Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés formaient un couple marié et travaillaient pour le Service correctionnel du Canada (SCC) à Kingston, en Ontario – M. D’Cunha était agent de formation du personnel correctionnel et Mme de Laat était adjointe administrative à un établissement correctionnel – le Service de police d’Ottawa les a arrêtés et a déposé contre eux des accusations de trafic de drogue – éventuellement, Mme de Laat a plaidé coupable à une accusation de possession illégale de ce qui était, à ce moment-là, une substance contrôlée, soit du cannabis ou de la marijuana – les accusations contre M. D’Cunha ont été retirées sur la foi d’une entente selon laquelle il devait s’engager à ne pas troubler l’ordre public – les deux employés ont été licenciés de leur poste respectif et ils ont tous les deux contesté leur licenciement – le fait que M. D’Cunha soit allé à plusieurs reprises à Ottawa pour rencontrer deux personnes afin d’acheter de la marijuana pour Mme de Laat et que l’une de ces personnes faisait partie d’une organisation criminelle n’est pas contesté – Mme de Laat y est aussi allée de nombreuses fois pour rencontrer les mêmes personnes afin d’acheter de la marijuana, souvent durant les heures de travail – de plus, selon un rapport d’enquête du SCC, les fonctionnaires s’estimant lésés avaient envoyé par courriel des documents liés au travail à leur adresse personnelle respective, et certains contenaient des renseignements personnels et privés concernant des employés du SCC – la Commission a estimé que leur comportement aux chapitres de l’achat de marijuana, de l’envoi de documents par courriel et des déplacements de Mme de Laat à Ottawa durant les heures de travail, ce qui équivaut à un vol de temps de travail, avait contrevenu aux normes du SCC en matière de conduite professionnelle et à son « Code de discipline » – leur comportement faisait état d’une inconduite grave qui serait considéré par un observateur raisonnable et averti comme un comportement qui, vraisemblablement, porterait atteinte à la réputation du SCC – il n’était pas nécessaire de prouver l’atteinte à la réputation – le licenciement imposé en tant que mesure disciplinaire était justifié et non excessif.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date : 20190731

Dossiers : 566-02-12091 et 12564

 Référence : 2019 CRTESPF 78

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

eNTRE

Christopher D’Cunha ET Andrea de Laat

fonctionnaires s’estimant lésés

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié

D’Cunha c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Lui‑même

Pour Andrea de Laat, la fonctionnaire s’estimant lésée : Dan Fisher, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur : Pierre Marc Champagne, avocat

Affaire entendue à Kingston (Ontario),

du 24 au 28 juillet 2017 et le 16 février 2018.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION (traduction de la crtespf)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1]  Christopher D’Cunha était à l’emploi du Conseil du Trésor (le « CT » ou l’« employeur ») et occupait un poste d’agent de formation du personnel correctionnel, faisant partie du groupe Services correctionnels (CX), classifié au niveau 3, au Collège du personnel du Service correctionnel du Canada (SCC) à Kingston, en Ontario. Le 10 mars 2015, M. D’Cunha a été suspendu sans traitement. Dans une lettre en date du 16 octobre 2015, il a été licencié rétroactivement au 10 mars 2015.

[2]  Andrea de Laat était aussi à l’emploi du CT. Elle occupait un poste d’adjointe administrative faisant partie du groupe Commis aux écritures et aux règlements (« CR »), classifié  au niveau 4, au Centre régional de traitement (« CRT ») de l’Établissement de Millhaven du SCC, à Millhaven, en Ontario, juste à l’ouest de Kingston. Le 10 mars 2015, Mme de Laat a été suspendue sans traitement de son poste. Dans une lettre en date du 23 octobre 2015, elle a été licenciée rétroactivement au 10 mars 2015.

[3]  Les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») sont mariés. Au moment de l’audience, ils avaient deux enfants d’âge scolaire.

[4]  Les conditions d’emploi de Mme de Laat étaient régies, en partie, par une convention collective conclue entre le CT et l’Alliance de la Fonction publique du Canada, à l’intention du groupe Services des programmes et de l’administration, qui a été signée le 1er mars 2011, et qui est venue à échéance le 20 juin 2014 (la « convention collective »).

[5]  M. D’Cunha n’était pas membre d’une unité de négociation et n’était pas représenté.

[6]  Le 23 octobre 2015, les deux fonctionnaires ont présenté un grief contestant leur licenciement. En guise de redressement, ils ont demandé d’être réintégrés à leurs postes respectifs avec plein salaire et avantages sociaux, y compris l’intérêt, à compter de la date de leur suspension, et que tous les dossiers des enquêtes disciplinaires et des mesures prises soient effacés de leurs dossiers d’employé respectifs.

[7]  Les deux griefs ont été entendus, et rejetés, au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, celui de Mme de Laat le 19 janvier 2017, et celui de M. D’Cunha le 20 janvier 2017. Ils ont été renvoyés à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) pour arbitrage.

[8]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

II. Résumé de la preuve

[9]  Mme de Laat a commencé à travailler pour le SCC en 2006, à titre d’employée occasionnelle, au bureau régional de l’Ontario, à Kingston. Ultérieurement, elle a posé avec succès sa candidature à un poste de commis au Collège militaire royal, également à Kingston. En 2008, elle a été mutée au SCC. Elle a travaillé comme adjointe administrative au Pénitencier de Kingston (« PK ») jusqu’à sa fermeture en 2014. Dans le cadre d’un réaménagement des effectifs, elle a été nommée à un poste pour une durée indéterminée à titre d’assistante en soins de santé au CRT de l’Établissement de Millhaven.

[10]  Diane Russon a quitté le SCC en avril 2017. D’avril 2015 jusqu’à son départ à la retraite, elle a été directrice administrative du CRT. Auparavant, elle a occupé le même poste dans la région de l’Atlantique du SCC pendant quatre ans. En 1984, elle a entamé sa carrière au SCC à titre de CX. Elle a gravi les échelons jusqu’à des postes de direction. Elle a passé les 16 dernières années d’une carrière de 32 ans auprès du SCC dans des postes de direction.

[11]  Le CRT accueille des détenus de tous les niveaux de sécurité (maximale, moyenne et minimale). Au moment de l’audience, il comptait 96 lits. Bien qu’il soit sur la même réserve fédérale que les Établissements de Millhaven et de Bath,  et qu’il soit relié par un couloir à l’Établissement de Millhaven, il est situé derrière ce dernier établissement et constitue une installation distincte.

[12]  Mme Russon a déclaré que le personnel du CRT comprenait des CX pour des raisons de sécurité, de même que des psychiatres, des psychologues, des agents de programme, du personnel infirmier et du personnel de bureau. Elle a ajouté que les fonctions de Mme de Laat comprenaient en grande partie des tâches de bureau et d’administration, qui visaient à soutenir les gestionnaires et le personnel infirmier. Ce travail était effectué dans un secteur administratif du CRT. Elle a déclaré que les contacts de Mme de Laat avec les détenus étaient limités en raison du lieu où elle travaillait et de ce qu’elle faisait. Cependant, les détenus entraient dans les secteurs administratifs, et Mme de Laat aurait pu se trouver dans des secteurs protégés. Mme Russon a confirmé que Mme de Laat relevait indirectement d’elle dans la structure organisationnelle.

[13]  Au moment de l’audience, Tracy Allison Storring était gestionnaire du projet de soins infirmiers du SCC à son bureau national d’Ottawa, en Ontario. Mme Storring occupait ce poste depuis le 1er avril 2015. Entre novembre 2013 et février 2015, elle a été coordonnatrice des soins infirmiers au CRT. Mme de Laat relevait indirectement de Mme Storring par l’intermédiaire d’une superviseure des soins infirmiers, Noel Napier‑Glover.

[14]  Au moment de l’audience, Mme Napier-Glover était chef intérimaire des services de santé au CRT. Elle occupait ce poste depuis avril 2017. Entre novembre 2013 et mars 2015, elle était infirmière surveillante au CRT de l’Établissement de Millhaven. À ce moment‑là, elle relevait de Mme Storring, et Mme de Laat relevait d’elle.

[15]  En qualité d’adjointe aux services de santé, Mme de Laat exerçait des fonctions et des responsabilités administratives, qui consistaient à offrir des services de soutien au personnel infirmier, aux infirmières surveillantes et au chef des services de santé, notamment remplir des formulaires, classer des documents et recevoir, envoyer et distribuer le courriel.

[16]  M. D’Cunha a commencé à travailler pour le SCC en 2006, à titre d’employé occasionnel. Avant de se joindre à la fonction publique fédérale, il a travaillé à Toronto, en Ontario, dans le domaine de l’informatique. En janvier 2007, il a entrepris une formation de CX et a obtenu son diplôme en avril de la même année. Il a fait ses débuts comme CX-01 à l’Établissement de Collins Bay, à Kingston, a été muté au PK en novembre 2007, puis a été muté de nouveau en avril 2008. Il a été nommé CX-02 en mars 2011, et il est demeuré au PK jusqu’à sa fermeture. M. D’Cunha a fait l’objet d’un réaménagement des effectifs et a été muté à l’Établissement de Millhaven à la fin de 2013. Toujours à la fin de 2013, il a posé sa candidature à un poste d’agent de formation du personnel classifié CX-03, au Collège régional du personnel, et a obtenu le poste. Il a achevé la formation au printemps 2014.

[17]  Pendant qu’il travaillait au PK, M. D’Cunha a été opérateur de détecteur à ions, puis formateur. La détection ionique est un processus à l’aide duquel les visiteurs et le matériel sont soumis à un contrôle qui vise à détecter la présence de stupéfiants, afin d’empêcher leur entrée dans un établissement correctionnel.

[18]  Le 23 octobre 2015, les deux fonctionnaires ont reçu une lettre qui mettait fin à leur emploi au SCC. La lettre de licenciement de M. D’Cunha était datée du 16 octobre 2015, et ses parties pertinentes étaient rédigées en ces termes :

[Traduction]

[…]

Après avoir examiné soigneusement les faits et les circonstances de l’affaire, je souscris aux conclusions de l’enquête disciplinaire du SCC selon lesquelles, contrairement à vos dénis, vous vous êtes présenté à de multiples reprises au [adresse supprimée], afin d’acheter des substances illégales. Vous avez rencontré des membres des Hells Angels […] et des personnes qui leur sont affiliées et avez acheté ces substances auprès d’eux […] La police vous a surpris en possession de marijuana, et vous avez fait l’objet d’accusations criminelles. De plus, j’estime que vous avez envoyé des renseignements protégés du Service correctionnel du Canada à votre compte de courriel non sécurisé, à la maison.

Vos actes constituent des violations flagrantes des Règles de conduite professionnelle et du Code de discipline du SCC — Directive du commissaire (DC) — 060. Plus particulièrement, vous avez contrevenu aux règles suivantes :

Règle 2 – Conduite et apparence

8. c. se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le SCC, qu’il soit de service ou non;

8. d. commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’une province ou territoire, qui pourrait jeter le discrédit sur le SCC ou avoir un effet préjudiciable sur son rendement au travail;

Règle 4 – Relations avec les délinquants

12. c. établit avec un délinquant ou un ancien délinquant, ou avec les amis ou parents d’un délinquant ou d’un ancien délinquant, des relations personnelles ou d’affaires quelconques qui ne sont pas approuvées par son supérieur autorisé;

Règle 5 – Conflits d’intérêts

13. Les membres du personnel doivent faire preuve d’honnêteté et d’intégrité dans l’accomplissement de leurs tâches pour le compte du gouvernement du Canada. Ils ne doivent pas s’engager dans des entreprises commerciales ou privées qui pourraient, ou sembleraient, les mettre en conflit avec leurs fonctions en tant qu’employés du SCC ou leurs responsabilités générales en tant que fonctionnaires.

Commet une infraction l’employé qui :

14. a. omet de divulguer une situation de conflit d’intérêts décrite dans le Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique, ou refuse de se plier à la décision du commissaire ou de son représentant autorisé relativement à une déclaration de conflit d’intérêts.

Règle 6 – Protection et communication de l’information

18. a. omet de garder en lieu sûr les documents, rapports, directives, manuels, guides ou autres renseignements du SCC;

18. c. contrevient à la Politique sur la sécurité du gouvernement.

De plus, j’estime qu’en omettant de garder en lieu sûr des renseignements protégés, par vos actes vous avez contrevenu à la Directive du commissaire 226 – Utilisation des ressources électroniques.

En outre, vous avez omis de vous conformer au Code de valeurs et d’éthique du secteur public, dans la mesure où vous avez contrevenu à la valeur éthique qui consiste à se conduire toujours avec intégrité, d’une manière qui puisse résister à l’examen public le plus approfondi et de manière à préserver la confiance de votre employeur.

Compte tenu de l’ensemble des renseignements disponibles, j’estime que vos actes ont été tout à fait inappropriés. En qualité d’agent correctionnel, vous êtes soumis à une règle de conduite plus rigoureuse que les autres employés de la fonction publique. Les agents correctionnels sont les garants de l’intégrité et de la protection des lois du Canada, de l’établissement correctionnel, des détenus et du personnel. Votre comportement n’est pas conforme aux normes escomptées d’un agent correctionnel ou d’un fonctionnaire.

Pour établir une mesure disciplinaire appropriée, j’ai tenu compte de l’ensemble des facteurs atténuants et aggravants, notamment vos années de service et vos antécédents professionnels. Votre inconduite a donné lieu à des actes prémédités qui se sont étalés sur une longue période et ont constitué une violation de la politique et des règles de conduite fondamentales du SCC et de la fonction publique. Je souligne qu’à part le fait d’avoir transmis des documents gouvernementaux à une adresse électronique non sécurisée, vous n’avez pas avoué l’une ou l’autre des inconduites susmentionnées, et n’avez pas non plus fourni des renseignements permettant de réfuter les allégations ou les conclusions du rapport d’enquête. En outre, plusieurs déclarations que vous avez faites durant ce processus se contredisaient et présentaient de manière inexacte d’autres renseignements obtenus durant l’enquête. À la lumière de ce qui précède, et compte tenu de la gravité de votre inconduite, j’ai conclu que le lien de confiance essentiel à votre emploi auprès du SCC a été irrévocablement brisé.

Par conséquent, en vertu du pouvoir qui m’est délégué au titre de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, je mets fin rétroactivement à votre emploi auprès du Service correctionnel du Canada, à compter du 10 mars 2015, date de votre suspension sans solde.

[…]

[19]  La lettre de licenciement de Mme de Laat était datée du 23 octobre 2015. Les parties pertinentes de la lettre sont rédigées comme suit :

[Traduction]

[…]

Après avoir examiné soigneusement les faits et les circonstances de l’affaire, je souscris aux conclusions de l’enquête disciplinaire du SCC, selon lesquelles, contrairement à vos dénis, vous vous êtes présentée à de multiples reprises au [adresse supprimée], afin d’acheter des substances illégales. Vous avez rencontré des membres du club de motards des Hells Angels […] et des personnes qui leur sont affiliées et avez acheté ces substances auprès d’eux […] La police vous a surprise en possession de marijuana, et vous avez fait l’objet d’accusations criminelles […] De plus, j’estime que vous avez envoyé des renseignements protégés du Service correctionnel du Canada à votre compte de courriel domiciliaire non sécurisé.

Vos actes constituent des violations flagrantes des Règles de conduite professionnelle et du Code de discipline du SCC — Directive du commissaire (DC) — 060. Plus particulièrement, vous avez contrevenu aux règles suivantes :

Règle 1 – Responsabilité dans l’exécution des tâches

6. a. omet de consigner ses présences ou celles d’un autre employé, ou les consigne de façon frauduleuse;

6. b. se présente en retard au travail ou ne s’y présente pas, ou quitte son lieu de travail sans autorisation;

Règle 2 – Conduite et apparence

8. c. se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le SCC, qu’il soit de service ou non;

8. d. commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’une province ou d’un territoire, qui pourrait jeter le discrédit sur le SCC ou avoir un effet préjudiciable sur son rendement au travail;

Règle 4 – Relations avec les délinquants

12. c. établit avec un délinquant ou un ancien délinquant, ou avec les amis ou parents d’un délinquant ou d’un ancien délinquant, des relations personnelles ou d’affaires quelconques qui ne sont pas approuvées par son supérieur autorisé;

Règle 5 – Conflits d’intérêts

13. Les membres du personnel doivent faire preuve d’honnêteté et d’intégrité dans l’accomplissement de leurs tâches pour le compte du gouvernement du Canada. Ils ne doivent pas s’engager dans des entreprises commerciales ou privées qui pourraient, ou sembleraient, les mettre en conflit avec leurs fonctions en tant qu’employés du SCC ou leurs responsabilités générales en tant que fonctionnaires.

Commet une infraction l’employé qui :

14. a. omet de divulguer une situation de conflit d’intérêts décrite dans le Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique, ou refuse de se plier à la décision du commissaire ou de son représentant autorisé relativement à une déclaration de conflit d’intérêts.

