Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un agent des services frontaliers – il s’est impatienté alors qu’il traitait un voyageur et a utilisé un langage irrespectueux – l’administrateur général lui a imposé deux jours de suspension sans traitement pour avoir utilisé un langage irrespectueux – le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief contestant la sévérité de la mesure disciplinaire – la Commission a conclu que certains des commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé avaient été irrespectueux, bien que l’administrateur général n’ait pas précisé dans la lettre de suspension quels commentaires l’avaient été – la Commission a conclu que, à la lumière des facteurs atténuants, la mesure disciplinaire était excessive; elle a substitué une réprimande écrite à la suspension sans traitement – la Commission a ordonné à l’administrateur général de rembourser au fonctionnaire s’estimant lésé les deux jours de salaire.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date : 20190712

Dossier : 566-02-13136

 Référence : 2019 CRTESPF 72

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Entre

Richard Touchette

fonctionnaire s’estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié

Touchette c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Michael Fisher

Pour l’employeur :  Patrick Turcot

Affaire entendue à Lethbridge (Alberta),

les 14 et 15 mai 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


Motifs de dÉcision (Traduction de la CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1]  Richard Touchette, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est un agent des services frontaliers (ASF) pour l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) travaillant au poste frontalier à Coutts, en Alberta, menant vers les États-Unis d’Amérique.

[2]  Le 31 mai 2014, le fonctionnaire a employé un langage irrespectueux dans ses interactions avec un voyageur. Il ne nie pas avoir contrevenu au Code de conduite de l’ASFC à cet égard. Il s’est vu imposer une suspension de deux jours, qu’il croit excessive, étant donné toutes les circonstances atténuantes. C’est la raison pour laquelle le fonctionnaire a renvoyé l’affaire à l’arbitrage.

[3]  L’audience n’a pas pour objet de revoir la décision de l’employeur. Il s’agit d’une audience de novo. La preuve, y compris les admissions faites par le fonctionnaire, établit clairement une contravention au Code de conduite, mais je conclus que les nombreux facteurs atténuants entourant la contravention l’emportent largement sur le seul facteur aggravant. Pour les raisons qui suivent, je conclus qu’une réprimande écrite est la mesure appropriée, étant donné l’engagement de l’ASFC envers un régime disciplinaire positif et progressif.

II. Résumé de la preuve

[4]  Sunil Kapoor, un résident canadien, vivait aux États-Unis jusqu’en juillet 2013, moment où il a décidé de se rendre à Calgary, en Alberta, pour des raisons familiales. Il est demeuré un visiteur au Canada jusqu’en avril 2014, date à laquelle M. Kapoor a décidé, encore une fois pour des raisons familiales, de déménager de façon permanente à Calgary.

[5]  Lorsqu’il vivait aux États-Unis, M. Kapoor a acheté un véhicule pour son utilisation quotidienne. Il l’a conduite jusqu’à Calgary, en Alberta, en juillet 2013 et l’a conduite au Canada avec sa licence de la Californie toujours en place. Il a appris que pour immatriculer correctement son véhicule en Alberta, il devait l’importer au Canada. Cela nécessite une importante formalité procédurale, qui consiste à retourner en voiture aux États-Unis, à faire demi-tour puis à ramener le véhicule.

[6]  M. Kapoor l’a fait le 31 mai 2014. Il a traversé aux États-Unis par le poste frontalier de Coutts. Il a obtenu le timbre de titre nécessaire d’un agent des douanes américain, puis il est revenu au Canada. Au poste frontalier canadien, on lui a dit de stationner sa voiture et d’emporter ses documents au bureau pour qu’ils soient traités, ce qu’il a fait.

[7]  M. Kapoor est allé au poste de travail du fonctionnaire au comptoir commercial. Lorsque le fonctionnaire a appris le plan de M. Kapoor pour importer de façon permanente son véhicule, il lui a demandé de remplir le formulaire applicable et de revenir au comptoir, ce qu’il a fait.

[8]  L’importation d’un véhicule nécessite normalement le paiement de taxes et de droits. Il existe une exception pour un résident qui revient au pays, dans la mesure où il respecte certaines conditions. Pour appliquer l’exception, le fonctionnaire devait déterminer, au moyen d’une série de questions, si les conditions étaient respectées.

[9]  M. Kapoor a déclaré que le fonctionnaire avait examiné son formulaire, puis lui avait posé une série de questions. Malheureusement, avec le passage du temps (à l’audience, plus de cinq ans s’étaient écoulés depuis l’incident), M. Kapoor ne se rappelait pas les questions exactes posées par le fonctionnaire. Il ne se rappelait pas non plus précisément les réponses qu’il a données.

[10]  Tout aussi malheureuse était l’omission de l’enquêteur de demander à M. Kapoor les questions exactes du fonctionnaire et les réponses qu’il lui a données. Le très bref échange entre M. Kapoor et le fonctionnaire était le fondement de la mesure disciplinaire officielle qui a finalement été imposée.

[11]  Le fonctionnaire, de son côté, se rappelait précisément ce qu’il a demandé à M. Kapoor. Pour appliquer l’exemption de résident de retour au pays, le fonctionnaire devait apprendre à quel moment M. Kapoor était revenu au Canada, c’est donc ce qu’il lui a demandé. Le fonctionnaire a déclaré que M. Kapoor a répondu : [traduction] « Je vis au Canada. » Comme ce n’était pas l’information que voulait obtenir le fonctionnaire, il a demandé une deuxième fois à M. Kapoor à quel moment il est revenu au Canada. M. Kapoor a donné la même réponse, [traduction] « Je vis au Canada ». Le fonctionnaire a posé la même question, la formulant légèrement différemment au cas où M. Kapoor ne comprenait pas ce qu’il lui demandait, et il a obtenu la même réponse, [traduction] « Je vis au Canada ».

