Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a contesté l’application par l’employeur de la convention collective en ce qui concerne les taux de rémunération des apprentis – historiquement, les taux avaient été établis à 50 % des taux de rémunération du compagnon, ce qui n’était pas le cas dans la dernière convention collective – l’agent négociateur a soutenu que la convention ne reflétait pas la véritable intention et la véritable entente à laquelle étaient parvenues les parties dans le cadre de leurs négociations – la Commission a conclu que le grief devait être rejeté – dans le passé, la rémunération des apprentis était calculée en appliquant un pourcentage du taux de rémunération des compagnons – après les années 1970, cette approche a été remplacée par le montant du taux de rémunération même – la question des taux de rémunération des apprentis n’a pas été discutée à la table de négociation, et le négociateur en chef de l’employeur n’avait pas connaissance de la pratique antérieure – l’agent négociateur avait été informé des montants peu après que les parties sont parvenues à l’entente provisoire, et il avait eu l’occasion de les examiner bien avant la signature de la convention collective révisée – bien qu’il ait soulevé d’autres questions liées au calcul de la rémunération, il n’a pas soulevé celle des taux de rémunération des apprentis – il se peut que l’omission de détecter le problème ait été un oubli de la part de l’agent négociateur, mais il ne s’agit pas d’une erreur incompatible avec l’entente provisoire à laquelle sont parvenues les parties – il n’était pas possible de conclure que, lors de leurs discussions visant à renouveler la convention collective applicable, les parties connaissaient l’existence d’une condition implicite qui différait du libellé lui-même de la convention.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date : 20190807

Dossier : 569‑02‑164

Citation : 2019 CRTESPF 80

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

ENTRE

Conseil des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (Esquimalt, C.‑B.)

agent négociateur

et

Conseil du Trésor

employeur

Répertorié

Conseil des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (Esquimalt, C.‑B.) c. Conseil du Trésor

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l’arbitrage

Devant : Steven B. Katkin, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour l’agent négociateur :  Robin J. Gage, avocate

Pour l’employeur :  Pierre Marc Champagne, avocat

Affaire entendue à Victoria (Colombie‑Britannique),

du 23 au 25 janvier 2018.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION (Traduction de la CRTESPF)

I. Grief de principe renvoyé à l’arbitrage

[1]  Le 1er avril 2014, le Conseil des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (Esquimalt, C.‑B.) (l’« agent négociateur ») a déposé un grief de principe aux termes de l’art. 220 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (maintenant la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Le grief conteste l’application par l’employeur de la convention collective, qui est venue à échéance le 30 janvier 2015, pour le groupe Réparation des navires (Ouest) (la « convention collective applicable ») à l’appendice A, groupe salarial 9 (APC/APD) taux de rémunération des apprentis, colonne Y. Plus particulièrement, le grief est rédigé en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

Les taux de rémunération des apprentis commencent à 50 % du taux de rémunération du compagnon. Dans le tableau de taux de rémunération, il est établi au taux de rémunération APC‑1/APD‑1 et les augmentations d’échelon se poursuivent tout au long de la formation d’apprenti. La colonne Y n’indique pas 50 % du taux de rémunération du compagnon dans le groupe salarial 6 au 31 janvier 2014. Le taux de rémunération à la colonne Y APC‑1/APD‑1 est indiqué comme étant 16,73 $ alors qu’en fait, il devrait être fixé à 17,31 $, et toutes les augmentations par la suite sont également erronées.

[…]

[2]  La mesure corrective demandée se lit comme suit :

[Traduction]

Modifier la colonne Y de l’appendice A, groupe 9, de la convention collective du groupe Réparation des navires (Ouest) qui est venue à échéance le 30 janvier 2015 afin d’indiquer les bons taux de rémunération de départ de APC‑1/APD‑1 correspondant à 50 % du taux de compagnon figurant au groupe 6, soit le taux de rémunération de départ de APC‑1/APD‑1 de 17,31 $ et modifier tous les taux de rémunération subséquents, le cas échéant. Rémunérer rétroactivement tous les employés touchés au 31 janvier 2014.

[3]  Le 1er octobre 2014, l’employeur a rejeté le grief au dernier et seul palier de la procédure de règlement des griefs de principe en indiquant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La convention collective a été signée le 7 décembre 2012. Conformément à la formule de présentation des griefs, le Conseil du Trésor a été informé de la situation le 3 mars 2014. Pour ce motif, je conclus que le grief de principe a été déposé trop tard et il est rejeté pour ce motif.

Subsidiairement, j’ai aussi tenu compte du bien-fondé de l’affaire. Essentiellement, vous soutenez que le taux de rémunération des « apprentis » devrait correspondre à au moins 50 % du taux du « compagnon », parce qu’il en était ainsi dans le passé jusqu’à la date de conclusion de cette convention collective. Le fait qu’il ne correspond pas maintenant à 50 % découle d’un oubli ou d’une erreur.

Bien que cela puisse être vrai, les taux des apprentis négociés antérieurement correspondaient à environ 50 %, ou un peu plus, du taux des compagnons. Aucune disposition de la convention collective – actuelle ou antérieure – ne prévoit cette obligation. La convention actuelle ne comprend aucune disposition qui étaye cet argument non plus. En outre, l’agent négociateur n’a soulevé aucune question relative au taux de rémunération des apprentis à la table de négociation.

L’agent négociateur soutient maintenant que le taux de rémunération publié constitue en fait une erreur. Toutefois, l’agent négociateur a eu l’occasion d’examiner la convention collective provisoire après la clôture des négociations et avant de la signer. Votre représentant s’est prévalu de cette occasion pour passer en revue le document et il a, en fait, soulevé trois erreurs particulières figurant à l’appendice A, lesquelles ont été corrigées. Le taux de rémunération des apprentis ne constituait pas l’une de ces erreurs.

Dans ces circonstances, je n’ai aucune raison de croire que la convention collective signée par les deux parties ne concorde pas parfaitement au règlement auquel elles sont parvenues au moment de sa signature.

[…]

[4]  Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 24 novembre 2014, à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui s’appelle, depuis le 19 juin 2017, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). L’argument quant au respect des délais soulevé par l’employeur dans sa réponse au grief n’a pas été invoqué à l’étape de l’arbitrage et son avocat l’a retiré au cours de l’audience.

[5]  La question en litige dans la présente affaire est bien établie dans l’énoncé du grief et dans la réponse de l’employeur, soit qu’il s’agit de savoir s’il a été établi qu’il est justifié de rectifier les taux de rémunération applicables aux apprentis (appendice A) afin d’indiquer ce que l’agent négociateur soutient être la véritable intention et la véritable entente à laquelle sont parvenues les parties dans le cadre de leurs négociations.

[6]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que le grief devrait être rejeté.

