Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur avait un programme de gestion de l’assiduité qui exigeait que les superviseurs rencontrent les employés sous leur supervision lorsque leur utilisation des congés était supérieure à la moyenne de leur groupe à cet égard – les fonctionnaires s’estimant lésés souffraient tous de problèmes certifiés sur le plan médical qui étaient connus de leurs superviseurs et que l’employeur n’a pas contestés – chaque fonctionnaire s’estimant lésé a été convoqué à une réunion avec son superviseur pour discuter de l’utilisation des congés, ce qui a été documenté dans une note de service portée à son dossier – chaque fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief alléguant que la réunion et la note de service étaient discriminatoires au motif de l’invalidité, violant à la fois la Loi canadienne sur les droits de la personne et la convention collective – au cours du processus interne de règlement de griefs, l’employeur a décidé de retirer les notes de service des dossiers des fonctionnaires s’estimant lésés – bien qu’il n’y ait pas besoin de rencontrer chacun des fonctionnaires s’estimant lésés dans les circonstances, la Commission a conclu que le seul objectif des réunions et des notes de service était d’informer les fonctionnaires s’estimant lésés et de documenter dans leurs dossiers le fait que l’employeur avait décidé de ne pas appliquer son programme de gestion de l’assiduité dans leurs cas – la Commission a conclu que les sentiments blessés ne suffisent pas à eux seuls pour déterminer que les réunions et les notes de service entraînaient des effets négatifs mesurables et tangibles et que les fonctionnaires n’avaient pas établi de preuve prima facie de discrimination – la Commission a également conclu qu’il n’y avait eu aucune violation de la clause de non-discrimination de la convention collective.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date : 20190712

Dossiers : 566‑02‑11028, 11029,

et 11031 à 11033

Référence : 2019 CRTESPF 71

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Entre

Steven Eady, Ben Falk, William Higdon, Leslie Holland ET Bruce Tenhoeve

fonctionnaires s’estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié

Eady c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés :  Abudi Awaysheh

Pour l’employeur :  Nour Rashid, avocat

Affaire entendue à Vancouver (Colombie‑Britannique),

les 8 et 9 mai 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


Motifs de décision (Traduction de la CRTESPF)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1]  Steven Eady, Ben Falk, William Higdon, Leslie Holland et Bruce Tenhoeve, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), au moment des faits donnant lieu aux présents griefs, étaient tous des employés qui occupaient un poste classifié au groupe GS ou GL auprès du Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur »). Leurs conditions de travail étaient prévues à la convention collective du groupe Services d’exploitation conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada qui a cessé d’avoir effet le 4 août 2014 (la « convention collective »).

[2]  La clause de non‑discrimination est la clause 19.01 de la convention collective. Elle indique ce qui suit :

Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé‑e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle‑ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé‑e a été gracié.

[3]  Avant l’exercice 2013‑2014, chacun des fonctionnaires a été atteint d’une grave maladie ou d’une blessure invalidante, dont les conséquences ont entraîné la nécessité de prendre des congés de maladie avec ou sans attestation du médecin tout au long de cette période. Chacun des fonctionnaires était suivi par son médecin (et, dans certains cas, par un ou plusieurs spécialistes) et une série de notes de médecin a été fournie à l’égard de chaque fonctionnaire, lesquels répondaient aux exigences de l’employeur en matière de congé de maladie avec attestation du médecin.

[4]  Les cinq fonctionnaires étaient placés sous la supervision de deux gestionnaires, soit Brian Mosby et Justin Laynes, qui étaient tous deux entièrement au courant des raisons médicales pour lesquelles les fonctionnaires s’étaient absentés du travail. Les deux se sont efforcés de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux incapacités des fonctionnaires, au besoin, lorsqu’ils travaillaient.

[5]  Même si ni l’un ni l’autre des superviseurs n’avait le moindre problème quant aux périodes de congés de maladie, selon l’interprétation que faisait la direction d’une politique intitulée Programme national de gestion des présences (PNGP), ils devaient rencontrer chacun des fonctionnaires et mettre une note de service à son dossier de congé relativement aux absences.

[6]  Les fonctionnaires ont été offensés par la réunion et la note de service. Ils croyaient avoir compris que le PNGP avait pour objet de répondre à l’absentéisme illégitime chronique, ce qui ne s’appliquait pas à eux.

[7]  En raison de la réunion et de la note de service, chacun des fonctionnaires s’est senti humilié et sous‑évalué, parce que chacun d’eux avait déployé des efforts considérables en vue de réduire au minimum l’incidence de sa maladie ou de sa blessure sur le lieu de travail du fait qu’il suivait le traitement nécessaire, ce qui était très douloureux dans certains cas. Ils avaient continué de se présenter au travail lorsqu’ils en étaient en mesure, même s’ils éprouvaient encore des douleurs, en raison de leur dévouement et de leur grande éthique de travail.

[8]  Chacun des fonctionnaires a déposé un grief contre la décision de l’employeur de tenir une réunion et de placer une note de service dans son dossier. Leurs griefs ont été rejetés à tous les paliers, mais à la suite de l’audition du grief au deuxième palier, l’employeur a convenu d’accueillir leur demande de retirer les notes de service de leurs dossiers et de les détruire. Aucun des fonctionnaires n’a fait état d’un effet préjudiciable tangible ou quantifiable sur sa carrière par suite de l’entrevue ou de la note de service.

[9]  Les fonctionnaires estiment que les actes de l’employeur équivalaient à la discrimination fondée sur l’incapacité, en contravention à la clause 19.01 de la convention collective et à la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6; LCDP).

[10]  Pour les motifs qui suivent, les griefs sont rejetés. Les outils de gestion des présences dans le cadre du PNGP n’ont jamais été appliqués. Les réunions et les notes de service confirmaient simplement que le seuil des congés avait été dépassé en raison des congés de maladie avec attestation du médecin. Le préjudice moral occasionné par les réunions et les notes de service ne constitue pas un effet préjudiciable tangible, soit un élément essentiel de la discrimination. Je conclus donc qu’il n’y a eu aucune discrimination. Il n’y a pas eu violation de la clause 19.01 de la convention collective.

II. Preuve documentaire

[11]  Au début de l’audience, les parties ont déposé un exposé conjoint complet des faits, comptant 4 pages et 17 paragraphes, ainsi qu’un recueil conjoint de documents (comptant 10 onglets). L’exposé conjoint des faits se lit en partie comme suit :

[Traduction]

1. Un recueil conjoint de documents comptant 10 onglets est présenté conjointement sur consentement des parties. Les parties conviennent de l’authenticité de ces documents, mais ne présentent aucune observation quant à la véracité de leur contenu.

2. Les parties acceptent que d’autres documents puissent être déposés par l’une d’elles, de manière distincte, en tant que pièces, conformément à la pratique habituelle de la Commission.

3. La convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada en vigueur au moment du dépôt des griefs était la convention collective du groupe Services de l’exploitation qui a cessé d’avoir effet le 4 août 2014.

4. L’article 19 de la convention collective concerne la discrimination en milieu de travail. La clause 19.01 se lit comme suit :

Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé‑e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle‑ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé‑e a été gracié.

5. Le 15 avril 2015, l’Alliance de la Fonction publique du Canada a renvoyé à l’arbitrage les griefs de Steven Eady, de Ben Falk, de William Higdon, de Leslie Holland et de Bruce Tenhoeve, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») et a donné un avis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP).

6. Le 23 janvier 2017, la Commission canadienne des droits de la personne a informé les parties qu’elle ne présenterait aucune observation relative à ces questions.

7. L’employeur utilise un programme de gestion des présences connu sous le nom de Programme national de gestion des présences (PNGP). Selon le PNGP, le seuil des congés annuels du groupe SV est de 146,4 heures.

8. En ce qui concerne l’exercice 2013‑2014, qui vise la période du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, le Système de gestion des ressources humaines (SGRH), fournit les dates auxquelles les fonctionnaires étaient en congé.

9. Les ou vers les 4, 8, 9 ou 10 avril 2014, chacun des fonctionnaires a été convoqué distinctement à une réunion avec son superviseur en vue de discuter de son recours aux congés, puisque l’utilisation de son congé pour l’exercice 2013‑2014 dépassait 146,4 heures. Pendant la réunion, une note de service a été placée au dossier de chacun des fonctionnaires. Les fonctionnaires ont fourni une copie de leur note de service.

10. La note de service à l’égard de Steven Eady indiquait qu’il avait utilisé 561 heures de congé, dont 528 heures étaient des congés de maladie avec attestation du médecin. La note de service à l’égard de Ben Falk indiquait qu’il avait utilisé 172,5 heures de congé de maladie, dont 112 heures étaient des congés de maladie avec attestation du médecin. La note de service à l’égard de William Higdon indiquait qu’il avait utilisé 147 heures de congé de maladie, dont 79 heures étaient des congés de maladie avec attestation du médecin. La note de service à l’égard de Leslie Holland indiquait ’il avait utilisé 170,5 heures de congé, dont 32 heures étaient des congés de maladie avec attestation du médecin. La note de service à l’égard de Bruce Tenhoeve indiquait qu’il avait utilisé 230 heures de congé de maladie, dont 104 heures étaient des congés de maladie avec attestation du médecin.

