Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a été embauché aux termes d’un programme d’apprentissage – il a allégué avoir été victime de harcèlement, que son renvoi pendant sa période de stage était discriminatoire et que cette décision a été prise de mauvaise foi – l’employeur a allégué que plusieurs motifs liés à l’emploi avaient conduit au renvoi et que la Commission n’avait pas compétence pour se prononcer sur les renvois en cours de stage, conformément à l’alinéa 211a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, article 2) – la Commission a conclu qu’elle était saisie de ce grief dans la mesure où il reposait sur une violation de l’article sur l’élimination de la discrimination (article 19) de la convention collective applicable – la Commission a aussi conclu que le renvoi en cours de stage avait été un acte de mauvaise foi, étant donné que la décision de l’employeur n’était pas fondée sur des motifs liés à l’emploi – elle a également conclu que, compte tenu des circonstances, la discrimination raciale avait dû au moins être un facteur dans le renvoi du fonctionnaire en cours de stage, étant donné que l’employeur n’a fourni aucune explication raisonnable pour le traitement défavorable subi par le fonctionnaire – la Commission a ordonné que le fonctionnaire soit indemnisé en raison de l’atteinte grave à sa dignité, conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6), au montant de 15 000 $ aux termes de l’alinéa 53(2)e) et au montant de 10 000 $ aux termes du paragraphe 53(3) en raison du comportement inconsidéré de l’employeur – la Commission a également ordonné que le fonctionnaire ait le droit d’être réintégré dans le programme d’apprentissage.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date : 20190624

Dossiers : 566-02-13976 et 13977

 Référence : 2019 CRTESPF 61

Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur la Commission des relations de travail dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

ENTRE

Christian Reeves

fonctionnaire s’estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de la Défense nationale)

défendeur

Répertorié

Reeves c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Douglas Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur :  Pierre-Marc Champagne, avocat

Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse),

du 12 au 15 février 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION (Traduction de la CRTESPF)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1]  Le 7 avril 2017, Christian Reeves, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a renvoyé un grief à l’arbitrage de l’ancienne Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique. Son grief porte sur le fait qu’il a été renvoyé au cours de sa période de probation et il prétend qu’il a été victime de harcèlement et de discrimination.

[2]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

[3]  Le fonctionnaire a été embauché aux termes d’un programme d’apprentissage par le ministère de la Défense nationale (le MDN ou le « défendeur »). Il faisait partie d’une unité de négociation représentée par l’Union des employés de la Défense nationale (UEDN), un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). L’AFPC et le Conseil du Trésor du Canada ont signé une convention collective qui couvrait son unité de négociation, qui était le groupe Services de l’exploitation (date d’expiration : le 4 août 2014). Bien que le Conseil du Trésor soit l’employeur légal, dans la présente décision, l’« employeur » renvoie au MDN, qui a reçu le pouvoir délégué de prendre toutes les décisions ayant trait aux ressources humaines.

[4]  Pour les motifs suivants, je conclus que le défendeur a fait preuve de discrimination contre le fonctionnaire. Je conclus également qu’il a mis fin à son apprentissage de façon prématurée.

II. Résumé de la preuve

[5]  Le fonctionnaire est né au Libéria et a émigré au Canada avec sa famille lorsqu’il était enfant, en 1995, pour échapper à la guerre civile. Il a obtenu son diplôme de l’école secondaire en 2002, a travaillé de 2002 à 2006 et a ensuite suivi un programme de deux ans dans un collège communautaire en mécanique de machinerie lourde de 2006 à 2008.

[6]  En novembre 2009, on lui a proposé un poste à durée indéterminée d’apprenti technicien de véhicules aux Forces maritimes de l’Atlantique (FMARA) faisant partie du MDN.

[7]  L’offre a été faite dans le cadre d’un programme d’apprentissage pour les employés civils. La lettre d’offre énonçait les conditions, dont les termes pertinents sont les suivants :

[Traduction]

[…]

Période de probation :

Conformément à l’article 61 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, les employés nommés de l’extérieur de la fonction publique à un programme de perfectionnement professionnel ou d’apprentissage sont assujettis à une période de stage pour la durée du programme ou 12 mois, selon la plus longue de ces périodes, excluant [...] les périodes de congé [...] Votre période de stage se poursuivra sans nomination ou mutation subséquente jusqu’à la fin de la période de probation complète.

[…]

Avancement professionnel

Vous êtes tenu de participer au Programme d’apprentissage de la Nouvelle-Écosse dans le métier de l’automobile jusqu’au moment où les critères d’accréditation ont été respectés.

[…]

Pour terminer un niveau dans le programme d’apprentissage, vous devez obtenir la cote provinciale, dans toutes les formations techniques, à la fois en emploi et en classe, exigée pour ce niveau et travailler le nombre d’heures d’expérience pratique exigées. Des examens seront administrés conformément au règlement provincial pour l’accréditation professionnelle à des intervalles précisés. Si vous ne réussissez pas ou ne participez pas à la formation technique exigée pour un niveau, vous ne recevrez pas de crédit pour votre expérience pratique jusqu’à ce que vous ayez réussi ou que vous ayez participé à la formation technique requise pour ce niveau.

Achèvement du programme d’apprentissage

Au moment de réussir la formation d’apprentissage et d’obtenir le certificat de qualification, les Services de logistique de la formation de FMARA s’efforceront de vous nommer à un poste à durée indéterminée au niveau de mécanicien compagnon  dans le secteur de l’automobile.

Si des circonstances imprévues par la direction (p. ex., manque de travail, cessation d’une fonction, contraintes budgétaires) devaient empêcher ce type de nomination, les dispositions de la convention collective conclue pour le groupe des Services opérationnels et les conditions d’emploi de la fonction publique seront applicables.

Frais d’études

Au moment de suivre un programme officiel d’apprentissage, vous serez considéré comme étant en fonction, titulaire d’un salaire complet et de prestations.

Les Services de logistique de la formation de FMARA financeront les frais liés à la scolarité, les livres, les frais et les autres coûts obligatoires d’un établissement d’enseignement à l’appui du programme provincial d’apprentissage. Les frais de déplacement pour la formation officielle seront remboursés conformément à la Directive sur les voyages.

Échec au programme

Tout au long de la période d’apprentissage, votre gestionnaire travaillera avec vous, avec une rétroaction régulière continue sur votre rendement afin de vous aider à obtenir votre certificat. Si, malgré tous les efforts raisonnables pour vous appuyer, il était déterminé que vous ne répondez pas aux normes de compétence requises, et si une formation supplémentaire et un encadrement supplémentaire en emploi vous ont été offerts pour aider à combler les lacunes d’apprentissage, et vous n’avez pas été choisi pour un autre poste dans la fonction publique, vous pouvez démissionner de votre poste d’apprentissage ou vous serez renvoyé en cours de stage.

[…]

[8]  Le programme d’apprentissage de la Nouvelle-Écosse consistait en quatre « blocs » d’apprentissage menant à un examen complet en vue d’accréditation à titre de compagnon. L’examen et le certificat sont appelés « Sceau rouge », étant donné que le certificat porte un sceau rouge. Il permet au compagnon accrédité de travailler dans n’importe quelle province canadienne, sans autre accréditation par une autre province.

[9]  Chaque bloc d’apprentissage comporte une expérience pratique (l’exigence est de 2 000 heures) confirmée par un compagnon accrédité ainsi qu’un apprentissage en classe qui est évalué lors d’un examen. Lorsque le fonctionnaire a rejoint le programme d’apprentissage, il avait déjà terminé les deux premiers blocs de formation grâce à une formation au Nova Scotia Community College (NSCC) et une expérience de travail à l’extérieur. Il a terminé le troisième bloc (le « bloc C ») en 2012, en « machinerie lourde ». Toutefois, on lui a dit qu’étant donné qu’il n’y avait personne pour le superviser dans ce domaine, il fallait qu’il change pour « camions et véhicules de transport ».

[10]  Pour ces deux spécialités, les deux premiers blocs sont communs et les deux derniers sont différents, ce qui signifie que le fonctionnaire a dû refaire le bloc C. Cela signifiait également 2 000 heures supplémentaires d’expérience pratique, de formation en classe et un examen, ce qu’il a terminé au début de 2014. Cela signifiait aussi que la date prévue de la fin de la formation, prévue au départ pour le 31 décembre 2012, a été reportée au 31 mars 2016.

[11]  Le quatrième bloc (le « bloc D ») s’est avéré problématique, et le fonctionnaire a échoué à quatre des sept cours à l’été de 2014. Nous verrons, grâce aux témoignages à l’audience, ce qui se passait à cette époque. On a donné une deuxième chance au fonctionnaire; il a fait l’objet d’un plan d’action et a réussi le bloc D. Ensuite, il devait passer l’examen du Sceau rouge, auquel il a échoué. Après cet échec, il a été renvoyé en cours de stage.

[12]  L’employeur a fait entendre un certain nombre de témoins, et après que le fonctionnaire eut fait entendre ses témoins et témoigné, il a convoqué d’autres témoins en réplique. Je résumerai les témoignages pour chaque témoin dans l’ordre dans lequel chacun a comparu à l’audience. Pour plus de facilité de rédaction, je ne mentionnerai les titres militaires des témoins qu’au début. On les a appelés « M. » ou « Mme » à l’audience, j’en fais autant dans le récit des témoignages.

A. Pour l’employeur

1. La lieutenante-colonelle Myriam Sanchez-Maloney

[13]  Au moment des événements qui sont à l’origine du présent grief, Mme Sanchez-Maloney avait le grade de major. Elle est membre des Forces armées canadiennes depuis 32 ans. Elle a un diplôme en génie mécanique ainsi qu’une maîtrise en études stratégiques.

[14]  De l’été 2013 à l’été 2015, elle était responsable de l’équipe de Transport et de génie électrique et mécanique (TGEM) à Halifax. Toutes les bases navales ont également une composante pour les véhicules terrestres qui transportent les marchandises. Elle relevait de l’officier des services logistiques de la base, qui était le lieutenant-colonel Ted Godsell. L’adjudant-chef John McIsaac, qui supervisait tous les techniciens civils, relevait d’elle. L’adjudant Blair Phillips, qui relevait de M. McIsaac, était responsable de l’atelier de mécanique où travaillait le fonctionnaire. Il y avait des sergents qui relevaient de M. McIsaac. Le chef de la section du fonctionnaire était M. Petitpas, un civil.

[15]  Lorsque Mme Sanchez-Maloney est arrivée à Halifax à l’été 2013, elle a trouvé quelques bâtiments très anciens (dont certains portaient encore les marques de l’explosion à Halifax en 1917) remplis de rats et sans lumière. Les sept ateliers ont été déménagés dans un nouveau bâtiment de haute technologie qui était spacieux, bien éclairé et très agréable. Elle a dirigé le déménagement, qui constituait un changement majeur pour les employés. Ils s’étaient habitués à leur ancien milieu, avec ses coins et recoins et les façons de faire les choses.

[16]  L’autre défi était qu’il s’agissait de la période où le gouvernement fédéral cherchait des moyens de diminuer le coût de la fonction publique. Cela signifiait que l’on exerçait beaucoup de pression pour s’assurer que les services offerts par les ateliers soient utiles.

[17]  La première fois où elle se souvenait clairement d’avoir entendu parler du fonctionnaire était lorsqu’un adjudant lui avait dit que le fonctionnaire travaillait sur son véhicule. Apparemment, c’était une pratique par le passé, mais l’employeur avait clairement signalé au moyen d’une directive par écrit qu’il ne le tolérerait plus. Les employés ne pouvaient utiliser l’espace et les outils du gouvernement pour travailler sur leurs véhicules; la responsabilité pour dommage à la propriété, ou en cas de blessure personnelle, était aussi un facteur décisif. Mme Sanchez-Maloney a appliqué la directive.

[18]  Elle a formulé des commentaires sur une lettre de réprimande qu’elle avait signée, en date du 7 mai 2014, suivant un rapport que le fonctionnaire avait travaillé sur sa voiture pendant les heures de travail les 17 et 18 décembre 2013. Mme Sanchez-Maloney a indiqué qu’elle était frappée par le fait qu’il avait traité M. McIsaac de menteur, ce qui était complètement inapproprié et faisait preuve d’un manque total de respect.

[19]  Le fonctionnaire a reçu une deuxième lettre le même jour, intitulée [traduction] « État de l’apprentissage – Surveillance du rendement ». Elle abordait les domaines qu’il devait améliorer, notamment maintenir une attitude respectueuse, communiquer de façon professionnelle, adhérer aux heures de travail régulières, et ne pas utiliser les installations de l’employeur pour un gain personnel.

[20]  Cette lettre renvoyait à une autre lettre que le fonctionnaire avait reçue le 29 janvier 2013; il s’agissait d’une lettre d’attentes. Elle portait sur une attitude respectueuse et les heures de travail. Son commentaire en bas de la lettre indique qu’il n’était pas d’accord avec la plupart de son contenu. La lettre était signée par le prédécesseur de Mme Sanchez-Maloney, le major Brian Mills.

[21]  La lettre de réprimande comprend à la fois un blâme pour inconduite et une directive qui apparemment a été donnée à tous les employés. Les deux paragraphes pertinents sont rédigés comme suit :

[Traduction]

[…]

L’enquête est terminée et j’ai conclu que vous avez bien commis une inconduite en ignorant l’ordre qui vous a été donné par votre supérieur de cesser de travailler sur votre véhicule personnel pendant les heures de travail. Ceci est considéré comme un abus du temps du ministère de la Défense nationale étant donné que vous êtes rémunéré pour exécuter du travail pour le ministère, et non pour votre compte personnel. En outre, vous avez commis un acte d’insubordination en ignorant l’ordre qui vous a été donné les 17 et 18 décembre par votre supérieur.

Désormais, il est interdit de travailler sur un véhicule personnel, que ce soit pendant les heures de travail ou en dehors des heures de travail au sein de TGEM. Auparavant, les employés avaient le droit de stationner leurs véhicules personnels dans le bâtiment et pouvaient travailler sur ces véhicules en dehors des heures de travail. Vous devez vous occuper de votre véhicule personnel hors du lieu de travail. Cette directive est pour tout le personnel de TGEM et j’ai transmis cette information à l’échelon supérieur. Il y a de nombreuses répercussions en matière de sécurité et de responsabilité liées à cette question et cette pratique ne sera pas tolérée à l’avenir. Tout incident à l’avenir peut donner lieu à une mesure disciplinaire.