[12]  Le fonctionnaire a déclaré avoir posé cette question quatre à six fois et avoir obtenu la même réponse chaque fois. Il a dit avoir ressenti de plus en plus de frustration envers M. Kapoor et avoir l’impression croissante que, pour des raisons inconnues, M. Kapoor ne disait pas la vérité.

[13]  Un deuxième ASF, Tyler Borg, a corroboré le témoignage du fonctionnaire à cet égard. M. Borg était en devoir avec le fonctionnaire et travaillait à côté de lui lorsque l’échange a eu lieu. M. Borg n’a pas eu d’interaction avec M. Kapoor. Même si M. Borg ne se rappelait pas les détails précis de l’échange, il a déclaré que M. Kapoor donnait constamment la même réponse, ce qui semblait accroître le niveau de frustration du fonctionnaire.

[14]  M. Borg s’est rappelé que son entrevue dans le cadre de l’enquête interne a lieu environ deux semaines après les événements en question. Lorsque M. Borg a vu les notes de l’entrevue, il s’est rappelé que l’enquêteur interne a demandé : [traduction] « De votre point de vue, M. Kapoor a-t-il contribué à l’aggravation de la situation? » M. Borg s’est rappelé avoir répondu, selon les notes prises par enquêteur interne :

[Traduction]

Ouais. On lui a posé des questions directes et il n’y répondait simplement pas. Comme, « Quand avez-vous déménagé au Canada? ». Il a dit : « Eh, bien je suis revenu au Canada à « ce » moment, mais je n’étais pas seulement en visite [...] ». Je ne suis pas sûr de sa réponse exacte. Il ne faisait que donner la même réponse.

[15]  Dans son témoignage, M. Borg a dit qu’il croyait que M. Kapoor était condescendant lorsqu’il répondait ou que, pour une raison quelconque, il ne prenait pas le processus au sérieux.

[16]  M. Kapoor, malgré le fait qu’il a été incapable de se rappeler les questions et les réponses, ne croyait pas qu’il avait été condescendant et il a nié ne pas avoir pris le processus au sérieux.

[17]  Ni M. Borg, ni M. Kapoor, ni le fonctionnaire ne pensaient que la langue était un obstacle.

[18]  Le fonctionnaire a déclaré qu’il s’est laissé emporter par sa frustration et il a dit en substance à M. Kapoor [traduction] « Pensez-vous que je suis idiot? » et [traduction] « Vous pensez que je suis idiot, n’est-ce pas? ». Il a ensuite prononcé une phrase indiquant en gros [traduction] « Je vais ramener votre cul aux É.-U. ».

[19]  M. Borg connaît très bien le fonctionnaire, ayant travaillé à côté de lui au poste frontalier de Coutts pendant environ six ans. M. Borg a déclaré avoir été extrêmement surpris des mots très durs employés par le fonctionnaire. Il a décrit le fonctionnaire comme étant constamment très poli, patient et professionnel avec les voyageurs. Il n’a jamais entendu le fonctionnaire employer un tel langage.

[20]  M. Kapoor, M. Borg et le fonctionnaire ont tous déclaré que l’échange entre M. Kapoor et le fonctionnaire a eu lieu sans que personne ne hausse la voix. Les voix n’étaient pas élevées et les mots n’étaient pas accompagnés de gestes ou de menaces non verbales. Toutefois, selon le récit de chaque témoin, y compris celui du fonctionnaire, les mots n’avaient pas un ton professionnel.

[21]  Le fonctionnaire n’a pas pu apprendre de M. Kapoor les détails de son retour au Canada, il lui a donc dit d’aller voir le caissier et de payer les taxes et les droits applicables. M. Kapoor a payé la somme de 724,89 $, a quitté le bureau et est retourné à Calgary en voiture.

[22]  M. Kapoor a déclaré s’être senti bouleversé par cet échange, mais il ne savait pas qu’il existait un recours jusqu’à ce qu’il consulte le site Web de l’ASFC quelques jours plus tard et apprenne comment déposer une plainte en ligne. Le 4 juin 2014, il en a déposé une par voie électronique.

[23]  Kevin Hewson, directeur du district du Sud de l’Alberta et du Sud de la Saskatchewan de l’ASFC, a appris l’existence de la plainte de M. Kapoor dans le cours normal de processus de plainte. Il a assigné le surintendant Steven Singer pour commencer ce qui est appelé le « mécanisme de plainte amélioré » ou « MPA ».

[24]  M. Singer a communiqué avec M. Kapoor le 9 juin 2014 et il a mené une entrevue téléphonique. Il a appris les détails pertinents concernant la situation personnelle de M. Kapoor et les détails entourant l’importation permanente de son véhicule. Selon les renseignements obtenus par M. Singer, l’ASFC a finalement conclu que l’exception pour « ancien résident » s’appliquait et elle a remboursé à M. Kapoor la somme de 724,89 $ qu’il avait payée le 31 mai 2014.

[25]  M. Singer a ensuite fait parvenir un courriel au fonctionnaire et à M. Borg pour les aviser de la plainte et de son souhait d’obtenir une déclaration de leur part sur ce qui était arrivé.

[26]  Encore une fois, il est malheureux que le courriel de M. Singer n’ait pas été conservé, parce qu’il représente une part essentielle de l’enquête sur les facteurs aggravants et atténuants. Dans le courriel, M. Singer a demandé au fonctionnaire un bref compte rendu de ce qui est arrivé et il a précisément demandé que le fonctionnaire réponde à deux questions, à savoir la discussion concernant l’exemption relative au résident de retour au pays et le commentaire disant qu’il voulait [traduction] « ramener [son] cul aux États-Unis ».

[27]  La réponse du fonctionnaire du 10 juin 2014 au courriel était composée des trois paragraphes suivants :

[Traduction]

Résumé des événements

1. J’ai demandé à M. Kapoor plusieurs fois à quel moment il était revenu au Canada. Il m’a répondu à chaque fois « Je vis au Canada ». Son ton m’indiquait que j’étais imbécile de lui poser cette question autant de fois. La raison pour laquelle je lui posais cette question était pour m’assurer qu’il avait droit à l’exemption pour ancien résident. C’est la raison pour laquelle je lui ai demandé s’il pensait que j’étais un idiot.