11. Les notes de service confirmaient que les fonctionnaires n’avaient pas été renvoyés au coordonnateur du PNGP et qu’une réunion avait été tenue avec les employés en vue de les informer du total de leurs heures de congé à ce jour‑là pour l’année.

12. Le ou vers le 15 avril 2014, en raison du fait qu’il avait  été convoqué à une réunion le 4, le 8, le 9 ou le 10 avril 2014 et qu’une note de service avait été placée dans son dossier, chacun des fonctionnaires a déposé contre l’employeur un grief dont le libellé était presque identique à celui des autres.

13. Le ou vers le 5 mai 2014, l’employeur a présenté les réponses au premier palier et a rejeté les griefs. Le ou vers le 6 juin 2014, l’employeur a fait droit en partie aux griefs en supprimant la note indiquée dans les dossiers des fonctionnaires et a rejeté les autres allégations. Le ou vers le 11 mars 2015, l’employeur a présenté sa réponse au dernier palier et, comme dans sa réponse au deuxième palier, a rejeté les autres allégations.

14. Une audition du grief au deuxième palier a été tenue à l’égard de chaque fonctionnaire le ou vers le 25 mai 2014. Chacun des fonctionnaires a fourni un énoncé concernant la politique PNGP de l’employeur. Les Holland et William Higdon ont fourni d’autres énoncés concernant la politique PNGP de l’employeur.

15. Le 7 mai 2014, la directrice adjointe, Services de gestion, Samantha Cater, a envoyé un courriel au directeur Terry Hacket afin de lui demander que la note indiquée dans le dossier de chacun des fonctionnaires soit supprimée, et le directeur Hackett a accepté qu’elle le soit.

16. Peu après, les notes de service ont été retirées des dossiers des fonctionnaires et ont été déchiquetées. Les employés en ont été informés.

17. Le 17 décembre 2014, Mme Marion Fitzgerald‑Stuart, une agente des relations de travail du Syndicat des employés du Solliciteur général, a rencontré l’employeur au troisième palier et lui a présenté son grief au troisième palier.

III. Témoignage des témoins

A. Bruce Tenhoeve

[12]  M. Tenhoeve est un charpentier qui possède une vaste expérience à la fonction publique. Il occupe actuellement un poste de supervision en tant que gestionnaire des établissements auprès du SCC.

[13]  En décembre 2013, M. Tenhoeve a reçu un diagnostic de blessure à l’épaule,dont la gravité n’a été révélée qu’au moment où il a fait l’objet d’un test d’imagerie par résonance magnétique (IRM). La blessure était suffisamment grave pour justifier une période d’absence considérable du travail.

[14]  Après son retour au travail le 8 avril 2014, M. Tenhoeve a été convoqué par son gestionnaire, M. Mosby, à une réunion au cours de laquelle la note de service suivante lui a été remise :

[Traduction]

NOTE au dossier – Programme national de gestion des présences.

En ce qui concerne le Programme national de gestion des présences (PNGP), la présente note au dossier a pour objet d’indiquer que la raison pour laquelle le congé utilisé par l’employé est de 230 heures, du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, ce qui dépasse le seuil de 146,4 heures, est que l’employé a utilisé 104 heures de congé de maladie avec attestation du médecin au cours de l’exercice 2013‑2014. M. Tenhoeve éprouvait un certain nombre de problèmes médicaux qui exigeaient de s’absenter du travail, conformément aux directives d’un médecin.

Si le congé de maladie avec attestation du médecin n’avait pas été requis, l’employé aurait utilisé 126 heures de congé au cours de l’exercice 2013‑2014. Le seuil annuel de ce groupe professionnel étant de 146,4 heures, un congé de maladie sans attestation du médecin est nettement en deçà du seuil.

Selon les éléments énumérés dans la présente note de service, pour l’instant aucun renvoi n’est effectué au coordonnateur du PNGP sur place. Toutefois, une réunion a été tenue avec l’employé afin de l’informer du total de ses heures de congé à ce jour pour cette année.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[15]  La réunion a été extrêmement brève, et M. Mosby y a informé M. Tenhoeve qu’une copie de la note de service ci-dessus devait être placée dans son dossier de congés, uniquement à titre d’information. M. Tenhoeve estimait que M. Mosby avait été aussi poli qu’il pouvait l’être dans les circonstances et qu’il avait simplement exécuté un ordre de tenir la réunion. Néanmoins, M. Tenhoeve s’était senti insulté par l’interaction.

[16]  M. Tenhoeve comprenait que le PNGP constituait un mécanisme destiné à répondre aux absences de travail illégitimes, et il estimait qu’on l’accusait d’avoir tenté de tromper le système. Il se souvenait d’une séance d’information qui avait été tenue par vidéoconférence lorsque le PNGP avait été mis en œuvre. Selon M. Tenhoeve, le message retentissant de cette téléconférence était que le PNGP visait à cibler les employés qui abusent des congés de maladie et des congés pour obligations familiales.

[17]  M. Tenhoeve a décrit des situations où certains employés sans scrupules prenaient un congé de maladie en vue d’éviter certains quarts indésirables, d’éviter de se présenter au travail à la suite du jour de paye, ou d’esquiver un quart le vendredi précédent une longue fin de semaine, par exemple. Si, au fil du temps, cela devenait un comportement récurrent, le PNGP était disponible afin d’offrir aux gestionnaires un plan d’action en vue de mettre fin à l’abus et d’assurer la présence de l’employé au travail.

[18]  M. Tenhoeve a témoigné en disant qu’aucun de ces comportements ne s’appliquait à lui et qu’il [traduction] « s’était senti très mal » à la suite de la réunion.

[19]  M. Tenhoeve a évoqué une grande éthique de travail, qui a fait en sorte qu’il a continué de se présenter au travail même si sa blessure le faisait encore souffrir. Il a dit qu’il n’était [traduction] « pas le genre de personne qui prenait un jour de congé en raison d’envies ». Il était contrarié du fait que son employeur n’avait fait preuve d’aucun respect à l’égard des heures qu’il avait travaillées lorsqu’il éprouvait des douleurs et ne fonctionnait pas à 100 %.

[20]  M. Tenhoeve a témoigné au sujet de l’animosité persistante suscitée par la réunion, et du fait que la note de service avait été placée dans son dossier, même s’il savait que la note de service avait été supprimée et détruite.

B. Steven Eady

[21]  M. Eady a fait une longue carrière dans la fonction publique, qui a débuté en 1977. Il a demandé et obtenu une retraite pour des raisons médicales en 2018.

[22]  M. Eady a reçu un diagnostic de cancer en 2012, et ses absences du travail étaient attribuables à la chimiothérapie. Les raisons des absences de M. Eady n’avaient jamais suscité de préoccupations chez M. Mosby et les autres gestionnaires et superviseurs dans le milieu du travail.

[23]  Le 9 avril 2014, M. Mosby a convoqué M. Eady à une brève réunion, au cours de laquelle la note de service comportant les mêmes paragraphes passe‑partout lui a été remise, ainsi qu’un avis indiquant qu’elle serait ajoutée à son dossier de congés :

[Traduction]

NOTE au dossier – Programme national de gestion des présences.

En ce qui concerne le Programme national de gestion des présences (PNGP), la présente note au dossier a pour objet d’indiquer que la raison pour laquelle  le congé utilisé par l’employé est de 561 heures, du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, ce qui dépasse le seuil de 146,4 heures, est que l’employé a utilisé 528 heures de congé de maladie avec attestation du médecin au cours de l’exercice 2013‑2014. M. Eady était en congé d’invalidité de juillet 2014 à février 2015.

Si le congé de maladie avec attestation du médecin n’avait pas été requis, l’employé aurait utilisé 11 heures de congé au cours de l’exercice 2013‑2014. Le seuil annuel de ce groupe professionnel étant de 146,4 heures, un congé de maladie sans attestation du médecin est nettement en deçà du seuil.

Selon les éléments énumérés dans la présente note de service, pour l’instant aucun renvoi n’est effectué au coordonnateur du PNGP sur place. Toutefois, une réunion a été tenue avec l’employé afin de l’informer du total de ses heures de congé à ce jour pour cette année.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[24]  M. Eady savait que le PNGP visait les employés qui avaient fait l’objet d’une suspension pour raison d’abus des crédits de congé. Il estimait qu’il n’aurait jamais dû avoir été convoqué à cette réunion, parce qu’aucun de ses actes n’était visé par le PNGP. Il a témoigné en disant : [traduction] « tout le monde savait que j’avais le cancer, et c’est la raison pour laquelle j’étais en congé ».

