Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont présenté des griefs en réponse au refus de l’employeur de leur verser la prime de fin de semaine pour les heures travaillées durant les postes de fin de semaine, contrairement à la clause 27.02 de la convention collective – l’employeur a cessé de verser la prime en alléguant que les heures supplémentaires travaillées pendant les fins de semaine ne constituaient pas des postes par rotation habituellement prévus et qu’elles n’étaient par conséquent pas assujetties à la clause 27.02 – il convient aussi de noter que l’employeur a ordonné aux employés de travailler des heures supplémentaires pendant la fin de semaine lorsque le nombre de volontaires était insuffisant – compte tenu du rythme opérationnel particulier du Port de Vancouver et de l’absence d’une définition du mot « poste » dans la convention collective, la Commission a conclu que l’application locale de la clause visant à verser une prime de fin de semaine pour les heures supplémentaires travaillées pendant une fin de semaine était adéquate – de plus, la Commission a conclu que les fonctionnaires s’estimant lésés ont travaillé selon un horaire régulier de fin de semaine réparti selon la même rotation que le reste de la semaine, ce qui fait que ces postes sont visés par l’application de la clause 27.02 – la Commission a conclu que les fonctionnaires s’estimant lésés devraient recevoir des primes de fin de semaine conformément à la clause 27.02 pour tous les postes pour lesquels ils ont travaillés et auxquels la clause se serait appliquée entre le 13 novembre 2013 et la date de la décision.

Griefs accueillis.

Contenu de la décision

Date : 20190723

Dossiers : 566-02-9936 à 9949

Référence : 2019 CRTESPF 76

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

entre

Stephan Bédard, Joseph Chang, Dan Csikos, Steve Faria, Jack Jay, Robert Nee, Hehong Ni, Jamie Oliver, Mark Robinson, Gerry Shamro, William Shea, Jimmy Wong, et Rimo Yoo

fonctionnaires s’estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR

(Commission canadienne des grains)

employeur

Répertorié

Bédard c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Margaret T. A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés :  Abudi Awaysheh, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur :  Marie-France Boyer, représentante

Affaire entendue à Vancouver (Colombie‑Britannique),

les 12 et 13 juin 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION (traduction de la crtespf)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1]  Les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), Stephan Bédard, Joseph Chang, Dan Csikos, Steve Faria, Jack Jay, Robert Nee, Hehong Ni, Jamie Oliver, Mark Robinson, Gerry Shamro, William Shea, Jimmy Wong et Rimo Yoo sont tous des inspecteurs des produits primaires (« PI-03 et PI-04 ») qui travaillent pour l’employeur, la Commission canadienne des grains (« CCG »), à son port de Vancouver. Ils ont contesté le refus de l’employeur de leur verser la prime de fin de semaine pour les heures travaillées durant les postes de fin de semaine, contrairement à la clause 27.02 de la convention conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le « syndicat ») pour le groupe Services techniques (tous les employés) qui venait à échéance le 21 juin 2014 (la « convention collective »).

II. Résumé de la preuve

[2]  Il y a très peu de désaccord entre les parties quant aux faits de la présente affaire. Lorsqu’il y avait désaccord, ironiquement c’était entre les témoins de l’employeur. M. Shea a témoigné en tant que représentant de l’ensemble des fonctionnaires, et la représentante de l’employeur a consenti à ce que son témoignage s’applique à tous les fonctionnaires. John Mann a témoigné au nom de l’employeur. Son témoignage a corroboré celui de M. Shea.

[3]  Selon M. Shea et M. Mann, les fonctionnaires travaillent des postes de jour, de soir et de nuit, du lundi au vendredi, selon une rotation de deux semaines pour chaque poste, une rotation complète nécessitant six semaines. Les samedis et les dimanches sont les jours de repos des fonctionnaires. Même si l’employeur n’inclut pas les samedis et les dimanches dans les rotations de poste des PI, les terminaux de grains situés autour du port de Vancouver fonctionnent les fins de semaine. Par conséquent, l’employeur doit prévoir des postes d’heures supplémentaires les fins de semaine, que les fonctionnaires et d’autres PI en postes variables peuvent accepter de travailler volontairement. Lorsqu’il n’y a pas suffisamment de volontaires, l’employeur inscrit les PI à l’horaire et leur ordonne de travailler ces postes.

