Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésées étaient en congé de maladie non payé pendant une période de deux ans lorsqu’elles ont reçu des lettres de l’employeur leur offrant trois options : elles pouvaient retourner au travail, elles pouvaient prendre leur retraite pour des raisons médicales ou elles pouvaient démissionner – plutôt que de choisir une option, elles ont toutes les deux demandé un congé non payé d’un an pour obligations personnelles, tel qu’il est prévu dans la convention collective – leurs demandes ont été rejetées – l’employeur a dit que leur statut d’employé en congé de maladie devait d’abord être réglé, et ce, en choisissant l’une des trois options – elles ont présenté un grief contestant le rejet au motif qu’il s’agissait d’un acte discriminatoire et qu’il s’agissait d’une violation de leur droit contractuel à un congé non payé pour obligations personnelles en vertu de leur convention collective – la Commission a conclu que le refus de leurs demandes de congé simplement en raison de leur statut d’employées en congé de maladie constituait de la discrimination fondée sur l’incapacité – l’employeur n’a pas établi que le fait de leur accorder un congé non payé d’un an pour obligations personnelles aurait constitué une contrainte excessive, surtout parce que, ultimement, il leur a volontairement permis de rester en congé de maladie non payé pendant une période beaucoup plus longue – en outre, la clause de la convention collective sur le congé pour obligations personnelles est obligatoire – dans la mesure où les conditions énoncées dans la clause sont respectées, l’employeur doit accorder le congé – l’employeur n’a pas le pouvoir discrétionnaire de le refuser, comme c’est le cas pour d’autres formes de congé en vertu de la convention collective – bien que la convention collective précise que les autres formes de congé ne peuvent être combinées, rien n’interdit de combiner un congé pour des raisons personnelles avec un autre congé – la Commission a conclu que les preuves étaient insuffisantes pour justifier l’octroi de dommages en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Griefs accueillis.

Contenu de la décision

Date : 20190628

Dossiers : 566-02-12667 et 12668

Référence : 2019 CRTESPF 62

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

ENTRE

Angela Edwards ET Deborah Park

fonctionnaires s’estimant lésées

et

Conseil du Trésor

(Agence des services frontaliers du Canada)

Employeur

Répertorié :

Edwards c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les fonctionnaires s’estimant lésées : Aaron Lemkow, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Kétia Calix, avocate, et Marie-France Boyer, stagiaire en droit

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),

les 25 et 26 février 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION (Traduction de la CRTESPF)

I. Introduction

[1]  Les fonctionnaires, Angela Edwards et Deborah Park, étaient toutes deux en congé de maladie non payé pendant une période de deux ans lorsqu’elles ont reçu des lettres de leur employeur, l’Agence des services frontaliers du Canada. Les lettres leur offraient trois options : elles pouvaient retourner au travail, elles pouvaient prendre leur retraite pour des raisons médicales, ou elles pouvaient démissionner. Plutôt que de choisir l’une de ces options, elles ont toutes les deux demandé un congé non payé d’un an pour obligations personnelles.

[2]  Leurs demandes ont été rejetées au motif qu’elles avaient été en congé de maladie non payé pendant une période de deux ans. L’employeur a dit que leur statut d’employé en congé de maladie non payé devait d’abord être réglé, et ce, en choisissant l’une des options énoncées dans les lettres, et que leurs demandes ne seraient prises en compte que par la suite.

[3]  Les questions à trancher dans le cadre de ces deux griefs sont les suivantes :

  • L’employeur a-t-il commis un acte discriminatoire à l’égard des fonctionnaires, contrairement à la clause 19.01 de leur convention collective (Élimination de la discrimination) et de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6)?
  • L’employeur a-t-il enfreint le droit contractuel des fonctionnaires à un congé non payé pour obligations personnelles en vertu de la clause 44.01 de la convention collective?

[4]  Les deux fonctionnaires faisaient partie de l’unité de négociation visée par la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services frontaliers, qui venait à échéance le 20 juin 2014.

[5]   Je conclus que l’employeur a commis un acte discriminatoire à l’égard des fonctionnaires sur la base d’une invalidité quand il a rejeté leurs demandes de congé pour des raisons personnelles au motif qu’elles étaient en congé de maladie non payé. Ce faisant, l’employeur a enfreint la clause 19.01 de la convention collective et l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[6]  Je conclus en outre que l’employeur a enfreint le droit contractuel des fonctionnaires au congé pour obligations personnelles. La clause 44.01 de la convention collective prévoit que le congé pour obligations personnelles est assujetti à trois restrictions. Être en congé de maladie non payé n’en fait pas partie.

II. Résumé de la preuve

A. Angela Edwards

[7]  Mme Edwards était agente de programme subalterne à l’ASFC, un poste  classifié au groupe et au niveau FB‑02. Le 26 octobre 2012, elle est partie en congé de maladie non payé. Peu après, elle a fourni un billet médical indiquant qu’elle cesserait de travailler pour une période indéterminée.

[8]  En mai 2013, son médecin a observé une amélioration, mais a affirmé qu’un retour au travail avant le mois d’octobre 2014 était peu probable. En décembre 2013, la Sun Life, compagnie d’assurance-vie (la « Sun Life »), qui administre le régime d’assurance-invalidité à long terme de l’employeur, a mentionné que l’admissibilité de Mme Edwards aux prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada avait été approuvée.

