Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté les décisions de l’employeur de suspendre sa cote de fiabilité, de révoquer sa cote de fiabilité et de mettre fin à son emploi – la Commission a jugé que les décisions de l’employeur n’étaient pas de nature disciplinaire – la Commission a jugé que, le fonctionnaire s’estimant lésé ayant tenté de cacher son casier judiciaire étranger à l’égard d’accusations liées à la drogue de même que sa consommation de drogues illégales, l’employeur avait des préoccupations légitimes selon lesquelles le fonctionnaire s’estimant lésé présentait des risques actuels, ingérables et continus pour ses activités – elle a également jugé que les relations du fonctionnaire s’estimant lésé alors qu’il était à l’étranger ne présentaient pas des risques actuels, ingérables et continus pour à la sécurité de l’employeur – elle a jugé que les décisions de l’employeur à l’égard de la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé étaient légitimes – finalement, la Commission a jugé que le licenciement était justifié, puisque le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait plus la cote de fiabilité nécessaire pour son emploi continu.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION (Traduction de la CRTESPF)

I. Introduction

[1]  Jerome Murphy, le fonctionnaire s’estimant lésé, (le « fonctionnaire ») travaillait comme conseiller principal en programmes pour l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC ou « l’employeur »), un poste classé au groupe et niveau FP-06 au moment du dépôt de ses griefs.

[2]  Plus jeune, alors qu’il voyageait en Europe et au Maroc dans les années 1990, et avant de faire son entrée dans la fonction publique, il a été pris à essayer de faire sortir clandestinement du haschisch du Maroc et a été arrêté, inculpé, reconnu coupable, condamné à une amende et emprisonné pendant quatre mois dans ce pays.

[3]  Le fonctionnaire a rejoint la fonction publique en 1991. Dans son questionnaire initial d’évaluation de la sécurité du personnel, et à chacune des cinq occasions où son niveau de sécurité a été renouvelé au cours de ses 23 années de carrière, lorsqu’on lui a posé la question, « Avez-vous déjà été déclaré coupable d’une infraction criminelle pour laquelle vous n’avez pas été gracié? », il a coché la réponse « Non ».

[4]  Au fil du temps, le fonctionnaire a obtenu une cote de sécurité de niveau très secret qui devait expirer en 2013; un processus de vérification de sécurité du personnel a donc été lancé pour la renouveler. Les vérifications des dossiers effectuées dans le cadre de ce processus ont révélé sa condamnation pénale et son incarcération au Maroc.

[5]  À la suite de la découverte de ces renseignements défavorables, le fonctionnaire a été convoqué à une entrevue de sécurité qui a eu lieu en novembre 2014. Il a continué à cacher l’existence de sa condamnation pénale tout au long de l’entrevue jusqu’à ce que l’intervieweur le confronte finalement à ce sujet. C’est seulement à ce moment-là qu’il a admis sa condamnation et fourni une explication complète.

[6]  Le 14 janvier 2015, la cote de fiabilité du fonctionnaire a été suspendue et le 20 février 2015, elle a été révoquée. Une cote de fiabilité est une condition d’emploi de l’ASFC; par conséquent, elle a mis fin à son emploi. Les lettres de suspension et de révocation indiquent qu’il a intentionnellement retenu des informations concernant sa condamnation liée à la drogue au Maroc.

[7]  Les lettres de suspension et de révocation font également référence à des informations supplémentaires obtenues du fonctionnaire lors de l’entrevue de sécurité. Les commentaires dans les lettres concernent sa consommation de drogue pendant son emploi à l’ASFC et son implication dans le commerce du sexe illicite lors de ses voyages à l’étranger.

[8]  Les griefs contre la suspension et la révocation de la cote de fiabilité ont été déposés le 22 janvier 2015 et le 12 mars 2015, respectivement. Ils ont été rejetés à tous les niveaux du processus de règlement des griefs. Cette affaire m’a été présentée pour arbitrage du 18 au 22 mars 2019 à Ottawa, en Ontario.

[9]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

[10]  Les griefs sont rejetés pour les motifs qui suivent.

II. Résumé de la preuve

[11]  Le fonctionnaire a commencé sa carrière à l’ASFC en 1991 à l’aéroport Pearson de Toronto, en Ontario, à l’époque où l’organisation était connue sous le nom de Citoyenneté et Immigration Canada. Il a commencé comme agent examinateur au point d’entrée, affecté dans la zone secondaire de l’immigration.

[12]  Au fil des ans, il a accepté plusieurs périodes d’affectation, de durées variables,
en Amérique du Nord et à l’étranger, principalement pour le traitement des demandes de visa. Il a commencé à se spécialiser dans les activités de renseignement. De temps à autre, il était affecté à l’étranger à des postes dans lesquels il assurait fréquemment la liaison avec les forces de l’ordre canadiennes et internationales en matière de traite des personnes, de demandes de visa frauduleuses, de passeports volés et falsifiés et de contrebande.

[13]  Au cours de sa carrière, il a eu accès à de nombreuses bases de données contenant des informations sensibles et classifiées. Au fur et à mesure que le potentiel d’exposition à ce type d’informations augmentait, sa cote de sécurité a été rehaussée, au point où il a finalement été autorisé à avoir une cote de sécurité de niveau « Très secret ».

[14]  En octobre 2011, le fonctionnaire était en poste à Istanbul, en Turquie, en tant qu’agent de liaison des renseignements. Alors qu’il travaillait là-bas, sa cote de sécurité de niveau très secret devait venir à expiration. En 2013, un processus de routine a donc été lancé pour la renouveler.

[15]  Kenneth McCarthy était le directeur de la sécurité du personnel et des normes professionnelles à cette époque. Il a témoigné du processus suivi pour mettre à jour une cote de sécurité de niveau très secret, qui comprend notamment une vérification des antécédents criminels (VAC).

[16]  La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a mené la VAC en effectuant des recherches dans plusieurs bases de données des forces de l’ordre municipales, régionales, nationales et internationales. Dans une lettre à l’ASFC datée du 1er novembre 2013, la GRC a indiqué ce qui suit au sujet du fonctionnaire :

[Traduction]

[…] [Il] a été condamné à l’étranger (RABAT) pour une infraction pénale liée à la drogue.

Le 24 octobre 2013, le bureau de la sécurité nationale du Maroc a confirmé que le demandeur avait un casier judiciaire pour possession de stupéfiants en 1990. Le demandeur a été incarcéré pendant 4 mois pour possession et s’est vu infliger une amende de 500 DH (dirhams marocains équivalant à environ 63 dollars canadiens).

[17]  M. McCarthy a fait référence aux politiques et procédures applicables déclenchées par la réception de cette information, que le personnel de sécurité du ministère appelle [traduction] : « renseignements défavorables ». En outre, il a expliqué en quoi l’approche de l’ASFC en matière de vérification de sécurité avait changé au cours des années précédant cet événement à la suite de plusieurs affaires de corruption très médiatisées impliquant des responsables de l’ASFC.

[18]  À la suite d’une présentation au Conseil du Trésor en 2012, un processus amélioré appelé « norme d’intégrité élevée en matière d’enquêtes de sécurité sur le personnel » (NIEESP) a été mis en place à l’ASFC.

[19]  Le processus de la NIEESP énonce clairement la procédure à suivre lorsque des renseignements défavorables de cette nature sont obtenus et suppose la révision de la cote de fiabilité de la personne. Les traits de caractère évalués sont l’honnêteté, l’intégrité et la fiabilité, que les services de sécurité du ministère appellent généralement les « facteurs HIF ». Leur évaluation inclut ce que l’on appelle une « entrevue sur l’intégrité » ou, plus communément, une « entrevue de sécurité ».

[20]  La politique de l’ASFC sur le traitement de renseignements défavorables consistant en un casier judiciaire figure à la section 5 de sa Norme sur le filtrage de sécurité, comme suit :

L’existence d’un casier judiciaire peut – mais pas nécessairement – suffire pour refuser ou révoquer une cote ou une autorisation de sécurité. Le casier judiciaire doit être examiné à la lumière de facteurs tels le type d’activité criminelle, les tâches à exécuter, la nature et la fréquence de l’infraction, et le temps écoulé.

[Souligné dans l’original]

[21]  La section suivante, qui porte sur les « renseignements défavorables », énonce ce qui suit :

Les renseignements défavorables peuvent – mais pas nécessairement – suffire pour refuser ou révoquer une cote ou une autorisation de sécurité. Lorsqu’ils sont dévoilés, ces renseignements doivent jeter les fondements d’une enquête plus approfondie, notamment en vue de la tenue d’une entrevue de sécurité.

Lorsque des renseignements défavorables témoignent d’une tendance récente ou récurrente à faire preuve d’un jugement douteux susceptible de compromettre l’exécution des fonctions ou d’engendrer une incapacité ou une réticence à protéger des informations délicates, des biens ou des installations, il y a lieu d’effectuer une révision pour motif valable de la cote ou de l’autorisation de sécurité accordée précédemment au particulier.

[…]

[22]  M. McCarthy a présenté les documents pertinents du dossier de sécurité du fonctionnaire. Dans le questionnaire de filtrage de sécurité accompagnant sa demande d’emploi initiale et dans chaque mise à jour ultérieure, il a coché la case indiquant « Non » à la question relative à l’existence d’une condamnation pénale pour laquelle un pardon n’a pas été reçu.

[23]  La politique de l’ASFC, dans la Directive sur les enquêtes de sécurité sur le personnel de l’ASFC, sous « Rôles et responsabilités » (s. 6.7 « Employés »), énonce ceci : [traduction] « Les employés sont responsables de [...] informer leur responsable de tout problème ayant une incidence sur leur niveau ou cote de fiabilité : arrestation ou condamnation pénale […] ».