[4]  Ce plan a été mis en place en 2003, au moment où l’employeur est passé d’une rotation de six jours de travail et de trois jours de repos à la rotation actuelle de cinq jours de travail et de deux jours de congé, le samedi et le dimanche étant des jours de repos.

[5]  Selon M. Shea, les PI qui travaillent dans le cadre de cette rotation de postes au port de Vancouver recevaient une prime de poste pour le travail accompli durant les postes de soir et de nuit la semaine, conformément à la clause 27.01 de la convention collective, ce qui a été corroboré par M. Mann. Les PI recevaient également cette prime pour les postes de soir et de nuit travaillés durant un jour de repos et la prime de fin de semaine pour tous les postes de jour de repos (jour, soir ou nuit).

[6]  Cette pratique s’est poursuivie jusqu’au 12 novembre 2013, date à laquelle l’employeur a avisé les fonctionnaires qu’à compter du 13 novembre 2013, ils ne recevraient plus de paiements en vertu de la clause 27.02 de la convention collective. Il s’agit du seul changement qui a été mis en œuvre; la rotation de postes des PI est demeurée la même, tout comme leurs jours de travail et de repos au port de Vancouver.

[7]  Les heures de travail des PI selon une rotation de postes à horaire variable sont visées par l’annexe M de la convention collective. Elle renvoie au poste d’un employé, mais le mot « poste » n’est défini nulle part dans la convention collective. Le libellé du lieu de travail renvoyait communément aux heures prévues à l’horaire d’exploitation pour désigner un poste. L’employeur et les PI renvoyaient aux heures d’exploitation les fins de semaine pour désigner des postes, même s’ils constituaient des heures supplémentaires pour les PI.

[8]  Lorsque l’employeur est passé à la rotation de poste actuelle et que les postes du samedi et du dimanche sont devenus des postes d’heures supplémentaires en 2003, un document a été élaboré conjointement entre le syndicat et la direction de la région de l’Ouest de l’employeur, où travaillaient les fonctionnaires et M. Mann. Le document établissait la manière dont les postes d’heures supplémentaires devaient être répartis (les « lignes directrices sur les heures supplémentaires »). Les lignes directrices sur les heures supplémentaires (pièce 2, onglet 19) sont toujours en vigueur.

[9]  Les lignes directrices sur les heures supplémentaires ont été élaborées autour du fait que les centres de grains sont un environnement de travail 24 heures par jour, et que l’employeur inscrirait des postes d’heures supplémentaires à l’horaire en fonction des demandes des clients relativement aux élévateurs à grains. Le jeudi, les clients indiquaient à l’employeur si l’élévateur allait fonctionner la fin de semaine. Selon ces renseignements, l’employeur prévoyait les postes et les attribuait aux personnes qui s’étaient portées volontaires pour travailler cette fin de semaine-là. Les PI qui souhaitaient travailler ces postes en informaient les personnes responsables de l’établissement de l’horaire. Si un intérêt insuffisant était manifesté pour couvrir un poste, les PI recevaient l’ordre de travailler.

[10]  Lorsqu’un PI devait travailler un poste de fin de semaine, le poste était d’une durée de 8 heures, même s’il pouvait obtenir un poste de 16 heures s’il le souhaitait. Un PI pouvait être autorisé à travailler jusqu’à 18 heures d’affilée dans des circonstances spéciales. Selon M. Shea, le type de poste n’importe pas; un poste est un poste aux fins de l’application des clauses de la convention collective relatives à la prime de poste et à la prime de fin de semaine. Jusqu’au 13 novembre 2013, les PI recevaient les primes de poste et de fin de semaine pour les postes de fin de semaine.