[9]  Au mois d’octobre 2014, Mme Edwards était en congé de maladie depuis deux ans. Conformément à la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales du Conseil du Trésor (la « Directive »), l’employeur a demandé si elle retournerait au travail et, le cas échéant, quelles mesures d’adaptation seraient nécessaires. L’employeur a également dit à Mme Edwards que si elle ne pouvait pas bénéficier de mesures d’adaptation au travail, et si elle n’était pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible, elle aurait peut-être à envisager une retraite pour des causes médicales ou une démission. Le médecin de Mme Edwards a souligné que cette dernière ne pouvait pas retourner travailler à ce moment-là, mais qu’il était possible d’envisager son retour en avril 2015.

[10]  L’employeur a fait un suivi en mai et a demandé à Mme Edwards de réviser ses options conformément à la Directive, qui énonce que les situations de congé de maladie non payé doivent être réglées dans un délai de deux ans. L’employeur a répété les trois options, a établi la date du 15 juin 2015 comme délai pour choisir l’une d’entre elles, et a informé Mme Edwards que si elle ne choisissait aucune des options, un licenciement non disciplinaire serait envisagé.

[11]  En juin, un autre billet médical indiquait que Mme Edwards ne pouvait toujours pas retourner au travail et qu’il était impossible de prévoir le moment où elle pourrait y retourner. L’employeur a informé Mme Edwards qu’elle devait choisir définitivement l’une des options avant le 10 juillet, sans quoi il n’aurait d’autre choix que d’aller de l’avant avec un licenciement non disciplinaire. Mme Edwards a demandé une prolongation du délai pour répondre, qui lui a été accordée jusqu’au 20 août 2015.

[12]  Le 30 juin 2015, Mme Edwards a informé son employeur que, suivant la recommandation du président de son syndicat, elle demandait maintenant un congé pour obligations personnelles pour une période maximale d’un an, en vertu de la clause 44.01 de la convention collective. L’employeur a répondu que Mme Edwards était partie en congé de maladie non payé depuis plus de deux ans et qu’il devait aborder la question avant d’évaluer sa demande de congé pour obligations personnelles. Une fois de plus, il lui a demandé de choisir l’une des options avant le 10 août 2015.

[13]  Charles Khoury, président, Syndicat des douanes et de l'immigration (SDI), a demandé à l’employeur d’approuver ou de refuser spécifiquement la demande de Mme Edwards et de présenter une justification s’il refusait le congé. L’employeur a répondu qu’il refusait la demande [traduction] « en ce moment » et a réitéré que la question du congé de maladie non payé devait être d’abord réglée. Le délai du 10 août pour choisir une option est demeuré en vigueur et a passé sans que Mme Edwards fasse un choix. Le 11 août, elle a présenté un grief contestant le rejet de sa demande de congé.

[14]  Le 4 septembre, l’employeur a réitéré les trois options et a dit à Mme Edwards qu’en l’absence d’une réponse avant le 25 septembre, il la licencierait pour des raisons non disciplinaires. Mme Edwards a envoyé un autre billet médical indiquant qu’elle consacrait des efforts pour un retour graduel au travail le 1er janvier 2016.

[15]  À la fin du mois de décembre 2015, l’employeur a rejeté le grief, mais a affirmé qu’après un retour au travail réussi le 1er janvier 2016, conformément à son dernier certificat médical, la question du congé de maladie non payé de Mme Edwards serait réglée et que l’employeur envisagerait alors sa demande de congé. Toutefois, le 14 janvier 2016, le médecin de Mme Edwards a dit à l’employeur qu’elle serait très surprise si Mme Edwards pouvait retourner au travail au cours des prochains mois.

[16]  En avril 2016, le grief de Mme Edwards a été rejeté au dernier palier. Encore une fois, l’employeur a soutenu qu’un type de congé devait prendre fin avant qu’un autre type de congé ne commence. Il a ajouté que Mme Edwards n’avait toujours pas choisi d’option pour mettre fin au congé de maladie et que, par conséquent, l’employeur n’était pas en mesure d’accueillir sa demande pour un autre type de congé.

[17]  Le 19 janvier 2017, un autre billet médical indiquait que Mme Edwards ne serait pas en mesure de retourner au travail avant les six prochains mois. Elle a pris une retraite pour raisons médicales à compter du 8 juillet 2017.

B. Deborah Park

[18]  Mme Park était agente principale de programme à l’ASFC, un poste classifié au groupe et au niveau FB-04. Elle est partie en congé de maladie non payé en janvier 2013 et, deux ans plus tard, en janvier 2015, elle a reçu une lettre semblable de l’Agence dans laquelle les mêmes trois options lui étaient fournies. Elle a demandé qu’on lui donne du temps pour évaluer ses options, soit jusqu’au 15 mai 2015, ce qui lui a été accordé. Toutefois, quand elle n’a pas fourni de réponse dans les délais prescrits, son gestionnaire, André Laframboise, a fait un suivi. Mme Park a répondu en demandant un [traduction] « […] congé en vertu de l’article 44.01 – congé d’un an pour obligations personnelles. »

[19]  M. Laframboise a rejeté la demande et a affirmé que le congé de maladie non payé ne pouvait pas être accordé pour une durée indéterminée et que son statut d’employée en congé de maladie devait être réglé. Il a donné à Mme Park jusqu’à la mi-août pour choisir l’une des trois options, sans quoi l’employeur passerait à un licenciement non disciplinaire.

[20]  Mme Park a présenté un grief contre le refus de sa demande de congé et a ensuite envoyé le billet médical indiquant qu’elle était disponible pour un retour graduel au travail à compter du 1er février 2016. M. Laframboise a proposé qu’ils communiquent ensemble au début du mois de janvier pour discuter de toute exigence ou mesure d’adaptation qui pourrait être nécessaire à une transition sans heurts pour le retour au travail.