Règle 6 – Protection et communication de l’information

18. a. omet de garder en lieu sûr les documents, rapports, directives, manuels, guides ou autres renseignements du SCC;

18. c. contrevient à la Politique sur la sécurité du gouvernement.

De plus, j’estime qu’en omettant de garder en lieu sûr des renseignements protégés, par vos actes vous avez contrevenu à la Directive du commissaire 226 – Utilisation des ressources électroniques.

En outre, vous avez omis de vous conformer au Code de valeurs et d’éthique du secteur public, dans la mesure où vous avez contrevenu à la valeur éthique qui consiste à se conduire toujours avec intégrité, d’une manière qui puisse résister à l’examen public le plus approfondi et de manière à préserver la confiance de votre employeur.

Compte tenu de l’ensemble des renseignements disponibles, j’estime que vos actes ont été tout à fait inappropriés. En qualité d’agente de la paix, vous êtes soumise à une règle de conduite plus rigoureuse que les autres employés de la fonction publique. Votre comportement n’est pas conforme aux normes escomptées d’une agente de la paix ou d’une fonctionnaire.

Pour établir une mesure disciplinaire appropriée, j’ai tenu compte de l’ensemble des facteurs atténuants et aggravants, notamment vos années de service et vos antécédents professionnels. Votre inconduite a donné lieu à des actes prémédités qui se sont étalés sur une longue période et ont constitué une violation de la politique et des règles de conduite fondamentales du SCC et de la fonction publique. Je souligne qu’à part le fait d’avoir transmis des documents gouvernementaux à une adresse électronique non sécurisée, vous n’avez pas avoué l’une ou l’autre des inconduites susmentionnées, et n’avez pas non plus fourni des renseignements permettant de réfuter les allégations ou les conclusions du rapport d’enquête. En outre, plusieurs déclarations que vous avez faites durant ce processus se contredisaient et présentaient de manière inexacte d’autres renseignements obtenus durant l’enquête. À la lumière de ce qui précède, et compte tenu de la gravité de votre inconduite, j’ai conclu que le lien de confiance essentiel à votre emploi auprès du SCC a été irrévocablement brisé. 

Par conséquent, en vertu du pouvoir qui m’est délégué au titre de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, je mets fin rétroactivement à votre emploi auprès du Service correctionnel du Canada, à compter du 10 mars 2015, date de votre suspension sans solde.

[…]

A. Politiques du SCC

1. Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada

[20]  Les Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada (les « Règles du SCC ») sont en partie rédigées comme suit :

[Traduction]

1. RÈGLE NUMÉRO UN

RESPONSABILITÉ DANS L’EXÉCUTION DES TÂCHES

Les employés doivent avoir une conduite qui rejaillit positivement sur la fonction publique du Canada, en travaillant ensemble pour atteindre les objectifs du SCC. Ils s’acquitteront de leurs tâches avec diligence et compétence, et en ayant soin de respecter les valeurs et les principes décrits dans le document sur la Mission, ainsi que les politiques et procédures établies dans la législation, les directives, les guides et autres documents officiels.

Les employés sont obligés de suivre les instructions de leurs superviseurs et de tout autre employé responsable du lieu de travail. Ils doivent également servir le public avec professionnalisme, courtoisie et promptitude.

[…]

2. RÈGLE NUMÉRO DEUX

CONDUITE ET APPARENCE

Le comportement des employés, qu’ils soient de service ou non, doit faire honneur au SCC et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter d’une façon qui projette une bonne image professionnelle, tant par leurs paroles que par leurs actes. De même, lorsqu’ils sont de service, leur apparence et leurs vêtements doivent refléter leur professionnalisme et être conformes aux normes de santé et de sécurité au travail.

[…]

4. RÈGLE NUMÉRO QUATRE

RELATIONS AVEC LES DÉLINQUANTS

Les employés doivent aider et encourager activement les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois, notamment en établissant avec eux des relations constructives en vue de faciliter leur réinsertion dans la collectivité. Ces relations seront empreintes d’honnêteté, d’intégrité et d’équité. Les employés contribueront à créer un lieu de travail sûr et sécuritaire, et respecteront la culture, la race, les antécédents religieux et ethniques des délinquants ainsi que leurs droits. Les employés éviteront les conflits d’intérêts avec les délinquants et leurs familles.

[…]

5. RÈGLE NUMÉRO CINQ CONFLITS D’INTÉRÊTS

Les membres du personnel doivent faire preuve d’honnêteté et d’intégrité dans l’accomplissement de leurs tâches pour le compte du gouvernement du Canada. Ils ne doivent pas s’engager dans des entreprises commerciales ou privées qui pourraient, ou sembleraient, les mettre en conflit avec leurs fonctions en tant qu’employés du SCC ou leurs responsabilités générales en tant que fonctionnaires.

6. RÈGLE NUMÉRO SIX PROTECTION ET COMMUNICATION DE L’INFORMATION

Les employés traiteront l’information reçue dans le cadre de leur emploi d’une manière conforme à la Loi sur l’accès à l’information, à la Loi sur la protection des renseignements personnels, à la Politique sur la sécurité du gouvernement ainsi qu’au serment de discrétion que prêtent tous les employés de la fonction publique du Canada. Ils s’assureront que les renseignements appropriés sont communiqués en temps opportun aux délinquants, aux autres organismes de justice pénale et au public, y compris les victimes, comme l’exigent la loi et les politiques.

[…]

[21]  Le commissaire du SCC a émis la « Directive du commissaire (« DC ») 060 », intitulée « Code de discipline » (le « Code »), qui s’applique à toutes les personnes qui travaillent au SCC. Les articles du Code concernant les fonctionnaires sont les suivants :

[Traduction]

OBJECTIF DE LA POLITIQUE

1. Établir des normes de conduite rigoureuses pour les employés du SCC.

RESPONSABILITÉS GÉNÉRALES

2. Il incombe à la direction du SCC :

a. de veiller à ce que tous les employés soient bien informés des Règles de conduite professionnelle, du Code de discipline ainsi que des autres directives et règlements, et à ce qu’ils reçoivent une formation correspondante adéquate;

b. de prendre de manière prompte et impartiale les mesures correctives qui s’imposent, lorsqu’il y a lieu.

3. Il incombe aux employés du SCC de respecter les Règles de conduite professionnelle desquelles découle un certain nombre de règles précises que doivent observer les employés du Service correctionnel du Canada. Une liste d’exemples d’infractions est présentée sous chaque règle précise. Ces listes ne sont pas exhaustives.

4. On s’attend aussi à ce que chacun des employés du SCC connaisse et respecte les lois, règlements et politiques auxquels est assujetti le personnel du SCC ainsi que les instructions et directives du SCC.

RÈGLES DE CONDUITE PROFESSIONNELLE

Responsabilité dans l’exécution des tâches

5. Les employés doivent avoir une conduite qui rejaillit positivement sur la fonction publique du Canada, en travaillant ensemble pour atteindre les objectifs du SCC. Ils s’acquitteront de leurs tâches avec diligence et compétence, et en ayant soin de respecter les valeurs et les principes décrits dans le document sur la Mission, ainsi que les politiques et procédures établies dans la législation, les directives, les guides et autres documents officiels. Les employés sont obligés de suivre les instructions de leurs superviseurs et de tout autre employé responsable du lieu de travail. Ils doivent également servir le public avec professionnalisme, courtoisie et promptitude.

Infractions

6. Commet une infraction l’employé qui :

a. omet de consigner ses présences ou celles d’un autre employé, ou les consigne de façon frauduleuse;

b. se présente en retard au travail ou ne s’y présente pas, ou quitte son lieu de travail sans autorisation;

[…]

Conduite et apparence

7. Le comportement des employés, qu’ils soient de service ou non, doit faire honneur au SCC et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter d’une façon qui projette une bonne image professionnelle, tant par leurs paroles que par leurs actes. De même, lorsqu’ils sont de service, leur apparence et leurs vêtements doivent refléter leur professionnalisme et être conformes aux normes de santé et de sécurité au travail.

Infractions

8. Commet une infraction l’employé qui :

a. présente une apparence et/ou un comportement indigne d’un employé du SCC lorsqu’il est de service ou en uniforme;

[…]

c. se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service, qu’il soit de service ou non;

d. commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’un territoire ou d’une province, qui pourrait jeter le discrédit sur le Service ou avoir un effet préjudiciable sur son rendement au travail;

[…]

Relations avec les délinquants

11. Les employés doivent aider et encourager activement les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois, notamment en établissant avec eux des relations constructives en vue de faciliter leur einsertion dans la collectivité. Ces relations seront empreintes d’honnêteté, d’intégrité et d’équité. Les employés contribueront à créer un lieu de travail sûr et sécuritaire, exempt de mauvais traitements, de harcèlement et de discrimination, et respecteront la culture, la race, les antécédents religieux et ethniques des délinquants ainsi que leurs droits. Les employés éviteront les conflits d’intérêts avec les délinquants et leurs familles.

Infractions

12 . Commet une infraction l’employé qui :

c. établit avec un délinquant ou un ancien délinquant, ou avec les amis ou parents d’un délinquant ou d’un ancien délinquant, des relations personnelles ou d’affaires quelconques qui ne sont pas approuvées par son supérieur autorisé;

[…]

Conflits d’intérêts

13. Les membres du personnel doivent faire preuve d’honnêteté et d’intégrité dans l’accomplissement de leurs tâches pour le compte du gouvernement du Canada. Ils ne doivent pas s’engager dans des entreprises commerciales ou privées qui pourraient, ou sembleraient, les mettre en conflit avec leurs fonctions en tant qu’employés du SCC ou leurs responsabilités générales en tant que fonctionnaires.

Infractions

14. Commet une infraction l’employé qui :

a. omet de divulguer une situation de conflit d’intérêts décrite dans le Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique, ou refuse de se plier à la décision du commissaire ou de son représentant autorisé relativement à une déclaration de conflit d’intérêts.

Protection et communication de l’information

15. Les employés traiteront l’information reçue dans le cadre de leur emploi d’une manière conforme à la Loi sur l’accès à l’information, à la Loi sur la protection des renseignements personnels, à la Politique sur la sécurité du gouvernement ainsi qu’au serment de discrétion que prêtent tous les employés de la fonction publique du Canada. Ils s’assureront que les renseignements appropriés sont communiqués en temps opportun aux délinquants, aux autres organismes de justice pénale et au public, y compris les victimes, comme l’exigent la loi et les politiques.

[…]

Infractions

18. Commet une infraction l’employé qui :

a. omet de garder en lieu sûr les documents, rapports, directives, manuels, guides ou autres renseignements du Service;

[…]

c. contrevient à la Politique sur la sécurité du gouvernement […]

[…]

[22]  Les deux fonctionnaires ont signé une confirmation qu’ils avaient reçu et examiné le Code et les Règles du SCC.

[23]  Ni le Code ni les Règles du SCC ne définissent le terme « délinquant ».

2. DC 226 – Utilisation des ressources électroniques

[24]  La DC 226, Utilisation des ressources électroniques, traite de l’utilisation que font les employés des ressources électroniques du SCC. Les articles pertinents sont les suivants :

[…]

5. Les personnes autorisées qui utilisent les ressources électroniques du SCC :

a. se conformeront aux lois, aux politiques du gouvernement, aux directives et à toutes autres instructions publiées par le SCC sur l’utilisation des ressources électroniques […]

[…]

UTILISATIONS AUTORISÉES DES RESSOURCES ÉLECTRONIQUES

Utilisation pour le travail officiel

6. Les ressources électroniques doivent être utilisées pour le travail officiel qui comprend, entre autres, la création, la manipulation, le stockage et la transmission des éléments ci-dessous ainsi que leur accès :

a.  les messages électroniques (courriels)

b.  les documents ou renseignements électroniquesqui [sic] se trouvent sur les ressources électroniques gérées par le SCC

c.   l’information sur le site intranet du SCC

d.  l’information sur Internet.

[…]

UTILISATIONS INTERDITES DES RESSOURCES ÉLECTRONIQUES

8.  Il est interdit aux personnes autorisées de se servir des ressources électroniques du gouvernement pour :

a.  utiliser, transmettre ou stocker des jeux électroniques ou autres logiciels de divertissement

b.   exploiter ou soutenir leur propre entreprise privée ou pour aider des membres de leur famille, des amis ou d’autres personnes à mener de telles activités, ou

c.   se livrer à des activités illégales ou inacceptables, ou pour stocker ou transmettre des renseignements y afférents, à moins d’en avoir expressément obtenu l’autorisation dans le cadre d’une enquête officielle.

[…]

MESURES DISCIPLINAIRES ET SANCTIONS

17. Le SCC peut prendre des mesures disciplinaires ou imposer des sanctions dans les cas d’activité illégale et/ou inacceptable ayant trait à l’utilisation de ses ressources électroniques. Les mesures disciplinaires seront proportionnelles à la gravité et aux circonstances de l’activité illégale et/ou inacceptable. Lorsque des mesures disciplinaires s’imposent, il faut consulter les Relations de travail pour que la prise de mesures disciplinaires soit uniforme dans l’ensemble du SCC.

18. Les mesures disciplinaires peuvent inclure :

a. une réprimande verbale ou écrite

b. des restrictions d’accès aux ressources électroniques

c. l’examen de la cote de fiabilité ou de l’autorisation de sécurité de la personne en cause

d. la suspension de l’employé ou la cessation d’emploi.

[…]

3. La Politique sur la sécurité du gouvernement du gouvernement du Canada

[25]  Une copie de la Politique sur la sécurité du gouvernement du gouvernement du Canada, en vigueur au 1er juillet 2009 et mise à jour le 1er avril 2012, a été déposée en preuve.

B. L’achat et la possession de cannabis (marijuana)

[26]  La majorité des faits et questions qui se rattachent au licenciement de chacun des fonctionnaires découlent du fait que ceux‑ci ont acheté et été en possession de diverses quantités et variétés de cannabis (marijuana), tel qu’il a été découvert dans le cadre d’une enquête de la Police provinciale de l’Ontario (PPO) et du Service de police d’Ottawa (SPO) désignée sous le nom d’« opération Batlow ».

[27]  Au moment de l’audience, Rick Weeks était détective auprès du Bureau de la lutte contre le crime organisé (« BLCO ») de la PPO, et Govert Schoorl était gendarme‑détective au SPO. MM. Weeks et Schoorl ont tous deux participé à l’opération Batlow.

[28]  Dans son témoignage, le détective Weeks a déclaré que l’opération Batlow avait été menée en grande partie par le BLCO et l’Unité de lutte contre les bandes de motards, et qu’elle ciblait les activités liées au trafic de stupéfiants de certains membres en règle du club de motards des Hells Angels. Dans son témoignage, le détective Schoorl a déclaré que dans le cadre de l’opération, entre 12 et 15 personnes ont fait l’objet d’une surveillance.

[29]  Les détectives Weeks et Schoorl ont tous deux fait allusion à une personne d’intérêt dans l’enquête, que je désignerai sous le nom de « M. A » dans la présente décision. Au début de l’enquête, M. A était un membre en règle des Hells Angels qui prenait part à l’approvisionnement et à la distribution de drogues illicites, y compris la marijuana. À une date qui n’est pas claire, mais qui se situe durant l’enquête et avant le mois de décembre 2014, M. A n’était plus membre en règle.

[30]  Les détectives Weeks et Schoorl ont tous deux fait allusion à une autre personne d’intérêt dans l’enquête, que je désignerai sous le nom de « Mme B » dans la présente décision. Au moment de l’enquête, elle était une associée de M. A. Les enquêteurs croyaient qu’elle distribuait des drogues illicites, y compris de la marijuana, à partir de son domicile situé dans la ville de Barrhaven, en banlieue d’Ottawa, et que M. A était son fournisseur.

[31]  À l’audience, un document intitulé [traduction] « Résumé de la preuve et répertoire source – REGINA c. [M. A], [Mme B], [personne non concernée par les griefs], Andrea DeLAAT et Christopher D’CUNHA » (le « Résumé de l’opération Batlow ») a été déposé en preuve. Il est question du Résumé de l’opération Batlow dans un autre document auquel il était joint, qui a été déposé en preuve sous le titre de [traduction] « Rapport sur la recherche de faits de nature disciplinaire – Accusations criminelles pour possession de marijuana en vue d’en faire le trafic, complot en vue de se livrer au trafic de marijuana (D’Cunha et DeLaat) et complot en vue de commettre un acte criminel/contravention générale à l’alinéa 465(1)c) du Code criminel du Canada (DeLaat) » (le « rapport d’enquête du SCC ». Ce document était daté du 30 avril 2015; Tim Hamilton et Maureen Moran en sont les auteurs.

[32]  À une étape précoce de l’opération Batlow, une caméra vidéo fixe a été installée sur un poteau à l’extérieur du domicile de Mme B. Cette caméra enregistrait, accompagnée des dates et des heures, des vidéos montrant l’avant de la maison, y compris la porte d’entrée et une partie de sa voie d’accès pour automobiles.

