Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La plaignante a déposé des plaintes en vertu de l’article 133 du Code, alléguant une violation de l’article 147 à la suite d’une dénonciation d’incident de harcèlement psychologique et de discrimination dont elle aurait été victime – la plaignante n’a pas précisé le ou les paragraphes de l’article 147 possiblement pertinents quant aux allégations déposées dans ses plaintes – le défendeur a soulevé une objection préliminaire quant à la compétence de la Commission d’entendre les plaintes – le délai de 90 jours pour déposer les plaintes est de rigueur et aucune instance ne dispose du pouvoir de le proroger – la Commission a jugé que certains événements étaient hors délai – la Commission a conclu que les allégations décrites dans les formulaires de plaintes ne faisaient pas précisément état d’une violation à l’article 147 du Code – la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre les plaintes.
Objection accueillie.
Plaintes rejetées.
Contenu de la décision
Dossiers: 560-02-38707, 39830 et 40269
Référence: 2019 CRTESPF 73
Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Code canadien du travail
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Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
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ENTRE
Romy Nina Larivière
plaignante
et
Conseil du Trésor
(ministère de l’Emploi et du Développement social)
Répertorié
Larivière c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social)
Affaire concernant des plaintes visées à l’article 133 du Code canadien du travail
Devant : Nathalie Daigle, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante : Elle-même
Pour le défendeur : Martine Sigouin, Analyste, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 30 novembre 2018, le 29 janvier, le 21 mars, le 18 avril 2019 et le 5 juillet 2019.
MOTIFS DE DÉCISION
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I. Introduction
[1]
Le 28 mai 2018, Romy Nina Larivière (la « plaignante ») a déposé une plainte (dossier portant le numéro 560-02-38707), en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2) (le « Code » ou CCT). Elle y allègue que son employeur, le ministère de l’Emploi et du Développement social (le « défendeur » ou EDSC) a contrevenu à l’article 147 du Code à une reprise en 2015 (le 22 décembre 2015), à deux reprises en 2017 (le 17 mars et le 19 juin 2017), et à trois reprises en 2018 (le 19 mars, le 13 avril et le ou vers le 13 mai 2018), à la suite de sa première dénonciation le 4 février 2015 d’incidents de harcèlement psychologique et de discrimination dont elle aurait été victime.
[2]
Le 25 octobre 2018, lors d’une conférence préparatoire avec les parties, le défendeur a soulevé une objection préliminaire quant à la compétence de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») d’entendre la plainte. Les parties ont été invitées lors de cette conférence préparatoire à soumettre un bref exposé de leurs arguments au sujet de l’objection, de manière à ce qu’une décision sur cette question préliminaire soit rendue. L’exposé du défendeur a été reçu le 30 novembre 2018; et l’exposé de la plaignante, le 29 janvier 2019.
[3]
Le 15 février 2019, la Commission a reçu une deuxième plainte de la plaignante (dossier portant le numéro 560-02-39830), déposée en vertu de l’article 133 du Code. Dans cette plainte, initialement signée le 31 janvier 2019, la plaignante allègue que le défendeur a contrevenu à l’article 147 du Code à d’autres reprises en 2018, soit entre le 4 juin et le 29 novembre 2018 inclusivement pour le motif qu’il a commis des actes indissociables et intrinsèquement liés aux actes dénoncés dans sa plainte initiale. Dans le même document, la plaignante a modifié sa plainte initialement signée le 31 janvier 2019 pour y ajouter une référence à des faits survenus le 31 janvier 2019 et le 6 février 2019. La version modifiée de sa plainte est datée du 8 février 2019.
[4]
Une deuxième conférence préparatoire était prévue le 28 février 2019 avec les parties afin de discuter des prochaines étapes à suivre dans le dossier portant le numéro 560-02-38707 et de la possibilité de joindre la deuxième plainte de la plaignante à sa première plainte. La plaignante a assisté brièvement à la conférence préparatoire par téléphone, mais elle a mentionné qu’elle n’y participerait pas, et elle a quitté la conférence.
[5]
La conférence préparatoire n’a donc pu être menée en raison de l’absence de participation de la plaignante, mais la Commission a avisé le défendeur, présent par téléphone, que des directives écrites seraient acheminées aux parties afin que l’instance se déroule équitablement. Les directives écrites ont été envoyées aux deux parties ce jour-là et portaient entre autres sur la jonction des plaintes portant les numéros 560-02-38707 et 560-02-39830, le calendrier pour déposer un complément d’arguments concernant l’objection préliminaire au sujet de la compétence de la Commission d’entendre les plaintes et les prochaines étapes.
[6]
Le défendeur a déposé son complément des arguments le 21 mars 2019 et la plaignante a déposé son complément d’arguments le 18 avril 2019.
[7]
Le défendeur a soulevé de nouveau dans son complément des arguments déposés le 21 mars 2019 une objection préliminaire à la compétence de la Commission d’entendre la deuxième plainte. La plaignante a fourni ses arguments le 18 avril 2019 au sujet de cette objection préliminaire à la compétence de la Commission d’entendre la deuxième plainte.
[8]
Le 23 avril 2019, la plaignante a déposé une troisième plainte (dossier portant le numéro 560-02-40269) en vertu de l’article 133 du Code. Elle y allègue que le défendeur a de nouveau contrevenu aux articles 133 et 147 du Code à cause de faits nouveaux survenus entre le 28 février 2019 et le 4 avril 2019, soit depuis le dépôt de sa deuxième plainte.
[9]
Le 2 mai 2019, conformément à l’article 13 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005-79, (le « Règlement »), et afin d’assurer la résolution expéditive des plaintes, la Commission a ordonné la jonction des trois plaintes. Conformément à l’article 5 du Règlement, le défendeur a aussi été invité à répondre à la troisième plainte au plus tard le 17 mai 2019. Le défendeur a avisé la Commission par la suite qu’il n’avait rien à rajouter à ses observations déjà déposées dans le passé.