[11]  Nathan Gerelus est le gestionnaire national, Opérations et Projets, de la CCG. Il a déclaré qu’en 2013, la CCG a subi des changements importants concernant ses opérations, l’objectif s’étant déplacé vers la supervision de la pesée du grain expédié à partir d’un modèle pratique. Dans le cadre de cette restructuration, M. Gerelus a conclu que chaque port avait des demandes très différentes concernant des rotations par poste et des heures supplémentaires très différentes. La région de l’Ouest, où les fonctionnaires étaient employés, versait depuis longtemps une prime de fin de semaine pour les postes de fin de semaine. Le port de Québec a commencé cette pratique lorsqu’il a réalisé que la prime était payée dans la région de l’Ouest, mais M. Gerelus ne pouvait se rappeler qui l’avait autorisé. Le port de Thunder Bay, en Ontario, a aussi envisagé de mettre en œuvre cette pratique.

[12]  M. Gerelus a demandé à son conseiller en relations de travail, Alan Ashton, de vérifier auprès du Conseil du Trésor si le paiement était requis. M. Ashton a répondu que nulle part à la CCG les travailleurs n’étaient régulièrement affectés à des postes de fin de semaine; par conséquent, les PI n’avaient pas droit à des primes de fin de semaine. Dans leur témoignage, M. Shea et M. Mann ont complètement contredit ces renseignements. Ils ont déclaré que chaque semaine, les postes de la fin de semaine à venir étaient habituellement prévus et attribués le jeudi. Après avoir reconnu ce fait, M. Gerelus a demandé à M. Ashton de revalider l’interprétation des services des relations de travail. Entre-temps, selon l’interprétation qu’il avait obtenue de M. Ashton et des  services des relations de travail, il a mis fin à la prime de fin de semaine pour les postes que travaillaient les PI les samedis et les dimanches. Au bout du compte, le Conseil du Trésor a confirmé l’opinion initiale de M. Ashton à M. Gerelus : aucun employé de la CCG ne travaillait régulièrement la fin de semaine.

[13]  Selon M. Gerelus, tout problème en matière de relations de travail concernant la rémunération des employés dans sa région était porté à son attention s’il y avait des répercussions à l’échelle nationale. Il savait que la prime de fin de semaine était payée dans la région de l’Ouest pendant toute la période où il a été gestionnaire. Les gestionnaires avaient le pouvoir individuel d’approuver ces paiements dans leur région. Il a eu connaissance de cette pratique avant qu’elle soit soulevée en 2013 comme possible mesure de réduction des coûts.

[14]  La CCG n’est pas en activités 24 heures par jour, selon M. Gerelus, même s’il a admis avec réticence qu’elle offrait ses services de la sorte. En d’autres termes, après plusieurs questions, il a admis que lorsque ses clients l’exigent, la CCG fonctionne tous les jours, 24 heures par jour. Les besoins varient selon la région et l’élévateur. Chaque emplacement répond aux demandes de services de ses clients. Le port de Vancouver est le seul emplacement qui a constamment trois postes, sept jours par semaine.

[15]  Selon M. Gerelus, les postes sont inscrits à l’horaire du port de Vancouver du lundi au vendredi. Aucun poste n’est prévu les fins de semaine, même si le port offre des services tous les jours, 24 heures par jour. Les heures d’exploitation sont prévues la fin de semaine. Néanmoins, M. Gerelus a confirmé que pour tout le personnel, tant les employés que les gestionnaires, affecté à des heures supplémentaires prévues à ce port dans le cadre d’un poste, les heures de début et de fin de ces postes sont fondées sur les postes réguliers effectués du lundi au vendredi par les PI et que ces heures respectent la même rotation. Cependant, il s’en est tenu à l’avis qu’il a reçu des services des relations de travail selon lesquels les heures travaillées durant les week-ends ne sont pas des postes.