2. Je n’ai jamais dit « ramener son cul aux États-Unis ». J’ai mentionné que la voiture pourrait ne pas être admissible et qu’il pourrait devoir la retourner aux États-Unis.

3. S’il avait demandé le statut d’ancien résident lorsqu’il est revenu au Canada, il aurait été admissible à l’exemption de 10 000 $. J’ai tenté de lui donner le bénéfice du doute, mais son arrogance et son refus d’écouter ont rendu la tâche difficile. Lorsque je l’ai interrogé au sujet d’un B4 lorsqu’il est revenu au Canada, il m’a regardé comme si j’étais un parfait imbécile il a répondu « Je vis au Canada ». Vu cette absence de collaboration et de compréhension, j’ai commencé à remplir le formulaire du RVI et le formulaire B15 pour l’importation du véhicule. J’ai fait tout mon possible pour aider cette personne, mais il a refusé d’écouter.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[28]  L’enquêteur qui a finalement été affecté à ce dossier après les efforts initiaux de M. Singer était Doug Bakke. M. Bakke n’a pas témoigné, mais ses rapports ont été déposés en preuve et M. Borg a déclaré avoir fourni le récit suivant à M. Bakke le 11 juin 2014 :

[Traduction]

[…] Je n’ai pas entendu la conversation entre [le fonctionnaire] et M. Kapoor dans son intégralité. Je peux toutefois dire qu’à mon avis, [le fonctionnaire] croyait qu’il était leurré par M. Kapoor.

Je peux dire que « oui », [le fonctionnaire] a demandé à M. Kapoor s’il pensait qu’il était un idiot. Je crois qu’il a dit « me prenez-vous pour un idiot? », ce à quoi le client a répondu « Non. Non pas du tout ».

J’ai entendu [le fonctionnaire] dire « Je vais ramener votre cul aux États-Unis ».

Je crois que le client a payé les droits et les taxes sur le véhicule, je ne suis pas certain s’il avait droit à une exemption puisque je n’ai pas entendu tous les détails du récit de M. Kapoor.

Je n’ai aucune note de cet incident.

[…]

[29]  Le fonctionnaire a déclaré qu’au moment où M. Bakke l’a officiellement interrogé, il avait eu le temps de repenser à son commentaire, [traduction] « ramener [son] cul aux États-Unis ». Le fonctionnaire ne se rappelait pas avoir utilisé la phrase exactement de la façon dont M. Kapoor l’a suggéré, parce qu’elle n’a aucun sens pour lui. Il a toutefois admis que si d’autres personnes avaient déclaré l’avoir entendu prononcer ces mots, il n’allait pas nier les avoir dits.

[30]  Les entrevues officielles que M. Bakke a menées dans le cadre de son enquête n’ont pas fourni beaucoup de renseignements supplémentaires, en dehors de la déclaration de M. Borg, qui contenait la question et la réponse suivantes :

[Traduction]

[…]

Q :  De votre point de vue, M. Kapoor a-t-il contribué à l’aggravation de la situation? Si oui, dans quelle mesure?

R :  Ouais. On lui a posé des questions directes et il n’y répondait simplement pas. Comme, « Quand avez-vous déménagé au Canada? ». Il a dit : « Eh bien, je suis revenu au Canada à « ce » moment, mais je n’étais pas seulement en visite [...] ». Je ne suis pas sûr de sa réponse exacte. Il ne faisait que donner la même réponse.

[…]

[31]  L’article 10 du Code de conduite de l’ASFC, sous l’intitulé « Rapports avec le public », indique en partie ce qui suit :

Nos valeurs liées au respect, à l’intégrité et au professionnalisme guident nos interactions avec le public. À titre d’employés de l’ASFC, nous démontrons ces valeurs de plusieurs façons, entre autres :

[…]

• en ne faisant jamais des déclarations [...] insultant[e]s, offensi[ves] [...] à l’intention d’une personne ou à son sujet. [...]

[…]

[32]  Dans le cadre d’une réunion disciplinaire tenue le 22 août 2014, le fonctionnaire a admis l’allégation de conduite non professionnelle et a fourni les éléments suivants à titre de facteurs atténuants :

  • · il regrettait avoir fait la déclaration et il a dit qu’il l’avait faite parce qu’il était frustré;

  • · il avait un dossier disciplinaire vierge de plus de 22 ans en tant qu’ASF;

  • · il avait volontairement fait une affectation éloignée à Alert, aux T. N.-O.;

  • · il avait agi deux fois comme agent de renseignements régional;

  • · il avait agi deux fois comme surintendant;

  • · il participe au mentorat des nouveaux employés de l’ASFC;

  • · il participe à des exercices de renforcement de l’esprit d’équipe pour l’unité, comme des sorties de golf;

  • · il est actif dans l’unité de cérémonie de l’ASFC (présence en uniforme aux funérailles et aux cérémonies du jour du Souvenir);

  • · il a contribué à la certification et à l’approbation d’un champ de tir local qu’utilisent les ASF qui souhaitent améliorer leurs compétences de tir en préparation de leur qualification en maniement d’une arme à feu.

[33]  Disposant d’une dérogation clairement établie au Code de conduite, M. Hewson a été chargé d’évaluer les facteurs aggravants et atténuants et d’en venir à une mesure disciplinaire convenable, juste et équitable. Il n’a pas pris la décision par lui-même; il a plutôt demandé l’avis et les commentaires de trois autres sources, soit l’unité des relations de travail de l’ASFC, l’enquêteur, M. Bakke, et les Services ministériels de l’ASFC. Il a reçu de leur part des suggestions pour une mesure disciplinaire convenable, allant d’une réprimande verbale à une suspension de cinq jours.