[10]
Dans ses directives émises aux parties le 28 février et le 2 mai 2019, la Commission a informé les parties qu’elle tranchera les objections préliminaires à sa compétence d’entendre les plaintes à la lumière de la documentation au dossier sans tenir d’audience.
[11]
La présente décision porte donc sur l’objection préliminaire soulevée par le défendeur à la compétence de la Commission d’entendre ces plaintes.
II. Les faits
[12]
Selon la correspondance au dossier et les exposés des parties, les faits et allégations se résument comme suit :
- La plaignante est une employée d’EDSC depuis le 22 avril 2014.
- La plaignante n’a jamais fait l’objet de mesures disciplinaires au cours de sa carrière à EDSC.
- La plaignante est en arrêt de travail depuis le 14 mars 2017. Elle a soumis des certificats médicaux en appui à son arrêt de travail et elle était indemnisée par la compagnie d’assurances Financière Sun Life du Canada (la « Sun Life »).
[13]
La plaignante a déposé ses trois plaintes en utilisant la formule 26 (Plainte présentée en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail). Dans sa première plainte, sous l’intitulé « Court exposé de chaque action, omission ou situation reprochée, incluant les dates et les noms des personnes en cause », la plaignante a inscrit avoir été victime d’actes répréhensibles et discriminatoires en emploi de façon continue et de tentatives de congédiement déguisé. Plus précisément, elle a indiqué ce qui suit :
J’allègue avoir été victime le 19 mars 2018 et 13 avril 2018 et le ou vers le 13 mai 2018 d’un acte répréhensible et discriminatoire, une autre tentative de congédiement déguisé. J’allègue que l’ER a utilisé un moyen arbitraire visant à obtenir des renseignements médicaux confidentiels me concernant dans le but obtenir un motif légalement acceptable afin de mettre fin à mon lien d’emploi et de ce fait, se soustraire à son obligation relative à la mise en place de mesures d’adaptation. Et ce, considérant que des actes similaires ou semblables ont été commis les 22 décembre 2015, 17 mars 2017 et 19 juin 2017. J’allègue avoir été victime d’actes répréhensibles et discriminatoires en emploi de façon continue, et ce, depuis ma première dénonciation le 4 février 2015 d’incidents de harcèlement psychologique et de discrimination dont j’ai été victime, sur un long continuum (entre juin 2014 et décembre 2017). Voir document intitulé « QUEST 3 & 4 » en pièce jointe (par courrier XpressPost PG 418 128 388 CA). (20 pages)
[Sic pour l’ensemble de la citation]
[14]
Dans l’annexe A jointe à sa première formule de plainte, la plaignante allègue, entre autres, ce qui suit :
[...]
En conséquence, j’allègue avoir été victime d’une tentative de congédiement déguisé de la part de l’employeur Emploi et développement social Canada, et ce, considérant que l’acte commis le 19 mars 2018 par la Financière Sun Life du Canada soit, de m’avoir contrainte à subir une expertise psychiatrique du 13 avril 2018 constitue en définitive, une directive implicite de l’employeur Emploi et développement social Canada et dont le but, selon toutes probabilités, était d’obtenir « un motif légalement acceptable » permettant ainsi à [le défendeur] susmentionné de mettre fin à lien d’emploi ou de ne pas renouveler mon contrat de travail [page 8 sur 20 du document de plainte daté du 20 mai 2018].
[Le passage en évidence l’est dans l’original]
[15]
Les mesures correctives demandées par la plaignante sont décrites en annexe à sa plainte et incluent des dommages de 482 000 $ pour préjudices subis en raison d’actes du défendeur remontant au 30 juin 2014.
[16]
Dans sa réponse à la première plainte, le défendeur soumet que rien n’indique, dans les allégations de la plaignante, qu’il ait fait quoi que ce soit de punitif à son endroit. Les actes reprochés font référence à une demande de la Sun Life. De plus, selon le défendeur, dans ses observations, la plaignante tente de lier des événements qui sont hors du délai de 90 jours indiqué au Code. Il explique que la plaignante est en arrêt de travail depuis le 14 mars 2017. Après avoir soumis des notes d’un médecin, elle a été indemnisée par la Sun Life. Le défendeur fait valoir qu’il ne peut avoir contrevenu à l’article 147, car aucune mesure disciplinaire n’a été prise à l’égard de la plaignante pour avoir refusé de faire du travail; celle-ci n’était pas au travail au moment des allégations reprochées.
[17]
Dans sa deuxième plainte, sous l’intitulé « Court exposé de chaque action, omission ou situation reprochée, incluant les dates et les noms des personnes en cause », la plaignante a inscrit que le défendeur, entre le 4 juin et le 29 novembre 2018 inclusivement, a commis des actes « indissociables et intrinsèquement liés aux actes dénoncés » dans sa plainte initiale. Plus précisément, elle a indiqué ce qui suit :
J’allègue que l’employeur EDSC a commis des actes répréhensibles entre le 4 juin 2018 et le 29 novembre 2018 inclusivement en contravention au CCT, dont à l’art. 133. Lesdits actes sont indissociables et intrinsèquement liés aux actes dénoncés dans ma plainte (560-02-38707). Et dont l’objectif est de se soustraire à son obligation relative à mon droit de priorité de nomination en vertu du REFP. Et de ce fait, lesdits actes constituent une tentative de congédiement déguisé, sot de, « consolider » sa tentative initiale de congédiement déguisé. Voir document « Annexe A ». Voir ma plainte V/Réf. : 560-02-38707 * Voir document « Annexe B » [document de 5 pages] RNL 8 février 2019
[Sic pour l’ensemble de la citation]
[18]
Dans l’annexe B jointe à sa formule de plainte, la plaignante a inscrit, entre autres, ce qui suit :
[...]