[33]  Au fil de l’opération Batlow, les enquêteurs ont commencé à surveiller plus étroitement M. A, Mme B et la maison de celle‑ci au moyen de diverses techniques, y compris la surveillance et l’enregistrement audio et vidéo, auxquels s’ajoutaient la surveillance directe discrète de la police et du personnel de la police secrète qui interagissait directement avec M. A et une autre personne proche de lui et de Mme B, qui est désignée sous le nom de « M. C » dans la présente décision. À un moment qui n’a pas été révélé, dans le cadre de la surveillance, la police a commencé à surveiller les conversations sur cellulaire de MM. A et C et de Mme B.

[34]  Conformément à une ordonnance de la cour en date du 30 octobre 2014, les enquêteurs de l’opération Batlow sont entrés dans la maison de Mme B, l’ont fouillée, ont pris note des substances illégales qu’ils y ont trouvées et ont installé des connexions vidéo et audio à l’intérieur.

[35]  Le Résumé de l’opération Batlow présente une synthèse de tous les renseignements recueillis par divers agents de police ayant pris part à la surveillance. À travers la surveillance du domicile de Mme B dans le cadre de l’opération Batlow, les fonctionnaires sont tombés dans la mire des enquêteurs de police.

[36]  Selon la preuve recueillie, entre le 8 novembre 2013 et le 5 décembre 2014, Mme de Laat s’est présentée au domicile de Mme B afin d’acheter de la marijuana à 19 occasions distinctes. La preuve a également révélé qu’à neuf reprises distinctes, entre juin 2014 et le 24 février 2015, M. D’Cunha s’est présenté au domicile de Mme B et a acheté différents types de marijuana en diverses quantités pour Mme de Laat.

[37]  Il était indiqué dans le Résumé de l’opération Batlow qu’après le 30 octobre 2014, différents types de marijuana ont été stockés en quantités considérables au domicile de Mme B, ainsi que des articles qui sont habituellement associés à la vente de marijuana, notamment une balance électronique, un nombre important de sacs à lunch en plastique, de l’argent liquide en grandes quantités et au moins une arme à feu.

[38]  Dans le Résumé de l’opération Batlow, les renseignements se rapportant aux fonctionnaires se trouvent aux pages 115 à 168. Ces renseignements énumèrent, par ordre chronologique, chacune des présences de l’un ou l’autre des fonctionnaires au domicile de Mme B, y compris ce qui suit :

  • l’heure à laquelle l’un ou l’autre fonctionnaire arrivait à la résidence et y entrait;
  • l’heure à laquelle l’un ou l’autre fonctionnaire quittait la résidence;
  • les marques, les modèles et les numéros des plaques d’immatriculation des véhicules que les fonctionnaires conduisaient.

[39]  Avant le 30 octobre 2014, la caméra fixe de vidéosurveillance a capté l’entrée des fonctionnaires dans la résidence de Mme B, ainsi que leur départ. Certaines parties du Résumé de l’opération Batlow comprennent des photographies prises pendant la surveillance. La surveillance téléphonique de M. A et de Mme B a aussi permis de capter les fonctionnaires. Après le 30 octobre 2014, les fonctionnaires ont aussi parfois été captés au moyen de la surveillance audio installée à l’intérieur de la maison, pendant qu’ils discutaient de l’achat de marijuana.

[40]  Mme de Laat a déclaré qu’en juin 2013, ou vers cette date, elle a eu une grave blessure qui a exigé une greffe de ligaments provenant d’un donneur et que, à la suite de la chirurgie, elle a constaté que la marijuana soulageait la douleur. Elle a affirmé qu’elle avait acheté de la marijuana à Kingston, mais qu’elle était préoccupée en raison de son emploi et de la proximité de la source de drogue à son emploi. Elle n’a pas donné de précisions sur son fournisseur à Kingston.

[41]  Mme de Laat a déclaré qu’elle avait fait la connaissance de Mme B à l’époque où elle habitait à Ottawa. Elles avaient été amies à l’école secondaire. Elle a affirmé qu’elles s’étaient séparées par suite de son déménagement à Kingston. Cependant, elles avaient renoué au moyen de Facebook. Mme de Laat a admis qu’elle avait fumé de la marijuana en compagnie de Mme B à l’école secondaire, et qu’après qu’elles eurent renoué, par conséquent, elle s’était dit que Mme B pourrait éventuellement [traduction] « la mettre en contact » avec une personne qui pourrait lui en fournir.

[42]  Mme de Laat a affirmé que la première fois qu’elle était allée à Ottawa pour rencontrer Mme B, elle a réalisé que celle‑ci pourrait être, et serait, son fournisseur. Elle a ajouté ce qui suit au sujet de leur première rencontre au domicile de Mme B : [traduction] « Je lui ai dit que j’avais besoin d’une once d’herbe. Elle a sorti un sac, a pesé l’herbe, et je l’ai payée ». Lorsque son représentant lui a demandé ce qui s’était passé ensuite, Mme de Laat a répondu ceci : « Nous avons rattrapé le temps perdu, roulé un joint et bavardé ». Ses visites chez Mme B pour acheter de la marijuana sont devenues une activité régulière pour elle.

[43]  Mme de Laat a reconnu qu’il était possible que Mme B ait fourni de la drogue à d’autres personnes, pas seulement à elle. Malgré son affirmation qu’elle en était préoccupée, elle a ajouté qu’elle était à la recherche d’un produit, et qu’elle ignorait que Mme B était essentiellement une narcotrafiquante. Elle a déclaré ultérieurement qu’elle savait que d’autres personnes achetaient de la marijuana de Mme B. Elle a affirmé avoir vu des achats se dérouler.

[44]  Mme de Laat a admis qu’elle savait que Mme B devait s’approvisionner en drogues quelque part. Elle a déclaré n’avoir rencontré M. A qu’une seule fois, même si Mme B lui en avait parlé. Elle a affirmé que Mme B lui parlait des voyages qu’elle faisait avec M. A et qu’elle le qualifiait de [traduction] « personne dure; usant amplement de violence et de représailles contre les gens ». Mme de Laat a affirmé que lorsqu’elle a appris cette information au sujet de M. A, sa réaction a été de [traduction] « ne pas poser de questions à Mme B ». Lorsque son représentant lui a demandé pourquoi, elle a répondu comme suit : [traduction] « Des signaux d’alerte se sont allumés, et je n’ai pas voulu en savoir plus. J’ai pensé qu’il se tramait autre chose ». À la question de savoir de quoi il s’agissait, Mme de Laat a répondu ceci : [traduction] « Elle me disait que M. A était passé, qu’il venait de partir, et qu’elle avait un approvisionnement. La violence dont elle parlait était extrême, et c’était assurément un signal d’alerte ».

[45]  Mme de Laat a affirmé qu’elle appréciait le déplacement en voiture jusqu’à Ottawa (lorsqu’elle venait acheter de la drogue), ses visites à Mme B et leurs discussions au sujet de leurs vies et de leurs familles respectives. Elle a indiqué que Mme B était en quelque sorte une fêtarde, et qu’elle trouvait que les histoires procuraient une certaine libération. Elle a ajouté qu’à l’école secondaire, Mme B buvait, fumait de la marijuana et recherchait l’action constamment et qu’elle n’était jamais ennuyante. Mme de Laat a affirmé que la maison de Mme B était très désordonnée, qu’un fouillis régnait partout et qu’un réfrigérateur trônait dans le salon. Elle a affirmé que Mme B avait un fils qui vivait avec sa grand‑mère. Elle a déclaré que ces faits et le fait que l’achat de marijuana constituait une violation du Code étaient des signaux d’alerte pour elle.

[46]  Lorsque son représentant lui a demandé pourquoi elle avait continué d’aller chez Mme B, compte tenu de ce qu’elle savait, Mme de Laat a répondu ceci : [traduction] « Elle avait ce que je cherchais : de la marijuana ».

[47]  Au cours de la discussion sur les signaux d’alerte au sujet des contacts avec Mme B, Mme de Laat a affirmé que son mari (M. D’Cunha) ne connaissait pas Mme B, mais elle a admis que les signaux d’alerte touchant sa participation, y compris le risque pour son emploi et sa famille, existaient avant que M. D’Cunha rencontre Mme B pour lui acheter de la marijuana.

[48]  Mme de Laat a déclaré que M. D’Cunha avait offert de passer prendre la marijuana pour elle. Lorsque son représentant lui a demandé pourquoi elle avait mêlé son mari à cela, elle a simplement répondu : [traduction] « Je cherchais à en obtenir, sans tenir compte des signaux d’alerte; je ne croyais pas me faire prendre ».

[49]  Mme de Laat a affirmé qu’en janvier 2015, Mme B lui avait dit qu’elle allait déménager dans le nord. Elle a aussi admis qu’à ce moment‑là, elle avait fait la connaissance de M. A. Elle a affirmé que Mme B lui avait dit que M. A la remplacerait. Mme de Laat a accepté parce qu’elle n’avait aucun autre endroit où aller pour se procurer sa marijuana. Elle a déclaré que même si elle était préoccupée d’interagir avec M. A, elle avait conclu qu’il était le fournisseur de Mme B.

[50]  Mme de Laat a affirmé n’avoir traité qu’une seule fois avec M. A, et que la communication avait à nouveau été assurée par Mme B, qu’elle appelait au moyen de son cellulaire et qui avait fixé la rencontre du 24 février 2015 pour acheter de la drogue; M. D’Cunha s’était chargé de l’achat. Lorsque son représentant l’a questionnée au sujet de la possibilité d’appeler M. A et de traiter avec lui directement, Mme de Laat a répondu qu’elle avait entrepris des démarches afin d’obtenir une licence médicale de consommation de marijuana.

[51]  En contre-interrogatoire, Mme de Laat a déclaré qu’elle avait commencé à acheter de la marijuana auprès de Mme B peu de temps après son accident, en juin 2013. Bien qu’elle n’ait pas précisé exactement à quelle fréquence elle se rendait au domicile de Mme B, elle a indiqué qu’elle pouvait y aller toutes les semaines ou aux deux semaines, selon la quantité qu’elle consommait à ce moment‑là.

[52]  M. D’Cunha a déclaré qu’il n’avait éprouvé aucun problème de rendement au travail. Il n’avait pas été inscrit dans le Programme national de gestion des présences, et avait été membre de la garde d’honneur du SCC, qui assiste aux funérailles des membres du personnel, aux cérémonies de remise des diplômes du Collège du personnel, ainsi qu’aux commémorations des policiers et agents de la paix.

[53]  M. D’Cunha a décrit sa participation à l’achat de marijuana pour Mme de Laat en disant qu’il s’agissait d’un [traduction] « rouage logistique ». Il a affirmé qu’il l’achetait pour elle parce que cela soulageait sa douleur, lui permettait d’être fonctionnelle et l’aidait à composer, ce qui l’a motivé à lui venir en aide.

[54]  Les pages 117 et 121 du Résumé de l’opération Batlow font état d’une visite de M. D’Cunha au domicile de Mme B, le 9 mai 2014, entre 12 h 33 et 12 h 44. Six photographies qui ont été prises par la caméra fixe de vidéosurveillance y sont jointes. Selon les renseignements consignés et illustrés par les photographies, M. D’Cunha est arrivé à la résidence, s’est dirigé vers la porte d’en avant et est entré dans la maison. Une partie d’une motocyclette et une personne qui ouvre la porte d’entrée pour faire entrer M. D’Cunha sont également visibles sur les photos et indiquées. La motocyclette était garée dans l’allée. M. D’Cunha n’aurait pu en aucun cas ne pas la voir, puisqu’il a dû la contourner pour stationner son véhicule.

[55]  Le détective Weeks a déclaré que les photographies reproduites dans le Résumé de l’opération Batlow sont en basse résolution, et qu’elles ont été prises par la caméra fixe de vidéosurveillance. Il a aussi déclaré qu’il avait examiné la séquence vidéo, qui montrait clairement que, le 9 mai 2014, au moment de l’arrivée de M. D’Cunha au domicile de Mme B, la motocyclette garée dans l’allée portait des marquages et des couleurs nettement visibles, qui étaient associés aux Hells Angels. Le détective Weeks a ajouté que la personne qui avait répondu à la porte du domicile de Mme B et qui avait invité M. D’Cunha à entrer était M. A, et que, à ce moment‑là, celui‑ci portait son blouson des Hells Angels orné de l’insigne et des couleurs. Le détective Weeks a déclaré que l’affichage de l’insigne et des couleurs indique que le lieu est associé à l’organisation.

[56]  Le détective Weeks a été contre‑interrogé par M. D’Cunha, qui n’a posé aucune question sur les renseignements de surveillance, y compris les photos datant du 9 mai 2014.

[57]  Dans son témoignage, M. D’Cunha a déclaré qu’il avait cru comprendre que M. A était un ami de Mme B. Dans son témoignage en interrogatoire principal, M. D’Cunha a commenté les éléments de preuve de sa visite au domicile de Mme B, le 9 mai 2014. Il a déclaré ce qui suit :

  • la date n’était pas celle du 9 mai 2014, mais bien du 5 septembre 2014;
  • il a remarqué la motocyclette garée dans l’allée;
  • M. A lui a tenu la porte, et ils se sont croisés alors que M. A sortait de la résidence et que lui‑même y entrait;
  • il a remarqué que M. A portait un blouson de motard;
  • il n’a jamais vu le dos du blouson.

[58]  En ce qui concerne l’incident du 9 mai 2014, qui aurait effectivement eu lieu le 5 septembre 2014, selon M. D’Cunha, on lui a demandé s’il avait parlé de M. A avec Mme de Laat à la suite de cet achat. Il a répondu [traduction] « Non ».

[59]  Il y a eu un différend sur la question de savoir si la date applicable aux photos, qui était celle du 9 mai 2014 dans le Résumé de l’opération Batlow, était en réalité celle du 5 septembre 2014. M. D’Cunha a laissé entendre que c’était la seconde date alors que, selon le rapport, il s’agissait de la première. D’après l’ensemble des autres photographies montrant les allées et venues des fonctionnaires au domicile de Mme B, il semblerait que la date soit le 5 septembre, et non le 9 mai, parce que le timbre à date apposé sur toutes les photos reproduites à partir des images enregistrées par la caméra vidéo fixe indiquait en premier le nombre correspondant au mois. Par exemple, pour le 3 juin 2014, le timbre à date indiquait le « 06/03/14 ». Or, le timbre à date apposé pour la visite alléguée de M. D’Cunha, le 9 mai 2014, était présenté sous la forme « 09/05/14 » sur les six photos prises ce jour‑là. Cependant, aux fins de la présente décision, rien ne dépend de la différence de date.

[60]  M. D’Cunha a déclaré que sa rencontre suivante avec M. A avait eu lieu le 30 janvier 2015. Lors de cette rencontre, M. A lui a parlé d’une bagarre à laquelle il avait été mêlé et a mentionné un trou dans son blouson. M. D’Cunha a affirmé que la liberté avec laquelle M. A lui avait communiqué des renseignements personnels et sa conduite douteuse l’avait troublé. Il a affirmé qu’il ne voulait rien savoir de M. A, qu’il ne voulait pas le fréquenter, ni entretenir de liens avec lui.

[61]  Cela étant, M. D’Cunha a déclaré que sa dernière rencontre avec M. A avait eu lieu le 24 février 2015, lorsqu’il s’est rendu à Ottawa après que Mme de Laat eut pris des dispositions avec Mme B aux fins d’un achat. Il a affirmé qu’à la suite de cette visite auprès de M. A (qui a eu lieu la veille de la descente de police effectuée en matinée), il a partagé ses préoccupations avec Mme de Laat et laissé entendre qu’ils s’exposaient [traduction] « à un risque trop élevé à ce stade ». Il a affirmé que des liens possibles avec les Hells Angels avaient fait surface. Il a déclaré ce qui suit : [traduction] « J’ai dit que j’avais vu une motocyclette dans l’allée à un moment donné ». Il a affirmé que ce soir‑là, Mme de Laat et lui avaient décidé de cesser de faire affaire avec M. A et Mme B et d’envisager des solutions de rechange. Il a ajouté que, avant le 24 février 2015, Mme de Laat n’avait pas soulevé auprès de lui ses préoccupations concernant M. A.

[62]  En contre-interrogatoire, M. D’Cunha a affirmé qu’il n’avait guère reçu de formation en matière de drogue, mais que celle qu’il avait reçue portait sur le fonctionnement d’un détecteur à ions et sur la présence de drogues dans un milieu carcéral.

[63]  En contre-interrogatoire, M. D’Cunha a été renvoyé à son affirmation selon laquelle, à la suite de sa rencontre avec M. A, le 30 janvier 2015, il avait affirmé qu’il ne se sentait plus à l’aise avec lui, mais qu’il s’était senti à l’aise pour donner son numéro de téléphone cellulaire et celui de Mme de Laat à Mme B, qui ne serait pas à Ottawa, mais qui coordonnerait pour eux les achats auprès de M. A. Il a aussi souligné qu’il avait librement révélé à M. A et M. C qu’il était au service du SCC. M. D’Cunha a rétorqué que M. A et M. C le savaient déjà parce que Mme B leur avait dit.