[16]  M. Gerelus a reconnu que les fonctionnaires travaillaient par rotation régulière, et qu’ils n’étaient donc pas exclus de l’application de la clause 27 de la convention collective. Toutefois, il a soutenu que puisque l’employeur n’attribue pas de poste d’heures supplémentaires les fins de semaine, malgré le fait qu’ils sont communément décrits ainsi dans le lieu de travail, les clauses 27.01 et 27.02 de la convention collective ne s’appliquent pas. Il a reconnu que la CCG et sa direction font référence et acceptent les heures supplémentaires travaillées les fins de semaine comme étant des postes. Quoi qu’il en soit, il n’a aucun pouvoir discrétionnaire de remettre en question les décisions du Conseil du Trésor; son travail consiste à mettre en œuvre ses directives, ce qu’il a fait. Par conséquent, l’employeur a réalisé des économies.

[17]  M. Mann a décrit le processus d’établissement des horaires dans son témoignage. Les horaires sont communiqués les lundis matin. Les heures supplémentaires non prévues peuvent survenir du lundi au vendredi en raison de congés non prévus. Selon lui, les heures supplémentaires durant les jours de semaine sont rares. Ces heures supplémentaires sont réparties depuis de la liste de volontaires selon les lignes directrices sur les heures supplémentaires que le syndicat et la direction ont approuvées (pièce 2, onglet 19). Les mêmes lignes directrices sont utilisées pour les heures supplémentaires attribuées durant la fin de semaine.

[18]  Les heures supplémentaires durant la fin de semaine étaient nécessaires pour le chargement de navire et étaient accomplies selon le principe de recouvrement des coûts, lesquels étaient facturés au navire. Les heures supplémentaires régulières durant les jours de la semaine n’étaient pas facturées aux navires. Il y a quatre jours d’interdiction au cours de l’année pendant lesquels le port de Vancouver n’est pas en activités. Selon M. Mann, ses PI devaient travailler 361 jours par année. Les besoins en services de la CCG durant les fins de semaine l’obligeaient à ordonner à des PI de travailler régulièrement durant les fins de semaine puisque le nombre de volontaires était souvent insuffisant pour couvrir les postes requis afin de respecter les exigences des clients.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

[19]  Les fonctionnaires travaillent dans un lieu de travail en exploitation tous les jours, 24 heures par jour, et où il y a une rotation entre trois postes : les jours, les soirs et les nuits. Durant les fins de semaine, les mêmes postes sont travaillés et rémunérés selon la clause relative aux heures supplémentaires de la convention collective. L’employeur a soutenu que les heures supplémentaires n’étaient pas un poste, mais elles en sont un.

[20]  M. Mann a déclaré que l’exigence des services de fin de semaine dépassait le nombre de volontaires qui souhaitaient travailler des postes de fin de semaine, ce qui obligeait l’employeur à ordonner à des employés de les faire. Le témoignage de M. Mann a corroboré celui de M. Shea. M. Gerelus n’est pas un témoin crédible. Il ne se rappelait pas qui avait autorisé le paiement de la prime de fin de semaine au port de Québec, alors qu’il aurait clairement eu à l’autoriser, étant donné son poste. Son témoignage n’était pas objectif; il s’appuyait sur sa position et se voulait plus argumentatif.

[21]  La définition de « poste » et le moment où les primes de fin de semaine et de poste sont à payer ont été examinés dans Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, aux paragraphes 61 à 64; Gardiner c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 128; et Denboer c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 58, aux paragraphes 54 à 58. Chafe portait sur le même article 27 de la convention collective que celui en litige en l’espèce.