Le présent document est un document AMENDANT ma plainte datée du 31 janvier 2019, et ce, considérant la survenue de faits nouveaux (actes répréhensibles) et de la survenue de faits nouveaux entre le 31 janvier 2019 et 6 février 2019.
[Le passage en évidence l’est dans l’original]
[19]
La plaignante reproche aussi au défendeur d’avoir tardé à remplir le formulaire no 1940 de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) intitulé « Avis de l’employeur et demande de remboursement ».
[20]
Les mesures correctives demandées par la plaignante sont décrites en annexe à sa plainte et incluent de nouveau des dommages pour préjudices subis en raison des actes du défendeur.
[21]
Dans sa troisième plainte, sous l’intitulé « Court exposé de chaque action, omission ou situation reprochée, incluant les dates et les noms des personnes en cause », la plaignante a inscrit ce qui suit : « Nouvelle plainte en vertu des articles 133 et 147 du Code canadien du travail / En lien avec autres dossiers de plaintes déjà accueillies par la CRTESPF. Voir # dossiers – voir « annexe C » ci-jointe et p.j. # XR 560‑02-38707 et 560-02-39830. »
[22]
Puis, sous l’intitulé « Démarches entreprises par le plaignant ou en son nom en vue de régler l’action, l’omission ou la situation reprochée », la plaignante a inscrit :
Faits/actes nouveaux commis depuis le 28 février 2019 au 4 avril 2019
Voir v/réf : # XR 560-02-38707
Voir v/réf : # 560-02-39830
[23]
Dans l’annexe C jointe à sa formule de plainte, la plaignante a inscrit, entre autres, ce qui suit :
[...]
J’estime légitime de déposer cete troisième (3e) plainte, et ce, considérant la survenues de faits (actes) nouveaux Aces répréhensibles) et que la survenue desdits actes sont survenus entre le 28 février 2019 et le 4 avril 2019 inclusivement et que lesdits actes sont intrinsègement liés et indissociables aux actes répréhensibles dénoncés précédemment dans mes (2) plainte présentes.
Mais également, considérant que lesdits actes ont un effet délétère direct sur mon état de santé gobale et que, la constinuation et la répétition de semblables actes peuvent ou pourraient irrévoquablement avoir comme conséquence; une conséquence physiologique que tous système anatomo‑physiologique (corps humain) ne peut subir de manière effective. Il s’agit là de l’effet d’être soumis à un stress extrème sur une longue période.
Dans mon cas, on parle d’une période de plus de vingt‑six (26) [mois] si je prends comme date de départ le 14 mars 2017. Alors qu’en réalité, la véritable période totale au cours de laquelle j’ai été soumise à une stress extrême perdure depuis au moins février 2015 soit depuis plus de cinquante et un (51) mois. Ce qui, même en zone de guerre est inacceptable.
J’allègue avoir été victime de mesures de représailles de la part de l’employeur Emploi et développement social Canada – Service Canada, et ce, en vertu des articles 133 et 147 du Code canadien du travail. Et également en vertu de l’article 125(1) z.16) et 128 dudit Code.
J’allègue avoir été victime de violence au travail de manière continue et répétée sur le long continuum précisé dans mes deux (3) plaintes adressées à la Commission, et ce, en vertu de la partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (RCSST).
[...]
Acte commis le 28 février 2019 : La Sun Life – Administrateur du RSSFP /GDI m’avait coupé arbitrairement des prestations d’invalidité de longue durée de moitié de mes prestations d’invalidité de longue durée qui déjà, représente 70%. Ce qui m’avait créé un état de choc qu’il est évident de comprendre. [...]
[...]
En complément à la question 5 du formulaire de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la secteur public fédéral (CRTESPF) [Mesure de réparation recherchée au titre de l’article 134 du Code canadien du travail] :
Considérant la preuve recueillie permettant de prouver, selon toutes probabilités, le caractère belliqueux, vil et intentionnel des actes commis;
Considérant que les actes répréhensibles commis à mon endroit de la part de l’employeur ont été perpétrés sur un continuum de cinquante et un (51) mois, ayant débuté le 5 février 2015 jusqu’au qu’au 22 avril 2019, et ce, de matière continue et répétitive;
[...]
Je demande en réparation :
23. Des dommages et intérêts à l’employeur Emploi et développement social Canada pour les préjudices résultant des actes répréhensibles, belliqueux et illégaux comme à mon endroit.
[...]
34. Je demande d’être mutée ou réassigné avec une modification à statut en emploi soit, d’être nommée comme employée permanente, et ce, dans un autre ministère, organisme ou société d’État du gouvernement du Canada [...]
[Sic pour l’ensemble de la citation]
[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[24]
Le 5 juillet 2019, la plaignante a fait parvenir un « Complément d’informations » à la Commission et à l’autre partie. Dans ce document qu’elle a nommé « annexe D », elle a, entre autres, précisé ce qui suit :
1. De prime abord, j'estime légitime de déposer le présent document considérant, notamment :
2. Que les autres démarches officielles entreprises auprès de différents organismes fédéraux, et ce, depuis 12 mai 2017 à ce jour, permettent tous de confirmer ou de valider la véracité de mes allégations, et ce, ne serait-ce que par l'abondance de la preuve recueillie et la commission de certains actes directement liés à ladite preuve, notamment, le caviardage excessif.
3. Aussi ladite preuve permet d'établir les liens de causalité entre chacun des actes allégués dans mes (3) trois plaintes adressées à la CRTESPF, qu'Ils sont tous intrinsèquement liés les uns aux autres et de facto indissociables et, qu'ils répondent tous aux caractéristiques détaillées aux pages 5 à 14 de mon document intitulé « Soumission écrite de la plaignante en réponse aux objections préliminaires présentées par la partie défenderesse » transmis le 28 janvier 2019, soit :
• Les trois (3) éléments d'analyse
• Les facteurs facilitants
• Les quatre (4) critères communs
• La Prémices commune
• Les facteurs aggravants.