[34]  M. Hewson a déclaré qu’il a évalué ce qu’il considérait comme les facteurs aggravants et atténuants avant de s’arrêter sur une suspension de deux jours comme mesure disciplinaire appropriée. La lettre disciplinaire, adressée au fonctionnaire et datée du 14 octobre 2014, est ainsi rédigée en partie :

[Traduction]

[…]

La présente lettre fait suite à une enquête administrative en ce qui concerne un incident qui est survenu le 31 mai 2014 au port de Coutts, en Alberta. L’enquête sur cette affaire est terminée.

La procédure de recherche des faits a permis de conclure que vous avez eu une interaction avec un client au comptoir d’accueil alors qu’il importait un véhicule au Canada. Je confirme l’allégation selon laquelle le 31 mai 2014 vous avez dérogé au Code de conduite de l’ASFC, article 10, Rapports avec le public, en agissant de manière non professionnelle lorsque vous avez formulé des commentaires déplacés à l’intention d’un voyageur.

Lorsque j’ai établi la mesure disciplinaire appropriée, j’ai tenu compte de tous les facteurs pertinents et de l’ensemble des facteurs aggravants et atténuants, y compris le fait que vous avez assumé la responsabilité de vos actions et exprimé des remords sincères, que vous n’avez aucun dossier disciplinaire antérieur, la nature des commentaires et qu’on s’attend à ce que les agents des services frontaliers soient professionnels en tout temps lorsqu’ils ont des contacts avec le public.

Après examen de tous les facteurs pertinents, de la loi, des politiques et des facteurs aggravants et atténuants, et conformément au pouvoir qui m’est délégué par l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, j’ai conclu que la mesure disciplinaire appropriée est une suspension de deux (2) jours. [...]

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[35]  M. Hewson a déclaré avoir tenu compte de plusieurs facteurs aggravants, y compris la nature de la remarque elle-même. Elle n’était pas du tout professionnelle et a été faite en public.

[36]  M. Hewson a insisté sur le fait que l’un des facteurs aggravants était le manque de franchise du fonctionnaire concernant la remarque à M. Kapoor, [traduction] « ramener votre cul aux États-Unis ». Dans son entrevue avec M. Bakke le 13 juillet 2014, le fonctionnaire a dit : [traduction] « J’ai lu la [plainte] après avoir répondu au courriel. Je l’ai lue l’autre jour et je n’avais pas réalisé qu’elle était jointe ».

[37]  M. Hewson se demandait comment le fonctionnaire aurait pu savoir qu’il était présumé avoir fait la remarque [traduction] « ramener son cul » s’il n’avait pas lu, comme il le prétendait, la plainte de M. Kapoor avant de répondre à M. Singer le 10 juin 2014. Pour M. Hewson, cela indiquait clairement que le fonctionnaire avait quelque chose à cacher au sujet de cette affaire.

[38]  En contre-interrogatoire, il est devenu évident que M. Hewson ne connaissait pas le contenu du courriel de M. Singer envoyé au fonctionnaire dans lequel il avait demandé à ce dernier de préparer un récit des événements et de porter une attention particulière à deux points, à savoir l’exemption qui aurait pu s’appliquer à sa situation et la remarque [traduction] « Je vais ramener votre cul aux États-Unis ». Une copie de la plainte de M. Kapoor déposée par voie électronique était jointe au courriel de M. Singer. Le fonctionnaire a déclaré ne pas avoir réalisé qu’il y avait une pièce jointe et qu’il a simplement répondu aux questions que M. Singer avait posées dans le courriel du 10 juin 2014.

[39]  Comme il est indiqué ci-dessus, aucune copie du courriel de M. Singer envoyé au fonctionnaire en date du 10 juin 2014 n’était disponible pour être déposée en preuve.

III. Arguments

A. Pour l’employeur

[40]  L’employeur a soutenu que la sanction était raisonnable dans les circonstances et qu’elle ne devrait pas être modifiée. Deux affaires, Mercer c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2016 CRTEFP 11, et Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119, ont été produites pour appuyer la proposition figurant au paragraphe 55 de Mercer selon laquelle « un arbitre de grief ne doit mitiger une mesure disciplinaire que lorsque celle-ci est manifestement déraisonnable ou erronée ».

[41]  L’employeur a soutenu que les ASF doivent être tenus de respecter des normes plus élevées que les membres du public parce qu’ils occupent un poste de confiance. Le paragraphe 842 de Newman c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 88, indique ce qui suit :

[842] Je souligne le fait qu’un manque d’honnêteté au cours d’une enquête constitue une faute professionnelle grave. Le manque d’honnêteté dans cette affaire porte sur un aspect fondamental de la relation d’emploi. L’Agence doit placer une grande confiance dans ses agents des services frontaliers pour qu’ils facilitent l’arrivée des personnes et des marchandises au Canada. Les agents des services frontaliers sont appelés à travailler seuls. Des plaintes peuvent être déposées contre leur conduite, et l’Agence s’attend à ce que ses agents des services frontaliers fassent un compte rendu exhaustif et honnête de leurs actes pour l’exécution de la loi. La malhonnêteté n’a pas sa place dans un processus d’enquête. De plus, les agents des services frontaliers et les autres types d’agents occupant des fonctions semblables sont soumis à une norme plus élevée en raison de leur position de confiance; [...]

[42]  L’importance d’une mesure disciplinaire progressive est comprise, selon l’employeur, mais, ainsi que l’énonce Rahim c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 121, au paragraphe 85, « [...] la gravité de l’inconduite, les facteurs aggravants et les antécédents disciplinaires pourraient justifier différentes sanctions dans chaque situation. Il n’existe aucune exigence selon laquelle la progression des mesures disciplinaires se déroule par échelons préétablis ».