C. Arrestation, détention et interrogatoire de police les 25 et 26 février 2015

[64]  Le 25 février 2015, l’opération Batlow a atteint son point culminant lors de multiples descentes de police à différents endroits partout dans la province, notamment au domicile des fonctionnaires, à 6 h. Environ deux onces de marijuana ont été saisies sur la table de leur salle à manger. Les fonctionnaires ont déclaré qu’au moment de leur arrestation par la police, ce matin‑là, ils ont demandé à l’un des agents procédant à l’arrestation d’appeler le SCC et d’aviser que ni l’un ni l’autre ne se présenterait au travail. Ils ont été placés en détention et transportés jusqu’au quartier général de la police d’Ottawa, où ils ont été interrogés par le détective Schoorl. La preuve a révélé que pendant qu’ils étaient sous la garde de la police, ils ont eu la possibilité de consulter un avocat (ce qu’ils ont fait) avant d’être interrogés par le détective Schoorl.

[65]  Entre 20 h 24 et 20 h 45, le détective Schoorl a interrogé Mme de Laat; entre 20 h 52 et 21 h 4, il a interrogé M. D’Cunha. Les deux interrogatoires ont été enregistrés sur bandes vidéo et audio. Les transcriptions des interrogatoires ont été déposées en preuve.

[66]  Selon la transcription de l’interrogatoire de Mme de Laat, au moment où le détective Schoorl a posé diverses questions ou fait des déclarations afin d’en confirmer la validité, Mme de Laat a rarement réellement répondu aux questions, fourni des renseignements ou confirmé les déclarations concernant l’achat ou la possession de marijuana, les visites au domicile de Mme B ou l’interaction avec M. A et M. C et Mme B. En ce qui concerne les questions ou déclarations directes au sujet de ce qui pouvait clairement être associé à une activité criminelle possible, Mme de Laat a déclaré qu’elle ne ferait ni commentaire ni déclaration.

[67]  La transcription de l’interrogatoire de M. D’Cunha indique que durant son entrevue avec le détective Schoorl, il a admis ce qui suit :

  • son arrestation avait quelque chose à voir avec sa visite au domicile de Mme B la veille;
  • l’heure à laquelle il croyait être arrivé au domicile de Mme B la veille;
  • deux amis de Mme B se trouvaient chez elle, dont l’un était M. A;
  • le but de sa présence au domicile de Mme B était l’achat de marijuana pour Mme de Laat;
  • Mme de Laat consommait de la marijuana;
  • Mme de Laat achetait une once ou moins de marijuana à la fois, ce qui durait quelques semaines;
  • Mme de Laat et lui achetaient auprès de Mme B parce que Mme de Laat lui faisait confiance, dans la mesure où elle avait été une amie d’enfance;
  • au moment de la descente de police à son domicile le matin du 25 février 2015, il y avait environ deux onces de marijuana sur la table à café, qu’il avait achetées la veille;
  • la valeur en dollars de son achat de marijuana;
  • il avait payé la marijuana à M. A;
  • il était allé chercher de la marijuana au domicile de Mme B dans le passé, mais les quantités avaient été moindres que celle qu’il avait achetée le 24 février 2015;
  • Mme de Laat et lui faisaient un achat toutes les deux semaines;
  • Mme de Laat consommait de la marijuana depuis qu’il la connaissait;
  • il avait consommé de la marijuana dans le passé, mais pas depuis les trois dernières années;
  • il allait acheter la marijuana à Ottawa en hiver, parce que Mme de Laat n’était pas sûre d’elle au volant en hiver;
  • Mme de Laat lui avait dit que M. A avait des liens avec les Hells Angels;
  • en raison de la nature de son travail, les liens de M. A avec les Hells Angels constituaient un signal d’alerte important pour lui;
  • M. A se trouvait déjà au domicile de Mme B à son arrivée là le 24 février 2015;
  • il s’agissait de la première fois qu’il achetait auprès de M. A, puisque dans le passé, ses échanges avaient lieu avec Mme B;
  • il savait qu’il verrait M. A au sujet de l’achat, parce que Mme B, qui n’était pas en ville, avait pris des dispositions en ce sens;
  • il avait passé une dizaine de minutes au domicile de Mme B, et M. A avait dû peser le paquet;
  • il avait acheté le double de la quantité habituelle, à la demande de Mme de Laat;
  • il s’était efforcé de convaincre Mme de Laat de cesser de consommer de la marijuana ou de réduire sa consommation;
  • il s’efforçait de convaincre Mme de Laat en raison des conséquences néfastes que cela aurait pour leurs carrières, puisqu’ils travaillaient tous deux pour le SCC, et parce que la mère de celle‑ci ainsi que ses grands‑mères l’avaient aussi avertie des risques, pas seulement lui.

[68]  Les deux fonctionnaires ont été libérés tôt en matinée le 26 février 2015, sur promesse de comparaître.

D. Reportages sur les arrestations des fonctionnaires

[69]  Des reportages sur l’arrestation des fonctionnaires ont été publiés dans les journaux suivants :

  • le Kingston Whig Standard, les 27 et 28 février et le 2 mars 2015;
  • le Ottawa Sun et le Ottawa Citizen, les 27 et 28 février 2015, respectivement;
  • le Peterborough Examiner, le 28 février 2015;
  • le Orleans Star, le 3 mars 2015;
  • le Wawa News, le 14 mars 2015.

[70]  Tous les articles de journaux avaient en grande partie le même contenu. Ils faisaient état des descentes et arrestations à grande échelle en lien avec l’opération Batlow, précisaient que les fonctionnaires étaient des employés du SCC à Kingston, et signalaient que Mme de Laat avait été accusée de complot en vue d’en faire le trafic de cannabis et que M. D’Cunha avait été accusé de possession en vue d’en faire le trafic.

E. L’enquête du SCC

[71]  Le 25 février 2015, la sous‑commissaire adjointe par intérim (« SCA par intérim »), des opérations correctionnelles de la région de l’Ontario du SCC, Theresa Westfall, a émis un ordre de convocation autorisant la création d’un comité d’enquête, dont les parties pertinentes étaient rédigées comme suit :

[Traduction]

[…]

ATTENDU QUE le ou vers le 25 février 2015, Chris D’Cunha, formateur du Bloc A au Collège régional du personnel, en Ontario, et son épouse, Andrea De Laat, qui occupe un poste CR 04 au Centre régional de traitement de l’Établissement de Millhaven, auraient été tous deux interrogés, inculpés et libérés sur promesse de comparaître par suite d’accusations en matière de drogue.

EN CONSÉQUENCE, je, Theresa Westfall, sous‑commissaire adjointe par intérim des Opérations correctionnelles du bureau régional de l’Ontario, désigne par les présentes Tim Hamilton, DAO [directeur adjoint, Opérations], Établissement de Bath, à titre de président, et Maureen Moran à titre de membre du Comité d’enquête disciplinaire.

J’ORDONNE ET JE CHARGE les personnes ainsi désignées de s’acquitter fidèlement des fonctions qui leur sont confiées dans le cadre de cette enquête et de me fournir un exposé de toutes les circonstances entourant l’incident susmentionné, y compris :

a) le contexte dans lequel l’incident s’est déroulé;

b) une description des allégations;

c) la chronologie des évènements.

Advenant qu’une autre inconduite soit découverte durant l’enquête susmentionnée, et que cette inconduite soit suffisamment différente de celle faisant actuellement l’objet de l’enquête, le Comité doit obtenir un ordre de convocation modifié à cet égard.

J’ORDONNE EN OUTRE au Comité d’enquête d’analyser spécifiquement les questions suivantes ayant rapport à ce cas, ainsi que tout point de conformité à la loi, aux politiques et aux procédures :

a) revoir les circonstances entourant les allégations de conduite inappropriée, et présenter les conclusions pertinentes;

b) les atteintes possibles à la réputation du Service correctionnel du Canada et de la fonction publique;

c) toute autre question qu’elles jugent pertinente.

J’ORDONNE EN OUTRE au Comité d’enquête de me fournir ses conclusions sur les questions susmentionnées […]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[72]  Selon l’ordre de convocation, Mme Westfall devait remettre un rapport final le 30 mars 2015 au plus tard. Le 26 mars 2015, l’ordre a été modifié afin de reporter cette date au 30 avril 2015.

[73]  Au moment de l’audience, Maureen Moran occupait un poste intérimaire d’administratrice de la sécurité et du renseignement au Collège régional du personnel de l’Ontario. Son poste d’attache était à titre de gestionnaire correctionnelle à l’Établissement de Bath, qu’elle occupait depuis 2006. Elle travaillait au SCC depuis 21 ans. Durant l’enquête, elle occupait son poste d’attache. M. Hamilton n’a pas témoigné. Selon la preuve, les enquêteurs du SCC ont interrogé les deux fonctionnaires à deux reprises, mais séparément chaque fois.

[74]  M. D’Cunha a été interrogé le 10 mars 2015, puis à nouveau le 24 avril 2015. Aux pages 12 à 14 du rapport d’enquête du SCC, il est indiqué que M. D’Cunha a avisé les enquêteurs du SCC en disant :

  • qu’il avait compris et signé le document d’assermentation et la déclaration solennelle concernant le Code et les Règles du SCC;
  • que Mme B était la seule personne qu’il connaissait dans la liste des personnes arrêtées;
  • qu’il n’irait pas et n’était pas allé à un domicile quelconque à Ottawa afin d’acheter de la drogue;
  • qu’il était allé à Ottawa entre quatre et six fois environ au cours de l’année écoulée et que, toutefois, cela aurait pu être plus souvent;
  • qu’il avait reçu une formation suffisante pour se tenir loin des personnes qui pouvaient être associées à des organisations criminelles;
  • qu’il avait envoyé des documents du SCC à son adresse électronique à la maison au moyen du réseau du SCC, mais que ces documents n’avaient jamais été transmis à d’autres personnes, qu’ils étaient expédiés seulement afin qu’il puisse les examiner, à la maison;
  • que sur les conseils d’un avocat, il ne ferait aucun commentaire sur l’accusation criminelle dont il faisait l’objet;
  • qu’il s’était présenté chez Mme B six à huit fois en 2014‑2015;
  • que ses visites chez elle étaient seulement sociales;
  • qu’il ignorait si Mme de Laat était mêlée à quoi que ce soit en lien avec la drogue;
  • qu’il ne connaissait personne du nom de « M. A » ni aucun de ses associés;
  • qu’au domicile de Mme B, il n’avait vu personne arborer les couleurs d’une bande;
  • qu’il savait que les Hells Angels étaient une organisation criminelle.

[75]  Mme de Laat a été interrogée le 11 mars 2015, puis à nouveau le 25 avril 2015. Les deux fois, elle était accompagnée par un représentant de l’agent négociateur. Aux pages 10 à 12 du rapport d’enquête du SCC, il est indiqué qu’elle a avisé les enquêteurs du SCC de ce qui suit :

  • qu’elle avait compris et signé le document d’assermentation et la déclaration solennelle concernant le Code et les Règles du SCC;
  • que Mme B était la seule personne qu’elle connaissait dans la liste des personnes arrêtées;
  • qu’elle avait vu Mme B environ huit fois au cours des deux dernières années;
  • qu’elle n’avait jamais su que Mme B consommait ou vendait de la drogue;
  • qu’elle fréquentait Mme B en public;
  • que Mme B vivait à Barrhaven, en Ontario;
  • qu’elle n’était pas coupable et n’avait pas été déclarée coupable des accusations criminelles;
  • qu’elle ne ferait jamais quelque chose comme cela, qui puisse compromettre la réputation de sa famille;
  • qu’elle ne voudrait pas qu’il y ait de la drogue dans l’entourage de ses enfants;
  • qu’elle savait que c’était mal et illégal d’acheter de la drogue;
  • qu’elle était allée à Ottawa environ tous les deux mois;
  • qu’elle n’utilisait jamais de congés de maladie pour aller à Ottawa;
  • que les seuls courriels qu’elle avait envoyés à son adresse électronique à la maison traitaient de la pilosité faciale, parce que son mari portait une barbiche;
  • qu’elle ne pouvait pas commenter la question de l’achat de stupéfiants au domicile de Mme B, sur les conseils d’un avocat;
  • lorsqu’elle a été priée de préciser ses visites au domicile de Mme B, elle a déclaré qu’elle y était allée six ou sept fois en 2014 et 2015, et que la seule relation qu’elle entretenait avec Mme B était à titre d’amie d’enfance;
  • qu’elle n’était jamais allée chez Mme B durant les heures de travail;
  • qu’elle n’avait jamais su qu’il se vendait de la drogue au domicile de Mme B;
  • qu’elle n’avait jamais su que M. D’Cunha était allé chez Mme B afin d’acheter des stupéfiants;
  • qu’elle ne connaissait personne du nom de « M. A » ni aucun de ses associés.

[76]  Le 24 avril 2015, M. D’Cunha a envoyé à Mme Moran le courriel suivant :

[Traduction]

[…]

Dans le même ordre d’idées, après avoir réfléchi à la suite de notre rencontre, aujourd’hui, je tiens à préciser que pendant la durée de mon mandat au Service, je n’ai jamais fréquenté sciemment une personne qui avait un casier judiciaire, et qu’en outre, je suis également au courant des politiques énoncées dans le Code de conduite qui régissent de pareilles fréquentations. Les discussions que nous avons eues lors de la rencontre à cet égard étaient entièrement hypothétiques, puisque je ne me suis jamais trouvé devant une telle situation en réalité.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[77]  Le rapport d’enquête du SCC indiquait ce qui suit :

  • à 10 reprises entre le 8 avril 2014 et le 1er février 2015, M. D’Cunha a envoyé des documents liés au travail à son adresse électronique à la maison;
  • certains documents étaient des textes de formation, et d’autres semblent avoir été des courriels contenant des renseignements généraux qui pourraient autrement appartenir au domaine public sous une forme quelconque;
  • à quatre reprises entre le 12 juillet 2011 et le 20 janvier 2015, Mme de Laat a envoyé des documents liés au travail à son adresse électronique à la maison ou à celle de M. D’Cunha;
  • certains courriels que Mme de Laat a transmis contenaient des renseignements personnels et confidentiels concernant les employés, y compris leurs adresses domiciliaires et des détails sur leurs salaires.

[78]  Le rapport d’enquête du SCC a été rédigé, puis remis à Mme Westfall le 30 avril 2015. Par messagerie, chacun des fonctionnaires en a reçu une version caviardée le vendredi 17 juillet 2015. Les renseignements caviardés dans la version respective de chacun concernaient l’autre fonctionnaire. Le Résumé de l’opération Batlow, qui est une annexe au rapport d’enquête du SCC, n’était pas joint à la version que les fonctionnaires ont reçue.

[79]  Lorsque le rapport d’enquête du SCC leur a été présenté, chacun des fonctionnaires a été convoqué à une audience disciplinaire devant avoir lieu le 23 juillet 2015, à 13 h, dans une salle distincte. À ce moment‑là, les fonctionnaires ont aussi été priés de commenter le rapport par écrit. À leur demande, les deux audiences disciplinaires ont été remises au 5 août 2015.

[80]  Le 5 août 2015, les enquêteurs du SCC ont reçu par écrit la réponse de M. D’Cunha à la version caviardée du rapport d’enquête du SCC, dont les parties pertinentes sont rédigées comme suit :

[Traduction]

Avant de commencer, je tiens à vous informer que mon avocat m’a avisé de la réduction des accusations retenues contre moi, au sujet desquelles je fournis les renseignements ci‑joints. Comme il a été indiqué aux réunions, je ne suis pas coupable de ces accusations et je m’attends à ce qu’elles soient retirées.

[…]

Je réitère aussi la déclaration que j’ai faite en personne, à savoir que je n’ai jamais fréquenté sciemment une personne qui avait un casier judiciaire, ni eu une association quelconque avec des groupes du crime organisé.

[…]

[…] En toutes circonstances, j’ai répondu à toutes les questions au meilleur de mes connaissances, honnêtement, ayant été nécessairement astreint à ne pas commenter des questions précises sur les conseils de mon avocat […]

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

[81]  Le 5 août 2015, les enquêteurs du SCC ont reçu par écrit la réponse de Mme de Laat à la version caviardée du rapport d’enquête du SCC, dont les parties pertinentes sont rédigées comme suit :

[Traduction]

Avant de commencer, je tiens à vous informer que mon avocat m’a avisée de la réduction des accusations retenues contre moi, au sujet desquelles je fournis les renseignements ci‑joints. Comme il a été indiqué aux réunions, je ne suis pas coupable de ces accusations, et je m’attends à ce qu’elles soient retirées.