4. En raison de l'ampleur des dommages, pour moi-même, résultant des actes répréhensibles dont j'ai été victime, il est raisonnable de croire que ceux-ci peuvent ou pourraient occasionner ou risquer d'occasionner une maladie ou une blessure grave, voire fatale (art. 148 Code canadien du travail) tel que mentionné dans ma troisième (3ième) plainte portant le numéro de dossier 560-02-40269. À noter que cet élément n'avait pas été nommé dans les deux (2) plaintes précédentes (560-02-38707 et 560-02-39830).
[...]
[Sic pour l’ensemble de la citation]
[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[25]
Dans son complément d’information, la plaignante a ensuite dénoncé, entre autres, les gestes ou omissions de son syndicat, de la Sun Life, du défendeur, du Commissaire à l’intégrité du secteur public du Canada et du Cabinet du Premier ministre. En conclusion, elle a énoncé ce qui suit :
Conclusion
En terminant, la preuve recueillie représentant facilement de 10 000 à 11 000 pages, en plus des éléments de preuve sous autres formats, démontrent inéluctablement que j'ai été soumise, à la pire forme de violence que l'on peut faire subir à un être humain; la violence psychologique continue et répétée durant plus de quatre (4) années continues, et cela se continue encore et encore. Devrais-je vous écrire une rubrique journalistique quotidienne?
[...]
[Sic pour l’ensemble de la citation]
[26]
Le 11 juillet 2019, le défendeur a avisé la Commission qu’il n’avait rien à rajouter à ses réponses fournies précédemment.
III. Résumé de l’argumentation
[27]
Le défendeur a soulevé une objection préliminaire à la compétence de la Commission d’entendre ces plaintes. Le défendeur affirme que la Commission devrait rejeter les plaintes faute de compétence, pour deux raisons principales : 1) les plaintes sont hors délai, car la plaignante a eu connaissance des premiers actes dès 2015; 2) dans l’alternative, même si la Commission considérait que les plaintes ne sont pas hors délai (en raison des événements datant de 2018 et de 2019), les articles 133 et 147 sont à première vue inapplicables.
[28]
Selon le défendeur, les plaintes sont hors délai. Le paragraphe 133(2) du Code stipule ce qui suit :
133 (2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance — ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance — de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.
[29]
Le défendeur a souligné que le délai prévu au paragraphe 133(2) est clair : une plainte doit être déposée dans les 90 jours suivant la date où la personne a eu ou aurait dû avoir connaissance des actes de représailles. Le défendeur a affirmé que dès qu’une personne a connaissance d’actes de représailles, elle ne peut pas attendre plus de 90 jours avant de déposer sa plainte. Sinon, la plainte en entier doit être rejetée puisqu’elle est hors délai.
[30]
Le défendeur a porté à mon attention la décision Sainte-Marie c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 35. Dans cette décision, au paragraphe 57, la Commission précise qu’elle « [...] n’a aucune discrétion pour étendre le délai de 90 jours. Sa mesure d’appréciation se limite à décider du moment où le plaignant a eu, ou aurait dû avoir, connaissance de l’acte ou des circonstances »
.
[31]
Le défendeur a affirmé que « le délai pour le dépôt d’une plainte en vertu de l’article 133 est dépassé depuis des années puisque la plaignante prétend que plusieurs actes de représailles de la part de l’employeur auraient eu lieu à partir du 4 février 2015 »
. Plus précisément, au cœur des préoccupations et allégations soulevées par la plaignante, se trouve une conversation qu’elle aurait eue avec son chef d’équipe en février 2015. Puis, la plaignante fait référence dans sa plainte à une lettre du 4 février 2015 annexée à sa plainte, dans laquelle elle décrit son allégation de représailles.
[32]
Le défendeur a affirmé que puisque la plaignante a décrit son allégation de représailles dans cette lettre, elle ne peut pas prétendre que le délai n’aurait pas commencé à ce moment-là. Le défendeur a soutenu que c’est donc à partir du 4 février 2015 que le délai de 90 jours a commencé à s’écouler.
[33]
Le défendeur a affirmé que l’ajout, par la plaignante, des allégations dans sa première plainte au sujet d’incidents des 19 mars, 13 avril et 13 mai 2018, des allégations dans sa deuxième plainte au sujet d’incidents du 4 juin au 29 novembre 2018, de janvier 2019 et de février 2019, ainsi que des allégations dans sa troisième plainte au sujet d’incidents du 28 février 2019 au 4 avril 2019, n’est qu’un stratagème de sa part afin de tenter de respecter le délai prévu au paragraphe 133(2). En faisant de la sorte, la plaignante tente de contourner le principe énoncé au paragraphe 68 dans Sainte-Marie, c’est-à-dire que le « [...]
CCT
ne peut servir après coup à poursuivre un litige contre l’employeur »
. Il est clair que la plaignante était au courant du premier acte reproché depuis le 4 février 2015.
[34]
De toute façon, selon le défendeur, à leur face même, les allégations au sujet d’incidents de 2018 et de 2019 ne peuvent constituer des représailles en vertu de l’article 147 du Code.
[36]
En vertu de ces articles, le rôle de la Commission consiste à déterminer si la plaignante a fait l’objet de mesures de représailles parce qu’elle a exercé ses droits en vertu de la Partie II (Santé et sécurité au travail) du Code. La Commission doit donc décider d’abord de sa compétence avant d’entendre les plaintes sur le fond.