II. Résumé de la preuve

A. Pour l’agent négociateur

[7]  Au moment où l’avocate de l’agent négociateur devait citer son premier témoin à témoigner, l’employeur s’est opposé à l’admissibilité du témoignage aux motifs qu’il constituait une preuve extrinsèque liée aux antécédents des négociations entre les parties, y compris les discussions et les échanges pendant la ronde de négociation qui ont mené à la signature de la convention collective applicable. L’employeur a fait valoir qu’il n’existe aucune ambiguïté dans cette convention qui rendrait admissible cette preuve extrinsèque, puisqu’elle est claire à première vue. L’agent négociateur a soutenu que la preuve des négociations des parties permet d’établir le contexte et le fondement de sa demande d’appliquer la réparation consistant à rectifier la convention collective en vue de corriger l’erreur figurant dans les taux de rémunération fixés à l’appendice A et de refléter la véritable entente à laquelle sont parvenues les parties à la table de négociation.

[8]  J’ai pris l’objection sous réserve et j’ai entendu le témoignage.

1. Dan Quigley

[9]  Dan Quigley était le premier témoin cité à témoigner par l’agent négociateur. M. Quigley était un commissaire de la Commission des relations de travail dans la fonction publique et avant cela de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique (les deux prédécesseurs de la Commission) pendant une période de 11 ans, soit de 2000 à 2011, et avant cette période, il était le président de l’agent négociateur. Il a présenté un document contenant des extraits des conventions collectives négociées par les parties depuis 1972, ainsi qu’un tableau indiquant les taux de rémunération fixés dans celles‑ci au fil des ans à l’égard des apprentis. Il avait participé à leur négociation de 1990 jusqu’à ce que la convention soit venue à échéance le 30 septembre 2003.

[10]  M. Quigley a témoigné que le taux de rémunération de départ pour les apprentis avait toujours été fixé d’une manière qui représente un pourcentage du taux d’un compagnon. Il a fait remarquer que les deux premières conventions collectives (qui sont venues à échéance le 23 mars 1975 et le 28 juin 1978, respectivement) indiquent particulièrement le pourcentage de la rémunération du compagnon pour les apprentis, à chaque échelon. Cette manière de fixer les taux des apprentis a été modifiée à la fin des années 1970 lorsque les parties ont inséré le taux horaire même (par exemple, 5,81 $, 6,29 $ et ainsi de suite) et ils ne sont plus indiqués en tant que pourcentage.

[11]  Le taux de rémunération de départ des apprentis représentait 50 % du taux de rémunération des compagnons aux termes de la convention collective qui est venue à échéance le 23 mars 1975; il représentait 60 % du taux de rémunération des compagnons dans les conventions collectives suivantes jusqu’à celle qui est venue à échéance le 30 septembre 2000. Un apprenti peut passer au prochain échelon de l’échelle salariale après des périodes de six mois ou de 900 heures travaillées, selon le libellé de la convention collective, jusqu’à ce que l’apprenti atteigne le taux de rémunération régulier des compagnons.

[12]  Dans la convention collective qui est venue à échéance le 30 septembre 2003, les parties ont fait une distinction entre les nouveaux employés et les apprentis qui faisaient partie de l’effectif au moment de la signature de la convention en ce que les derniers bénéficiaient de droits acquis et conservaient le taux de 60 %, tandis que le taux des nouveaux employés était établi à 50 % du taux de rémunération des compagnons. Dans la convention collective qui est venue à échéance le 30 janvier 2010, le pourcentage correspondait à 50 % pour tous les apprentis, sans distinction.

[13]  M. Quigley a indiqué qu’en ce qui concerne la convention collective applicable, le taux de rémunération fixé pour les apprentis représentait 48,3 % du taux de rémunération des compagnons pour l’année commençant le 31 janvier 2014.

2. Des Rogers

[14]  Des Rogers est le président national actuel de l’agent négociateur et occupait ce poste pendant la période pertinente. Il a négocié la convention collective applicable au nom de l’agent négociateur de concert avec d’autres représentants syndicaux constituant l’équipe de négociation.

[15]  M. Rogers a examiné les extraits des dispositions pertinentes des conventions collectives conclues entre les parties au cours des 40 dernières années. Il a participé aux négociations qui ont donné lieu à la convention collective qui est venue à échéance le 30 septembre 2003, et à toutes les conventions collectives subséquentes, y compris la convention collective applicable. Le négociateur en chef de l’employeur était John Park aux fins de cette ronde de négociation. M. Rogers a présenté un autre document qui énonce l’offre globale de l’employeur. Elle comprenait des augmentations de salaire à compter du 31 janvier 2012 (1,75 %), du 31 janvier 2013 (1,5 %) et du 31 janvier 2014 (2 %). Elle prévoyait également la fusion des groupes salariaux 4 et 5 en vue de constituer le groupe salarial 6 [traduction] « au taux de rémunération actuel ». Elle n’indique pas particulièrement les taux de rémunération des apprentis.

[16]  M. Rogers a présenté un troisième document qui a trait aux augmentations des apprentis à l’intérieur de l’échelle salariale. Les négociateurs l’ont paraphé et il prévoit un processus simplifié visant à permettre le mouvement à un échelon supérieur au sein de la fourchette salariale sans la nécessité d’une reclassification.

[17]  M. Rogers a renvoyé à un bulletin préparé le 20 août 2012 à l’intention des membres de l’unité de négociation. Il représente la convention provisoire conclue entre les parties à la table. Il a déclaré qu’il indique sa compréhension des changements apportés à la convention collective applicable. Il a affirmé que si des changements avaient été proposés aux taux des apprentis, c’est‑à‑dire, s’ils n’étaient pas demeurés liés au taux de rémunération des compagnons, ils auraient été inclus dans le bulletin. Un autre bulletin, préparé aux fins de la ratification de la convention provisoire par les membres, comprenait une table qui indiquait les taux horaires de rémunération ajustés des compagnons, en raison de la convention provisoire. Le tableau n’indique pas les taux de rémunération des apprentis. Une majorité des membres a ratifié la convention provisoire.