[43]  Il existe une jurisprudence abondante sur les mesures disciplinaires composées d’une suspension pour des comportements humiliants, exigeants et offensants dans le lieu de travail. Szmukier c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 37, était une telle affaire et, même si la suspension initiale de deux jours qui y a été imposée a été réduite à un jour, une suspension était tout de même la mesure disciplinaire appropriée dans ces circonstances. Comme elles sont analogues aux présentes circonstances, la suspension de deux jours imposée au fonctionnaire devrait être maintenue.

[44]  Les incidents qui sont susceptibles d’avoir une incidence négative sur l’intégrité de l’ASFC doivent être pris au sérieux, comme l’indique le paragraphe 60 de Stewart c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 106. Le paragraphe 61 est particulièrement pertinent aux arguments de l’employeur :

[61] L’argument du fonctionnaire selon lequel une sanction moindre aurait accompli le but de l’employeur ignore le fait qu’une partie de l’objectif d’un employeur lié à l’imposition d’une mesure disciplinaire consiste à envoyer un message à l’employé et au milieu de travail qu’un comportement répréhensible n’est pas acceptable. Une contravention au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique est une infraction grave méritant une sanction grave.

[45]  Compte tenu de l’ensemble des circonstances en l’espèce, selon l’employeur, la suspension de deux jours devrait être maintenue.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[46]  Le fonctionnaire a soutenu que la suspension de deux jours était excessive. Une réprimande verbale faisait partie de l’éventail des mesures disciplinaires disponibles et, étant donné l’importance des facteurs atténuants, il aurait dû s’agir de la mesure disciplinaire appropriée.

[47]  La lettre disciplinaire ne mentionnait pas le facteur atténuant le plus important, à savoir la réaction du fonctionnaire sous l’impulsion du moment à une situation frustrante, qui a été provoquée ou à tout le moins exacerbée par les gestes du voyageur. Ce facteur en soi justifie une mesure disciplinaire moindre qu’une suspension.

[48]  De plus, comme l’a fait valoir l’avocat du fonctionnaire, un poids disproportionné a été accordé à un facteur aggravant qui n’existait même pas. M. Hewson n’était pas au courant du contenu du courriel de M. Singer au fonctionnaire, qui indiquait très clairement la nature des allégations formulées contre lui. Le fonctionnaire n’avait pas à ouvrir le formulaire de plainte électronique joint pour savoir qu’il était allégué qu’il avait dit à M. Kapoor qu’il allait [traduction] « ramener [son] cul aux États-Unis ». Par conséquent, selon le fonctionnaire, M. Hewson avait tort de croire que le fonctionnaire n’avait pas été sincère ou franc le 10 juin 2014.

[49]  Les affaires présentées par l’employeur au soutien d’une suspension décrivent toutes un comportement beaucoup plus grave que celui du fonctionnaire.

[50]  L’affaire Stewart concernait un ASF qui avait demandé des billets gratuits pour un concert d’Elton John après avoir reçu l’ordre précis de ne pas le faire.

[51]  Albert c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 7, était une affaire de harcèlement sexuel et était beaucoup plus grave que la présente affaire.

[52]  Dans Mercer, l’ASF a personnellement accédé aux renseignements sur l’assurance‑emploi des membres de sa famille et il a offert à ces derniers un service qui n’était pas disponible aux autres Canadiens. La suspension de deux jours était probablement le minimum qui devait être imposé dans une telle affaire.

[53]  Dans Cooper, une agente correctionnelle se faisait bruyante et injurieuse envers son gestionnaire dans le lieu de travail, proférant des insultes et criant contre lui et le poussant en essayant de sortir par la porte devant lui. Dans cette affaire, une sanction pécuniaire de 160 $ a été imposée plutôt qu’une réprimande verbale ou écrite. On peut clairement distinguer les circonstances actuelles, selon le fonctionnaire, puisqu’il est évident que l’échange verbal avec M. Kapoor a été mené sans que personne ne hausse la voix. Il n’y a certainement eu aucun contact physique ni comportement agressif.

[54]  L’affaire Szmukier concernait une suspension de deux jours pour un comportement de harcèlement dans le lieu de travail qui s’est poursuivi sur une longue période. Selon le fonctionnaire, il serait disproportionné de faire correspondre un tel comportement à un manque de jugement momentané qui est survenu en l’espèce.

[55]  La présente affaire concerne l’examen de la question de savoir si une mesure disciplinaire était excessive et si une autre mesure devrait y être substituée. Le fonctionnaire a renvoyé à un critère clair et définitif qui, même s’il remonte à 1976, a manifestement résisté à l’épreuve du temps. L’affaire Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, 1976 Carswell BC 518 (« Scott »), même si elle portait sur un congédiement, indique les principes applicables aux griefs visant les mesures disciplinaires excessives. Aux paragraphes 11 et 12, elle indique en partie ce qui suit :

[Traduction]

11   Les arbitres de différends devraient plutôt poser trois questions distinctes dans le cadre de griefs de congédiement typiques. D’abord, le comportement de l’employé a-t-il justifié que l’employeur impose des mesures disciplinaires? Le cas échéant, la décision de l’employeur de congédier l’employé était-elle excessive dans l’ensemble des circonstances de l’affaire? Enfin, si l’arbitre est d’avis que le renvoi est excessif, quelle autre mesure juste et équitable peut-on y substituer?

12   Habituellement, la première question concerne un litige factuel, nécessitant un jugement à partir de la preuve sur la question de savoir si l’employé a réellement eu un comportement qui a déclenché le congédiement. Toutefois, même à cette étape de l’enquête, il y a souvent des questions graves qui sont soulevées au sujet de la portée du pouvoir d’un employeur à l’égard d’un employé et du type de comportement d’un employé qui peut légitimement être considéré comme un motif d’imposition d’une mesure disciplinaire. [...] Toutefois, habituellement, le litige concerne la deuxième question – l’inconduite de l’employé est-elle suffisamment grave pour justifier l’importante pénalité du congédiement? – soit que la révision par l’arbitre de différends de la décision de la direction doit porter précisément sur la recherche des éléments suivants :

(i) À quel point l’infraction de l’employé est-elle grave [...]