[…]

[22]  Mme Sanchez-Maloney a indiqué qu’elle a reçu un certain nombre de rapports des membres de son personnel concernant le fonctionnaire qui mentionnaient son rendement et sa capacité du point de vue technique. Il n’a pas réussi le bloc D à l’été 2014, mais ne l’a pas signalé. L’employeur l’a appris en automne lorsqu’il a demandé les notes au NSCC, qui enseignait le programme d’études et administrait les examens. À ce moment-là, selon Mme Sanchez-Maloney, il fallait prendre une décision s’il fallait garder le fonctionnaire ou mettre fin à son emploi. Il avait été apprenti pendant longtemps, et il fallait que l’employeur décide si cela valait la peine de le garder.

[23]  Mme Sanchez-Maloney était au courant que l’affaire faisait l’objet de discussions avec les Ressources humaines (RH), bien qu’elle ne fût pas au courant de toutes les conversations. Elle n’était pas au courant d’une lettre que M. McIsaac avait envoyée aux RH où il recommandait de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire.

[24]  Le NSCC a recommandé que le fonctionnaire refasse le bloc D. L’employeur a finalement suivi cette suggestion et a mis sur pied un plan d’action pour l’aider à achever le bloc D. Le plan d’action a été organisé par le capitaine Julien Bertrand, qui venait d’arriver à la base.

[25]  Le plan d’action a été efficace, et le fonctionnaire a amélioré son rendement au travail et a réussi à passer le bloc D. Malheureusement, il a échoué à l’examen subséquent du Sceau rouge. Une fois de plus, selon Mme Sanchez-Maloney, l’employeur était à un point où il devait prendre une décision. Il devait décider s’il valait la peine de continuer d’investir dans un employé dont l’apprentissage traînait et qui avait échoué deux fois des jalons importants d’accréditation. Selon elle, il fallait tenir compte de trois éléments : l’ensemble des employés, le bien de l’organisation, et les préoccupations des contribuables.

[26]  Dans un courriel en date du 11 juin 2015 adressé aux RH, Mme Sanchez-Maloney a fait part de ses préoccupations. Il fallait un mécanicien qualifié, mais le fonctionnaire ne serait pas qualifié avant octobre 2015, s’il réussissait l’examen du Sceau rouge. Le courriel indique très clairement ce qui suit : [traduction] « Nous disons depuis plus d’une année maintenant que nous ne pensons pas que M. Reeves possède les compétences nécessaires pour être mécanicien ». À l’audience, on ne lui a pas demandé qui était compris dans le « nous ». Elle a conclu son courriel par les questions suivantes :

[Traduction]

[…]

[…] À quel moment faut-il tirer un trait? À quel moment faut-il décider que nous avons fourni suffisamment d’efforts et que la personne ne convient pas au poste? Il ne pourra reprendre l’examen du Sceau rouge avant octobre. En attendant, il occupe un poste où je pourrais embaucher un mécanicien qualifié. Veuillez me donner votre avis.

[27]  La décision de licencier le fonctionnaire a été prise à ce moment-là. Mme Sanchez-Maloney a formulé la recommandation au commandant Godsell, qui était le commandant des services logistiques de la base et avait le pouvoir délégué de licencier les employés. Elle a quitté la base peu de temps après étant donné que son mandat de deux ans avait pris fin.

[28]  Au cours du contre-interrogatoire, on a demandé à Mme Sanchez-Maloney si elle avait vu une lettre datée du 3 octobre 2014 que le fonctionnaire a rédigée pour se plaindre du traitement qu’il avait reçu en tant qu’apprenti, du manque de mentorat qu’il avait reçu, et du fait qu’il avait perdu passablement de temps en devant modifier sa spécialité de la machinerie lourde aux véhicules de transport. Elle a déclaré n’avoir jamais été mise au courant de la lettre.

[29]  Au cours du contre-interrogatoire également, on lui a demandé des commentaires sur une série de courriels dont elle avait reçu une copie et qui commence par un courriel en date du 21 octobre 2014. Ce courriel venait de Carol Ann Anderson, une conseillère des RH, dans lequel elle demande au capitaine Forster (l’un des officiers superviseurs) de fournir des renseignements pour préparer un renvoi immédiat en cours de probation. Elle a répondu qu’il était toujours nécessaire de bien documenter un dossier, que l’employé soit gardé en probation ou non. Une décision serait prise à un niveau supérieur.

[30]  Lorsqu’on lui a indiqué que le renvoi en cours de probation n’a pas suivi le processus décrit dans la lettre d’offre ni dans la [traduction] « Directive ministérielle sur les programmes d’apprentissage et de développement opérationnel », en n’offrant aucun mentorat supplémentaire et en ne permettant pas à l’employé de postuler pour d’autres emplois ou de démissionner avant d’avoir recours à un renvoi en cours de probation, Mme Sanchez-Maloney a répondu que la mise en œuvre des conditions de l’emploi ne relevait pas de ses fonctions. Elle avait été responsable de l’infrastructure du personnel, et elle a vu son rôle comme consistant à donner des recommandations pour rendre la base aussi efficace que possible.

[31]  Elle était consciente que le fonctionnaire avait dû changer de volet parce que personne n’avait été disponible pour l’encadrer dans la machinerie lourde. Elle croyait toujours que son apprentissage avait été extraordinairement long. L’équipe avait besoin d’un employé pleinement qualifié, et trop de temps s’était déjà écoulé sans que le fonctionnaire ne soit qualifié.

2.  Le capitaine Julien Bertrand

[32]  M. Bertrand a rejoint les forces régulières en 2012 (il avait fait partie de l’Aviation royale canadienne auparavant). Il était affecté à la base d’Halifax à titre d’officier des opérations avec TGEM de novembre 2014 à juillet 2015, où il a succédé au capitaine Forster. Il relevait directement de Mme Sanchez-Maloney.

[33]  On l’a informé que le fonctionnaire n’avait pas réussi le bloc D. Son objectif était d’aider le fonctionnaire à obtenir son accréditation. À cet effet, il a mis en œuvre un plan d’action détaillé pour aider le fonctionnaire à mieux satisfaire ses exigences en matière de rendement et l’aider à réussir les examens du bloc D. Il a organisé une réunion en janvier 2015, invitant Mme Sanchez-Maloney, Mme Anderson, M. McIsaac, le fonctionnaire, ainsi que Ken Salter, un représentant syndical. L’objectif indiqué a été présenté comme suit dans l’invitation par courriel :

[Traduction]

[…]

1. Entendre les préoccupations de M. Reeves concernant son avancement dans le programme et ses relations de travail.

2. Discuter avec lui des attentes de la direction pour les prochains mois où il poursuivra son travail à TGEM, suivra le bloc D du programme d’apprentissage et obtiendra son Sceau rouge. L’objectif est de s’assurer que M. Reeves ait les meilleures possibilités d’être entendu, de demander conseil, de comprendre son rôle en tant qu’apprenti mécanicien de véhicules et membre de l’équipe de TGEM. Cette réunion aidera à éclaircir l’environnement dans lequel nous poursuivrons notre travail en vue d’une réussite.

[34]  Une réunion de suivi a été organisée pour introduire le plan d’action, que M. Bertrand a mis sur pied avec M. Phillips. Au départ, le fonctionnaire n’était pas enthousiasmé par le plan d’action, mais il a enfin été convaincu de son utilité et a participé de façon positive, ce qui a entraîné sa réussite aux examens du bloc D.

[35]  M. Petitpas était le superviseur civil responsable de la supervision quotidienne du fonctionnaire. M. Phillips était l’officier gestionnaire qui signait les rapports.

[36]  Sept rapports hebdomadaires relatifs au plan d’action ont été déposés à l’audience. Le premier est daté du 19 février 2015, et le dernier du 17 avril 2015.

[37]  Le plan d’action a cinq colonnes avec les titres suivants :

  • Priorités ministérielles ou programme permanent
  • Objectifs de travail de l’employé
  • Indicateur ou norme de rendement
  • Force ou amélioration atteinte
  • Domaines nécessitant une amélioration et exemple

[38]  Les cinq colonnes sont divisées en quatre objectifs de travail, qui peuvent être résumés comme suit :

  • effectuer des travaux d’entretien de véhicules à la demande du superviseur, sans nécessiter une supervision continue;
  • cultiver une atmosphère positive et productive avec les pairs et les superviseurs, et commencer et terminer le travail selon l’horaire établi;
  • maintenir et améliorer le niveau de compétences, être ouvert aux conseils et à la critique constructive, et rechercher les occasions d’améliorer le niveau des compétences;
  • exécuter tout travail de façon sécuritaire et veiller à ce que l’espace de travail soit propre et organisé à la fin de la journée.

[39]  Le plan d’action comprend également des compétences ou des comportements attendus et les énumère comme suit :

ESSENTIELLES

1. Faire preuve d’intégrité et de respect

2. Examiner soigneusement toutes les questions

3. Aptitude à travailler en équipe

4. Faire preuve d’un esprit d’initiative et être axé sur l’action

Fonctionnelles

Faire preuve d’une attitude positive envers les autres membres de l’équipe d’entretien

Technique

En tant qu’apprenti, faire preuve d’une attitude positive en suivant l’orientation des mentors pour améliorer les compétences techniques

Maintenir les compétences requises pour faire fonctionner, diagnostiquer et réparer l’équipement au besoin d’une manière sécuritaire

[40]  Les trois premières colonnes ont trait aux objectifs de travail. Les deux dernières contiennent les commentaires du superviseur. Pour chacune des sept semaines, ils peuvent être résumés comme suit, selon les quatre objectifs de travail et les trois compétences :

  • Semaine 1 :
    • Réalisation : Les fonctions sont exécutées suivant les exigences, bonne conduite personnelle, a demandé de l’aide concernant un problème électrique, ce qui a raccourci son temps de réparation, et toutes les règles de sécurité ont été suivies.
    • Domaines à améliorer : [traduction] « Ses compétences en matière de diagnostic exigent plus d’expérience pratique pour augmenter ses connaissances et améliorer la rapidité du temps de réparation ».
    • Compétences : Le fonctionnaire a répondu avec un esprit ouvert à l’aide de techniciens supérieurs. À améliorer : informer son superviseur du moment où il sera de retour s’il quitte l’atelier.
  • Semaine 2 :
    • Réalisation : Tous les objectifs sont satisfaits; il a fait preuve de professionnalisme.
    • Domaines à améliorer : aucun (un commentaire apparaît, mais il a trait aux compétences et constitue en fait une réalisation).
    • Compétences : [traduction] « M. Reeves travaillait sur un Bobcat avec un autre technicien et en raison de son expérience antérieure, il a été en mesure de donner des renseignements techniques sur les meilleures procédures pour changer les godets d’une manière sécuritaire, donnant lieu à un temps de réparation acceptable ». A fait preuve d’une attitude positive, a travaillé sans assistance, et était enthousiaste de passer au travail suivant.
  • Semaine 3 :
    • Réalisation : Tous les objectifs ont été atteints, avait une attitude positive, et a cherché activement à s’occuper.
    • Domaines à améliorer : [traduction] « A bien réussi à rester occupé ».
    • Compétences : Rester occupé, attitude positive, et a accepté l’aide sans hésiter.
  • Semaine 4 :
    • Réalisation : Les fonctions sont exécutées et les règles de sécurité ont été suivies.
    • Domaines à améliorer : [traduction] « M. Reeves doit se préoccuper de ce qu’il fait, pas des autres. On lui a fait une remarque le 26 mars concernant l’heure à laquelle il doit être prêt à commencer à travailler, soit à 7 h. M. Reeves a mentionné que d’autres gars arrivent en retard et qu’on ne leur dit rien ». Il doit également rester concentré sur le travail qu’on lui a donné plutôt que d’être distrait et d’aider les autres avec leurs travaux.
    • Compétences : Le fonctionnaire est positif et respectueux envers les membres de l’équipe; il a une attitude positive envers les techniciens supérieurs qui l’aident. À améliorer : [traduction] « M. Reeves doit présenter une carte de présence au plus tard à 15 h tous les jours [...] sans exception. M. Reeves est parti tôt pour raison de maladie le 17 mars et aucune carte de présence n’a été présentée ».
  • Semaine 5 :
    • Réalisation : Éthique de travail positive, bonne attitude, a achevé sa formation concernant l’intervention en cas de déversements, et travaille d’une manière sécuritaire.
    • Domaines à améliorer : aucun commentaire.
    • Compétences : A travaillé efficacement avec un esprit ouvert et une vision positive.
  • Semaine 6 :
    • Réalisation : A exécuté ses fonctions [traduction] « en temps raisonnablement opportun », fait preuve de respect envers ses pairs et ses superviseurs, utilise les manuels, est en mesure d’effectuer le travail avec peu d’assistance — [traduction] « excellent travail ». Toutes les règles de sécurité ont été suivies.
    • Domaines à améliorer : aucun.
    • Compétences : S’assure que les réparations sont exactes et minutieuses, est poli envers tous les membres de l’équipe et reconnaissant de l’aide des techniciens supérieurs.
  • Semaine 7 :
    • Réalisation : A exécuté ses fonctions avec peu ou pas de supervision, a fait preuve d’une attitude positive et travaillé de manière sécuritaire.
    • Domaines à améliorer : [traduction] « M. Reeves doit faire preuve d’un peu plus de patience lorsque d’autres techniciens l’aident. Lorsqu’une aide lui est offerte, c’est pour lui montrer certains des éléments qui exigent des essais pour donner des diagnostics exacts afin de veiller à ce que nous ayons les bonnes pièces de rechange et toutes les pièces nécessaires pour effectuer le travail. Nous ne doutons pas de ses capacités, nous peaufinons ses compétences en matière d’établissement de diagnostic ».
    • Compétences : Le fonctionnaire était axé sur l’action, est resté occupé et a fait preuve d’une attitude positive. Il a dû travailler avec d’autres techniciens pour effectuer des tâches non pas parce qu’il avait besoin d’aide, mais pour terminer des travaux qui devaient être achevés immédiatement.

[41]  Dans l’ensemble, selon M. Bertrand, le plan d’action a très bien fonctionné, ce qui a été indiqué dans [traduction] « l’entente de rendement de la fonction publique » (ERFP) de 2014-2015. Le fonctionnaire a réussi le bloc D.

[42]  Lorsqu’il a échoué à l’examen du Sceau rouge, la direction a été quelque peu découragée. Ce que M. Bertrand a entendu des autres gestionnaires, et avec quoi il semblait d’accord, était que le rendement du fonctionnaire était bon lorsqu’il était suivi de près et moins lorsqu’il était moins suivi. C’était l’explication de M. Bertrand pour ne pas aider le fonctionnaire à obtenir le Sceau rouge, peut-être grâce à un autre plan d’action. Selon lui, cela n’aurait pas renversé la [traduction] « tendance » qui avait été remarquée, qui était que sans supervision continue, le rendement du fonctionnaire en souffrait.