[22]  Selon Chafe, pour avoir droit aux paiements en vertu de l’article 27 de la convention collective, il a été établi que les fonctionnaires doivent travailler par rotation, ce que les fonctionnaires en l’espèce font, et qu’ils ne doivent pas être exclus de l’application de l’article 27 parce qu’ils sont  visés par les clauses 25.04 à 25.06 de la convention collective ou la clause 25.04 de l’annexe M. Ils ne sont pas exclus de cette façon parce qu’ils n’effectuent pas seulement des postes du lundi au vendredi. Aucun de ces éléments n’est contesté par l’employeur.

[23]  La question en litige est celle de savoir si les heures travaillées pendant une fin de semaine représentent un poste. L’arbitre de grief dans Chafe a dit au paragraphe 61 que la convention collective dans cette affaire ne définissait pas le terme « postes » ou l’expression « travailler par postes ». Pour cette raison, il a examiné la question de savoir s’il y avait un sens ou une définition ordinaire et généralement attribué au terme « travail par postes ». Il a conclu que le travail par postes renvoie à un horaire de travail dans lequel les employés travaillent à des heures autres que les heures normales de 8 h à 17 h , du lundi au vendredi, ou à un horaire autre que la semaine de travail normale.

[24]  Gardiner et Denboer portaient sur la question de savoir si les employés qui n’étaient pas des travailleurs par poste avaient droit à des primes de poste lorsqu’ils travaillaient un poste d’heures supplémentaires. Dans les deux cas, on a conclu qu’un travailleur de jour ne devient pas un travailleur par poste simplement parce qu’il travaille des heures supplémentaires. Denboer portait sur l’objet sous-tendant l’inclusion des primes de quarts dans une convention collective et a conclu qu’elles étaient conçues afin de donner une compensation à un employé pour avoir travaillé pendant une période de temps qui est considérée comme étant anormale et dérangeante. Le travail durant un poste de fin de semaine crée un préjudice pour les fonctionnaires puisqu’il signifie qu’il faut travailler alors que personne d’autre ne le fait. Ils ne peuvent pas profiter des fins de semaine comme les autres, peu importe qu’ils se portent volontaires ou qu’on leur ordonne de travailler.

[25]  Essentiellement, dans la présente affaire, il faut déterminer si les heures travaillées pendant une fin de semaine, selon la même rotation que les heures travaillées par les PI du lundi au vendredi au port de Vancouver, représentent un poste de fin de semaine. L’employeur ne pouvait pas exclure ses heures en vertu de la clause 25.04 de la convention collective. Par conséquent, en 2013, il a modifié la définition de travail accompli pendant une fin de semaine et a affirmé que les heures travaillées la fin de semaine ne constituaient pas un poste, mais simplement des heures travaillées.

[26]  Le port de Vancouver n’est pas comme les autres lieux de travail de la CCG. Il fonctionne tous les jours, 24 heures par jour, 361 jours par année, selon M. Mann et contrairement au témoignage de M. Gerelus. Les PI qui y sont employés effectuent des postes. Ils ne sont pas exclus de l’application de l’article 27 de la convention collective. Le libellé leur permet de recevoir des primes de poste pour les postes d’heures supplémentaires travaillés la fin de semaine. Ils devraient être ainsi rémunérés rétroactivement à compter de la date de la présentation du grief, selon le cas, pour chaque fonctionnaire.

B. Pour l’employeur

[27]  La décision de l’employeur de ne pas verser de prime de fin de semaine aux fonctionnaires ne contrevenait pas à la clause 27.02 de la convention collective et cette dernière ne lui interdisait pas de refuser des paiements aux fonctionnaires.

[28]  M. Mann a déclaré que l’employeur avait prévu des postes à l’horaire des PI au port de Vancouver, et ce, afin qu’ils correspondent à ses activités. Avant 2003, la rotation de postes était de six jours de travail et de trois jours de congé. En 2003, à ce port, la CCG est revenue à l’exploitation de cinq jours, avec une rotation de cinq jours de travail et de deux jours de congé. En 2011-2012, alors que d’autres ministères se voyaient imposer le plan d’action pour la réduction du déficit, la CCG a revu la Loi sur les grains du Canada (L.R.C. (1985), ch. G-10), ce qui a fait en sorte qu’elle a envisagé des changements et des mesures de réduction des coûts à ses activités. Des incohérences ont été découvertes partout au Canada en ce qui concerne le paiement des primes de fin de semaine aux PI; elles étaient versées à Vancouver et à Québec et Thunder Bay envisageait de les mettre en œuvre, mais d’autres emplacements de la CCG ne les versaient pas.