[18]  M. Rogers a reçu une copie d’une note de service signée par Michael Holt, du Conseil du Trésor, à l’intention de tous les directeurs des Ressources humaines et des Relations de travail dans les ministères concernés. La note de service énonce les modalités du « Mémoire d’entente » conclu aux fins du renouvellement de la convention collective pour le groupe Réparation des navires (Ouest). Il tient compte des modalités de la convention collective applicable et comprend un appendice A complet qui énonce les taux horaires de rémunération révisés à la fois pour les compagnons et les apprentis. Le point de départ pour fixer ces taux était les taux expirés aux termes de l’ancienne convention collective auxquels le pourcentage de l’augmentation de salaire convenu a été appliqué. L’augmentation de 1,75 % est indiquée dans les montants pour la première année, à compter du 31 janvier 2012 (colonne A); de 1,5 % pour la deuxième année, à compter de 31 janvier 2013 (colonne B); et 2 % pour la troisième année, à compter du 31 janvier 2014 (colonne C). L’appendice comprend une quatrième colonne (Y), qui indique le taux révisé à la suite de la fusion des groupes salariaux 4 et 5 pour constituer le groupe salarial 6, qui comprend une somme forfaitaire prévue pour les groupes fusionnés en vue de, selon M. Rogers [traduction] « atténuer l’incidence de la transition ». Le fait que le taux de rémunération pour les compagnons ait été déplacé au groupe salarial 6 indiqué à la colonne Y indique un taux de 34,62 $, passant du taux de 33,43 $ indiqué à la colonne C pour le groupe salarial 6, c’est‑à‑dire, après l’augmentation économique de 2 %. Toutefois, le taux de rémunération de départ pour les apprentis est fixé à 16,73 $ à la colonne C et demeure à 16,73 $ à la colonne Y. M. Rogers a expliqué qu’en conséquence, ce chiffre ne correspond plus à 50 % du taux de rémunération d’un compagnon (c’est‑à‑dire, 50 % de 33,43 $, plutôt que de 34,62 $) à la date d’entrée en vigueur de la fusion, mais uniquement à 48,3 %.

[19]  M. Rogers a expliqué que l’agent négociateur a des ressources limitées. Il représente de 700 à 900 membres à un moment donné et seul lui et deux vice‑présidents accomplissent ce rôle. Il a déclaré que l’employeur lui avait donné l’occasion d’examiner le document, ce qu’il a fait. Il n’avait que quelques jours pour l’examiner et il avait été absent du bureau pendant deux semaines. Il a examiné les changements convenus et apportés au libellé de certaines dispositions afin de s’assurer qu’elles tenaient exactement compte des changements convenus. Ses collègues ont examiné l’appendice A et on lui a dit que les montants étaient exacts. Il n’avait pas constaté que les taux de rémunération pour les apprentis n’avaient pas été changés à la colonne Y, ce qui, à son avis, constituait une erreur. Il a témoigné en disant qu’il avait signé la convention collective, qui comprenait l’appendice A tel qu’il figure dans la note de service de l’employeur.

[20]  Le 31 janvier 2014 ou dans les environs, M. Rogers a été informé du fait qu’une plainte avait été déposée par un apprenti selon laquelle il n’avait pas reçu le taux approprié par rapport au groupe salarial 6 fusionné. M. Rogers a alors constaté qu’une erreur avait été commise à la colonne Y à l’égard des apprentis. Il a communiqué avec M. Park et a été informé que l’employeur n’était pas disposé à corriger la convention, ce qui l’a incité à déposer le grief de principe.

[21]  M. Rogers a ajouté qu’en aucun temps les parties n’avaient eu l’intention de modifier la manière dont les taux de rémunération étaient fixés à l’égard des apprentis ou le pourcentage des taux horaires de rémunération des compagnons applicable au taux de départ des apprentis. Il n’estime pas que la colonne Y concorde avec l’accord auquel ils sont parvenus à la table de négociation.

[22]  M. Rogers a renvoyé aux Notes sur la rémunération de la convention collective subséquente (qui est venue à échéance le 30 janvier 2019), dans laquelle un libellé a été ajouté en vue de tenir compte de la [traduction] « règle de 50 % ». Cette dernière énonce que les taux de rémunération de départ des apprentis correspondent à 50 % du taux des compagnons (groupe salarial 6) et toutes les augmentations et les autres taux du groupe salarial des apprentis sont ajustés en conséquence. M. Rogers a déclaré que cette approche est la même pour les propositions de rémunération négociées avec l’employeur depuis les années 1990 et qu’elle ne lui a jamais posé de problème.

3. Stan Dzbik

[23]  Stan Dzbik joue un rôle exécutif auprès de l’agent négociateur depuis 2007. Il participe à la négociation collective depuis cette date. Il s’est décrit comme la [traduction] « personne responsable des chiffres » de l’équipe de l’agent négociateur. Il a participé à la négociation des conventions collectives qui sont venues à échéance en 2010 et en 2012. Il ne se souvenait pas particulièrement d’avoir négocié les taux de rémunération des apprentis, lesquels étaient simplement fondés sur le taux des compagnons, à 50 %.

[24]  Selon ce qu’il comprenait, le taux de départ des apprentis prévu dans la convention collective applicable demeurerait à 50 % du taux du compagnon. M. Dzbik a créé la feuille de calcul jointe au bulletin du syndicat du 20 août 2012 à l’intention des membres qui décrit la convention provisoire. Il n’avait reçu aucun calcul du Conseil du Trésor à ce moment‑là. Il n’avait pas inclus les taux des apprentis parce qu’il savait qu’ils correspondaient à 50 % du taux des compagnons.

[25]  M. Dzbik a préparé une feuille de calcul qui fixe les taux de rémunération des apprentis comme si la proportion de 50 % s’était appliquée. Le taux de départ aurait dû être de 17,31 $, plutôt que le taux de 16,73 $ figurant à la colonne Y. Il avait participé à l’examen de la convention collective provisoire fournie par l’employeur, y compris les taux de rémunération pour les apprentis. Il ne se souvenait pas des détails de son examen.

[26]  Peu après l’entrée en vigueur de la restructuration (le 31 janvier 2014), un apprenti est venu le voir, en soutenant qu’il n’avait pas obtenu l’augmentation de salaire appropriée. Il avait reçu l’augmentation économique de 2 % (colonne C), mais non la rémunération [traduction] « restructurée ». M. Dzbik a examiné la convention collective et a constaté à ce moment‑là que le taux horaire indiqué à la colonne Y était le même que celui qui figurait à la colonne C. Il a déclaré qu’il ne pouvait pas croire que cette erreur avait été commise. Il a répété que selon son expérience, les taux des apprentis avaient toujours été calculés en fonction du taux correspondant à 50 % des taux applicables aux métiers.

B. Pour l’employeur

1. M. Park

[27]  Pendant la période pertinente, M. Park était employé en tant que négociateur auprès du Conseil du Trésor, un poste auquel il a été nommé en 2010. Il était chargé de négocier la convention collective pour le groupe Réparation des navires (Ouest). Une convention a finalement été signée en décembre 2012, dont la date d’expiration était le 30 janvier 2015.

[28]  Au cours de cette ronde de négociation, la priorité de l’employeur consistait à éliminer l’indemnité de départ. M. Park a fait référence à l’offre de l’employeur qui, selon sa description, était conforme à la [traduction] « tendance de règlements » ou au [traduction] « modèle d’offre » : une offre de trois ans correspondant à une augmentation économique de 1,5 % pour chaque année plus une augmentation de 0,25 % et de 0,50 % au cours de la première année et de la troisième année en vue de reconnaître l’élimination de l’indemnité de départ. La proposition de l’employeur relativement à une augmentation de la rémunération visait tous les groupes salariaux de l’unité de négociation. Selon son point de vue, l’augmentation économique s’appliquait à tous les groupes salariaux, y compris les apprentis (groupe salarial 9).