[43]  Lorsqu’il a été confronté au cours du contre-interrogatoire avec les évaluations satisfaisantes dans l’ERFP du fonctionnaire et qu’on lui a demandé d’où lui venait l’idée d’une « tendance », M. Bertrand a répondu qu’à la fois les superviseurs civils et militaires avaient souvent discuté du faible rendement du fonctionnaire.

[44]  M. Bertrand a nié avoir un préjugé contre les minorités raciales. Avant sa rencontre avec le fonctionnaire en janvier 2015, malgré le fait d’avoir entendu parler de lui, il n’avait aucune idée que le fonctionnaire était un homme noir.

3. Le commandant Ted Godsell

[45]  M. Godsell est un membre des forces régulières depuis 1998. De juillet 2014 à janvier 2017, il était le commandant des services logistiques de la base d’Halifax, relevant directement du commandant de la base. Il a expliqué que FMARA offre un soutien à la flotte.

[46]  L’unité des Services logistiques de la base comprend 400 membres du personnel, environ 200 civils et 200 militaires. La base d’Halifax est une base opérationnelle qui dessert 10 000 membres de personnel militaire appartenant à la marine, à l’armée, aux forces aériennes et aux forces spéciales.

[47]  M. Godsell a pris connaissance de la situation du fonctionnaire en automne 2014, lorsque Mme Sanchez-Maloney, qui relevait directement de lui et le tenait au courant des questions relatives aux membres du personnel, l’a informé au sujet du fonctionnaire. Il en a également entendu parler de Mme Anderson, qui était sa personne-ressource principale aux RH.

[48]  M. Godsell a indiqué que cette période était une époque difficile pour les forces armées. Le gouvernement fédéral de l’époque souhaitait augmenter la responsabilité de la fonction publique tout en diminuant les effectifs. L’ensemble du MDN était bien conscient qu’il faudrait apporter des modifications à la gestion des RH des civils, afin d’optimiser l’emploi des fonds consacrés aux employés civils.

[49]  On réexaminait aussi les conditions à la base d’Halifax. Elle venait d’ouvrir un nouveau garage pour TGEM, dont elle était très fière. En même temps, la haute direction remettait en question le besoin de l’entretien des véhicules de la base – pourquoi l’effectuer à la base plutôt qu’au Canadian Tire, par exemple, s’il coûtait moins cher de le faire hors base? Il est important d’administrer les ressources publiques de façon responsable.

[50]  Déjà à l’automne 2014, on avait discuté du renvoi du fonctionnaire. De l’automne 2014 jusqu’en juin 2015, les questions le concernant étaient traitées avec les conseils des RH, en particulier ceux de Mme Anderson. M. Godsell lui faisait confiance et savait qu’elle respecterait les principes des RH. Il faisait également confiance à Mme Sanchez-Maloney et lui vouait une haute estime. Il la connaissait déjà, puisqu’ils avaient fréquenté ensemble le Collège d’état-major. Elle avait beaucoup d’expérience et une éthique solide.

[51]  Lorsqu’en juin 2015 le fonctionnaire a échoué à l’examen du Sceau rouge, la situation a changé. À l’audience, M. Godsell a indiqué que ce n’était pas un choc pour certains dans l’équipe, en fonction d’observations passées. À ce moment-là, il a été décidé de procéder au renvoi en cours de stage.

[52]  D’autres options ont été brièvement examinées, selon M. Godsell. Toutefois, les retards du fonctionnaire, son manque de respect et ses explosions à l’égard des superviseurs ont pesé lourdement contre lui. M. Godsell a indiqué que le respect pour les supérieurs, y compris les supérieurs militaires, était d’une grande importance pour lui. Mme Sanchez-Maloney partageait cette valeur avec lui.

[53]  La réunion pour donner au fonctionnaire sa lettre de licenciement a eu lieu le 21 juillet 2015. M. Godsell se rappelait que les personnes suivantes y avaient assisté : Katie Maclean, des RH, le fonctionnaire et son représentant, M. Slater, M. McIsaac, et peut-être (M. Godsell n’était pas certain de ces deux derniers) M. Bertrand et M. Phillips.

[54]  Lorsqu’on lui a demandé quelle était la justification du renvoi en cours de stage, M. Godsell a répondu que c’était l’échec du fonctionnaire à l’examen du Sceau rouge. Il y avait une préoccupation que la poursuite de son programme signifierait de continuer la dépense de ressources au-delà de six ans. Des ressources avaient été consacrées à l’aider à passer son bloc D; l’employeur ne souhaitait pas continuer de dépenser autant de ressources pour sa formation.

[55]  Lorsqu’on l’a interrogé sur les documents qu’il avait examinés pour prendre sa décision, M. Godsell a mentionné une lettre du fonctionnaire, en date d’octobre 2014, qui avait été donné aux RH. C’est la même lettre que Mme Sanchez-Maloney n’a pas reconnue. Elle énonce en détail la plainte du fonctionnaire concernant sa formation. Elle est adressée aux [traduction] « Ressources humaines du MDN - BFC (Base des Forces canadiennes) Halifax » et est rédigée en ces termes :

[Traduction]

À qui de droit,

J’écris cette lettre à titre de plainte officielle et pour avoir un document au dossier concernant mes deux réunions avec l’équipe de la direction, qui consistait du Chef McIsaac et de la major Sanchez, pour discuter des plaintes concernant mon travail à la BFC Halifax. Ils m’ont accusé d’être impoli, irrespectueux et ils ont dit que mon rendement s’est détérioré au cours des deux dernières années. J’ai été engagé comme apprenti en 2009 et je suis le seul représentant d’une minorité visible (noir). J’ai eu un peu de difficulté avec ma cote de sécurité, mais heureusement pour moi, l’employeur (le MDN) a attendu jusqu’à ce que j’obtienne ma cote de sécurité. À cause de ce fait, j’ai été embauché 9 mois plus tard que les autres apprentis.

Le premier jour de mon emploi, j’ai rencontré le Chef Ball, qui m’a indiqué qu’il n’y avait personne à Halifax qui serait en mesure d’être mon mentor et que je devrais aller à la BFC Shearwater pour être encadré par Warren White. L’année et demie que j’ai passée à Shearwater était excellente. J’ai beaucoup appris et j’ai travaillé avec toutes sortes d’équipement. M. White a pris sa retraite au début du printemps 2011. À l’automne 2011, j’ai été transféré à la BFC Halifax et une personne nommée Brian Priest était mon mentor étant donné qu’il était le seul détenteur d’une qualification de mécanicien de machinerie lourde. Lorsque je suis arrivé à la BFC Halifax, j’ai entendu des rumeurs qui circulaient disant qu’il ne souhaitait pas travailler avec moi.

Je ne pouvais vraiment pas comprendre pourquoi une personne qui ne me connaissait pas aurait cette attitude et ne souhaiterait pas travailler avec moi. À l’époque, la direction ne m’a pas informé que M. Priest ne souhaitait pas travailler avec moi, par conséquent, je ne les ai jamais interrogés à ce sujet.

Au début de 2012, alors que je m’apprêtais à retourner au NSCC pour terminer le dernier bloc de mon apprentissage de façon à pouvoir obtenir ma carte de qualification provinciale, l’adjudant Frank MacDonald m’a abordé pour me demander si je serais d’accord de modifier mon métier de l’équipement lourd pour camions et transports. J’ai accepté avec réticence de changer parce qu’à ce moment-là, je voulais juste obtenir ma carte de qualification provinciale. Ce que je ne savais pas, c’est que cela me renverrait quatre ans en arrière dans ma carrière!

La direction ne m’a pas informé que cela aurait une incidence sur ma carrière autre que le fait que je serais spécialiste de camions et transports au lieu d’équipements lourds. J’ai présumé que je travaillerais sur d’autres types d’équipement et que cela n’aurait aucune incidence sur mon apprentissage. Lorsque j’ai rencontré l’officier chargé de mon apprentissage le 20 mars 2012, j’ai été informé que la moitié de mes heures accumulées (4 000 heures accumulées) ont été supprimées de mon temps étant donné qu’il y a eu un changement de métier. Je n’en ai jamais été informé lors de la réunion initiale, autrement, je n’aurais pas effectué la modification. La fin de mon apprentissage est passée de 2013 à mars 2016. J’aurais déjà terminé et aurais eu ma carte de qualification provinciale sans ce conseil inapproprié et inéquitable sur ma carrière de la part de la direction.

J’ai interrogé l’adjudant MacDonald concernant l’incidence de cela sur mon échelle salariale et il m’a indiqué qu’il vérifierait, mais je n’ai jamais rien entendu depuis. Après cela, il y a eu un changement de direction. Pas plus tard que le 7 mai 2014, j’en ai discuté avec la major Sanchez-Maloney. Elle m’a indiqué qu’elle vérifierait, mais une fois de plus, je n’ai rien entendu concernant la situation. La nouvelle direction n’a rien fait pour m’aider avec les heures d’apprentissage ni mon salaire. Tout ce que j’ai, ce sont des reproches pour ne pas avoir encore obtenu mon accréditation, ce qui en réalité n’est pas ma faute, mais est la conséquence des conseils de l’adjudant MacDonald.

Je n’ai bénéficié d’aucun encadrement depuis que j’ai été transféré de la BFC Shearwater à la BFC Halifax en septembre 2011; j’effectue le même travail que mes collègues, mais ne reçois pas la même échelle salariale à laquelle j’ai droit. Je travaille habituellement seul, à moins qu’il ne s’agisse d’une tâche qui nécessite deux personnes pour des questions de sécurité.

Je pense que j’effectue mon travail d’une façon exemplaire et exécute toutes les tâches qui me sont attribuées en temps opportun et avec exactitude. Il n’y a pas besoin d’avoir des réunions avec les autorités susmentionnées pour me donner des lettres disciplinaires telles que j’ai reçu le 7 mai.

J’ai l’impression qu’au moyen des discussions avec eux et avec certains de mes collègues, que je fais l’objet de harcèlement et de discrimination.

Certains de mes collègues m’ont indiqué qu’on les a obligés à signer un formulaire contre moi, sinon leur emploi ou leur possibilité d’avancement est en danger. La dernière fois que je suis allé au NSCC, un de mes collègues m’a indiqué qu’il fallait que je fasse attention parce qu’ils essayaient de se débarrasser de moi.

J’ai essayé de continuer à travailler de mon mieux, mais trouve très difficile de travailler dans ces conditions. C’est pourquoi j’ai demandé un transfert à la BFC Shearwater, où j’ai débuté ma carrière avec le MDN. J’ai demandé ce transfert lorsque j’ai reçu mes lettres le 7 mai et jusqu’ici je n’ai toujours eu aucune indication si ce transfert est possible et s’il sera fait.

Par conséquent, je souhaite avoir cette lettre au dossier pour exprimer mes préoccupations.

Cordialement,

Christian Reeves

[56]  M. Godsell a formulé des commentaires sur le contenu de la lettre. Il n’a été mis au courant de celle-ci qu’en juin 2015, lorsqu’il envisageait le renvoi en cours de stage. Il a conclu que plusieurs points manquaient de crédibilité. Il y avait des erreurs de fait, telles que la raison pour laquelle le fonctionnaire avait dû changer de l’équipement lourd pour camions et transports. Il avait perdu 2 000 heures, ce qui représentait une année, non quatre ans.

[57]  La lettre indiquait également que le fonctionnaire n’était pas très réceptif aux cadres haut placés (Mme Sanchez-Maloney et M. McIsaac) qui essayaient de travailler avec lui. Plusieurs rapports ont été rédigés concernant sa conduite irrespectueuse. M. Godsell n’était pas au courant de collègues qui étaient obligés de signer des déclarations contre le fonctionnaire.

[58]  M. Godsell a également examiné les ERFP, les notes des divisions, et la correspondance entre Mme Sanchez-Maloney et son prédécesseur, M. Mills, concernant des préoccupations au sujet du fonctionnaire et ses résultats d’épreuves.

[59]  M. Godsell a conclu, d’après son analyse du dossier du fonctionnaire, qu’il y avait des préoccupations sérieuses concernant sa capacité d’être un mécanicien efficace. Son échec au bloc D et ensuite à l’examen du Sceau rouge indiquait qu’il ne pouvait pas travailler en tant que mécanicien. Le dossier comprenait aussi son manque de respect envers ses superviseurs. Dans l’ensemble, son comportement au travail ne convenait pas à l’environnement militaire.

[60]  La direction a bien envisagé d’offrir au fonctionnaire le même soutien dont il avait bénéficié pour le bloc D, mais en fin de compte, elle a décidé de ne pas le faire. Cela signifiait un investissement trop important en temps et en ressources, sans aucune garantie de réussite.

[61]  M. Godsell a indiqué que la réunion du 21 juillet 2015 était la première fois qu’il rencontrait le fonctionnaire. Il l’avait peut-être vu à la base, mais n’en avait aucun souvenir et n’avait jamais eu d’interaction personnelle avec lui avant cette date.

[62]  En contre-interrogatoire, M. Godsell a confirmé qu’aucune enquête n’a été menée pour donner suite à la lettre du fonctionnaire d’octobre 2014. Il a indiqué qu’il n’a pas considéré la lettre comme une plainte de harcèlement. Il ne voyait pas le besoin de demander au fonctionnaire de formuler des commentaires sur la lettre à la réunion concernant le renvoi en cours de stage. Puisqu’il avait échoué à l’examen du Sceau rouge, il n’y avait plus grand-chose à discuter.

[63]  M. Godsell a indiqué qu’il était au courant que d’autres avaient eu le droit de repasser l’examen du Sceau rouge, mais leurs circonstances étaient probablement différentes. Dans le cas du fonctionnaire, des ressources considérables avaient déjà été dépensées pour l’aider avec le bloc D. En même temps, il y avait une énorme pression de la part du MDN et du Conseil du Trésor pour que le TGEM soit plus responsable et efficace. Mme Sanchez-Maloney n’appuyait pas la poursuite de la formation, et il faisait confiance à son jugement.

[64]  M. Godsell a convenu que les étapes décrites dans la Directive ministérielle sur les programmes d’apprentissage et de développement opérationnel, dans le cas où la période de stage n’a pas été terminée, n’ont pas été suivies. L’extrait qui lui a été indiqué est rédigé en ces termes :

[Traduction]

ii) Stage non terminé (personnes nommées par voie de nomination externe et interne de la fonction publique)

S’il devait être décidé qu’un employé des PAPO [Programmes d’apprentissage et de développement opérationnel] ne peut satisfaire aux normes requises de compétences et lorsqu’une FEE [formation en emploi], un encadrement et d’autres stratégies ont été fournis pour aider l’employé à combler la lacune en matière d’apprentissage, l’employé :

• peut présenter une demande pour d’autres postes;

• peut démissionner;

• sera renvoyé au cours du stage.