[24]  Dans un courriel daté du 12 septembre 2013, la question était de savoir si le fonctionnaire devait être rapatrié immédiatement d’Istanbul. En fin de compte, le rapatriement n’a pas eu lieu.

[25]  Une entrevue de sécurité avec le fonctionnaire était prévue après son retour au Canada en août 2014.

[26]  L’une des considérations de principe relatives aux renseignements défavorables consiste à donner à la personne une chance d’expliquer les circonstances qui en sont à l’origine. La Norme sur le filtrage de sécurité, sous le titre « Entrevue de sécurité en vue de dissiper un doute », est rédigée en ces termes :

En plus de former un volet type du filtrage de sécurité approfondi, l’entrevue de sécurité peut servir à dissiper un doute ou à réfuter des renseignements défavorables qui sont mis au jour dans le cadre du filtrage de sécurité. L’entrevue de sécurité offre l’occasion au responsable du filtrage et au particulier concerné de discuter tout sujet de préoccupation et donne au particulier l’occasion d’expliquer la situation avant qu’une décision ne soit prise.

Il faut remettre au particulier une déclaration résumant les renseignements disponibles pour lui permettre d’être raisonnablement informé des renseignements défavorables ou manquants [...]

[Souligné dans l’original]

[27]  M. McCarthy a témoigné que le fonctionnaire n’avait pas été informé au préalable des renseignements défavorables en provenance du Maroc, car un indice important de l’honnêteté, de l’intégrité et de la fiabilité de la personne consiste à fournir un compte rendu non sollicité des circonstances qui ont donné lieu à ces renseignements.

[28]  La Norme sur le filtrage de sécurité énonce ce qui suit sur l’évaluation des renseignements défavorables : 

L’on attend des fonctionnaires, lorsqu’ils prennent une décision en matière de filtrage de sécurité, qu’ils fournissent une évaluation juste et objective qui respecte les droits du particulier concerné.

Les renseignements défavorables concernant un particulier sont évalués compte tenu des facteurs suivants :

• leur nature et leur gravité;

• la question de savoir s’ils sont récents;

• les circonstances connexes, y compris la fréquence du ou des incidents, la volonté du particulier de participer, la maturité du particulier à la date du ou des incidents, la mesure de la réadaptation depuis le ou les incidents, le risque de pressions, de coercition, d’exploitation ou de contrainte;

• leur incidence sur la fiabilité du particulier et la question de savoir si ce dernier a fait preuve d’ouverture en ce qui concerne les renseignements et a réglé ou paraît susceptible de régler les problèmes qu’ils soulèvent.

Lorsqu’ils examinent l’importance de circonstances personnelles ou d’un comportement susceptibles d’ouvrir la porte à une vulnérabilité, les fonctionnaires ne laissent pas leurs préjugés personnels et culturels obscurcir leur jugement. Les circonstances personnelles d’un particulier ou son comportement ne revêtent de l’importance au chapitre de la sécurité que s’ils créent une vulnérabilité à des pressions ou à une influence indue, ou s’ils sont susceptibles d’amener le particulier à commettre une atteinte à la sécurité.

[29]  M. McCarthy a ajouté que l’entrevue avait pour objet une approche plus globale que celle consistant simplement à examiner les circonstances ayant donné lieu aux renseignements défavorables. L’entrevue sur l’intégrité visait essentiellement à constituer une partie essentielle d’une réévaluation complète de la cote de fiabilité de la personne. En tant que tel, elle visait à traiter l’ensemble des éléments sous-jacents aux facteurs HIF, notamment les passe-temps, les intérêts, la solvabilité, les finances, les associations, les dépendances, les activités illégales ou non éthiques, la criminalité et les conflits d’intérêts réels ou perçus.

[30]  La cote de fiabilité d’une personne est une condition fondamentale de son emploi à l’ASFC. En cas de révocation, on doit mettre fin à l’emploi. La gravité des conséquences nécessite un degré élevé d’équité procédurale. Après avoir analysé et évalué avec soin les résultats de l’entrevue sur l’intégrité, l’intervieweur rédige un rapport d’enquête (« le rapport ») qui, au plus, peut uniquement recommander au Comité d’examen de la sécurité (CES) de l’ASFC de suspendre la cote de fiabilité de la personne.

[31]  Le CES se réunit ensuite pour discuter du contenu du rapport et des recommandations de l’enquêteur. Ensuite, le CES fait une recommandation à l’agent de sécurité du ministère (ASM) sur la question de savoir si la suspension de la cote de fiabilité de la personne est justifiée. L’ASM prend sa décision en se fondant sur la recommandation du CES.

[32]  Si l’ASM suspend la cote de fiabilité de la personne, il doit alors donner à la personne la possibilité de présenter des arguments. Le rapport sur lequel se fonde la décision de l’ASM est inclus dans un ensemble d’éléments de preuve. Ensuite, une fois que les arguments ont été reçus et que l’ASM les a examinés, il décide de révoquer ou non la cote de fiabilité de la personne.

[33]  Au moment des faits, William Sawchuk était conseiller principal et enquêteur principal à la division de la sécurité ministérielle de l’ASFC. Il possède une vaste expérience en matière de filtrage de sécurité et d’enquêtes internes. En 2003, alors qu’il travaillait à Transports Canada, il a commencé à traiter les renseignements défavorables concernant les employés et leurs répercussions sur la cote de fiabilité ou de sécurité d’un employé. En 2008, il a été détaché auprès du Service canadien du renseignement et de la sécurité pendant cinq ans à titre d’agent de liaison spécial auprès de Transports Canada en ce qui concerne les questions de filtrage de sécurité. Puis, en 2013, il s’est joint à l’ASFC en tant qu’analyste principal à la section du filtrage de sécurité et a très vite dirigé ce que l’on appelle des enquêtes internes de révision pour motif valable.

[34]  L’affaire du fonctionnaire entre dans la catégorie d’une enquête de révision pour motif valable, qui a pour objet de vérifier s’il existe des motifs suffisants pour suspendre ou révoquer la cote de fiabilité.

[35]  Le dossier du fonctionnaire a été attribué à M. Sawchuk et ce dernier a examiné les informations qui s’y trouvaient avant de planifier une entrevue sur l’intégrité avec le fonctionnaire le 25 novembre 2014. L’« Avis d’entrevue sur l’intégralité » qui lui a été envoyé commençait par le paragraphe suivant :

[Traduction]

La Section de l’examen de sécurité et d’enquête a déterminé que votre cote de fiabilité et/ou de sécurité est sujette à une révision pour motif valable, conformément à la Politique sur la sécurité du gouvernement (PSG) du Conseil du Trésor, en raison de préoccupations portées à notre attention. Dans le cadre de cet examen, une entrevue a été jugée nécessaire. Le but de cette entrevue est de vous donner l’occasion de fournir des informations directes et honnêtes sur les préoccupations soulevées et de répondre à toutes les questions avec sincérité. Veuillez noter que le non-respect de cette obligation n’empêchera pas la poursuite de cette enquête administrative. Si vous choisissez de ne pas vous conformer aux exigences prescrites, nous serons obligés de rendre une décision sans votre participation. Cela pourrait entraîner la suspension de votre cote de fiabilité, qui est une condition d’emploi pour un employé du gouvernement du Canada (GC). En conséquence, votre présence est requise []

[36]  Le fonctionnaire a témoigné avoir eu, selon ses termes, [traduction] « une petite idée » de ce qui avait entraîné la nécessité de la révision pour motif valable, à savoir son arrestation et sa détention au Maroc. Il espérait que ce n’était pas le cas, car il ne voulait pas divulguer les détails de l’incident. On lui a dit qu’il avait droit à la présence d’un observateur lors de l’entrevue, mais il a déclaré qu’il ne souhaitait pas que quiconque soit présent au cas où l’incident au Maroc serait évoqué.
Il a témoigné qu’il ne souhaitait pas que quiconque soit au courant et qu’il n’avait aucune intention de divulguer de manière proactive cette information.

[37]  L’entrevue a été enregistrée, mais aucune transcription écrite n’a été faite. Elle a duré près de trois heures et seuls le fonctionnaire et M. Sawchuk étaient présents.

[38]  Avant l’entrevue, M. Sawchuk a décrit le processus de réévaluation de la cote de fiabilité et a expliqué le pouvoir de l’ASFC de mener l’entrevue. Il a souligné l’importance d’être ouvert, honnête et franc lors de l’entrevue.

[39]  Le préambule de l’entrevue contient un certain nombre d’énoncés conçus pour encourager l’honnêteté, notamment les suivants :

[Traduction]

[]

6. Êtes-vous d’accord pour dire que vous serez ouvert, honnête et franc ici aujourd’hui?

7. Comprenez-vous que, pour bien évaluer votre fiabilité, nous parlerons peut-être de problèmes sensibles et/ou personnels ici aujourd’hui?

8. Comprenez-vous la nécessité de divulguer des détails sur vous-même et/ou vos collaborateurs?

9. Êtes-vous absolument conscient de votre responsabilité de soulever tous les problèmes reliés à votre cote de sécurité, que l’on vous pose ou non une question spécifique concernant un domaine particulier?

10.  Êtes-vous conscient de la nécessité d’être ouvert et honnête lors de cette entrevue?

[]

[40]  Le fonctionnaire a répondu « oui » à toutes ces questions préliminaires.

[41]  Un CD contenant un enregistrement de l’entrevue a été présenté comme preuve lors de l’audience. On a fait écouter l’enregistrement à haute voix dans la salle d’audience. Cela a pris un peu moins de trois heures.

[42]  Lorsque M. Sawchuk a interrogé le fonctionnaire au sujet de son voyage au Maroc, celui-ci a répondu qu’il avait [traduction] « simplement voyagé; sur le hippie trail; ce genre de chose ».