[29]  L’agent négociateur n’a pas accepté la proposition et a présenté une contre‑proposition, que M. Park a déposée en preuve. Il a proposé les mêmes augmentations économiques que l’employeur, en plus d’un paiement compensateur en vue de satisfaire les membres du groupe salarial 6 qui estimaient être désavantagés en raison de la fusion des groupes 4 et 5 pour constituer le groupe 6 selon les taux de rémunération existants.

[30]  M. Park estimait que la contre‑proposition était équitable et s’est efforcé d’obtenir le mandat du Conseil du Trésor pour l’accepter, avec quelques modifications mineures, comme l’arrondissement à la hausse des paiements compensateurs, passant à 500 $ et à 2 500 $, selon la classification. Les seules discussions tenues au sujet des apprentis au cours de cette ronde de négociation étaient axées sur la Note sur la rémunération no 7, soit le mouvement par échelon au sein de l’échelle salariale.

[31]  M. Park a expliqué que la colonne C à l’appendice A applicable au groupe salarial 9 (apprentis) contenait les montants après avoir ajusté les taux antérieurs en fonction du 2 % convenu. En ce qui concerne les groupes salariaux 4, 5, 7 et 8, qui sont disparus en raison de la restructuration du groupe salarial, le taux de rémunération a été ajusté à l’égard du nouveau groupe salarial dont ils faisaient partie (groupe salarial 6) et indiqué à la colonne Y. M. Park était d’avis qu’aucun libellé de la convention collective ne l’autorisait de modifier les taux des apprentis (groupe salarial 9) indiqués à la colonne Y au‑delà de l’augmentation économique de 2 % qui était appliquée à la colonne C. Aucune directive d’en faire ainsi n’avait été demandée par l’agent négociateur, que ce soit de vive voix ou d’une façon qui pourrait être déduite de sa contre‑proposition écrite.

[32]  M. Park avait participé à la négociation de la convention collective précédente. Les taux étaient calculés de la même manière, c’est‑à‑dire, en appliquant l’augmentation économique convenue à tous les groupes salariaux (1,5 % par année à l’égard d’une offre de deux ans).

[33]  M. Park a témoigné qu’en 2014, l’agent négociateur a soulevé des préoccupations concernant les taux de rémunération des apprentis, puisqu’ils ne correspondaient pas à 50 % du taux du groupe salarial 6 restructuré. On lui a demandé d’étudier la question de savoir s’il était possible d’ajuster la colonne Y. Il a affirmé qu’il n’était pas au courant d’une telle pratique et qu’aucune disposition de la convention collective applicable ne portait sur la méthode de calcul. Il a témoigné qu’il ne savait pas qu’il pourrait exister une entente implicite de veiller à ce que les taux de rémunération de départ des apprentis correspondent à 50 % du taux des compagnons, et ce, en tout temps. Il a affirmé qu’il a pris connaissance des antécédents uniquement après avoir entendu le témoignage de M. Quigley.

[34]  Il était très déçu d’apprendre qu’il existait un problème relatif à l’application de la convention collective et un différend avec M. Rogers quant à ce qui avait réellement été convenu. Il a posé des questions à la haute direction quant à des solutions possibles. Il a été informé qu’il aurait besoin d’une modification approuvée par le Conseil du Trésor afin d’ajouter les fonds nécessaires pour apporter un tel changement, et qu’il n’était pas probable que cette demande soit acceptée. M. Park a déclaré qu’entre la fin des négociations de la convention collective applicable et ces discussions tenues en 2014, aucune discussion n’a été tenue au sujet des taux de rémunération des apprentis, tels qu’ils sont indiqués à l’appendice A.

[35]  M. Park a présenté des courriels échangés entre lui et M. Rogers au cours des mois précédents la signature de la convention collective applicable, qui a eu lieu en décembre 2012. Au cours de cet échange, M. Park a insisté, auprès de M. Rogers, sur l’importance pour l’agent négociateur d’examiner attentivement le libellé des changements convenus à la table et il mentionne particulièrement les taux de rémunération. Il a indiqué que les deux parties doivent être à l’aise et approuver une convention avant de la signer. M. Rogers soulève trois erreurs de calcul commises à l’égard des montants des taux particuliers (ceux des groupes salariaux 7 et 8) selon lesquels ils ont été arrondis à la baisse au cent le plus proche, plutôt qu’à la hausse. Rien n’a été soulevé à ce moment‑là au sujet des taux de rémunération du groupe salarial 9 (apprentis) et aucun problème n’a été soulevé avant la signature de la convention collective.

C. Contre‑preuve de l’agent négociateur

[36]  L’agent négociateur a cité John Smith à témoigner en réplique. Il occupe actuellement un poste de gestionnaire du groupe 3 – Métiers et faisait partie de l’équipe de négociation de l’employeur aux fins de la ronde de négociation de 2012, principalement aux fins de la recherche.

[37]  M. Smith a déclaré qu’il avait travaillé avec les apprentis en tant que gestionnaire du centre de travail en 2007. En 2010, il a été promu à titre de gestionnaire du groupe 2 et il a géré le programme d’apprenti jusqu’en 2014.

[38]  Il a affirmé qu’il estimait que lorsqu’il a commencé son emploi en 1987, le taux des apprentis correspondait à 60 % de celui d’un compagnon. À la question de savoir si selon ce qu’il comprenait, le taux des apprentis avait toujours été calculé en tant que pourcentage du taux du compagnon, M. Smith a répondu qu’il n’y avait jamais songé.

[39]  M. Smith a dit que les taux des apprentis n’ont pas été discutés au cours de la ronde de négociation de 2012. Lorsque la question a été soulevée en 2014, personne ne lui en a parlé.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

[40]  L’agent négociateur a d’abord abordé la question de ma compétence de corriger la convention collective afin qu’elle concorde à la véritable entente des parties. Il a fait référence aux conditions selon lesquelles un arbitre de grief peut corriger une convention collective, malgré l’art. 229 de la Loi, en tant que réparation équitable.

[41]  L’agent négociateur a invoqué les décisions suivantes qui énoncent les circonstances qui doivent être établies pour appliquer une rectification : Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19 (« Sylvan Lake »); Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56 (« Fairmont Hotels »); et Canada (Procureur général) c. Guilde de la Marine Marchande du Canada, 2009 CF 344. Une partie qui demande une rectification doit établir qu’il y avait une entente antérieure, que le document écrit ne correspond pas à l’entente antérieure et que le fait d’autoriser l’autre partie à tirer avantage de l’erreur figurant dans le document écrit constituerait ce qui est déclaré dans Sylvan Lake, une « une fraude ou l’équivalent d’une fraude ».