[65]  M. Godsell a reconnu que le fonctionnaire avait été le seul apprenti noir de sexe masculin. Il a également reconnu que les renseignements négatifs qui se trouvent au dossier du fonctionnaire souvent ne lui avaient pas été présentés, et par conséquent, il n’avait pas eu la possibilité d’y répondre. Il a confirmé que tous les superviseurs du fonctionnaire avaient été blancs.

4. L’adjudant Frank MacDonald

[66]  M. MacDonald est un technicien de véhicules de métier. Il a rejoint les forces régulières en 1994. Il était le premier superviseur du fonctionnaire à la base Shearwater de janvier à fin novembre 2010, après quoi il a été transféré à Halifax. Lorsque le fonctionnaire a été transféré de Shearwater à Halifax, M. Priest, le compagnon des véhicules lourds, a refusé de le surveiller parce qu’il n’était plus actif dans ce domaine en raison d’une mesure d’adaptation de nature médicale. M. MacDonald a expliqué que les apprentis ont nécessairement besoin d’un compagnon pour surveiller leur formation et signer leurs registres pour les heures travaillées. Le compagnon signe également les travaux accomplis par l’apprenti.

[67]  En février 2012, M. MacDonald a demandé au fonctionnaire de passer de la machinerie lourde aux camions et transports pour s’assurer qu’il ait des compagnons pour le surveiller. M. MacDonald l’a confirmé au moment où le fonctionnaire avait achevé le bloc C, par conséquent, la modification signifiait un retard d’au moins une année pour obtenir son accréditation. M. MacDonald a continué de superviser le fonctionnaire jusqu’en juillet 2012. Il a été remplacé par le sergent Jim Miller jusqu’à ce que M. Phillips reprenne ses fonctions en septembre 2012.

[68]  M. MacDonald était responsable de la première évaluation du rendement du fonctionnaire intitulée « Rapport d’examen du rendement du personnel civil » (RERPC) pour l’exercice 2010-2011. Les commentaires dans ce rapport sont positifs. Le fonctionnaire a obtenu une note globale de 3 sur 5. Les cinq niveaux sont : 1) a dépassé la majorité des attentes en matière de rendement, 2) a satisfait à toutes les attentes en matière de rendement, 3) a satisfait à la plupart des attentes en matière de rendement, 4) n’a pas satisfait à la plupart des attentes en matière de rendement, et 5) n’a pu être évalué (par exemple, si l’employé a été en congé prolongé). M. MacDonald a rédigé les commentaires suivants :

[Traduction]

Au cours de la période visée par le présent rapport, M. Reeves a été employé aux Services d’entretien de Shearwater (9) et aux Services d’entretien de l’équipement lourd (3). M. Reeves suit actuellement son programme d’apprentissage de l’équipement lourd, à un rythme normal. Il a fait preuve de connaissances adéquates en matière de travail et d’aptitudes du métier. Il utilise bien les ressources techniques qui sont à sa disposition; il a régulièrement consulté les publications et les manuels lorsqu’il effectuait des réparations qu’il ne connaissait pas. Il a exécuté toutes les tâches qui lui étaient attribuées à une norme acceptable sous une supervision continue. M. Reeves remplissait d’une façon propre et exacte les cartes journalières des horaires, établissant la norme de l’atelier. En bon joueur d’équipe, il s’est porté bénévole pour l’exercice Mains sales, contribuant à la réussite globale de l’exercice.

[69]  M. MacDonald n’avait qu’une préoccupation. Il l’a exprimée par le fait que le fonctionnaire avait besoin de « supervision continue », ce qui était plus que ce qu’on attendait. Néanmoins, son rendement avait été adéquat, et sa contribution à l’exercice « Mains sales » était certainement la marque d’un joueur d’équipe.

[70]  M. MacDonald avait également rédigé le deuxième RERPC du fonctionnaire pour l’exercice 2011-2012. Une fois de plus, il a satisfait à la majorité des attentes en matière de rendement. La plupart des commentaires sont positifs, avec une note sur le besoin d’améliorer la communication avec les superviseurs. Sous la rubrique « Résultats atteints », M. MacDonald a rédigé les commentaires suivants :

[Traduction]

M. Reeves a atteint la plupart des objectifs de travail avec de bons résultats. À titre d’apprenti de Camions et transports, il a effectivement maintenu une production de 60 %, une formation de 30 % et un taux d’administration de 10 %, ces pourcentages sont conformes à un employé qui entreprend un programme d’apprentissage. M. Reeves n’a pas satisfait à la norme requise en matière de communication, on l’a conseillé sur sa capacité de maintenir une communication efficace avec les superviseurs. M. Reeves doit veiller à ce que ses superviseurs soient au courant de toute absence inattendue en raison de maladie, et qu’il fasse des efforts pour communiquer avec son superviseur. Cet incident a été rectifié depuis.

[71]  Sous la rubrique [traduction] « Résumé du rendement par le gestionnaire ou le superviseur », M. MacDonald a écrit ce qui suit :

Au cours de la période visée par le présent rapport, M. Reeves a atteint les objectifs du travail à une norme acceptable. À titre d’apprenti des Camions et transports, il a suivi les instructions de base et a appliqué avec enthousiasme ses compétences du métier dans l’inspection, le diagnostic et la réparation des véhicules lourds. Un joueur d’équipe dévoué, c’est un membre bien intégré de la section des réparations de l’équipement lourd. M. Reeves a dévoué son temps et ses efforts avec abnégation à l’exercice MAINS SALES, contribuant à la réussite globale de l’événement. M. Reeves s’est efforcé de maintenir un environnement de travail propre, réduisant ainsi les risques liés à la sécurité dans l’atelier. Il s’est conformé aux règles de sécurité, utilisant toujours l’ÉPI [Équipement de protection individuelle] au besoin. Il était réceptif aux critiques constructives des superviseurs et des mentors, faisant toujours preuve d’une attitude positive. M. Reeves a accepté volontiers les conseils et l’orientation d’autres membres du personnel de la section concernant les procédures de réparation de véhicules qu’il ne connaissait pas.

[72]  Le fonctionnaire a signé le formulaire pour s’inscrire au volet Camions et transports en février 2012. Le formulaire indique clairement qu’il lui restait 4 000 heures à travailler pour les blocs C et D. Il indique également que la date d’achèvement prévue était le 31 mars 2016.

5. L’adjudant Blair Phillips

[73]  M. Phillips a rejoint les forces régulières en 1990. Il est également technicien de véhicules de métier. Il était à la base Shearwater en 2010 et il a ensuite été transféré à la base d’Halifax en septembre 2012. Il est arrivé à Shearwater au même moment où le fonctionnaire partait.

[74]  Lorsqu’il est arrivé à la base d’Halifax, il a eu une séance d’information avec M. Miller, qui avait remplacé M. MacDonald. M. Miller l’a informé que le fonctionnaire avait changé de métier, qu’il avait de la difficulté à saisir les concepts d’entretien des véhicules, et qu’il avait endommagé certains équipements.

[75]  Lors d’un incident, le fonctionnaire avait apparemment passé devant un véhicule civil en conduisant un camion de l’atelier. Le camion transportait des pneus qui n’avaient pas été sécurisés correctement. Cet incident a fait l’objet d’un rapport écrit. M. Phillips a eu une réunion avec le fonctionnaire et le collègue qui était dans le véhicule. Le fonctionnaire ainsi que le collègue ont signé le bref rapport qui était daté du 18 décembre 2012. Cet incident n’a pas donné lieu à d’autres mesures.

[76]  M. Phillips a raconté un autre incident qui était documenté dans un courriel à son supérieur militaire, l’adjudant-maître Molloy. Le 9 janvier 2013, M. Phillips a trouvé le fonctionnaire à un ordinateur, apparemment en train de lire un magazine en ligne. Lorsque M. Phillips lui a demandé ce qu’il faisait, le fonctionnaire a répondu qu’il recherchait le moyen de réparer un camion sur le Web. M. Phillips est allé chercher le superviseur du fonctionnaire. Ensemble, ils ont discuté avec le fonctionnaire, qui s’est plaint que son superviseur [traduction] « s’en prenait toujours à lui ». Le rapport par courriel se termine par le paragraphe suivant :

[Traduction]

[…]

Il s’est ensuite remis à travailler sur le camion et a commencé à sacrer et jurer à lui-même. J’ai dit à Murv [le superviseur] de venir me chercher s’il poursuivait cette attitude. Murv m’a indiqué qu’il doit constamment supporter cette attitude. J’ai dit à Murv qu’il ne devrait pas tolérer cela en tant que superviseur.

[77]  M. Phillips a indiqué dans son témoignage que personne ne souhaitait travailler avec le fonctionnaire parce qu’il n’écoutait pas; s’il écoutait, il faisait ensuite les choses à sa manière.

[78]  M. Phillips a rédigé le RERPC pour l’exercice 2012-2013. Il a été signé le 12 juin 2013 par M. Phillips, le fonctionnaire, et M. Molloy à titre d’agent d’examen. Une fois de plus, le fonctionnaire a « satisfait à la majorité » des attentes en matière de rendement. C’était fondé sur le rapport de ses superviseurs immédiats. Le texte qu’ils ont rédigé et que M. Phillips a signé est quelque peu contradictoire. Il est indiqué qu’il devait achever son bloc D en Camions et transports, mais il était apparemment employé dans la section de l’entretien de l’équipement lourd. Les commentaires des superviseurs ont été rédigés en ces termes :

[Traduction]

[…]

SECTION 6 – Commentaires du gestionnaire ou superviseur…

M. Reeves a montré une amélioration considérable en matière d’initiative et d’éthique du travail depuis la signature de la lettre d’attentes concernant l’attitude, le respect et les heures de travail.

[…]

SECTION 8 – Commentaires de l’agent d’examen…

1. M. Reeves a exécuté la plupart des tâches attribuées en temps opportun.

2. Il s’est conformé aux règles et aux règlements de sécurité tout en maintenant un espace de travail propre et sécuritaire.

3. Il a contribué aux objectifs de l’unité et aux objectifs organisationnels.

4. Il a maintenu et s’est conformé aux exigences de la sécurité organisationnelle.

5. M. Reeves n’a pas maintenu une communication efficace avec son superviseur. Lorsqu’un travail est terminé, il devrait en informer son superviseur et demander un autre travail, ce serait utile pour la production et l’aiderait à régler plus rapidement son registre d’apprenti.

6. Le membre est responsable de ses actions.

Examen semestriel du rendement…

[…]

Commentaires du superviseur…

M. Reeves est actuellement en troisième année de sa formation d’apprentissage. Il est nécessaire de le superviser constamment lors de l’inspection et de la réparation de l’équipement lourd. Il y a eu quelques incidents où l’équipement a été endommagé en raison de son manque d’expérience. On a conseillé à son superviseur de demander à des techniciens qualifiés de prendre un rôle plus actif et travailler de près avec M. Reeves.

[…]

Examen de rendement de la fin de la période d’examen…

Au cours de la période visée par ce rapport, M. Reeves a été employé à la Section des services d’entretien de l’équipement lourd. M. Reeves est un apprenti qui travaille actuellement en vue d’obtenir une accréditation. Il a fait preuve de connaissances moyennes en matière de travail et d’aptitudes du métier. Il a exécuté rapidement les tâches qui lui ont été attribuées avec une supervision minimale. M. Reeves s’est bien servi des ressources dont il disposait, en demandant activement conseil aux techniciens plus expérimentés dans l’atelier. M. Reeves a signé une lettre d’attentes concernant l’attitude, le respect et les heures de travail. On lui a rappelé qu’il ne devait pas naviguer sur le Web à des fins personnelles sur l’ordinateur de l’atelier à moins qu’il soit en pause-café ou en pause dîner. Au cours de la période visée par ce rapport, il y a eu quelques incidents où l’équipement a été endommagé en raison du manque d’expérience de M. Reeves. M. Reeves doit aborder son superviseur et demander de l’aide s’il a des doutes ou des préoccupations lorsqu’il inspecte ou répare l’équipement du MDN. Il s’est porté volontaire pour faire partie de l’équipe du service de contrôle de la neige et des glaces, sur demande 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, et se rendant au travail pour les appels de l’équipe mobile de réparation (EMR) tout de suite. Il convient également de reconnaître l’appui extraordinaire de M. Reeves à l’opération Mains sales, (CCMTGC) une campagne de charité en milieu de travail du gouvernement du Canada.

[79]  À l’audience, M. Phillips a confirmé que le fonctionnaire avait effectivement changé pour Camions et transports, mais selon lui, il s’agissait essentiellement de la même chose. Il fallait trouver le bon outil pour le travail, ce que le fonctionnaire ne semblait pas faire.

[80]  À l’audience, M. Phillips a expliqué la manière dont s’est élaborée la série de courriels avec les commentaires négatifs sur le fonctionnaire. À la fin d’octobre 2014, après qu’il a été confirmé avec le NSCC que le fonctionnaire avait échoué à son bloc D, les RH recherchaient plus de renseignements à l’appui d’un renvoi en cours de stage. Le courriel était adressé au capitaine Forster et une copie était envoyée à Mme Sanchez-Maloney et à M. McIsaac. Il demandait [traduction] « [...] tout renseignement supplémentaire pour que le dossier soit préparé pour un renvoi en cours de stage immédiatement. » M. McIsaac l’a envoyé à M. Phillips, qui a répondu dans un courriel le 24 octobre 2014.

[81]  M. Phillips décrit le manque de respect du fonctionnaire pour l’autorité et énumère plusieurs actes qui lui ont été signalés ainsi que sa propre rencontre avec le fonctionnaire lorsque ce dernier lisait des magazines sur le Web. On l’a également vu manger son dîner pendant les heures de travail, porter des espadrilles au lieu de chaussures de sécurité, causer une collision et travailler sur sa voiture pendant les heures de travail.

[82]  M. Phillips indique qu’en effet, le fonctionnaire a bien reçu une formation individuelle d’autres employés et de superviseurs. Il énumère ensuite des commentaires de trois techniciens civils supérieurs et de trois superviseurs militaires, qui sont tous négatifs : il est nécessaire de beaucoup superviser le fonctionnaire, il n’est pas capable de retenir des renseignements, il n’est pas motivé, d’autres techniciens ne souhaitent pas travailler avec lui, et il commet des erreurs coûteuses.