[37]
Le défendeur a fait valoir que tel qu’il est énoncé par la Commission dans Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52, au paragraphe 64, un plaignant doit démontrer ce qui suit :
a) qu’il a exercé ses droits en vertu de la partie II du CCT (l’article 147)
b) qu’il a subi des représailles (articles 133 et 147 du CCT)
c) que ces représailles sont de nature disciplinaire telles que définies dans le CCT (l’article 147)
d) qu’il existe un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures subies
[38]
Le défendeur, dans ses arguments écrits, a illustré comment la plaignante n’a pas rencontré ces quatre critères.
[39]
Premièrement, au soutien de son affirmation que la plaignante n’a pas exercé ses droits en vertu de la partie II du Code, le défendeur a fait valoir que si la plaignante estime avoir fait valoir un droit en vertu de la partie II du Code, elle semble l’indiquer comme suit :
[...] J’allègue avoir été victime d’actes répréhensibles et discriminatoires en emploi de façon continue, et ce, depuis ma première dénonciation le 4 février 2015 d’incidents de harcèlement psychologiques et de discrimination dont j’ai été victime, sur un long continuum (entre juin 2014 et décembre 2017).
[40]
Cependant, la plaignante n’a pas déposé de plainte de violence en vertu de la Partie XX (Prévention de la violence dans le lieu de travail) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86-304.
[41]
Le défendeur a ajouté ce qui suit :
[...]
Dans Baun c. Opérations des enquêtes statistiques, 2018 CRTESPF 54, la Commission a conclu que l’article 147 ne pouvait pas s’appliquer puisque la plaignante n’avait pas fait valoir ses droits en vertu du CCT de façon formelle, et que c’était elle qui avait le fardeau de démontrer qu’elle avait fait valoir ses droits.
[42]
Le défendeur a également ajouté que « [...] tout comme dans Baun, la Commission n’a pas compétence sur la plainte puisque la plaignante n’a pas fait valoir ses droits en vertu de la Partie II du Code »
.
[43]
Deuxièmement, au soutien de son affirmation que la plaignante n’a pas subi des représailles, le défendeur a fait valoir que même si la Commission jugeait que les allégations au sujet de faits récents formulés dans les plaintes sont avérées, ces allégations, à leur face même, ne constituent pas des représailles. Elles ne peuvent donc pas constituer une infraction à l’article 147 du Code.
[44]
Pour ce qui est de la première plainte, les allégations de représailles datant de 2018 sont les suivantes : 1) la Sun Life, le 19 mars 2018, a imposé une expertise psychiatrique le 13 avril 2018; 2) le médecin psychiatre expert aurait posé « des questions sans lien pertinent » lors de l’expertise psychiatrique du 13 avril 2018; 3) le 13 mai 2018, la plaignante a su que ses « effets personnels avaient été mis en boîte et entreposés ». Elle s’est trouvée à cette date sans poste de travail.
[45]
Le défendeur a fait valoir qu’en ce qui a trait aux deux premières allégations, il ne s’agit pas d’actions du défendeur, mais bien de la Sun Life et du psychiatre. Ces actions ne peuvent donc pas constituer, pour le défendeur, des mesures interdites par l’article 147 du Code en représailles contre l’exercice d’un droit prévu par le Code. Il s’agit de tierces parties sur lesquelles la Commission n’a pas compétence. D’ailleurs, ces questions (la demande de la Sun Life et l’évaluation psychiatrique) sont liées aux questions de prestations d’assurance invalidité qui ne font pas partie du mandat de la Commission.
[46]
En ce qui a trait à la troisième allégation, le défendeur a fait valoir qu’il est très commun de libérer les postes de travail d’employés qui sont en congé prolongé étant donné que les espaces de travail sont limités. Par la suite, de nouveaux postes de travail sont assignés aux employés à leur retour au travail.
[47]
Pour ce qui est de la deuxième plainte, le défendeur a noté que les allégations de représailles sont les suivantes, selon son interprétation :
La plaignante allègue (para 35 de l’Annexe A) du harcèlement psychologique de la part de l’employeur du simple fait que l’employeur lui a acheminé des lettres normatives ayant trait au protocole de résolution du congé de maladie non payé (CMNP).
[48]
Ensuite, le défendeur a ajouté aux paragraphes 29 et 30 ce qui suit au sujet de ces lettres :
Cette allégation à leur face même ne constitue pas des représailles. Elle ne peut donc pas constituer une infraction à l’article 147 du CCT.
En ce qui a trait à cette allégation, la défendresse joint en annexe les lettres types qui furent acheminées à Mme Larivière en ce qui a trait à son congé de maladie non payé (CMNP), c’est-à-dire (i) Annexe « A » : la lettre du 9 juillet 2018 qui fait référence au processus ministériel établi pour la gestion des congés de maladie non payé (CMNP); (ii) Annexe « B » : la lettre du 22 octobre 2018 indiquant le protocole pour la résolution du congé de maladie (CMNP) de plus de 18 mois; (iii) Annexe « C » : l’annexe A : renseignements sur le congé de maladie non payé; et (iv) Annexe « D » : l’annexe B : extrait de la Directive sur les congés et modalités de travail spéciales.
La lecture de ces lettres permettra de constater qu’il s’agit de lettres informatives standards acheminées aux employés en congés de maladie non payé (CMNP), et non, comme le prétend la plaignante, une mesure de représailles envers elle.
[...]
[Sic pour l’ensemble de la citation]
[49]
Le défendeur a noté que, à l’annexe A de sa première plainte et dans sa deuxième plainte, la plaignante a aussi indiqué que le motif de l’employeur était « de [la] priver de [s]on droit de priorité en nomination et se soustraire [...] à ses obligations [...] en vertu de la
Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP)
et [...] l’article 7 du
Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (REFP)
»
. Le défendeur a ajouté que la plaignante a associé ceci à une tentative de congédiement déguisé en vertu de l’article 133 du Code.