[…]

[…] Selon l’annexe I (dossier du Système de gestion des ressources humaines (SGRH) d’Andrea DeLaat), quatre jours de congé non payé (CNP) non autorisé ont été consignés en 2013. Tous les autres congés ont été consignés et pris en compte. Le congé non autorisé a été approuvé par ma superviseure, Sarah Forbes, qui en était parfaitement au courant à l’époque. Ce congé a été consigné à titre de congé non payé non autorisé en raison du nombre insuffisant de crédits de congé de maladie disponibles. Aucune autre préoccupation concernant mon assiduité n’a fait l’objet d’une discussion entre mes gestionnaires et moi, et il n’y a assurément JAMAIS eu la moindre discussion au sujet d’une activité frauduleuse ou d’une falsification en ce qui a trait à mes congés. Dans tous les cas où j’ai pris un congé, il a été documenté, saisi et approuvé dans le SGRH, alors que mes superviseurs étaient parfaitement au courant. Y a-t‑il des cas documentés précis sur lesquels vous vous fondez pour alléguer un congé frauduleux? Dans l’affirmative, où sont‑ils?

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[82]  L’avocat criminaliste de chacun des fonctionnaires a écrit à l’employeur afin de demander, pour plusieurs raisons, que les audiences disciplinaires n’aient pas lieu. L’une de ces raisons tenait au fait que le Résumé de l’opération Batlow avait été exclu du rapport d’enquête du SCC. Le mercredi 2 septembre 2015, des copies du Résumé de l’opération Batlow ont été envoyées aux fonctionnaires, qui les ont reçues le vendredi 4 septembre 2015. Ceux‑ci ont maintenu qu’ils subissaient néanmoins un préjudice, puisque le rapport d’enquête du SCC qui leur avait été fourni était caviardé.

[83]  Une deuxième audience disciplinaire a été tenue pour chacun des fonctionnaires le 15 septembre 2015. Ils ont comparu à leur audience, accompagnés de leurs représentants. Une troisième audience disciplinaire a été tenue pour chacun d’eux, le 21 octobre 2015 dans le cas de Mme de Laat, et le 23 octobre 2015 dans celui de M. D’Cunha.

[84]  M. D’Cunha a déclaré qu’il avait collaboré à l’enquête du SCC. En contre‑interrogatoire, une note de service en date du 1er juin 2015, qu’il avait envoyée à la SCA par intérim, Mme Westfall, lui a été présentée. Dans cette note de service, il déclarait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Mme Westfall, tout au long de ce processus j’ai collaboré pleinement avec les enquêteurs et les autres membres du personnel qui ont traité avec moi, et j’ai traité avec le Service de bonne foi, sachant que je n’ai rien fait de mal. J’espère et je m’attends à ce que le Service réagisse comme tel, sachant qu’il est tenu de me traiter équitablement en vertu de la loi et de la politique.

[…]

[85]  En contre-interrogatoire, on a laissé entendre à M. D’Cunha qu’il n’avait pas collaboré pleinement à l’enquête. Il a répondu en disant qu’il n’avait pas répondu à toutes les questions suivant les recommandations de son avocat de ne pas répondre aux questions touchant l’affaire criminelle. Il a été renvoyé à la transcription de son entrevue avec le détective Schoorl, à l’endroit où l’on mentionne le conseil juridique de ne pas parler; cependant, en dépit de cette recommandation, il s’est exprimé très librement et a fourni beaucoup de renseignements pertinents au détective Schoorl. Lorsque la dichotomie lui a été soulignée, il a déclaré ce qui suit : [traduction] « je m’efforçais simplement de collaborer ». Il a admis qu’il s’était volontairement montré évasif durant l’enquête du SCC.

F. Procédure criminelle

[86]  Une copie de l’accusation contre M. D’Cunha a été déposée en preuve et faisait partie du rapport d’enquête du SCC. Selon l’accusation, le ou vers le 25 février 2015, à Kingston, M. D’Cunha était illégalement en possession d’une substance prévue à l’annexe II de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, ch. 19, version modifiée), à savoir 3 kg ou moins de cannabis, en vue d’en faire le trafic, en contravention de l’article 5 de ladite loi. Par conséquent, il a commis un acte criminel en vertu de la division 5(3)(A.1) de cette loi.

[87]  Aucune copie des accusations portées contre Mme de Laat n’a été déposée en preuve. Cependant, dans le cadre du rapport d’enquête du SCC, une copie de l’engagement que celle‑ci a signé au moment de sa libération, le 26 février 2015, indiquait qu’elle avait aussi été accusée de possession de 3 kg ou moins de cannabis en vue d’en faire le trafic, en vertu de l’article 5 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Par conséquent, elle a commis un acte criminel en vertu de la division 5(3)(A.1) de ladite loi et de l’article 465 du Code criminel (L.R.C., 1985, ch. C-46, version modifiée), soit un complot en vue de faire le trafic d’une substance prévue à l’annexe II de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

[88]  Le 18 janvier 2017, les fonctionnaires ont comparu devant la cour, à Ottawa, afin de régler la question des accusations portées contre eux. Une copie certifiée de la transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine devant l’honorable juge Paciocco (la « transcription du plaidoyer ») a été déposée en preuve.

[89]  Dans le cadre d’une transaction pénale avec la Couronne, Mme de Laat a plaidé coupable au chef d’accusation suivant, qui a été lu à voix haute ce jour‑là :

[Traduction]

[…]

[…] le ou entre le 8 novembre 2013 et le 25 février 2015, dans la ville de Kingston et dans la ville d’Ottawa, dans la région Est, a été illégalement en possession d’une substance prévue à l’annexe II de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, à savoir du cannabis, en contravention du paragraphe 4(1) de ladite Loi, ayant ainsi commis une infraction en vertu du paragraphe 4(4) de ladite loi […]

[…]

[90]  Conformément à la transcription du plaidoyer, le Résumé de l’opération Batlow a été déposé en preuve, et il a été confirmé que les deux fonctionnaires en avaient reçu une copie. La transcription du plaidoyer indiquait en outre que les éléments de preuve contre Mme de Laat se trouvaient aux pages 115 à 169, 208 et 209, et qu’il manquait une page dans l’index au début du document. Concrètement, les faits concernant la fonctionnaire sont énoncés aux pages 115 à 168, 207 et 208.

[91]  Selon la transcription du plaidoyer, le résumé qui suit a été rédigé par le procureur de la Couronne qui présidait, à la suite du dépôt du Résumé de l’opération Batlow en preuve :

[Traduction]

[…]

Mme DeLaat s’est présentée à une résidence située à Ottawa [adresse non divulguée] environ 19 fois entre le 8 novembre 2013 et le 5 décembre 2014, afin d’acheter du cannabis à chacune de ces visites […] Chaque fois, à chacune des visites, elle a acheté entre une et deux onces de cannabis; un mandat de perquisition a été exécuté à son domicile situé au [adresse non divulguée] à Kingston, le 25 février 2015, et 55 grammes, soit environ 2 onces de cannabis de plus ont été découvertes dans sa résidence, et Mme DeLaat admet qu’elle a aussi été en possession de cette marijuana. Les présentes sont un résumé de ce qui figure dans le document que j’ai remis. La Couronne se fonde sur ce document, sur les allégations qu’il renferme, et je crois comprendre que Mme DeLaat reconnaît tous les renseignements la concernant qui sont contenus dans le document que j’ai remis, et non ceux qui concernent toute autre personne.

[…]

[92]  Selon la transcription du plaidoyer, Mme de Laat a confirmé avoir lu les pages 115 à 169, 208 et 209 du Résumé de l’opération Batlow, et a convenu avec la Couronne que les renseignements qui y figuraient étaient vrais et que le résumé fourni par le procureur de la Couronne au juge Paciocco était véridique.

[93]  Mme de Laat a obtenu une absolution inconditionnelle. On lui a également ordonné de se conformer à une ordonnance de bonne conduite et un engagement de caution de 1 000 $ pour 12 mois.

[94]  Une partie de la transaction pénale avec les fonctionnaires tenait au fait que les accusations portées contre M. D’Cunha seraient retirées, étant entendu qu’il se conformerait à une ordonnance de bonne conduite et à un engagement de caution de 1 000 $ pour 12 mois, ce qu’il a fait.

G. Les congés de Mme de Laat

[95]  Dans le cadre du rapport d’enquête du SCC, le registre des congés de Mme de Laat pour la période de 2013 à 2015 a été produit.

[96]  Mme de Laat a déclaré qu’elle faisait l’objet d’une entente de travail flexible, et qu’elle travaillait de 8 h à 16 h ou de 9 h à 17 h. Elle a aussi affirmé qu’elle faisait diverses commissions pour le bureau. Le CRT des détenus à sécurité maximale se trouvait à l’Établissement de Millhaven, alors que le CRT des détenus à sécurité moyenne se trouvait à l’Établissement de Collins Bay. Mme de Laat a affirmé qu’elle devait passer d’un établissement à l’autre pour transporter des fournitures. Elle a déclaré qu’elle avait conclu un accord selon lequel elle devait recevoir un congé compensatoire en échange des frais d’essence et du kilométrage nécessaires pour effectuer ces tâches.

[97]  Mmes Napier‑Glover et Storring ont toutes deux déclaré que Mme de Laat était une employée de jour qui travaillait un quart de huit heures du lundi au vendredi, lequel débutait à 8 h ou à 9 h, et se terminait dès 16 h (si elle avait commencé à travailler à 8 h) ou à 17 h (si elle avait commencé à travailler à 9 h). Elles ont aussi convenu que Mme de Laat était souvent chargée d’aller chercher des fournitures pour le bureau, ce qui supposait notamment d’aller chez le fournisseur d’oxygène de Kingston. Ce régime était flexible, au sens où, parfois, elle faisait ces commissions en se rendant au travail et arrivait un peu plus tard, ou partait tôt et passait prendre ces articles en rentrant chez elle et les apportait le jour ouvrable suivant.

[98]  Mme Napier-Glover a confirmé en contre‑interrogatoire que Mme de Laat devait parfois se rendre à l’Établissement de Collins Bay relativement aux fournitures. À part l’allusion au fournisseur d’oxygène de Kingston, je n’ai pas été avisé de la nature des autres fournitures que Mme de Laat était priée d’acheter ou de prendre en passant, ni du lieu où elle se les procurait. Je présume qu’il s’agissait de fournitures de bureau, étant donné qu’elle occupait un poste d’adjointe administrative.

[99]  En contre-interrogatoire, Mme Napier-Glover a été renvoyée au fait que Mme de Laat travaillait selon une entente de travail flexible. Mme Napier-Glover a déclaré que même s’il y avait un accord concernant l’achat de fournitures, hormis la flexibilité lui permettant de commencer à travailler entre 8 h et 9 h et de terminer entre 16 h et 17 h, une telle entente n’existait pas. Aucune question sur les détails précis de l’entente n’a été posée à Mme Storring ou à Mme Napier-Glover.

[100]  Mme Storring a déclaré que Mme de Laat devait rendre compte de ses absences du travail, et que les congés devaient être saisis dans le système électronique de gestion des congés dans un délai de cinq jours.

[101]  Entre le 8 novembre 2013 et le 5 décembre 2014, sur les 19 fois où la surveillance policière a enregistré l’entrée et la sortie de Mme de Laat au domicile de Mme B, il y en avait 16 qui tombaient un jour de semaine où Mme de Laat aurait dû normalement être au travail, à moins d’être en congé autorisé sous une forme ou une autre. Ce qui suit est une liste de 16 dates, y compris les heures d’arrivée et de départ de Mme de Laat et le nombre total des heures qu’elle a passées au domicile de Mme B :

Date

Heure d’arrivée

Heure de départ

Durée de la visite

Le vendredi 8 novembre  2013

13 h 13

14 h 41

1 heure, 28 minutes

Le lundi 16 décembre 2013

14 h 7

14 h 48

41 minutes

Le jeudi 22 mai 2014

14 h 8

14 h 34

26 minutes

Le mardi 10 juin 2014

14 h 29

14 h 49

20 minutes

Le vendredi 27 juin 2014

14 h 12

14 h 47

35 minutes

Le jeudi 3 juillet 2014

14 h 35

14 h 47

12 minutes

Le vendredi 1er août 2014

12 h 34

13 h 26

52 minutes

Le vendredi 8 août 2014

13 h 20

14 h 14

54 minutes

Le jeudi 14 août 2014

13 h 20

14 h 27

1 heure, 7 minutes

Le lundi 25 août 2014

13 h 19

14 h 6

47 minutes

Le vendredi 19 septembre 2014

11 h 47

12 h 44

57 minutes

Le jeudi 25 septembre 2014

12 h 2

13 h 3

1 heure, 1 minute

Le mardi 7 octobre 2014

14 h 4

14 h 21

17 minutes

Le vendredi 14 novembre 2014

13 h 39

14 h 32

53 minutes

Le vendredi 21 novembre 2014

12 h 38

13 h 33

55 minutes

Le vendredi 5 décembre  2014

13 h 21

14 h 12

51 minutes

[102]  En fonction du secteur de Kingston d’où partait Mme de Laat, de son trajet et de l’heure de la journée, l’aller simple entre Kingston et Ottawa durait environ deux heures. À l’exception des trois fois où elle a passé 20 minutes ou moins au domicile de Mme B, Mme de Laat y passait entre une demi‑heure et une heure. Par conséquent, son déplacement aller‑retour devait être de l’ordre de quatre heures et demie au moins, voire de cinq à six heures.

[103]  En 2013, dans deux des occasions où elle a été vue entrant et sortant du domicile de Mme B, Mme de Laat était en congé pour cause d’incapacité non divulguée. Les 10 et 27 juin et les 19 et 25 septembre 2014, lorsqu’elle a été vue entrant et sortant du domicile de Mme B, elle était en vacances ou avait pris son jour de congé personnel.

[104]  En ce qui concerne le 22 mai, les 1er, 8, 14 et 25 août et le 7 octobre 2014, dates où Mme de Laat a été vue entrant et sortant du domicile de Mme B, elle n’était pas en congé selon le registre des congés de l’employeur.

[105]  Les 14 et 21 novembre et le 5 décembre 2014, dates où elle a été vue entrant et sortant du domicile de Mme B, Mme de Laat avait était en congé de maladie selon le registre des congés de l’employeur. Comme elle n’avait pas de crédits de congé de maladie à sa disposition à ce moment‑là, la période a été enregistrée comme un congé de maladie non payé (« CMNP »).

[106]  Le 3 juillet 2014, Mme de Laat a pris un congé familial pendant trois heures et demie.

[107]  Les grilles salariales de différents groupes figurent à l’annexe A-1 de la convention collective. Il ressort de la grille salariale du groupe CR que les taux de rémunération d’un poste CR-04 variaient entre 45 189 $ et 48 777 $.

H. Les échanges du SCC avec l’Agence des services frontaliers du Canada

[108]  Selon la preuve, Mme de Laat exploitait un petit commerce de bijoux. À ce titre, elle conservait une case postale sur l’île Wellesley dans l’État de New York, aux États‑Unis (É.‑U.). Elle a aussi déclaré qu’elle avait de la famille aux É.‑U. À ce titre, elle a déclaré qu’elle, M. D’Cunha ou tous deux se rendaient aux É.‑U. toutes les deux semaines. La preuve a démontré que dans le cadre de l’enquête du SCC, les enquêteurs étaient en rapport avec l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

[109]  Les rapports entre l’ASFC et les enquêteurs du SCC lors de l’enquête ont été contestés par les fonctionnaires.

I. Les mesures disciplinaires antérieures de Mme de Laat

[110]  Le 31 janvier 2014, Mme de Laat a reçu une réprimande écrite pour avoir quitté le travail plus tôt le 27 décembre 2013, sans avoir obtenu l’autorisation d’un gestionnaire. Rien n’indique que la réprimande écrite ait été contestée ou annulée.

J. La plainte relative à la vie privée des fonctionnaires

[111]  Les deux fonctionnaires ont déposé une plainte relative à la vie privée contre le SPO pour avoir communiqué de manière inappropriée au SCC des renseignements personnels afférents aux accusations portées contre eux, en contravention de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée de l’Ontario (L.R.O. 1990, ch. M.56). Le 27 juillet 2017, le Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario a conclu que la divulgation de leurs renseignements personnels n’était pas conforme à l’article 32 de cette loi.

[112]  Au moment de la clôture de la preuve, une copie du [traduction] « Rapport sur la plainte relative à la vie privée », en date du 27 juillet 2017, a été déposée en preuve. Aucun témoin n’a été interrogé à ce sujet.