(ii) La conduite de l’employé était-elle préméditée ou répétitive [...]

(iii) L’employé a-t-il un dossier de longs états de service [...]

(iv) L’employeur a-t-il tenté des formes de mesures correctives plus modérées auparavant à l’égard de cet employé qui n’ont pas permis de régler le problème [...]? […].

[56]  Les principes de Scott ont été examinés ainsi dans Ontario Secondary Schools Teachers’ Federation, District 17 v. Simcoe (County) District School Board, 2011 CarswellOnt 14383, au paragraphe 28 :

[Traduction]

28   Dans William Scott & Co., au paragraphe 13, le professeur Paul Weiler, alors président de la BCLRB, a décrit un critère en trois étapes qui, même s’il est libellé différemment, est semblable en de nombreux aspects au critère décrit dans Bhadauria et indiqué ci-dessus. En outre, au paragraphe 14, le professeur Weiler a noté que la révision par un arbitre de différends de la question de savoir si la mesure disciplinaire choisie par l’employeur était appropriée doit « chercher en particulier » des éléments. Il n’y a aucune suggestion dans cette formulation, ni dans la liste de facteurs à prendre en considération qui suivait, selon laquelle un arbitre de différends doit se limiter à déterminer si la décision de l’employeur repose sur un fondement raisonnable.

[57]  En outre, selon le fonctionnaire, un système de mesures disciplinaires positives et progressives est fondé sur l’équité procédurale et substantielle. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America Local 1072 v. Ontario Store Fixtures Inc., 1993 CarsewellOnt 1256, indique ce qui suit aux paragraphes 29 et 30 :

[Traduction]

29 […] Il doit y avoir un juste équilibre entre l’intérêt légitime de l’employeur pour l’exploitation efficace de son entreprise et l’intérêt tout aussi légitime de l’employé pour un moyen de subsistance continu accompagné d’un degré de sécurité d’emploi. La véritable question est celle-ci : comment établir l’équilibre?

[…]

30 Pour répondre à cette question, la plupart des arbitres de différends adoptent le point de vue selon lequel un important objectif de la mesure disciplinaire (sauf le congédiement) consiste à assurer le respect des normes de comportement établies, et cela nécessite habituellement une mesure disciplinaire « progressive » ou une « approche corrective » à l’égard du mauvais comportement de l’employé. Cela signifie qu’une mesure disciplinaire est un outil pour parvenir à un objectif et non une fin en soi. En augmentant la sévérité de la mesure disciplinaire imposée pour une inconduite persistante, on s’attend à ce qu’un employé se voit inciter à améliorer son comportement; en outre, il sera clairement avisé que s’il ne le fait pas, il risque des sanctions croissantes, qui pourraient aller jusqu’à son congédiement. Si l’employeur respecte un système de mesures disciplinaires progressives, un travailleur peut avoir beaucoup de difficultés à convaincre un arbitre de différends que son congédiement ultime est injuste. À l’inverse, si un employeur choisit une sanction sévère pour une « première infraction », un travailleur peut plus facilement soutenir que la sanction est disproportionnée.

[58]  Selon le fonctionnaire, c’est la question qui fait l’objet de la présente affaire. L’employeur a choisi une mesure disciplinaire relativement sérieuse pour une transgression mineure. La suspension de deux jours était clairement disproportionnée à la gravité de l’inconduite en question.

[59]  J’ai été invité à exercer mon pouvoir discrétionnaire et à remplacer la suspension par une réprimande verbale ou écrite. Pour les motifs qui suivent, c’est ce que je vais faire.

IV. Motifs

[60]  Je ne souscris pas à l’approche suggérée par les affaires Mercer et Cooper et j’approuve entièrement l’approche adoptée dans Scott. Il ne s’agit pas d’un exercice de contrôle judiciaire; je n’applique pas une norme de décision correcte ou de décision raisonnable. Il s’agit d’une audience de novo, et ma tâche consiste à évaluer ce que j’appellerai les critères Scott, ainsi :

  1. Existait-il un fondement factuel permettant d’imposer une mesure disciplinaire?

  2. Si oui, la mesure disciplinaire imposée était-elle excessive?

  3. Si oui, quelle aurait dû être la mesure appropriée?

[61]  La première question est la plus facile à répondre. Je n’ai aucune difficulté en ce qui concerne la crédibilité des témoins. Il n’y a pas eu de versions contradictoires des événements. La mémoire du fonctionnaire était tout simplement meilleure que celle de M. Kapoor. De plus, les récits écrits et les déclarations ont été faits tout de suite après les événements et constituent des registres fiables de ce qui est réellement arrivé. Je conclus que le fonctionnaire a été frustré par la réponse répétée de M. Kapoor [traduction] « Je vis au Canada » aux questions liées au moment où il est revenu au pays. En raison de cette frustration, il a formulé un commentaire non professionnel.

[62]  Le fonctionnaire a perdu patience et il a dit en gros [traduction] « Je vais ramener votre cul aux É.-U. ». Le fonctionnaire l’a admis à la barre des témoins. Je conclus que la première étape du critère Scott est simplement et facilement tranchée selon la prépondérance des probabilités – il s’agissait d’un langage irrespectueux avec un membre du public, ce qui contrevient clairement à l’article 10 du Code de conduite de l’ASFC. La mesure disciplinaire était justifiée.

[63]  La deuxième étape du critère Scott est légèrement plus compliquée, parce que même s’il s’agit d’une audience de novo, cette étape nécessite une analyse et l’évaluation de la mesure disciplinaire déjà imposée afin de déterminer si elle était ou non excessive.

[64]  Même si M. Hewson est au bout du compte responsable du contenu de la lettre disciplinaire datée du 14 octobre 2014, je reconnais qu’il n’en était pas l’auteur. Je reconnais également que par nécessité, les documents de cette nature doivent respecter un certain modèle. La lettre comportait de graves lacunes qui sous-tendent ma conclusion selon laquelle la suspension de deux jours est une sanction trop sévère.