[50]
Le défendeur a précisé que l’article 7 du REFP prévoit qu’un fonctionnaire a droit à une priorité de nomination si « [...] dans les cinq ans suivant le jour où il est devenu handicapé, l’autorité compétente atteste qu’il est apte à retourner au travail et fixe le jour de son retour; [...] le jour fixé survient dans les cinq ans suivant le jour où il est devenu handicapé »
.
[51]
Le défendeur a noté qu’une condition est donc que l’autorité compétente atteste que le fonctionnaire est apte à retourner au travail et fixe le jour de son retour.
[52]
Le défendeur a ajouté ce qui suit : « Les lettres informatives énumèrent les diverses options incluant le retour au travail "si votre médecin vous juge apte à revenir" »
. Ainsi, le fait que le défendeur a communiqué avec la plaignante ne peut être considéré comme du harcèlement psychologique. Les lettres informatives ne font qu’énumérer qu’une option est le retour au travail si le médecin juge la personne apte à revenir.
[53]
Au sujet de la façon dont le défendeur a rempli le formulaire de la CNESST et pour laquelle la plaignante allègue un autre acte répréhensible, le défendeur a précisé ce qui suit : « Tel qu’on peut le constater à la lecture de l’Annexe E, en remplissant le formulaire, l’employeur n’a fait qu’expliquer la nature des lettres envoyées à la plaignante. »
Le défendeur a soumis qu’il ne s’agissait pas de représailles ou d’un acte répréhensible.
[54]
Troisièmement, au soutien de son affirmation que la plaignante n’a pas démontré que les représailles qu’elle aurait subies sont de nature disciplinaire telles que définies dans le Code (article 147), le défendeur a réitéré que les allégations soulevées ne satisfont pas, prima facie, aux critères des articles 133(1) et 147 du Code. La plaignante n’a pas été congédiée, suspendue, mise à pied ou rétrogradée, et personne ne lui a imposé de sanction pécuniaire ou autre. (Voir Leary c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2005 CRTFP 35, paragraphes 70 et 71.)
[55]
Quatrièmement, au soutien de son affirmation qu’il n’existe aucun lien direct entre l’exercice des droits de la plaignante et les mesures supposément subies, le défendeur a fait valoir que bien qu’il n’y ait pas de représailles, s’il en existait, la plaignante n’a pas démontré qu’il existe un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures subies. Il n’y a aucun lien entre sa dénonciation de harcèlement psychologique et les gestes reprochés.
[56]
Finalement, le défendeur a affirmé que la plaignante s’était servie d’une plainte en vertu de l’article 133 pour tenter de couvrir le plus grand nombre possible de questions liées à des problèmes concernant ses besoins d’adaptation et ses questions liées à l’emploi et à l’assurance invalidité auxquelles elle avait fait face au cours des quatre dernières années.
[57]
Pour toutes ces raisons, le défendeur a affirmé que les articles 147 et 133 du Code sont inapplicables. Le défendeur a donc demandé que la Commission rejette les plaintes, faute de compétence.
[58]
La plaignante a répondu par écrit aux objections préliminaires présentées par le défendeur. Dans sa première réponse du 29 janvier 2019, elle a mentionné qu’elle avait été victime de harcèlement psychologique et de discrimination à compter du ou vers le 30 juin 2014. Elle a été en arrêt de travail entre le 5 février et le 26 février 2015, puis entre le 19 mars et le 17 juin 2015. Le 5 août 2015, elle a subi une lésion professionnelle. Depuis le 14 mars 2017, elle est en arrêt de travail en raison d’une récidive. La Commission de la santé et de la sécurité du travail a rendu une décision favorable à la plaignante le 24 septembre 2015.
[59]
Dans la partie I de sa première réponse, la plaignante a fait valoir que les actes commis par le défendeur étaient tous « plus répréhensibles, aggravants ou délétères, les uns que les autres ». En particulier, elle a précisé ce qui suit :
Partie I
[...]
4. La perpétration des actes répréhensibles commis, par action ou par omission, illustre ce que l’on nomme « effet Domino ». En ce sens, chaque acte commis en amont a influencé l’acte suivant et chaque acte commis en aval a été orienté par son précédant [Sic];
5. La perpétration des actes répréhensibles commis, par action ou par omission, constitue un enchainement indivisible revêtant un caractère délétère. Et, dans lequel enchainement, les actes commis sont de facto indissociables et intrinsèquement liés ensemble les uns aux autres, et;
6. En raison du nombre impressionnant de législations enfreintes par l’employeur [la plaignante énumère 16 lois, codes, règlements, politiques et directives dans sa réponse] Emploi et développement social Canada par la perpétration des actes répréhensibles commis, par action ou par omission, le présent dossier pourrait, somme toute, redéfinir les critères de la violence en milieu de travail.
[...]
[Le passage en évidence l’est dans l’original]
[60]
Dans la partie II de sa réponse, la plaignante a précisé ce qui suit :
Partie II
[...]
1. La preuve recueillie permet de prouver que les actes répréhensibles commis répondent aux trois éléments suivants [...]
(A) Un ou plusieurs Modes opératoires (c’est-à-dire le « Comment ») ou Modi operandi (MO) ou moyens;
(B) Une ou plusieurs Opportunités ou Contextes (c’est‑à‑dire le « Quand »), et;
(C) Un Mobile (c’est-à-dire le « Pourquoi »).
[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[61]
Dans la partie III de sa réponse, la plaignante a abordé les thèmes suivants : 1) Continuum de temps [continuation]; 2) Répétition; 3) Prémices; 4) Origine. Elle a fourni les définitions de ces termes et du terme « préméditation ». Elle a spécifié ce qui suit :
[...]
1.1 Par l’addition des quatre (4) critères précités c’est-à-dire : la continuation (continuum de temps), la répétition, une prémices [sic] de base commune et une origine commune (point commun d’origine), il est possible d’établir de manière probante et sans équivoque, à la présence du facteur aggravant nommé « Préméditation ».