K. Le licenciement de Mme de Laat

[113]  Dans son témoignage, Mme Russon a déclaré qu’avant avril 2015, elle n’avait jamais interagi avec Mme de Laat. Elle a affirmé qu’elle avait été informée de la situation concernant Mme de Laat à son arrivée au CRT. Elle a ajouté qu’elle avait été chargée d’examiner la suspension de Mme de Laat, de rencontrer l’équipe d’enquête et d’aider celle‑ci. Elle a confirmé qu’en avril ou en mai 2015, elle avait reçu et examiné le rapport d’enquête du SCC, qui comprenait une version non caviardée du Résumé de l’opération Batlow. Elle a aussi confirmé avoir rencontré des représentants des Ressources humaines, ainsi que Mme Westfall. Elle a affirmé qu’elle avait convoqué une audience disciplinaire et qu’elle avait déterminé, en fonction des renseignements qu’elle avait reçus, qu’une mesure disciplinaire était justifiée.

[114]  Comme je l’ai déjà indiqué, l’audience disciplinaire a été fixée et reportée plusieurs fois, puis a éventuellement eu lieu le 15 septembre 2015. Mme Russon a déclaré qu’à l’audience, Mme de Laat s’était vu poser des questions précises au sujet de ses visites au domicile de Mme B et de l’achat de drogue, si elle était aux prises avec un problème de drogue et si elle savait qu’il était inapproprié pour elle d’entretenir des liens avec les Hells Angels alors qu’elle travaillait pour le SCC. Mme Russon a déclaré que Mme de Laat lui avait dit qu’elle ne répondrait pas aux questions concernant le Résumé de l’opération Batlow et les accusations criminelles. Elle a ajouté que Mme de Laat avait affirmé qu’elle n’avait pas de problème de drogue. En ce qui concerne les liens avec les Hells Angels, elle a déclaré que Mme de Laat avait reconnu qu’ils étaient inappropriés.

[115]  À la question de savoir si elle croyait que Mme de Laat avait exprimé des remords pour ce qu’elle avait fait, Mme Russon a affirmé que ce n’était pas le cas, et que Mme de Laat n’avait pas présenté d’excuses.

[116]  Mme Russon était d’avis que le licenciement était justifié pour les motifs suivants :

  • Mme de Laat a été accusée d’avoir acheté de la drogue (illicite) à de nombreuses reprises;
  • elle a été vue dans un domicile qui était fréquenté par un membre des Hells Angels et qui était un lieu connu de vente de drogues illicites;
  • les membres du personnel du SCC doivent servir de modèles aux détenus;
  • de nombreux détenus sont incarcérés dans des pénitenciers fédéraux pour des infractions en matière de drogue, notamment la vente de drogue, et si un membre du personnel adopte la conduite qui a entraîné l’incarcération des détenus, cela constitue un risque pour le SCC, son personnel et les détenus;
  • le SCC et son personnel perdent confiance en un employé qui fait l’objet d’accusations criminelles et, en conséquence, le personnel peut, entre autres choses, craindre pour sa sécurité;
  • le fait que Mme de Laat ait envoyé des renseignements protégés à son domicile soulevait la question de savoir si ces renseignements avaient été communiqués à ou vus par des personnes non autorisées;
  • les employés du SCC doivent rendre compte de leur temps, et Mme de Laat avait été absente sans permission (« ASP ») et avait volé du temps à l’employeur.

[117]  Mme Russon a déclaré que Mme de Laat avait enfreint la règle numéro un des Règles du SCC ayant trait à la responsabilité dans l’exécution de ses tâches, puisqu’elle avait été absente sans permission à diverses reprises et qu’elle avait omis d’enregistrer des congés ou de les faire approuver.

[118]  Mme Russon a affirmé que Mme de Laat avait enfreint la règle numéro deux des Règles du SCC ayant trait à la conduite et à l’apparence, puisqu’elle avait adopté un comportement susceptible de déshonorer le SCC, notamment en ayant été accusée d’infractions criminelles pour possession de drogues illicites en vue d’en faire le trafic, ce qui ne projetait pas une bonne image du SCC.

[119]  En ce qui concerne la règle numéro quatre des Règles du SCC, qui traite des relations avec les délinquants, Mme Russon a affirmé que Mme de Laat avait fréquenté un lieu que fréquentait aussi un membre des Hells Angels. Elle a qualifié ce dernier d’ex‑délinquant. À ce titre, Mme de Laat aurait dû demander l’autorisation de sa supérieure pour le rencontrer.

[120]  En ce qui concerne la règle numéro cinq des Règles du SCC, qui traite des conflits d’intérêts, Mme Russon a déclaré que Mme de Laat l’avait enfreinte parce qu’elle n’avait pas été franche et directe dans le cadre de l’enquête du SCC. Les employés du SCC doivent être francs et directs, et s’abstenir de commettre des infractions qui sont contraires à l’éthique du SCC. De plus, le vol de temps est lié à l’honnêteté et l’intégrité d’une personne.

[121]  En ce qui concerne la règle numéro six des Règles du SCC, qui traite de la protection des renseignements, Mme Russon a affirmé qu’en envoyant des renseignements protégés à son domicile à travers des réseaux non sécurisés, Mme de Laat avait enfreint les politiques de sécurité de l’employeur.

[122]  Mme Russon n’a relevé aucun facteur atténuant. Elle a plutôt fait allusion à des facteurs aggravants, notamment un nombre limité d’années de service et un cas de mesure disciplinaire inscrit au dossier. À la question de savoir pourquoi le licenciement avait été choisi plutôt qu’une autre mesure disciplinaire, Mme Russon a répondu ceci : [traduction] « À mon avis, une personne qui achète de la drogue auprès de motards bien connus ne devrait pas travailler au sein de notre système. Cela expose les gens à un risque. Cela expose le personnel et les détenus à un risque ». Elle a affirmé que, à son avis, le lien de confiance avait été rompu et ne pouvait être réparé.

[123]  En contre-interrogatoire, Mme Russon a été interrogée au sujet du fait qu’elle n’avait pas attendu l’issue de la procédure criminelle pour déterminer la mesure disciplinaire. Elle a répondu qu’il incombait au SCC de régler rapidement les questions disciplinaires; le seuil applicable à une mesure disciplinaire diffère de celui qui s’applique à une procédure criminelle. Mme Russon a confirmé que sa décision de licencier Mme de Laat reposait en grande partie sur le Résumé de l’opération Batlow.

[124]  En contre-interrogatoire, Mme Russon a confirmé qu’elle ne s’était pas penchée sur le rendement au travail de Mme de Laat; elle n’avait pas non plus parlé à ses superviseurs. Elle a aussi convenu que ce qui avait paru dans les journaux au sujet de l’arrestation et de l’enquête criminelle aurait pu ne pas être tout à fait exact.

L. Le licenciement de M. D’Cunha

[125]  David « Scott » Edwards a pris sa retraite du SCC au début de 2017. D’octobre 2015 jusqu’à son départ à la retraite, il était directeur de l’Établissement de Millhaven. Il a fait carrière au SCC pendant 28 ans. À ses débuts, en 1989, il occupait un poste CX, puis il a gravi les échelons jusqu’à des postes de direction pour occuper un poste de gestionnaire correctionnel autour de l’année 1997.

[126]  En octobre 2017, à l’arrivée de M. Edwards en qualité de directeur de l’Établissement de Millhaven, le processus d’enquête visant les fonctionnaires était terminé. Comme le poste d’attache de M. D’Cunha relevait de M. Edwards au sein de l’organisation, la décision relative à la mesure disciplinaire incombait à ce dernier.

[127]  M. Edwards a déclaré qu’il avait jugé que M. D’Cunha devait être licencié de son poste au SCC en raison de son inconduite, puisqu’il avait enfreint les Règles du SCC énoncées dans le Code.

[128]  M. Edwards a déclaré que M. D’Cunha avait enfreint la règle numéro deux des Règles du SCC, qui porte sur la conduite et l’apparence, en raison de sa conduite en dehors des heures de service, alors qu’il s’est présenté à un domicile à Barrhaven où il a rencontré un membre des Hells Angels et acheté des drogues illicites qu’il a rapportées à Kingston.

[129]  M. Edwards a affirmé que M. D’Cunha avait enfreint la règle numéro quatre des Règles du SCC, qui porte sur les relations avec les délinquants ou les ex‑délinquants, par suite de ses contacts et de ses relations d’affaires avec M. A et Mme B, et en se présentant au domicile de Barrhaven où il a acheté des drogues illicites.

[130]  M. Edwards a affirmé que M. D’Cunha avait enfreint la règle numéro cinq des Règles du SCC, qui porte sur les conflits d’intérêts, encore une fois en raison de sa relation avec M. A et Mme B et de son activité consistant à se rendre au domicile de Barrhaven afin d’acheter des drogues illicites. Il a affirmé que, pour cette raison, M. D’Cunha ne s’était pas acquitté de ses tâches avec honnêteté et intégrité en tant que membre du SCC. Il était agent de la paix; il n’aurait pas dû fréquenter des Hells Angels ou des narcotrafiquants qui n’ont ni morale ni intégrité, ni faire des affaires avec eux.

[131]  M. Edwards a affirmé que M. D’Cunha avait également enfreint la règle numéro six des Règles du SCC, qui porte sur la protection des renseignements, puisque ce dernier a envoyé des renseignements protégés à son adresse électronique à la maison. Il savait ou aurait dû savoir quels renseignements étaient protégés ou non, et ce qu’il pouvait envoyer ou non. M. Edwards a aussi fait allusion au fait que M. D’Cunha avait enfreint la politique sur la sécurité du gouvernement.

[132]  En ce qui concerne les facteurs atténuants, M. Edwards a affirmé avoir tenu compte du fait que M. D’Cunha avait huit années de service et un dossier exempt de mesures disciplinaires. Il a également tenu compte du fait que M. D’Cunha était opérateur de détecteur à ions et formateur en détection ionique, ainsi que de son niveau d’expérience et de son sens de l’initiative. M. Edwards a affirmé que malgré les facteurs atténuants, la participation de M. D’Cunha à des activités liées à la drogue rendait les choses difficiles. Il a aussi souligné que M. D’Cunha ne s’était montré ni communicatif ni coopératif pendant l’enquête du SCC, ce qui appuie la conclusion selon laquelle le niveau d’honnêteté de M. D’Cunha n’est pas élevé.

[133]  En contre‑interrogatoire, M. Edwards a déclaré que le manquement à la politique sur la sécurité tenait au fait que M. D’Cunha avait envoyé des renseignements sur un réseau non sécurisé. Il a confirmé que si M. D’Cunha avait imprimé les documents et les avait apportés chez lui, cela n’aurait pas constitué un manquement à cette politique. Le réseau non sécurisé était au cœur du problème puisque des renseignements protégés auraient pu s’égarer.

M. Après le licenciement

[134]  La transcription du plaidoyer renvoyait à des discussions concernant l’ordonnance et la licence médicale octroyée à Mme de Laat aux fins de possession et de consommation de marijuana thérapeutique. Mme de Laat a déclaré qu’elle avait obtenu la licence en août 2015, après avoir été renvoyée à un nouveau médecin en mai ou en juin 2015. Aucune copie de cette licence médicale, de l’ordonnance ou du renvoi n’a été produite à l’audience.

[135]  Les deux fonctionnaires ont livré un témoignage sur les conséquences que les arrestations, les procédures criminelles et les licenciements ont eues sur eux et sur leur famille.

[136]  Initialement, par suite de l’arrestation, ni l’un ni l’autre fonctionnaire n’était autorisé à faire du bénévolat auprès des écoles de leurs enfants, ce qui a été particulièrement difficile dans le cas de l’un des enfants, qui est handicapé. La nature de l’invalidité n’a pas été divulguée à l’audience.

[137]  À l’audience, Mme de Laat a indiqué qu’elle était retournée aux études et qu’elle était inscrite dans un programme d’auxiliaire juridique.

[138]  À l’audience, M. D’Cunha a indiqué qu’il n’avait pas pu obtenir un emploi depuis son licenciement.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[139]  Le critère à appliquer en pareil cas est énoncé dans Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 CLRBR 1 (« Wm. Scott ») : Y a‑t‑il eu une inconduite de la part des fonctionnaires? Dans l’affirmative, la mesure disciplinaire imposée par l’employeur était‑elle une sanction appropriée dans les circonstances? Si elle n’était pas appropriée, quelle serait la sanction juste et équitable dans les circonstances?

[140]  Le SCC est un employeur particulier chargé d’un mandat particulier qui repose sur la confiance du public.

[141]  Bien que Mme de Laat ait livré un témoignage sur ses problèmes de santé et sa douleur, aucune attestation médicale n’a été produite afin de corroborer ces faits ou le besoin de s’automédicamenter. Ses actes demeurent illégaux. Elle a acheté de la drogue illicite auprès d’une amie et avait besoin de s’en procurer une quantité importante. Parallèlement, elle travaillait pour une organisation qui a pour but d’éviter que les gens ne commettent des infractions. Mme de Laat devait savoir que ses actes étaient répréhensibles et non conformes à ses fonctions, et qu’ils pouvaient lui attirer des ennuis.

[142]  Mme de Laat a expliqué qu’elle achetait sa drogue à Ottawa plutôt qu’à Kingston, où elle habitait. Elle avait le sentiment qu’il était préférable de ne pas acheter au niveau local, éventuellement auprès d’un délinquant. Bref, elle a agi ainsi afin de ne pas se faire prendre et pensait qu’elle ne se ferait pas prendre.

[143]  Malheureusement pour les fonctionnaires, le domicile de Mme B était surveillé par la police. Ils auraient peut‑être dû envisager cette possibilité. Mme de Laat savait que Mme B était une narcotrafiquante qui entretenait probablement des relations avec des personnes peu convenables. Les deux fonctionnaires percevaient M. A comme une personne qui soulevait, pour reprendre leurs mots, des [traduction] « signaux d’alerte ». Ils ont précisé ces signaux d’alerte, notamment un comportement violent.

[144]  Mme de Laat a attiré son mari, M. D’Cunha, dans ce cercle. Ils travaillaient tous deux au SCC, et elle aurait dû savoir qu’en qualité d’employé occupant un poste de CX, il n’aurait certainement pas dû être mêlé à ce genre d’activité.

[145]  Les achats de marijuana des fonctionnaires se sont étendus sur une longue période. Il ne s’agit pas d’un événement isolé. Les fonctionnaires ne s’y sont pas livrés accidentellement. Mme de Laat a entretenu la relation et a alimenté la situation. Manifestement, la relation n’était pas conforme aux valeurs et à l’éthique de l’employeur. Les fonctionnaires ont sciemment et délibérément fréquenté des criminels — des personnes qui commettaient des actes illégaux. Sur une période de plusieurs années, les fonctionnaires ont maintenu leur association et leurs activités avec ces personnes et acheté beaucoup de drogue, tout en sachant que ce comportement allait à l’encontre des valeurs de l’employeur.

[146]  Une fois qu’ils ont été pris, les fonctionnaires ont non seulement nié les accusations portées contre eux, mais ils n’ont pas collaboré à l’enquête de l’employeur. Ils ont insisté pour obtenir une copie non caviardée du rapport de police avant de participer aux dernières réunions tenues dans le cadre du processus disciplinaire.

[147]  Même si Mme de Laat a plaidé coupable et obtenu une absolution inconditionnelle, elle aurait pu trouver une manière légale d’acheter de la marijuana par les voies médicales, mais elle a choisi de n’en rien faire. Elle est aux prises avec ce qu’elle a fait. Les deux fonctionnaires aimeraient que la situation soit différente. Le fait que les lois aient été modifiées n’efface pas les infractions liées au trafic de stupéfiants.

[148]  L’employeur soutient que le changement à venir au niveau des lois en matière de cannabis ne devrait rien changer au fait que les fonctionnaires ont posé un geste illégal.

[149]  L’employeur a reconnu que rien n’indique que Mme B ou M. A aient déjà été reconnus coupables d’un acte criminel ou qu’ils aient été délinquants au sens du Code ou des Règles du SCC.

[150]  Le licenciement de Mme de Laat concernait aussi le vol de temps. Elle a allégué qu’elle faisait l’objet d’une entente de travail flexible avec ses supérieurs. Cependant, la preuve de l’employeur n’a pas été contestée, ce qui constitue une violation de la règle énoncée dans Brown and Dunn, (1893) 6 R. 67 (H.L.). Mme de Laat a acheté de la drogue pendant ses heures de travail; il s’agit d’un élément important.

[151]  L’inconduite de M. D’Cunha se rapportait non seulement à l’achat de marijuana, mais aussi à l’envoi de renseignements à son compte de courriel domiciliaire, ce qui n’aurait pas dû avoir lieu puisque des renseignements confidentiels auraient pu être compromis sur un réseau non sécurisé.

[152]  Même si Mme de Laat n’occupait ni un poste de CX ni un poste d’agente de la paix, c’était le cas pour M. D’Cunha. Il y a des différences entre les deux fonctionnaires. Principalement, M. D’Cunha aurait dû savoir, compte tenu de son poste et de sa formation, que M. A était membre des Hells Angels.