[83]  M. Phillips a nié qu’une pression avait été exercée pour obtenir ces commentaires. Selon lui, on aurait dit aux personnes citées dans le courriel que s’ils ne fournissaient pas de renseignements, ils auraient à subir le fonctionnaire pour les 35 prochaines années. Plusieurs mécaniciens ont apparemment refusé de contribuer quoi que ce soit, étant donné qu’ils ne souhaitaient pas être portés au dossier.

[84]  À l’audience, un courriel d’un certain caporal Kline a été porté à l’attention de M. Phillips. Il date du 17 octobre 2014, et a été acheminé à M. Phillips le même jour. M. Kline était un mécanicien militaire travaillant à titre de compagnon, et non un superviseur. Le courriel est adressé à un sergent Muise, le supérieur militaire de M. Kline et un superviseur (qui n’est pas cité dans le courriel de M. Phillips). M. Kline a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Bon après-midi, Sergent,

Je souhaitais simplement vous mettre au courant de certaines choses que j’ai observées sur place récemment. Depuis au moins la dernière semaine, chaque jour au cours de sa pause dîner de 30 minutes, M. Reeves part courir, dans un effort de maintenir sa condition physique à un bon niveau. Il est aussi le seul sur place qui travaille à partir de 12 h 30 chaque jour en salopette. M. Reeves n’a aucun problème à offrir de l’aide au besoin, et l’offre pratiquement sans se plaindre. M. Reeves n’abuse pas du système non plus (congés de maladie). Sans aucun doute, je peux dire qu’il essaie, et personnellement, je pense que cela paraît bien sur lui.

[85]  Lorsqu’on lui a demandé pourquoi ce point de vue n’a pas été inclus dans le courriel qu’il a envoyé le 24 octobre, M. Phillips a répondu que M. Kline n’avait aucune idée de la situation globale.

[86]  Une autre série de courriels a été présentée à M. Phillips afin d’avoir ses commentaires. Un inspecteur de l’assurance qualité a signalé au superviseur civil et ensuite à M. Phillips qu’il avait entendu l’un des superviseurs militaires utiliser le mot qui commence par un « N ». L’inspecteur s’est offusqué, trouvant cela irrespectueux pour les [traduction] « [...] trois personnes noires ou de couleur qui travaillent ici à l’atelier. » Il a ajouté dans un autre courriel qu’il avait des membres de sa famille qui étaient de descendance noire.

[87]  M. Phillips a discuté avec le superviseur militaire et a rassuré l’inspecteur par courriel que cela ne se produirait plus. L’inspecteur a répondu comme suit : [traduction] « Merci pour la réponse, mais si cela se reproduit dans ce bureau ou sur ces lieux, je cognerai ce bâtard de race ». On a demandé à M. Phillips s’il y a eu des conséquences pour l’utilisation de ce langage haut en couleur par l’inspecteur, et M. Phillips a haussé les épaules en disant qu’il n’y en avait pas eu étant donné que ce langage lui était habituel.

[88]  M. Phillips a participé à l’effort de plan d’action que M. Bertrand avait mis sur pied. Il a reconnu que le fonctionnaire semblait être sur la bonne voie et que le superviseur civil était content du rendement du fonctionnaire. M. Phillips a signé l’évaluation de rendement pour 2014-2015, maintenant appelée l’entente de rendement de la fonction publique (ERFP). À la suite de cela, il n’a plus eu affaire au fonctionnaire, qui est parti peu de temps après cette ERFP pour passer son examen du Sceau rouge.

[89]  Au cours du contre-interrogatoire, M. Phillips a reconnu que lorsqu’il s’est occupé de régler l’incident avec le mot qui commence par un « N », il avait d’abord écouté la version du superviseur militaire avant de lui demander de ne plus recommencer. Dans le cas du fonctionnaire, M. Phillips avait reçu un grand nombre de renseignements sur lui, mais il ne lui a jamais demandé d’avoir d’abord sa version des événements.

[90]  M. Phillips a également confirmé que lorsqu’il a mentionné au fonctionnaire l’incident du camion de l’atelier et des pneus non sécurisés, il a demandé au fonctionnaire de signer une note pour reconnaître qu’il a eu connaissance de la situation. Il a été signalé à M. Phillips que pour la plupart des situations négatives discutées dans son courriel, il n’y avait aucune trace que le fonctionnaire avait été directement mis au courant des problèmes. M. Phillips a répondu qu’on lui a demandé de recueillir des preuves, ce qu’il a fait.

[91]  M. Phillips ne savait pas pourquoi il n’y avait aucune évaluation de rendement au dossier pour l’exercice 2013-2014. Il croyait qu’il l’aurait fait.

[92]  Lorsqu’on l’a interrogé au sujet de l’incident au cours duquel il avait vu le fonctionnaire lire un magazine en ligne, M. Phillips ne pouvait pas se rappeler si le magazine avait été une publicité de côté ou s’il occupait tout l’écran.

B. Pour le fonctionnaire

1. Neil Harnish

[93]  M. Harnish a débuté au MDN en 1976 à titre d’aide de corps de métier. Il est mécanicien d’automobiles accrédité depuis 1978 et a toujours travaillé à la base d’Halifax. Il est mécanicien d’automobiles dans l’atelier de l’équipement lourd. Il a travaillé avec le fonctionnaire pendant environ deux ans, de temps en temps à titre de superviseur par intérim.

[94]  À un moment donné, il ne pouvait pas se rappeler quand, M. Phillips lui a demandé de [traduction] « rédiger un rapport » sur le fonctionnaire. À ce moment-là, M. Harnish faisait partie d’un processus de dotation pour le poste permanent de superviseur (le même poste qu’il avait occasionnellement occupé à titre intérimaire). On lui a indiqué que s’il n’était pas d’accord de critiquer le fonctionnaire, il ne ferait plus partie du concours. On lui a demandé de rédiger tout ce que le fonctionnaire ne faisait pas correctement. Voici la citation de M. Harnish que M. Phillips a incluse dans son courriel :

[Traduction]

M. Reeves ne possède pas les connaissances nécessaires pour être mécanicien. Il semble qu’il n’est pas capable de retenir ou ne retient pas l’apprentissage du métier. Il demande à un ouvrier expérimenté comment faire un travail et il lui est montré la façon de le faire, il dit ensuite je l’essaierai de cette façon. Donc, l’ouvrier n’a plus envie de l’aider. Il semble qu’il n’a pas l’enthousiasme de vouloir apprendre le métier. Je ne souhaiterais pas l’avoir comme mécanicien dans mon atelier.

[95]  À l’audience, on lui a demandé pourquoi il avait écrit cela. Il a répondu qu’on lui a dit qu’il était obligé de le faire. Tout ce qu’il a écrit aurait pu être interprété différemment, sauf la dernière phrase, qu’il regrette maintenant, parce que ce n’est pas vrai. On lui a demandé s’il souhaiterait avoir le fonctionnaire comme mécanicien dans son atelier. M. Harnish a répondu [traduction] « Certainement. »

[96]  Bien entendu, a expliqué M. Harnish, le fonctionnaire n’avait pas les connaissances nécessaires pour être mécanicien – c’est pour cette raison qu’il était apprenti. Bien sûr qu’il ne pouvait pas retenir toute l’information. C’est un métier difficile, et M. Harnish a indiqué qu’il apprenait encore lui-même, après toutes ces années.

[97]  En fait, a ajouté M. Harnish à l’audience, le fonctionnaire s’était vraiment bien repris et travaillait plutôt bien, et il était en train d’apprendre.

[98]  Au cours du contre-interrogatoire, on a interrogé M. Harnish au sujet des ouvriers qui ne souhaitaient plus aider le fonctionnaire. Il a répondu que certains étaient découragés par le fait qu’après qu’ils lui aient donné des conseils, le fonctionnaire faisait autre chose. Il a ajouté que ce n’était pas inhabituel dans le monde des ouvriers. Il a maintenu une déclaration qu’il avait écrite à la demande du fonctionnaire pour le syndicat après le licenciement du fonctionnaire, qui est rédigée en ces termes :

[Traduction]

En juin 2014 on m’a dit que je devais rédiger un rapport sur M. Reeves. À l’époque on m’a dit que si je ne le faisais pas, je serais retiré du concours pour le poste de superviseur. Après l’avoir écrit ils ont dit que cela ne ferait aucune différence.

2. Kenny Atwell

[99]  M. Atwell est un mécanicien de véhicules accrédité que le MDN a engagé en avril 2009. Son métier est Camions et transports. À l’époque où il a été embauché, il était un apprenti de troisième année et avait passé les trois premiers blocs. Il a passé le bloc D et a ensuite passé l’examen du Sceau rouge. Il a échoué à sa première tentative. La direction lui a dit de ne pas s’inquiéter, que l’échec était une chose qui pouvait arriver. Il a réussi à sa deuxième tentative.

[100]  Il a beaucoup travaillé avec le fonctionnaire (le registre de Camions et transports du fonctionnaire pour les tâches qu’il a exécutées est signé principalement par M. Atwell). Il a indiqué qu’ils s’entendaient bien. Lorsqu’on lui a demandé s’il travaillerait de nouveau avec le fonctionnaire, M. Atwell a répondu [traduction] « Sans hésiter. »

[101]  On a posé des questions à M. Atwell concernant le traitement subi par fonctionnaire. Il a répondu que c’était terrible et que le fonctionnaire était continuellement pris pour cible. Chaque jour on le grondait pour quelque chose. Il ne s’agissait pas d’une conversation en tête-à-tête avec un superviseur; il s’agissait d’être appelé dans le bureau. Le fonctionnaire n’était pas le meilleur des mécaniciens, a indiqué M. Atwell, mais il a rapidement ajouté qu’il ne l’était pas non plus.

[102]  M. Atwell s’est rappelé une réunion que M. McIsaac a organisée pour aborder l’insatisfaction des mécaniciens qui avaient l’impression que le mauvais superviseur avait été embauché. Le fonctionnaire n’avait pas été invité à y assister. M. Atwell a demandé pourquoi il n’avait pas été invité, et M. McIsaac a répondu qu’il n’était qu’un apprenti. M. Atwell trouvait que c’était injuste, étant donné que c’était aussi le milieu de travail du fonctionnaire. Il a indiqué que c’était un exemple du mauvais traitement subi par le fonctionnaire.

[103]  On a interrogé M. Atwell sur le fait que le fonctionnaire travaillait sur son propre véhicule sur le lieu de travail. M. Atwell a répondu que techniquement, ce n’était pas permis, mais que les gens le faisaient, y compris lui-même. Il considérait que c’était correct pour autant que ce n’était pas fait pendant les heures de travail pour le MDN, ce qui signifiait pendant la pause dîner, puisque l’accès à l’atelier était interdit après les heures de travail.

[104]  On a demandé à M. Atwell quel était son souvenir du jour où le fonctionnaire a été licencié. Selon lui, le fonctionnaire a été appelé, comme c’était déjà arrivé à plusieurs reprises. Cette fois, M. Salter, le représentant syndical, était présent. Il a entendu dire que le fonctionnaire avait été licencié. Le fonctionnaire lui a demandé de prendre son registre, que M. McIsaac avait gardé. M. Atwell a vérifié auprès de la commission de l’apprentissage, qui a confirmé que le registre appartenait à l’apprenti et non à l’employeur. M. Atwell a repris le registre du bureau de M. McIsaac.

3. Ken Salter

[105]  M. Salter est électricien de métier. Il a commencé à travailler au MDN en 1991. Il est devenu délégué syndical après cinq ans. Il a dû apprendre par lui-même comment représenter les membres. Il a fini par devenir délégué syndical principal, et il y a trois ans, il a été élu président du syndicat local. En novembre 2018, il a cessé ses activités syndicales, estimant que consacrer 20 ans à cette cause était suffisant.

[106]  À l’époque du licenciement du fonctionnaire en juillet 2015, M. Salter était le délégué syndical principal. La direction lui a demandé d’assister à la réunion à laquelle le fonctionnaire serait licencié. Il se rappelait un assez grand rassemblement de quelque 12 personnes, y compris M. McIsaac, Mme Maclean et Mme Anderson. Avant la réunion, il avait appelé Brenda Lee Blaney, qui était l’agente des services aux membres pour l’UEDN dans sa région de l’Atlantique, pour demander conseil sur la représentation du fonctionnaire à la réunion. C’était la première fois qu’il assistait à un renvoi.

[107]  Lors de la réunion, M. Salter a essayé de convaincre les représentants de l’employeur que le fonctionnaire avait peut-être des difficultés d’apprentissage et qu’il devrait avoir le droit de repasser l’examen. Il a essayé de les convaincre que le fonctionnaire était prêt à travailler fort, mais ils n’étaient pas réceptifs. Ils ont indiqué qu’ils avaient fait de leur mieux pour aider le fonctionnaire, mais qu’il ne convenait pas pour ce poste.

[108]  M. Salter était choqué. Il pensait que c’était assez dégradant de dire au fonctionnaire qu’il ne convenait pas au poste après qu’il y ait travaillé consciencieusement pendant toutes ces années. Il n’y avait jamais eu de plainte pour des questions de sécurité; ses évaluations de rendement ne reflétaient aucune inaptitude.

[109]  M. Salter a indiqué que tout au long de la réunion, M. McIsaac avait un sourire narquois, ce qui était peu professionnel, selon l’avis de M. Salter. Il était surpris de voir une telle démonstration de satisfaction.

[110]  On a donné au fonctionnaire sa lettre, et le groupe s’est dispersé. Le fonctionnaire a souhaité dire au revoir à ses collègues. M. McIsaac le suivait de près et a insisté pour qu’il parte immédiatement. Après cinq minutes, M. McIsaac est devenu agressif et a commencé à répéter [traduction] « sortez » au fonctionnaire. M. Salter a demandé à M. McIsaac de s’abstenir et de faire preuve d’un peu de compassion. Enfin, M. Salter et le fonctionnaire sont partis, sous l’intimidation constante de M. McIsaac.

[111]  Le fonctionnaire n’a pas eu la possibilité de ramasser ses affaires. Il était secoué et bouleversé, tout comme M. Salter et les collègues.

[112]  En contre-interrogatoire, M. Salter a indiqué que le fonctionnaire avait souvent communiqué avec lui, étant donné qu’il avait l’impression que l’employeur essayait de se débarrasser de lui. M. Salter avait eu des discussions avec la direction, d’où le plan d’action semblait découler.

[113]  M. Salter n’est pas mécanicien, mais à titre de représentant syndical, il avait de nombreux contacts avec d’autres mécaniciens. Selon lui, leur évaluation était que le fonctionnaire travaillait bien. Il pensait que lorsque la direction a indiqué que le fonctionnaire ne convenait pas au métier, cela signifiait du point de vue académique. M. Salter pensait que le fonctionnaire avait peut-être des problèmes scolaires.