[25]  M. Eady s’est dit  frustré d’avoir fait preuve de diligence quant à son recours aux congés de maladie tout au long de sa carrière dans la fonction publique, et de ne pas avoir été apprécié pour cela. Au contraire, il se sentait mis à l’écart en raison de son incapacité.

[26]  Même s’il estimait que le ton de M. Mosby était respectueux, M. Eady avait le sentiment que sa grande éthique de travail était remise en question.

C. Ben Falk

[27]  M. Falk a évoqué une longue carrière au SCC en tant qu’ouvrier général.

[28]  Même si M. Falk a fait des blagues au sujet de sa tentative de [traduction] « retrouver la splendeur de la jeunesse », en réalité, il avait subi une grave blessure à l’épaule par suite d’un accident de vélo qui avait nécessité une longue période de rétablissement. Il s’absentait beaucoup du travail, mais il communiquait constamment avec son gestionnaire et fournissait les certificats médicaux nécessaires pour justifier ses absences.

[29]  M. Falk a été convoqué à une réunion semblable avec M. Mosby. Sa note de service se lit comme suit :

[Traduction]

NOTE au dossier – Programme national de gestion des présences.

En ce qui concerne le Programme national de gestion des présences (PNGP), la présente note au dossier a pour objet d’indiquer que la raison pour laquelle le congé utilisé par l’employé est de 172,5 heures, du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, ce qui dépasse le seuil de 146,4 heures, est que l’employé a utilisé 112 heures de congé de maladie avec attestation du médecin au cours de l’exercice 2013‑2014. M. Falk a exigé, [sic] s’est blessé à l’épaule et ne pouvait pas travailler, ce qui a donné lieu à une utilisation plus élevée que l’utilisation habituelle de congés de maladie avec attestation du médecin.

Si le congé de maladie avec attestation du médecin n’avait pas été requis, l’employé aurait utilisé 60,5 heures de congé au cours de l’exercice 2013‑2014. Le seuil annuel de ce groupe professionnel étant de 146,4 heures, un congé de maladie sans attestation du médecin est nettement en deçà du seuil.

Selon les éléments énumérés dans la présente note de service, pour l’instant aucun renvoi n’est effectué au coordonnateur du PNGP sur place. Toutefois, une réunion a été tenue avec l’employé afin de l’informer du total de ses heures de congé à ce jour pour cette année.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[30]  M. Falk n’était pas au courant du PNGP avant la réunion avec M. Mosby, mais il n’a pas apprécié le fait qu’on lui donne l’impression de s’être soustrait à ses obligations en s’absentant du travail. Ses absences étaient justifiées par des certificats médicaux et son employeur avait été au courant de la raison de ses absences pendant toute la période visée. Il s’est senti humilié et embarrassé. Dans son témoignage, il a déclaré ce qui suit : [traduction] « J’avais l’impression que mon intégrité était remise en question. Cela m’a profondément blessé. »

[31]  M. Falk a témoigné en disant qu’il avait été tellement contrarié par la réunion qu’il n’avait pas eu envie de retourner au travail. Il affirme que c’est son épouse qui l’a convaincu de ne pas démissionner.

D. Leslie Holland

[32]  M. Holland a également fait une longue carrière au SCC et a occupé plusieurs postes, y compris comme membre du comité de la santé et sécurité pendant 12 ans. Il avait également été président de l’agent négociateur pendant 12 ans. Il a reçu une médaille pour son service au SCC.

[33]  M. Holland a dû démissionner pour des raisons médicales. Pire encore, à la suite d’une période de maladie très grave et de rétablissement partiel de lésions nerveuses, il a reçu un diagnostic de cancer. Il a subi des traitements de chimiothérapie pendant plusieurs mois.

[34]  Avant la réunion tenue avec M. Laynes le 10 avril 2014, aucun représentant de la direction n’avait exprimé des préoccupations quelconques quant à l’usage de congés de M. Holland. Tout le monde comprenait qu’il était absent pour des raisons médicales avec attestation du médecin. Lorsqu’il était au travail, M. Holland estimait que son gestionnaire prenait tout particulièrement des mesures d’adaptation en milieu de travail, au point où il l’aidait à attacher les boutons sur ses manches lorsqu’il n’était pas en mesure de le faire physiquement lui‑même.

[35]  Vu le traitement compatissant dont il avait fait l’objet en milieu de travail, M. Holland a été particulièrement contrarié de se faire convoquer à une réunion au sujet de ses absences. Sa note de service se lit comme suit :

[Traduction]

NOTE au dossier – Programme national de gestion des présences.

En ce qui concerne le Programme national de gestion des présences (PNGP), la présente note au dossier a pour objet d’indiquer que la raison pour laquelle le congé utilisé par l’employé est de 170,5 heures, du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, ce qui dépasse le seuil de 146,4 heures, est que l’employé a utilisé 32 heures de congé de maladie avec attestation du médecin au cours de l’exercice 2013‑2014. M. Holland détenait une note médicale qui exigeait qu’il s’absentât du travail en vertu d’une directive de son médecin.

Si le congé de maladie avec attestation du médecin n’avait pas été requis, l’employé aurait utilisé 138,5 heures de congé au cours de l’exercice 2013‑2014. Le seuil annuel de ce groupe professionnel étant de 146,4 heures, un congé de maladie sans attestation du médecin est en deçà du seuil.

Selon les éléments énumérés dans la présente note de service, pour l’instant aucun renvoi n’est effectué au coordonnateur du PNGP sur place. Toutefois, une réunion a été tenue avec l’employé afin de l’informer du total de ses heures de congé à ce jour pour cette année.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[36]  Selon son témoignage, M. Holland s’est senti intimidé par la réunion et la note de service. Il n’a pas abusé de son congé de maladie. Il a été particulièrement contrarié par la phrase suivante dans la note de service : [traduction] « pour l’instant aucun renvoi n’est effectué au coordonnateur du PNGP sur place [je mets en évidence] ». Il estimait que l’expression [traduction] « pour l’instant » constituait une menace légèrement cachée selon laquelle une attention particulière pourrait être portée à son utilisation de congés à l’avenir.

[37]  M. Holland n’en veut pas à M. Laynes, puisqu’il a eu le sentiment que ce dernier effectuait simplement ce qui lui avait été ordonné. Il estime que cet incident a gâché sa relation avec le SCC.

E. William Higdon

[38]  M. Higdon est un ancien combattant des Forces armées canadiennes, qui a participé à une mission canadienne de maintien de la paix. Il a reçu la Médaille du jubilé de la Reine et le Prix du Gouverneur général pour le bénévolat. Il est membre à vie de la Légion royale canadienne et occupe présentement les fonctions de commandant de zone adjoint.

[39]  M. Higdon a fait ses débuts au SCC en 2002, et il travaille actuellement à l’Établissement du Pacifique. Il s’est blessé au travail; une porte qui était coincée et devait être ouverte de force l’a frappé au genou. Son superviseur, M. Laynes, était parfaitement au courant de la raison médicale de ses absences du travail et n’avait aucun problème que ce soit à cet égard.

[40]  M. Higdon a témoigné en disant qu’il s’était senti dégradé à la suite de la réunion du 10 avril 2014 avec M. Laynes, au cours de laquelle il avait été informé qu’une copie de la note de service suivante devait être placée dans son dossier :

[Traduction]

NOTE au dossier – Programme national de gestion des présences.

En ce qui concerne le Programme national de gestion des présences (PNGP), la présente note au dossier a pour objet d’indiquer que la raison pour laquelle le congé de l’employé est de 147 heures, du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, ce qui dépasse le seuil de 146,4 heures, est que l’employé a utilisé 79 heures de congé de maladie avec attestation du médecin au cours de l’exercice 2013‑2014. M. Bill Higdon éprouvait un certain nombre de problèmes médicaux qui exigeaient de s’absenter du travail, conformément aux directives d’un médecin.

Si le congé de maladie avec attestation du médecin n’avait pas été requis, l’employé aurait utilisé 68 heures de congé au cours de l’exercice 2013‑2014. Le seuil annuel de ce groupe professionnel étant de 146,4 heures, un congé de maladie sans attestation du médecin est nettement en deçà du seuil.

Selon les éléments énumérés dans la présente note de service, pour l’instant aucun renvoi n’est effectué au coordonnateur du PNGP sur place. Toutefois, une réunion a été tenue avec l’employé afin de l’informer du total de ses heures de congé à ce jour pour cette année.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[41]  Selon le témoignage de M. Higdon, sa pression artérielle a [traduction] « augmenté considérablement » lorsque M. Laynes l’a convoqué et lui a lu la note de service. Le fait d’attirer l’attention de cette manière sur l’utilisation de congés, alors qu’elle était entièrement justifiée et attestée par des notes du médecin, constituait une gifle.

[42]  Comme M. Falk, M. Higdon voulait vraiment démissionner de la fonction publique à la suite de cet incident, car cela l’avait blessé. Encore une fois, comme M. Falk, M. Higdon affirme que son épouse l’a convaincu de ne pas démissionner. M. Higdon a témoigné en disant que de nombreuses années plus tard, il ressentait encore les effets de cette insulte.