[...]
[62]
Dans la partie IV de sa réponse, la plaignante a cité des extraits jurisprudentiels provenant de la sphère de compétence du Québec en matière de harcèlement psychologique au travail.
[63]
Dans sa deuxième réponse du 18 avril 2019, elle a mentionné avoir subi, au fil des années, du harcèlement psychologique, de la discrimination et de l’intimidation de la part du défendeur et de la Sun Life. Elle a mentionné avoir été victime de plusieurs mesures disciplinaires déguisées, dont les suivantes : 1) modification arbitraire et illégale à son ERA 14-15 [évaluation de rendement]; 2) un plan d’action en sus d’un plan de gestion des talents; 3) suppression de sa candidature de la liste des candidats pour la formation de « guides locaux en ergonomie »; 4) ignorance de sa candidature au titre agent(e) d’étage de l’équipe des mesures d’urgence; 5) privation d’une possibilité d’acquérir une expérience professionnelle en lien avec ses formations universitaires, ses accréditations, ses compétences et son expérience.
[64]
La plaignante a décrit aussi sa déficience permanente et elle a donné des exemples de ce qui représente, selon elle, la discrimination qu’elle a subie. Dans ses nombreuses pages, il est question de faits allégués comme étant fortuits ou prémédités, d’atteinte à sa réputation et de harcèlement psychologique.
IV. Motifs
[65]
Les plaintes ont été présentées en vertu de l’article 133 du Code, alléguant une violation de l’article 147 par le défendeur. Le paragraphe 133(1) se lit comme suit :
133 (1) L’employé — ou la personne qu’il désigne à cette fin — peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.
[66]
L’article 147 du Code se lit comme suit :
147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :
a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;
b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;
c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.
[67]
La plaignante n’a pas précisé le ou les paragraphes de l’article 147 possiblement pertinents quant aux allégations déposées dans ses plaintes.
[68]
Tel qu’il a été précisé par la Commission dans Babb c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 47, au paragraphe 5 (qui réfère à Gaskin c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 96) : « [...] il est possible de trancher les questions préliminaires à la lumière de la preuve au dossier sans tenir d’audience »
.
[69]
À l’appui de son objection à la compétence de la Commission, le défendeur a invité la Commission à se pencher sur les deux questions suivantes : 1) Est-ce que les plaintes sont hors délai, et ainsi, hors de la compétence de la Commission?; 2) Est‑ce que la Commission devrait rejeter les plaintes sans tenir d’audience au motif que les éléments essentiels d’une plainte déposée en vertu de l’article 133 du Code ne sont pas présents dans les plaintes?
A. Est-ce que les plaintes sont hors délai, et ainsi, hors de la compétence de la Commission?
[70]
La plaignante disposait d’un délai de 90 jours pour déposer ses plaintes conformément aux dispositions du paragraphe 133(2) du Code, lequel se lit comme suit :
133 (2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance — ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance — de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.
[71]
Ce délai imparti est de rigueur et aucune instance ne dispose du pouvoir de le proroger (Larocque c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2010 CRTFP 94). Ainsi, ma compétence pour entendre ces plaintes se limite à l’examen des actes du défendeur qui contreviendraient à l’article 147 du Code et qui ont eu lieu, ou dont la plaignante a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance, dans les 90 jours précédant le dépôt des plaintes. La période de 90 jours précédant le 28 mai 2018 (le dépôt de sa première plainte) nous mène au 27 février 2018, celle précédant le 15 février 2019 (le dépôt de sa deuxième plainte) nous mène au 17 novembre 2018 et celle précédant le 23 avril 2019 (le dépôt de la troisième plainte) nous mène au 23 janvier 2019.
[72]
Les actes du défendeur à l’origine des plaintes sont décrits à la section 3 de chaque formule de plainte déposée auprès de la Commission. C’est également dans cette section que l’on précise la date à laquelle ces actes auraient été posés.
[73]
Tel qu’il est mentionné dans Babb, au paragraphe 10, les plaintes écrites doivent exposer clairement les actes qui ont été posés et quand ils ont été posés.
[74]
Parmi les actes allégués par la plaignante, l’acte ou les actes reprochés ont‑ils été posés dans les 90 jours précédant le dépôt des plaintes, et la plaignante en a‑t‑elle eu connaissance? Si la réponse à cette question est affirmative, alors ces actes ne sont pas hors délai. Dans le cas contraire, les actes sont hors délai.
[75]
Quels sont les actes faisant l’objet des plaintes? Un examen de la première plainte indique que le défendeur n’aurait pas fourni à la plaignante une raison objectivement valable de mettre fin à son emploi. Selon la plaignante, le défendeur a contrevenu à l’article 147 du Code en 2015, en 2017, en 2018 et en 2019, à cause de sa dénonciation le 4 février 2015 d’incidents de harcèlement psychologique et de discrimination dont elle aurait été victime, ainsi que plusieurs incidents qui constitueraient des représailles. Cependant, la plaignante n’a pas précisé le lien entre la cessation d’emploi alléguée et l’exercice des droits que lui confère le Code. La plaignante a décrit cependant en détail des incidents remontant à 2014 et 2015. Elle a insisté aussi sur le fait que sa plainte avait été déposée en vertu de neuf lois, règlements, politiques ou autre texte, notamment la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6), la Charte canadienne des droits et libertés, la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11, le Code criminel (L.R.C. 1985, ch. C-46) et sa convention collective. Une partie de sa plainte est consacrée à la description de problèmes avec son syndicat.