[21]   Plus tard, la Sun Life a informé l’employeur que Mme Park répondait à la définition d’invalidité jugée totale, que sa demande de prestations d’invalidité avait été accueillie, et qu’elle devrait faire une demande pour obtenir une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. M. Laframboise a remis en question cette information étant donné que Mme Park avait dit à l’employeur qu’elle retournerait au travail le 1er février 2016. Toutefois, la Sun Life a répondu que la demande de prestations d’invalidité en cours avait été accueillie et qu’il n’était pas prévu que Mme Park puisse retourner au travail, à quelque titre que ce soit, dans un avenir prévisible.

[22]  À la fin du mois de décembre 2015, M. Laframboise a rejeté le grief de Mme Park et lui a demandé de fournir un certificat médical à jour sur son aptitude à retourner au travail et les limitations qui pourraient nécessiter des mesures d’adaptation. Il a affirmé que selon le plus récent certificat médical de Mme Park, un retour graduel au travail était prévu pour le 1er février 2016. À son retour réussi, le congé de maladie non payé serait jugé comme étant résolu, et sa demande de congé non payé pour obligations personnelles serait envisagée.

[23]  Mme Park a répondu qu’elle rassemblait l’information demandée pour son retour au travail le 1er février 2016. Elle a par la suite présenté une deuxième demande concernant un congé d’une année pour obligations personnelles, commençant le 3 février 2016.

[24]  M. Laframboise a réitéré l’information nécessaire pour le retour au travail, a souligné que le certificat médical serait nécessaire pour prolonger le congé de maladie si elle ne retournait pas au travail, et a refusé sa deuxième demande de congé pour obligations personnelles, fournissant la même justification pour le refus.  

[25]  Le 7 avril 2016, l’employeur a rendu sa réponse au dernier palier indiquant que le grief de Mme Park était rejeté, au même motif :

[Traduction]

[…] habituellement, une période visant un type de congé doit prendre fin avant qu’un autre type de congé ne commence. Comme il a été énoncé dans une lettre de votre gestionnaire datée du 14 janvier 2015, on vous a donné plusieurs options afin de mettre fin à votre période de congé actuelle. Étant donné que la direction n’a pas reçu votre décision à cet égard, la direction n’a pas été en mesure d’accorder la demande pour un autre type de congé.

[26]  Au mois de septembre 2016, la Sun Life a avisé que la demande de prestations d’assurance-invalidité du Régime de pensions du Canada de Mme Park avait été approuvée.

[27]  Mme Park était encore une employée de l’ASFC en congé de maladie non payé au moment de l’audience.

III. L’employeur a-t-il commis un acte discriminatoire à l’égard des fonctionnaires?

[28]  La clause 19.01 de la convention collective prévoit ce qui suit : « Il n’y aura aucune discrimination […] exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de […] son incapacité mentale ou physique […] ».

[29]  L’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTSPF) prévoit qu’un grief individuel à propos de l’interprétation ou de l’application à l’égard d’un employé de toute disposition d’une convention collective peut être renvoyé à l’arbitrage. Ces griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 16 juin 2017. Pour toute affaire renvoyée à l’arbitrage, la Commission peut interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) (autre que ses dispositions relatives à l’équité salariale) (alinéa 226(2)a) de la LRTSPF).

[30]  L’article 7 de la LCDP prévoit que défavoriser un individu en matière d’emploi sur le fondement d'un motif de distinction illicite constitue un acte discriminatoire. À l’article 3 de la LCDP, la déficience fait partie des motifs de distinction illicite.

[31]  L’article 15 de la LCDP prévoit qu’un refus discriminatoire peut être défendu au motif qu’il découle d’exigences professionnelles justifiées. Toutefois, pour cette défense, l’employeur doit démontrer que les mesures destinées à répondre aux besoins des personnes défavorisées constituent une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (voir le paragraphe 15(2)).

[32]  Pour présenter une allégation de discrimination, les fonctionnaires s’estimant lésés doivent d’abord établir ce qu’on appelle une preuve prima facie, ou une preuve à première vue. Ceci étant, ils doivent fournir des éléments de preuve qui, si on leur ajoute foi, serait suffisants pour entraîner une conclusion en leur faveur, en l’absence d’une réponse de l’employeur (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson-Sears, 2 RCS 536, aux paragraphes 588 et 589). Plus précisément, ils doivent démontrer qu’ils ont une caractéristique protégée par la clause 19.01 de la convention collective ou par l’article 7 de la LCDP, que leur employeur les a traités différemment et de façon défavorable, et que leur caractéristique protégée était un facteur dans ce traitement défavorable.

[33]  Les fonctionnaires ont présenté une preuve prima facie. Ils ont une caractéristique protégée – la déficience. Ils ont été traités différemment et de façon défavorable quand leur employeur leur a refusé un congé pour obligations personnelles qui était disponible aux autres employés et leur déficience a été un facteur dans le refus. Elles étaient parties en congé de maladie en raison de leur déficience et leurs demandes de congé ont été refusées parce qu’elles étaient en congé de maladie.

[34]  Pour répliquer à une preuve prima facie, un employeur peut fournir une preuve démontrant que ses agissements n’étaient pas discriminatoires, ou il peut fournir une preuve établissant que la pratique discriminatoire était une exigence professionnelle justifiée.

