

a) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable au grief n’a pas été respecté;

b) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour le renvoi du grief à l’arbitrage n’a pas été respecté.

(2) L’objection visée à l’alinéa (1)a) ne peut être soulevée que si le grief a été rejeté au palier pour lequel le délai n’a pas été respecté et à tout palier subséquent de la procédure applicable au grief en raison de non-respect.

(3) La partie qui soulève une objection en vertu du paragraphe (1) fournit par écrit à la Commission une explication de celle-ci.

[70]  L’employeur a reçu l’avis de renvoi du grief le 26 mars 2015. Aucune objection n’a été reçue dans les 30 jours de cette date. L’objection a été soulevée, oralement, au début de l’audience le 25 septembre 2018. L’employeur a effectivement répondu aux premiers et deuxièmes paliers en signalant le retard dans le dépôt du grief. Toutefois, ces réponses sont elles-mêmes bien en retard, et contraire au paragraphe 72(1) du Règlement :

72(1) Sauf dans le cas du grief individuel ayant trait à la classification, la personne dont la décision en matière de griefs individuels constitue le palier approprié de la procédure remet sa décision au fonctionnaire s’estimant lésé ou, le cas échéant, à son représentant au plus tard vingt jours après la réception du grief par le supérieur hiérarchique immédiat ou le chef de service local visé au paragraphe 65(1).

[71]  Le grief a été présenté au premier palier le 1er octobre 2014; la réponse de l’employeur au premier palier est datée le 22 décembre 2014.

[72]  Le grief a été présenté au deuxième palier le 20 octobre 2014 (il était encore sans réponse); la réponse de l’employeur au deuxième palier est datée le 10 février 2015.

[73]  Le grief a été présenté au troisième palier le 22 décembre 2014. Il n’y a pas eu de réponse de l’employeur, ni avant ni après le renvoi à l’arbitrage.

[74]  L’employeur ne s’est pas conformé à l’article 95 ni à l’article 72 du Règlement. Il est donc réputé avoir renoncé à son objection. Pour cette raison, je ne peux l’accueillir.

[75]  Par ailleurs, je considère que le présent grief, daté du 1er octobre 2014, a été déposé dans le délai requis. Ce n’est qu’à la fin août 2014 que la fonctionnaire a eu la confirmation que son salaire ne serait pas versé pour la période du 2 juin au 27 juillet. Compte tenu de la nature du grief, fondé sur des principes de droits de la personne, j’estime qu’il déborde le strict cadre des conditions de travail et que s’il dépasse de quelques jours les vingt-cinq jours prévus à la convention collective, il est tout de même recevable à l’arbitrage. La Commission a le pouvoir de proroger les délais par souci d’équité en vertu de l’article 61(b) du Règlement.

[76]  J’ajoute, en réponse à une autre objection de l’employeur, que je considère l’emploi de l’expression « incapacité physique » dans le texte du grief pour désigner l’invalidité réelle de la fonctionnaire comme une simple erreur de nomenclature. Le paragraphe 241(1) de la Loi prévoit ce qui suit : « Les procédures prévues par la présente partie [relative aux griefs] ne sont pas susceptibles d’invalidation pour vice de forme ou de procédure ». L’invalidité de la fonctionnaire avant son retour au travail n’a pas été contestée. Mon analyse de discrimination n’est pas affectée par une erreur de vocabulaire.

[77]  Le présent grief comporte nombre de parallèles avec la décision Duval. Il convient donc de la résumer brièvement, et de noter au passage que cette décision est présentement devant la Cour d’appel fédérale en instance de contrôle judiciaire.

[78]  M. Duval était également un agent correctionnel qui a dû s’absenter du travail en raison de traumatismes psychologiques. Son médecin lui a fourni un certificat médical le 30 janvier 2012 permettant un retour au travail immédiat. L’employeur a fait état dans ses documents de l’aptitude au travail de M. Duval à partir du 1er février. Pourtant, il n’a été réintégré qu’à la mi-juin.

[79]  L’unique condition de retour au travail de M. Duval était de ne pas retourner à son établissement d’attache, parce que cela risquait de raviver son syndrome psychologique. L’établissement d’attache a refusé de verser son salaire, et le dossier a été traité comme un dossier de mutation plutôt que comme un dossier d’accommodement. La Commission a jugé que le défaut d’accommodement était discriminatoire, et que M. Duval avait droit à son salaire à partir du moment qu’il était apte à travailler, justement comme mesure d’accommodement.

[80]  Le présent grief est fondé sur la discrimination au sens de la convention collective (article contre la discrimination) et de la LCDP. L’employeur a d’une part mis en doute la preuve prima facie de discrimination, mais d’autre part confirmé son obligation d’accommodement, qu’il dit avoir satisfait avec diligence.

[81]  Comme dans l’affaire Duval, l’obligation d’accommodement de l’employeur découle directement de l’invalidité psychologique de la fonctionnaire. La preuve prima facie de discrimination est la même : la fonctionnaire souffrait d’une invalidité psychologique, elle n’a pu réintégrer son travail en temps voulu, ce qui lui a causé beaucoup d’angoisse et de soucis financiers, et la non-réintégration était liée à son invalidité, puisque les conditions de retour étaient liées à ses limitations fonctionnelles et que l’employeur en faisait un obstacle à la réintégration.

[82]  La preuve prima facie de discrimination étant établie, il revenait à l’employeur de montrer qu’il avait offert l’accommodement nécessaire pour permettre le retour au travail. Je ne suis pas convaincue que l’employeur a satisfait à son obligation de façon adéquate.