[29]  En 2014, M. Gerelus a mis fin au paiement à Vancouver en fonction d’une interprétation du Conseil du Trésor qu’il avait obtenue de M. Ashton selon laquelle les PI ne travaillaient pas des postes prévus durant les fins de semaine.

[30]  La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») ne peut pas modifier une convention collective au moyen d’une décision (voir Chafe et l’article 229 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2)). L’arbitre de grief doit déterminer l’intention réelle des parties en tenant compte du sens ordinaire des mots utilisés dans la convention collective (voir Chafe et Pâtes et Papier Irving, Ltée c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et des travailleurs du papier, 2002 NBCA 30). L’arbitre de grief doit également tenir compte de l’ensemble de la convention (voir Beese et al. c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains), 2012 CRTFP 99).

[31]  L’employeur a reconnu que les fonctionnaires sont des travailleurs par poste visés par l’annexe M de la convention collective et que la clause 25.05 de l’annexe M s’applique à eux. Toutefois, selon l’employeur, ils ont droit uniquement au paiement prévu par la clause 27.02 de la convention collective pour les heures supplémentaires si ces heures sont contiguës et travaillées immédiatement après un poste qui fait partie de leurs 37,5 heures régulières par semaine et qu’elles sont travaillées une fin de semaine. Selon Létourneau c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 81, les heures supplémentaires doivent être travaillées immédiatement à la suite du quart de travail régulièrement prévu à l’horaire. En conséquence, pour avoir droit aux primes de poste supplémentaires, les fonctionnaires doivent effectuer un autre poste après leur poste régulier.

[32]  Tous les termes d’une convention collective sont réputés avoir un sens (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, au paragraphe 4:2100; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et des travailleurs du papier, au paragraphe 15).

[33]  Selon les fonctionnaires, les heures de la fin de semaine suivent la rotation de jour, de soir et de nuit. Selon le témoignage de M. Mann, les heures supplémentaires varient selon les demandes de services reçues les jeudis. Les horaires de fin de semaine sont préparés chaque jeudi selon les demandes reçues des clients. S’il n’y a pas de demande, aucune heure n’est travaillée durant la fin de semaine suivante. Il n’y a aucune garantie que les services seront requis durant une fin de semaine.

[34]  Il est important de noter que le simple versement local de paiements à Vancouver n’équivaut pas à une déclaration du Conseil du Trésor qu’il s’agissait de l’application appropriée de la convention collective. Le Conseil du Trésor est une partie à la convention collective, pas la CCG. Aucune des mesures prises par la direction locale à Vancouver n’avait pour but d’être une déclaration de la part du Conseil du Trésor que les fonctionnaires avaient droit au paiement en vertu de la clause 27.02 de la convention collective (voir Chafe et Gardiner).

[35]  La preuve extrinsèque n’a pas à être examinée en l’espèce. Le libellé dont est saisie la Commission est clair, précis et sans équivoque. En l’absence d’une ambiguïté manifeste ou latente, la preuve extrinsèque ne devrait pas être examinée (voir Schlegel Villages v. Service Employees International Union, Local 1 Canada, (2015), 259 L.A.C. (4th) 225).