[43]  Quelques minutes plus tard au cours de l’entrevue, le fonctionnaire a été interrogé une seconde fois sur ses activités et son voyage au Maroc. Il a répondu [traduction] : « Je suis resté dans des hôtels bon marché dans tout le pays, dans 20 ou 25 villes et villages différents. »

[44]  Quelques minutes plus tard, M. Sawchuk l’a interrogé une troisième fois sur le Maroc [traduction] : « Avez-vous apprécié votre séjour au Maroc?» Le fonctionnaire a répondu en disant [traduction] : « Eh bien, je m’attendais à une meilleure météo. »

[45]  Lorsqu’on lui a demandé [traduction] : « Avez-vous rencontré des problèmes de sécurité? », le fonctionnaire a répondu [traduction] : « Eh bien, au Maroc, vous êtes ciblé en tant que touriste, cela peut être un endroit stressant où voyager ».

[46]  En réponse à la question : [traduction] « Votre sécurité était-elle une préoccupation? », le fonctionnaire a répondu : [traduction] « Oui, j’ai été coincé plusieurs fois dans des magasins de tapis. »

[47]  Lorsque M. Sawchuk a demandé : [traduction] « Avez-vous eu des inquiétudes? La police? La sécurité? », le fonctionnaire a répondu : [traduction] « Non. »

[48]  Après une discussion sur l’utilisation des ordinateurs portables de l’ASFC par le fonctionnaire et sur les informations potentiellement sensibles contenues dans des bases de données, l’entrevue a porté sur des questions relatives à ses interactions avec les femmes alors qu’il était à l’étranger.

[49]  Le fonctionnaire a admis avoir fréquenté des boîtes de nuit comportant du divertissement pour adultes et a déclaré : [traduction] « il y avait beaucoup de nudité ». Il a qualifié ces types d’établissements de [traduction] « clubs de filles » dans lesquels la prostitution est [traduction] « le seul but », et il a dit à M. Sawchuk qu’il avait été approché et qu’on lui avait fait des propositions à plusieurs reprises. Le fonctionnaire a souligné qu’il avait refusé de telles avances; il n’a sollicité aucune activité sexuelle et a ajouté qu’il n’aimait pas particulièrement ces types d’établissements.

[50]  Le fonctionnaire a expliqué qu’il [traduction] « avait tendance à s’intéresser à des filles qui n’étaient pas vraiment des prostituées professionnelles; on développait une relation, une amitié, avec une fille et on passait quelques jours ensemble ». Il a dit qu’il faisait des recherches à l’avance et visitait des sites de rencontre en ligne, parfois pour organiser des rencontres à l’avance.

[51]  Le fonctionnaire a expliqué comment à Bangkok, en Thaïlande, certaines des [traduction] « filles de la campagne » venaient en ville pour rencontrer des hommes étrangers, ajoutant que [traduction] « c’était dans un but financier pour elles également ». Au cours de l’entrevue, il a dit à M. Sawchuk qu’il était allé à Bangkok cinq ou six fois et que la plupart du temps, mais pas à chaque fois, il était avec une femme.

[52]  Lorsque M. Sawchuk a dit craindre que certaines de ces femmes aient été mineures, le fonctionnaire a déclaré qu’il était [traduction] « à 100 % sûr que ce n’était pas le cas » et qu’il [traduction] « n’hésiterait pas à demander une pièce d’identité ».

[53]  Lorsque M. Sawchuk a demandé si le fonctionnaire avait [traduction] « échangé de l’argent pour les services d’une femme », le fonctionnaire a répondu en indiquant qu’après deux ou trois jours passés ensemble, il faisait un cadeau d’adieu de 200 $ à 250 $ (en dollars canadiens). Quand on lui a demandé combien de fois et dans quels pays il a échangé de l’argent pour la compagnie d’une femme, il a répondu : [traduction] « Environ 15 fois au total, en Thaïlande, aux Philippines et en Colombie. »

[54]  L’entrevue a ensuite porté sur la consommation de drogues illicites, et le fonctionnaire a admis avoir consommé de la marijuana, du haschisch et des champignons. Il a commencé à consommer de la marijuana à sa deuxième année d’université et a continué après avoir commencé à travailler pour le gouvernement fédéral, en 1991, 1992 et 1993. Il a dit qu’il [traduction] « se détendait, allait à des fêtes ». Il faisait partie de ce qu’il a décrit comme un cercle social [traduction] « artistique » à Toronto, et il allait à leurs fêtes quelques fois par mois et fumait de la marijuana.

[55]  À ce stade de l’entrevue, M. Sawchuk a posé les questions suivantes (dont certaines faisaient partie de son modèle d’entrevue et d’autres non), lesquelles ont reçu les réponses suivantes :

[Traduction]

M. Sawchuk : « Avez-vous déjà participé ou avez-vous déjà été impliqué dans des activités inappropriées ou illégales, qu’elles soient licites ou contestables, telles que des drogues illicites, la fraude, la contrebande, la sollicitation, le commerce sexuel illégal ou la communication d’informations gouvernementales? »

Le fonctionnaire : « Juste ce problème lié au style de vie dont nous avons parlé. » 

M. Sawchuk : « Vous n’avez jamais participé, sous aucune forme, à ces activités ou à d’autres? »

Le fonctionnaire : « Non. »

M. Sawchuk : «Avez-vous déjà été interrogé ou fait l’objet d’une enquête ou eu une quelconque interaction avec un service de police ou de renseignement tel que la GRC, INTERPOL, le SCRS ou un organisme étranger, au Canada ou à l’étranger? »

Le fonctionnaire : « Non. »

M. Sawchuk : « Interrogé? Arrêté? Fait l’objet d’une enquête? Rien du tout? »

Le fonctionnaire : « Non. »

M. Sawchuk : «Même si, au cours de vos voyages, vous avez été emmené à l’écart dans un aéroport, un port de mer ou une traversée terrestre pour un interrogatoire secondaire? »

Le fonctionnaire : « Non. »

M. Sawchuk : « Aucun problème d’immigration, aucune activité de contrebande, le Maroc est connu pour cela, la Turquie est connue pour cela. Avez-vous déjà été soupçonné, ou avez-vous voyagé avec une personne suspecte, rien du tout? »

Le fonctionnaire : « Non. »

M. Sawchuk : «Pendant que vous voyagiez à l’étranger, à des fins personnelles, professionnelles, pour quelque raison que ce soit, avez-vous eu des problèmes, ou quoi que ce soit… Je sais que je vous ai déjà posé cette question, toute interaction avec la police ou des organismes de l’application de la loi, un autre type d’organisme? Peu importe ce que c’est, c’est une idée que je lance, aucune inquiétude à propos de vos actions ou activités, rien du tout? »

Le fonctionnaire : « Non. »

M. Sawchuk : « Avez-vous déjà été impliqué dans un aspect de la production, de la manipulation ou quoique ce soit impliquant des drogues illicites? La distribution ou la possession, en dehors de ce dont nous avons parlé alors que vous étiez à l’université ou juste après. Avez-vous déjà été impliqué dans des problèmes de manipulation, de possession, de stockage, de distribution, de contrebande ou de trafic de drogue illégale?

Le fonctionnaire : « Non. »

M. Sawchuk : «Pendant que vous voyagiez à l’étranger, avez-vous obtenu des drogues illégales là-bas? »

Le fonctionnaire : « Cela est arrivé en Espagne à quelques reprises. » 

M. Sawchuk : « Quel type? »

Le fonctionnaire : « Du haschisch. » 

M. Sawchuk : « Savez-vous d’où il venait? »

Le fonctionnaire : « Probablement du Maroc, c’est ce qu’on disait, d’où il venait. »

M. Sawchuk : « Alors, étant donné que vous n’avez jamais été impliqué avec la police, vous n’avez jamais été accusé de rien, n’est-ce pas? »

Le fonctionnaire : « C’est exact. »

M. Sawchuk : « Au Canada ou à l’étranger? »

Le fonctionnaire : « C’est exact. »

M. Sawchuk : « À la lumière de ce qui précède, vous n’avez jamais été emprisonné ou en détention, sous quelque forme que ce soit? »

Le fonctionnaire : « Non. »

[56]  M. Sawchuk a ensuite abordé d’autres problèmes, tels que les déclarations de revenus et l’utilisation de bases de données, puis a posé quelques questions à partir de son modèle, comme suit :

[Traduction]

M. Sawchuk : «En dehors de ce dont nous avons discuté, existe-t-il des problèmes que vous voudriez soulever, qui concernent vous-même ou une personne avec laquelle vous avez des liens étroits et que vous voudriez soulever comme cause potentielle d’inquiétude en matière de sécurité? »

Le fonctionnaire : « Non. »

M. Sawchuk : « Y a-t-il quelque chose que vous souhaitez revoir? Quelque chose à ajouter à ce dont on a parlé jusqu’à présent? Quelque chose à clarifier?

Le fonctionnaire : « Non. »

M. Sawchuk : « Voudriez-vous divulguer quelque chose qui pourrait avoir un effet négatif sur votre capacité à maintenir votre cote de fiabilité?