F. Éléments communs applicables à chacun des cinq fonctionnaires

[43]  Chacun des fonctionnaires a confirmé qu’il n’avait jamais été renvoyé au coordonnateur du PNGP et que celui‑ci n’avait jamais communiqué avec lui. Chacun d’eux a aussi confirmé que la réunion ne constituait pas une « entrevue », en ce qu’il n’y avait pas eu beaucoup de dialogue bilatéral. Les réunions ont été uniformément brèves et consistaient principalement en la lecture à voix haute de la note de service ou en le renvoi à ses points saillants par le gestionnaire, qui expliquait qu’une copie de celle‑ci serait placée dans le dossier de congés de chacun des fonctionnaires.

[44]  Chacun des fonctionnaires a été interrogé quant à savoir s’il avait subi des conséquences négatives directes de la présence de cette note de service, comme une mesure disciplinaire ou une menace de mesure disciplinaire, un refus de demandes de congé ou l’entrave à une possibilité de promotion. Tous ont répondu de la même manière en indiquant qu’ils n’avaient subi aucune conséquence négative de ce genre. Au contraire, l’incidence psychologique du manque de respect dont avait fait preuve la direction et la nature accusatoire du PNGP constituaient le fondement de leurs griefs. La seule raison pour laquelle chacun d’eux avait été ciblé aux fins d’une réunion est le fait qu’il n’avait pas été en mesure de se présenter au travail en raison d’une maladie attestée par des notes du médecin. Chacun croyait fermement que cela équivalait à une discrimination fondée sur l’incapacité.

[45]  Chacun des fonctionnaires a exprimé un mécontentement par suite de la convocation à une réunion et de la présence de la note de service dans son dossier. Ils ont tous déposé des griefs à cet égard. Ils ont reconnu que selon la directive de Samantha Cater, après que chacun des griefs avait été rejeté au deuxième palier, les notes de service avaient été supprimées de leur dossier et déchiquetées. Tous les fonctionnaires ont témoigné en disant que cela importait peu pour eux, car les réunions n’auraient jamais dû avoir été tenues et les notes de service n’auraient jamais dû avoir été placées dans leur dossier.

G. Samantha Cater

[46]  Mme Cater a fait une longue carrière fructueuse au SCC, et actuellement, elle est directrice adjointe, Services de gestion, de l’Établissement du Pacifique. MM. Mosby et Laynes sont deux des nombreuses personnes qui relèvent directement d’elle.

[47]  Entre autres fonctions, Mme Cater administre le PNGP. Elle accepte le sentiment exprimé par un bon nombre des fonctionnaires, selon lequel tous ont l’impression que le PNGP vise tout particulièrement à cibler la délinquance ou l’abus des privilèges en matière de congé, mais elle soutient que cette perception est largement non fondée, parce que des questions plus importantes liées à la gestion des ressources humaines sont concernées. Un des objectifs du PNGP consiste à améliorer les voies de communication active entre les employés et les superviseurs relativement à l’utilisation de congés. Le PNGP ne constitue rien de plus qu’un outil de gestion.

[48]  Toutefois, afin d’être utile en tant qu’outil de gestion, le PNGP doit être appliqué de manière uniforme et précise, ce qui englobe en partie le respect des normes en matière d’établissement de rapports. Mme Cater exige que ses gestionnaires, y compris MM. Laynes et Mosby, lui fournissent des rapports mensuels, conformément à l’article 6.1 du PNGP qui énonce ce qui suit : [traduction] « Tous les mois, les superviseurs doivent contrôler et examiner l’utilisation de congés de leurs employés. »

[49]  Plus loin dans le même article, le PNGP indique ce qui suit : [traduction] « s’il semble exister des irrégularités en matière de présence, et/ou que l’employé approche le seuil de congés, le superviseur tiendra une entrevue en vue d’étudier les raisons des absences au cours des 12 derniers mois. »

[50]  Selon le témoignage de Mme Cater, l’entrevue constituait une occasion d’étudier, entre autres, la question de savoir si certaines mesures d’adaptation pouvaient être utiles en fonction de la situation médicale unique de chaque fonctionnaire touché par le PNGP.

[51]  L’expression [traduction] « seuil de congés », au sens du PNGP, est précisée à l’annexe A, et pour plus de clarté, elle offre un exemple numérique afin de démontrer comment le seuil est calculé. Puisque le seuil de congés constitue un élément essentiel des notes de service, je reproduirai l’annexe A dans son ensemble. Voici une note de bas de page de l’annexe :

[Traduction]

Vise uniquement les employés nommés pour une période indéterminée qui sont actifs ou en congé payé. Tous les employés nommés pour une période déterminée, occasionnels et « détachés » ont été exclus. Les absences découlant de décisions en suspens de la Commission des accidents du travail (CAT) ou les absences pendant la période durant laquelle l’employé participe à des programmes de retour au travail, en vertu des dispositions législatives ayant trait à l’indemnisation des accidents du travail, ne sont pas incluses.

[52]  L’annexe A se lit comme suit :

[Traduction]

Annexe A – Établissement des seuils d’utilisation des congés

Le fait d’exiger qu’un employé participe à un programme de gestion des présences est justifié lorsque l’employeur est en mesure d’établir que les absences de l’employé sont excessives. La moyenne du groupe de pairs offre à l’employeur un niveau en fonction duquel il peut déterminer si le niveau d’absences d’un employé est excessif. La moyenne du groupe de pairs est appelée le « seuil ».

Le seuil est établi tous les ans, le 1er juillet, en prenant le nombre total des heures de congé de maladie et des heures de congé pour obligations familiales utilisées par tous les employés d’un groupe professionnel pendant un exercice. Ce total est divisé par le nombre d’employés du groupe professionnel le 31 mars.

En supposant que 10 employés du groupe « X » aient utilisé les heures de congé de maladie et les heures de congé pour obligations familiales suivantes pendant un exercice :

Utilisation totale des heures de congé de maladie :

1 000 heures

Utilisation totale des heures de congé pour obligations familiales :

300 heures

Utilisation totale des heures de congé :

1 300 heures

L’utilisation totale des heures de congé (1 300) est ensuite divisée par le nombre total d’employés (10) de la manière suivante : 1 300 heures/10 employés = 130 heures par employé.

Si l’employé s’absente du travail pendant plus de 130 heures, le seuil a été dépassé.

[53]  Les cinq fonctionnaires font tous partie du même groupe professionnel. La moyenne de l’utilisation des heures de congé de maladie et des heures de congé pour obligations familiales de leur groupe pour l’exercice en litige était de 146,4 heures. La note de service à l’intention de chacun des fonctionnaires renvoie aux 146,4 heures comme étant le seuil de congés.

[54]  Mme Cater a été interrogée au sujet du niveau de discrétion dont peuvent faire preuve des gestionnaires lorsque le seuil a été dépassé. Elle a répondu que le PNGP indique clairement qu’une entrevue doit être tenue si le seuil de congés est dépassé. Elle a ordonné à MM. Laynes et Mosby de rédiger les notes de service, de tenir les réunions avec les fonctionnaires et de placer les notes de service dans les dossiers des fonctionnaires, ce qu’ils ont fait.

[55]  En ce qui concerne ce dernier point, Mme Cater a aussi indiqué clairement que les notes de service n’avaient pas été placées délibérément dans les dossiers de l’employé permanents des fonctionnaires, parce que celles‑ci devaient uniquement faire partie d’un dossier de travail officieux qui est conservé par chaque superviseur à l’égard de chaque employé en vue de suivre l’utilisation des congés. Tout au long de l’audience, ce dossier a été appelé le [traduction] « dossier de congés » afin de le distinguer clairement du [traduction] « dossier de l’employé ».

[56]  La raison pour laquelle un dossier sur papier était créé sous la forme d’une note de service était que si une personne autre que M. Laynes ou M. Mosby devait occuper un rôle de supervision (surtout une personne qui ne pourrait pas être au courant des problèmes médicaux sous-jacents à l’utilisation de congés supérieure à la moyenne), aucune enquête ou réunion supplémentaire ne serait nécessaire. Comme la note de service est explicite, il ne serait pas nécessaire de déranger l’employé afin de tenir une autre réunion.

[57]  Mme Cater a témoigné en disant que de cette façon, la présence de la note de service était avantageuse pour les fonctionnaires, parce qu’elle éliminait la nécessité d’une enquête continue sur leurs absences. Elle était d’avis qu’il s’agissait d’un autre exemple de l’efficacité du PNGP en tant qu’outil de gestion.

[58]  Lorsqu’elle a répondu aux préoccupations selon lesquelles une telle note de service pourrait avoir une incidence négative sur l’avancement professionnel, Mme Cater a insisté sur le fait que de telles décisions ne sont jamais prises en consultant le dossier de congés, mais toujours en consultant le dossier de l’employé. Les notes de service n’étaient jamais destinées aux dossiers de l’employé des fonctionnaires. Elles sont demeurées dans leurs dossiers de congés uniquement pendant quelques semaines, avant d’être supprimées et détruites à leur demande.