[76]
Un examen de la deuxième plainte indique que le défendeur aurait continué de commettre des actes qui sont concomitants et qui s’inscrivent dans la même continuation de temps, soit de recueillir des renseignements médicaux concernant la plaignante le 29 novembre 2018 et la tentative alléguée de priver la plaignante de son droit à recevoir une indemnisation de la CNESST, et qu’il tente de se soustraire à son obligation relative au droit de priorité de nomination de la plaignante en vertu du REFP. La plaignante a précisé que le défendeur avait agi de la sorte afin de « consolider » sa tentative initiale de congédiement déguisé.
[77]
Un examen de la troisième plainte indique que la Sun Life aurait arbitrairement coupé le 28 février 2019 des prestations d’invalidité de longue durée de moitié de la plaignante, ce qui lui a causé un choc. Elle a allégué qu’il s’agissait de représailles et de harcèlement psychologique, et que cela s’était poursuivi jusqu’au 4 avril 2019.
[78]
Selon moi, certains faits allégués dans les plaintes se sont produits dans les 90 jours précédant le dépôt des plaintes, soit : 1) la demande d’expertise psychiatrique du 19 mars 2018; 2) le rendez-vous pour l’expertise psychiatrique du 13 avril 2018; 3) l’entreposage des effets personnels de la plaignante le 13 mai 2018; 4) la demande de l’employeur pour un certificat médical et l’allégation de priver la plaignante de son droit à recevoir une indemnisation de la CNESST le 29 novembre 2018; 5) et les coupures des prestations d’invalidité du 28 février 2019.
[79]
Ces évènements ne sont donc pas hors délai. Toutefois, les autres événements qui se sont produits à diverses dates depuis 2015, et spécifiquement en date du 2 décembre 2015, du 17 mars 2017, du 19 juin 2017 et du 4 juin au 16 novembre 2018, sont hors délai.
[80]
En ce qui concerne les événements qui ne sont pas hors délai, il y a donc lieu de voir si, en prenant pour avérées les allégations à l’appui des plaintes, ces allégations révèlent l’existence d’un argument défendable voulant que le défendeur ait contrevenu à l’article 147 du Code.
B. Les allégations à l’appui des plaintes révèlent-elles l’existence d’un argument défendable voulant que le défendeur a contrevenu à l’article 147 du Code?
[81]
Un employé peut présenter une plainte en vertu de l’article 133 du Code au motif que son employeur a pris des mesures contraires à l’article 147 du Code .
[82]
Le critère établi afin de décider s’il y a eu contravention à l’article 147 du Code a été énoncé au paragraphe 64 de Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52. La plaignante doit démontrer :
- qu’elle a exercé ses droits en vertu de la partie II du Code;
- qu’elle a subi des représailles;
- que ces représailles sont de nature disciplinaire telles que définies dans le Code; et
- qu’il existe un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures subies.
[83]
La question essentielle à trancher est donc la suivante : les allégations à l’appui des plaintes visent-elles des contraventions des interdictions énoncées à l’article 147 du Code? Je conclus que non pour les raisons suivantes.
[84]
Malgré les nombreuses allégations soulevées par la plaignante, ces allégations ne visent pas des contraventions des interdictions énoncées à l’article 147 du Code. Plus précisément, la plaignante ne fait aucunement référence à l’exercice des droits d’un employé prévu à la partie II du Code, ni à des représailles de nature disciplinaire telles que définies dans le Code.
[85]
La plaignante s’est plainte notamment de ses difficultés avec son assurance invalidité, de devoir subir un examen psychiatrique, de l’entreposage de ses effets personnels, et de son indemnisation avec la CNESST. En somme, elle a traduit une profonde amertume à l’égard du défendeur au sujet de questions liées à son emploi. Selon elle, le défendeur n’a pas adéquatement assuré son adaptation dans le passé. Or, même si la preuve qui porte sur les événements récents qui se sont produits en 2018 et 2019 s’avérait être vraie, cette preuve ne vise pas des contraventions des interdictions énoncées à l’article 147 du Code.
[86]
Je tiens à préciser qu’un plaignant ne peut faire des allégations sans les rattacher aux circonstances énoncées à l’article 147 du Code. Ce principe a notamment été énoncé dans Gaskin, au paragraphe 57, comme suit :
[57] On peut fort bien perdre de vue l’essentiel de la teneur de la plainte lorsqu’on examine les nombreuses allégations que le plaignant a faites à l’endroit de l’employeur et de fonctionnaires. Étant une partie qui se représente elle-même à la présente instance, le plaignant n’est pas tenu d’exprimer les motifs de sa plainte en termes précis et sans équivoque. Il lui incombe cependant d’exposer les motifs de sa plainte à la Commission avec suffisamment de clarté pour qu’elle puisse comprendre la nature de son cas et que le défendeur puisse savoir contre quelles allégations elle doit se défendre.
[87]
Je reconnais aussi qu’un plaignant qui se représente lui-même n’est pas tenu d’exprimer les motifs de sa plainte en termes précis et sans équivoque. Je reconnais, de même, l’important travail et le profond dévouement de la plaignante dans la présentation de son dossier. Cependant la Commission n’a pas compétence pour se prononcer sur les questions que la plaignante soulève. Dans les centaines de pages qu’elle a déposées à la Commission, la plaignante reproche au défendeur et la Sun Life, en autres, des gestes qui ne peuvent valablement s’inscrire dans les paramètres de l’article 147 du Code.
[88]
Je me dois donc de conclure que je n’ai pas compétence pour instruire ces plaintes.
[89]
Ainsi, je maintiens les objections préliminaires du défendeur aux plaintes présentées en vertu de l’article 133 du Code pour le motif que les allégations à l’appui de ces plaintes ne révèlent pas l’existence d’un argument défendable voulant que le défendeur a contrevenu à l’article 147 du Code.
[90]
Puisque j’ai maintenu les objections, je rejette les plaintes.
[91]
Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[92]
Les plaintes sont rejetées.
Le 12 juillet 2019.
Nathalie Daigle,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral