Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a mis fin à l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé à la suite d’un incident au cours duquel il s’est endormi à son poste de patrouille mobile après avoir enlevé une partie de son équipement de sécurité – à la suite d’une réunion disciplinaire, mais sans enquête, l’employeur a pris la décision de mettre fin à son emploi – un grief a été déposé immédiatement au motif que le licenciement constituait une sanction excessive dans les circonstances – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé s’est livré à une inconduite grave au moment de l’incident, ayant délibérément enlevé une partie de son équipement de sécurité et s’étant mis dans une position où il ne pouvait pas exécuter de manière efficace les fonctions de son poste, donnant ainsi un motif raisonnable à l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire – la Commission a également conclu que la mesure dans laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé a abandonné son poste n’est pas aussi importante qu’il n’avait été allégué par l’employeur – les incohérences entre les décrets sur les postes mobiles et le comportement habituel, ainsi que d’autres systèmes de sécurité atténuant les risques, limitaient la gravité de l’inconduite du fonctionnaire s’estimant lésé – en outre, la Commission a conclu que le point de vue de l’employeur à l’égard de l’inconduite était bien établi avant la réunion disciplinaire, ce qui a empêché une enquête plus approfondie et d’autres discussions entre le fonctionnaire s’estimant lésé et l’employeur – la Commission a également déterminé que la décision de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé était influencée par la connaissance de mesures disciplinaires antérieures, qui n’auraient pas dû figurer à son dossier, conformément à la convention collective – enfin, la Commission a conclu que l’inconduite ne justifiait pas le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé, étant donné qu’il a reconnu ses méfaits, vu les problèmes procéduraux dans le cadre du processus disciplinaire, et étant donné qu’il semble que les mesures disciplinaires antérieures ont influé la décision de le licencier – la Commission a conclu qu’au lieu du licenciement, la sanction appropriée serait une suspension sans rémunération jusqu’à la date de la présente décision.

Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision


Motifs de dÉcision (Traduction de la CRTESPF)

I. Introduction

[1]   William Dekort, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était un agent correctionnel à l’Établissement de Mission à sécurité moyenne (« Mission moyenne ») en Colombie‑Britannique. Il y a travaillé d’avril 2008 jusqu’à ce qu’il soit mis fin à son emploi en mai 2017 pour inconduite.

[2]  Le matin du 24 février 2017, M. Dekort a accepté un quart de travail supplémentaire commençant à 7 h et il a été affecté à un poste de patrouille mobile. Cette tâche consiste à patrouiller le périmètre de sécurité à l’extérieur de l’établissement dans un véhicule. Le poste est décrit comme la [traduction] « dernière ligne de défense » en cas d’évasion et la [traduction] « première ligne de défense » en cas d’intrusion dans l’établissement. En conséquence, il constitue un élément essentiel d’une stratégie visant à prévenir l’introduction de produits de contrebande dans l’établissement grâce à différents types de [traduction] « colis volants » et, de plus en plus, par l’intermédiaire de drones. L’agent de patrouille mobile est armé.

[3]  À environ 8 h 30, trois gestionnaires correctionnels ont trouvé M. Dekort dans son véhicule stationné. Il incliné dans son siège avec la tête par en arrière et il avait enlevé ses bottes et son gilet de protection. Un des gestionnaires a cogné sur la fenêtre pour attirer son attention. Les gestionnaires correctionnels (les « GC ») étaient d’avis que M. Dekort semblait être désorienté, ahuri et confus. Ils ont conclu qu’il s’était endormi.

[4]  À la suite d’une réunion disciplinaire, mais sans enquête, le directeur intérimaire, Brooke Kassen, a pris la décision de mettre fin à l’emploi de M. Dekort.

[5]  Les parties ont convenu que le rôle de l’arbitre de grief dans un cas comme celui en l’espèce doit suivre l’analyse établie dans William Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P‑162, [1977] 1 Canadian LRBR 1 (« Wm. Scott ») et Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24. Ce critère exige que je réponde aux trois questions suivantes :

[Traduction]

  1. L’employé a‑t‑il donné un motif raisonnable à l’employeur d’imposer une forme de mesure disciplinaire (c’est‑à‑dire, y a‑t‑il eu une inconduite de la part de l’employé)?
  2. Le cas échéant, la mesure disciplinaire que l’employeur a imposée était‑elle une sanction excessive dans les circonstances?
  3. Si elle était excessive, quelle autre mesure, qui serait juste et équitable, devrait y être substituée dans les circonstances?

[6]  Il n’y a aucun doute en l’espèce qu’une inconduite justifiant une mesure disciplinaire a eu lieu. Le fonctionnaire ne conteste pas ce fait. Il a manqué à son devoir en tant qu’agent de la paix et a omis de suivre un certain nombre de directives et d’ordres. De plus, il ne l’a pas fait par inadvertance. En enlevant ses bottes et son gilet de protection, il a démontré son intention.

[7]  La principale question à trancher en l’espèce est celle de savoir si l’inconduite de M. Dekort était si flagrante qu’elle justifiait son licenciement, en tenant compte de toutes les circonstances aggravantes et atténuantes.

[8]  Même si je conclus que l’inconduite de M. Dekort était extrêmement grave et justifie une sanction sévère, je conclus que son licenciement n’était pas justifié. Je conclus que l’employeur a effectué une évaluation rapide selon laquelle il s’était endormi pendant une période prolongée et qu’il n’a pas changé d’avis malgré une preuve contraire. Je conclus également qu’il n’a pas évalué pleinement et de manière exacte les facteurs aggravants et atténuants qu’il aurait dû avoir pris en compte. En plus d’autres problèmes liés au processus, il a tenu compte dans une certaine mesure de mesures disciplinaires antérieures qui n’auraient pas dû figurer dans le dossier de M. Dekort.

[9]  Dans sa décision de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire, l’employeur a également conclu qu’il avait omis de reconnaître la gravité de ses actes et qu’il n’a démontré aucun remords pour son inconduite. Je ne suis pas du même avis. La preuve découlant des conversations tenues avant le licenciement établit le contraire. Ses déclarations suivant immédiatement le licenciement et son témoignage à l’audience étaient ceux d’une personne qui reconnaît clairement les erreurs qu’elle a commises ce matin‑là et qui est prête à prouver qu’elle peut apprendre de son erreur.

[10]  Je suis tout à fait d’accord avec l’employeur pour dire que les agents correctionnels sont tenus de respecter des normes de conduite plus élevées et que la sanction imposée pour cette conduite doit envoyer un message de dissuasion clair. En conséquence, une sanction sévère est requise au lieu du licenciement.

[11]  Pour ce motif et ceux qui suivent, je remplace le licenciement par une suspension sans rémunération dont la durée est à compter de la date de licenciement jusqu’à la date de la présente décision.

II. Contexte et questions préliminaires

[12]  M. Dekort a été licencié le 4 mai 2017 au moyen d’une lettre qui lui a été lue et donnée pendant une réunion tenue ce jour‑là. Il a déposé un grief le même jour qui demandait, tel qu’il a été déposé, sa réintégration intégrale dans ses fonctions. Toutefois, à l’audience, il a proposé que le licenciement soit remplacé par une suspension sans solde de longue durée, soit entre 12 et 24 mois.

[13]  Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 14 juillet 2017.

[14]  Je ferai remarquer que l’employeur n’a pas répondu au grief de M. Dekort au dernier palier avant le renvoi à l’arbitrage. La Commission a ordonné à l’employeur de déposer une réponse de dernier palier au grief pendant l’étape de l’audience préliminaire. Elle est datée du 10 mai 2019 et elle répète les raisons du licenciement qui figurent dans la lettre initiale.

[15]  Tout au long du processus disciplinaire et à l’audience, le fonctionnaire était représenté par son agent négociateur, l’Union of Canadian Correctional Officers ‑ Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (le « SACC » ou le « Syndicat »).

[16]  À l’étape de l’audience préliminaire, la Commission a rendu des décisions relativement à plusieurs demandes de production de documents. L’employeur a invoqué le privilège des relations de travail à l’égard de certains documents demandés. Il a expliqué qu’il s’agissait de courriels fournissant des renseignements aux relations de travail en vue de rédiger la note de breffage sur la mesure disciplinaire à imposer et de rédiger la lettre de licenciement. Pour ce motif, j’étais convaincu que les documents demandés étaient assujettis au privilège des relations de travail. La représentante du fonctionnaire n’a pas contesté davantage la question à l’audience. Je n’estime pas qu’il est nécessaire de fournir des motifs plus détaillés dans la présente décision.

[17]  Certains des documents déposés en preuve contenaient des noms de tiers, y compris des employés qui n’étaient pas concernés par les incidents, ainsi que ceux de détenus. L’employeur a demandé une ordonnance de mise sous scellés et une ordonnance de confidentialité à l’égard de ces pièces. Toutefois, les parties ont collaboré au caviardage de tous les renseignements des pièces et, pour ce motif, l’employeur a retiré sa demande.

[18]  L’employeur a cité les quatre témoins suivants à témoigner :

[19]  La représentante du fonctionnaire a demandé l’exclusion des témoins avant leur témoignage et j’ai accordé cette demande. Cette exclusion est devenue un problème pendant l’audience lorsque l’employeur a demandé de citer de nouveau M. Sagoo. Le fonctionnaire s’est opposé parce que M. Sagoo avait observé une partie des témoignages de M. Fitzgerald et de M. Kassen. J’ai autorisé la réinterrogation et j’ai dit que je tiendrai compte de sa présence pendant l’audience lors de mon évaluation du poids à accorder au témoignage supplémentaire.

[20]  L’employeur a déposé un recueil des pièces comptant 46 onglets et trois autres pièces. Deux CD faisaient partie des pièces, un comportant un enregistrement vidéo de la patrouille mobile et l’autre comportant certains enregistrements de radiocommunications.

[21]  Seul le fonctionnaire a témoigné pour son compte.

[22]  Le fonctionnaire a déposé un recueil des pièces comptant 15 onglets et cinq autres pièces. Ses pièces comprenaient des copies en double des enregistrements vidéo et audio fournis par l’employeur, ainsi qu’un CD d’enregistrements audio des réunions disciplinaires tenues avec lui.

III. Résumé de la preuve

[23]  Je commencerai en donnant un résumé des éléments de preuve en trois parties, divisées selon les périodes, soit avant et après le 24 février 2017 ainsi que le jour même.

A. Contexte des événements du 24 février 2017

[24]  M. Dekort a commencé sa carrière au Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou le « Service ») en avril 2008. Il a participé au PFC standard de 13 semaines. Il a ensuite été affecté à Mission moyenne en tant que CX‑1 où il a également suivi une formation en cours d’emploi. La formation qu’il a suivie est importante à l’histoire parce qu’elle établit qu’il était au courant de ce à quoi le SCC s’attendait de lui.

[25]  Le PFC vise à s’assurer que les agents correctionnels comprennent les rôles, les responsabilités, les règles et les procédures applicables dans l’exercice de leurs fonctions. M. Sehra a témoigné longuement au sujet du PCF, établissant la manière dont ses différents modules permettent de s’assurer que les recrues comprennent leur rôle en tant qu’agent de la paix en vertu du Code criminel (L.R.C. 1985, ch. C‑46). Il comprend une formation sur le recours à la force et une certification en matière de soins, d’entretien et de stockage des armes à feu. Il comprend des modules sur le périmètre de sécurité, y compris le rôle des patrouilles mobiles et le principe de « sécurité active ». Il comprend une formation sur le Code de discipline du SCC, ainsi que sur ses Règles de conduite professionnelle.

[26]  M. Dekort a reconnu avoir suivi une formation sur tous les aspects du PFC et d’avoir reçu et signé ces deux politiques.

[27]  Le PFC est suivi d’une formation en cours d’emploi à l’établissement où la nouvelle recrue est affectée. Cette formation a pour objet de veiller à ce que les nouvelles recrues puissent appliquer la formation du PFC en milieu de travail, ainsi qu’apprendre en détail les procédures de l’établissement où elles sont affectées.

[28]  Mission moyenne partage avec l’Établissement de Mission à sécurité minimale (« Mission minimale ») une parcelle de terrain située à l’est de Mission, en Colombie‑Britannique, au nord du fleuve Fraser.

[29]  Mission moyenne est située sur un grand carré entouré d’une double clôture périphérique d’une hauteur d’environ 12 pieds au‑dessus desquelles se trouve un barbelé à lames ou un fil barbelé. Il y a six unités résidentielles, un édifice administratif contenant une cuisine et des services de restauration, une cour d’exercices et beaucoup d’autres édifices à l’intérieur de la clôture. L’accès est contrôlé par un système de point de contrôle à entrée sécurisée à la clôture ouest.

[30]  Autour du système de clôture se trouve une route périphérique utilisée par les patrouilles mobiles. Il y a des tours de surveillance à chacun des quatre coins. Il y a plusieurs caméras de sécurité autour du périmètre, ainsi que des caméras d’énergie thermique.

[31]  Le terrain à l’extérieur de la route périphérique varie. À l’ouest se trouve un stationnement, au sud se trouve une zone dégagée ainsi que Mission minimale, et à l’est et au nord se trouve ce qui est décrit comme un mélange d’arbustaie et de terrain boisé qui s’étend jusqu’aux chemins publics. Même si le public n’est pas censé commettre une intrusion sur ces terrains, il peut y avoir accès et s’approcher de l’établissement, ce qui fonde le rôle de la patrouille mobile.

[32]  Le rôle de l’agent de patrouille mobile consiste à patrouiller sur la route périphérique dans un véhicule. Comme mentionné plus tôt, le poste est décrit comme étant la dernière ligne de défense en cas d’évasion. Toutefois, cela ne semble pas être sa principale fonction, étant donné que le système de clôture est muni d’une alarme. Plus important encore, il s’agit de la première ligne de défense en cas d’intrusion dans l’établissement par des étrangers ou des choses, plus particulièrement lorsqu’une personne s’approche de la clôture en vue de jeter des produits de contrebande au-dessus de la clôture. Un troisième rôle essentiel consiste à surveiller les activités des détenus à l’intérieur de la clôture. En conséquence, la patrouille mobile offre une sécurité de soutien aux agents correctionnels affectés aux postes intérieurs.

[33]  La surveillance de ce qui se passe à l’intérieur de la clôture est particulièrement importante pendant le mouvement en masse des détenus de leurs résidences au réfectoire ou du réfectoire à leurs activités quotidiennes et lorsque les détenus participent à des activités dehors.

[34]  L’agent dans le véhicule est muni d’une radio aux fins de communication et il est armé d’une carabine et d’une arme de poing.

[35]  Les témoignages de plusieurs témoins comportaient des contradictions relativement au mouvement habituel prévu de la patrouille mobile autour du périmètre. Je reviendrai à ce sujet plus loin dans la présente décision lorsque j’analyserai la mesure dans laquelle M. Dekort a omis d’exercer ses fonctions de manière appropriée.

[36]  Le fait que ce rôle fait partie d’une stratégie de sécurité active qui exige d’être à la recherche de problèmes et, en ce qui concerne l’unité mobile, de se déplacer régulièrement est incontesté. Cette stratégie concerne divers postes et diverses routines afin d’être imprévisible par les détenus.

[37]  Un autre renseignement est nécessaire à ce stade, soit qu’au cours des mois précédents les événements en question, Mission moyenne a éprouvé un nombre accru de problèmes liés à l’introduction de produits de contrebande à l’intérieur. Par exemple, des drogues illégales, des produits du tabac, des téléphones cellulaires et des armes. Chaque forme de contrebande expose les détenus, ainsi que les employés, à un risque pour la sécurité. Une manière d’introduire des produits de contrebande dans la prison est à l’aide de colis volants – c.‑à‑d. jeter physiquement le matériel au‑dessus de la clôture du périmètre ou le lancer à l’aide de techniques comme une raquette et une balle de tennis ou un [traduction] « lance patate ».

[38]  Toutefois, l’avènement de la technologie des drones a présenté un nouveau défi pour le SCC, particulièrement aux établissements de Mission, où la topographie de la région avoisinante (plus particulièrement les terrains boisés au nord et à l’est) facilite l’utilisation de drones en tant que moyen de livraison des produits de contrebande à l’intérieur de la clôture de périmètre ou sur les toits des édifices.

[39]  Les patrouilles mobiles constituent une partie importante de la stratégie visant à empêcher l’introduction de produits de contrebande dans l’établissement, y compris à l’aide de drones. En plus d’être à la recherche de toute personne qui approche la clôture pour jeter un colis volant ou de drones qui volent au‑dessus, ils doivent être à la recherche de détenus qui vont dans la cour en vue de récupérer des produits de contrebande, surtout lorsqu’ils ne sont pas censés être dans la cour.

[40]  En 2017, l’utilisation de drones pour livrer des produits de contrebande dansMission moyenne faisait régulièrement l’objet de séances d’information auxquelles les agents correctionnels assistaient au début de chaque quart. Les réunions sont complémentées par une note de breffage disponible tous les matins et elle résume les principaux événements de la veille, y compris les événements importants, comme les repérages de drones. Les agents n’assistent aux séances d’information que s’ils se présentent à un quart, mais ils peuvent consulter les notes de breffage par voie électronique. Dans le cadre de leurs fonctions, les agents doivent les lire et échanger les renseignements sur les séances d’information les uns avec les autres.

[41]  Il existait des contradictions dans les témoignages concernant la portée du problème lié aux drones, sujet auquel je reviendrai plus loin. Néanmoins, j’accepte que l’activité des drones constituait un problème grave touchant Mission moyenne et que la direction communiquait régulièrement aux agents correctionnels des renseignements sur ce problème et ordonnait aux employés de faire preuve d’une vigilance accrue. M. Dekort aurait été au courant de cela lorsqu’il s’est présenté au travail le 24 février.

B. Les événements du 24 février 2017

[42]  M. Dekort a reçu un appel à 5 h le 24 février 2017 lui demandant s’il souhaitait travailler des heures supplémentaires ce jour‑là. Il n’avait pas travaillé au cours des deux jours précédents et il savait qu’il aurait pu refuser le quart. Toutefois, il l’a accepté et s’est présenté au travail.

[43]  Comme tous les autres agents correctionnels au groupe et niveau CX‑01, M. Dekort pouvait être affecté à différents postes pendant ses quarts de 12,75 heures. Ce matin‑là, il a été affecté à la patrouille appelée [traduction] « mobile 1 », une des deux unités de patrouille pendant le quart de jour. L’autre est appelée [traduction] « mobile 2 ».

[44]  Tel que cela a été indiqué, un des rôles attribués aux agents de patrouille mobile est d’observer les détenus pendant les périodes de mouvement en masse. Selon le témoignage de M. Kassen, il y a le matin un mouvement d’environ 7 h 25 à 8 h 5 alors que les détenus quittent leurs résidences pour le petit‑déjeuner. Il y a un deuxième mouvement à 8 h 30 pendant environ 10 minutes au cours duquel les détenus se présentent à l’école ou au travail au sein de l’établissement.

[45]  Tel que l’ont établi les témoignages et la séquence vidéo, à 7 h 16, le mobile 1 se promène le long de la route périphérique et s’arrête à proximité de la Tour 3, au coin nord‑est de l’établissement. Le véhicule demeure en marche, mais ne se déplace pas avant au moins 8 h 34, heure à laquelle la vidéo se termine. Le véhicule fait face à l’ouest. Si M. Dekort observait l’établissement, il aurait vu les cours d’exercices et l’arrière des unités résidentielles et de l’unité d’isolement. S’il n’observait pas l’établissement, il aurait vu les terrains vacants situés au nord de l’établissement.

[46]  À 8 h 18, le Poste principal de contrôle des communications (« PPCC ») a fait un appel radio en vue d’informer les mobiles que trois membres du personnel correctionnel marcheraient le périmètre. Les deux mobiles ont répondu. Le mobile 1 a répondu [traduction] « Message reçu par le mobile 1 » et le mobile 2 a répondu [traduction] « Message reçu par les deux mobiles ».

[47]  Moins d’une minute plus tard, un deuxième appel a été fait en vue d’informer les mobiles que les trois membres du personnel seraient des gestionnaires correctionnels. Aucun mobile n’a répondu.

[48]  Les trois GC qui ont fait le parcours étaient M. Sagoo, M. Fitzgerald et Brad Anderson. M. Sagoo et M. Fitzgerald ont tous les deux témoigné en disant que des livraisons de drogues avaient été signalées la veille. Leur marche autour du périmètre avait pour but de constater si des colis et des matériels se situaient à l’extérieur des clôtures. Ils sont sortis par l’entrée principale et ont marché en sens inverse des aiguilles d’une montre autour du périmètre.

[49]  Ils ont trouvé le mobile 1 stationné juste après la Tour  3. Cet endroit se situait un peu plus qu’à mi‑chemin de leur parcours du périmètre et M. Sagoo a témoigné en disant que leur marche a duré environ 10 minutes. Les trois agents ont tous indiqué que l’incident est survenu à 8 h 30.

[50]  Lorsqu’ils se sont approchés du véhicule stationné, les agents ont aperçu M. Dekort étendu en position inclinée, avec sa bouche ouverte et sa tête vers l’arrière. Ils ont attendu un peu avant que M. Sagoo ne cogne sur la fenêtre du chauffeur. M. Anderson était à côté de M. Sagoo. M. Fitzgerald a continué d’explorer la route à la recherche de produits de contrebande.

[51]  La durée exacte pendant laquelle M. Sagoo a attendu avant de cogner sur la fenêtre fait l’objet de témoignages contradictoires. Il a témoigné en disant qu’il a attendu de 30 secondes à une minute avant de cogner, mais son rapport écrit sur l’incident indique qu’il a [traduction] « […] cogné sur la fenêtre après une évaluation de quelques secondes de la situation […] ». Le rapport écrit de M. Anderson indique que lui et M. Sagoo étaient debout à l’extérieur du mobile pendant environ 15 secondes avant de cogner.

[52]  Ce qui est clair, c’est que M. Dekort était surpris lorsqu’ils ont cogné sur la fenêtre. Dans son témoignage, M. Sagoo a déclaré qu’il semblait que M. Dekort venait de se réveiller. Son témoignage était fondé sur la position du fonctionnaire, le fait qu’il n’était pas au courant que des GC qui étaient debout à l’extérieur de son véhicule, le fait qu’ils ont dû cogner sur la fenêtre afin d’attirer son attention, les larmoiements de ses yeux et le fait qu’il semblait être désorienté.

[53]  Une fois qu’ils ont eu attiré son attention, il est devenu évident pour M. Sagoo et M. Anderson que M. Dekort ne portait pas ses bottes ni son gilet de protection.

[54]  M. Dekort a témoigné en disant qu’il n’estimait pas s’être endormi, mais il a reconnu qu’il s’était étendu et qu’il avait enlevé ses bottes et son gilet de protection. Il a soutenu qu’il écoutait une émission de sport à la radio. Il a reconnu avoir été surpris et d’avoir constaté qu’il était dans une situation compromettante et qu’il se souvenait que M. Sagoo avait dit d’une voix forte : [traduction] « Que faites‑vous? »

[55]  M. Fitzgerald a témoigné en disant qu’il avait également vu M. Dekort dans une position inclinée, mais qu’il n’avait pas participé directement à la discussion à la fenêtre. Il a vu M. Dekort de plus loin et à travers la fenêtre arrière du véhicule, laquelle, il a reconnu, était teintée.

[56]  Dans son rapport écrit, M. Anderson a déclaré qu’après avoir cogné sur la fenêtre, M. Dekort a énoncé ceci : [traduction] « [Je] dois m’être […] endormi. » M. Dekort a témoigné en disant qu’il n’a pas dit cela.

[57]  À titre d’information, M. Anderson n’a pas témoigné et ne pouvait donc pas être contre‑interrogé au sujet du contenu de son rapport. Je n’accorde pas beaucoup de poids à ce fait, même s’il fait en sorte qu’il soit plus difficile d’évaluer les incohérences dans les rapports quant à la durée pendant laquelle M. Sagoo a attendu avant de cogner et entre le rapport de M. Anderson et le témoignage de M. Dekort.

[58]  Toutefois, le fait que la séquence vidéo se termine à 8 h 34 et que les trois GC n’apparaissent sur la vidéo en aucun temps est beaucoup plus problématique pour l’évaluation des contradictions entre les témoignages. Je reviendrai à ce fait dans l’analyse de la présente décision.

[59]  À la suite de la discussion au véhicule, M. Sagoo a dit à M. Dekort qu’il était relevé de son poste pour la journée et qu’il était affecté à l’intérieur.

[60]  Dès qu’il est retourné à l’intérieur, M. Sagoo a tenu une première réunion sur l’incident avec M. Dekort, en présence d’un représentant syndical, en vue de discuter de ce qui s’était produit, de l’importance de la patrouille mobile armée à la sécurité de l’établissement et de la gravité de l’inconduite de M. Dekort. Ce dernier a décrit la réunion comme un sermon sur son comportement et ses décisions et que son état d’esprit était celui d’une personne qui savait qu’elle avait commise une erreur grave et qu’elle devait accepter le sermon et la sanction qui serait imposée. Il semble que la discussion ait duré environ 20 minutes.

C. Suivi des événements du 24 février 2017

[61]  Lorsque j’ai mentionné les rapports écrits des GC plus tôt, j’ai fait référence à leurs « Rapports d’observation ou de déclaration d’un agent » (« RODA »). Ces rapports sont utilisés pour consigner un large éventail d’incidents liés à la sécurité. La Directive du commissaire – Consignation et signalement des incidents de sécurité exige que de tels rapports soient rédigés le même jour que l’événement. Elle déclare également que lorsqu’un rapport ne peut être produit le même jour, il faut en discuter avec un agent principal et le rapport doit indiquer la raison pour laquelle il a été produit en retard.

[62]  Les trois gestionnaires ont tous rédigé leur RODA le matin du 1er mars 2017, soit le mercredi suivant l’incident du 24 février. La représentante du fonctionnaire a longuement interrogé les témoins de l’employeur au sujet de la raison pour laquelle les rapports ont été produits en retard, de la raison pour laquelle aucun des trois rapports n’explique pourquoi ils ont été produits en retard et de la question de savoir si leur production tardive entraîne des conséquences. Aucun des témoins de l’employeur n’a été en mesure d’expliquer en détail la raison pour laquelle les rapports ont été produits en retard ou la raison pour laquelle les rapports n’expliquaient pas pourquoi ils ont été produits en retard. Cela étant dit, même si la Directive du commissaire n’a pas été suivie relativement à la production des trois rapports, le fait est qu’ils ont effectivement été produits seulement environ deux jours ouvrables en retard. Je ne considère pas qu’il s’agit d’un retard important et je lui accorde peu de poids.

[63]  Entre le 27 février et le 9 mars, M. Dekort a été affecté à des fonctions d’agent correctionnel, mais pas aux patrouilles mobiles. Il a été affecté à l’entrée principale pendant deux quarts et en tant qu’agent à fonctions multiples dans la cour pendant certains quarts. Il a participé à deux séances de formation prévues régulièrement sur les armes à feu, une portant sur les armes de poing et l’autre sur les carabines.

[64]  Le 9 mars, le directeur intérimaire Kassen a convoqué une réunion disciplinaire avec M. Dekort et son représentant syndical qui a duré exactement 10 minutes. M. Kassen a décrit l’étendue de l’inconduite et a demandé à M. Dekort d’expliquer ses actes. Cette réunion sera analysée plus en détail plus loin dans la présente décision.

[65]  Le 10 mars, M. Dekort a été informé qu’en attendant une décision relative à la mesure disciplinaire qui lui sera imposée, il était relevé de ses fonctions d’agent correctionnel et qu’à compter du 17 mars, il devait se présenter à Mission minimale aux fins d’un quart de jour de huit heures sans uniforme.

[66]  M. Dekort a travaillé à Mission minimale pendant un peu moins de sept semaines. Il a été convoqué à la réunion portant sur la décision relative à la mesure disciplinaire le 4 mai 2017 au cours de laquelle il a été informé qu’il était licencié.

IV. Question 1 – M. Dekort s’est‑il livré à une inconduite justifiant une mesure disciplinaire?

[67]  Il faut clairement répondre à cette question par l’affirmative. Toutefois, il faut quand même y répondre à l’aide de certains détails parce que la compréhension de la nature de l’inconduite est également essentielle pour répondre à la deuxième question qui survient en l’espèce, soit la question de savoir si le licenciement était justifié. Dans le cadre de l’évaluation des détails relatifs à l’inconduite, un certain nombre de questions de fait doivent être évaluées.

[68]  L’analyse doit commencer par l’inconduite, telle qu’elle est décrite dans la lettre de licenciement, qui a été signée par M. Kassen. Elle déclare que M. Dekort a abandonné un poste armé, a omis de porter l’équipement de sécurité approuvé et autorisé, a dormi pendant qu’il était en fonction et n’a pas tenu compte des règles de sécurité établies. En conséquence, l’employeur a conclu qu’il avait contrevenu au Code de discipline et aux Règles de conduite professionnelle du commissaire, plus particulièrement comme suit :

[…]

Règle 1 – Responsabilité dans l’exécution des tâches

• omet de prendre les mesures voulues ou néglige ses fonctions d’agent de la paix d’autres façons;

• omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions;

Règle 2 – Conduite et apparence

• se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service, qu’il soit de service ou non.

[…]

[69]  La lettre explique en outre qu’en raison de ses actes, M. Dekort a omis d’assurer une supervision adéquate de son équipement de sécurité, y compris son arme à feu chargée. Il était chargé d’un poste armé dans une zone à périmètre ouvert à laquelle les détenus de Mission minimale avaient accès. Ses actes [traduction] « […] équivalaient essentiellement à l’abandon de [son] poste armé et à la mise en péril de la sécurité du contrevenant et des membres du personnel, ainsi que celle du public en raison de [sa] négligence. »

[70]  La lettre indique que M. Kassen était parvenu à ses conclusions après avoir étudié attentivement les renseignements provenant des trois GC, de la preuve vidéo du véhicule « […] qui est demeuré immobilisé pendant environ une heure et demie […] » et de la présentation de M. Dekort pendant la réunion disciplinaire.

[71]  De plus, la lettre informe notamment M. Dekort de ce qui suit : [traduction] « Vous n’avez pas assumé la responsabilité de vos actes et vous n’avez pas non plus compris la gravité de vos actes. »

[72]  Voici l’hypothèse sur laquelle la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire est fondée ainsi que son argumentation à l’audience. M. Dekort avait l’intention de s’endormir et il l’a fait pendant une longue période. Ses actes contrevenaient à ses responsabilités en tant qu’agent de la paix. Il n’a jamais admis la vérité. Ses actes, en plus de la malhonnêteté subséquente, signifient qu’il a rompu le lien de confiance que l’employeur a envers les agents correctionnels, qui doivent être en mesure d’exercer leurs fonctions conformément à ses règles, à ses règlements et à ses politiques à l’aide d’une supervision minimale.

[73]  Si l’on considère uniquement les renseignements dont disposait M. Kassen lorsqu’il s’est présenté à la réunion disciplinaire le 9 mars 2017, cette hypothèse et la décision de licencier le fonctionnaire auraient été raisonnables.

[74]  À la réunion, il avait devant lui les trois rapports des GC indiquant que M. Dekort s’était endormi, ainsi que la preuve de son intention de le faire (en enlevant ses bottes et son gilet). En plus des trois RODA, M. Kassen disposait d’un courriel supplémentaire provenant de M. Sagoo, envoyé à l’origine le 1er mars et acheminé ensuite le 8 mars, la veille de la réunion. Ce courriel explique que M. Sagoo avait obtenu la séquence vidéo et que le mobile [traduction] « […] s’était approché de la Tour 3 à environ 7 h 15 et s’est stationné. Le mobile n’a pas bougé jusqu’au moment où nous nous sommes approchés et l’avons vu dormir. » Le courriel indiquait également que le [traduction] « PPCC avait communiqué par radio avec les mobiles en vue de les informer que trois membres du personnel parcouraient le périmètre. Une autre transmission radio a été faite en vue de clarifier qu’il s’agissait de trois GC qui y marchaient. Il n’y a eu aucune réponse des mobiles. »

[75]  Selon les faits dont il disposait, il était tout à fait approprié pour M. Kassen de conclure lorsqu’il s’est présenté à la réunion du 9 mars que M. Dekort s’était endormi et qu’il n’avait pas bougé et n’avait pas répondu pendant plus d’une heure. En conséquence, il lui aurait été raisonnable de considérer toutes les déclarations de M. Dekort prononcées à cette réunion comme un défaut d’en assumer la responsabilité.

[76]  Au début de la réunion du 9 mars, M. Kassen n’était pas au courant du fait que M. Dekort avait répondu au premier appel radio du PPCC qui a été fait entre 8 h 18 et 8 h 19. Après que M. Dekort a dit qu’il avait répondu à un appel, M. Kassen a promis d’examiner les communications vocales après la réunion.

[77]  Cependant, la preuve établit que les appels vocaux n’ont pas été examinés avant la rédaction de la note de breffage des relations de travail en date du 21 mars 2017, qui comportait une recommandation de mesure disciplinaire à l’intention de M. Kassen et du directeur général des Relations de travail. Cette note de breffage contenait l’exposé de fait suivant : [traduction] « Il convient de noter qu’avant l’audience disciplinaire, il était également évident que pendant la période visée, CX Dekort avait omis de répondre à une transmission radio concernant les trois gestionnaires correctionnels qui parcouraient le périmètre. »

[78]  En contre‑interrogatoire, M. Kassen a déclaré qu’il avait examiné les appels et il a convenu que M. Dekort avait répondu à un appel, mais pas à l’autre. Il a ensuite reconnu que la note de breffage était erronée en partie. À la question de savoir combien de temps il estimait que M. Dekort a dormi, M. Kassen a répondu ce qui suit : [traduction] « L’automobile est resté immobilisé pendant une heure et 15 minutes », mais il [traduction] « ne peut pas déterminer combien de temps il [le fonctionnaire] était réveillé et combien de temps il a dormi. »

[79]  Je crois que le point de vue de l’employeur à l’égard de l’inconduite était bien établit avant la réunion du 9 mars. En conséquence, il n’a pas et ne pouvait peut‑être pas interpréter ses déclarations à la réunion comme assumant la responsabilité et exprimant des remords. Rien dans la note de breffage n’indique qu’un examen sérieux  de tous les faits a été effectué, surtout des appels radio. La note n’indique pas non plus les déclarations de regret de M. Dekort lors de la réunion du 9 mars. Ces erreurs sont aggravées par les problèmes de procédure relatifs au processus décisionnel, en particulier l’absence d’une enquête plus approfondie et d’autres discussions entre M. Dekort et l’employeur.

[80]  Les sections suivantes portent sur une étude plus approfondie de ces questions.

A. Dans quelle mesure le fonctionnaire a‑t‑il abandonné son poste?

[81]  Je commencerai par une analyse plus détaillée des événements qui sont survenus le matin du 24 février. Cette analyse comprend une évaluation critique de la version de M. Dekort des événements de la journée.

[82]  À la réunion disciplinaire du 9 mars, M. Dekort a nié s’être endormi. Il a reconnu avoir enlevé ses bottes et son gilet et de s’être incliné dans son siège. Il a déclaré qu’il écoutait une émission de sport à la radio. Il a nié avoir été surpris lorsque M. Sagoo a cogné sur la fenêtre et a expliqué que sa réaction était une réaction de [traduction] « culpabilité » et que lorsqu’il a regardé les GC, il a pensé [traduction] « Mon Dieu! Que suis‑je en train de faire? »

[83]  Dans son témoignage devant la Commission, M. Dekort a expliqué davantage qu’il avait un mal de dos et qu’il voulait s’étirer. Il a reconnu avoir fermé ses yeux. Il a répété dans son témoignage qu’il écoutait la radio, expliquant qu’il s’agissait d’une émission‑débat de sport à la radio, pas de la musique. Il a nié avoir énoncé [traduction] « [Je] dois m’être […] endormi », tel que cela a été indiqué dans le RODA de M. Anderson. Il a expliqué que les larmoiements de ses yeux étaient dus à des allergies. Il a reconnu qu’il n’avait signalé aucun problème de santé lorsqu’il s’est présenté au travail et qu’il aurait dû le faire s’il n’était pas en mesure d’exercer pleinement ses fonctions.

[84]  En ce qui concerne l’appel radio du PPCC, il a déclaré à la réunion du 9 mars qu’il avait répondu à un appel. Cela ressort clairement de la preuve audio qui établit que des transmissions radio ont été faites aux mobiles à 8 h 18, auxquelles ils ont répondu immédiatement. Un deuxième appel a été effectué moins de 30 secondes plus tard. Aucun mobile n’a répondu. M. Dekort a expliqué qu’il avait entendu le deuxième appel et, comme il s’agissait d’une correction mineure du premier, sa réponse n’était pas nécessaire. Je conclus que ce scénario est beaucoup plus plausible que l’autre conclusion, selon laquelle M. Dekort s’est endormi profondément entre 8 h 18 et 8 h 19. Pendant l’audience, l’employeur a présenté les enregistrements en tant que deux appels distincts. Je suis convaincu que l’analyse plus contextuelle permet de parvenir à la conclusion raisonnable que le deuxième appel constituait un bref suivi du premier.

[85]  Il est possible que M. Dekort se soit endormi avant l’appel de 8 h 18, mais je n’en ai aucune preuve. Je dois évaluer ses actes avant 8 h 18 uniquement en fonction du fait que sa patrouille était immobilisée, ce que je ferai sous peu.

[86]  Évidemment, il est également possible que M. Dekort se soit endormi à un moment donné entre 8 h 18 et le moment où les trois GC ont croisé son véhicule stationné à proximité de la Tour 3. Compte tenu de leurs rapports selon lesquels ils ont croisé l’automobile vers 8 h 30, que la vidéo a confirmé être au plus tôt 8 h 34, il se peut que M. Dekort se soit endormi pendant une période maximale de 16 minutes.

[87]  Vu les éléments de preuve contradictoires quant à la durée pendant laquelle les GC ont attendu à la fenêtre du véhicule avant que M. Sagoo ne cogne, j’ai regardé la séquence vidéo avec intérêt, en m’attendant à ce qu’il puisse aider à confirmer ce qui s’est produit. Toutefois, la vidéo se termine à 8 h 34, sans voir les trois GC.

[88]  Le fonctionnaire a invoqué King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 84, à l’appui de la proposition selon laquelle on ne peut se fier à une séquence vidéo incomplète. Dans King, le fonctionnaire s’estimant lésé aurait utilisé une force excessive à l’égard d’un détenu peu coopératif. Une certaine séquence vidéo avait été obtenue, mais elle n’était pas conforme à certains des témoignages directs. Une autre séquence qui aurait pu être obtenue n’a pas été déposée. L’arbitre de grief a conclu que l’enquêtrice s’est fiée à des faits incomplets lorsqu’elle est parvenue à sa conclusion concernant l’inconduite justifiant une mesure disciplinaire. L’arbitre de grief a infirmé la sanction pécuniaire.

[89]  Le fonctionnaire a soutenu que les arguments de l’employeur comportent des erreurs semblables. La séquence vidéo se termine avant que les trois GC ne croisent la patrouille mobile de M. Dekort, malgré le fait que cette séquence de l’interaction aurait une valeur corroborante importante.

[90]  Il m’est impossible de conclure avec certitude la mesure dans laquelle M. Dekort était alerte, s’il s’était endormi ou s’il s’était endormi profondément. Cela aurait été beaucoup plus clair si le GC Sagoo avait obtenu la vidéo de l’interaction à l’automobile.

[91]  Tout bien considéré, je conclus qu’il est plausible de conclure que M. Dekort s’était au moins endormi à un moment donné entre 8 h 18 et 8 h 34. Toutefois, en fonction de la courte période concernée, des témoignages contradictoires concernant la période que les GC ont passé à la fenêtre, la preuve vidéo incomplète et le témoignage de M. Dekort, je ne suis pas convaincu qu’il s’était endormi profondément. En conséquence, il avait conservé une certaine capacité pour intervenir dans une situation.

[92]  Cela dit, je dois également conclure qu’il occupait son poste muni d’un niveau de vigilance et d’attention considérablement réduit. S’il étirait simplement son dos et écoutait la radio, pourquoi n’a‑t‑il pas remis ses bottes et son gilet après avoir été informé que les trois gestionnaires parcouraient le périmètre? C’était plus qu’un simple manque de jugement – il s’agit d’une preuve que sa capacité à intervenir dans des situations s’était affaiblie.

[93]  En ce qui concerne l’évaluation de la conclusion selon laquelle M. Dekort a abandonné son poste, je suis conscient du fait que la lettre de licenciement de l’employeur énonce qu’il l’avait [traduction] « essentiellement » abandonné. Cela laisse entendre qu’il existe une gamme de ce que peut signifier l’abandon de son poste, allant d’une courte période en ce qui concerne la capacité d’intervention à un abandon total (par exemple, quitter tout à fait le poste mobile). Vu cette analyse et la qualification de ce terme par l’employeur, je conclus que les actes de M. Dekort étaient au milieu de cette gamme. Le reste des arguments doivent être évalués sur ce fondement.

B. Quelle était la gravité des risques entraînés par les actes de M. Dekort?

[94]  Dans son témoignage, M. Dekort a formulé en outre des commentaires sur les risques possibles découlant de ses actes. Même s’il a déclaré qu’il ne voulait pas trop se défendre parce qu’il savait qu’il avait commis une erreur, il a affirmé qu’il n’était pas devenu [traduction] « incapable ». En cas d’évasion ou d’intrusion physique réelle, les clôtures sont munies d’alarmes. Il aurait quand même pu mettre ses bottes et les attacher. Il aurait quand même pu conduire. En ce qui concerne ses armes, la carabine est verrouillée dans un montant qui est vissé au véhicule et elle doit être libérée afin de l’utiliser. Son pistolet est sécurisé par un dispositif de blocage à trois points et le véhicule est verrouillé. Il soutient que la suggestion selon laquelle une personne aurait pu acquérir le contrôle de ses armes à feu n’est pas plausible. Cette personne devrait pénétrer un véhicule verrouillé et l’emporter sur un professionnel mesurant six pieds et pesant 200 livres et elle devrait encore ensuite déterminer comment libérer les contraintes.

[95]  L’employeur a soutenu que ces arguments ne permettent pas de minimiser le fait que la patrouille est armée exactement parce que l’agent mobile doit être en mesure d’intervenir en cas d’urgences soudaines. L’absence d’alarmes, de tentatives d’évasion ou d’activités de contrebande ce jour‑là n’excuse ni n’atténue son comportement.

[96]  Je souscris aux arguments de l’employeur et du fonctionnaire relativement à cet argument. Le niveau d’abandon de M. Dekort a augmenté le risque pour l’établissement ce jour‑là. Ses actes ne peuvent pas être excusés. D’autre part, dans le cadre de l’évaluation subséquente de la question de savoir si son licenciement était excessif, il faut également tenir compte du fait qu’il faisait partie d’un système qui comportait plusieurs autres mesures de protection.

C. Quelle est l’importance du problème lié aux drones dans le cadre de l’évaluation de l’inconduite de M. Dekort?

[97]  Dans son argumentation devant la Commission, l’employeur a accordé une importance considérable au niveau d’activité des drones à Mission moyenne et aux alentours au cours des mois et des semaines précédant le mois de février 2017. L’incidence de l’activité des drones et le problème relatif à l’introduction de produits de contrebande dans l’établissement ont été invoqués en tant que facteurs aggravants dans l’évaluation de l’inconduite. Cela a été indiqué dans la note de breffage des Relations de travail du 21 mars, qui mentionne que le [traduction] « PPCC avait demandé à la direction d’élaborer des stratégies visant à aider à la prévention de l’activité des drones, ainsi qu’à intervenir face à ces activités par souci de sécurité pour son propre personnel. »

[98]  La note de service indique ensuite que l’acte de M. Dekort consistant à dormir à son poste devait être évalué à la lumière des attentes du Syndicat selon lesquelles la direction agirait de manière proactive relativement à l’activité des drones.

[99]  M. Sagoo a témoigné en disant qu’avant le 24 février 2017, il y avait des activités de drones [traduction] « tous les jours ». Lui et M. Kassen ont insisté sur le fait que les problèmes de drones étaient intégrés aux séances d’information et aux notes de breffage. Selon le témoignage de M. Kassen, la question faisait l’objet de discussions patronales‑syndicales et que plusieurs stratégies avaient été mises en œuvre. Certaines de ces stratégies comprenaient l’installation d’une clôture autour de la cour d’exercice, informer les membres du personnel sur la manière de repérer les aéronefs, l’ajout de la technologie de caméras numériques à la Tour 3 et la réduction de l’accès des détenus aux toits des résidences (puisque du matériel y avait été livré).

[100]  Après avoir examiné les documents déposés en preuve, je suis convaincu que même si les drones constituaient un problème grave à Mission, il serait erroné de dire qu’il s’agissait d’un incident quotidien. Une note de service de février 2017 qui résume le problème énumère 10 repérages de drones au cours d’une période de 12 mois, ce qui suggère un taux d’incident mensuel. Les notes de breffage quotidiennes déposées en preuve couvrent environ 14 jours sur une période de huit semaines et cinq repérages de drones y sont mentionnés, ce qui indique un taux d’incident hebdomadaire. Il s’agissait d’un problème important, mais pas d’un problème quotidien.

[101]  En outre, même si les patrouilles mobiles peuvent évidemment jouer un rôle clé dans la stratégie d’interdiction des drones, leur rôle est limité à ce qu’elles peuvent voir ou entendre à partir de l’intérieur d’un véhicule en marche (et qui se déplace la plupart du temps). Les agents des postes mobiles suivent une formation et on leur ordonne de ne pas quitter leur véhicule à moins qu’ils ne doivent dégainer leur arme.

[102]  Cette capacité limitée de tout observer à partir d’un véhicule peut expliquer la raison pour laquelle on n’a pas demandé aux agents de patrouille mobile d’effectuer une recherche visuelle d’une preuve de livraison de drogue sur la route périphérique le matin du 24 février; ce rôle a plutôt été attribué aux GC Sagoo, Fitzgerald et Anderson.

[103]  J’accepte que le niveau d’activité des drones constitue un facteur aggravant dans l’évaluation du comportement de M. Dekort, mais il existe des limites quant à l’importance de la patrouille mobile à mettre fin au problème.

[104]  En outre, le lien explicite figurant dans la note de breffage entre les préoccupations du Syndicat au sujet des drones et des produits de contrebande et les actes de M. Dekort indique que des pressions avaient été exercées sur la direction afin qu’elle prenne des mesures rigoureuses pour répondre aux préoccupations du Syndicat. Même si cela est compréhensible, ce n’est pas juste pour M. Dekort, dont les actes individuels exigent une évaluation complète et équitable indépendante de tout conflit patronal‑syndical quant à la façon de répondre au problème de contrebande.

D. Même si M. Dekort ne dormait pas profondément, l’absence de mouvement de son mobile n’indique‑t-elle pas un problème grave?

[105]  En un mot, la réponse à la question de l’en‑tête est « oui », mais encore une fois, les éléments de preuve doivent être évalués afin de comprendre l’étendue de l’inconduite du fonctionnaire consistant à demeurer immobilisé pendant une période aussi longue.

[106]  Les témoignages des témoins de l’employeur étaient contradictoires quant au mouvement attendu des postes mobiles à Mission moyenne.

[107]  À l’origine, les témoignages étaient axés sur l’attente d’un mouvement constant en fonction d’une rotation. La première fois qu’il a été cité à témoigner, M. Sagoo a témoigné en disant que les mobiles devaient être en mouvement constant et que s’ils s’arrêtaient, ils devaient communiquer avec l’autre unité mobile, qui devrait continuer de se déplacer.

[108]  M. Sehra a témoigné en disant que les mobiles doivent continuer de se déplacer et que le principe de la sécurité active, tel qu’il est appliqué aux unités mobiles, exige qu’ils agissent de manière imprévisible. Il a également attiré mon attention sur le contenu du module de formation des patrouilles mobiles, qui énonce ce qui suit : [traduction] « S’il y a deux (2) patrouilles mobiles en même temps, les deux véhicules doivent patrouiller dans la même direction et s’informer l’une et l’autre si elles interrompent leur patrouille. » Il a dit que les mobiles ne doivent s’arrêter que pendant quelques minutes à la fois et ils doivent le communiquer par radio lorsqu’ils s’arrêtent. En contre‑interrogatoire, à la question de savoir s’il était au courant des instructions à Mission moyenne concernant l’immobilisation d’un mobile, il a répondu par la négative.

[109]  M. Kassen a également témoigné au sujet du mouvement attendu des mobiles en indiquant qu’en général, ils doivent faire le tour de l’établissement environ une fois chaque minute, ce qui signifie qu’ils passeraient devant un lieu donné toutes les 30 secondes. En contre-interrogatoire, il a modifié ce témoignage en reconnaissant qu’il pourrait falloir deux minutes pour faire le tour, ce qui signifie qu’un mobile pourrait passer à un endroit chaque minute. En contre‑interrogatoire, on lui a également demandé si les agents de patrouilles mobiles exécutaient leur propre système de zone. Il a déclaré que [traduction] « même si cela était la pratique, les zones ne sont pas fixes. »

[110]  Les témoignages de M. Sehra et de M. Kassen sont soutenus par le Décret sur les postes de patrouilles mobiles (le « décret sur les postes »), qui énonce l’attente selon laquelle lorsqu’il y a deux patrouilles, une doit demeurer en mouvement constant, alors que la deuxième doit se positionner selon l’emplacement des activités de loisirs ou des exigences de supervision. Tel que cela a été indiqué antérieurement, le témoignage indique que les mobiles doivent observer la cour pendant les périodes de mouvement en masse, ce qui le matin du 24 février aurait été de 7 h 25 à 8 h 5 alors que les détenus quittaient de leur résidence pour aller prendre le petit‑déjeuner.

[111]  Selon les témoignages de M. Sehra et de M. Kassen et le libellé du décret sur les postes, si le mobile 1 était stationné, le mobile 2 aurait dû avoir passé toutes les deux minutes, ou environ 35 fois.

[112]  Malgré tous ces témoignages, le mobile 2 n’apparaît aucune fois sur la séquence vidéo totale de 75 minutes.

[113]  Après que la séquence vidéo a été jouée devant la Commission (pendant le témoignage de M. Kassen), l’employeur a cité de nouveau M. Sagoo à témoigner. Des parties de la vidéo ont été jouées de nouveau et on lui a demandé pourquoi le mobile 2 n’apparaissait pas.

[114]  La représentante du fonctionnaire s’est opposée à la nouvelle citation à témoigner de M. Sagoo parce qu’il avait été dans la salle pour une partie des témoignages de M. Fitzgerald et de M. Kassen. J’ai décidé d’autoriser le témoignage parce j’estimais qu’il était essentiel de comprendre la raison pour laquelle le deuxième mobile n’apparaît pas.

[115]  Lorsqu’il a été cité de nouveau à témoigner, M. Sagoo a déclaré que les mobiles à Mission moyenne utilisaient souvent un système de zone diagonal dans lequel l’un patrouille les côtés nord et ouest et l’autre les côtés est et sud. En contre‑interrogatoire, il a admis que cela ne figure pas dans le décret sur les postes et que cela fait partie de la stratégie visant à [traduction] « essayer de rendre la patrouille imprévisible ».

[116]  En d’autres termes, le témoignage subséquent de M. Sagoo indiquait clairement que le décret sur les postes mobiles n’est pas respecté rigoureusement.

[117]  À la lumière de tout cela, la décision de M. Dekort de se stationner apparaît quelque peu différente par rapport à ce dont elle avait l’air à l’origine, tant au moment où la mesure disciplinaire a été imposée qu’aux premières étapes de l’audience. Il est clair qu’il existe une pratique de couverture par zone et que le stationnement dans une zone pendant les périodes de déplacement en masse est logique.

[118]  En outre, tout comme l’a dit M. Dekort dans son témoignage, l’endroit où il s’est stationné est à proximité de ce qui est appelé [traduction] « le terrain nord problématique ». Il a déclaré qu’il s’agit de l’approche la plus commune pour contrer les colis volants. Cette déclaration est corroborée par la preuve relative aux activités de drones. Dans les notes de breffage, environ la moitié signalaient des repérages de drones dans les environs de la Tour 3, où se trouvait M. Dekort. Il a témoigné en disant que les patrouilles mobiles s’y arrêtaient souvent.

[119]  Un courriel envoyé à tous les agents correctionnels le 6 juillet 2016 mettait l’accent sur le fait que les mobiles constituent une partie essentielle de la stratégie d’interdiction de drones et de drogues et cite le décret sur les postes comme suit : [traduction] « Une patrouille mobile doit demeurer en mouvement constant. Le deuxième mobile doit se positionner en fonction de l’emplacement des activités de loisirs et/ou des exigences de supervision. »

[120]  Encore une fois, même si cela offre une certaine justification officielle de la raison pour laquelle M. Dekort s’est stationné où il l’a fait, cela suggère toujours que le mobile 2 devrait avoir passé près du mobile 1 à un moment donné au cours de la période de 75 minutes.

[121]  La décision de M. Dekort de demeurer immobile pendant 75 minutes était la mauvaise décision. Elle n’était pas conforme à sa formation ni au décret sur les postes mobiles. Regroupé à la décision d’enlever ses bottes et son gilet, d’incliner son siège et de fermer ses yeux au moins jusqu’au point de s’endormir, il s’agissait d’une mauvaise décision qui touche sa carrière. Il n’était pas alerte ni attentif et ne participait pas à la sécurité active.

[122]  Toutefois, dans le cadre des pratiques en vigueur à Mission moyenne, le fait de demeurer dans une seule zone sans engagement et sans que le deuxième mobile n’y passe semble constituer une pratique acceptable. Il comporte un certain lien logique au but consistant à observer les détenus et d’être à proximité de l’endroit où les drones apparaissent régulièrement, même si ce n’est pas pour une durée aussi longue que 75 minutes.

E. Les actes de M. Dekort sont‑ils susceptibles de jeter le discrédit sur le Service?

[123]  Revenant à la lettre de licenciement, le fonctionnaire accepte qu’il ait contrevenu à la « Règle 1, Responsabilité dans l’exécution des tâches » du Code de discipline, notamment en négligeant ses fonctions d’agent de la paix et en omettant de respecter les lois applicables, la directive du commissaire et les ordres permanents (plus particulièrement en enlevant ses bottes, son gilet et en demeurant immobilisé aussi longtemps qu’il a fait).

[124]  Toutefois, le fonctionnaire a contesté la conclusion selon laquelle il a contrevenu à la « Règle 2, Conduite et apparence » en se conduisant « […] d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service […] ». Il s’est plaint que cela n’a pas été invoqué à la réunion disciplinaire et qu’il avait pris connaissance de cette allégation pour la première fois uniquement lorsqu’il a été congédié. Il a soutenu que cette omission ne peut pas être remédiée par une audience de novo (c.‑à‑d. une audience qui tranche une question de nouveau) et que je devrais infirmer cette conclusion de l’employeur. Il a soutenu que le fait de prouver une inconduite uniquement en fonction de deux des trois allégations exige que l’arbitre de grief évalue de nouveau le caractère approprié de la mesure disciplinaire. Il a invoqué Lloyd c. Canada (Procureur Général), 2016 CAF 115, au par. 23.

[125]  De plus, il a soutenu que l’établissement d’un discrédit sur le Service exige un niveau élevé de preuve, en invoquant Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 76 (« Tobin 2011 »). Cette affaire concernait une nouvelle audition d’un grief à la suite d’appels d’une décision antérieure à son égard devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. L’affaire concernait un fonctionnaire s’estimant lésé qui avait été congédié à la suite de son arrestation pour le harcèlement criminel d’une employée occasionnelle. Le fonctionnaire s’estimant lésé a plaidé coupable à une des six accusations et s’est vu imposé une probation de 18 mois. L’affaire a attiré une attention médiatique importante à Kingston, en Ontario. L’employeur l’a ensuite licencié.

[126]  Dans Tobin 2011, l’arbitre de grief a évalué de nouveau les éléments de preuve à la suite des directives de la Cour d’appel fédérale et a quand même conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver que le fonctionnaire s’estimant lésé avait jeté le discrédit sur le Service.

[127]  En l’espèce, l’employeur a répondu en disant que la lettre de licenciement n’énonce pas que les actes de M. Dekort avaient jeté le discrédit sur le Service, uniquement que ses actes étaient [traduction] « susceptibles d’y jeter le discrédit ». La mission de SCC est de protéger le public et si ce dernier prenait connaissance qu’il avait été autorisé à dormir alors qu’il était en fonction, cela serait susceptible de jeter le discrédit sur le Service.

[128]  Je n’ai aucune raison de douter que la première fois que le fonctionnaire a entendu l’accusation voulant que ses actes étaient [traduction] « susceptibles de jeter le discrédit sur le Service » était au moment de son licenciement, ce qui a fait en sorte qu’il lui a été difficile d’y répondre avant que la décision de licenciement ne soit prise. Je conclus également que l’employeur en l’espèce n’a fourni aucune preuve directe quant à la façon dont ses actes auraient été susceptibles de jeter le discrédit sur lui.

[129]  En même temps, une lecture attentive de Tobin 2011 indique que dans cette affaire, l’employeur n’a pas invoqué le même libellé que celui utilisé dans l’affaire concernant M. Dekort. Dans Tobin, l’employeur avait établi un seuil plus élevé, déclarant au paragraphe 115 que le fonctionnaire s’estimant lésé avait « […] jeté le discrédit sur le Service correctionnel du Canada […] ». L’arbitre de grief a rejeté cet argument pour motif de preuve insuffisante, même si en fin de compte, il a confirmé le licenciement.

[130]  En l’espèce, l’employeur a soutenu uniquement que les actes de M. Dekort étaient [traduction] « susceptibles de jeter le discrédit sur le Service ». Dans son argumentation finale, il a établi un lien entre l’énoncé [traduction] « susceptibles de jeter le discrédit » et le résultat s’il était fait droit au grief, déclarant essentiellement que son rétablissement dans ses fonctions aurait une incidence négative sur l’institution aux yeux du public si ses actes étaient approuvés.

[131]  Je suis d’accord avec l’employeur pour dire que les actes de M. Dekort étaient susceptibles de jeter le discrédit sur le Service. Même si des événements à un établissement ne sont pas susceptibles de générer une attention publique, il demeure possible qu’ils soient révélés et le public aurait raison d’avoir une mauvaise impression du Service si ce dernier a toléré qu’une personne abandonne son poste comme l’a fait M. Dekort.

[132]  Cela étant dit, l’accusation voulant que les actes du fonctionnaire étaient [traduction] « susceptibles de jeter le discrédit sur le Service » est fondée uniquement dans la mesure où les deux autres accusations sont confirmées. Il ne s’agit pas réellement d’une accusation indépendante. Puisque j’ai décidé que M. Dekort a contrevenu aux autres règles prévues dans le Code de discipline, le fait de conclure qu’il s’est livré à des actes qui sont [traduction] « susceptibles de jeter le discrédit sur le Service » n’ajoute pas grand-chose à l’analyse de l’espèce. Les allégations qu’il a reconnues sont d’une ampleur si considérable que j’estime que j’aurais pu conclure que M. Dekort s’est livré à une inconduite justifiant une mesure disciplinaire à la lumière de celles‑ci uniquement.

V. Question 2 – L’inconduite de M. Dekort justifie‑t‑elle son licenciement?

[133]  En bref, j’ai conclu que M. Dekort s’est livré à une inconduite grave le matin du 24 février 2017. Il a délibérément enlevé une partie de son équipement de sécurité et s’est mis dans une position où il ne pouvait pas exécuter de manière efficace les fonctions de son poste. Toutefois, j’ai conclu que la mesure dans laquelle il a abandonné son poste n’est pas aussi importante que suggéré dans la note de breffage et la lettre de licenciement de l’employeur. J’ai conclu que les risques découlant de ses actes étaient graves, mais qu’ils étaient atténués par d’autres systèmes de sécurité. J’ai constaté des incohérences entre les décrets sur les postes mobiles et le comportement habituel, ce qui fait en sorte que l’immobilisation de M. Dekort est moins grave. J’ai également constaté que le rôle des patrouilles mobiles pour lutter contre le problème lié aux drones est limité par la nature du poste.

[134]  Ces constatations, regroupées avec l’analyse des arguments de l’employeur et du fonctionnaire, m’amènent à conclure que le licenciement de M. Dekort constituait une sanction excessive. Les arguments de l’employeur suivaient six principaux thèmes et le fonctionnaire a répondu à l’aide de cinq principaux thèmes. J’analyserai chacun des thèmes à tour de rôle, en commençant par les trois premiers fournis par l’employeur.

A. Un arbitre de grief devrait intervenir relativement à une sanction disciplinaire uniquement lorsqu’elle est erronée ou déraisonnable

[135]  L’employeur a soutenu qu’un arbitre de grief ne devrait intervenir relativement à une décision disciplinaire que si elle est clairement déraisonnable. Étant donné le niveau de l’inconduite de M. Dekort, l’importance du poste mobile en général, et plus particulièrement les problèmes liés aux drones, le licenciement constituait une proposition raisonnable.

[136]  À l’appui de ce principe, l’employeur a cité l’affaire Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119, au par. 13, où l’arbitre de grief a adopté le principe selon lequel « […] l’arbitre ne doit pas intervenir [pour mitiger une mesure disciplinaire] même s’il estime qu’une peine légèrement moins sévère aurait été suffisante. Il est évident que la détermination d’une mesure disciplinaire appropriée est un art et non une science. […] » Cette conclusion a été réaffirmée dans Ranu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 89, plus particulièrement aux paragraphes 45 et 49.

[137]  Il convient de noter que Cooper concernait une fonctionnaire s’estimant lésée qui avait fait preuve d’un comportement violent envers un gestionnaire et à l’égard de laquelle une sanction pécuniaire de 160 $ a été imposée et qui n’a pas comparu à l’audience. Malgré l’application du principe, l’arbitre de grief a également étudié la question de savoir si une sanction moins sévère aurait convenu et il a conclu par la négative.

[138]  Ranu concernait un agent correctionnel qui avait omis d’effectuer deux patrouilles de sécurité dans une unité d’isolement parce qu’il s’était endormi. Il a ensuite inscrit ces patrouilles dans le registre comme s’il les avait effectuées et a enfin nié avoir falsifié les registres jusqu’à ce que la preuve vidéo lui soit fournie. En ce qui concerne cette prétendue inconduite, une suspension de 30 jours sans rémunération lui a été imposée et elle été confirmée par l’arbitre de grief. Il convient de noter que le jour où le fonctionnaire s’estimant lésé dans Ranu a fait preuve d’inconduite, il avait été informé qu’une suspension antérieure de 10 jours avait été convertie à une suspension de trois jours.

[139]  Toutefois, l’arbitre de grief dans Ranu ne s’est pas arrêtée à la question de savoir si la décision de l’employeur était raisonnable. Elle a également imposé le fardeau au fonctionnaire s’estimant lésé « […] de [la] convaincre qu’il est juste et raisonnable pour [elle] de substituer une sanction moins sévère » et elle a conclu qu’il ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

[140]  À l’aide de cet argument, l’employeur me demande essentiellement d’adopter une norme de contrôle du caractère raisonnable des décisions disciplinaires. Si cette proposition a effectivement été présentée, je ne retiens pas l’argument. Je fais remarquer que l’art. 230 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) prévoit expressément ce type de norme dans les cas portant sur le licenciement pour rendement insuffisant afin de décider s’il était raisonnable qu’on estime le rendement du fonctionnaire insuffisant. La Loi ne prévoit pas cette norme relativement aux licenciements pour inconduite.

[141]  Selon Wm. Scott et Basra, la question qu’un arbitre de grief doit trancher dans un cas portant sur le licenciement pour inconduite est la suivante : [traduction] « La mesure disciplinaire que l’employeur a imposée était‑elle une sanction excessive dans les circonstances? » Cela diffère de l’évaluation du caractère raisonnable.

B. Les agents correctionnels sont tenus de respecter des normes de conduite plus élevées

[142]  Ce principe est bien établi par la jurisprudence de la Commission, tel que cela a été indiqué dans Bridgen c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 92, au par. 106. En fait, le fonctionnaire n’a pas contesté cet argument. En tant qu’agents de la paix, les agents correctionnels sont chargés d’appliquer la loi. Leur désignation en vertu du Code criminel et le fait qu’ils sont armés et autorisés à recourir à la force afin de protéger la sécurité des détenus, d’autres membres du personnel et du public font en sorte que leur comportement doit répondre à une norme très élevée. En conséquence, un effort délibéré d’abandonner son poste ou de réduire de manière considérable sa capacité de répondre à une urgence soudaine est beaucoup plus grave dans un milieu correctionnel par rapport à la grande majorité des postes dans la fonction publique.

[143]  Cela dit, les décisions invoquées par l’employeur portant sur ce principe n’appuient pas de manière constante la décision de licencier M. Dekort. Par exemple, dans Desjarlais c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 88, la fonctionnaire s’estimant lésée s’est vue imposer une sanction pécuniaire d’une journée pour avoir maintenu une porte ouverte vers le PPCC dans un établissement à sécurité moyenne. L’employeur estimait qu’elle avait menti en disant qu’elle n’avait pas maintenu la porte ouverte; toutefois, la preuve vidéo a montré de façon concluante qu’elle ne l’avait pas fermée de manière sécurisée. L’arbitre de grief a conclu qu’elle n’avait pas menti intentionnellement et que malgré le fait qu’il ait retenu le principe selon lequel les agents correctionnels doivent respecter une norme plus élevée, il a remplacé la sanction par une réprimande écrite.

[144]  Dans McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, une agente correctionnelle a été licenciée pour avoir contrefait la signature de son médecin sur neuf certificats médicaux dans le contexte d’absences prolongées du travail en raison de congés de maladie. L’arbitre de grief a confirmé son licenciement, mais la décision avait été considérablement influencée par le déni soutenu de sa contrefaçon, sa courte période d’emploi (4,5 ans) et le fait qu’un an avant, elle s’était vue imposer une sanction pécuniaire équivalente à cinq jours de rémunération pour avoir entretenu une relation avec un détenu. Il s’agit de facteurs très différents de ceux en litige en l’espèce.

[145]  Le licenciement dans Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 10, a été confirmé, mais il s’agissait d’un fonctionnaire qui comptait trois ans de service et qui avait été congédié après avoir subi une surdose de drogues hors des heures de service, ce qui a entraîné une perte de conscience. Il a ensuite été accusé de possession en vue de trafic de cocaïne, crack et cannabis.

[146]  Le résultat dans Yayé c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 51, était également le licenciement. Dans cette affaire, un agent correctionnel avait été affecté à la tâche de vérifier chaque cellule une fois par heure afin de s’assurer que les détenus dans chaque cellule étaient bien en vie. Pendant la nuit, un détenu s’est suicidé. La preuve vidéo montre que l’agent avait constamment omis de vérifier les cellules lorsqu’il a effectué chaque patrouille et qu’il avait plutôt simplement parcouru la rangée en brandissant le faisceau de sa lampe de poche d’un côté à l’autre.

[147]  Dans les deux cas, les arbitres de griefs soumettent les agents correctionnels à une norme plus élevée, mais ils évaluent aussi attentivement l’ensemble des éléments de preuve. Le licenciement n’était pas automatique. Dans Yayé, au paragraphe 119, l’arbitre de griefs, en formulant des commentaires sur ses décisions dans Cooper et dans d’autres affaires semblables, déclare ce qui suit :

[119] […] à mon avis, toutes ces affaires appuient le même principe selon lequel une sanction disciplinaire imposée par l’employeur contre un employé doit être justifiée dans les circonstances, elle doit tenir compte de l’ensemble des circonstances aggravantes et atténuantes et elle doit être raisonnable. Une sanction raisonnable n’est pas excessive. Selon la preuve dont je suis saisie, je conclus que la cessation d’emploi du fonctionnaire n’était pas excessive et qu’elle était raisonnable […]

[148]  En l’espèce, je retiens le fait qu’un agent correctionnel doit respecter une norme plus élevée, mais cela ne m’amène pas à confirmer le licenciement.

C. L’honnêteté est la pierre angulaire de la relation d’emploi

[149]  En soutenant que l’honnêteté est la pierre angulaire de la relation d’emploi, l’employeur visait à justifier l’imposition du licenciement dans une affaire où l’on a constaté qu’un employé a menti. En conséquence, l’employé a endommagé la relation d’emploi au point que l’employeur a raison d’y mettre fin.

[150]  Grâce à ce principe, l’employeur fonde ses arguments sur sa conclusion selon laquelle M. Dekort a menti sur le fait qu’il s’est endormi dans la patrouille mobile pendant une longue période. Tel que je l’ai indiqué, je conclus qu’il n’existe pas de preuve sérieuse permettant d’établir qu’en fait, il s’était endormi pendant une période prolongée. J’ai conclu antérieurement que les témoignages des témoins de l’employeur et du fonctionnaire étaient contradictoires. Je suis parvenu à cette conclusion après avoir conclu que l’employeur avait accordé un poids insuffisant à l’appel radio de 8 h 18 et au motif qu’il n’avait pas saisi la rencontre à la fenêtre du véhicule lorsqu’il a obtenu la séquence vidéo. En outre, à partir du moment où il a rencontré M. Sagoo à l’établissement, M. Dekort a reconnu son méfait. Il n’a jamais menti sur le fait d’avoir stationné le véhicule, d’avoir enlevé ses bottes et son gilet, de s’être incliné sur le siège et d’avoir fermé ses yeux.

[151]  Cette situation diffère beaucoup des affaires invoquées par l’employeur aux fins de ce principe, lesquelles comprennent plusieurs des affaires précitées, y compris McKenzie, Richer et Yayé, dans lesquelles la malhonnêteté continue constituait un facteur. À cette analyse, l’employeur a ajouté Roberts c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 28, dans laquelle l’arbitre de grief a confirmé le licenciement d’un agent correctionnel qui avait recouru à la force excessive à l’endroit d’un détenu et qui n’a pas cessé de maintenir sans en démordre qu’il n’avait rien fait de mal.

[152]  L’employeur a également fait valoir le principe de l’honnêteté en citant Matthews c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 38. Le fonctionnaire s’estimant lésé dans cette affaire était un CX‑02 chargé de l’escorte d’un détenu pour des motifs non liés à la sécurité vers une maison de transition en Nouvelle‑Écosse. Il a autorisé une pause déjeuner non autorisée dans un pub afin de rencontrer le fils du détenu. Le fonctionnaire s’estimant lésé a ensuite collaboré avec le détenu et son agent de libération conditionnelle en vue de cacher le déjeuner au pub à ses cadres supérieurs. Il n’a pas indiqué les renseignements sur la pause au pub dans son RODA et ne l’a admis que beaucoup plus tard, pendant une enquête effectuée par l’établissement parce que ce dernier soupçonnait que le détenu avait introduit illégalement des stupéfiants dans l’établissement.

[153]  Même si le fonctionnaire s’estimant lésé dans Matthews avait collaboré activement avec un détenu en vue de mentir au sujet des événements de la journée, l’arbitre de grief a conclu que le licenciement constituait une sanction trop sévère, étant donné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait exprimé des remords et démontré la capacité de se racheter. Au lieu du licenciement, l’arbitre de grief a ordonné une suspension jusqu’à la date de la décision (environ deux ans) et une rétrogradation au groupe et niveau CX‑01.

D. Le fonctionnaire a assumé la responsabilité de ses actes

[154]  À partir de ce fait, j’examinerai maintenant l’un des principaux arguments du fonctionnaire.

[155]  Un facteur clé de la décision de l’employeur de licencier M. Dekort était son évaluation selon laquelle il avait omis d’assumer la responsabilité de ses actes. En d’autres termes, aussi flagrants fussent ses actes le matin du 24 février, son manque de remords perçu a convaincu l’employeur qu’il ne pouvait pas apprendre de ses erreurs. Il a conclu qu’il avait été malhonnête au sujet de ce qui s’était produit ce matin‑là. La malhonnêteté perçue et le manque de responsabilisation ont contribué à la rupture du lien de confiance.

[156]  En conséquence, les principales questions que je dois trancher sont celles de savoir si M. Dekort a exprimé des remords et s’il a démontré qu’il pouvait apprendre des erreurs qu’il a commises ce matin‑là. En d’autres termes, selon la logique de Matthews (plus particulièrement au paragraphe 156), M. Dekort a‑t‑il démontré qu’il est récupérable?

[157]  J’estime que M. Dekort a exprimé beaucoup de remords et qu’il a assumé une plus grande responsabilité de ses actes que ce que l’employeur lui a accordée. Il l’a communiqué à l’employeur d’une manière plus importante que celle reconnue dans sa lettre de licenciement. Cela dit, il se peut que l’étendue de son expression de remords n’ait pas été communiquée à l’employeur avant sa décision de le licencier; ses déclarations les plus claires et les plus solides selon lesquelles il assumait la responsabilité de ses actes ont été prononcées uniquement durant la réunion portant sur la mesure disciplinaire tenue le 4 mai 2017 et à l’audience devant la Commission.

[158]  Je commencerai par la conversation entre M. Sagoo et M. Dekort le matin du 24 février. Les témoignages contradictoires des deux témoins sont instructifs. N’oubliez pas que cette réunion a été tenue à l’établissement, après que M. Dekort a été relevé de ses fonctions pour la journée. Selon ce que se rappelait M. Sagoo, elle a duré environ 20 à 30 minutes. Il se souvenait d’avoir discuté avec M. Dekort au sujet de la sécurité de l’établissement, de la sécurité du public, de la nature armée du poste et de l’importance accrue du poste mobile, étant donné les problèmes liés aux drones. Toutefois, pendant son témoignage, il ne pouvait pas se souvenir des détails de ce que M. Dekort lui avait dit.

[159]  M. Dekort se souvenait que pendant cette conversation, M. Sagoo était [traduction] « contrarié et déçu à mon égard et j’étais du même avis. » Il a commencé à expliquer sa version de ce qui s’était produit et il se souvenait que M. Sagoo a dit : [traduction] « Je ne tolérerai pas qu’une personne me mente. » M. Dekort a décidé de ne pas donner une explication trop détaillée de ce qui s’était produit et il n’a donc pas parlé de son mal de dos ou de ses allergies. Il a témoigné en disant ce qui suit : [traduction] « À ce stade, j’ai décidé de me jeter sur mon épée […] et d’accepter ma punition. »

[160]  Bref, M. Dekort a su immédiatement qu’il avait commis une erreur grave et sa réponse à ce moment‑là était d’accepter le sermon de M. Sagoo.

[161]  Les remords ressentis par M. Dekort sont également évidents dans les récits et la transcription de la réunion disciplinaire du 9 mars. Même s’il n’a pas reconnu qu’il s’était endormi, il a reconnu avoir enlevé ses bottes et son gilet et avoir pris de mauvaises décisions. À la réunion, à la question de savoir ce qu’il doit modifier relativement à son comportement, il répondu ce qui suit : [traduction] « Être intérieurement responsable et progresser grâce à de meilleures décisions. » À la question de savoir s’il comprenait l’importance du risque qu’il avait créé, il a répondu comme suit : [traduction] « Oui je le comprends et ça me tracasse beaucoup à l’instant. Je ne peux exprimer la mesure dans laquelle je me sens coupable ni à quel point je le regrette. »

[162]  Malgré cela, la note de breffage du 21 mars rédigée par les Relations de travail indiquait que [traduction] « […] l’incapacité [de M. Dekort] d’assumer la responsabilité de son comportement et l’absence de facteurs atténuants signalés à l’audience ont créé une préoccupation supplémentaire par rapport au risque qu’il représente. » La lettre de licenciement livrée le 4 mai déclare ce qui suit en tant que conclusion : [traduction] « Vous n’avez aucunement assumé la responsabilité de vos actes et vous ne comprenez pas non plus la gravité de vos actes. »

[163]  Je n’ai aucun doute que l’employeur n’a pas entendu ce qu’il souhaitait entendre ou devait entendre : une reconnaissance réelle selon laquelle il s’était endormi et qu’il avait l’intention de s’endormir. Toutefois, il n’a clairement pas absorbé entièrement ce que M. Dekort a réellement dit à la réunion du 9 mars. Cela a été exacerbé par le fait que la totalité de la réunion disciplinaire n’a duré que 10 minutes et n’a pas été suivie par une autre enquête ou discussion.

[164]  M. Dekort n’a exprimé ses remords qu’une fois la lettre de licenciement livrée, à la toute fin de la réunion du 4 mai lorsque sa représentante syndicale lui a demandé s’il avait quelque chose à ajouter. Il a parlé pendant plusieurs minutes, même s’il savait qu’il était trop tard, au sujet de son profond regret. Il s’est décrit comme étant réellement repentant. Il a reconnu avoir pris de mauvaises décisions et a expliqué que le stress découlant de son emploi y avait contribué. Il a exprimé un désir d’apprendre et a indiqué qu’il s’efforçait de s’améliorer. Il a déclaré qu’il était vraiment désolé, mais il a également discuté des aspects du travail qu’il estimait avoir bien fait. Il a demandé qu’on lui donne une autre chance de prouver qu’il pouvait apprendre de ses erreurs.

[165]  Puisque son grief n’a pas été présenté au dernier palier, la prochaine occasion que M. Dekort a eue pour discuter de l’incident était à l’audience. Ce qu’il a dit sous serment était entièrement compatible avec les déclarations qu’il a faites en mai 2017. Il regrettait sincèrement ce qu’il a qualifié comme un [traduction] « moment qui a changé sa vie, fondé sur un court moment dans le passé. » Il a parlé encore une fois du bon travail qu’il avait effectué sur une période de neuf ans : soit la protection des Canadiens, l’exécution de ses tâches, aider les autres agents, contribuer à sauver des vies, essayer de réanimer les détenus décédés et offrir des conseils aux délinquants.

[166]  Sa volonté d’assumer ses responsabilités est évidente en outre par la proposition de remplacer le licenciement par une suspension prolongée de 12 à 24 mois.

E. Il semble que les mesures disciplinaires antérieures ont eu une influence inappropriée sur la décision de licencier le fonctionnaire

[167]  Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur a discuté de mesures disciplinaires antérieures avant de rendre sa décision de le licencier, contrevenant à la convention collective.

[168]  La convention collective conclue entre les parties comprend la clause suivante :

17.09 Tout document ou toute déclaration écrite concernant une mesure disciplinaire qui peut avoir été versé au dossier personnel de l’employé‑e doit être détruit au terme de la période de deux (2) ans qui suit la date à laquelle la mesure disciplinaire a été prise, pourvu qu’aucune autre mesure disciplinaire n’ait été portée au dossier dans l’intervalle.

[169]  Dans son courriel du 1er mars à l’intention de M. Kassen, le GC Sagoo a indiqué ce qui suit : [traduction] « Les RT ont été consultées et Nancy m’a informé des mesures disciplinaires antérieures suivantes imposées à l’égard du CX Dekort : deux mesures disciplinaires en 2014 (une, je crois, concernait la possession d’un téléphone cellulaire à l’intérieur de l’établissement) […] Une mesure disciplinaire en 2009 (s’être endormi pendant qu’il était en service). »

[170]  Il a ensuite déclaré ce qui suit : [traduction] « Celles‑ci datent de plus de deux ans, nous ne pouvons donc pas les utiliser en vue de les intégrer dans nos mesures disciplinaires. Toutefois, j’estime qu’elles devraient être reconnues, surtout le fait qu’il s’est endormi en 2009. »

[171]  Malgré cet avertissement, ces renseignements ont été soulevés lors de la réunion disciplinaire du 9 mars. M. Kassen a mentionné le téléphone cellulaire, le fait qu’il s’était endormi en 2009 et un problème concernant la disparition de ses menottes. Il a demandé à M. Dekort si ces incidents étaient exacts. Le représentant syndical du fonctionnaire, Brian Kersey, est intervenu et a déclaré que ces incidents remontaient à bien plus de deux ans. La discussion a pris presque 2 des 10 minutes qu’a duré la réunion. M. Kassen a ensuite reformulé la question en tant que question concernant son caractère en lui demandant : [traduction] « […] selon vous, que doit-il se produire afin de susciter un changement continu relativement à l’incident? »

[172]  Pendant son témoignage, M. Kassen a déclaré qu’il n’avait pas tenu compte des mesures disciplinaires antérieures lorsqu’il a décidé de licencier le fonctionnaire, et que les événements du 24 février étaient tellement flagrants qu’ils ont permis de prendre la décision de le licencier. En contre‑interrogatoire, il a également témoigné en disant qu’il avait utilisé des connaissances personnelles et qu’il avait voulu poser des questions afin de comprendre le comportement du fonctionnaire. Toutefois, en contre‑interrogatoire, il a également reconnu qu’il n’avait pas commencé à travailler à Mission moyenne avant décembre 2010, bien après les événements de 2009.

[173]  La lettre de licenciement énonce que la décision de licencier a été prise après que M. Kassen [traduction] « […] a examiné les états de service [du fonctionnaire] et [ses] dossiers du rendement. » En contre‑interrogatoire, il a témoigné en disant qu’il n’avait pas consulté personnellement le dossier de M. Dekort, mais qu’il avait plutôt consulté les Relations de travail.

[174]  Aucun renseignement positif ou négatif sur le rendement n’a été déposé en preuve, autre que le témoignage de M. Dekort selon lequel il souhaitait que son [traduction] « bon travail » soit reconnu.

[175]  La preuve est tout à fait claire. Les Relations de travail avaient accès aux renseignements sur les mesures disciplinaires antérieures, qu’elles ont communiqués à M. Sagoo. Il a dit simultanément que l’employeur [traduction] « ne peut pas utiliser » les renseignements, mais qu’ils [traduction] « devraient être reconnus ». M. Kassen les a ensuite présentés lors de la réunion disciplinaire.

[176]  M. Sagoo et M. Kassen ont reconnu que les mesures disciplinaires antérieures n’auraient pas dû figurer dans le dossier des Relations de travail. Je ne suis pas convaincu que M. Sagoo ou M. Kassen avaient des connaissances personnelles des événements antérieurs.

[177]  Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que les renseignements fournis par les Relations de travail ont au moins influé indirectement la décision de licencier le fonctionnaire. Cela n’aurait pas dû se produire.

[178]  Le dossier en place au moment du licenciement aurait dû être un dossier indiquant que M. Dekort n’avait fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire depuis deux ans. Le processus disciplinaire aurait dû avoir été mené entièrement et nettement sur ce fondement.

F. Les arbitres de grief devraient corriger un manque d’équité.

[179]  Le fonctionnaire a soutenu que plusieurs autres aspects du processus disciplinaire représentaient des manques d’équité. En reconnaissant que de tels manquements peuvent être corrigés par le processus de novo d’une audience, le fonctionnaire a fait valoir qu’un arbitre de grief peut et devrait corriger de tels manquements. Il a cité le paragraphe 106 de King comme suit relativement à ce point :

106 Il est bien établi qu’une audition de grief est une audience de novo (voir Roberts, par exemple) et que les conclusions tirées dans un rapport d’enquête disciplinaire doivent être prouvées lors de l’arbitrage. La valeur d’un rapport disciplinaire consiste en le fait qu’il offre ou qu’il peut souvent offrir une explication de la justification de la mesure disciplinaire imposée. Néanmoins, un employeur qui prend une mesure en fonction d’une enquête erronée risque de voir ces erreurs exposées à l’arbitrage et le rejet de ses conclusions. Il en est ainsi en l’espèce.

[180]  En analysant les arguments à cet égard, je dois d’abord formuler des commentaires sur l’insuffisance du processus entre les événements du 24 février et le licenciement le 4 mai et sur le fait qu’aucun processus d’enquête n’a été effectué.

[181]  Lors de la première discussion qui a été tenue à l’établissement le 24 février, l’employeur, M. Dekort et son représentant syndical ont discuté de ses actes pendant environ 20 minutes. M. Dekort estimait que la discussion constituait un sermon, qu’il a admis avoir bien mérité et, par conséquent, il a refusé d’en dire trop.

[182]  Après cela, l’employeur, M. Dekort et ses représentants ont consacré exactement 10 minutes à discuter de ce qui s’était produit à la réunion disciplinaire du 9 mars. Une grande partie de cette période a été consacrée à discuter l’état de mesures disciplinaires qui remontaient à plus de deux ans.

[183]  M. Dekort a témoigné en disant qu’il s’attendait à ce qu’un autre processus ait lieu à la suite de la réunion du 9 mars – une enquête ou d’autres discussions – mais cela ne s’est jamais produit.

[184]  L’employeur a indiqué que M. Dekort avait été invité à donner sa version des événements lors de la réunion disciplinaire du 9 mars. C’est exact. L’invitation à la réunion indiquait ce qui suit : [traduction] « Il s’agira d’une occasion pour vous de me donner toute circonstance atténuante dont vous souhaitez que je tienne compte avant de rendre une décision quant à la mesure disciplinaire. » À la réunion, M. Dekort a été invité deux fois à fournir des renseignements supplémentaires.

[185]  L’employeur a également soutenu que M. Dekort aurait pu se présenter à tout moment entre le 9 mars et le 4 mai en vue d’ajouter à ce qu’il avait dit lors de la réunion disciplinaire. C’est également exact.

[186]  Sachant qu’il avait fait preuve d’une inconduite grave et que la direction envisageait actuellement une mesure disciplinaire sévère, le fonctionnaire aurait dû présenter d’autres renseignements. Je comprends qu’il ait pu être réticent, soit par crainte, soit parce qu’il acceptait avoir fait quelque chose de mal. Toutefois, il a commis une grosse erreur en ne présentant pas ces renseignements. Son agent négociateur aurait été sage de l’encourager à ajouter des renseignements supplémentaires et de l’aider à prendre des mesures proactives en vue de communiquer ses remords avant que l’employeur n’ait pris sa décision.

[187]  Cela étant dit, une obligation plus importante s’impose à l’employeur de s’assurer que son processus décisionnel est juste et exact. Dans ce sens, je ne peux pas comprendre pourquoi il n’a pas pris d’autres mesures après le 9 mars, surtout s’il a écouté les appels radio, tel qu’il l’avait promis.

[188]  De plus, rien n’indique que l’employeur a évalué le rendement au travail de M. Dekort ni à Mission moyenne ni à Mission minimale entre le 24 février et sa décision de le licencier.

[189]  Selon le fonctionnaire, la réunion du 9 mars comportait plusieurs problèmes procéduraux qui auraient été corrigés grâce à une enquête. Ni les véritables rapports RODA ni le courriel du 1er mars du GC Sagoo ne lui ont été fournis et toutes les allégations n’ont pas été décrites dans l’invitation à la réunion. Ces problèmes procéduraux ont été soulevés lors de la réunion du 4 mai après que la lettre a été lue à haute voix, moment auquel l’employeur a accepté de tenir un caucus, aux fins de réexamen. Après une courte pause, il est revenu et a dit que la décision de licencier le fonctionnaire était maintenue et que les documents que le fonctionnaire demandait pouvaient être obtenus dans le cadre des procédures d’accès à l’information.

[190]  Le fonctionnaire a cité Dhaliwal c. Conseil du trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionel), 2004 CRTFP 109, afin d’appuyer la proposition selon laquelle un arbitre de grief peut annuler une décision à la hâte sans tous les faits (dans cette affaire, il s’agissait d’un renvoi en cours de stage). En appliquant ce principe à l’espèce, selon l’argument du fonctionnaire, M. Kassen est parvenu à sa décision de le licencier sans mener une enquête intégrale ou sans poser d’autres questions au fonctionnaire au sujet de ses actes.

[191]  Je souscris à cet argument du fonctionnaire et je fais remarquer que les problèmes liés au processus avant le licenciement étaient aggravés par le fait qu’il n’y a eu aucune audience au dernier palier. Le processus interne de règlement des griefs a pour but de donner au fonctionnaire et à son agent négociateur une occasion rapide de rencontrer l’employeur et de tenter de régler les questions. Au contraire, il n’y a eu aucune discussion, aucune révision et aucun règlement informel de conflits. Après que le grief a été renvoyé à la Commission aux fins d’arbitrage, il n’y avait aucune volonté de participer à la médiation. Il y avait simplement une longue attente de deux ans avant que l’affaire ne soit entendue à l’arbitrage.

[192]  Il convient peut‑être d’indiquer qu’au moment de son licenciement, le fonctionnaire comptait plus de neuf ans de service. L’employeur a dit que son service devrait être considéré comme un facteur aggravant puisqu’un employé possédant ce niveau d’expérience aurait dû se montrer plus avisé. Cet argument n’est pas dénué de fondement. Toutefois, en tant qu’employé comptant plus de neuf ans de service, il méritait également de faire l’objet d’un examen plus approfondi – un processus d’enquête plus important – plus de temps pour donner sa version.

[193]  À l’appui du principe selon lequel l’arbitrage devrait corriger un faible processus interne, le fonctionnaire a également cité l’affaire Kinsey c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 30. Cette affaire concernait un employé qui avait une relation d’emploi difficile; à la date de son licenciement, il avait fait l’objet de plusieurs mesures disciplinaires. Le licenciement du fonctionnaire avait été imposé pour son rôle dans la remise en liberté d’un prisonnier sans un laissez‑passer approprié, pour des dérogations au code vestimentaire et pour avoir été en possession de son téléphone cellulaire à l’intérieur d’un établissement. L’arbitre de grief a déclaré ce qui suit au paragraphe 108 : « Une mesure disciplinaire entachée par une violation de la justice naturelle n’est pas appropriée et, pour ce motif, le licenciement du fonctionnaire est annulé. »

[194]  Les manquements en matière d’équité en l’espèce ne sont pas de la même ampleur que ceux dans Kinsey et, pourrait‑on soutenir, le comportement de M. Dekort le matin du 24 février constituait un risque possible plus important pour la sécurité de l’établissement que les fautes multiples commises par le fonctionnaire s’estimant lésé dans Kinsey. En même temps, aucun élément de preuve ne permet de conclure que les antécédents de travail du M. Dekort se rapprochent du type de relation d’emploi difficile saisie dans Kinsey. En fait, les trois témoins de l’employeur ont tous témoigné clairement en disant qu’aucun d’eux n’avait eu de conflit interpersonnel avec M. Dekort.

G. Les licenciements devraient être confirmés lorsque le lien de confiance est irrémédiablement rompu

[195]  Selon les arguments de l’employeur, lorsqu’il a mis en péril les détenus, ses collègues et le public, l’employeur ne pouvait plus être certain que M. Dekort puisse agir en tant qu’agent de la paix.

[196]  Ce principe n’est pas facile à évaluer. Comment évaluons‑nous la perte de confiance? Certes, beaucoup de poids doit être accordé aux témoignages des GC Sagoo et Fitzgerald et du directeur Kassen, qui sont expérimentés, professionnels et bien informés quant au milieu de travail. Chacun d’eux a déclaré qu’il lui serait difficile de réintégrer M. Dekort dans une situation de confiance où d’autres employés auraient à se fier à la sagesse de ses décisions et de ses actes aux fins de leur sécurité. D’autre part, j’ai tenu compte du fait que ce qu’ils ont offert ne constituait que leurs opinions personnelles.

[197]  À l’appui de ce principe, l’employeur a invoqué Gangasingh c. Commission canadienne du lait, 2012 CRTFP 113, une affaire dans laquelle une vérificatrice principale a été jugée avoir conseillé activement une société privée quant à la façon de retarder une demande présentée à son égard par la Commission canadienne du lait. L’employeur a également cité Kelly c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2002 CRTFP 74, dans laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé a été jugé avoir participé à un stratagème de blanchiment d’argent avec un détenu. Dans les deux affaires, les fonctionnaires s’estimant lésés ont maintenu leur innocence jusqu’à ce qu’ils soient confrontés à une preuve incontestable de méfait. En d’autres termes, le principe de lien de confiance est étroitement lié à l’évaluation de l’honnêteté et de la responsabilisation du fonctionnaire, lesquelles j’ai déjà abordées.

[198]  Par ailleurs, des éléments de preuve supplémentaires auraient été requis si l’employeur avait voulu établir cet argument. L’insuffisance de son processus de recherche des faits et l’absence d’une enquête complète ont fait en sorte qu’il est impossible de l’établir. En fin de compte, je dois évaluer ce que j’ai entendu de ses témoins par rapport à ce que M. Dekort a dit au sujet de sa volonté d’apprendre de ses erreurs.

[199]  En ce qui concerne ces arguments, je suis également influencé par le témoignage de M. Sehra, qui a discuté longuement de la formation offerte aux agents du groupe CX, qui comprend leur enseigner les approches qu’ils devraient utiliser pour apprendre de leurs erreurs. J’estime que le fonctionnaire a pris cette formation à cœur. Dans ses déclarations à l’employeur, il y a plus de deux ans, et dans ses déclarations devant la Commission, il a affirmé clairement qu’il assumait la responsabilité de l’erreur et qu’il doit réfléchir quotidiennement quant à la façon de s’améliorer. C’est exactement ce que M. Sehra a dit qu’on demandait aux CX de faire.

[200]  Je sais que M. Dekort devra prouver que le lien de confiance qu’il est tenu de respecter peut être rétabli, mais je suis également convaincu qu’il a bien appris sa leçon.

H. Les licenciements devraient être confirmés lorsque le ou la fonctionnaire a négligé ses fonctions

[201]  L’employeur a cité une série de décisions dans lesquelles les arbitres de griefs ont confirmé le licenciement d’employés qui se sont endormis au travail dans des situations concernant la sécurité, dont la plupart proviennent du secteur privé. Je les ai toutes lues et je ne considère aucune d’elles comme décisive relativement à la décision que je dois prendre. Dans chacune de ces décisions, un arbitre de différends ou un arbitre de grief examine divers facteurs, comme les années de service, le dossier disciplinaire de l’employé, l’incidence possible et réelle du fait de s’endormir au travail et le niveau de responsabilité assumé par l’employé relativement à ses actes.

[202]  Je formulerai des commentaires particulièrement à l’égard d’une autre décision qui a confirmé un licenciement, citée par l’employeur, qui concernait un milieu correctionnel fédéral, soit Tousignant v. Treasury Board (Solicitor‑General of Canada), [1979] C.P.S.S.R.B. No. 26 (QL). Dans cette affaire, un agent correctionnel armé s’était endormi dans une tour de contrôle et on a dû le secouer physiquement et [traduction] « lui donner trois coups de pied » pour le réveiller.

[203]  En réponse, le fonctionnaire a invoqué Lagacé c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada ‑ Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166‑02‑16037 (19881007), [1988] C.R.T.F.P.C. no 275 (QL), à l’appui de son argument selon lequel le licenciement constituait une sanction trop sévère pour son inconduite. Comme M. Dekort, le fonctionnaire s’estimant lésé dans Lagacé s’était endormi pendant une patrouille motorisée d’un établissement à sécurité moyenne. Il était armé. Il a dormi aussi longtemps que sept minutes. Le directeur l’a trouvé. Le décret sur les postes de patrouilles mobiles constituait un problème. L’établissement était en état d’alerte élevée parce qu’une arme de poing avait été signalée sur les lieux d’un établissement à proximité et un fusil de chasse avait été volé à proximité. L’employeur avait imposé une sanction pécuniaire de 500 $. L’arbitre de grief, en tenant compte de l’absence de préméditation et du fait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait travaillé plusieurs quarts pendant cette semaine, a réduit la sanction à 200 $.

[204]  Le principal argument de l’employeur à l’encontre de Lagacé était le fait que l’affaire remontait à 1988 et est trop vieille pour offrir une orientation. Toutefois, Tousignant remonte à presque 10 ans de plus que Lagacé. Si l’âge d’une affaire en soi permettrait de déterminer la jurisprudence à suivre, les deux seraient rejetées.

[205]  Toutefois, le fait est qu’il n’existe aucune voie automatique relativement à une évaluation particulière de la question de savoir si le licenciement constituait la bonne décision. Oui, contrairement à Lagacé, M. Dekort n’avait pas travaillé plusieurs quarts et il avait accepté volontairement le quart supplémentaire. Cependant, cela constituait un facteur dans la réduction de la sanction dans Lagacé, passant de 500 $ à 200 $, ce qui ne vise pas le licenciement. Oui, il existe le facteur aggravant du problème lié aux drones en l’espèce, mais dans Lagacé, il existait également un risque récent pour la sécurité – les signalisations d’une arme de poing sur les lieux et le vol d’un fusil de chasse à proximité.

[206]  Dans Tousignant, l’arbitre de grief a confirmé un licenciement pour s’être endormi au travail, mais cette affaire évalue également la jurisprudence de l’époque, imposant des sanctions de deux jours, de trois jours, de cinq jours, de neuf mois et le licenciement.

I. La dissuasion peut être prise en considération dans l’évaluation d’une sanction appropriée

[207]  L’employeur soutient à bon droit que la dissuasion devrait être prise en considération dans l’évaluation d’une sanction appropriée, mais cela ne m’amène pas à confirmer le licenciement compte tenu de toutes les autres contestations énumérées antérieurement. Je crois qu’un message de dissuasion clair est requis, mais qu’il peut être examiné dans le cadre de la troisième et dernière question en litige.

J. Résumé de la question 2

[208]  Dans le cadre de l’analyse de la première question, j’ai conclu que M. Dekort avait fait preuve d’une inconduite grave, mais que le niveau d’inconduite n’était pas aussi élevé que l’avait conclu l’employeur.

[209]  Dans le cadre de l’analyse de la deuxième question en litige, j’ai conclu que le licenciement de M. Dekort n’était pas justifié. Même si je retiens l’argument de l’employeur selon lequel les agents correctionnels doivent respecter une norme plus élevée et qu’un message de dissuasion clair doit être communiqué, un arbitre de grief peut quand même intervenir si la sanction n’est pas justifiée. Afin de parvenir à ma conclusion, j’ai tenu compte du fait que M. Dekort a reconnu ses méfaits, qu’il semble que les mesures disciplinaires antérieures ont influé la décision de le licencier et qu’il existait plusieurs problèmes procéduraux dans le cadre du processus disciplinaire.

[210]  Il faut maintenant répondre à la troisième question posée dans l’analyse de Wm. Scott : Quelle sanction devrait remplacer le licenciement?

VI. Question 3 – Quelle sanction serait appropriée au lieu du licenciement?

[211]  À l’audience, le fonctionnaire a proposé de remplacer le licenciement par une suspension considérable sans solde d’une période entre 12 à 24 mois, ce qui permettrait de reconnaître la gravité de son inconduite.

[212]  L’employeur a soutenu que si je devais conclure que le licenciement de M. Dekort constituait une sanction excessive, je devrais ordonner une indemnité au lieu d’une réintégration, à la suite de laquelle je devrais entendre les parties de manière distincte au sujet de la portée des dommages. La réclamation en dommages plutôt que la réintégration a été présentée parce que, selon l’employeur, le fonctionnaire n’a pas les instincts primaires pour exécuter les fonctions d’un agent correctionnel.

[213]  Le fonctionnaire s’est également réservé le droit de présenter des arguments sur la portée des dommages si je venais à accorder la demande de l’employeur. Toutefois, dans son témoignage, il a indiqué clairement qu’il n’accepte pas la proposition selon laquelle il n’a pas les instincts primaires pour exécuter ses fonctions. Au contraire, il a soutenu qu’il sait qu’il a commis une erreur grave le matin du 24 février, ce qui doit être évalué par rapport à son dossier indiquant qu’il a fait, pendant une période de neuf ans, un bon travail à protéger les Canadiens, à aider les autres agents, à tenter de sauver des vies et à donner des conseils aux délinquants.

[214]  J’accepte que le fonctionnaire ait commis des erreurs de jugement extrêmement graves le matin du 24 février 2017, qui justifiaient une mesure disciplinaire sévère. Je ne retiens pas l’argument selon lequel il n’a pas les instincts primaires pour exécuter ses tâches en fonction d’un seul événement ponctuel. Autre que les événements survenus ce matin‑là, aucun élément de preuve n’a été déposé pour établir qu’il n’est pas compétent à exécuter les fonctions de l’emploi.

[215]  L’employeur a invoqué Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 107, à titre d’autorité pour justifier l’octroi de dommages tenant lieu d’une indemnité. Selon les critères dans Bahniuk, l’indemnité tenant lieu de réintégration doit être envisagée dans des circonstances exceptionnelles, où il existe une preuve qui permet d’établir que les collègues refusent de travailler avec le fonctionnaire et qu’il y a un « […] refus du fonctionnaire d’accepter la responsabilité de ses fautes » (au paragraphe 356) ou lorsque la relation entre le fonctionnaire et l’employeur est devenue tellement « […] irrémédiablement endommagé, et que la relation de travail n’est plus viable » (au paragraphe 374).

[216]  Je n’estime pas que les éléments de preuve déposés par l’employeur permettent d’établir que ces critères ont été remplis dans la situation de M. Dekort. Aucune preuve du refus de ses collègues de travailler avec lui n’a été déposée. Une preuve claire du fait qu’il assume la responsabilité de son méfait a été déposée. Rien ne me permet de conclure que la relation de travail a été irrémédiablement endommagée.

[217]  Le fonctionnaire a invoqué Kinsey à titre d’autorité afin d’ordonner sa réintégration plutôt qu’un octroi de dommages. Même si l’arbitre de grief a « […] débattu pendant un certain temps de la question de savoir s’il est dans l’intérêt supérieur du fonctionnaire de le réintégrer ou si une réintégration ne ferait que le placer dans une situation intenable sur le lieu de travail où chacun de ses mouvements ferait l’objet d’un examen approfondi » (au paragraphe 111), la réintégration a en fait été ordonnée et le licenciement a été remplacé par une suspension de trois mois sans rémunération.

[218]  En décidant quelle sanction devrait remplacer une suspension, je tiens compte du raisonnement de l’arbitre de grief dans Matthews. Matthews et l’espèce concernent toutes les deux un manquement grave aux règles bien établies et un abandon des fonctions d’un agent de la paix. Les deux ont amené l’employeur à douter légitimement de la fiabilité des fonctionnaires s’estimant lésés à exercer les fonctions d’un agent correctionnel, dans lesquelles un bon jugement et de bonnes décisions sont des questions de vie ou de mort. Tout comme Matthews, je suis convaincu que le fonctionnaire s’estimant lésé en l’espèce a établi une volonté profonde de se racheter à l’égard de l’employeur.

[219]  Dans Matthews, l’arbitre de grief a remplacé le licenciement par une suspension à compter de la date de licenciement jusqu’à la date de la décision, en plus d’une rétrogradation du groupe et niveau CX‑02 à CX‑01. Je souligne que le fonctionnaire s’estimant lésé dans Matthews a tenté activement de cacher ses méfaits à l’employeur, ce que M. Dekort n’a pas fait.

[220]  En l’espèce, j’estime qu’une suspension sans rémunération jusqu’à la date de la décision constitue la sanction appropriée.

[221]  Je prends connaissance de deux autres décisions de la Commission qui ont imposé une sanction semblable, soit Andrews c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CRTFP 100, et Hughes et Titcomb c. Agence Parcs Canada, 2015 CRTEFP 75. Analogue au raisonnement des arbitres de griefs dans ces affaires, je suis d’avis qu’un message clair compatible à la mesure de son inconduite doit être communiqué à M. Dekort dans l’espoir qu’il serve de rappel très clair de ses obligations en tant qu’agent de la paix de SCC. Pour ce motif, je rends une décision qui n’entraîne aucune rémunération rétroactive.

VII. Conclusion

[222]  Le matin du 24 février 2017, l’agent correctionnel William Dekort a délibérément enlevé ses bottes et son gilet, s’est incliné sur son siège dans le véhicule et a fermé ses yeux. Il s’est endormi pendant au moins une certaine période. Son attention et son bon jugement étaient gravement réduits. Il a effectivement abandonné son poste mobile armé et a donc omis d’exercer ses fonctions d’agent de la paix et il n’a pas suivi le décret sur les postes mobiles.

[223]  Le fait qu’il n’existait aucun risque immédiat et urgent à ce poste et le principe selon lequel il aurait pu intervenir de manière efficace si un tel risque s’était produit (p. ex. si une personne avait tenté d’entrer dans l’automobile ou si une alarme avait sonné) ne constituent pas des excuses pour son comportement, même s’ils peuvent être pris en considération pour déterminer si le licenciement constituait la bonne mesure disciplinaire.

[224]  Cependant, il n’a clairement pas abandonné son poste autant que l’a conclu l’employeur, et à la première occasion, M. Dekort a reconnu son méfait et a exprimé le désir de s’améliorer. J’ai tenu compte du fait qu’il se peut que la mesure disciplinaire qui a été imposée deux ans auparavant ait influé la décision du directeur de licencier le fonctionnaire. J’ai tenu compte du fait que le processus disciplinaire n’a pas inclus la participation de M. Dekort au‑delà d’une réunion de recherche des faits de 10 minutes et qu’aucune enquête n’a été effectuée, malgré le fait que M. Dekort compte plus de neuf ans de service.

[225]  J’ai conclu que le licenciement constituait une mesure disciplinaire excessive en l’espèce et qu’il doit être remplacé par une suspension prolongée. J’estime que M. Dekort a appris sa leçon, ce qui accroîtra sa capacité de servir en tant qu’agent correctionnel et permettra de rétablir le lien de confiance. Je crois que la suspension prolongée servira de message de dissuasion clair pour la collectivité d’agents correctionnels.

[226]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VIII. Ordonnance

[227]  Le grief est accueilli en partie.

[228]  Le fonctionnaire doit être réintégré dans ses fonctions à compter de la date de signature de la présente décision, et ce, sans rémunération rétroactive.

Le 17 juillet 2019.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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