Le fonctionnaire : « Non. »

M. Sawchuk : « Comme je l’ai dit au début de l’entrevue, c’est pour vous l’occasion de présenter tout ce qui, selon vous, pourrait nous intéresser, tout ce qui pourrait nuire à votre capacité à conserver votre cote de fiabilité qui est une exigence minimale pour maintenir votre poste au gouvernement. C’est maintenant le moment de le faire. Y a-t-il quelque chose dont vous voulez parler? »

Le fonctionnaire : « Non, rien. Vingt-cinq ans d’assez bonne conduite. »

M. Sawchuk : « Estimez-vous que vous avez été honnête, ouvert et franc tout au long de cette entrevue? »

 Le fonctionnaire : « Oui. »

  M. Sawchuk : « À cent pour cent? »

 Le fonctionnaire : « Oui. »

[57]  M. Sawchuk a ensuite révélé au fonctionnaire les renseignements défavorables, faisant spécifiquement référence au Maroc, et le fonctionnaire a déclaré : [traduction] « Eh bien, il y a eu un incident.  Je me suis retrouvé dans une situation très difficile. J’ai fini par être arrêté. »

[58]  M. Sawchuk a demandé : [traduction] « Pourquoi n’avez-vous pas révélé cela plus tôt? », ce à quoi le fonctionnaire a répondu : [traduction] « Eh bien, je suppose que c’est une question de survie, et j’ai misé sur la possibilité qu’on n’en parle pas. »

[59]  Le fonctionnaire a ensuite expliqué comment il avait entendu dire par d’autres voyageurs en Espagne qu’il était facile de financer d’autres voyages, à savoir en achetant et en revendant du haschisch du Maroc. Il a acheté 1,5 kg de haschisch pour environ 1000 dollars canadiens. Lorsqu’il a essayé de quitter le pays avec la drogue pour se rendre aux îles Canaries et tenter de la vendre, il a été arrêté et placé en détention à un aéroport par des agents marocains.

[60]  À ce stade du récit du fonctionnaire, sur l’enregistrement, on peut discerner un son audible d’une vive inspiration, après quoi on entend le fonctionnaire dire : [traduction] « Désolé, cela me rend un peu émotionnel, j’en ai emmagasiné beaucoup pendant de nombreuses années, espérant que cela ne ressortirait jamais. »

[61]  On entend le fonctionnaire dire à M. Sawchuk ce qui suit :
[traduction]
« Je ne suis toujours pas sûr d’avoir été condamné ou de savoir ce qui s’est réellement passé là-bas. Je n’étais pas nécessairement au courant. Je n’ai jamais su clairement les réalités; les conversations étaient en français et en arabe et non en anglais. »

[62]  Après avoir obtenu des détails sur l’incident au Maroc, M. Sawchuk est revenu sur les problèmes liés à la consommation de drogue du fonctionnaire. Il a avoué à M. Sawchuk qu’il avait continué à fumer de la marijuana à l’occasion jusqu’en 2008 environ.

[63]  Après que M. Sawchuk l’a confronté au sujet de l’existence de la condamnation pour infraction liée à la drogue au Maroc, le fonctionnaire a également révélé que, quelques semaines à peine avant l’entrevue, il avait été en contact avec son ami, M. S. C., auprès duquel il avait déjà acheté de la marijuana. Les deux envisageaient de se rendre à Montréal et le fonctionnaire a déclaré s’être demandé [traduction] « s’ils pourraient trouver quelque chose à fumer ». Il a ajouté qu’il était curieux parce qu’il n’avait pas fumé de marijuana depuis plusieurs années, mais qu’il était un peu tiraillé par l’idée de retourner à ce mode de vie.

[64]  Après l’entrevue, M. Sawchuk a préparé le rapport recommandant la suspension de la cote de fiabilité du fonctionnaire.

[65]  Le rapport contenait plusieurs pages de discussion sur les relations du fonctionnaire avec des femmes lors de ses voyages à l’étranger et comprenait les paragraphes suivants :

[Traduction]

26. [Le fonctionnaire] a admis avoir fréquenté ce qu’il a appelé des « clubs de filles qui se trouvent à Bangkok », qui étaient en fait des clubs dans lesquels la prostitution ou la « compagnie de femmes », selon ses termes, était répandue. [Le fonctionnaire] a affirmé qu’il ne considérait pas sa présence fréquente dans ces clubs comme un risque potentiel pour la sécurité ou comme quelque chose pouvant compromettre ses fonctions professionnelles. Il a prétendu y être allé par curiosité.

27. [Le fonctionnaire] a admis fréquenter des établissements pour adultes à Bangkok et à Manille ainsi qu’un club de strip-tease à Miami.

[…]

37. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait déjà échangé de l’argent pour la compagnie d’une femme, [le fonctionnaire] a déclaré qu’il donnait des cadeaux aux filles, mais donnait plus souvent de l’argent liquide pour leurs services. [Le fonctionnaire] a affirmé que, lorsqu’il était avec une fille pendant deux ou trois jours, il payait en moyenne 250 dollars canadiens pour ses services à chaque occasion.

[…]

42. [Le fonctionnaire] a ensuite fait la déclaration suivante pour défendre son implication dans la prostitution : « Vous pouvez vous demander si vous pouvez ou non qualifier n’importe lequel de ces actes comme étant de la prostitution. »

[66]  Le rapport contenait également des paragraphes sur la consommation de drogue du fonctionnaire, notamment :

[Traduction]

82. Lorsqu’on lui a demandé s’il était un consommateur régulier de drogues illégales, [le fonctionnaire] a affirmé que ce n’était pas le cas, mais il a admis en avoir consommé « par intermittence ». Il a précisé qu’il n’avait jamais consommé de drogues illégales lors de ses affectations à Miami, à Taiwan, en Turquie, etc. Il a admis avoir consommé des drogues illégales au Canada, au Maroc et en Espagne.

83. [Le fonctionnaire] a révélé qu’il en obtenait auprès de [M. S.C.] et en consommait régulièrement de petites quantités quand il en avait l’occasion. Il a également révélé qu’il appelait souvent [M. S.C.] pour se renseigner sur l’obtention de marijuana. [Le fonctionnaire] a admis avoir donné de l’argent à [M. S.C.] pour acheter de la drogue.

84. [Le fonctionnaire] a nié avoir actuellement des drogues illégales en sa possession. Il a toutefois admis avoir discuté avec [M. S.C.] il y a à peine « quelques semaines » (aux environs de la mi-novembre 2014) sur la possibilité d’obtenir de la marijuana la prochaine fois qu’ils se rencontreraient à Ottawa ou à Montréal.

85. [Le fonctionnaire] a indiqué qu’il s’était renseigné sur l’obtention de marijuana auprès de [M. S.C.] parce que « j’étais un peu curieux parce que je ne l’avais pas fait depuis plusieurs années ». Il a également déclaré : « Je ne savais pas très bien si c’était une bonne idée de retomber là-dedans. »

[67]  Le rapport décrit le fait que le fonctionnaire a délibérément dissimulé des informations sur sa condamnation pour drogue au Maroc, comme suit :

[Traduction]

82. Le rédacteur a interrogé [le fonctionnaire] sur ses antécédents de fausses déclarations dans ses formulaires de filtrage de sécurité, à savoir sur le fait qu’il n’avait pas été reconnu coupable d’une infraction pénale pour laquelle il n’avait pas été gracié, depuis sa première demande auprès du gouvernement du Canada en 1991 (à cinq reprises de 1991 à 2013). Le rédacteur a également soulevé la question de sa tromperie et de son refus de divulguer des informations au cours de son entrevue d’endoctrinement menée avec la sécurité de l’ASFC en 2007. [Le fonctionnaire] a répondu à cela qu’il ne savait vraiment pas ce qui se passait légalement au Maroc et que différents pays avaient des lois différentes.

83. Le rédacteur a donné au [fonctionnaire] une dernière occasion d’être franc et de divulguer tout ce qu’il n’avait pas mentionné auparavant. [Le fonctionnaire] a répondu : « Non... je pense que c’est ce que j’essayais de vous cacher. »

[68]  Le rapport comportait les conclusions suivantes :

91. [Le fonctionnaire] était loin d’être ouvert, honnête et franc à certains moments de l’entrevue, notamment en ce qui concerne sa consommation de drogue illégale. En outre, il a menti de manière répétée en répondant à un certain nombre de questions très spécifiques auxquelles le rédacteur connaissait les réponses concernant ses voyages et ses activités criminelles au Maroc.

92. [Le fonctionnaire] a finalement admis qu’il essayait consciemment de cacher son passé criminel au rédacteur et qu’il n’aurait pas volontairement divulgué ses problèmes passés et actuels en matière de drogues illicites, ni son arrestation et son incarcération au Maroc. Inversement, il a semblé très ouvert au sujet de ses exploits dans le commerce du sexe illégal dans divers pays. Il a parfois fait des déclarations de manière factuelle et ouverte, semblant sous-entendre qu’il s’agissait d’une activité normale et acceptable. [Le fonctionnaire] a parfois aussi défendu sa participation et sa sollicitation de femmes dans le commerce du sexe à l’étranger et se demandait si le terme « prostitution » était le mot correct pour décrire le travail de ces femmes.

93. [Le fonctionnaire] a finalement reconnu avoir consommé, acheté, vendu et tenté de faire passer des drogues illégales dans plusieurs pays et a aussi admis avoir contacté un ami à son retour à Ottawa après son affectation en Turquie dans le but d’obtenir de la marijuana aussi récemment que deux semaines avant son entrevue de sécurité aux fins de révision pour motif valable. En outre, il a admis avoir consommé de la marijuana pour la dernière fois en 2009 et non en 1993 comme il le prétendait initialement. Compte tenu de ces faits, on peut raisonnablement conclure que [le fonctionnaire] a consommé des drogues illicites à long terme lorsque l’occasion se présentait et n’a jamais complètement abandonné son style de vie en matière de drogues illicites, comme il l’a affirmé plus tôt au cours de l’entrevue. [Le fonctionnaire] semble conserver une attirance et une sensibilité à l’égard des activités liées à la drogue illégale.