[36]  Les lignes directrices sur les heures supplémentaires (pièce 2, onglet 19) ne peuvent pas être utilisées pour établir l’intention des parties. Le Conseil du Trésor n’y est pas partie. L’employeur a reconnu que « poste » est un mot que toutes les personnes du lieu de travail utilisent communément pour décrire une durée, mais ce n’était pas l’intention des parties lorsqu’elles ont négocié la convention collective. Pourquoi n’y a‑t‑il pas de définition du terme « poste »? Elle n’est pas nécessaire. Les heures de travail sont établies à l’annexe M de la convention collective, laquelle renvoie aux heures de travail normales et aux postes; par conséquent, les postes sont les heures de travail normales.

IV. Motifs

[37]  Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si les PI qui travaillent des heures supplémentaires et selon une rotation de poste variable ont droit à une prime de fin de semaine pour les postes d’heures supplémentaires travaillées durant la fin de semaine. Selon l’employeur, les heures travaillées durant la fin de semaine n’équivalent pas à des postes. En outre, pour inférer qu’une prime de poste est prévue par la clause 27.02 de la convention collective, les heures supplémentaires travaillées doivent l’être immédiatement après un poste régulièrement prévu à l’horaire. De leur côté, les fonctionnaires ont soutenu que les heures supplémentaires prévues les fins de semaine représentent des postes qui leur donnent droit à un paiement en vertu de la clause 27.02.

[38]  Comme l’a dit l’arbitre du grief dans Denboer au paragraphe 53, « [i]l est bien établi en droit, comme soutenu par l’employeur, et concrétisé dans Wamboldt [Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55], qu’un avantage impliquant un coût monétaire pour l’employeur doit être clairement et expressément accordé en vertu de la convention collective ». Il est également établi en droit que lorsque l’on interprète une convention collective, le sens commun doit prédominer et l’absurdité doit être évitée. Il s’agit d’un cas où il faut faire preuve de sens commun.

[39]  La CCG est l’un des nombreux employeurs que le Conseil du Trésor représente à la table de négociation. Les conventions collectives qu’il négocie ont pour but d’être appliquées à de nombreux lieux de travail et de satisfaire leurs réalités opérationnelles, non seulement les activités de travail de col blanc de la région de la capitale nationale à qui M. Ashton a demandé une interprétation. Selon les réalités des activités en l’espèce, le lieu de travail fonctionne 361 jours par année, 24 heures par jour.

[40]  Lorsqu’il a tenté de nier ce fait, M. Gerelus n’était pas crédible. Je n’ai aucun doute qu’il a approuvé le paiement à Québec, ce qu’il ne pouvait pas se rappeler, ou à tout le moins qu’il a autorisé une personne de sa chaîne de commandement directe à l’autoriser. Il est maintenant placé devant l’annulation de cette décision. Les règles qui s’appliquent aux activités dans la région de l’Ouest, qui ne fonctionne pas au même rythme opérationnel que le port de Vancouver, sont différentes de celles qui visent le port de Vancouver, bien que la même convention collective s’applique. Elles doivent l’être afin de respecter les réalités opérationnelles de chaque endroit. À mon avis, les déclarations sans nuance, comme celles où personne à la CCG ne travaille de postes la fin de semaine, sont au mieux sans fondement et, au pire, irréfléchies. Elles ne sont pas appuyées par les faits.

[41]  Contrairement à ce que l’avocate de l’employeur a soutenu, la direction locale à Vancouver a correctement appliqué la convention collective, à mon avis. Selon l’intention des parties lorsqu’elles ont négocié la convention collective, celle-ci doit être  appliquée au niveau local à la situation opérationnelle existant à cet endroit. La direction locale n’a pas conclu d’accord parallèle avec le syndicat qui violait la convention collective ni n’a tenté de créer un avantage pour les PI à l’extérieur de la convention collective dans le but de tenter d’assujettir le Conseil du Trésor à une obligation. La seule obligation créée visait à ce que le Conseil du Trésor respecte ses obligations d’appliquer de manière appropriée la convention collective aux réalités opérationnelles du lieu de travail de la CCG au port de Vancouver.