[59]  Mme Cater a été surprise de découvrir le mécontentement immédiat des fonctionnaires à l’égard des entrevues et des notes de service. Elle a mené d’autres enquêtes par l’intermédiaire de ses gestionnaires et a pris connaissance davantage de leur mécontentement. Elle ne connaissait pas personnellement chacun des fonctionnaires à ce moment‑là, mais depuis, elle a pris connaissance de leur fiabilité, de leur grande éthique de travail et de leur engagement envers la fonction publique en général et plus particulièrement envers le SCC. Dans son témoignage, elle les a qualifiés collectivement d’employés de très grande valeur et a pris au sérieux leurs préoccupations.

[60]  En conséquence de ce qu’elle a appris, le 7 mai 2014, Mme Cater a rédigé le courriel suivant à l’intention du directeur de l’Établissement du Pacifique :

[Traduction]

[…]

Comme vous le savez, mes gestionnaires des Services corporatifs à l’EP suivent les étapes du PNGP, et il s’agit d’un programme que j’ai surveillé trimestriellement à l’intention de ma division depuis sa mise en œuvre (je ne peux pas donner de renseignements sur la période pendant laquelle j’étais en congé). Cette situation a récemment donné lieu au placement de lettres dans les dossiers de congés de six employés des Services corporatifs à l’EP. Tous ces employés ont dépassé les seuils pour diverses raisons, tous ayant été en congé pour une longue période ou en congé avec attestation du médecin pour des raisons médicales dont leurs gestionnaires sont au courant.

Le PNGP exige que les gestionnaires placent ces lettres dans le dossier de congés afin de consigner le fait qu’ils sont au courant des raisons de l’utilisation de congés, qu’il n’y a aucun abus de congés, et afin de confirmer si l’employé exige des mesures d’adaptation liées à la cause de son utilisation de congés. Même si ces lettres visent à protéger les employés et à veiller à ce que des gestionnaires subséquents soient au courant de toute situation médicale légitime et/ou des mesures d’adaptation requises, mes employés estiment que ces lettres sont irrespectueuses, démotivantes et constituent une gifle.

En outre, il semble que ma division à l’EP pourrait être la seule division qui suit rigoureusement le programme.

Je suis réellement bouleversée par l’incidence de ce programme sur un groupe d’employés extrêmement travaillants, loyaux, et auxquels j’accorde une grande valeur […] même si ces employés ne se sentent pas valorisés du tout en ce moment. J’estime que le coût associé au respect du programme dépasse largement tout avantage qui peut avoir été envisagé par l’organisation dans le cadre du processus à l’égard des employés qui n’abusent pas des congés.

En conséquence, je demande votre autorisation pour retirer immédiatement les six lettres des dossiers de mes employés.

[…]

[61]  Mme Cater a obtenu l’autorisation du directeur et a pris immédiatement des mesures pour retirer les lettres en question des dossiers de congés et les déchiqueter. Tous les fonctionnaires ont été immédiatement informés de ces mesures.

[62]  Ni M. Laynes ni M. Mosby n’a témoigné. Les parties s’entendent pour dire que les deux superviseurs étaient parfaitement au courant des raisons médicales sous‑jacentes à toutes les absences des fonctionnaires, et qu’ils ont traité chacun des fonctionnaires avec politesse et respect au cours des réunions.

IV. Argumentation des fonctionnaires s’estimant lésés

[63]  L’arrêt de la Cour suprême du Canada, Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, renferme le critère tripartite en matière de discrimination prima facie. Pour paraphraser, la Cour suprême a indiqué que ce critère exige l’établissement de trois facteurs : en premier lieu, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la loi applicable en matière de droits de la personne; en deuxième lieu, ils doivent démontrer qu’ils ont subi un effet préjudiciable; et, en troisième lieu, ils doivent établir que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Les fonctionnaires soutiennent qu’ils ont rempli ce critère tripartite à l’aide des éléments de preuve déposés au cours de la présente audience.

[64]  La caractéristique protégée contre la discrimination est leur incapacité. L’effet préjudiciable est amplement démontré par l’humiliation ressentie profondément, par suite du fait qu’ils ont été assujettis à une entrevue portant sur l’utilisation excessive de congés et du fait que la note de service à cet effet a été placée dans le dossier. L’incapacité n’était pas seulement un facteur de l’effet préjudiciable, mais elle constituait la seule raison pour laquelle la direction avait pris ces mesures. Les fonctionnaires font donc valoir que le critère tripartite a été rempli.

[65]  Les fonctionnaires invoquent la conclusion de Bodnar c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 71, qui indique que l’application du PNGP par l’employeur est discriminatoire. La situation des fonctionnaires en l’espèce est pratiquement identique à celle décrite dans Bodnar, dans laquelle des dommages‑intérêts de l’ordre de 250 $ ont été accordés en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.

[66]  L’avocat des fonctionnaires a insisté sur le fait que même si chacun des fonctionnaires à la présente audience demande une somme considérablement plus élevée que 250 $, chacun d’eux a pris la peine de témoigner en disant qu’il était motivé par le principe plutôt que par la réparation pécuniaire.

[67]  L’affaire Bodnar a été entendue par la Cour d’appel fédérale, qui l’a infirmée en partie en raison de la preuve insuffisante d’un effet préjudiciable découlant de la pratique discriminatoire. Les fonctionnaires soutiennent qu’il s’agissait d’une distinction importante entre Bodnar et l’espèce. Ils font valoir que le témoignage de vive voix de chacun d’eux constituait une preuve suffisante des effets préjudiciables de l’application du PNGP.

[68]  Dans Bell Canada v. Unifor, Local 6007, 2019 CanLII 6150 (CA LA), l’utilisation d’une politique de gestion des présences a été jugée discriminatoire et contraire à la LCDP lorsqu’elle était appliquée mécaniquement et en l’absence de pouvoir discrétionnaire. Cette affaire indique en partie ce qui suit au paragraphe 81 :

[Traduction]

81 […] Il est inapproprié et constitue une pratique déraisonnable de gestion des droits d’exiger mécaniquement que chaque employé produise des certificats médicaux pour toutes les absences ultérieures, simplement parce qu’il ou elle a dépassé un seuil particulier d’absentéisme, sans tenir compte des circonstances particulières de l’employé. Effectivement, le fait de l’exiger d’un employé dont l’employeur ne soupçonne pas que l’absence n’est pas justifiée par des raisons légitimes non coupables pour toutes les absences ultérieures est déraisonnable et inéquitable – même si le fait d’exiger des mises à jour périodiques peut être acceptable dans le cas d’un problème de santé chronique qui exige des absences discontinues, peut‑être imprévisibles, du travail […]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[69]  Les fonctionnaires attirent l’attention sur la dernière phrase du paragraphe ci‑dessus, soit : [traduction] « Le [programme de gestion des présences] doit comporter une discrétion et ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé – de manière raisonnable. »

[70]  Les fonctionnaires soutiennent que le PNGP comporte une application discrétionnaire, mais que plutôt que d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable, la direction a décidé de convoquer chacun des fonctionnaires à une réunion et de l’informer que son utilisation de congés avait dépassé le seuil de congés, et qu’en conséquence, une note de service serait placée dans son dossier.

[71]  Il faut porter plus particulièrement attention à la phrase figurant à la page 6 du PNGP, qui prévoit ce qui suit : [traduction] « Le PNGP n’a pas pour objet de limiter le pouvoir discrétionnaire du superviseur ou du gestionnaire d’utiliser ces mesures dans le cadre de la gestion de ses employés. Les superviseurs et gestionnaires conservent le pouvoir discrétionnaire d’utiliser ces outils en tout temps. »

[72]  Bref, la direction possède le pouvoir discrétionnaire de déterminer si une réunion devrait être convoquée. Le PNGP énonce très clairement qu’une telle réunion n’est nécessaire que s’il existe une préoccupation quant aux présences. En l’espèce, il n’existait aucune préoccupation. Les fonctionnaires ont été ciblés en raison de leurs incapacités. En conséquence, l’exercice du pouvoir discrétionnaire était déraisonnable et a donné lieu à une pratique discriminatoire entraînant d’importants effets préjudiciables pour chacun des fonctionnaires.

V. Argumentation de l’employeur

[73]  L’employeur distingue Bell Canada de l’espèce parce que Bell Canada concernait un grief de principe et non des griefs individuels. De plus, le programme de gestion des présences en cause dans Bell Canada n’était pas le même que le PNGP visé par la présente audience.