[35]  L’employeur a soutenu que sa décision de refuser les demandes de congé des fonctionnaires n’était pas discriminatoire – elle ne se fondait pas sur la déficience des fonctionnaires, mais plutôt sur le fait qu’elles étaient déjà visées par un type de congé, qui devait être réglé. Le congé de maladie non payé est une mesure d’adaptation pour maintenir la relation d'emploi, mais il ne peut se poursuive indéfiniment. Les deux fonctionnaires étaient en congé de maladie pendant plus de deux ans, et c’est dans ce contexte que l’employeur a tenté de régler le statut de congé de maladie avant d’envisager un autre type de congé.

[36]  Manifestement, l’employeur n’avait aucune intention de faire preuve de discrimination. Il tentait simplement d’adresser la situation du congé de maladie du mieux qu’il le pouvait. Toutefois, l’intention ne détermine pas si une pratique discriminatoire a eu lieu – ses répercussions le déterminent. Les fonctionnaires n’ont pas à établir que l’employeur avait l’intention de commettre un acte discriminatoire afin d’établir la discrimination (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, au paragraphe 40).

[37]  Bien que le désir de l’employeur de gérer différents types de congés de cette façon soit compréhensible, rien dans la convention collective n’indique que les fonctionnaires ne sont pas admissibles aux congés pour obligations personnelles. Par conséquent, refuser leurs demandes de congé en raison de leur statut de congé de maladie constitue de la discrimination fondée sur une déficience.

[38]  L’employeur a également soutenu que si le traitement défavorable était discriminatoire, il était justifié à titre d’exigence personnelle. En fin de compte, un employé doit être en mesure d’exécuter le travail, et si ce n’est pas possible, un employeur peut mettre fin à la relation d’emploi. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur prend fin quand un employé est incapable de travailler et en demeurera incapable dans un avenir prévisible (voir Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, Maher c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 93, Gauthier c. Conseil du Trésor (Comité des griefs des Forces canadiennes), 2012 CRTFP 102, et English-Baker c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CRTFP 24).

[39]  L’employeur a fait valoir que les fonctionnaires n’étaient pas en mesure de travailler dans un avenir prévisible, et que le seuil de la contrainte excessive avait été atteint. Toutefois, l’employeur a également souligné qu’il avait néanmoins continué de prendre des mesures d’adaptation à leur égard en continuant leur congé de maladie non payé. Il est difficile de voir comment une année de congé pour obligations personnelles pourrait équivaloir à une contrainte excessive alors que l’employeur a volontairement gardé les deux fonctionnaires en congé de maladie non payé pour une période encore plus longue.

[40]  Si le seuil de la contrainte excessive avait été atteint, l’employeur aurait pu mettre fin à la relation d’emploi des fonctionnaires. En choisissant de maintenir la relation de travail, toutefois, il ne peut pas faire preuve de discrimination en refusant aux fonctionnaires un droit qui leur était accordé en vertu de leur convention collective uniquement en raison de leur statut de congé de maladie.

IV. L’employeur a-t-il enfreint le droit contractuel des fonctionnaires à un congé non payé pour obligations personnelles?

A. Vue d’ensemble du libellé de la convention collective

[41]  L’article 33 de la convention collective établit les types généraux de congés qui ne peuvent être combinés, ce que les parties ont convenu. La clause 33.05 prévoit : « L'employé-e ne bénéficie pas de deux (2) genres de congés payés […] à l'égard de la même période. » La clause 33.07 prévoit : « L’employé-e n’a droit à aucun congé payé pendant les périodes où il ou elle est en congé non payé ou sous le coup d’une suspension. »

[42]  La clause 44.01 se lit comme suit :

Un congé non payé est accordé pour les obligations personnelles, selon les modalités suivantes :

a)   sous réserve des nécessités du service, un congé non payé d'une durée maximale de trois (3) mois est accordé à l’employé-e pour ses obligations personnelles;

b)   sous réserve des nécessités du service, un congé non payé de plus de trois (3) mois mais ne dépassant pas un (1) an est accordé à l’employé-e pour ses obligations personnelles;

c) l’employé-e a droit à un congé non payé pour ses obligations personnelles une (1) seule fois en vertu de chacun des alinéas a) et b) du présent paragraphe pendant la durée totale de son emploi dans la fonction publique. Le congé non payé accordé en vertu du présent paragraphe ne peut pas être utilisé conjointement avec un congé de maternité ou parental sans le consentement de l'Employeur.

[Je mets en évidence]

[43]  Personne ne conteste le fait que la véritable intention des parties doit être établie en tenant compte de l’ensemble de la convention collective. L’employeur souligne que la Partie IV de la convention collective est organisée de façon à prévoir les différents types de congés, tous pour des objectifs différents. Lorsqu’un employé n’est pas en mesure de travailler et que ses crédits de congé de maladie sont épuisés, la forme appropriée de congé est le congé de maladie non payé. Le congé pour obligations personnelles n’est pas approprié pour aborder une telle situation. Chaque type de congé a son objectif précis et peut seulement être utilisé en vue de cet objectif.

[44]  Le point de vue de l’employeur sur la façon dont les dispositions relatives au congé interagissent, bien que sensé en théorie, n’est pas appuyé par le libellé de la convention collective.

[45]  La clause 33 indique clairement que les parties ont examiné la possibilité que les employés puissent souhaiter combiner différents types de congés. Ils se sont précisément mis d’accord pour interdire la combinaison de deux types de congé payé, et d’un congé payé et non payé. S’ils voulaient également interdire la combinaison de deux congés non payés, ils ne l’ont pas mentionné.

[46]  Un employé n’est pas tenu d’utiliser le congé pour obligations personnelles pour un usage particulier ou, même, de mentionner à l’employeur la raison pour laquelle il le veut. Un employé peut demander ce congé à tout moment, pour toute raison ou pour aucune raison.