[114]  M. Salter avait l’impression que le traitement subi par le fonctionnaire était inéquitable, étant donné qu’il avait vu que d’autres mécaniciens pouvaient avoir des problèmes au cours de leur formation. Ces problèmes n’ont pas entraîné la fin de leur processus d’accréditation. Certaines personnes étaient meilleures à l’école, d’autres personnes étaient meilleures à la pratique.

[115]  M. Salter ne savait pas à quel moment le fonctionnaire avait donné sa lettre du 3 octobre 2014 à la direction pour se plaindre de son traitement. Il s’est rappelé avoir reçu des conseils qu’il serait mieux que le fonctionnaire poursuive ses efforts sans se plaindre.

4. Le fonctionnaire s’estimant lésé

[116]  Le fonctionnaire travaille actuellement comme mécanicien dans un atelier de camions. Il est propriétaire d’une maison à Sackville, en Nouvelle-Écosse.

[117]  Le fonctionnaire avait l’impression qu’il faisait l’objet de discrimination lorsqu’on ne lui a pas permis de repasser l’examen du Sceau rouge une deuxième fois. Il connaissait deux collègues qui avaient eu cette possibilité. Il avait également l’impression que M. McIsaac l’avait harcelé lorsqu’il a été licencié en le suivant de près et en ne lui laissant pas le temps de ramasser ses affaires.

[118]  On a présenté au fonctionnaire la plainte qu’il avait écrite, datée du 3 octobre 2014. Il a indiqué qu’il l’avait remise à M. Salter à cette date. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il l’avait écrite, il a répondu qu’il l’avait fait parce qu’il avait l’impression d’être constamment surveillé alors que d’autres ne faisaient pas l’objet d’une surveillance aussi rapprochée. À cette époque, il craignait vraiment d’être licencié avant la fin de son stage.

[119]  Bien qu’en fin de compte le plan d’action ait fonctionné, le fonctionnaire n’avait pas l’impression que c’était dans son intérêt. Plutôt, il le considérait comme un moyen de recueillir des renseignements à utiliser contre lui. Il n’a pas reçu plus de mentorat pendant cette période. Il était surveillé, et à la fin de chaque semaine, les superviseurs discutaient de son rendement avec lui.

[120]  À l’audience, on a demandé au fonctionnaire d’examiner les documents qui faisaient partie des éléments de preuve de l’employeur. Le premier a été rédigé par le sergent Miller (actuellement l’adjudant Miller, qui a témoigné à l’audience). Ce document décrit en détail le comportement du fonctionnaire dans les situations suivantes : il a dit au caporal Daniel Conway de se faire « F » lorsqu’on lui a demandé de rester plus longtemps au travail, il a commis deux erreurs dans des réparations (dans un des cas, il a endommagé une batterie), et il a appelé une personne d’un nom que la personne avait demandé de ne pas utiliser.

[121]  Le fonctionnaire a nié avoir dit à quiconque de se faire « F ». Il est possible qu’il ait commis des erreurs, comme la plupart des personnes. Il ne savait pas qu’il ne devait pas utiliser le nom de la personne concernée; une fois qu’on le lui a indiqué, il ne l’a plus jamais utilisé.

[122]  Le deuxième document concernait l’incident noté par M. Phillips au sujet du camion avec les pneus non sécurisés. Le fonctionnaire a dit qu’on lui avait demandé d’aller chercher des pneus. Il n’a pas nié qu’il avait peut-être passé devant un autre véhicule et que les pneus n’étaient pas sécurisés.

[123]  Le troisième document était le rapport de M. Phillips indiquant que le fonctionnaire lisait des magazines sur Internet pendant les heures de travail. Le fonctionnaire s’est rappelé qu’il recherchait des renseignements sur la façon de réparer une Zamboni. Il y avait peut-être des publicités sur la page.

[124]  Le fonctionnaire a contesté ce qui semblait être insinué concernant son comportement dans la lettre sur les attentes. Il se considérait respectueux et professionnel et croyait qu’il traitait ses collègues avec respect.

[125]  Le fonctionnaire a commenté la lettre de réprimande. Il a nié avoir traité M. McIsaac de menteur. À la réunion, le fonctionnaire a indiqué que ce dont il était accusé était un mensonge. Il ne travaillait pas sur sa voiture pendant les heures de travail, seulement pendant sa pause dîner. Travailler sur sa propre voiture n’était pas permis, mais il avait obtenu la permission d’un superviseur étant donné que sa voiture était tombée en panne sur le chemin du travail; il fallait remplacer certaines de ses valves.

[126]  Les préoccupations exprimées dans le courriel que M. Phillips a mis sur pied, avec les citations de certains superviseurs et collègues, n’ont jamais été présentées au fonctionnaire.

C. La contre-preuve de l’employeur

1. Le caporal Daniel Conway

[127]  M. Conway travaillait dans le même bâtiment que le fonctionnaire, premièrement à titre de collègue et ensuite, à partir de 2012, à titre de superviseur. M. Conway a indiqué dans son témoignage que sa relation avec le fonctionnaire avait été bonne jusqu’à ce qu’il devienne son superviseur; ensuite, c’est devenu difficile. Le fonctionnaire remettait souvent en question les tâches qu’on lui attribuait.

[128]  Il s’est rappelé que le fonctionnaire avait quitté plus tôt un vendredi, sans sa permission. Le vendredi suivant, lorsqu’il a dit au fonctionnaire qu’il devait rester plutôt que de partir plus tôt, le fonctionnaire lui a dit de se faire « F ».

[129]  Lorsqu’on l’a interrogé en contre-interrogatoire, M. Conway n’était plus certain de la formulation exacte, mais il était certain que le mot qui commence par un « F » avait été utilisé et que c’était à son égard. Il avait rédigé un courriel à ce sujet à son superviseur, M. Miller, mais il n’avait pas confronté le fonctionnaire avec le rapport écrit, et il ne pouvait pas non plus se rappeler avoir rencontré M. Miller et le fonctionnaire pour en discuter.

[130]  On a interrogé M. Conway au sujet de la pratique des employés de quitter tôt le vendredi après-midi. Il a indiqué qu’en effet, ils pouvaient quitter tôt ce jour-là, mais uniquement avec la permission de leur superviseur. L’heure de départ pouvait varier d’une semaine à l’autre, et d’un superviseur à l’autre.

2. L’adjudant Jim Miller

[131]  M. Miller est un technicien de véhicules. Il a travaillé avec l’équipe de TGEM de 2007 à 2014 à la base d’Halifax. Il a indiqué que son expérience avec le fonctionnaire avait été bonne, mais qu’il avait remarqué que le fonctionnaire ne semblait simplement pas avoir les aptitudes générales d’un apprenti moyen.

[132]  On a renvoyé M. Miller aux notes qu’il avait gardées concernant le fonctionnaire, qui comprenaient le courriel de M. Conway concernant la remarque où il l’aurait envoyé se faire « F ». Elles énuméraient également d’autres exemples d’insuffisances de la part du fonctionnaire.

[133]  On a demandé à M. Miller pourquoi il avait gardé ces notes. Il a répondu qu’elles seraient utiles au moment de rédiger l’évaluation annuelle de rendement; elles pouvaient refléter les points forts ou faibles des employés. En contre-interrogatoire, il a indiqué que les notes n’avaient pas pour but d’être disciplinaires. En réponse à une question de la Commission, il ne pouvait expliquer la raison pour laquelle il avait mentionné les évaluations de rendement, puisqu’il n’avait pas été responsable de l’évaluation du rendement du fonctionnaire.

3. Katie Maclean

[134]  Mme Maclean était une conseillère en relations du travail avec le MDN de 2011 à 2017. Elle se souvenait du dossier du fonctionnaire. Elle se rappelait avoir vu sa plainte datée du 3 octobre 2014, mais seulement à l’été de 2015. M. Salter, le représentant syndical, l’avait portée à son attention.

[135]  Elle se rappelait qu’en 2014, des préoccupations sont apparues concernant le rendement du fonctionnaire; il n’avait pas une bonne attitude et il semblait nonchalant à l’égard de son travail. Son inconduite justifiait la lettre de réprimande. Elle était présente à la réunion à laquelle il a traité son superviseur de menteur. Elle a contribué à la rédaction de la lettre de réprimande.

[136]  Elle a également contribué à la rédaction de la deuxième lettre, qui a été donnée au fonctionnaire le 7 mai 2014. C’était en réponse au souhait de Mme Sanchez-Maloney d’articuler clairement la position de l’employeur, qui était que le fonctionnaire était surveillé et qu’il pouvait être renvoyé en cours de stage.

[137]  Lorsque je l’ai interrogée au sujet des insuffisances dans le rendement du fonctionnaire, Mme Maclean a répondu que des personnes sont venues dire qu’il manquait d’initiative, qu’il lisait des magazines au travail, et qu’il avait juré au travail.

[138]  On a demandé à Mme Maclean si elle avait vu le document de M. Phillips qui décrivait les défauts perçus du fonctionnaire et qui citait des personnes au travail. Elle a répondu qu’elle n’en était pas certaine.

[139]  Mme Maclean a indiqué dans son témoignage qu’après que le renvoi en cours de stage a été fait et lorsqu’il a été nécessaire de répondre au grief au deuxième palier, une analyse a été effectuée des exemples signalés par le fonctionnaire de ce qu’il prétendait être un traitement inéquitable par M. McIsaac. Le document, daté du 28 octobre 2015 et adressé à M. Salter, est rédigé en ces termes :

[Traduction]

Suite à votre demande, voici une compilation des dates et des incidents.

Le 15 octobre 2014 ou aux alentours de cette date, le chef McIsaac a organisé une réunion avec tous les mécaniciens dont j’étais exclu, l’un de mes collègues – Kenny Atwell a demandé pourquoi je n’étais pas invité à la réunion et le chef McIsaac lui a essentiellement dit de se mêler de ce qui le regarde.

Le 6 novembre 2014, lorsque je me suis assis avec mon représentant syndical et le chef McIsaac pour discuter de la raison pour laquelle il souhaitait voir mon relevé de notes en présence de mon représentant syndical, le chef McIsaac m’a dit qu’ils (la direction) ne pensaient pas que je convenais au poste. Lorsque j’ai demandé ce qu’il entendait par là, il m’a accusé de passer 59 heures à travailler à un équipement, ce qui signifie [traduction] « il ne peut pas faire le travail ».

Le 21 juillet 2015. Le jour de mon licenciement, mes représentants syndicaux ont essayé de reporter le licenciement jusqu’à ce qu’ils puissent avoir une meilleure compréhension de l’affaire. Le chef McIsaac a dit à tout le monde que c’était dangereux de me garder sur place parce que je n’étais pas qualifié. Après avoir travaillé pendant presque 6 ans au même poste et sur le même équipement, jamais aucun équipement ne m’est revenu avec le même problème ou tout autre problème mécanique. Que le chef McIsaac dise qu’il était dangereux de me garder sur place était trompeur et injuste. Katie McLean, Ken Salter et d’autres personnes haut placées de TGEM ont été témoins de cette discussion. De plus, le jour de mon licenciement, le chef McIsaac s’est assuré de me suivre partout comme si j’étais une sorte de criminel. J’étais bouleversé d’avoir perdu un travail que j’avais depuis 6 ans et j’essayais de trouver quelle serait la mesure que je devrais prendre ensuite par l’intermédiaire du processus syndical. J’étais là en attendant Ken Salter et le chef McIsaac était dans ma face disant qu’il fallait que je dégage immédiatement, il répétait plusieurs fois que je ne recevrais pas ma dernière paye si je ne dégageais pas. Il m’a réclamé ma carte d’identification avant que je ne quitte le bâtiment, c’était devant mon représentant syndical, Ken Slater. M. Salter a dû lui dire de se calmer et d’avoir un peu de compassion.

Le 25 février 2015 ou aux alentours de cette date, j’ai eu une réunion avec Carol Ann Anderson des Ressources humaines pour discuter du fait que je n’avais pas été traité de façon équitable et égalitaire par le chef McIssac. J’ai également fait savoir qu’il faisait pression de façon active et agressive pour que je sois licencié. Je ne comprenais pas la raison, selon ma compréhension un apprenti est là pour apprendre le métier et j’aurais dû avoir un mentor pour le faire, mais je n’en avais pas.

Les témoins de mon traitement : vous pouvez communiquer avec l’une des personnes suivantes dans la section des TGEM. Elles confirmeront mon traitement par le chef McIsaac.

Kenny Atwell

Glenn Bonnell

Signé,

Christian Reeves

[140]  Ce document a été renvoyé au lieutenant (de la marine) Christopher Cusack. Il devait décider si la plainte de harcèlement du fonctionnaire devait donner lieu à une enquête exhaustive. Dans un courriel adressé au commandant Godsell avec une copie à Mme Maclean, M. Cusack a écrit que la note de service ne fournissait pas suffisamment de renseignements pour poursuivre avec une enquête exhaustive. Il a bien recommandé que le fonctionnaire examine sa note de service avec un assistant qualifié en matière de harcèlement afin de s’assurer qu’elle répondait aux éléments de harcèlement. Sa recommandation n’a pas été suivie.

[141]  Selon Mme Maclean, le commandant Godsell et les RH n’avaient que la première partie de la plainte du 3 octobre 2014, au moment où la décision a été prise de renvoyer le fonctionnaire en cours de stage. La deuxième page, à laquelle il indique clairement qu’il se sentait harcelé et qu’il faisait l’objet de discrimination, n’est apparue que lors de la présentation du grief.

[142]  J’ai demandé à Mme Maclean si l’employeur avait envisagé de maintenir le stage jusqu’à sa fin, prévue en mars 2016. Elle a répondu que ce n’était pas le cas. Lorsqu’on lui a demandé la raison, elle a répondu que c’était en raison de la longueur de la période qu’il avait déjà duré et que l’apprentissage et le stage n’étaient pas évalués de la même manière. Elle n’a pas expliqué cette idée en détail.

4. Le lieutenant (de la marine) Christopher Cusack

[143]  M. Cusack est actuellement officier de la logistique. À l’automne 2015, il était le chef d’état-major adjoint du commandant de la base à Halifax. Il a été engagé dans le dossier du  fonctionnaire quand on lui a demandé d’évaluer la note de service du fonctionnaire en date du 28 octobre 2015. L’analyse des griefs contre le harcèlement faisait partie de ses fonctions. Il a conclu dans un courriel que la note de service ne répondait pas au niveau de harcèlement qui mènerait à une enquête plus approfondie. Les allégations étaient insuffisantes. Il a suggéré que l’on aide le fonctionnaire à rédiger une plainte plus exhaustive. Il n’y a pas eu de suivi.