[42]  L’agent négociateur a soutenu que l’employeur aurait dû avoir été au courant de l’erreur, tel qu’elle est décrite dans les éléments de preuve fondés sur leurs antécédents de 45 ans en matière de négociations collectives. Ces antécédents indiquent l’existence de la condition implicite sous‑jacente aux négociations salariales, selon laquelle les taux de rémunération des apprentis sont intentionnellement liés aux taux de rémunération des compagnons en tant que pourcentage de ces taux. Ce pourcentage a changé au fil des ans, passant de 60 % à 50 % à la suite d’ententes conclues à la table de négociation. Il s’agit d’une condition implicite depuis que la condition expresse a été supprimée de la convention collective qui est venue à échéance en 1980. Le représentant de l’employeur (M. Park) a fait preuve de négligence lorsqu’il ne s’est pas informé au sujet des antécédents en matière de négociation entre les parties.

[43]  L’agent négociateur a fait valoir en outre qu’il n’était pas nécessaire d’aborder cette question à la table et de la déclarer à haute voix, puisqu’elle était implicite dans le cadre des discussions. L’élément qui est maintenant explicite dans la convention collective actuelle constitue ce que l’agent négociateur a déclaré être implicite tout au long des antécédents en matière de négociations, y compris ceux qui ont donné lieu à la convention collective applicable. Au cours des années 1970, il a été indiqué de manière évidente que les salaires correspondaient au début à 50 % et augmentaient périodiquement par paliers, et ensuite à 60 % avec des augmentations de salaire correspondantes. Au cours des années 1980, il a été changé à un montant particulier qui tenait néanmoins compte de la même proportion du taux de départ pour les apprentis par rapport aux compagnons. Lorsque le pourcentage a été changé au début des années 2000, ce changement a été apporté au moyen d’une entente expresse des parties, en vue de faire une distinction entre les nouveaux employés ou de réduire le pourcentage, passant de 60 % à 50 %. Autrement, il n’était pas nécessaire d’aborder la question à la table, puisque l’hypothèse applicable était demeurée la même que celle applicable dans le cadre des négociations entreprises au cours des 40 dernières années. En effet, lorsque l’on compare la troisième année de la convention collective applicable aux 40 dernières années, le pourcentage de 48,3 % entre les taux des apprentis et les taux des compagnons donne lieu à une anomalie à l’égard de laquelle l’employeur n’a aucune explication plausible.

[44]  En l’espèce, la rectification de cette anomalie et de l’erreur constitue un exercice assez simple puisqu’elle concerne seulement des montants et que le calcul est facile. L’agent négociateur a insisté sur le fait que le manque de diligence raisonnable à l’égard de la partie qui demande la rectification n’empêche pas l’application de la rectification. Il a invoqué Public Service Alliance of Canada v. NAV Canada, [2002] O.J. No. 1435 (QL), dans laquelle la théorie de la rectification a été appliquée dans le contexte d’une négociation collective en vue de corriger certains taux de rémunération horaires prévus, malgré qu’une clause de la convention collective interdisait à un arbitre de différends de la changer ou de la modifier. L’agent négociateur a soutenu que l’art. 229 de la Loi n’empêche pas la rectification lorsqu’elle est appropriée en vertu des principes énoncés antérieurement dans la présente décision.

[45]  Enfin, l’agent négociateur a soutenu que la réparation appropriée consiste en la rectification de l’entente en vue de tenir compte de la véritable entente conclue à la table et en l’attribution d’une rémunération rétroactive pour tous les employés touchés dont la rémunération a été calculée en fonction des mauvais taux de rémunération indiqués à tort dans le document écrit (voir Guilde de la Marine Marchande du Canada).

B. Pour l’employeur

[46]  L’employeur a soutenu qu’à première vue, il n’y a aucune dérogation à la convention collective. Le taux de départ de 16,73 $ pour les apprentis est le taux qui a été appliqué à compter du 31 janvier 2014. Il a simplement appliqué la convention collective telle qu’elle a été rédigée dans le document signé par les parties.

[47]  L’employeur a souligné que l’art. 229 de la Loi constituait une interdiction dont la Commission ne peut faire abstraction. Il ne souscrit pas à l’argument de l’agent négociateur selon lequel la théorie de la rectification peut être appliquée en vue de contourner l’art. 229. Le terme [traduction] « modifier » s’entend de [traduction] « changer », [traduction] « altérer » ou [traduction] « corriger » (selon Merriam‑Webster Dictionary), ce qui est précisément ce que l’agent négociateur demande en tant que mesure corrective dans le présent grief. Il est bien établi que la Commission ne peut pas modifier ni altérer une convention collective ou l’interpréter d’une manière qui exigerait sa modification. Ce principe est enchâssé dans l’art. 229 de la Loi et il a été répété dans Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117.

[48]  L’employeur distingue également les affaires NAV Canada et Guilde de la Marine Marchande du Canada au motif que la Commission est un tribunal établi par une loi qui doit agir dans les limites de la loi, y compris les restrictions imposées à ses pouvoirs, comme l’art. 229. L’employeur a invoqué Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14, en vue d’étayer la distinction liée à la nature législative du régime d’arbitrage en vertu de la Loi. En l’espèce, une disposition législative claire, et non une disposition d’une convention collective, interdit de modifier la convention collective.

[49]  Un autre facteur qui permet de distinguer l’espèce de NAV Canada est le fait que l’agent négociateur était au courant des montants fixés à l’appendice A lorsqu’il a signé la convention collective. S’il y avait une erreur, M. Park n’en avait pas connaissance. En conséquence, on ne peut dire qu’il a profité d’une erreur au détriment de l’agent négociateur et rien ne permet d’appliquer la réparation équitable de rectification. Il n’y a aucune preuve qu’un autre accord a été conclu à la table de négociation, autre que celui qui a été saisi dans le document définitif et dans les bulletins qui l’ont précédé. Il n’y a aucune « divergence » ni aucune autre intention volontaire de tromper, comme il était ainsi dans Fairmont Hotels ou Sylvan Lake.

[50]  L’employeur a soutenu en outre que les conditions établies dans NAV Canada en vue de tenir compte de la théorie de la rectification sont absentes. Il se peut que M. Rogers ait supposé que le taux de rémunération de départ des apprentis serait fixé à 50 % du taux des compagnons, et ce, en tout temps. Toutefois, rien dans la preuve ne permet de conclure que le négociateur de l’employeur était au courant de ce résultat attendu. De toute évidence, il n’y a eu aucune rencontre des volontés puisque M. Park n’en avait aucune connaissance et les parties n’avaient aucune entente antérieure claire et vérifiable qui justifierait de rectifier la convention collective; voir Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55, aux par. 23 à 25; Seminole Management & Engineering Co. v. CAW‑Canada, Local 195 (1989), 4 L.A.C. (4th) 380; et Canadian Union of Public Employees, Local 408 v. Chinook Health Region, [2007] A.G.A.A. No. 20 (QL).