94. [Le fonctionnaire] a gardé son passé criminel secret et a menti à plusieurs reprises au sujet de sa condamnation liée aux drogues dans ses formulaires de filtrage de sécurité depuis son embauche par le gouvernement du Canada en 1991, soit sur une période de plus de vingt-trois ans. En outre, il a menti lors de son entrevue d’endoctrinement avec l’ASFC en octobre 2007 avant de se voir attribuer une cote de sécurité de niveau TRÈS SECRET avec une habilitation de sécurité pour accès privilégié, une exigence vitale pour travailler à l’étranger en tant que représentant étranger de l’ASFC et du gouvernement du Canada. Plus précisément, lors de l’entrevue d’endoctrinement, [le fonctionnaire] a répondu « Non » à la question « Y a-t-il eu des poursuites civiles ou pénales (à l’exception de celles pour lesquelles vous avez reçu un pardon) engagées contre vous? » [Le fonctionnaire] a soumis ses formulaires de filtrage de sécurité du gouvernement à cinq reprises depuis 1991 et il a déclaré à plusieurs reprises à tort « Non » à la question « Avez-vous déjà été condamné pour une infraction pénale pour laquelle vous n’avez pas reçu de pardon? »

95. En fin de compte, les actions du [fonctionnaire] et son intention délibérée de tromper sont extrêmement préoccupantes et remettent en question son honnêteté, son intégrité et sa fiabilité. De plus, le jugement du [fonctionnaire] est très discutable et pose donc un risque inacceptable à l’Agence.

[69]  Le rapport a été soumis au CES de l’ASFC qui, le 22 décembre 2015, a recommandé de suspendre la cote de fiabilité du fonctionnaire.

[70]  Pierre Giguere, l’ASM de l’ASFC, a accepté la recommandation. Le 14 janvier 2015, il a suspendu la cote de fiabilité du fonctionnaire et lui a donné un délai de 14 jours pour fournir toute information pertinente et expliquer les renseignements défavorables avant que M. Giguere ne prenne la décision finale concernant la révocation ou le rétablissement de la cote de fiabilité du fonctionnaire.

[71]  Le fonctionnaire a répondu le 27 janvier 2015 par une brève lettre qui commençait par ceci : [traduction] « J’ai beaucoup de regret et de honte pour le risque que l’Agence a encouru à cause de mes actions. » Il a ensuite indiqué : [traduction] « Bien que le rapport de l’enquêteur soit partial et contienne des inexactitudes, je reconnais et assume la responsabilité des problèmes fondamentaux qui constituent le fondement de la suspension. »

[72]  En ce qui concerne l’incident au Maroc, le fonctionnaire a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

[…]

En ce qui concerne l’omission de détails concernant l’incident au Maroc, je me suis toujours demandé si j’avais été condamné pour une infraction pénale ou si j’avais été incarcéré dans l’attente du paiement d’une amende à la Régie des Tabacs du Maroc. Les droits légaux fondamentaux, y compris le droit d’être dûment informé du processus, ne m’ont pas été donnés. Ensuite, après avoir reçu une habilitation de sécurité du gouvernement du Canada basée sur ce que je croyais être une vérification approfondie des antécédents et de la sécurité, j’ai acquis plus de confiance quant au fait que la question n’était sans doute pas un problème.

[…]

[73]  Dans la lettre, le fonctionnaire a déclaré qu’il souhaitait conserver son emploi : [traduction] « Je crois que mon gestionnaire et moi-même pourrions gérer tout risque que mon emploi en cours pourrait poser, en limitant les voyages, entre autres choses, par exemple. »

[74]  Le CES s’est réuni une deuxième fois, le 15 février 2015, pour examiner la réfutation du fonctionnaire. Il a reconnu ses remords concernant la condamnation au Maroc, mais a fait remarquer ce qui suit : [traduction] « La réfutation [du fonctionnaire] n’a pas dissipé les inquiétudes suscitées par sa malhonnêteté et son comportement dangereux (par exemple, la drogue et prostitution). »

[75]  Quatre membres du CES ont recommandé de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire et un membre a recommandé de la rétablir. Le 20 février 2015, l’ASM a révoqué sa cote de fiabilité et son emploi a pris fin le même jour. Dans la lettre de révocation, l’ASM a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Bien que j’apprécie les explications que vous avez fournies, je reste très préoccupé par votre consommation de drogues illicites et par le fait que vous continuez à vous renseigner activement sur la façon de vous procurer de la marijuana à des fins personnelles. Je suis également préoccupé par votre intérêt à solliciter les services d’une prostituée ou de personnes impliquées dans le commerce du sexe à l’étranger lors de vos voyages à l’étranger et par votre non‑reconnaissance des risques que ces activités font courir à vous et à l’Agence. Enfin, je m’inquiète surtout de votre incapacité à être complètement franc, honnête et véridique lors de vos entretiens avec mes responsables de la sécurité.

[…]

[76]  Le fonctionnaire a longuement témoigné sur ses relations avec les femmes au cours de ses voyages. Comme lors de l’entrevue de sécurité, il a affirmé qu’il n’avait jamais sollicité de relations sexuelles avec une prostituée. Il a plutôt utilisé des sites de rencontre en ligne pour organiser des rencontres avec des femmes lorsqu’il se rendait dans leur pays. À deux reprises, à Bangkok, il a rencontré une femme dans un bar et ils ont accepté de passer plusieurs jours ensemble. Dans les deux cas, une intimité sexuelle s’est développée, mais ce n’était pas, comme l’a dit le fonctionnaire, [traduction] « négocié »; c’est simplement arrivé. De plus, à ces deux occasions, il a fait un cadeau d’adieu en espèces de 200 $ ou 250 $ (dollars canadiens). Il a insisté sur le fait que cela ne constituait pas une participation active à la prostitution et au commerce du sexe à l’étranger, comme l’enquêteur semble l’avoir décrit dans le rapport et comme l’ASM l’a mentionné dans les lettres de suspension et de révocation de la cote de fiabilité.

[77]  Le fonctionnaire a témoigné sur sa consommation limitée de drogues alors qu’il était employé par l’ASFC, mais il n’a pas souscrit à l’affirmation de l’enquêteur selon laquelle il était un consommateur « fréquent ».

[78]  Le fonctionnaire a admis avoir délibérément dissimulé, tout au long de sa carrière, l’existence de sa condamnation liée à la drogue au Maroc. Il a affirmé qu’il ne savait toujours pas très bien ce qui s’était passé là-bas à cause du problème de la langue. Il a indiqué dans son témoignage avoir rencontré des représentants de l’ambassade du Canada alors qu’il était emprisonné à Rabat, mais il a admis qu’il ne leur avait pas demandé d’explications sur ce qui s’était passé dans la salle d’audience marocaine. En fait, il n’a jamais enquêté auprès de quelque organisme que ce soit sur ce qui s’est passé, car il a toujours essayé de garder cette information cachée.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[79]  L’employeur a soutenu que cette affaire concerne uniquement des questions de sécurité. Les mesures prises n’ont absolument rien à voir avec le domaine disciplinaire. Les renseignements défavorables ont été soulevés lors de la mise à jour de la cote de sécurité de niveau très secret et le traitement de ces renseignements par l’employeur n’est pas de nature disciplinaire.

[80]  Les instruments de politique du Conseil du Trésor relatifs au filtrage de sécurité énoncent certains des principes sous-jacents. Le passage suivant est tiré de l’article 3.2 de la Politique sur la sécurité du gouvernement :

La sécurité commence en établissant une confiance dans les interactions impliquant le gouvernement et les Canadiens ainsi que dans celles prenant place au sein du gouvernement lui-même. Dans ses interactions avec la population, comme requise, le gouvernement a besoin de connaître l’identité de la personne ou de l’institution avec laquelle il transige. Au sein du gouvernement, il est nécessaire de veiller à ce que les personnes qui ont accès aux renseignements, aux biens et aux services gouvernementaux soient dignes de confiance, fiables et loyales. Ainsi, un large éventail d’activités gouvernementales, qu’il s’agisse de protéger l’information et les biens, de fournir des services, des prestations ou des indemnités, ou encore d’intervenir en cas d’incident ou d’urgence, reposent sur ce lien de confiance.

[81]  Dans la présente affaire, il s’agit essentiellement de déterminer s’il s’agissait d’un moyen légitime, compte tenu de toutes les circonstances, de suspendre et finalement de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire.

[82]  L’affaire Varn c. Canada (Procureur général), 2017 CF 1132 aux par. 46 à 48, établit le critère comme suit :

[46]  La principale question à l’étude dans la demande en l’espèce consiste à trancher si la décision de l’ASM est déraisonnable. Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c TerreNeuveetLabrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux paragraphes 15 et 16 [Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada a conclu que le décideur nest pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soitil, qui a mené à sa conclusion finale. Dans la mesure où les motifs du décideur permettent à une cour de révision de comprendre la raison pour laquelle il a rendu sa décision et permettent à la cour de déterminer si la conclusion appartient aux issues acceptables, les critères énoncés dans l’arrêt Dunsmuir de « justification, transparence et intelligibilité » sont satisfaits (voir aussi Dunsmuir au paragraphe 47).

[47]  Dans le contexte d’une habilitation de sécurité, l’appréciation du risque suppose un examen délicat des faits et une recherche attentive des faits, des démarchent qui sont normalement susceptibles de donner lieu à une vaste gamme de décisions acceptables pouvant se justifier (voir Farwaha au paragraphe 94). L’appréciation du risque est un exercice prospectif et prédictif. De par leur nature, ces questions ne relèvent pas de l’exactitude ou d’un calcul scientifique, mais plutôt de questions de nuance et de jugement.