[47]  La clause 44.01 est obligatoire. À condition que ses exigences soient respectées, l’employeur doit accorder le congé. D’autres dispositions relatives au congé utilisent le mot « peut » et sont de nature clairement discrétionnaire, par exemple, la clause 49.01 (congé d’études), la clause 50.02 (congé de promotion professionnelle), la clause 51.01 (congé d’examen), et la clause 52.01 (congé pour d’autres motifs). Le mot « est » est utilisé à la clause 44.01 pour transmettre l’idée que l’employeur ne peut rejeter le congé pour des motifs autres que ceux qui sont nommés.

B. La clause 44.01 impose trois restrictions à l’octroi d’un congé pour obligations personnelles

1. Nécessités du service

[48]  Le congé pour obligations personnelles est accordé sous réserve des nécessités du service. Il aurait été entièrement loisible à l’employeur de rejeter le congé pour ce motif; toutefois, il ne l’a pas fait. Aucune correspondance échangée avec les fonctionnaires n’abordait les nécessités du service. Le fondement invoqué par l’employeur était uniforme dans l’ensemble — les demandes de congé ont été rejetées parce que les fonctionnaires étaient en congé de maladie.

[49]  M. Laframboise a soulevé des préoccupations au niveau des nécessités du service dans son témoignage. Il a témoigné que Mme Park avait été remplacée par un agent subalterne (FB-02) qui n’avait pas, et dont il n’était pas attendu qu’il ait, les compétences d’un FB-04. Il a mentionné être en train de se préparer pour un important exercice à réponse rapide se déroulant à plusieurs endroits, et ce, au même moment où il correspondait avec Mme Park au sujet de son retour au travail. Il aurait aimé avoir tout son effectif pour cet important exercice. Toutefois, M. Laframboise a reconnu en contre-interrogatoire que même si Mme Park était retournée au travail à ce moment-là, rien ne confirmait qu’elle aurait pu performer à pleine capacité, compte tenu du temps qu’elle a passé à l’extérieur du lieu de travail.

[50]  M. Laframboise était principalement préoccupé par le fait que l’octroi du congé retarderait le tout pendant une année. Il a souligné qu’il est toujours mieux pour une gestionnaire d’avoir des certitudes et que son travail était d’assurer que tout le travail soit exécuté avec les ressources disponibles. Il était également préoccupé par le fait que, à la fin d’un tel congé, Mme Park pourrait être admissible à un autre congé de maladie de deux ans avant que l’employeur puisse de nouveau tenter de régler la question du congé de maladie, ce qui prolongerait la période totale du congé à cinq ans ou plus. Aucune preuve ne suggère qu’il s’agit d’une possibilité réelle; M. Laframboise n’a sollicité aucun avis à ce sujet. Il s’agissait d’une vague préoccupation, mais elle a influencé la prise de décision sur la demande de congé.

[51]  Ces questions ont été soulevées pour la première fois à l’audience et ont simplement été présentées comme préoccupations de la part de M. Laframboise au moment de refuser la demande de Mme Park. L’employeur n’a pas contesté le fait que sa demande avait été rejetée en raison des nécessités du service. Il a maintenu la même position à l’audience que celle qu’il avait adoptée dans sa correspondance avec les fonctionnaires, soit que leurs demandes de congé ne pouvaient pas être prises en compte si elles restaient en congé de maladie parce qu’un type de congé devait être réglé avant qu’un autre puisse commencer.

[52]  Le seul argument que l’employeur a soulevé au sujet des nécessités du service concernait le libellé de la clause, lequel sous-entendait que le congé pour obligations personnelles s’adressait uniquement aux employés qui sont en milieu de travail. L’hypothèse sous-jacente implique que l’employé qui présente la demande doit être au travail, en mesure de travailler, et qu’il continuera de travailler si le congé est rejeté. Le congé n’est pas prévu pour un employé qui se trouve déjà à l’extérieur du milieu de travail depuis deux ans en congé de maladie non payé.

[53]  Toutefois, l’alinéa 44.01c) prévoit qu’avec consentement, ce congé peut être combiné au congé de maternité ou parental. Il ne prévoit pas qu’un consentement ne puisse être accordé à un employé qui est déjà en congé de maternité ou parental et qui veut prolonger ce congé. Le libellé ne soutient pas l’hypothèse selon laquelle des nécessités du service sont pertinentes seulement en ce qui concerne un employé qui est dans le lieu de travail et cherche à y partir. Il peut arriver qu’un employeur doive être en mesure de tenir compte des nécessités du service quand un employé est déjà en congé afin d’évaluer la capacité du service à assumer un congé plus long que ce qui avait été prévu à l’origine.

2. Une seule fois dans la carrière

[54]  La deuxième restriction prévue à la clause 44.01 stipule qu’un employé peut prendre ce congé une seule fois, en vertu de chacun des alinéas a) et b), pendant la durée totale de son emploi dans la fonction publique. Cette restriction ne constituait pas un obstacle étant donné qu’aucune des fonctionnaires n’avait déjà pris ce congé.

3. Consentement de l’employeur requis pour combiner le congé au congé de maternité ou parental

[55]  La troisième restriction stipule que le consentement de l’employeur est requis pour combiner le congé pour obligations personnelles et le congé de maternité ou parental. Cette restriction ne s’applique pas non plus. Aucune des fonctionnaires n’a cherché à combiner ce congé avec un congé de maternité ou parental.