[51]  L’employeur a indiqué que l’appendice A traite des augmentations de salaire, mais qu’il traite également de la question spéciale de la fusion des groupes salariaux. L’agent négociateur a demandé que certains groupes soient fusionnés et des paiements compensateurs. La proposition de fusion a été acceptée et les groupes salariaux 4 et 5 ont été fusionnés pour créer le groupe 6, en vertu des conditions établies dans l’échange de documents entre les parties, qui a été déposé en preuve. L’agent négociateur a soutenu que les taux des apprentis ont toujours été liés aux taux des compagnons; le point de comparaison est et a toujours été le groupe salarial 4 et non le groupe salarial 6. Les taux ont été ajustés le 31 janvier 2014 en ajoutant l’augmentation économique de 2 % aux taux des apprentis, mais après cette date, le groupe salarial 4 a cessé d’exister. Il n’y a aucune entente selon laquelle la comparaison doit être faite avec le groupe salarial 6. Tel que l’a démontré le témoignage de M. Quigley, lorsque l’agent négociateur souhaite traiter de l’incidence d’un changement sur les apprentis, il négocie une condition, comme il l’a fait au cours des négociations qui ont prévu la [traduction] « clause de droits acquis » (de 2001 à 2003). Si l’agent négociateur avait à l’esprit une protection supplémentaire des apprentis en raison de la fusion des groupes salariaux, il aurait dû l’avoir négocié. L’augmentation de salaire avait été négociée, convenue à 2 %, et indiquée correctement à l’appendice, et l’employeur l’a appliquée.

[52]  L’employeur a souligné que la diligence raisonnable dont les parties ont fait preuve doit également être évaluée. M. Rogers est un négociateur chevronné et l’agent négociateur avait eu amplement l’occasion pendant la période visée de signaler à l’employeur ce qu’il considérait comme une erreur. Il ressort de la preuve que l’agent négociateur avait signalé quelques erreurs de calcul qui étaient moins importantes par rapport au sujet du présent grief. M. Park était moins expérimenté et n’était pas présent au moment des négociations auxquelles a participé M. Quigley. M. Rogers aurait dû avertir M. Park des antécédents sur lesquelles la demande du syndicat est fondée.

[53]  Enfin, en ce qui concerne l’admissibilité de la preuve extrinsèque, l’employeur a renvoyé à Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 77 (IPFPC 2016), et Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil national de recherches du Canada, 2013 CRTFP 88 (IPFPC 2013). Il a soutenu que la convention collective est claire et non équivoque à première vue et que le critère pour admettre des éléments de preuve extrinsèques n’a pas été respecté.

C. Réponse de l’agent négociateur

[54]  L’agent négociateur a soutenu que les affaires invoquées par l’employeur concernant l’art. 229 de la Loi ne portent pas sur la rectification. Il a fait valoir en outre que même s’il avait respecté le critère relatif à la rectification, il ressort clairement de NAV Canada que la Commission aurait compétence pour accorder la réparation demandée.

[55]  L’agent négociateur a soutenu qu’une rectification ne constitue pas une modification de la convention collective. La convention collective constitue non seulement le document écrit, mais également ce qui a été convenu à la table de négociation. L’agent négociateur ne souscrivait pas à l’argument de l’employeur selon lequel l’intention mutuelle des parties à la table de négociation a été saisie par le document écrit. M. Rogers et M. Dzbik ont témoigné en disant que le document écrit ne saisissait pas leur intention.

[56]  L’agent négociateur a suggéré qu’il aurait peut‑être été prudent pour l’employeur d’avoir formé M. Park aux antécédents de la relation entre les parties. Il a demandé si, du point de vue de l’équité, il était juste que l’omission de l’employeur de comprendre les antécédents en matière de négociation soit imposée aux employés.

[57]  L’agent négociateur a soutenu que dans le contexte de la négociation collective, les ententes sont fondées sur les ententes antérieures et que les arbitres de griefs et les arbitres de différends se fient à la pratique antérieure pour interpréter les conventions collectives.

IV. Analyse

[58]  Dans le présent grief de principe, l’agent négociateur a demandé que la convention collective applicable soit modifiée afin de tenir compte de l’entente à laquelle sont parvenues les parties à la table de négociation. Plus particulièrement, l’agent négociateur demande une modification des montants figurant à la colonne Y de l’appendice A (Taux de rémunération) pour les employés du groupe salarial 9, c’est‑à‑dire les apprentis. En conséquence, il ne s’agit pas d’interpréter ou d’appliquer la convention collective telle qu’elle est libellée, mais plutôt de comprendre si une erreur a été commise à l’appendice qui devrait être corrigée en appliquant la réparation qui consiste en la rectification de la convention collective.

[59]  Selon la théorie qui sous‑tend la demande du syndicat, l’employeur n’a pas tenu compte d’une condition implicite de l’entente, soit que les taux de rémunération des apprentis ont été calculés, dans le passé, en appliquant un pourcentage au taux des compagnons. Il a varié de 60 % à 50 % au fil des ans. Il n’est pas contesté que le taux de rémunération de départ figurant à la colonne Y de l’appendice A pour les apprentis (employés du groupe salarial 9) ne correspond pas à 50 %, mais à 48,3 %.

[60]  Afin de trancher la question en litige, les deux parties ont traité de l’effet de l’art. 229 de la Loi, qui est rédigé en ces termes :

229 La décision de l’arbitre de grief ou de la Commission ne peut avoir pour effet d’exiger la modification d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

[61]  L’agent négociateur a soutenu que l’art. 229 n’empêche pas l’application de la réparation de rectification, soit une réparation équitable en common law qui vise à aborder les situations où une partie profite de manière inappropriée d’une erreur ou d’une omission dans le libellé d’un contrat. Plus important encore en ce qui concerne le grief, l’agent négociateur a soutenu que la véritable entente à laquelle sont parvenues les parties n’est pas indiquée correctement à la colonne Y pour le groupe salarial 9 (apprentis) puisqu’il existe une hypothèse ou une condition implicite qui sous‑tendaient l’entente des parties selon laquelle le taux de rémunération de départ des apprentis correspondrait à 50 % du taux des compagnons.

[62]  L’argument de l’agent négociateur selon lequel il existe une telle hypothèse, implicite dans le cadre des négociations des parties, est fondé sur les éléments de preuve démontrant des antécédents rétroactifs de leurs négociations. L’avocat de l’employeur a qualifié, à bon droit, ces éléments de preuve de preuve extrinsèque et je les ai admis sous réserve. Il est bien établi que les éléments de preuve extrinsèques sont pertinents et admissibles lorsque le libellé contesté est manifestement ambigu ou ambigu de manière latente. Tel que je l’ai déjà affirmé, il n’existe aucune ambiguïté manifeste ou de manière latente dans le libellé de la convention collective applicable en l’espèce.