[48]  Compte tenu du mandat de l’ASFC de fournir des services frontaliers intégrés qui appuient la sécurité nationale et la sécurité publique, le décideur a le droit à l’erreur en faveur de la sécurité publique, comme dans les contextes du filtrage de sécurité dans les domaines de l’aviation et de la marine. Cela veut dire qu’en mettant en balance les intérêts des particuliers touchés et la sécurité publique, les intérêts du public l’emportent (voir Randhawa c Canada (Transports), 2017 CF 556 au paragraphe 18; Thep-Outhainthany c Canada (Procureur général), 2013 CF 59 au paragraphe 17; Salmon au paragraphe 83).

[83]   L’employeur soutient que les deux principaux points à retenir de l’entrevue de M. Sawchuk avec le fonctionnaire sont sa tendance à la malhonnêteté sur une longue période et son modèle de comportement en matière de consommation de drogue et de prostitution. Il a eu amplement l’occasion de réfuter les allégations de prostitution, mais ne l’a pas fait; à la place, il a pris une position défensive. Ces modèles de comportement ont suscité des doutes sérieux et légitimes quant à son honnêteté, son intégrité et sa fiabilité, qui sont à la base de l’analyse de la fiabilité d’une personne. Les lacunes quant aux facteurs HIF présentent des risques actuels, ingérables et légitimes pour l’organisation.

[84]  Le fonctionnaire a dissimulé des informations importantes dont il savait qu’elles auraient des répercussions négatives sur lui. Quelles informations va-t-il dissimuler à l’avenir? La confiance est un élément essentiel du contrat de travail, comme démontré dans l’affaire Horne c. Agence Parcs Canada, 2014 CRTFP 30, au par. 203 : « L’employeur a le droit de pouvoir faire confiance à un employé. »

[85]  En ce qui concerne l’évaluation du potentiel de réhabilitation d’un employé, un cadre utile pour l’analyse des problèmes d’honnêteté et de fiabilité se trouve dans l’affaire Oliver c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 43, au par. 103. Bien qu’il s’agisse d’une affaire disciplinaire, la discussion sur le potentiel de réhabilitation est convaincante, comme suit :

103 La reconnaissance de la culpabilité ou d’une certaine responsabilité pour ses actions est un facteur essentiel dans l’évaluation du caractère approprié de la mesure disciplinaire. Il en est ainsi puisque la possibilité de réhabilitation du fonctionnaire s’estimant lésé est fondée sur la confiance, et la confiance est fondée sur la vérité. Si un fonctionnaire s’estimant lésé a trompé son employeur, a omis de coopérer à une enquête légitime d’allégations de conflit d’intérêts et refuse d’admettre toute responsabilité en dépit des preuves qui montrent une faute, alors le rétablissement de la confiance nécessaire à une relation d’emploi est impossible.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[86]  Le fonctionnaire a soutenu que la décision de l’employeur de suspendre et de révoquer sa cote de fiabilité n’était pas justifiée, étant donné ses 23 années et demie de service exemplaire et son dossier disciplinaire vierge.

[87]  Parmi les trois motifs invoqués pour suspendre et révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire, le moins convaincant était de loin l’affirmation selon laquelle il était en quelque sorte impliqué dans le commerce du sexe illicite. Il n’y a aucune preuve de cela. Il a fourni un compte rendu complet et franc de sa vie personnelle, tant à la barre des témoins que dans la salle d’entrevue. Il n’a pas fréquenté et ne fréquente pas de prostituées.

[88]  M. Sawchuk a formulé des hypothèses erronées au sujet des activités du fonctionnaire et a sauté de façon injustifiée une étape logique pour arriver à ses conclusions. Le rapport de M. Sawchuk était la seule base sur laquelle le CES pouvait faire sa recommandation et le seul fondement sur lequel l’ASM pouvait prendre ses décisions. En ce qui concerne les questions liées à la prostitution, le rapport est complètement inexact.

[89]  Le fonctionnaire a également soutenu que M. Sawchuk avait exagéré le problème de sa consommation de marijuana dans son rapport. Certes, la possession de marijuana était illégale à l’époque, ce qui n’est pas un bon comportement pour un employé d’un organisme chargé de l’application de la loi et aurait dû donner lieu à une certaine forme de discipline, mais cela n’aurait pas dû faire partie du motif de révocation de sa cote de fiabilité. Les risques liés à la consommation occasionnelle de marijuana dans un passé lointain pour l’ASFC n’ont jamais été suffisamment expliqués au fonctionnaire.

[90]  La question principale est la dissimulation de la condamnation liée à la drogue au Maroc, qui, selon le fonctionnaire, aurait dû être traitée comme une question disciplinaire. Cela n’aurait probablement pas conduit à son licenciement. Il a pris une mauvaise décision, mais avec un dossier disciplinaire vierge après des décennies de service exemplaire et compte tenu de son excellent potentiel de réhabilitation, il aurait dû rester un employé productif.

[91]  L’employeur était au courant des renseignements défavorables pendant plus d’un an avant l’entrevue. Si la malhonnêteté que représentaient ces renseignements défavorables représentait un problème de sécurité aussi vital, pourquoi n’a-t-il pas été immédiatement rapatrié de Turquie et interrogé immédiatement? Il a fait valoir que la raison en était que l’employeur savait qu’un casier judiciaire d’un passé lointain ne posait aucun risque réel pour la sécurité.

[92]  Le fonctionnaire a fait référence à l’affaire Heyser c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2015 CRTEFP 70, dans laquelle la fonctionnaire avait falsifié un certificat médical, mais l’employeur lui avait permis de continuer à travailler pendant un an. De même, le fonctionnaire a été autorisé non seulement à rester au travail, mais également à occuper un poste important dans une affectation à l’étranger comportant un degré élevé de sensibilité. Il a fait valoir que cela devrait indiquer clairement que l’employeur avait peu de préoccupations en matière de sécurité suite à la réception des renseignements défavorables.

[93]  Une révocation doit être fondée sur des préoccupations authentiques à propos de la fiabilité. Dans Grant c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 37, aucune preuve de manque de fiabilité n’a été découverte et il en va de même dans les circonstances de la présente affaire. En l’espèce, il n’existe aucune preuve quant à la manière dont le fonctionnaire a présenté un risque pour la sécurité de l’ASFC.

[94]  En résumé, le fonctionnaire soutient que l’affaire aurait dû être traitée comme une question disciplinaire et qu’en tant que telle, la révocation de sa cote de fiabilité n’était pas une façon de procéder légitime de la part de l’employeur.

IV. Décision et motifs

[95]  Cette affaire ne peut être qualifiée de disciplinaire. C’est purement une question de sécurité. Les renseignements défavorables ont été dévoilés au cours du renouvellement d’une cote de sécurité de niveau très secret et tout a découlé de cela. Dans ces circonstances, il aurait été extrêmement irrégulier que l’ASFC procède selon le régime disciplinaire. La question de savoir si son emploi aurait pris fin s’il avait été traité dans le cadre du régime disciplinaire n’est pas pertinente. Bien que les affaires Grant et Heyser soient clairement de nature disciplinaire (totalement différentes de la présente affaire, qui doit être considérée uniquement comme impliquant des préoccupations liées à la sécurité), les affaires Grant et Heyser définissent toutes deux le critère d’un risque actuel, ingérable et légitime. La cote de fiabilité du fonctionnaire a été suspendue, puis révoquée en raison de préoccupations légitimes selon lesquelles il posait un risque actuel, ingérable et permanent pour les opérations de l’organisation.

[96]  Le fait qu’une période de temps considérable s’est écoulée pendant laquelle l’employeur était au courant de l’existence de la condamnation pour drogue non divulguée du fonctionnaire et qu’il a continué de lui permettre de travailler dans un domaine extrêmement sensible n’invalide pas les prétentions de l’employeur. Des témoins de l’employeur ont clairement indiqué que la condamnation au Maroc était une source de préoccupation et que c’est très certainement en raison de cela qu’il a été nécessaire de réviser la cote de sécurité. Cependant, c’est le refus persistant du fonctionnaire au cours de l’entrevue de révéler sa condamnation pour drogue au Maroc, malgré de nombreuses questions suggestives et des invitations à le faire (ainsi que d’autres informations révélées au cours de l’entrevue de sécurité) qui a motivé la décision de suspendre et de finalement révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire.

[97]  La cause de la suspension et de la révocation de la cote de fiabilité d’une personne doit être raisonnable. La Cour suprême du Canada a fourni une définition durable et utile de la raisonnabilité dans le contexte du droit administratif dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47. Bien que la définition apparaisse dans le contexte du contrôle judiciaire, elle reste utile pour décrire les paramètres d’une décision raisonnable, comme suit :

[47] […] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[98]  Je conclus que le fonctionnaire n’a pas révélé l’existence de sa condamnation pour drogue au Maroc pour des raisons très douteuses. Lorsque M. Sawchuk lui a demandé pourquoi il ne l’avait pas divulgué plus tôt, la réponse du fonctionnaire relève de son comportement fourbe. Il a dit : [traduction] « Eh bien, je suppose que c’est une question de survie, et j’ai misé sur la possibilité qu’on en parlerait pas. » Je conclus que la capacité du fonctionnaire de se comporter de manière malhonnête présente un risque légitime actuel et permanent pour les intérêts de sécurité de l’ASFC. Pour les motifs suivants, j’estime que la suspension et la révocation de sa cote de fiabilité constituaient la façon de procéder appropriée.