C. L’expression d’une chose implique l’exclusion d’une autre

[56]  Le libellé utilisé à la clause 44.01 montre que les parties n’ont pas seulement examiné les types généraux de congés qui peuvent être combinés, comme il est énoncé à l’article 33, mais également les congés précis qui peuvent être combinés avec le congé pour obligations personnelles. Ayant examiné cette question, ils ont seulement limité le congé de maternité et parental. Prévoir expressément que le congé pour les obligations personnelles « ne peut pas être utilisé conjointement avec un congé de maternité ou parental sans le consentement de l'Employeur » doit signifier que d’autres types de congé peuvent être combinés ainsi sans nécessiter de consentement.

[57]  Dans Regional authority of Greater North central Francophone Education, Region No. 2 v. C.E.P., Local 777, 2011 CarswellAlta 1468, le syndicat a présenté un avis verbal de son intention de renvoyer un grief à l’arbitrage dans les délais prescrits, mais l’a confirmé par écrit à l’extérieur des délais. L’employeur a soutenu que le syndicat était hors délai. L’arbitre de grief a souligné que la disposition de la convention collective ne précisait pas le besoin d’un avis écrit, alors que d’autres avis devaient expressément l’être. Il a soulevé que si les parties avaient eu l’intention que l’avis d’intention de renvoi à l’arbitrage soit également par écrit, ils l’auraient dit. 

[58]  Ce principe d’interprétation a également été appliqué dans First Truck Centre Edmonton Inc. c. C.L.A.C., Local 56 (2012), 217 L.A.C. (4th) 363, où la convention collective exigeait que les employés remboursent leur employeur pour certains frais d’apprentissage. Quand l’employeur a déduit d’autres coûts de formation, le syndicat a présenté un grief puisque rien dans la convention collective ne permettait cette déduction supplémentaire. L’arbitre de grief a conclu ce qui suit : [traduction] « […] en ayant été précis au sujet du seul type de frais de formation recouvrables, les parties sont présumées ne pas avoir envisagé des droits plus vastes aux fins de recouvrement […]».

[59]  Dans St. Michael’s Hospital v. Ontario Nurses’ Association (2013), 235 L.A.C. (4th) 389, l’employeur a affiché trois postes temporaires. Le syndicat a fait valoir qu’ils ne correspondaient pas aux circonstances précises décrites dans la convention collective lorsque les postes temporaires étaient réputés exister. L’arbitre de grief a conclu ce qui suit :

[Traduction]

38 […] On peut déduire qu’en mentionnant expressément ces circonstances qui donnent lieu à un poste temporaire, que les parties ont volontairement exclu d’autres circonstances qui n’ont pas été ainsi identifiées. (La règle d’interprétation de l’expressio unius exclusio alterius.) […]

[60]  En l’espèce, l’article 33 interdit expressément la combinaison de deux types de congé payé ou de congé payé et de congé non payé. Toutefois, il n’y a pas d’interdiction de combiner deux types de congé non payé. Le congé de maladie non payé et le congé pour obligations personnelles sont tous deux des congés non payés.

[61]  La clause 44.01 interdit expressément la combinaison du congé de maternité/parental avec le congé pour obligations personnelles, sauf s’il y a consentement. Toutefois, rien n’interdit de combiner tout autre type de congé (tel que le congé de maladie) avec un congé pour obligations personnelles.

[62]  Manifestement, les parties ont examiné la question de la combinaison des congés. Si d’autres interdictions avaient été voulues, ils les auraient précisément exprimées ou auraient dû le faire.

D. Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales

[63]  L’annexe B de la Directive s’intitule « Congés non payés ». En ce qui concerne le congé de maladie non payé, la Directive prévoit que « […] les cas de congé non payé doivent être réglés dans les deux ans qui suivent la date du début du congé, quoique chaque cas doit être évalué sous réserve de ses circonstances particulières ». La Directive n’a pas été intégrée à la convention collective.

[64]  L’employeur a souligné qu’il avait bien suivi les lignes directrices énoncées dans la Directive étant donné que le congé de maladie non payé n’existe pas dans la convention collective. Une fois que les crédits de congés de maladie sont épuisés et que le congé de maladie payé se termine, une transition au congé de maladie non payé a lieu, qui ne se rapporte pas à la convention collective. Alors, la Directive s’applique.

[65]  Il est vrai que l’employeur a le droit de suivre la Directive en ce qui concerne le congé de maladie non payé. Toutefois, la Directive est simplement un document du Conseil du Trésor qui fournit une aide aux ministères gouvernementaux – elle ne remplace pas et ne peut pas remplacer la convention collective conclue entre les parties. L’article 3.2 de la Directive en question est clair à ce sujet :

3.2 Les personnes nommées à l'administration publique centrale auront droit à des congés aux termes des dispositions de leur convention collective ou des conditions d'emploi applicables. En cas de divergence ou d'incompatibilité entre une disposition de la convention collective et des instruments de politiques du Conseil du Trésor sur les conditions d'emploi, la disposition de la convention collective prévaut.

[66]  Puisqu’il n’y a pas de disposition pour le congé de maladie non payé dans la convention collective, l’employeur peut appliquer la directive et régler toute question de congé de maladie non payé au-delà de la période de deux ans. Toutefois, l’employeur ne peut s’appuyer sur la Directive pour rejeter un avantage auquel un employé a droit en vertu de la convention collective. La convention collective n’aborde pas les congés de maladie non payés, mais elle aborde les congés non payés pour obligations personnelles.

E. La jurisprudence de la Commission sur le congé pour obligations personnelles

[67]  La Commission et ses prédécesseurs ont évalué les griefs concernant des congés non payés pour obligations personnelles.