[74]  L’employeur a soutenu que le renvoi à l’utilisation discrétionnaire de certains outils de gestion des présences est inapproprié. En faisant référence à l’article 6.2 et aux articles ultérieurs du PNGP, les fonctionnaires ont invoqué des facteurs qui ne s’appliquent pas à eux. Une fois qu’une question a été renvoyée au coordonnateur du PNGP, une trousse d’outils est disponible en vue d’encourager la présence, et son utilisation est effectivement discrétionnaire. Toutefois, en l’espèce, aucun des fonctionnaires n’a été renvoyé au coordonnateur du PNGP.

[75]  Dans son témoignage, Mme Cater a indiqué clairement que les entrevues et les notes de service n’avaient jamais eu pour objet d’être de nature punitive et qu’elles n’étaient pas discriminatoires. Au contraire, elles permettaient simplement de répondre à une exigence de la politique. Mme Cater a pris la peine de mettre en évidence la pratique exemplaire en matière de gestion inhérente à la tenue d’une telle réunion, parce qu’elle offre l’occasion de communiquer en personne et de participer à une communication ouverte. Cela est particulièrement important pour les employés qui se sont absentés du travail pour des raisons médicales, parce que la réunion offre l’occasion de répondre à toute question en matière de mesure d’adaptation, ce qui peut rendre la vie plus facile au travail.

[76]  Plus particulièrement, l’employeur soutient que la définition établie par la jurisprudence ne fait pas allusion à un effet préjudiciable. Le terme « préjudiciable » est un adjectif; dans son sens ordinaire, il désigne quelque chose de nocif.

[77]  L’espèce est semblable à Cheung c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTEFP 1, dans laquelle un gardien des prisonniers a soutenu la discrimination dans l’application d’une politique en vigueur dans les prisons exigeant que les gardiens des prisonnières marchent derrière les gardiennes des prisonnières lorsqu’ils effectuent les rondes de nuit auprès des détenues. Au paragraphe 65 de Cheung, l’arbitre de grief a énoncé ce qui suit :

65 Le fonctionnaire n’a pas établi la façon dont la directive sur la façon d’exercer les fonctions qui sont régulièrement affectées aux agents et aux agentes correctionnels comporte un effet préjudiciable clair et important sur ses possibilités d’emploi et non seulement une incidence secondaire ou minimale sur ces possibilités. En outre, il n’a pas établi que la politique de l’employeur porte atteinte, d’une façon quelconque, à ses capacités, à titre d’agent, de s’acquitter de ses obligations d’emploi […]

[78]  L’avocat de l’employeur a distingué Bodnar relativement à la mesure dans laquelle le PNGP a été appliqué. Dans Bodnar, non seulement chacun des fonctionnaires a été convoqué à une réunion et s’est vu remettre une note de service, mais il a également été renvoyé au coordonnateur du PNGP, ce qui n’a pas été effectué en l’espèce. En l’espèce, l’examen des présences a mis fin à la première étape d’enquête à l’égard de tous les fonctionnaires.

[79]  Le sentiment de bouleversement relativement à un programme de gestion des présences est insuffisant. Au paragraphe 75 de Cheung, l’arbitre de grief a énoncé en partie ce qui suit :

75 Je conclus donc que le fonctionnaire n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination. Tel que l’a fait valoir l’avocat de l’employeur, un préjudice moral ne constitue pas une atteinte à la dignité d’une personne qui permet d’établir une preuve prima facie de discrimination […]

[80]  Dans London (City) v. Canadian Union of Public Employees, Local 101 (2013), 234 L.A.C. (4e) 321, au par. 81, l’arbitre de grief a conclu que [traduction] : « le fait que les employés pourraient se sentir mal à l’aise ou troublés par des discussions concernant leurs absences ne constitue pas, toutefois, une raison suffisante pour suggérer qu’une politique appropriée en matière de gestion des présences devrait être considérée comme déraisonnable ».

[81]  Les fonctionnaires ne peuvent décrire leur préjudice moral que de manière subjective. Suivant une appréciation objective, ils n’ont subi aucun effet préjudiciable. De leur propre aveu, les réunions et les notes de service n’avaient aucune incidence sur la question de savoir si d’autres congés (avec ou sans attestation du médecin) seraient approuvés. Les possibilités de promotion n’étaient pas touchées non plus; aucune mesure disciplinaire n’a été prise non plus. Fait important, aucun des fonctionnaires n’a fait l’objet d’une gestion des présences quelconque et aucun de ces derniers n’a été renvoyé au coordonnateur du PNGP aux fins d’un suivi quelconque.

[82]  Un employé qui possède une caractéristique protégée par la LCDP ne subit aucun effet préjudiciable lorsque des réunions sont convoquées en vue de discuter de sa présence. Coast Mountain Bus Company Ltd. v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers of Canada (CAW Canada) Local 111, 2010 BCCA 447 (« Coast Mountain »), énonce ce qui suit au paragraphe 69 :

[Traduction]

[69] […] Je souscris également au commentaire du juge au paragr. 95 de ses motifs, selon lequel le placement d’un employé au niveau 1 du Programme ne constitue pas un fondement suffisant pour conclure à l’existence d’une discrimination systémique, car un employé ne fait pas l’objet d’un traitement préjudiciable au niveau 1; il a pour objet d’informer simplement l’employé des préoccupations de l’employeur relativement à son dossier de présences […]

[83]  De même, Canadian Union of Public Employees, Local 391 v. Vancouver Public Library, [2015] B.C.C.A.A.A. No. 88 (QL), énonce ce qui suit aux paragraphes 111 et 112 :

[Traduction]

111 Il a été reconnu dans HEABC, précitée, qu’un employeur a le droit de prendre des mesures correctives, comme le counseling, en vue de traiter l’absentéisme non coupable, à condition que cette mesure soit de nature non punitive. Dans Coast Mountain, précitée, la Cour d’appel a insisté sur le fait que le placement aux premières étapes ou aux premiers niveaux de ce PGP ne constitue pas une discrimination puisqu’il n’y a aucun traitement préjudiciable ni aucune répercussion punitive aux deux premiers niveaux.

112 Je suis d’avis que l’on peut parvenir à la même conclusion concernant l’inscription du fonctionnaire s’estimant lésé au PGP et sa participation aux réunions officieuses tenues le 29 octobre 2012, le 1er avril 2013 et le 25 juin 2013. La Bibliothèque avait le droit d’informer le fonctionnaire s’estimant lésé de ses préoccupations au sujet de son assiduité au travail, de discuter de solutions possibles, d’offrir une aide et un soutien, au besoin, et de s’enquérir des mesures d’adaptation nécessaires ou questions liées à une déficience : voir Coast Mountain, précitée, au paragr. 69. C’est essentiellement ce qui a eu lieu lors des réunions officieuses et je suis convaincu que celles‑ci ont été tenues à l’aide d’un ton calme et de formules édulcorées. J’accepte que le fonctionnaire s’estimant lésé se sentît mal en général du fait de participer au PGP. Toutefois, rien au sujet de ces trois réunions concernant un sujet dont l’employeur avait le droit de soulever et de s’enquérir ne pourrait être considéré comme un traitement punitif ou préjudiciable du fonctionnaire s’estimant lésé qui constituait une discrimination.

[84]  Enfin, Klonowski v. Ontario (Ministry of Community Safety and Correctional Services), [2012] O.H.R.T.D. No. 1538 (QL), énonce ce qui suit au paragraphe 29 :

[Traduction]

29 Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire qu’une application mécanique d’une norme a été effectuée relativement à sa situation. Même si la demanderesse soutient que cela établit un inconvénient, je conclus qu’il n’existe aucune chance raisonnable que la demanderesse puisse l’établir en l’espèce. L’approche de l’intimé consistant à traiter toutes les absences de la même manière peut être erronée étant donné qu’un employeur doit prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’une personne ayant une déficience, mais je vois difficilement comment l’application mécanique a touché la demanderesse d’une façon objective quelconque vu ce qui s’est produit – une seule réunion non disciplinaire.

[85]  L’employeur soutient que seules des conséquences [traduction] « préjudiciables, nocives ou hostiles » devraient être visées par la législation en matière de droits de la personne. L’expression « différence de traitement défavorable » a été étudiée dans Tahmourpour c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2009 CF 1009.

[86]  M. Tahmourpour, un cadet en formation auprès de la Gendarmerie royale du Canada, a demandé la permission de porter un pendentif religieux pendant le cours d’entraînement physique, ce qui n’était apparemment pas autorisé habituellement, mais a été autorisé dans son cas. Pendant le cours, le formateur a attiré l’attention du reste de la troupe sur le pendentif, et M. Tahmourpour a déposé une plainte de discrimination en matière de droits de la personne fondée sur la religion. La Cour fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 44 :

[44] Que veut dire « différence de traitement défavorable »? La « différence de traitement » est un terme dont le sens ordinaire est la distinction dans la façon d’agir à l’égard de personnes. « Défavorable » est un adjectif dont le sens ordinaire est préjudiciable, dommageable ou mauvais. À mon avis, « différence de traitement défavorable » s’entend d’une distinction entre des personnes ou des groupes de personnes, laquelle distinction est préjudiciable ou dommageable à une personne ou à un groupe de personnes. La « différence de traitement défavorable » peut également, à mon avis, vouloir dire une distinction qui est faite ou mentionnée d’une façon hostile, lorsque c’est la façon dont la distinction est faite qui cause un préjudice ou un dommage. Pour qu’il s’agisse d’une différence de traitement défavorable interdite par le régime législatif en matière de droits de la personne, la distinction, ou l’exercice de cette distinction, doit être fondée sur l’un des motifs illicites de discrimination prévus dans la Loi.