[65]  Un avis de mesure disciplinaire doit clairement indiquer la nature précise de la transgression. La lettre disciplinaire renvoie à un [traduction] « incident », à une [traduction] « interaction », à des gestes [traduction] « non professionnels » et à des commentaires [traduction] « déplacés » envers un voyageur. Il n’y a toutefois rien de concret au sujet de ces commentaires ou gestes.

[66]  Le fonctionnaire a admis avoir formulé le commentaire [traduction] « Je vais ramener votre cul aux États-Unis », mais il a aussi dit en substance les mots [traduction] « Pensez-vous que je suis idiot? ».

[67]  M. Borg, un collègue, ne croyait pas qu’il était déplacé pour le fonctionnaire de dire la dernière phrase à un voyageur qui, pour une raison inconnue, semblait délibérément obtus ou trompeur.

[68]  M. Borg a déclaré avoir dit des mots semblables à d’autres voyageurs dans des circonstances semblables dans le passé. Je peux reconnaître que le travail d’un ASF n’est pas facile et que dans de nombreuses situations, une approche brutale est probablement nécessaire. Dans la mesure où elle n’est pas accompagnée d’un langage insultant ou grossier ou d’une voix élevée, une approche brutale peut être un mécanisme approprié pour une vaincre un entêtement ou une attitude autrement arrogante ou belliqueuse.

[69]  Le fonctionnaire a-t-il aussi fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir dit [traduction] « Pensez-vous que je suis idiot? »? J’espère bien que non. Je ne crois pas qu’une mesure disciplinaire serait justifiée pour avoir dit ces mots dans les circonstances indiquées par la preuve. Malheureusement, la lettre est silencieuse sur cette question. Les commentaires non professionnels constituant le fondement de la mesure disciplinaire n’ont pas été précisés.

[70]  Les décideurs, pour ce qui est des affaires concernant des mesures disciplinaires professionnelles portant sur un langage insultant, coloré ou grossier, ont malheureusement tendance à rester évasifs sur les mots qui ont réellement été employés. Ce n’est pas utile. La personne visée par une mesure disciplinaire doit pouvoir connaître la nature précise de sa transgression. C’est la seule manière d’examiner la question de savoir si la sanction imposée était équitable, juste, convenable ou raisonnable. En l’espèce, la lettre ne précise pas ce pour quoi le fonctionnaire est sanctionné.

[71]  Pendant toute l’audience, étant donné le libellé vague de la lettre disciplinaire, je me suis demandé si la direction de l’ASFC aurait pu avoir quelque ressentiment que ce soit pour avoir dû communiquer avec M. Kapoor et lui rembourser la somme de 724,89 $ qu’il a payée en taxes et en droits après sa rencontre avec le fonctionnaire. Y avait-il une allégation persistante de manquement au devoir ou de mauvais rendement également? Ces [traduction] « gestes non professionnels » ont-ils été mentionnés dans la lettre? Probablement pas, mais, encore une fois, compte tenu du caractère vague de la lettre, il faut lire entre les lignes et, en un mot, deviner.

[72]  Les conclusions de la procédure de recherche des faits doivent être clairement indiquées pour donner un avis clair de la nature de l’inconduite en question.

[73]  La formulation des facteurs aggravants et atténuants est tout aussi vague. La gamme de sanctions que pouvait imposer M. Hewson était très large, allant d’une réprimande verbale à une suspension de cinq jours. Celle qu’il imposera à partir de cet éventail dépend entièrement du poids à accorder aux facteurs aggravants et atténuants, il s’agit donc d’une partie très importante de l’analyse. Cette gamme est également essentielle à la deuxième étape de l’analyse Scott, parce que les facteurs aggravants et atténuants pris en compte détermineront si la mesure disciplinaire imposée était excessive ou non.

[74]  La lettre indique ce qui suit : [traduction] « [...] j’ai tenu compte de tous les facteurs pertinents et de l’ensemble des facteurs aggravants et atténuants [...] ». Toutes les lettres disciplinaires mentionnent cela, probablement parce qu’une personne a dit aux auteurs qu’ils devaient le faire. Il serait plus important, et plus utile, d’indiquer réellement les facteurs aggravants et atténuants et d’expliquer le poids accordé à chacun.

[75]  La malhonnêteté n’est pas mentionnée dans la lettre comme facteur aggravant, malgré le témoignage de M. Hewson selon lequel il croyait qu’il s’agissait d’un facteur aggravant.

[76]  Sans le dire avec autant de mots, la lettre semble indiquer que les facteurs aggravants sont [traduction] « la nature des commentaires » et le fait [traduction] « qu’on s’attend à ce que les agents des services frontaliers soient professionnels en tout temps lorsqu’ils ont des contacts avec le public ».

[77]  Il ne s’agit pas de facteurs aggravants. La nature des commentaires et la norme de comportement des ASF sont des facteurs importants pour déterminer si une allégation d’inconduite a d’abord été établie. Un facteur aggravant, par définition, est externe à l’événement, ce qui sous-entend que la sanction devrait être plus sévère.

[78]  M. Hewson a déclaré que la malhonnêteté du fonctionnaire dans le processus d’enquête était un facteur aggravant. Si c’est vrai, il s’agirait d’un facteur aggravant majeur. Le degré de collaboration démontrée pendant l’enquête interne est une considération externe pour savoir si l’inconduite est survenue, mais il peut grandement contribuer à déterminer la sévérité de la sanction qui devrait viser l’inconduite en question. Malheureusement, pour des raisons qui échappent totalement au contrôle de M. Hewson, il avait tort au sujet du manque d’honnêteté du fonctionnaire. Le fonctionnaire a pu commenter la phrase [traduction] « Je vais ramener votre cul aux États-Unis » sans devoir ouvrir la pièce jointe au courriel de M. Singer parce que ce dernier avait également ajouté cette phrase dans le courriel envoyé au fonctionnaire. M. Hewson ne le savait pas parce qu’il n’a pas vu le courriel que M. Singer a envoyé au fonctionnaire.