[144]  Lorsqu’on lui a présenté la plainte datée du 3 octobre 2014, M. Cusack a indiqué qu’elle aurait pu être suffisante pour recommander une enquête plus complète. Il ne l’avait pas vue au moment où on lui a demandé d’effectuer son examen.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[145]  L’espèce ne présente pas la situation habituelle d’une période probatoire qui dure généralement environ 12 mois. En l’espèce, la période probatoire s’applique à un programme d’apprentissage. Si l’apprentissage n’est pas réussi, les conditions de la lettre d’offre stipulent qu’un renvoi en cours de stage  peut avoir lieu. Il n’y a aucune garantie d’emploi. En outre, l’employeur n’a aucun contrôle sur le programme d’apprentissage du NSCC, qui joue un rôle important dans l’évaluation de l’aptitude de l’apprenti à assumer le poste.

[146]  Le renvoi en cours de stage ne fait pas partie des compétences de la Commission. Le seul moyen qu’elle ait compétence est soit au motif de la discrimination, dans quel cas elle aurait compétence en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi concernant un grief portant sur l’interprétation ou l’application de la convention collective, ou parce que le renvoi en cours de stage était en fait une mesure disciplinaire déguisée, auquel cas elle peut avoir compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

[147]  La Commission ne peut réévaluer le rendement. Toutefois, s’il y avait un motif lié à l’emploi pour le renvoi en cours de stage, il ne peut pas s’agir d’une mesure disciplinaire déguisée ou d’un subterfuge. En l’espèce, plusieurs motifs liés à l’emploi ont entraîné le renvoi en cours de stage : le comportement du fonctionnaire, son manque d’enthousiasme, son faible rendement ainsi que son échec à l’examen du Sceau rouge.

[148]  La discrimination n’a pas été soulevée au moment du renvoi en cours de stage. M. Salter parlait de difficultés d’apprentissage, mais le fonctionnaire nie en avoir. La discrimination raciale n’est véritablement devenue un problème qu’après le renvoi en cours de stage, mais le fonctionnaire n’a jamais présenté de grief contre la discrimination auparavant.

[149]  Le fonctionnaire blâme l’environnement hostile de l’employeur pour ses échecs et blâme l’employeur pour le retard dans son apprentissage. L’employeur admet que le fonctionnaire a perdu une année avec le changement de métier. Cela n’explique pas son échec au bloc D et à l’examen du Sceau rouge.

[150]  Il y avait plusieurs rapports sur le comportement et l’attitude inadmissibles du fonctionnaire envers ses collègues et ses supérieurs. Il nie tout, mais il semble un peu étrange qu’il y ait autant de mensonges.

[151]  Les problèmes avec le rendement du fonctionnaire se sont poursuivis pendant longtemps, pourtant, l’employeur a accepté de l’aider après qu’il a échoué le bloc D en établissant un plan d’action détaillé. Il a été averti deux fois qu’il devait améliorer son comportement, par la lettre concernant les attentes en janvier 2013 et par une lettre concernant la surveillance du rendement en mai 2014.

[152]  Il n’y avait aucune obligation pour que l’employeur fasse tout pour s’assurer que le fonctionnaire réussisse à l’examen du Sceau rouge. Il a été constamment soutenu et aidé. À un moment donné, l’employeur pouvait décider qu’après tout ce temps, le fonctionnaire ne convenait tout simplement pas. En outre, l’employeur avait ses propres considérations – il avait besoin d’un mécanicien qualifié, et le fonctionnaire détenait ce poste et empêchait l’embauche de quelqu’un d’autre.

[153]  Le fonctionnaire indique dans son grief qu’il a été traité différemment parce qu’on ne lui a pas donné la chance de repasser l’examen du Sceau rouge, contrairement au traitement reçu par d’autres. La seule preuve concernant cette question reçue à l’audience était le témoignage de M. Atwell. Sa situation était très différente. Il n’avait échoué à aucun bloc d’apprentissage et était devenu un mécanicien qualifié deux ans après son embauche.

[154]  Le fonctionnaire soutient que le traitement différencié était dû à sa race. En fait, il y a plusieurs raisons qui expliquent les actions de l’employeur. Il n’est pas suffisant de soutenir que la race était le motif; il est nécessaire d’établir un lien entre le traitement reçu et le motif de distinction illicite.

[155]  Même si le comportement de M. McIsaac le dernier jour peut sembler indésirable, il n’avait rien à voir avec la décision de la direction de mettre fin à un apprentissage qui n’était pas réussi. Un effort authentique et soutenu a été fait pour aider le fonctionnaire à obtenir son accréditation. L’employeur ne peut être tenu responsable de l’échec du fonctionnaire.

[156]  L’employeur a examiné plusieurs affaires à l’appui de son argumentation. Dans mon analyse, je reprendrai celles que j’estime pertinentes en l’espèce.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[157]  Le raisonnement de l’employeur selon lequel la Commission n’a pas compétence est inexact. Elle a compétence d’interpréter et d’appliquer l’article 19 de la convention collective, qui interdit le harcèlement et la discrimination.

[158]  Le fonctionnaire avait l’impression qu’il avait été assujetti à un traitement différent lorsqu’il a échoué à l’examen du Sceau rouge, étant donné que son collègue blanc avait eu l’occasion de le refaire; il n’a pas eu cette possibilité. On ne lui a pas donné la possibilité d’expliquer sa version des événements à M. Godsell; on lui a simplement donné la lettre de renvoi en cours de stage. Il était frappant de voir le contraste entre la manière dont un homme blanc était traité pour inconduite, comme dans le cas du superviseur militaire qui a utilisé le mot qui commence par un « N » et n’a eu qu’une simple discussion avec son superviseur, contrairement au fonctionnaire, qui n’a pas eu le droit à un processus équitable.

[159]  Le comportement de M. McIsaac le jour du renvoi en cours de stage constituait manifestement du harcèlement.

[160]  Le renvoi en cours de stage était un acte discriminatoire. L’attitude de l’employeur que le fonctionnaire ne pouvait réussir en tant que mécanicien, comme il a été répété par un bon nombre de témoins, était raciste.

[161]  Le renvoi en cours de stage était également une mesure prise de mauvaise foi. L’employeur n’a pas suivi les étapes qu’il avait énoncées dans la lettre d’offre. Il n’a pas tenu compte du fait que le fonctionnaire a dû refaire deux fois le bloc C. Il a simplement décidé que l’échec à l’examen du Sceau rouge était un motif suffisant pour le renvoyer, malgré le fait d’avoir permis à un autre employé de repasser cet examen.

[162]  La lettre de renvoi en cours de stage a énuméré trois motifs pour justifier la décision de l’employeur. Les paragraphes pertinents sont rédigés en ces termes :

[Traduction]

Jusqu’ici, vous avez reçu une lettre concernant les attentes (le 25 janvier 2013) et plusieurs examens de rendement qui démontrent des points faibles en ce qui concerne votre poste. Vous avez été avisé dans une lettre en date du 7 mai 2014 que le fait de ne pas répondre aux normes de rendement, conjointement avec vos résultats académiques, serait utilisé pour évaluer si le ministère de la Défense nationale décidait de poursuivre votre emploi. Vos évaluations de rendement, bien que légèrement meilleures, montrent toujours des domaines qui nécessitent des progrès.

Vous avez récemment échoué à votre certificat de compagnon en mécanique, qui est une condition d’emploi pour être nommé à titre de mécanicien d’équipement de véhicules. Vous devez maintenant vous qualifier de nouveau pour l’examen. Votre lettre d’offre et la Directive ministérielle sur les programmes d’apprentissage et de développement opérationnel indiquent clairement les répercussions sur votre emploi si vous ne réussissez pas le programme. Pour les motifs susmentionnés, j’ai pris la décision difficile de ne pas prolonger votre programme et de mettre fin à votre emploi.

[163]  Ces motifs ne résistent pas à l’analyse. Les examens de rendement ont montré un bon engagement de la part du fonctionnaire, et le dernier en date (celui de 2014-2015) était élogieux. Un examen de rendement manquait. La lettre du 7 mai 2014 était fondée sur des renseignements subjectifs et inexacts. Enfin, l’utilisation de l’échec du fonctionnaire à l’examen du Sceau rouge comme justification était manifestement un acte de mauvaise foi, étant donné que le renvoi en cours de stage a été présenté comme une conséquence directe de cet échec, alors que cela n’a pas été le cas pour un autre apprenti.

[164]  M. Godsell a indiqué dans son témoignage qu’il était au courant au moment du renvoi en cours de stage que le fonctionnaire avait allégué qu’il y a eu de la discrimination dans la manière dont il avait été traité. Pourtant, M. Godsell a choisi de ne pas enquêter davantage, ce qui est une autre preuve de mauvaise foi dans le traitement du fonctionnaire par l’employeur.

[165]  Le fonctionnaire a également cité de la jurisprudence à l’appui de sa position, je la reprendrai dans mon analyse.

IV. Analyse

[166]  Le fonctionnaire a présenté un grief contre son licenciement dans les termes suivants :

[Traduction]

Je présente un grief contre la lettre de l’employeur en date du 21 juillet 2015 dans laquelle j’ai été renvoyé en cours de stage.

Je présente un grief contre le fait que l’employeur a mis fin à mon programme d’apprentissage avant la date de fin du programme, qui était en mars 2016.

Je présente un grief contre la dérogation par l’employeur à ses Lignes directrices sur la prévention et la résolution du harcèlement, à ses Directives et ordonnances administratives de la défense (DOAD) sur le harcèlement et à la Politique du CT sur la prévention et le règlement du harcèlement.

Je présente un grief contre la dérogation par l’employeur à l’article 19 de ma convention collective.

Je présente un grief contre le fait que l’employeur m’a traité différemment en comparaison avec mes collègues.

Je présente un grief contre tout article connexe de ma convention collective.

[167]  L’article 19 de la convention collective est rédigé en ces termes :

Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

[168]  Selon les témoignages que j’ai entendus, il me semble qu’on n’ait pas accordé au fonctionnaire une chance égale de réussir. Certaines personnes du côté de la direction semblaient déterminées à mettre fin à son stage.

[169]  Je n’ai pas entendu M. McIsaac et je tire une conclusion défavorable concernant l’objet de la réprimande par écrit; à savoir que le fonctionnaire a travaillé sur sa voiture contrairement à un ordre direct. Il semble que les employés étaient au courant que l’employeur n’appuyait pas cette pratique, mais elle avait été tolérée pendant longtemps. Manifestement, Mme Sanchez-Maloney souhaitait la décourager complètement, mais je n’ai rien reçu qui contredise l’affirmation du fonctionnaire que ce jour-là, il avait obtenu une permission spéciale d’avoir sa voiture dans l’atelier parce qu’elle était tombée en panne sur le chemin du travail. Je n’ai reçu aucun élément de preuve de M. McIsaac; il était directement concerné, était l’un des architectes du dossier mis sur pied pour justifier le renvoi du fonctionnaire en cours de stage, et il était très agressif au moment du licenciement.

[170]  Je dois commenter sur un élément qui m’a frappée dans le témoignage de Mme Sanchez-Maloney et qui reflète assez bien l’attitude de l’employeur dans cette affaire. Elle a indiqué qu’après que le fonctionnaire a échoué à l’examen du Sceau rouge, l’employeur devait prendre une décision, compte tenu de trois considérations : le moral de tous les employés, l’intérêt de l’organisation, et les contribuables. Elle n’a fait aucune mention du fonctionnaire.

A. Renvoi en cours de stage

[171]  Comme l’a souligné l’employeur, la Commission n’a pas compétence pour se prononcer sur les renvois en cours de stage. L’article 211 de la Loi stipule clairement qu’un grief portant sur tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13), tel qu’un renvoi en cours de stage (voir l’article 61), ne peut être renvoyé à la Commission aux fins d’arbitrage.

[172]  Je conclus qu’il est approprié que je sois saisie du présent grief dans la mesure où son motif est la dérogation à l’article 19 de la convention collective, l’article sur l’élimination de la discrimination.

[173]  En outre, il y a une longue série de jurisprudence qui indique qu’un employeur doit avoir des motifs liés à l’emploi pour renvoyer un employé en cours de stage. Bien que le critère ait été légèrement modifié par la décision dans Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134, le principe que le renvoi en cours de stage doit se faire de bonne foi et ne doit pas constituer un subterfuge ou un camouflage a été récemment réitéré par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Dyson, 2016 CAF 125, au paragraphe 12, dans lequel la Cour indique ce qui suit :

Il est bien établi en droit qu’« un arbitre saisi d’un grief déposé par un employé renvoyé en cours de stage a le droit d’examiner les circonstances de l’affaire pour s’assurer qu’elle soit réellement ce qu’elle semble être » (Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429, à la page 440, [1989] A.C.F. no 461 (QL), au paragraphe 17 (C.A.F.)). L’arbitre avait donc le loisir de se demander si l’« employeur avait utilisé le renvoi en cours de stage comme subterfuge pour camoufler un autre motif de renvoi et avait donc fait preuve de mauvaise foi » (Kagimbi[2015 CAF 74], au paragraphe 2) et, sur ce fondement, de décider qu’il avait compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b).

[174]  Par conséquent, la question en litige est de savoir si le renvoi du fonctionnaire en cours de stage était lié à l’emploi.

[175]  La lettre qui renvoie le fonctionnaire en cours de stage, datée du 21 juillet 2015, énumère les quatre motifs suivants pour le renvoi :

1.  la lettre concernant les attentes;

2.  les examens de rendement de travail, dont aucun n’est mentionné de façon précise;

3.  la réprimande écrite du 7 mai 2014;

4.  l’échec à l’examen du Sceau rouge.

[176]  Le fonctionnaire soutient que ce sont des prétextes, et ne sont pas les motifs véritables. Je partage cet avis. À la fois dans le plan d’action et dans l’examen de rendement de 2014-2015, il est manifeste qu’il a satisfait aux attentes qui avaient été énoncées dans la lettre de janvier 2013. Les examens de rendement, bien qu’ils ne soient pas brillants, sont satisfaisants, et n’indiquent certainement pas que son stage était menacé. Comme je l’ai déjà indiqué plus haut, je ne suis pas certaine si la réprimande par écrit était entièrement justifiée — je n’ai pas obtenu la version des événements de M. McIsaac, et le fait d’inclure une directive globale à tous les employés sur le fait de travailler sur les véhicules personnels minait la mesure disciplinaire qui ne visait que le fonctionnaire.