[153]  L’employeur m’a renvoyé à Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 10; Sather c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 95; Hughes c. Agence Parcs Canada, 2015 CRTEFP 75; Braich c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 47; Gravelle c. Administrateur général (ministère de la Justice), 2014 CRTFP 61; Murdoch c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2015 CRTEFP 21; Peterson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 29; Yayé c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 51; Knox c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2017 CRTEFP 40; Lapostolle c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 138 (confirmé dans 2013 CF 895; Stokaluk c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2015 CRTEFP 24; Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 28; Stene c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 36; Petrovic c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 16; Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Community Safety and Correctional Services) (2012), 226 L.A.C. (4e) 205 (« OPSEU »); Alberta v. Alberta Union of Public Employees, Local 012 (2011), 206 L.A.C. (4e) 282 (« Alta. v. AUPE »).

[154]  Les fonctionnaires ont contrevenu sciemment et de manière répétée aux Règles de conduite professionnelle, au Code, ainsi qu’aux valeurs et à l’éthique du SCC. Comme ils ont maintenu leur comportement, ils ont fait preuve d’insensibilité envers leur employeur et ses opérations et ne se sont souciés que d’eux‑mêmes. Ils ont agi comme s’ils ne pouvaient pas se faire prendre. Ils doivent faire face aux conséquences de leurs actes, dont ils n’ont pas assumé la responsabilité. L’employeur a jugé qu’il n’était pas possible de leur faire confiance; leur comportement était inacceptable et ne pouvait pas être toléré.

[155]  L’employeur a soutenu que le grand public serait d’avis que les fonctionnaires ne devraient pas être autorisés à travailler pour le SCC.

[156]  L’employeur a demandé que les griefs soient rejetés.

B. Pour Mme de Laat

[157]  Mme de Laat a déclaré que la question en l’espèce portait sur la sévérité de la mesure disciplinaire. Elle ne demande aucun remboursement du salaire perdu, seulement d’être réintégré à son poste.

[158]  La lettre de licenciement énumère les quatre motifs sur lesquels l’employeur a fondé sa décision de licencier Mme de Laat :

  • Mme de Laat s’est présentée à un domicile situé à Barrhaven afin d’acheter des substances illicites;
  • en agissant ainsi, elle a rencontré des membres et des associés des Hells Angels;
  • la police a constaté qu’elle se trouvait en possession de marijuana, et elle a fait l’objet d’accusations criminelles;
  • elle a omis d’enregistrer ses déplacements à Barrhaven dans le système de gestion des congés.

[159]  Mme de Laat a déclaré que l’employeur n’a pas entamé ce processus avec une attitude irréprochable. Il n’a pas présenté le document pertinent sur lequel il s’est appuyé pendant son enquête, ce qui devrait compenser les déclarations inexactes de Mme de Laat.

[160]  Mme de Laat a déclaré que l’employeur avait fait certaines choses, par exemple qu’il avait contacté l’ASFC et avait communiqué des renseignements alors qu’il n’aurait pas dû.

[161]  En ce qui concerne la procédure criminelle, Mme de Laat a reçu une absolution inconditionnelle, mais les grands titres qui ont paru au sujet des incidents suscitent des froncements de sourcils. Il s’agit d’une question de proportionnalité. La mesure disciplinaire devrait être de nature corrective. Même s’il a été question d’éventuelles atteintes à la sécurité, il n’y en a pas eu. Bien que le détective Weeks ait conclu que de la drogue aurait pu éventuellement s’infiltrer dans les établissements correctionnels, rien n’indique que cela se soit produit ou ait pu se produire. Il s’agit d’une affaire de simple possession.

[162]  La conduite de Mme de Laat justifiait une certaine mesure disciplinaire, mais pas le licenciement. Il convient de noter les critères atténuants énoncés par le juge Paciocco dans la transcription du plaidoyer. Lorsqu’il a déterminé la peine, le juge Paciocco s’est interrogé à savoir s’il était probable que Mme de Laat récidive; la réponse est non. Elle a acheté de la marijuana afin de s’automédicamenter sans se la procurer par les voies appropriées.

[163]  Bien que, à première vue, le comportement de Mme de Laat semble grave, il ne l’est pas tant que cela, si l’on tient compte du fait que la loi visant la marijuana était sur le point d’être modifiée. Le détective Weeks a fait allusion aux fonctionnaires en disant qu’ils étaient [traduction] « du menu fretin qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment ».

[164]  Il semble que les enquêteurs aient obtenu une copie du rapport de police et qu’ils aient affirmé que la situation paraissait très mal et que, par conséquent, elle l’était, sans avoir examiné les faits de plus près. Les faits mentionnés dans le rapport de police à l’égard de Mme de Laat ne sont pas nécessairement tous exacts.

[165]  Mme de Laat s’est montrée suffisamment contrariée. Elle a exprimé des remords et a reconnu la responsabilité de ses actes, ce qui devrait avoir un poids important dans la décision. Elle a livré un témoignage sincère, ouvert, véridique et non argumentatif.

[166]  Mme de Laat a soutenu que les actes de l’employeur concernant le rapport de police devraient être considérés comme un facteur atténuant.

[167]  Mme de Laat a déclaré que son omission d’enregistrer des congés dans le système de gestion des congés ne justifiait pas le licenciement. La preuve n’a pas établi qu’elle ne travaillait pas les heures exigées. Même si Mme Napier-Glover était intransigeante à l’égard de la saisie des congés dans le système, les faits ont démontré que, souvent, Mme de Laat se voyait accorder la flexibilité d’acheter des fournitures pour le bureau au moment où cela lui convenait. Cela n’excuse pas ses achats de drogue, mais ne démontre pas non plus qu’elle était ASP, comme il a été soutenu.

[168]  Mme de Laat a été reconnue coupable de simple possession criminelle de marijuana. Elle n’occupait ni un poste de CX ni un poste d’agente de libération conditionnelle; elle n’était pas gestionnaire non plus. Elle exerçait des fonctions administratives. Elle n’a pas présenté et ne présente pas un risque pour la sécurité.

[169]  Il se peut que Mme de Laat n’ait pas collaboré à l’enquête du SCC. Cependant, elle a agi sur les conseils d’un avocat.

[170]  Mme de Laat a déclaré qu’elle avait consommé de la marijuana à des fins médicales, bien qu’elle l’ait obtenue par des voies illégales.

[171]  Mme de Laat n’a pas laissé entendre qu’elle avait eu besoin d’une mesure d’adaptation; une personne ne peut pas exprimer des remords et des regrets si elle a besoin d’une mesure d’adaptation.

[172]  Mme de Laat n’est pas une narcotrafiquante. Rien n’indique qu’elle était responsable de la présence de drogue dans les établissements du SCC. Rien n’indique qu’elle était une employée dont le rendement était médiocre.

[173]  Rien n’a établi que Mme B ou M. A avait un casier judiciaire. Selon la preuve, il y a lieu de croire que Mme de Laat achetait sa drogue auprès d’eux et qu’elle savait que Mme B vendait de la drogue à d’autres personnes. Rien n’indique que Mme de Laat était au courant de la portée des activités criminelles de Mme B ou de M. A.

[174]  La jurisprudence sur les affaires disciplinaires est assez simple. En réponse à la première question du critère énoncé dans Wm. Scott, il y a eu une conduite justifiant la prise d’une mesure disciplinaire. Selon Mme de Laat, la question en litige est celle de savoir si la sévérité de la sanction, soit le licenciement, était appropriée et, dans le cas contraire, quelle serait la sanction appropriée dans les circonstances.

[175]  Mme de Laat m’a renvoyé à Braich et a comparé les faits de cette affaire à ceux en l’espèce. Alors que dans Braich, l’arbitre de grief a conclu que la fréquentation de gangs de criminels par des employés du SCC était profondément troublante, une pareille situation ne ressort pas des faits de l’espèce. La preuve n’a pas démontré clairement que Mme de Laat était proche des Hells Angels; rien n’indique qu’elle avait des rapports avec un gang.

[176]  Dans Soegard c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 52, le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas communiqué les faits de son arrestation et de sa détention à l’employeur, même s’il devait respecter le Code et les Règles du SCC. Bien que le fonctionnaire ait omis de communiquer ces renseignements, l’arbitre de grief a conclu qu’il avait démontré une bonne compréhension de son inconduite, et il l’a réintégré dans son poste. Mme de Laat a expliqué ses actes, et sa version des évènements incitait à conclure à sa crédibilité.

[177]  Dans Shandera c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 26, le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié de son poste de CX parce qu’il a été conclu qu’il avait volé de l’argent et du matériel de l’employeur. Dans cette affaire, l’employeur a déclaré qu’en qualité de CX, M. Shandera devait être soumis à une norme de conduite plus élevée. En l’espèce, Mme de Laat n’occupait pas un poste de CX, mais plutôt d’adjointe administrative, dans le cadre duquel il y avait peu de contacts avec les détenus. Aucune preuve n’a démontré que sa réinsertion constituait un risque. Rien n’a donné à penser que des renseignements avaient été diffusés de manière inappropriée ou que la fonctionnaire avait eu une conduite inappropriée auprès des détenus.

[178]  Dans Chatfield c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 2, Mme Chatfield, la fonctionnaire s’estimant lésée a été licenciée de son poste de CX-02 lorsque le SCC a découvert qu’elle avait menti au sujet du décès de son père et lui avait laissé croire qu’elle était en congé de deuil, alors qu’en réalité elle était en vacances au Mexique. La question de son état de santé mentale avait fait l’objet d’une discussion dans le cadre des questions liées aux mesures disciplinaires et à leur sévérité. En l’espèce, Mme de Laat a reconnu que ce qu’elle avait fait était répréhensible. Les questions de savoir qui elle est et le point où elle en était dans sa vie devraient faire l’objet d’un examen. Elle a précisé qui elle était et a expliqué ses actes. Bien qu’elle ait été étiquetée de [traduction] « menu fretin » dans le contexte général de l’enquête, au moment de l’exécution d’un mandat, la police est entrée par effraction à son domicile. M. D’Cunha et elle ont vu leurs noms affichés à la une des journaux et ont perdu leur emploi. Mme de Laat a suffisamment souffert de ses méfaits.

[179]  Mme de Laat m’a renvoyé aux paragraphes 73 et 74 de Chatfield, où il est indiqué que même si un employé s’est adonné à un acte de vol, le licenciement n’est pas toujours justifié. Les arbitres de grief et les arbitres de différends adoptent une approche équilibrée pour décider si un employeur avait un motif valable de licencier un employé. Une grande variété de facteurs sont pris en considération pour déterminer ultimement si la confiance qui constitue le fondement de toutes les relations d’emploi peut être rétablie. Ces facteurs sont présentés en détail au paragraphe 74 de cette décision.

[180]  Mme de Laat a appris sa leçon. Elle peut acheter sa marijuana légalement, et le risque de récidive est nul.

[181]  Il est vrai que Mme de Laat a été moins que franche lorsqu’elle s’est fait prendre. Cependant, elle ne recherche pas la sympathie; elle et M. D’Cunha ont subi un énorme préjudice. Mme de Laat comprend le rôle et les responsabilités du SCC. Le lien de confiance n’a pas été brisé, et la fonctionnaire a une possibilité de réadaptation.

[182]  Mme de Laat a plaidé coupable et a reçu une absolution inconditionnelle. En soupesant les critères énoncés au paragraphe 74 de Chatfield, elle a soutenu qu’il y avait suffisamment de faits justifiant sa réintégration.

[183]  En renvoyant à Bristow c. Conseil du Trésor (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada), dossier de la CRTFP 166­02­14868 (19850422), [1985] C.R.T.F.P.C. no 114 (QL), la Commission a conclu dans Rahim c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 121, qu’en l’absence de longs antécédents de service, la crédibilité et l’expression de remords suffisent. Aux paragraphes 78 et 79, l’arbitre de grief fait allusion à l’absence de remords de M. Rahim et à son intention, et déclare que l’ignorance n’est pas une défense. Mme de Laat n’a jamais plaidé l’ignorance et a évoqué ses actes avec franchise. Au paragraphe 83 de Rahim, l’arbitre de grief détermine que, essentiellement, il faut établir si la relation d’emploi a été irrémédiablement rompue ou pas et si l’on peut conclure qu’à l’avenir, le fonctionnaire ne se livrera plus à une pareille inconduite. En l’espèce, le fondement même du raisonnement sous‑jacent aux actes de Mme de Laat – la possession de marijuana –, serait légal.

[184]  Mme de Laat m’a renvoyé à Matthews c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 38, en déclarant que si mentir peut être grave, les actes de l’employeur durant le processus d’enquête ont neutralisé les mensonges qu’elle lui avait faits.

[185]  Pour ce qui est des affaires présentées par l’employeur, même s’il y a eu une inconduite de la part de Mme de Laat, la preuve ne satisfait pas au deuxième volet du critère énoncé dans Wm. Scott, notamment la question de savoir si la mesure disciplinaire imposée était excessive.

[186]  Mme de Laat n’a pas agi de manière à enfreindre sérieusement le Code criminel. Ses actes n’ont pas porté atteinte à la réputation du SCC.

[187]  En ce qui touche OPSEU, Mme de Laat est allée chez Mme B afin d’acheter de la marijuana, et non pour poireauter et sociabiliser. Elle n’a pas acheté la marijuana à des fins de revente ou de distribution. Son association avec Mme B n’était pas de nature à remplir le critère énoncé dans OPSEU.

[188]  En ce qui concerne Alta. v. AUPE, le rôle de Mme de Laat n’était pas identique à celui d’un CX, ce qui devrait avoir une certaine incidence sur la décision. Mme de Laat commande une règle moins rigoureuse que M. D’Cunha.

C. Pour M. D’Cunha

[189]  M. D’Cunha a soutenu que les trois facteurs suivants ont conduit à son congédiement :

  • l’achat de drogues illicites;
  • leur achat auprès d’un membre des Hells Angels;
  • l’envoi de documents protégés à son compte de courriel à la maison.

[190]  M. D’Cunha a soutenu que les accusations criminelles portées contre lui avaient été retirées.

[191]  M. D’Cunha a fait valoir qu’il avait admis avoir acheté de la marijuana. Cependant, il a contesté la connaissance approfondie que lui prêtait l’employeur de l’appartenance de M. A aux Hells Angels, et il a attaqué la crédibilité de l’employeur sur ce point. Il a soutenu qu’indépendamment du niveau ou de l’absence de formation sur les groupes du crime organisé, il avait reçu une formation sous un angle institutionnel, et que sa connaissance de sens commun du sujet n’était par entrée en ligne de compte dans ses échanges avec Mme B et M. A à l’époque.

[192]  M. D’Cunha a admis que Mme B et M. A étaient tous deux des personnages douteux. Cependant, rien ne lui a laissé croire qu’ils étaient directement liés à un groupe du crime organisé.

[193]  M. D’Cunha m’a renvoyé à sa déclaration à la police le soir de son arrestation, alors qu’il a affirmé que sa femme lui avait dit que M. A avait des liens avec les Hells Angels. Il a poursuivi en disant que les commentaires qu’il avait faits à la police étaient des extrapolations enthousiastes qu’il avait faites dans le contexte de la confusion et de la frustration qui avaient régné cette journée‑là. Il a affirmé qu’il n’avait pas tenté d’induire la police en erreur, mais bien de collaborer et de communiquer des renseignements.

[194]  M. D’Cunha a soutenu qu’il comprenait que l’employeur pouvait considérer l’achat de drogue auprès d’un associé des Hells Angels comme une question grave. Cependant, il a renvoyé aux commentaires du détective Weeks, selon lesquels Mme de Laat et lui n’avaient pas été ciblés par l’enquête et par des mandats de perquisition avant le dernier moment possible.

[195]  M. D’Cunha a aussi soutenu qu’il n’y avait aucune preuve d’une activité illicite se rattachant à lui et aux établissements du SCC.

[196]  M. D’Cunha a soutenu qu’à l’époque où il avait interagi avec M. A, celui‑ci n’était plus membre des Hells Angels.

[197]  M. D’Cunha a déclaré que l’employeur avait insisté sur le fait que l’achat de drogue n’était pas un incident unique, et que Mme de Laat et lui en avaient acheté à plusieurs reprises. Ils avaient agi ainsi parce qu’ils en achetaient quand ils en avaient les moyens.

[198]  En ce qui concerne la proportionnalité de la mesure disciplinaire, l’employeur a soutenu que M. D’Cunha avait été à la fois malhonnête et peu coopératif. À cet égard, M. D’Cunha a soutenu que, dans les circonstances, y compris compte tenu du caviardage important des documents par l’employeur et de la production du rapport de police, un contexte hostile le concernant avait été créé dans le processus disciplinaire. En pareil contexte, il avait tout naturellement hésité à communiquer des renseignements.