[63]  Il est admis qu’il n’existe aucune ambiguïté, manifeste ou latente, dans la convention collective applicable qui pourrait être traitée convenablement par une preuve extrinsèque. Sur cette base, selon la jurisprudence, une telle preuve ne doit pas être admise. Je conclus que la jurisprudence citée par l’arbitre de grief dans IPFPC 2016, aux paragraphes 93 et 94, est convaincante et je suis d’avis qu’elle dicte l’issue de la question d’admissibilité en faveur de l’employeur.

[64]  Plus particulièrement, dans Canadian Labour Arbitration, Brown and Beatty, 4e édition, le paragraphe 3:4400 portant sur la [traduction] « preuve extrinsèque » indique ce qui suit :

[Traduction]

Un témoignage oral ou une preuve extrinsèque, présenté de vive voix ou au moyen de documents, est une preuve extérieure, ou distincte, du document écrit visé par l’interprétation et le champ d’application d’un organe de décision. Même s’il existe de nombreuses exceptions, la règle générale en common law est que la preuve extrinsèque ne peut pas être admise pour contredire ou modifier la convention collective écrite, y ajouter des modalités ou en retirer. Si la convention collective est ambiguë, cependant, une telle preuve est admissible pour faciliter l’interprétation de la convention afin d’en expliquer l’ambiguïté, et non pour modifier les termes de la convention. Les deux formes les plus courantes d’une telle preuve dans les cas d’arbitrage en matière de relations de travail sont les antécédents des négociations entre les parties qui ont mené à la convention collective et les pratiques antérieures et postérieures à la conclusion de la convention. En plus de son utilisation pour faciliter l’interprétation d’une convention collective ou d’une entente de règlement, ou pour établir une préclusion, elle peut être déposée au soutien d’une demande de rectification. Toutefois, cette preuve, pour qu’elle soit invoquée, doit être « consensuelle ». C’est‑à‑dire qu’il ne doit pas s’agir du « souhait unilatéral » de l’une des parties. Elle ne doit pas être non plus aussi vague et imprécise que la convention écrite elle‑même.

[Caractères gras ajoutés]

[65]  On me demande d’examiner la preuve non pas pour aider à interpréter un libellé qui n’est pas clair, mais pour établir la véritable entente des parties à l’égard d’un montant figurant à la colonne Y qui serait inexact et qui ne correspond pas à leur véritable entente. Malgré cela, j’ai tenu compte des éléments de preuve concernant les antécédents de négociations collectives des parties et des conventions collectives antérieures, ainsi que des discussions tenues pendant la ronde de négociation pertinente, aux fins demandées par le syndicat, notamment la création d’une erreur lorsque l’entente a été transformée en document écrit. Toutefois, je suis d’avis que ce qui importe et ce qui déterminant dans l’issue du présent grief, sont les discussions tenues en 2012 entre les porte‑paroles des parties pendant la ronde avant la signature de la convention.

[66]  Les éléments de preuve démontrent de façon très convaincante que le calcul de la rémunération des apprentis au fil des ans a été fait de la manière soutenue par l’agent négociateur, c’est‑à‑dire, en appliquant un pourcentage au taux de rémunération des compagnons. Cette approche était indiquée explicitement dans les conventions collectives signées au cours des années 1970, après quoi le renvoi explicite au pourcentage a été supprimé et remplacé par le montant du taux de rémunération même. Il en a été discuté explicitement lorsque des changements ont été apportés aux conditions de rémunération des apprentis.

[67]  Même s’il est incontestable qu’il existe un contexte historique relativement à la négociation collective entre les parties ayant une relation de négociation établie, chaque ronde de négociation est distincte et unique et doit être considérée de manière indépendante. Il ressort des éléments de preuve que la question liée aux taux de rémunération pour les apprentis n’a pas été discutée à la table de négociation pendant la ronde qui a mené à la signature de la convention collective applicable. Le seul élément qui a été discuté avait trait à la manière dont le mouvement au sein de la fourchette salariale était touché, afin d’éviter la nécessité d’un exercice de reclassification chaque fois qu’une personne obtenait un droit à une augmentation, ce qui a donné lieu à la Note sur la rémunération no 7.

[68]  La contre‑proposition de l’agent négociateur, que l’employeur a acceptée en grande partie, ne comprend aucune référence particulière à la rémunération des apprentis, telle qu’elle est fixée sous le groupe salarial 9. M. Smith a témoigné en disant que les taux des apprentis n’avaient pas été discutés pendant la ronde de négociation de 2012. M. Rogers a affirmé dans son témoignage qu’il avait toujours exercé ses activités en se fondant sur l’hypothèse selon laquelle les taux de rémunération des apprentis seraient ajustés, dans un cas donné, en appliquant la règle de 50 %. M. Rogers n’a pas suggéré que la question avait même été discutée, ce qui est conforme à sa croyance selon laquelle la règle serait automatiquement appliquée, comme dans les conventions collectives antérieures.

[69]  Le négociateur en chef de l’employeur pour la ronde qui a donné lieu à la convention collective applicable, M. Park, a affirmé catégoriquement qu’il n’était pas au courant de cette pratique. Certes, il connaissait la convention collective précédente des parties. Toutefois, la question concernant le taux de 50 % n’est pas du tout évidente dans le calcul des taux de rémunération révisés en vertu de cette convention. Comme M. Park l’a expliqué, il s’agissait simplement d’appliquer le pourcentage des taux de rémunération économiques convenu par les parties aux taux existants, ce qui est indiqué dans la convention en nombres absolus. Il n’existait aucune raison pour laquelle la règle de 50 % devait être soulevée. À première vue, le fait de fixer le taux horaire de rémunération à 16,73 $ à la colonne Y pour le groupe salarial 9 (apprentis) ne donne pas lieu à un résultat absurde ou incongru.

[70]  En conséquence, je conclus qu’il n’y a eu aucune rencontre de volontés entre les parties pendant les négociations de 2012 qui m’amènerait à conclure une autre entente que les conditions énoncées dans la convention collective applicable et qui formerait le fondement de sa rectification. Il se peut que l’agent négociateur ait supposé que les taux de rémunération seraient ajustés après l’entrée en vigueur de la restructuration des groupes salariaux, mais cela n’était pas du tout ce que l’employeur avait compris. En conséquence, il m’est impossible de conclure que les parties étaient au courant d’une condition implicite dans le cadre de leurs discussions visant le renouvellement de la convention collective applicable qui justifierait la modification de la colonne Y de l’appendice A. L’appendice ne manque pas de refléter la véritable intention des parties à la table de négociation qui a mené à la conclusion de la convention collective applicable. Je suis convaincu que la véritable entente entre les parties a été correctement saisie par les montants figurant à la colonne Y, puisqu’il n’y a aucune preuve d’une autre entente, consensuelle ou autrement, entre leurs représentants à la table de négociation.