[87]  La Cour d’appel fédérale a examiné cette situation dans Tahmourpour c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CAF 192. Au paragraphe 12, elle a énoncé ce qui suit :

[12] L’annonce du sergent Hébert lors du premier cours de conditionnement physique au Dépôt a eu pour résultat immédiat de faire connaître à toute la classe l’appartenance religieuse de M. Tahmourpour et le fait qu’il avait demandé une mesure d’accommodement l’autorisant à porter son pendentif religieux. La preuve de cette annonce établit qu’il y a eu différentiation fondée sur la religion, mais elle n’établit pas en soi qu’il y a eu discrimination. Pour que la différence de traitement soit discriminatoire, un élément supplémentaire, que le juge a correctement décrit comme préjudiciable, dommageable ou mauvais, doit être présent. […]

[88]  L’avocat de l’employeur soutient qu’il n’y a rien dans la preuve qui donne à entendre que les réunions ont été tenues sur un ton irrespectueux. Elles ne portaient pas non plus sur un sujet à l’égard duquel l’employeur n’avait pas le droit de s’enquérir. Il n’y a aucune preuve que ces réunions ou le placement des notes de service dans les dossiers des fonctionnaires aient donné lieu à un résultat préjudiciable. Une indication claire de la bonne foi de l’employeur a été offerte en enlevant les notes de service dès que les fonctionnaires ont déposé des plaintes.

[89]  L’employeur fait donc valoir que les fonctionnaires n’ont pas établi une discrimination prima facie.

VI. Motifs

[90]  Je souscris aux arguments de l’employeur, et en fonction de la jurisprudence que celui-ci a présentée, que je n’entends pas reprendre intégralement, je suis d’accord pour dire qu’une discrimination prima facie n’a pas été établie. Il se peut que la décision de tenir une réunion et de placer les notes de service dans les dossiers des fonctionnaires puisse avoir constitué une étape inutile dans le cadre du processus de gestion des congés, mais je conclus que ces réunions et notes de service n’entraînaient aucun effet préjudiciable tangible ou quantifiable.

[91]  Les réunions et les notes de service avaient pour seul objet d’informer les fonctionnaires que les outils de gestion des présences disponibles dans le cadre du PNGP ne devaient pas être déployés. Les préjudices moraux, même s’ils sont compréhensibles, ne constituent pas un effet préjudiciable tangible ou quantifiable, ce qui constitue un élément nécessaire d’une allégation de discrimination.

[92]  Toutefois, le PNGP cible clairement l’absentéisme coupable. Dans ses deux premiers articles, il déclare ce qui suit :

[Traduction]

1. Objectif du programme

Le Programme national de gestion des présences (PNGP) a pour but d’assurer une gestion uniforme, favorable et équitable des présences des employés dans l’ensemble du Service correctionnel du Canada (SCC) tout en assurant l’esprit des conventions collectives et en faisant la promotion des présences. Le PNGP est axé sur l’amélioration des présences des employés par la sensibilisation, l’intervention et la gestion de cas individuels.

2. Contexte

Il incombe aux employés de se présenter régulièrement puisque cette obligation fait partie de la norme du rendement au travail prévu. La majorité des employés aiment venir au travail et contribuer au succès du milieu de travail. Un bon nombre d’entre eux sont ponctuels, se présentent régulièrement au travail et s’efforcent de demeurer en bonne santé, des conditions qui sont toutes essentielles à la réalisation de la mission, des valeurs et des objectifs organisationnels du CRC [sic].

Les employés doivent se présenter au travail, conformément à l’horaire, même s’il est reconnu qu’il se peut que les employés ne soient pas, parfois, en mesure d’exécuter leurs fonctions en raison d’une maladie ou d’une blessure. Afin d’offrir la continuité de revenu pendant ces absences limitées nécessaires, un congé de maladie payé est disponible pour couvrir ces périodes.

La gestion des présences relève de la direction. Le PNGP offre la possibilité d’améliorer la communication active entre les employés et les superviseurs et gestionnaires. Il a pour objectif d’offrir un encouragement et un soutien aux employés afin qu’ils puissent se présenter au travail conformément à l’horaire, tout en permettant une intervention précoce par les superviseurs lorsque les motifs de l’absentéisme l’exigent.

[93]  Selon les éléments de preuve non contestés des fonctionnaires concernant l’instauration du PNGP dans le lieu de travail (au moyen de séances tenues par vidéoconférence, par exemple), il est devenu clair pour moi que les employés percevaient le PNGP comme un programme ciblant l’utilisation frauduleuse chronique ou par ailleurs illégitime de congés imprévus.

[94]  Même si j’apprécie l’observation de Mme Cater selon laquelle cette perception négative du PNGP ne tient pas compte de certains des objectifs légitimes en matière de gestion, il n’en demeure pas moins que les employés considèrent le PNGP comme un outil visant à gérer les auteurs d’abus chroniques de congés imprévus.

[95]  La simple lecture de la politique justifie ce point de vue. L’article 6 impose aux gestionnaires et aux superviseurs une obligation de vigilance, puisqu’il énonce en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Chaque mois, les superviseurs doivent surveiller et examiner l’utilisation des congés de leurs employés. Un des facteurs essentiels consiste à cerner un scénario répétitif d’utilisation de congés au cours de la dernière période de 12 mois. Les tendances, y compris la liste suivante sans toutefois s’y limiter, sont consignées :

1. Une durée inhabituelle d’un congé.

2. Des antécédents ou des tendances considérables d’utilisation de congés qui sont considérés comme inhabituels.

3. L’utilisation de congés de maladie et/ou de congés pour obligations familiales imprévus.

4. Un solde négatif de congés de maladie.

5. Une utilisation d’un congé imprévu un jour où un échange de quart a été refusé.

6. L’utilisation de congés de maladie et/ou de congés pour obligations familiales imprévus trois fois ou à plusieurs occasions distinctes au cours d’un mois.

7. L’utilisation de congés imprévus à l’égard d’un quart particulier prévu.

8. L’utilisation de congés imprévus conjointement avec le congé annuel.

9. L’utilisation de congés imprévus conjointement avec des jours fériés désignés payés.

10. L’utilisation de congés imprévus un jour particulier de la semaine ou un jour donné chaque mois au cours d’une période de plusieurs mois.

11. L’utilisation de congés imprévus coïncide avec d’autres événements.

12. L’utilisation de congés imprévus à la suite de doubles quarts de travail ou d’heures supplémentaires.

[96]  Mme Cater a décrit les fonctionnaires comme étant loyaux, travaillants et de grande valeur. Je peux certainement voir pourquoi elle est de cet avis. À mon avis, M. Falk a parlé au nom de chacun d’eux lorsqu’il a témoigné en disant ce qui suit : [traduction] « Je suis fier de l’éthique de travail qui m’a été inculquée par mon père; j’aimerais qu’elle soit inculquée à toutes les personnes qui y travaillaient. » Il s’agit d’hommes très travaillants et dévoués. Chacun des fonctionnaires a le droit d’être fier de son service auprès du SCC.

[97]  La direction était parfaitement au courant des raisons de l’absence de chacun des fonctionnaires. Leurs congés de maladie ont été attestés par un médecin et bien consignés. Il n’y a jamais eu de problème lié à la nécessité ou au caractère légitime de leurs absences du lieu de travail.

[98]  Maints arguments présentés à l’audience portaient sur la question de savoir si les éléments de preuve révélaient la capacité de la direction à exercer son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle applique le PNGP. À ce stade, il est nécessaire de dire quelques mots au sujet des cas où le PNGP autorise expressément l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Je suis d’accord avec l’avocat de l’employeur pour dire que le conseil juridique des fonctionnaires a renvoyé, à maintes reprises, à un article du PNGP qui ne s’applique pas (notamment, l’article 6.2), afin  de tenter de souligner cet argument concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

[99]  L’article 6.1 porte sur le rôle des gestionnaires et des superviseurs. La question n’est renvoyée au coordonnateur du PNGP que s’il existe une préoccupation quant aux présences, et le rôle du coordonnateur est décrit dans l’article suivant, soit l’article 6.2. Cet article prévoit un [traduction] « Menu de mesures » qui énumère les outils que les superviseurs et les gestionnaires peuvent utiliser pour améliorer les présences. Il renferme également la phrase suivante : [traduction] « Les superviseurs et gestionnaires conservent le pouvoir discrétionnaire d’utiliser ces outils en tout temps. » Toutefois, aucun de ces éléments ne s’applique aux fonctionnaires. Ils n’ont jamais été renvoyés au coordonnateur du PNGP. L’article 6.2 n’a jamais été invoqué.