[177]  Enfin, aucune explication n’a été donnée sur la raison pour laquelle l’échec à l’examen du Sceau rouge a été fatal pour le fonctionnaire et ne l’a pas été pour M. Atwell. La justification est que M. Atwell n’a pas échoué au bloc D. Étant donné qu’il n’a pas dû changer de volet au milieu de son parcours d’apprentissage, la comparaison entre sa réussite et la situation du fonctionnaire semble plutôt injuste.

[178]  En fait, les documents de l’employeur contredisent les conclusions de la lettre de renvoi. Le plan d’action était réussi, le fonctionnaire a bien réussi son examen du bloc D, et l’entente avait été prolongée jusqu’en mars 2016. D’après les conditions de la lettre d’offre, il n’y avait aucune raison de mettre fin au programme prématurément. Par conséquent, je conclus que le renvoi en cours de stage a été un acte de mauvaise foi, étant donné que la décision de l’employeur n’était pas fondée sur des motifs liés à l’emploi.

B. La discrimination

[179]  On peut tirer une conclusion de discrimination en emploi lorsque l’employé peut établir une preuve prima facie de discrimination, et que l’employeur n’a pas de défense valide. Le critère d’une preuve prima facie de discrimination a été décrit clairement par la Cour suprême du Canada dans Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, comme suit :

[33] [...] pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

[180]  En l’espèce, le fonctionnaire fait partie d’un groupe protégé contre la discrimination aux termes de la LCDP, en vertu du fait d’être noir et d’être né au Libéria. Il a subi des effets négatifs aux mains de l’employeur, étant donné qu’il a été renvoyé en cours de stage. La question qui demeure à trancher, pour que j’établisse une preuve prima facie de discrimination, est de savoir si sa race et son origine nationale ont été des facteurs dans le traitement défavorable qu’il a subi.

[181]  Démontrer que la race est un facteur dans un contexte d’emploi n’est pas une tâche facile. La position officielle du MDN, et du gouvernement fédéral en tant qu’employeur, est que la discrimination raciale est entièrement interdite et ne sera pas tolérée. Pour les motifs qui suivent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la discrimination raciale a dû au moins être un facteur dans le renvoi du fonctionnaire en cours de stage, étant donné qu’il n’y a aucune autre explication pour les actes qui ont été manifestement discriminatoires contre lui. Comme dans Grant c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 59, je dois déduire qu’une discrimination raciale a eu lieu. Comme il a souvent été indiqué, les éléments de preuve directs sont difficiles à trouver; il faut examiner l’ensemble des circonstances pour déterminer s’il est plus vraisemblable que la discrimination raciale a joué un rôle dans l’affaire que la conclusion contraire. En l’espèce, le mauvais traitement global du fonctionnaire et le refus de l’employeur d’en tenir compte lorsque la question a été soulevée m’amènent à la conclusion qu’en l’absence de toute raison objective pour le renvoi en cours de stage, le fonctionnaire a été victime de discrimination parce qu’il est un homme noir.

[182]  Mme Sanchez-Maloney et M. Godsell ont souligné les efforts qui ont été fournis pendant une période de six ans et qu’après ces six ans, l’employeur ne pouvait plus consacrer des ressources supplémentaires au fonctionnaire. Ils n’ont pas mentionné une seule fois le recul en raison du changement de volets, sauf lorsque M. Godsell a indiqué que le fonctionnaire avait perdu 2 000 heures, et non les 4 000 alléguées. Toujours est-il que 2 000 heures constituent une année complète. La direction n’a jamais signalé l’effet démoralisant de devoir refaire le troisième bloc.

[183]  L’employeur a cherché à démontrer que des efforts considérables ont été consacrés pour aider le fonctionnaire à réussir le bloc D. Ce plan d’action constituait en fait un exercice de surveillance. Il était réussi étant donné que le fonctionnaire a démontré qu’il pouvait avoir le rendement attendu, et il a bien réussi l’examen du bloc D. Toutefois, les efforts consacrés à son aide ont été quelque peu contredits par les éléments de preuve qui ont été recueillis contre lui pour mettre fin à son stage.

[184]  Je trouve particulièrement troublante la campagne manifeste qui a été échafaudée contre le fonctionnaire, dans laquelle des témoignages ont été recueillis pour le montrer sous un jour défavorable. M. Harnish a indiqué dans son témoignage qu’il éprouvait des remords pour avoir participé à cet exercice, et le motif pour lequel il l’avait fait. Je conclus que les répercussions des actes de l’employeur étaient manifestement discriminatoires. Plusieurs facteurs mènent à la conclusion que ce qui a eu lieu constituait en fait un traitement discriminatoire du fonctionnaire.

[185]  Tout d’abord, il y a le fait qu’un autre apprenti, M. Atwell, a échoué à l’examen du Sceau rouge et pourtant on lui a dit [traduction] « Pas de problème; vous n’avez qu’à le réessayer ». L’employeur a cherché à distinguer la situation en soutenant que M. Atwell n’avait pas échoué au bloc D. Cela dit, M. Atwell n’a pas dû refaire le bloc C et perdre des milliers d’heures d’expérience pratique. M. Atwell n’a pas dû composer avec une ambiance où ses superviseurs et les conseillers en Relations de travail recherchaient tout incident pour mettre fin à son stage. Cela s’est produit précisément au moment où le fonctionnaire suivait sa formation académique pour passer le bloc D.

[186]  Deuxièmement, on n’a aucunement envisagé de permettre au fonctionnaire de terminer son programme d’apprentissage à la date prévue de la fin de l’apprentissage (le 31 mars 2016), ce qui lui aurait donné une autre possibilité de passer l’examen du Sceau rouge. La possibilité n’a pas été offerte, malgré les conditions de sa lettre d’offre, qui stipulait comme suit que la période de probation devait durer tout au long de la durée du programme d’apprentissage : [traduction] « [...] les employés nommés de l’extérieur de la fonction publique à un programme de perfectionnement professionnel ou d’apprentissage sont assujettis à une période de stage pour la durée du programme ou douze mois, selon la plus longue de ces périodes [...] ».

[187]  Il est sans conteste que l’apprentissage du fonctionnaire avait été prolongé jusqu’en mars 2016. Si l’employé éprouvait des difficultés à satisfaire aux [traduction] « normes requises de compétence […] une formation en emploi et un encadrement » seraient [traduction] « fournis pour aider l’employé à combler la lacune en matière d’apprentissage [...] ». L’employeur a soutenu que cela avait été fait pour aider le fonctionnaire avec le bloc D. Aucune aide supplémentaire n’a été fournie pour l’aider avec l’examen du Sceau rouge lorsqu’il n’a pas réussi à satisfaire à ses normes requises.

[188]  Troisièmement, l’employeur a cherché à éviter toute enquête concernant les allégations de discrimination raciale. On a présenté des parties de documents à M. Cusack; sa suggestion d’offrir une aide au fonctionnaire pour rédiger une plainte de harcèlement en bonne et due forme a été ignorée.

[189]  Quatrièmement, le manque d’encadrement dont le fonctionnaire a souffert lorsqu’il est arrivé de Shearwater à la base d’Halifax n’a pas été contredit et demeure sans explication. Des compagnons supervisaient son travail, mais les témoins de l’employeur n’ont pas nommé une seule personne qui était son mentor, comme Warren White l’avait été dans le volet de l’Équipement lourd. M. Phillips, son officier superviseur, a consacré une énergie considérable à la campagne de dénigrement. Il n’a pas été en mesure d’expliquer la raison pour laquelle aucune évaluation de rendement n’a été effectuée pour 2013-2014.

[190]  Cinquièmement, je tiens compte du témoignage franc de M. Atwell. Il a répondu sans hésiter qu’on s’en prenait constamment au fonctionnaire pour un comportement pour lequel personne d’autre n’était réprimandé. Je souligne la réprimande curieuse concernant le fait que le fonctionnaire travaillait sur sa voiture, alors que la même lettre indique qu’à partir de ce moment-là, ce ne serait plus permis.

[191]  Je comprends le point de vue de l’employeur que le fonctionnaire n’était pas un mécanicien brillant et qu’il pouvait être malpoli envers ses supérieurs. Toutefois, ce comportement s’était visiblement amélioré, comme il a été souligné dans le RERP de 2014-2015 et dans le plan d’action mis sur pied par le capitaine Bertrand. Le plan d’action était le dernier rapport qui documente pleinement le rendement du fonctionnaire. Le fait de mettre fin à son emploi après la réussite du plan d’action et après qu’il a terminé le bloc D pour la seule raison qu’il a échoué à l’examen du Sceau rouge (tout comme M. Atwell) montre une attitude envers le fonctionnaire qui est simplement inexplicable. La seule explication qui demeure est le préjudice racial pur et simple.

[192]  Je m’empresse de dire que je crois l’employeur lorsqu’il indique que la discrimination raciale n’est pas tolérée au sein du ministère. Je crois le commandant Godsell et le capitaine Bertrand lorsqu’ils disent qu’ils n’ont pas tenu compte de la race du fonctionnaire au moment de prendre leur décision. Toutefois, aux échelons inférieurs, je vois qu’un comportement a eu lieu qui était manifestement négatif pour le fonctionnaire, dont la seule explication possible est sa race. Il n’était pas un employé modèle en tout temps, mais il a certainement montré sa volonté d’apprendre, de s’améliorer, et de respecter les membres de son équipe. Je le déduis des témoins et des rapports de rendement, aussi bien que du plan d’action.

[193]  Bien que l’employeur ne tolère pas la discrimination raciale, il n’a pas enquêté sur l’allégation de discrimination une fois qu’elle a été soulevée. M. Godsell a indiqué qu’elle avait été soulevée au moment où la décision a été prise de renvoyer le fonctionnaire en cours de stage. Elle a manifestement été soulevée au cours de la procédure de règlement des griefs.

[194]  Je conclus que l’employeur n’a pas donné d’explication raisonnable pour le mauvais traitement subi par le fonctionnaire. Les motifs indiqués dans la lettre de renvoi en cours de stage n’étaient pas suffisants pour justifier la décision qui y figurait, étant donné que la période d’apprentissage n’était pas terminée, que le rendement du fonctionnaire était en fait en train de s’améliorer, et qu’un autre apprenti avait eu le droit de passer l’examen du Sceau rouge une deuxième fois. Je conclus que la discrimination raciale a dû au moins être un facteur pour construire une image aussi négative du fonctionnaire que les échelons supérieurs du MDN étaient convaincus que son renvoi en cours de stage était la bonne voie à suivre, étant donné l’absence d’explication pour les actes de l’employeur et l’animosité évidente de certains gestionnaires. L’employeur n’aurait pas dû mettre fin à la période du fonctionnaire avant la date prévue du 31 mars 2016, et il n’aurait pas dû lui refuser la possibilité de réessayer l’examen du Sceau rouge une deuxième fois en octobre 2015. Je conclus que la discrimination a joué un rôle dans cette décision.

V. Redressement

[195]  Les parties ont demandé que je rende une décision sur le bien-fondé de l’affaire sans ordonner de redressement. J’ai accepté cette suggestion, et par conséquent, je n’ai pas entendu les observations complètes sur le redressement. J’ai bien indiqué que si je parvenais à la conclusion qu’une discrimination a eu lieu, j’ordonnerais une indemnisation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C., 1985, ch. H-6; LCDP); les parties ne s’y sont pas opposées. Par conséquent, le seul redressement envisagé dans la présente décision est celle en vertu de la LCDP.

[196]  Je conclus que le fonctionnaire a le droit à l’indemnisation aux termes de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP en raison de l’atteinte grave à sa dignité. J’indiquerai une fois de plus à quel point je trouve troublante la campagne qui a été échafaudée pour justifier le licenciement, compte tenu des éléments de preuve indiquant que certains employés ont subi une pression pour y participer. Je trouve également troublant que M. Miller ait conservé des notes sur le fonctionnaire alors qu’il n’avait aucune responsabilité d’évaluer le fonctionnaire. Je suis convaincue que l’on a rendu la vie du fonctionnaire plus difficile parce qu’il est noir et parce qu’il provient d’une culture différente.

[197]  Il a été répété à maintes reprises qu’il est difficile de quantifier le montant approprié à octroyer pour l’indemnisation d’une atteinte à la dignité. Compte tenu du coût subi par le fonctionnaire en termes de retard pour l’obtention de son accréditation de compagnon, compte tenu des nombreuses indications que j’ai que c’était causé par un préjugé à son égard, et compte tenu de la longueur de la période pendant laquelle il a été victime d’une campagne négative, j’octroierai un montant dans la fourchette supérieure de l’indemnisation, à savoir 15 000 $.

[198]  L’indemnisation peut aussi être accordée en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP en raison du comportement volontaire ou insouciant de l’employeur. Je ne crois pas que le racisme fût nécessairement présent partout, et il y avait certainement des exemples de personnes qui venaient à la défense le fonctionnaire ou qui essayaient véritablement de l’aider. Toutefois, l’employeur ne s’est pas acquitté de ses obligations en ne menant pas d’enquête sur l’allégation de discrimination raciale après que l’agent négociateur l’a soulevée avec force. La réaction était de se défendre et de nier plutôt qu’avoir un intérêt sincère pour le point de vue du fonctionnaire. Cela constitue un comportement insouciant pour lequel j’octroie 10 000 $.

[199]  Les parties peuvent parvenir à une entente pour régler ce qui est dû au fonctionnaire à la suite de la fin prématurée de son programme d’apprentissage. Je demeurerai saisie de cette question jusqu’à ce que les parties en informent la Commission. Si elles ne parviennent pas à une entente dans les 60 jours suivant la date de la présente décision, la Commission les invitera à fournir d’autres arguments sur le redressement.

[200]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[201]  Le grief est accueilli.

[202]  Le renvoi en cours de stage a été fait pour des motifs autres que ceux liés à l’emploi, par conséquent, le fonctionnaire a le droit d’être réintégré dans le programme d’apprentissage.

[203]  Le fonctionnaire a fait l’objet de discrimination, contrairement à l’article 19 de la convention collective.

[204]  Un montant de 15 000 $ est accordé au fonctionnaire aux termes de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[205]  Un montant de 10 000 $ est accordé au fonctionnaire aux termes du paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[206]  Je demeure saisie de l’affaire jusqu’à ce que la question du redressement soit réglée, soit au moyen d’une entente entre les parties ou par une autre ordonnance de la Commission. Les parties doivent informer la Commission de leur plan d’action souhaité dans les 60 jours suivant la date de la présente décision.

Le 24 juin 2019.

Traduction de la CRTESPF.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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