[71]  Étant donné qu’aucune discussion n’a été tenue sur les taux de rémunération des apprentis, il n’était pas déraisonnable de la part de M. Park d’adopter la position selon laquelle la contre‑proposition de l’agent négociateur constituait l’ensemble de l’entente, en ce qui concernait les taux de rémunération, pour tous les groupes salariaux à l’appendice A. Rien dans cette contre‑proposition ne portait sur les taux des apprentis une fois que la fusion des groupes 4 et 5 pour créer le groupe 6 était effectuée. Le négociateur de l’employeur a donné effet aux conditions de cette entente. En conséquence, la réparation demandée par l’agent négociateur aurait pour effet d’ajouter une modalité dont les représentants des parties n’ont pas convenu.

[72]  J’ai également tenu compte du fait que l’agent négociateur avait été informé des montants figurant à l’appendice A, y compris à la colonne Y, peu après que les parties sont parvenues à l’entente provisoire et bien avant la signature de la convention collective applicable. Les montants sont clairement indiqués. L’augmentation économique de 2 % pour le 31 janvier 2014 a été appliquée à tous les groupes salariaux, y compris le groupe salarial 9 (colonne C), et le montant est demeuré le même à la colonne Y pour le groupe salarial 9, ce qui concorde à la compréhension de M. Park de l’entente qui avait été conclue. L’employeur n’a pas tenté de dissimuler ou d’induire en erreur, et l’agent négociateur a eu l’occasion d’examiner les tableaux bien avant la signature de la convention collective révisée. S’il existait une erreur, comme le soutient l’agent négociateur, elle était manifeste, claire et évidente à la lecture de l’appendice. En fait, il ressort de la preuve que l’agent négociateur avait souligné trois problèmes mineurs de calcul, concernant l’arrondissement à la baisse au cent le plus proche plutôt qu’à la hausse. Il se peut qu’il s’agisse d’un oubli de la part de l’agent négociateur lorsqu’il a omis de détecter le problème, mais il ne s’agit pas d’une erreur incompatible avec l’entente provisoire à laquelle sont parvenues les parties.

[73]  Dans Fairmont Hotels, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 36 au sujet du fardeau de la preuve qui doit être assumé pour rectifier un contrat écrit :

36. […] Il sera difficile pour la partie qui sollicite la rectification de satisfaire à cette norme, car la preuve doit convaincre le tribunal que la véritable substance de son intention unilatérale ou de son entente avec une autre partie n’a pas été consignée correctement dans l’instrument auquel elle a néanmoins souscrit. Le tribunal exigera généralement une preuve très claire, convaincante et solide avant de permettre que les modalités d’un instrument écrit soient remplacées par celles qui constateraient la véritable intention des parties, si elle a été exprimée uniquement de vive voix. […].

[74]  La jurisprudence invoquée par l’avocate de l’agent négociateur pour étayer la théorie de la rectification décrit la nature d’une telle réparation. La rectification s’entend de la correction d’une situation inéquitable dans laquelle une partie serait autorisée de se fier à une erreur et la forme écrite de l’entente ne correspond pas à la véritable entente à laquelle sont parvenus les représentants des parties. Dans Sylvan Lake, la Cour suprême a décrit la réparation de rectification comme suit au paragraphe 31 :

[…]

31. […] La rectification est fondée sur l’existence d’un contrat verbal préalable dont les conditions sont déterminées et déterminables. Le demandeur doit établir que les conditions convenues verbalement n’ont pas été couchées adéquatement par écrit. L’erreur peut être frauduleuse ou innocente. L’exigence essentielle est que, au moment de la signature de l’écrit, le défendeur connaissait l’erreur ou aurait dû la connaître, et que le demandeur n’en connaissait pas l’existence. De plus, la tentative du défendeur d’utiliser l’écrit erroné doit constituer « une fraude ou l’équivalent d’une fraude ». La tâche des tribunaux dans une affaire de rectification est de corriger et non de faire des supputations. Elle consiste à reconstituer le marché original conclu par les parties, et non à rectifier une erreur de jugement qu’une partie aurait reconnue tardivement […].

[75]  À mon avis, cet élément essentiel est manquant dans les circonstances de l’espèce en ce que rien dans la preuve ne permet de conclure que la véritable entente diffère du fondement sur lequel reposent les montants calculés à la colonne Y de l’appendice A.

[76]  En outre, je ne peux conclure, comme l’a fait la Cour d’appel de l’Ontario dans NAV Canada, que les deux parties ont agi en vertu d’une condition qui était clairement implicite et qu’elles ont toutes les deux considérée sciemment comme implicite dans le cadre de leurs discussions. Dans IPFPC 2013, j’ai déclaré ce qui suit au paragraphe 78 :

[78] Les deux parties ont mentionné leur intention respective relativement à l’inclusion ou à l’exclusion du droit au congé annuel unique des dispositions sur la limite et le report des congés annuels. Il est bien reconnu que les preuves extrinsèques peuvent appuyer l’interprétation d’une convention collective lorsqu’elles indiquent une intention mutuelle claire des parties. Les éléments de preuve des deux négociateurs et de Mme Brosseau ont démontré que la question n’a jamais été abordée lors des négociations. L’absence de discussion explicite sur le report des congés ne signifie pas nécessairement qu’il y avait une intention commune ou que cette absence de discussion constitue une preuve extrinsèque dont je devrais tenir compte. Les parties se sont entendues pour mettre l’inclusion du congé annuel unique dans une section de la convention collective traitant du congé annuel. Elles avaient l’occasion de discuter de ces questions, mais ne l’ont pas saisie. […].

[77]  Tout comme dans IPFPC 2013, je conclus qu’il n’y a aucune preuve d’une intention mutuelle entre les parties qui diffère du libellé même de la convention collective applicable ou qui justifierait sa rectification. Étant donné ma conclusion sur le bien‑fondé de la demande du syndicat de rectifier la convention collective applicable, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si, comme l’a soutenu l’employeur, l’art. 229 de la Loi constitue une interdiction absolue de l’application d’une telle réparation, même si les circonstances peuvent la justifier. La réponse à cette question devra attendre une autre occasion.

[78]  Bref, je conclus que l’employeur a appliqué de manière appropriée les taux pour les apprentis, tels qu’ils sont fixés à la colonne Y de la convention collective applicable et qu’il n’y a aucune raison de rectifier la convention collective.

[79]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[80]  Le grief est rejeté.

Le 7 août 2019.

Traduction de la CRTESPF

Steven B. Katkin,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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