[100]  Toutefois, je conclus que l’article 6.1 confère un certain niveau de discrétion. La liste des 12 [traduction] « scénarios répétitifs d’utilisation des congés » est suivie de six paragraphes, dont quelques‑uns ont été énumérés ci‑dessus dans la présente décision. Puisqu’il s’agit du point central de l’audience, je reproduirai les six paragraphes dans leur ensemble :

[Traduction]

Des entrevues officieuses sont tenues avec les employés lorsqu’il existe une préoccupation. Les superviseurs doivent étudier les raisons des absences en encourageant les employés à discuter des raisons de leur absentéisme. Une fois que tous les faits sont connus, il se pourrait que ce qui semble être un abus ou une mauvaise utilisation de congés ne le soit pas.

L’employé peut inviter un agent négociateur à l’entrevue. Le superviseur informe l’employé que l’entrevue a pour objet d’améliorer les présences. Si des questions secondaires surviennent, le superviseur s’engage à en discuter et à les régler à autre moment.

Toutes les entrevues sont confidentielles et elles sont consignées par le superviseur sous forme de note au dossier qui doit être placée dans le dossier de l’employé, et une copie est remise à l’employé.

Si, à la suite de l’entrevue, le superviseur est convaincu que les absences sont justifiées, le processus prend fin.

S’il semble exister des irrégularités quant aux présences et/ou que l’employé approche du seuil de congés, le superviseur tiendra une entrevue en vue d’étudier les raisons des absences au cours des 12 derniers mois. À ce stade, il peut être possible de déterminer qu’un certain type de soutien est requis pour aider l’employé à améliorer son dossier de présences. Pendant les entrevues, le superviseur doit faire preuve de sensibilité, de discrétion, de compassion et de souplesse. Tout commentaire de l’employé prononcé dans le cadre de la résolution de la situation doit être reconnu de manière positive, tout en tenant compte des exigences opérationnelles. Lorsqu’il existe des préoccupations quant à la tendance de l’employé en matière de congés, le dossier de congés devrait être utilisé pour étayer ces préoccupations. Les attentes concernant l’utilisation des congés devraient être discutées, ainsi que l’incidence des absences sur le lieu de travail. Les discussions doivent demeurer constructives en vue de trouver un moyen mutuellement acceptable de régler les problèmes.

Dans les cas de maladie grave ou chronique, telle qu’elle est confirmée par un médecin, la nécessité de prendre des mesures d’adaptation doit être envisagée. Par exemple, dans le cas d’une pneumonie ou d’un accident d’automobile qui nécessite un congé, l’employé ne sera pas renvoyé au coordonnateur du PNGP. Cela est consigné par le superviseur sous forme de note au dossier qui doit être placée dans le dossier de l’employé, et une copie doit être remise à l’employé. Des mesures d’adaptations peuvent être envisagées dans les cas où les employés éprouvent des problèmes de nature personnelle. Chaque situation doit être examinée selon ses propres faits.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[101]  La première phrase du premier paragraphe est révélatrice : [traduction] « Des entrevues officieuses sont tenues avec les employés lorsqu’il existe une préoccupation ». Il n’y avait aucune raison de s’inquiéter en l’espèce. Pourquoi avoir tenu la réunion? Il n’était pas nécessaire de [traduction] « discuter des raisons de leur absentéisme » parce que l’employeur était déjà au courant des raisons.

[102]  La seule fois que le seuil de congés est mentionné, c’est au cinquième des six paragraphes, en ces termes : [traduction] « S’il semble exister des irrégularités quant aux présences et/ou que l’employé approche du seuil de congés, le superviseur tiendra une entrevue en vue d’étudier les raisons des absences au cours des 12 derniers mois. » Mme Cater soutient que cette phrase particulière élimine son pouvoir discrétionnaire et que des entrevues doivent être tenues une fois que le seuil de congés est dépassé.

[103]  Je ne suis pas du même avis. Le reste de cette phrase est très instructif. La seule raison de tenir une telle entrevue est [traduction] « […] d’étudier les raisons des absences au cours des derniers mois ». En l’espèce, les raisons étaient tout à fait évidentes pour la direction. Il n’y avait rien à étudier.

[104]  Je répète : il n’avait jamais été nécessaire de tenir ces réunions. Tout ce qui aurait été nécessaire, c’était une simple note au dossier confirmant que le seuil de congés avait été dépassé, accompagnée d’un commentaire indiquant que la nature des absences permettait d’expliquer de façon satisfaisante le dépassement, et que le dépassement n’entraînait donc pas l’application des dispositions en matière de gestion des présences du PNGP.

[105]  Il importe de noter attentivement ma remarque appuyée, selon laquelle si cela avait plutôt été effectué, ces griefs n’auraient jamais été déposés.

[106]  Un élément d’analyse qui n’a pas été étudié au cours de l’audience était celui des pratiques différentes qui étaient appliquées d’une division à l’autre. Mme Cater a reconnu ce qui suit, dans son courriel à l’intention du directeur en date du 7 mai 2014 : [traduction] « ma division à l’EP pourrait être la seule division qui suit rigoureusement le programme ». Cela signifie‑t‑il un certain exercice du pouvoir discrétionnaire?

[107]  Quoi qu’il en soit, les notes de service ont été rédigées, les réunions ont été tenues et des dommages moraux ont été subis. Je ne souhaite pas minimiser les effets négatifs subis par les fonctionnaires, mais je dois souscrire aux conclusions énoncées au paragraphe (75) de Cheung, précitée, selon lesquelles il doit exister un effet préjudiciable tangible et quantifiable, au‑delà d’un simple préjudice moral, afin d’établir une discrimination prima facie.

[108]  Selon le libellé de Tahmourpour, tant devant la Cour fédérale que devant la Cour d’appel fédérale, les effets doivent être objectivement quantifiables comme étant préjudiciables, nocifs ou hostiles. Les notes de service et les entrevues n’équivalaient pas à des actes hostiles; il n’existait pas non plus un préjudice quantifiable de manière objective.

[109]  Je conclus que le fait que la direction a détruit les notes de service à la demande des fonctionnaires constitue un signe important de sa bonne foi.

[110]  La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique s’est prononcée clairement sur les effets préjudiciables dans Coast Mountain. Le programme de gestion des présences dans cette affaire comptait cinq étapes, et les paragraphes 15 et 16 décrivent les deux premières, en ces termes :

[Traduction]

15 La première étape du programme consiste en une entrevue officieuse de l’employé tenue par son superviseur. L’entrevue a pour objet d’informer l’employé que son taux ou sa fréquence d’absences a été constaté, et de lui donner l’occasion de fournir au superviseur des renseignements sur la raison des absences. L’employé est informé que l’employeur s’attend à ce que toutes les mesures raisonnables soient prises pour réduire au minimum les absences à l’avenir et que les dossiers de présences sont pris en compte aux fins de la dotation de postes vacants et de promotions.

16 Une entrevue au niveau 1 est tenue si l’assiduité d’un employé ne s’est pas améliorée de manière satisfaisante à la suite de l’entrevue officieuse […]

[111]  Conformément à Coast Mountain, [traduction] « […] un employé ne fait pas l’objet d’un traitement préjudiciable au niveau 1 » (au paragraphe 69). Logiquement, s’il n’y a aucun traitement préjudiciable au niveau 1, il n’y a aucun traitement préjudiciable à l’étape précédant le niveau 1. Les réunions avec MM. Mosby et Laynes ne franchissent même pas le niveau 1 de Coast Mountain; elles sont plus conformes à l’entrevue officieuse tenue à la première étape qui est décrite dans Coast Mountain. La preuve en l’espèce démontre clairement que les fonctionnaires n’ont fait l’objet d’aucun traitement préjudiciable quantifiable de manière objective.

[112]  Coast Mountain comprend également une définition utile de la discrimination. Au paragraphe 57, elle renvoie à la décision de la Cour suprême du Canada dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 114 :

[57] […] la discrimination s’entend des pratiques ou des attitudes qui, de par leur conception ou par voie de conséquence, gênent l’accès des particuliers ou des groupes à des possibilités d’emplois, en raison de caractéristiques qui leur sont prêtées à tort […]

La question n’est pas de savoir si la discrimination est intentionnelle ou si elle est simplement involontaire, c’est‑à‑dire découlant du système lui‑même. Si des pratiques occasionnent des répercussions néfastes pour certains groupes, c’est une indication qu’elles sont peut‑être discriminatoires.

[…]

[113]  Selon cette définition, en l’absence de tout effet préjudiciable quantifiable de manière objective, il n’y a eu ni discrimination, ni violation de la clause 19.01 de la convention collective.

[114]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[115]  Les griefs sont rejetés.

Le 12 juillet 2019.

Traduction de la CRTESPF

 

James R. Knopp,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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