[68]  Dans Ferguson c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2009 CRTFP 21, la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé un congé pour obligations personnelles en vertu de la clause 17.10 de la convention collective entre l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) et le Conseil du Trésor. Cette clause était identique à la clause 44.01 de la convention collective en l’espèce. Dans cette affaire, la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé un congé après avoir reçu un avis selon lequel elle avait été désignée comme excédentaire aux fins d’un réaménagement des effectifs (RE). Il lui manquait trois années avant d’obtenir une pension non réduite et a exprimé franchement qu’elle espérait, en prenant diverses formes de congé de manière consécutive, pouvoir couvrir ces trois années. Son grief a été rejeté au motif que l’octroi de sa demande de congé aurait compromis l’ensemble du régime du RE.

[69]  La clause 17.10 faisait déjà partie de la convention collective de l’IPFPC au moment où le processus très détaillé de RE y a été explicitement incorporé. En interprétant cette clause en tenant compte de l’ensemble de cette convention collective, et en mettant en application les principes d’interprétation selon lesquels le spécifique l’emporte sur le général et qu’une disposition antérieure l’emporte sur une disposition plus récente, l’arbitre de grief a conclu qu’en cas de conflit, le RE éclipse la clause 17.10 :

[…]

[42] En l’espèce, les parties à la convention collective, à savoir le Conseil du Trésor et l’IPFPC, ont expressément indiqué que l’appendice sur le RE fait partie de la convention collective. Cet appendice renferme 46 pages de dispositions détaillées […]

[…]

[43] Étant donné que l’appendice sur le RE fait expressément partie de la convention collective et que celle-ci doit être interprétée dans son ensemble, la question est de savoir si les dispositions de la clause 17.10 et celles de l’appendice sur le RE peuvent être interprétées raisonnablement de manière à éviter un conflit sur le plan de l’application. […]

[…]

[60] […] J’ai conclu que la manière dont l’employeur interprète et applique la clause 17.10 dans le contexte de l’ensemble de la convention collective est appropriée et que l’employeur n’a pas enfreint la convention collective en rejetant la demande de congé [...] de la fonctionnaire s’estimant lésée sans justifier ce rejet par les nécessités du service.

[61] L’appendice sur le RE de la convention collective contient un plan détaillé avec des dispositions bien précises concernant la mise en œuvre de l’entente relative au RE. En cas de conflit entre l’application des dispositions plus générales de la clause 17.10 et l’application des dispositions précises qui figurent plus loin à l’appendice sur le RE, ce sont ces dernières dispositions qui l’emportent dans la mesure du conflit.

[...]

[70]  Ferguson traitait d’une question similaire à celle en l’espèce, mais avec une distinction fondamentale. Le RE était expressément incorporé dans cette convention collective. La lecture de la convention collective dans son ensemble, par conséquent, a révélé un conflit entre les deux dispositions qui devait être réglé. Contrairement au régime de RE, la Directive n’a pas la même force que la disposition de la convention collective. Il est prévu expressément qu’elle y est subordonnée.

[71]  La Commission a également étudié une question semblable dans Mazerolle c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CRTFP 6. Dans cette affaire, le fonctionnaire s’estimant lésé contestait son licenciement pour rendement professionnel insatisfaisant ainsi que le refus d’un congé non payé pour les soins d’un proche et pour déménager un conjoint. Quand le fonctionnaire s’estimant lésé a été informé de son licenciement, il a demandé un congé dans le but de le repousser. L’arbitre de grief a soutenu que l’employeur n’était pas tenu de tenir compte des demandes de congé du fonctionnaire s’estimant lésé et que, quoi qu’il en soit, de telles demandes n’empêcheraient pas le licenciement. En effet, même si les demandes de congé avaient été accordées, elles auraient été théoriques :

[…]

[161] Par ailleurs, je ne suis pas d’avis que l’employeur ait l’obligation de considérer une demande de congé non payé formulée en marge d’un licenciement, dans le but d’éviter le licenciement. L’octroi d’un tel congé n’aurait pas non plus empêché l’employeur de licencier le fonctionnaire en raison de son rendement insatisfaisant […]. Même si une demande officielle de congé avait été présentée et refusée, les griefs contestant le refus d’accorder un congé non payé seraient caducs, le grief contestant le licenciement ayant été rejeté.

[…]

[72]  Le même raisonnement s’applique en l’espèce. Si l’employeur avait licencié les fonctionnaires, avant ou après leurs demandes de congé, il n’aurait pas été tenu de tenir compte de leurs demandes de congé, qui seraient devenues théoriques en raison des licenciements. Toutefois, l’emploi des fonctionnaires n’a pas pris fin. Par conséquent, contrairement aux demandes du fonctionnaire s’estimant lésé dans Mazerolle, leurs demandes de congé pour obligations personnelles ne sont pas devenues théoriques et ont dû être dûment considérées en vertu des exigences de la convention collective.

V. Réparations

[73]  Le syndicat a demandé les réparations suivantes :

  1. Une déclaration selon laquelle l’employeur ne peut refuser une demande de congé pour obligations personnelles parce qu’un employé est en congé de maladie non payé;
  2. Que la demande de congé de Mme Park soit approuvée;
  3. Que des dommages pour préjudice moral soient accordés aux deux fonctionnaires.

A. Dommages

[74]  Ni l’une ni l’autre fonctionnaire n’a témoigné. Par conséquent, aucune preuve ne m’a été présentée sur les répercussions que le refus de l’employeur  leur a occasionnées.