[83]  La fonctionnaire avait commencé des démarches de mutation dès l’automne 2013, et sa gestionnaire était au courant. L’agent négociateur avait informé l’Établissement Drummond du retour de la fonctionnaire dès le début juin. Le document du PRT faisait état de l’aptitude à travailler en date du 2 juin. Pourtant, les démarches de l’employeur ont tardé, de façon inexplicable. L’employeur a dit avoir eu de la difficulté à communiquer avec la fonctionnaire, mais sa gestionnaire et le représentant syndical au PRT étaient en contact avec elle.

[84]   L’Établissement Drummond n’était pas prêt à verser le salaire de la fonctionnaire, puisqu’elle n’y reviendrait pas. On renvoyait la responsabilité au niveau régional, qui a semblé paralysé en juin et juillet. La demande de clarification de M. Anctil le 17 juillet 2014 me paraît un prétexte, d’autant que la réponse du 22 août, jugée suffisante, ne fait que répéter ce qui figure déjà dans le certificat du 29 mai 2014.

[85]  La direction de l’Établissement Drummond avait d’abord décidé de ne pas rémunérer la fonctionnaire; Mme Legault a changé cette décision le 25 juillet. Elle n’a pas vraiment expliqué ce changement à l’audience. Je comprends que la direction a fini par céder aux instances du syndicat, qui insistait pour le droit de la fonctionnaire à sa rémunération depuis qu’elle était apte au travail.

[86]  Je suis d’accord avec l’agent négociateur qu’ultimement, c’est à l’employeur (plutôt qu’à l’établissement d’attache) d’assumer ses responsabilités en matière d’accommodement. L’employé invalide qui revient au travail avec des limitations fonctionnelles a le droit d’être accommodé, et cet accommodement comprend un droit au salaire. S’il ne peut revenir dans son poste d’attache pour des raisons médicales, cela fait partie de l’accommodement. Le salaire fait également partie des mesures d’accommodement.

[87]  Je juge donc que la fonctionnaire a droit à son salaire du 2 juin au 27 juillet 2014, à raison de trois jours par semaine, qui était l’horaire prescrit par le médecin, avec les avantages sociaux afférents.

[88]  Je considère que la fonctionnaire a droit à une indemnité au titre de l’alinéa 52(2)e) de la LCDP pour les délais d’accommodement. Dans Duval, j’ai passé en revue un certain nombre de décisions pour tenter d’établir un montant juste, et j’ai conclu que M. Duval avait droit à une indemnité au montant de 5 000 $ pour les quatre mois d’angoisse et d’absence de salaire qu’il a soufferts. Dans la présente situation, je reconnais les difficultés que la situation a causées à la fonctionnaire, mais l’attente a duré moins longtemps; j’accorderais une indemnité au montant de 3 000 $.

[89]  L’employeur a reconnu son obligation d’accommodement, même s’il y a eu un certain manque de suivi. J’ai déjà décidé d’ordonner à l’employeur de verser son salaire à la fonctionnaire à partir du moment qu’elle est déclarée apte à travailler. Je ne vois pas la raison d’imposer une pénalité supplémentaire en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP.

[90]  Par ailleurs, la fonctionnaire a réclamé des frais de déménagement. Je ne peux pas les accorder. Je suis saisie d’un grief, et ma compétence se limite à ce grief. Comme celui-ci ne parle pas de frais de déménagement, je ne vois pas comment je pourrais les ajouter.

[91]  La fonctionnaire  a également réclamé un remboursement pour la période pendant laquelle elle n’avait pas encore son uniforme. La disposition applicable dans la convention collective en vigueur en 2014 se lit comme suit :

43.03 Indemnité d’habillement

Les employé-e-s Agents correctionnels I (CX-1) et Agents correctionnels II (CX-2), incluant les employées enceintes, qui ne sont pas tenus de porter régulièrement un uniforme au cours de l’exercice de leurs fonctions d’agent correctionnel reçoivent une indemnité d’habillement annuelle de six cents dollars (600 $). Cette indemnité est versée une fois par exercice financier au plus tard le 31 mars de chaque année. L’indemnité maximum payée par exercice financier est de six cents dollars (600 $).

Les dispositions s’appliquent aux employé-e-s CX-1 et CX-2 affectés à des fonctions pour des périodes cumulant au moins six (6) mois au cours d’une année financière ou de six (6) mois continus. […]

[92]  Même en situant le retour au travail au 2 juin 2014, la preuve de la fonctionnaire montre qu’elle a reçu son nouvel uniforme quelque temps en novembre 2014, donc, à l’intérieur de six mois de son retour au travail. Par conséquent, elle n’a pas droit à une indemnité d’habillement. Elle a soutenu à l’audience l’idée d’un calcul au pro rata. La période minimum de six mois prévue à la clause 43.03 de la convention collective me paraît écarter l’idée du pro rata.

[93]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[94]  L’objection fondée sur le délai de présentation du grief est rejetée.

[95]  Le grief est accueilli.

[96]  J’ordonne à l’employeur de payer à la fonctionnaire son salaire, ainsi que les avantages sociaux afférents, du 2 juin au 27 juillet 2014, à raison de trois jours par semaine.

[97]  J’ordonne à l’employeur de payer à la fonctionnaire une indemnité au montant de 3 000 $ au titre de l’alinéa 52(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le 5 juillet 2019.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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