[79]  Je ne trouve pas que le commentaire du fonctionnaire dans son premier compte rendu daté du 10 juin 2014, soit [traduction] « Je n’ai jamais dit “ramener son cul aux États‑Unis” », démontre un manque d’honnêteté. Lorsqu’est venu le temps donner une déclaration officielle à l’enquêteur quelques jours plus tard, le fonctionnaire a admis avoir utilisé ces mots ou des mots semblables. Il a admis que les commentaires étaient non professionnels et il a dit qu’il regrettait les avoir formulés. Le fait que le fonctionnaire a été disposé à faire ces admissions à l’enquêteur administratif n’indique pas qu’il y a eu malhonnêteté.

[80]  Un facteur aggravant mentionné par M. Hewson était la durée des états de service du fonctionnaire : une personne ayant l’ancienneté du fonctionnaire devrait être plus avisée. L’ASFC dépend de ses ASF principaux pour donner l’exemple aux nouveaux employés. Si je souscris à cette proposition, je dois également souscrire à l’argument du fonctionnaire selon lequel les longs états de service peuvent être une arme à double tranchant : une longue carrière sans dossier disciplinaire antérieur peut aussi représenter un facteur atténuant.

[81]  Après avoir analysé l’ensemble des circonstances entourant l’imposition de la mesure disciplinaire dans le premier cas, je conclus qu’un poids disproportionné a été accordé à des facteurs aggravants qui n’existent pas réellement. Ce poids a vraisemblablement mené à une mesure disciplinaire trop sévère. Toutefois, la deuxième étape de mon analyse des facteurs Scott ne prend pas fin ici, parce qu’il y a beaucoup de facteurs atténuants à prendre en considération.

[82]  La lettre du 14 octobre 2014 mentionne quelques facteurs atténuants, mais néglige les facteurs très importants. Avec raison, la lettre mentionne l’absence d’un dossier disciplinaire antérieur, mais elle ne mentionne pas le fait que le fonctionnaire a travaillé 22 ans sans se voir imposer aucune mesure disciplinaire, ce qui est une distinction importante.

[83]  La lettre renvoie également à juste titre à l’acceptation de la responsabilité par le fonctionnaire, ce que j’approuve entièrement. Elle mentionne également l’expression véritable de remords, ce que j’approuve aussi. Le fonctionnaire a exprimé aux nombreuses occasions où il a pris place à la barre des témoins à quel point il était désolé d’avoir formulé des mots irrespectueux à l’intention de M. Kapoor.

[84]  Le fonctionnaire a aussi dit que ses mots étaient le produit du niveau croissant de frustration envers M. Kapoor. Selon la preuve, je conclus que M. Kapoor a joué un rôle important dans l’aggravation de la situation. Les paroles du fonctionnaire étaient spontanées et découlaient d’un manque de jugement inhabituel et très temporaire. Ces facteurs atténuants auraient dû être pris en considération, mais ils ne l’ont pas été.

[85]  Un autre facteur atténuant qui n’a pas été pris en considération était l’approche du fonctionnaire pour améliorer la qualité de vie dans le lieu de travail. Certains de ses efforts dans le lieu de travail allaient bien au-delà du devoir. Il encadre des ASF subalternes. Il aide à organiser des tournois de golf pour renforcer l’esprit d’équipe. La rapidité avec laquelle il a obtenu et créé un champ de tir extérieur à utiliser par les ASF non en devoir qui souhaitent pratiquer leur maniement d’une arme à feu, dont la réussite est une condition d’emploi, est remarquable. Le fonctionnaire a trouvé un endroit convenable pour le champ de tir et a négocié son utilisation avec le propriétaire. Il perçoit toujours des frais minimes auprès des utilisateurs du champ de tir, qu’il remet au propriétaire. Il prépare le champ de tir pour les événements et il ramasse les douilles par la suite, et il fournit même son propre bois pour construire les cibles. Ses efforts dans le cadre de sa carrière pour améliorer le lieu de travail sont d’importants facteurs atténuants.

[86]  Je conclus donc qu’un poids insuffisant a été accordé aux facteurs atténuants. Combiné au poids accordé aux facteurs aggravants inexistants, cela m’amène à conclure que la suspension de deux jours imposée comme mesure disciplinaire était excessive, selon le deuxième élément du critère Scott.

[87]  La troisième et dernière avenue d’enquête en vertu du critère Scott nécessite l’examen de la mesure disciplinaire appropriée qui devrait être substituée à la suspension de deux jours imposée. Comme j’ai examiné l’ensemble des facteurs aggravants et atténuants à la deuxième étape, je ne les répéterai pas ici.

[88]  Une réprimande écrite est appropriée, compte tenu de toutes les circonstances. Le fonctionnaire est bien au courant de la nature précise de son inconduite. Dans les circonstances, le langage utilisé était relativement modéré, malgré le fait qu’il était déplacé. Il découlait d’un manque de jugement temporaire dans ce qui ne peut être décrit que comme une longue carrière où il a fait preuve d’un bon jugement.

[89]  Dans un système de mesure disciplinaire positive et progressive, il est approprié de sanctionner légèrement les contrevenants qui en sont à leur première infraction pour des cas d’inconduite relativement mineurs. Ces événements sont clairement visés par cette catégorie.

[90]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[91]  Le grief est accueilli.

[92]  Une réprimande écrite devra être substituée à la suspension de deux jours et tout registre de la mesure disciplinaire imposée auparavant doit être retiré du dossier du fonctionnaire.

[93]  J’ordonne à l’administrateur général de l’Agence des services frontaliers du Canada de rembourser au fonctionnaire la rémunération de deux jours, sans perte d’avantages, sous réserve des déductions habituelles.

Le 12 juillet 2019.

Traduction de la CRTESPF.

James R. Knopp,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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