[75]  Le représentant de la fonctionnaire a souligné que M. Laframboise, le seul témoin, était d’accord en contre-interrogatoire que la réception de la lettre d’« options » a sûrement été un choc pour les fonctionnaires et qu’il ne souhaiterait pas recevoir une telle lettre. M. Laframboise a aussi convenu que si un employé était en congé en vertu de la clause 44.01, il ne demanderait probablement pas à cet employé des renseignements médicaux à intervalles réguliers, comme il le ferait avec un employé en congé de maladie. Ces questions donnent à penser que fait d’accorder le congé pour obligations personnelles demandé par les fonctionnaires aurait pu alléger le stress sous-jacent à la réception d’autres lettres d’« options » et des demandes de mises à jour médicales, pendant un an. Cette preuve n’est que pure hypothèse, et je ne lui accorde aucune valeur.

[76]  On m’a renvoyé à une décision de la Cour divisionnaire de l’Ontario à la suite de l’appel d’une décision d’une commission d'enquête en vertu du Code des droits de la personne, 1981, à l’appui de la proposition selon laquelle les dommages sont justifiés pour le risque inhérent dans le cadre d’une violation des droits de la personne. York Condominium portait sur une discrimination fondée sur l’âge et concernait un immeuble pour adultes seulement. Dans cette décision, la cour a soutenu que les plaignants n’avaient pas droit à la compensation monétaire pour souffrance morale ou stress, mais qu’ils avaient droit à une certaine somme pour la [traduction] « perte découlant de la violation » de leurs droits respectifs. (York Condominium Corp. no 216 . Dudnik (1991), 79 DLR (4th) 161.)

[77]  Le représentant des fonctionnaires m’a également renvoyé à une décision d’arbitrage qui appliquait York Condominium dans un contexte de droit du travail. Dans Waterloo Furniture Components c. United Steelworkers of America, Local 7155, [1999] O.L.A.A. no 962 (QL), l’arbitre de grief a affirmé ce qui suit :

[Traduction]

84 Il est bien établi que l’alinéa 41(1)b) autorise les compensations monétaires, non seulement pour les pertes financières, mais également pour la violation du Code des droits de la personne en soi. Le droit à la jouissance de la liberté sans distinction aucune a une valeur intrinsèque et une violation du Code des droits de la personne et la perte subséquente de ce droit justifie une indemnité monétaire. Cette compensation est séparée et distincte d’une somme pour souffrance morale. Cette forme de compensation a été précisément confirmée par la Cour divisionnaire de l’Ontario dans York Condominium Corp. no 216 c. Dudnik (1991), 79 DLR (4th) 161 au paragraphe 177.

[78]  Le représentant des fonctionnaires a suggéré que la présente affaire constitue une occasion appropriée de suivre cette jurisprudence de l’Ontario, parce que si les griefs sont confirmés, le résultat n’apporte que peu d’avantages aux fonctionnaires, plus particulièrement Mme Edwards, qui a pris sa retraite pour cause de maladie et ne peut plus profiter de l’octroi de sa demande de congé.

[79]  La Cour dans York Condominium et l’arbitre de grief dans Waterloo Furniture Components ont accordé des dommages en vertu de l’ancien alinéa 41(1)b), du Code des droits de la personne de l’Ontario, 1981. Cet alinéa prévoyait qu’une commission d’enquête, après avoir conclu une violation d’un droit, pourrait « […] effectuer une restitution, y compris une indemnisation financière, pour la perte consécutive à l'atteinte et, si l'atteinte a été volontaire ou commise avec insouciance, l'indemnisation peut comprendre des dommages moraux d’au plus 10 000 $ ». [Je mets en évidence]

[80]   J’ai compétence pour appliquer  l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui permet qu’une somme pour dommages soit versée à « […] la victime qui a souffert un préjudice moral ».

[81]  Puisqu’aucune fonctionnaire n’a témoigné, la seule d’information disponible concerne le fait qu’elles ont toutes les deux été en congé de maladie plus longtemps que le maximum d’un an accordé dans le cadre d’un congé pour obligations personnelles. Si on leur avait accordé leur congé pour obligations personnelles, leur indemnité de départ, leur congé annuel, et leur admissibilité aux augmentations d’échelon de rémunération auraient subi des répercussions négatives en raison de l’application de la clause 33.02 de la convention collective. Cette disposition prévoit que les périodes de congé non payé au-delà de trois mois pour des motifs autres qu’une maladie sont déduites de « l’emploi continu » aux fins du calcul de l’indemnité de départ, du « service » aux fins du calcul pour les congés annuels, et du calcul de l’augmentation d’échelon de rémunération.

[82]  La seule preuve qui nous a été présentée suggère que le fait de rester en congé de maladie était ultimement plus avantageux pour les fonctionnaires que l’octroi du congé pour obligations personnelles. Ainsi, en l’absence de témoignage de la part des fonctionnaires, ou encore, de toute preuve du contraire, je refuse d’accorder des dommages.

[83]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[84]  Je déclare que le refus d’une demande de congé pour obligations personnelles au motif qu’un employé est en congé de maladie non payé constitue une discrimination fondée sur l’incapacité et, ce faisant, viole la clause 19.01 de la convention collective et l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[85]  Je déclare que le refus d’une demande de congé pour obligations personnelles au motif qu’un employé est en congé de maladie non payé viole la clause 44.01 de la convention collective.

[86]  J’ordonne que l’employeur tienne compte de la demande de congé pour obligations personnelles de Mme Park si elle est toujours une employée à la date d’émission de la décision et si elle souhaite que sa demande soit prise en compte à ce moment-là.

Le 28 juin 2019.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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