[42]  Quant à l’affirmation de l’employeur selon laquelle les postes sont les heures de travail normales, il est important de noter également la juxtaposition de l’utilisation des mots lorsque l’on interprète les conventions collectives, non seulement les mots employés. Dans cette convention collective, la première utilisation du mot « poste » à l’annexe M figure à la clause 25.03 qui concerne l’échange de postes ou, en d’autres termes, l’échange des heures de travail. Il n’y a pas de définition du terme « poste ». Si l’on voulait dire les heures normales de travail d’un employé, on lui aurait certainement accordé une place beaucoup plus importante dans la convention collective.

[43]  Il ressort clairement du témoignage de tous les témoins et du sens ordinaire du libellé de la convention collective que les heures de travail des fonctionnaires sont fondées sur les heures d’activité à l’installation de l’employeur et qu’elles peuvent être réparties de façon à représenter 37,5 heures, en moyenne, durant une période de cinq jours sur 28 jours. Le terme « poste » a également un sens familier qui fait partie intégrante des activités de ce lieu de travail, comme l’indiquent clairement les lignes directrices sur les heures supplémentaires (pièce 2, onglet 19). Dans ce document, les postes de travail sont identifiés comme des périodes précises, par exemple, le poste de jour, le poste de soir et le poste de nuit, lesquelles sont identiques aux périodes utilisées pour prévoir le travail durant les heures de travail normales.

[44]  La clause 27.02 de la convention collective ne fait aucunement référence aux heures de travail régulières ou aux postes réguliers. La clause 27.01 renvoie aux postes travaillées pour recevoir une prime de poste. La clause 27.02 utilise le même libellé, mais va plus loin, de façon à inclure les heures supplémentaires. Comme l’avocate de l’employeur l’a soutenu, la convention collective ne précise pas que les heures supplémentaires doivent être travaillées immédiatement après  un poste régulièrement prévu. En réalité, les « heures supplémentaires » sont définies à l’article 2 comme le travail autorisé en plus des heures normales prévues à l’horaire quotidien ou d’une moyenne de 37,5 heures par semaine. La convention ne mentionne pas le moment où elles doivent être effectuées.

[45]  Selon Chafe, les « postes » renvoient à la situation d’un lieu de travail où le cycle de travail nécessite la division des heures de travail entre postes pour terminer le cycle. Il en est ainsi en l’espèce. Selon la preuve, il n’y a aucun doute que les heures supplémentaires font partie des activités régulières du port de Vancouver. Selon M. Mann, ses employés travaillent 361 jours par année. Toujours selon lui, les heures de travail durant la fin de semaine qui sont attribuées aux membres du groupe de négociation, que ce soit à titre de volontaires ou par suite d’un ordre de la direction, sont réparties selon la même rotation et le même horaire que ceux utilisés du lundi au vendredi. Selon tous les éléments dont je suis saisie, je ne peux que conclure qu’il s’agit de l’horaire régulier de la fin de semaine.

[46]  Les heures de travail durant la fin de semaine sont des postes pour l’application de la clause 27.02 de la convention collective. De toute évidence, s’il marche comme un canard et cancane comme un canard, c’est un canard, et pas même les efforts herculéens accomplis par l’avocate de l’employeur pour en faire une oie ne peuvent faire davantage que peindre des bandes noires sur un cheval pour en faire un zèbre. Les fonctionnaires ont droit à un paiement en vertu de la clause 27.02 pour les postes d’heures supplémentaires qu’ils ont travaillées durant la fin de semaine, comme l’indique leur grief.

[47]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

V. Ordonnance

[48]  Les griefs sont accueillis. Les fonctionnaires recevront la prime de fin de semaine en vertu de la clause 27.02 de la convention collective pour tous les postes qu’ils ont travaillés qui auraient été visés par cette clause du 13 novembre 2013 à la date de la présente décision.

[49]  Je demeurerai saisie des questions découlant de la mise en œuvre de la présente ordonnance pour une période de 90 jours.

Le 23 juillet 2019.

Traduction de la CRTESPF

Margaret T. A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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