[99]  Dans la Norme sur la sécurité du personnel, « Appendice B - Lignes directrices concernant l’utilisation des informations pour les vérifications de fiabilité », la norme par rapport à laquelle la fiabilité doit être mesurée est définie comme suit :

[…]

3. En vérifiant la fiabilité de la personne, il faut se demander s’il peut se montrer digne de la confiance qu’on lui accordera. Autrement dit, il faut chercher à savoir s’il pourrait voler des objets précieux, utiliser à son profit les biens et renseignements auxquels il aura accès ou ne pas protéger les biens et renseignements, ou se comporter d’une façon qui nuirait à leur protection. Pour ce faire, il faut évaluer les risques éventuels entraînés par la nomination ou l’affectation et, compte tenu du degré de fiabilité requis et de la nature des fonctions à remplir, déterminer si ces risques sont acceptables ou non.

[…]

[100]  Cette affaire ne concerne pas le vol ou l’utilisation abusive de biens ou d’informations. Elle porte sur un comportement susceptible de nuire à la fiabilité et de poser un risque pour la sécurité de l’organisation. La malhonnêteté du fonctionnaire a eu une incidence très négative sur sa fiabilité. Étant donné la nature des fonctions que l’ASFC s’attend à ce qu’il accomplisse, sa disposition à mentir afin de défendre ou de protéger ses propres intérêts crée un risque inacceptable.

[101]  Une brève observation est nécessaire au sujet de la question de l’équité procédurale inhérente au choix de ne pas suivre la politique ministérielle sur la divulgation de renseignements défavorables à la personne en question avant qu’elle ne soit interrogée à ce sujet. Bien que j’apprécie l’explication de M. McCarthy selon laquelle la non-divulgation offre une possibilité plus large à la personne d’être honnête, je comprends également l’affirmation du fonctionnaire selon laquelle cette pratique est « kafkaïenne ». Dans Le procès de Franz Kafka, le protagoniste est convoqué à un procès, mais il n’est jamais informé de la nature de son crime présumé, ce qui donne lieu à de la paranoïa et à de la suspicion quant aux véritables motifs qui sous-tendent le déroulement du procès.

[102]  En l’espèce, je comprends bien la position du fonctionnaire, car procéder  de cette manière peut sembler injuste. Cependant, je comprends également pleinement la nécessité d’appliquer la politique de l’ASFC, à savoir que la réception de renseignements défavorables nécessite une réévaluation complète de la cote de fiabilité.

[103]  Bien que cela puisse sembler déplaisant et peut-être un peu injuste, je dois convenir avec M. McCarthy que dans les circonstances actuelles, avec un total de cinq questionnaires de filtrage de sécurité antérieurs au dossier, chacun indiquant l’absence de condamnation pénale, l’ASFC a eu raison de dissimuler cette information jusqu’à ce que le fonctionnaire ait eu amplement l’occasion de la divulguer au cours de l’entrevue de sécurité.

A. Suspension de la cote de fiabilité

[104]  La décision de l’ASM de suspendre la cote de fiabilité du fonctionnaire fait suite à l’examen du CES. L’ASM n’est pas tenu d’accepter les recommandations du CES, mais son examen constitue une étape importante et repose entièrement sur le rapport. L’enquêteur était apparemment présent lors de l’examen du CES et aurait pu être disponible pour répondre à des questions ou aborder des points spécifiques, mais le rapport est l’élément moteur de la recommandation du CES.

[105]   Le rapport de M. Sawchuk énumère trois sujets de préoccupation concernant le fonctionnaire : son implication dans le commerce du sexe illicite lors de voyages à l’étranger, sa possession et sa consommation illégales de marijuana et sa malhonnêteté à l’égard de la condamnation au Maroc.

[106]  Je suis d’avis que M. Sawchuk, dans sa caractérisation des relations du fonctionnaire avec les femmes lors de ses voyages à l’étranger, passe presque complètement à côté de la question. Le fonctionnaire était franc quant à son utilisation des sites de rencontre en ligne et à la compagnie de femmes à l’étranger. Cependant, pour être correctement qualifié de participation active au commerce du sexe illicite, plus de détails sur ce qui s’est réellement passé avec ces femmes auraient été nécessaires.

[107]  M. Sawchuk n’a posé aucune question sur la nature des relations du fonctionnaire. Il n’a même pas demandé au fonctionnaire s’il avait eu des relations sexuelles avec les femmes. Une fois qu’il a appris que de l’argent avait été échangé, il semble que M. Sawchuk a immédiatement conclu que le fonctionnaire avait sollicité les services de prostituées. Il s’agissait d’une grave allégation qui n’a tout simplement pas été étayée.

[108]  Le rapport de M. Sawchuk mentionne à plusieurs reprises que le fonctionnaire paie en espèces pour « les services d’accompagnement de femmes », sans réserve. Ce type de phrase implique clairement que les « services » en question étaient purement sexuels.

[109]  À aucun moment de l’entrevue il n’y a eu de discussion sur la nature de la prostitution, à savoir le paiement d’une somme d’argent spécifique en échange de services sexuels convenus spécifiquement. Le fonctionnaire a nié catégoriquement avoir pris part à de telles activités, mais d’une manière ou d’une autre, les hypothèses de l’enquêteur ont influencé la façon dont le rapport a été rédigé, de sorte qu’au moment où les informations ont été présentées au CES et à l’ASM, le rapport donnait clairement l’impression que le fonctionnaire avait participé de manière systématique et active au commerce du sexe illicite.

[110]  Par conséquent, cet aspect particulier du rapport n’était pas un motif légitime pour suspendre ou révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire.

[111]  En ce qui concerne la consommation de marijuana du fonctionnaire, je trouve que le rapport observe avec précision ce qui suit :

[]

93.  [] on peut raisonnablement conclure que [le fonctionnaire] a consommé des drogues illicites à long terme lorsque l’occasion se présentait et n’a jamais complètement abandonné son style de vie en matière de drogues illicites, comme il l’a affirmé plus tôt au cours de l’entrevue. [Le fonctionnaire] semble conserver une attirance et une sensibilité à l’égard des activités liées à la drogue illégale.

[]

[112]  La participation volontaire à toute activité illégale est problématique pour un agent d’application de la loi, qui doit observer une norme de conduite plus stricte. Ce comportement constitue un risque permanent et ingérable pour les intérêts de sécurité de l’organisation.

[113]  Il n’appartient pas à chaque agent d’application de la loi de choisir à son gré les lois suffisamment importantes qui méritent d’être respectées. Certes, la possession de marijuana était une infraction relativement mineure en 2014 et n’est pas illégale aujourd’hui. Le risque pour la sécurité qui se pose, cependant, est directement lié à la préoccupation légitime de l’ASFC concernant d’autres formes d’activités illégales, mineures ou non, que le fonctionnaire peut choisir de cautionner ou d’y prendre part. Il s’agit d’un risque permanent et ingérable pour les intérêts de sécurité de l’ASFC et j’estime qu’il s’agissait d’un motif légitime pour la suspension et la révocation de la cote de fiabilité. 

[114]  On pourrait, en théorie, poser la question de savoir si ce facteur aurait ou non eu suffisamment de poids pour suspendre ou révoquer la cote de sécurité. Cela n’aurait probablement pas été le cas, mais je n’ai pas besoin de répondre à cette question hypothétique en l’espèce. Il suffit de dire que la consommation de marijuana du fonctionnaire et sa réticence à en parler totalement lorsqu’il a été invité à le faire lors de l’entrevue sont sans aucun doute un facteur qui a été dûment pris en compte.

[115]  La variable la plus importante dans cette équation, cependant, est l’omission par le fonctionnaire de divulguer son arrestation, sa détention et son casier judiciaire pour possession de drogue au Maroc. En fait, chaque fois qu’il était tenu de mettre à jour sa cote de sécurité, il a coché la case « Non » à côté de la question qui lui avait été posée pour paraphraser « Avez-vous déjà été condamné pour une infraction pénale pour laquelle vous n’avez pas reçu de pardon? ».

[116]  Dans le rapport, M. Sawchuk a fait remarquer à juste titre que le fonctionnaire ne s’est pas rendu service en dissimulant ces renseignements pendant l’entrevue de sécurité, malgré le fait que M. Sawchuk a posé plusieurs questions très suggestives sur les voyages du fonctionnaire au Maroc et des questions directes sur l’arrestation et la détention. Le CES a légitimement tiré une conclusion négative au sujet de l’honnêteté et de la fiabilité du fonctionnaire, en se fondant sur la description précise faite par M. Sawchuk de ce qui s’est passé lors de l’entrevue.

[117]  La tendance du fonctionnaire à mentir pour protéger ses propres intérêts crée un risque permanent et ingérable pour l’organisation. La décision de suspendre sa cote de sécurité était légitime compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. Son grief concernant la suspension de la cote de fiabilité échoue pour ce motif.

B. Révocation de la cote de fiabilité

[118]  Ce grief porte sur la décision de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire, ce qui comportait une étape procédurale importante. Le fonctionnaire avait 14 jours pour fournir toute information pertinente à l’ASM et pour expliquer les renseignements défavorables avant le prononcé de la décision de révocation.

[119]  Le fonctionnaire a fourni une lettre datée du 27 janvier 2015 dans laquelle il reconnaît [traduction] « [...] le risque que l’Agence a encouru à cause de mes actions ». Il remarque à juste titre que le rapport [traduction] « [...] est biaisé et contient des inexactitudes », mais il ne les précise pas, ni ne les corrige dans sa lettre. Il ne souligne pas non plus le préjugé visible de l’enquêteur concernant les relations du fonctionnaire avec les femmes. Il ne mentionne pas du tout les allégations de prostitution. Il admet plutôt franchement que [traduction] « [...] je reconnais et assume la responsabilité des problèmes fondamentaux qui constituent le fondement de la suspension ».

[120]  Malheureusement, le fonctionnaire choisit toujours de ne pas admettre être entièrement responsable. L’une des raisons qu’il indique régulièrement pour justifier le fait qu’il n’a pas divulgué les incidents survenus au Maroc est, comme l’a dit le fonctionnaire dans son entrevue avec M. Sawchuk, qu’il n’était pas sûr [traduction] « de savoir ce qui s’est réellement passé là-bas ». Dans sa lettre du 27 janvier 2015, le fonctionnaire déclare ce qui suit :

[Traduction]

[...]

En ce qui concerne l’omission de détails concernant l’incident au Maroc, je me suis toujours demandé si j’avais été condamné pour une infraction pénale ou si j’avais été incarcéré dans l’attente du paiement d’une amende à la Régie des Tabacs du Maroc. Les droits légaux fondamentaux, y compris le droit d’être dûment informé du processus, ne m’ont pas été donnés. Ensuite, après avoir reçu une habilitation de sécurité du gouvernement du Canada basée sur ce que je croyais être une vérification approfondie des antécédents et de la sécurité, j’ai acquis plus de confiance quant au fait que la question n’était sans doute pas un problème.

[…]

[121]  M. Giguere a témoigné au sujet de sa réaction à la lettre de réfutation du fonctionnaire. Il a ajouté que les admissions franches du fonctionnaire aux questions fondamentales, à savoir la drogue, la prostitution, et la non-divulgation répétée de l’incident au Maroc, étaient suffisantes pour confirmer le risque qu’il posait pour l’ASFC en raison de ses traits de caractère. En ce qui concerne les facteurs HIF, le fonctionnaire a démontré qu’il était malhonnête, indigne de confiance et qu’il manquait d’intégrité.

[122]  En ce qui concerne le dernier élément, l’intégrité, M. Giguere a expliqué sa définition personnelle de ce terme, à savoir [traduction] « agir de la bonne façon même si vous savez que personne ne vous regarde ». C’est une bonne interprétation du mot « intégrité ». Seul le fonctionnaire était au courant de l’incident au Maroc; toute personne raisonnable saurait qu’il s’agissait d’un fait important à divulguer.

[123]  M. Giguere a parlé dans son témoignage des implications probables si le fonctionnaire avait choisi de déclarer ouvertement sa condamnation pénale au Maroc au moment de sa candidature initiale à la fonction publique, en 1991. Il a déclaré [traduction] « qu’il n’aurait pas été embauché. Il aurait été considéré comme présentant un trop grand risque ».

[124]  M. Giguere a expliqué qu’ainsi le fonctionnaire avait fait preuve d’un manque d’intégrité en retenant délibérément des informations importantes afin de ne pas compromettre sa carrière, faisant remarquer : [traduction] « [qu’]il espérait simplement que cela ne serait jamais dévoilé ». M. Giguere a témoigné de la nécessité de l’ASFC de pouvoir faire confiance à ses employés pour assurer la prestation des services.

[125]  M. Giguere a également attiré l’attention sur les derniers paragraphes de la lettre du fonctionnaire dans lesquels il avait promis [traduction] « […] aucun comportement à risque ne se reproduira plus » et que le risque peut être géré [traduction] « en limitant les déplacements ». Cela a peu rassuré M. Giguère et n’a fait que renforcer sa conviction que le fonctionnaire était pleinement conscient des risques importants que son comportement faisait courir à l’ASFC.

[126]  Le CES a recommandé la révocation par un vote de quatre membres contre un. Il a noté ce qui suit dans ses recommandations :

[Traduction]

[…]

• Dans sa réfutation, [le fonctionnaire] a manifesté du remords, a expliqué qu’il ne comprenait pas pleinement les implications juridiques de ce qui lui était arrivé au Maroc en 1990, qu’il avait mené une carrière très performante et qu’il devrait avoir une seconde chance de retrouver la confiance de la direction.

• La réfutation [du fonctionnaire] n’a pas dissipé les inquiétudes suscitées par sa malhonnêteté et son comportement dangereux (par exemple, la drogue et prostitution).

[…]

[127]  Je conclus que même si le fonctionnaire avait fourni un compte-rendu beaucoup plus détaillé de ses exploits romantiques à l’étranger, cela n’aurait pas eu suffisamment de poids pour ébranler la conviction du CES ou de l’ASM qu’il représentait un trop grand risque pour l’ASFC en raison de son manque d’honnêteté, de confiance et d’intégrité. La recommandation finale du CES est brève et précise : [traduction] « Le problème qui nous préoccupe n’est pas la condamnation pour drogue en 1990, ni le bilan apparemment excellent [du fonctionnaire] depuis, mais plutôt sa malhonnêteté lors de l’entrevue de sécurité et son comportement à haut risque actuel. »

[128]  Le fonctionnaire a présenté une preuve supplémentaire après la révocation et son licenciement dans ce qu’il a appelé sa [traduction] « lettre de colère » du 5 mai 2015. Dans ce document, il aborde enfin le préjugé de l’enquêteur sur la question de la prostitution et fournit une explication plus complète de sa consommation occasionnelle de marijuana. Il revient également sur l’incident au Maroc dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

11. En ce qui concerne le problème que j’ai eu au Maroc il y a plus de 25 ans, je n’ai bénéficié d’aucune procédure régulière dans cette affaire et je n’ai jamais été informé de la disposition légale. Si en fait il a été confirmé que j’ai été condamné, je réalise maintenant que mes réponses aux questions sur les formulaires de sécurité étaient incorrectes, mais je n’ai pas sciemment répondu faussement […]

[…]

[129]  Le fonctionnaire a témoigné avoir présenté ces arguments lors de ses auditions de grief sans succès. Il les a répétés lors de son témoignage à l’audience. Il doit être félicité pour son honnêteté à admettre, sous serment, sa détermination à dissimuler la condamnation au Maroc à son employeur et sa décision de la dissimuler en connaissance de cause malgré son pressentiment que c’était la raison même de l’entrevue de sécurité. Il a dû être difficile pour lui de fournir une telle preuve lors d’une audience publique.

[130]  Cependant, son admission est une arme à double tranchant, car, ce faisant, le fonctionnaire a dissipé tout doute quant aux risques qu’il représente pour les activités de l’employeur. Bien qu’il ait dit la vérité sur le banc des témoins quant à sa motivation à cacher l’incident au Maroc, il a révélé sa volonté de mentir sur un fait important pour défendre ses propres intérêts.

[131]  Je vais examiner deux autres aspects de la non-divulgation par le fonctionnaire de l’incident au Maroc. Premièrement, à quel point ce fait était-il important? Lorsque les renseignements défavorables ont été révélées, il travaillait à titre officiel dans un pays où le trafic de drogue est un problème grave. Aussi ancienne qu’elle soit, la condamnation au Maroc était très certainement un fait important en 2014.

[132]  C’était un fait encore plus important lorsqu’il s’agissait de renseignements récents. En 1991, s’il avait révélé ces informations dans son premier questionnaire d’habilitation de sécurité, M. Giguere a précisé que le fonctionnaire n’aurait pas été embauché parce qu’il présentait un trop grand risque. Le fonctionnaire le savait aussi parce qu’il avait admis avoir dissimulé cette information afin de ne pas compromettre ses perspectives de carrière.

[133]  Le dernier élément du témoignage du fonctionnaire au sujet de l’incident au Maroc est le seul aspect de son récit qui affecte sa crédibilité en tant que témoin, mais il a un effet important en raison des implications en termes de fiabilité.

[134]  L’affaire Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, fournit des directives utiles pour évaluer la crédibilité des témoins :

[…] Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnables dans telle situation et telles circonstances […]

[135]  Le fonctionnaire affirme ne pas avoir bien compris ce qui s’est passé au Maroc.

[136]  Plaçons toute personne pratique et informée « […] dans telle situation et telles circonstances ». Supposons que la personne pratique et informée voyage actuellement au Maroc, mais manque d’argent. Une façon de financer son voyage prolongé consiste à acheter du haschisch à bas prix au Maroc et à le vendre cher aux îles Canaries. Le premier problème à régler est de faire sortir la drogue du Maroc! Sachant que la possession de drogues est illégale, la personne pratique et informée les cache sous ses vêtements.

[137]  La personne pratique et informée ne sera pas surprise de constater qu’après une fouille, les drogues sont découvertes et confisquées et qu’elle est directement envoyée en prison. Finalement, elle est officiellement escortée dans une salle d’audience où se déroulent certaines procédures, dont certaines concernent manifestement la personne pratique et informée. Une amende est payée et après quatre mois de prison, les portes sont ouvertes.

[138]  Bien que la procédure se déroule dans une langue inconnue, la personne pratique et informée comprend sans doute clairement ce qui vient de se passer : elle vient d’être détenue, arrêtée, condamnée et emprisonnée pour trafic de drogue.

[139]  Quelle que soit la validité que pourrait avoir cette excuse de non-divulgation, elle s’envole lorsque le fonctionnaire avoue que malgré avoir rencontré en prison des représentants de l’ambassade canadienne (qui étaient probablement assez bien placés pour lever tout doute persistant sur ce qui aurait pu se passer dans cette salle d’audience marocaine), il ne leur a jamais posé aucune question. Il a témoigné n’avoir jamais formellement donné suite à sa curiosité quant à la validité des procédures marocaines.

[140]  Il n’avait pas besoin de poser de questions, car il n’y a jamais eu de doute sur ce qui s’était passé au Maroc. Cette excuse porte atteinte à la crédibilité du fonctionnaire, et j’estime qu’il est fallacieux de l’utiliser comme une raison de ne pas fournir une divulgation complète, véridique et claire.

[141]  Les décisions de suspendre, puis de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire étaient légitimes, compte tenu de toutes les circonstances en l’espèce. Son licenciement était justifié.

[142]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

V. Ordonnance

[143]  Les griefs sont rejetés.

Le 3 juillet 2019.

Traduction de la CRTESPF.

James Knopp,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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