[199]  M. D’Cunha m’a renvoyé à Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134, au paragraphe 129, où l’arbitre de grief a commenté en ces termes l’utilisation des rapports de police :

[129] J’aimerais maintenant commenter l’utilisation des rapports de police. La preuve établit clairement que le SCC a reçu les rapports de police des deux incidents. Le Service de police de Kingston n’a pas autorisé la divulgation des rapports à des fins autres que l’application de la loi. Il semble bizarre que le SCC ait obtenu les rapports de police alors qu’il était clair dès le début que les rapports ne seraient pas utilisés à des fins d’application de la loi. Le SCC entendait consulter les rapports uniquement à des fins liées à l’emploi. Il est difficile de déterminer si le défaut du SCC d’exprimer clairement pourquoi il entendait utiliser les rapports faisait double emploi ou s’il a procédé ainsi par ignorance. Quel que soit le motif, la mauvaise utilisation par le SCC des rapports de police constitue un embarras pour le SCC. Je ne possède pas suffisamment d’éléments de preuve sur les circonstances entourant l’obtention des rapports de police pour conclure à la mauvaise foi. M. Costa n’a pas été convoqué comme témoin pour dire si l’information qu’il a insérée dans son RRS provenait directement des rapports de police ou d’une autre source.

[200]  M. D’Cunha a soutenu que l’employeur s’était fondé sur le rapport de police pour appuyer son licenciement. Le seul élément du licenciement qui n’était pas lié au rapport de police était son envoi de courriels à son compte à la maison.

[201]  M. D’Cunha a déclaré qu’il avait un dossier exemplaire, exempt de mesures disciplinaires, qu’il était membre de la garde d’honneur du SCC, qu’il était formateur en détection ionique et que rien ne soulevait de préoccupations quant à ses activités dans un établissement.

[202]  M. D’Cunha m’a renvoyé à la décision du Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario concernant la réception du rapport de police par le SCC, qui démontre que l’attitude du SCC n’était pas irréprochable au moment de négocier.

[203]  M. D’Cunha a déclaré qu’il avait admis son inconduite et qu’il avait exprimé des remords. Il a déclaré qu’en qualité de CX, il était bien au courant des répercussions que ses actes auraient pu avoir à l’intérieur d’un établissement.

[204]  M. D’Cunha a soutenu que je devrais tenir compte des facteurs suivants :

  • l’achat de drogue était destiné à la consommation personnelle de son épouse;
  • la drogue n’a jamais pénétré dans l’un ou l’autre établissement;
  • aucune activité menée avec le crime organisé n’a été démontrée, sauf l’achat de drogue.

[205]  M. D’Cunha a aussi invoqué Braich et Rahim.

[206]  M. D’Cunha a invoqué Soegard en disant qu’il avait avisé l’employeur de manière appropriée au moment de son arrestation, et qu’il avait affiché des remords.

[207]  M. D’Cunha a invoqué Shandera en disant que l’employeur n’avait pas démontré que son inconduite avait porté préjudice à l’établissement.

[208]  M. D’Cunha a déclaré qu’il avait assumé la responsabilité de sa conduite. Il a déclaré que l’employeur avait soutenu que Mme de Laat et lui ne pouvaient pas agir impunément et qu’ils devaient en subir les conséquences. Il a soutenu que son épouse et lui avaient beaucoup souffert.

[209]  M. D’Cunha a soutenu que les actes qui avaient conduit aux accusations portées contre sa femme et lui étaient sur le point de devenir licites pour tous les Canadiens. Il a déclaré que si on interrogeait une personne sur la rue au sujet de son comportement, et que cette personne était informée des remords qu’il avait exprimés et de ses problèmes d’employabilité, à son avis, ce citoyen moyen ne serait pas d’accord avec la décision de l’employeur de licencier les fonctionnaires. Il a déclaré qu’il n’achète pas de drogue et n’a aucune autre tache à son dossier. Il est actif au sein de la collectivité et à l’école de ses enfants.

[210]  M. D’Cunha a déclaré que la relation d’emploi n’avait pas été rompue et qu’il était envisageable de rebâtir la confiance à l’avenir.

[211]  M. D’Cunha a soutenu que même si son comportement n’avait pas été conforme aux valeurs et à l’éthique prônées par le SCC, et qu’il justifiait une mesure disciplinaire, à son avis, il ne justifiait pas son licenciement. Il a demandé que son grief soit accueilli. Il a également demandé sa réintégration à son poste, sans remboursement de la perte en salaire ou en avantages sociaux.

D. La réplique de l’employeur

[212]  Les fonctionnaires se sont efforcés de réduire la question à la simple possession de marijuana. Ils n’ont pas été licenciés au seul motif qu’ils se sont trouvé en possession de drogue. Même si M. D’Cunha a assumé la responsabilité de l’achat de drogue, les fonctionnaires ont contesté une bonne partie des autres faits et motifs liés à leur licenciement.

[213]  M. D’Cunha a semblé maintenir qu’il ignorait que M. A était membre des Hells Angels, et qu’il traitait avec un membre ou un associé d’une organisation criminelle. Il en va de même pour Mme de Laat, dans la mesure où elle a allégué qu’elle ignorait qu’elle traitait avec un membre ou un associé d’une organisation criminelle. Les décisions rendues dans Braich, Lapostolle et Stokaluk abordent toutes cette question.

[214]  Mme de Laat a reçu l’absolution inconditionnelle, et le fait que les accusations portées contre M. D’Cunha aient été retirées ne change en rien les faits. Les fonctionnaires ont laissé entendre qu’ils éprouvaient beaucoup de remords. L’employeur n’est pas d’accord.

[215]  M. D’Cunha a déclaré qu’il avait été tout à fait franc avec l’employeur. Ce n’est pas vrai. Même si, au moment de son arrestation, il a avisé l’employeur qu’il ne se présenterait pas au travail, il n’a pas invoqué son arrestation et sa détention, mais des [traduction] « problèmes familiaux ».

[216]  Les fonctionnaires ont soutenu qu’ils ne constituent pas une menace pour l’employeur, puisqu’ils sont parfaitement réhabilités. L’employeur a soutenu que pour pouvoir poser cette question et y répondre, je dois conclure que la décision de licencier les fonctionnaires était erronée. Il s’agit d’une preuve post facto. À cet égard, l’employeur m’a renvoyé à Basra, au paragraphe 158, et a déclaré qu’un arbitre de grief devait se concentrer sur la situation en place au moment où la décision a été prise.

IV. Motifs

A. Ordonnance de mise sous scellés

[217]  Le Résumé de l’opération Batlow que l’employeur a présenté, et qui faisait partie du rapport d’enquête du SCC, ne concerne pas seulement les fonctionnaires, mais aussi M. A et Mme B, en plus de mentionner plusieurs autres personnes qui sont tombées dans les filets de l’enquête policière.

[218]  Dans Basic c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 120, aux paragraphes 9 à 11, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique a déclaré ce qui suit :

[9] La mise sous scellés de documents ou de dossiers déposés en vue d’une audience judiciaire ou quasi judiciaire va à l’encontre du principe fondamental consacré dans notre système de justice selon lequel les audiences sont publiques et accessibles. La Cour suprême du Canada a statué que l’accès du public aux pièces et aux autres documents déposés dans le cadre d’une procédure judiciaire était un droit protégé par la Constitution en vertu des dispositions sur la « liberté d’expression » de la Charte canadienne des droits et libertés; voir Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480; Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 (CanLII).

[10] Cependant, la liberté d’expression et le principe de transparence et d’accessibilité publique des audiences judiciaires et quasi judiciaires doivent parfois être soupesés en fonction d’autres droits importants, dont le droit à une audience équitable. Bien que les cours de justice et les tribunaux administratifs aient le pouvoir discrétionnaire d’accorder des demandes d’ordonnance de confidentialité, de non‑publication et de mise sous scellés de pièces, ce pouvoir discrétionnaire est limité par l’exigence de soupeser ces droits et intérêts concurrents. Dans Dagenais et Mentuck, la Cour suprême du Canada a énuméré les facteurs à prendre en considération pour déterminer s’il convient d’accepter une demande de restriction de l’accès aux procédures judiciaires ou aux documents déposés dans le cadre de ces procédures. Ces décisions ont mené à ce que nous connaissons aujourd’hui comme étant le critère Dagenais/Mentuck.

[11] Le critère Dagenais/Mentuck a été établi dans le cadre de demandes d’ordonnance de non‑publication dans des instances criminelles. Dans Sierra Club of Canada, la Cour suprême du Canada a précisé le critère en réponse à une demande d’ordonnance de confidentialité dans le cadre d’une procédure civile. Le critère adapté est le suivant :

[…]

a. elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter le risque.

b. ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[…]

[219]  L’objet de la présente audience consiste à déterminer si les actes des fonctionnaires équivalaient à une inconduite. Le Résumé de l’opération Batlow compte 208 pages, dont 53 seulement traitent de leurs activités. M. A et Mme B ont tous deux été accusés au criminel. Compte tenu de la nature du Résumé de l’opération Batlow, il pourrait bien y avoir eu d’autres actions en justice visant M. A et Mme B, et éventuellement d’autres personnes qui y sont nommées et ne sont pas parties à la présente procédure. Il existe un risque grave pour ces parties, et leur situation personnelle n’est pas pertinente à la question dont je suis saisi. Les accusations portées contre ces personnes peuvent avoir été retirées, ces personnes peuvent avoir été acquittées, ou encore avoir été déclarées coupables et avoir été graciées ou avoir obtenu une suspension de casier judiciaire.

[220]  De plus, dans le rapport d’enquête du SCC, sous l’onglet O, il y a des copies de courriels que les fonctionnaires ont envoyés à leurs adresses électroniques à la maison. Quatre pages sont des courriels ou des parties de courriels ou de documents qui renferment les noms de certains employés et des renseignements sur leur paye et leurs avantages sociaux. Aucun de ces renseignements n’est pertinent aux fins de l’audience, mais il s’agissait de renseignements personnels et confidentiels, qui ont été envoyés aux adresses électroniques des fonctionnaires à la maison.

[221]  Par conséquent, j’estime que les effets bénéfiques de l’ordonnance de confidentialité, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires. J’ordonne la mise sous scellés des éléments suivants :

  • le document identifié comme étant le Résumé de l’opération Batlow, qui a été présenté en tant qu’élément de la pièce E-2, onglet H;
  • quatre pages figurant au début de la pièce E-2, onglet O, soit de la deuxième à la cinquième page inclusivement, et qui portent, écrits à la main dans le coin inférieur droit, l’un des numéros suivants : 86, 87, 88 ou 89.

B. La question de la divulgation

[222]  Les audiences qui portent sur des mesures disciplinaires en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sont de nouvelles audiences, et le défendeur doit s’acquitter du fardeau de la preuve.

[223]  Dans leur preuve, les fonctionnaires ont clairement établi qu’au cours de l’enquête du SCC et pendant une longue période, les détails concernant divers aspects de l’enquête criminelle et le Résumé de l’opération Batlow ne leur ont pas été fournis. Il est également clair que l’enquête du SCC se fondait en grande partie sur l’opération Batlow et le Résumé de l’opération Batlow.

[224]  Bien qu’il soit malheureux que la direction du SCC ait caché ces renseignements aux fonctionnaires dans le cadre du processus d’enquête, il est également clair que ces derniers les ont eus en mains avant l’achèvement du processus disciplinaire. Quoi qu’il en soit, les fonctionnaires ont reçu les renseignements longtemps avant l’audience devant moi, et ils étaient certainement au courant des allégations d’inconduite dirigées contre eux. Toute irrégularité sera remédié en vertu de la présente nouvelle audience.

C. Le bien-fondé des griefs

[225]  Pour trancher des questions portant sur des mesures disciplinaires, on examine habituellement les trois critères suivants (voir Wm. Scott.) : Y a-t-il eu une inconduite de la part du fonctionnaire s’estimant lésé? Dans l’affirmative, la mesure disciplinaire imposée par l’employeur était-elle excessive dans les circonstances? Si elle l’était, quelle autre sanction aurait été juste et équitable dans les circonstances?

[226]  Les questions liées à la crédibilité sont tranchées au moyen du critère énoncé dans Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, où la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Si l’acceptation de la crédibilité d’un témoin par un juge de première instance dépendait uniquement de son opinion quant à l’apparence de sincérité de chaque personne qui se présente à la barre des témoins, on se retrouverait avec un résultat purement arbitraire, et l’administration de la justice dépendrait des talents d’acteur des témoins. Réflexion faite, il devient presque évident que l’apparence de sincérité n’est qu’un des éléments qui entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier la crédibilité d’un témoin. Les possibilités de connaissance, la capacité d’observation, le jugement, la mémoire, l’aptitude à décrire avec précision ce qui a été vu et entendu contribuent, de concert avec d’autres facteurs, à créer ce qu’on appelle la crédibilité […] Par son attitude, un témoin peut créer une impression très défavorable quant à sa sincérité, alors que les circonstances permettent de conclure de façon indubitable qu’il dit la vérité. Je ne songe pas ici aux cas assez peu fréquents où l’on surprend le témoin en train de dire un mensonge maladroit.

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de preuve contradictoire, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. En somme, le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans un tel cas doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans une telle situation et de telles circonstances. […]

[Je mets en évidence]

[…]

1. Y a‑t‑il eu une inconduite de la part des fonctionnaires?

[227]  L’employeur a allégué que M. D’Cunha était coupable d’une inconduite en raison des facteurs suivants :

  • il s’est présenté au domicile de Mme B afin d’acheter différents types de marijuana, soit des substances réglementées à l’époque et dont la possession et la vente étaient illicites en vertu des lois fédérales;
  • il a envoyé des documents liés au travail de son compte au SCC à son compte de courriel à la maison sur un réseau électronique non sécurisé.

[228]  L’employeur a allégué que Mme de Laat était coupable d’une inconduite en raison des facteurs suivants :

  • elle s’est présentée au domicile de Mme B afin d’acheter de la marijuana, qui était une substance réglementée à l’époque et dont la possession et la vente étaient illicites en vertu des lois fédérales;
  • elle a agi ainsi alors qu’elle était censée être au travail ou en congé de maladie (vol de temps);
  • elle a envoyé des documents liés au travail de son compte au SCC à son compte de courriel et à celui de M. D’Cunha à la maison sur un réseau électronique non sécurisé.
a. Achat de marijuana

[229]  Les faits non contestés sont les suivants :

  • à neuf reprises, entre juin 2014 et le 24 février 2015, M. D’Cunha a rencontré Mme B ou M. A et a acheté, en quantités inconnues, une substance réglementée (différents types de marijuana) pour sa femme, Mme de Laat;
  • à deux reprises au moins, M. D’Cunha a rencontré M. A, qui, pendant une partie de cette période, était membre des Hells Angels, une organisation que M. D’Cunha savait être mêlée à des activités criminelles;
  • à 19 reprises, entre novembre 2013 et décembre 2014, Mme de Laat a rencontré Mme B ou M. A et a acheté, en quantités inconnues, une substance réglementée (différents types de marijuana).

[230]  J’ai exposé ce qui suit au paragraphe 226 de Stene :

[226] Au paragraphe 46 de Tobin [Tobin c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 254], la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

Le pouvoir d’adopter le Code de discipline comporte le droit d’apprécier la conduite des employés à la lumière de ses dispositions, sinon il ne serait d’aucune utilité. J’ai examiné les liens dans la chaîne des pouvoirs délégués depuis le Conseil du Trésor jusqu’au commissaire du SCC. Si cette chaîne comportait un lien manquant, rien en ce sens ne nous a été démontré. Le pouvoir du Conseil du Trésor d’établir des normes de discipline dans la fonction publique a été délégué au commissaire qui l’a exercé en adoptant le Code de discipline.

[231]  L’employeur a maintenu que le comportement des fonctionnaires, qui se sont présentés au domicile de Mme B, à Barrhaven, et y ont rencontré cette dame et M. A afin d’acheter de la marijuana, allait à l’encontre des règles numéros deux, quatre et cinq des Règles du SCC, ce qui, par conséquent, constitue une violation du Code.

[232]  La règle numéro deux des Règles du SCC stipule que le comportement des employés, qu’ils soient de service ou non, doit faire honneur au SCC et à la fonction publique, et que tous les employés doivent se comporter d’une façon qui projette une image professionnelle, tant par leurs paroles que leurs actes. La présence de M. D’Cunha au domicile de Mme B à neuf reprises distinctes sur une période d’environ 10 mois, et celle de Mme de Laat à 19 reprises distinctes sur une période de 14 mois, dans le but d’acheter une substance réglementée qui était illicite en vertu des lois fédérales, ne peut pas être considérée comme un comportement ayant fait honneur au SCC ou à la fonction publique, et n’a certainement pas projeté une image professionnelle.

[233]  Je suis conscient du fait qu’aujourd’hui, ce qui serait considéré comme la simple possession de marijuana n’est plus une infraction en vertu du Code criminel. Cependant, à l’époque en question, il s’agissait d’une infraction, et les deux fonctionnaires le savaient certainement. Il est aussi de notoriété publique que beaucoup de personnes incarcérées dans le système pénal fédéral y sont par suite de condamnations, notamment celles qui découlent du trafic et du commerce de drogues illicites. En qualité d’employés du SCC, les deux fonctionnaires devaient le savoir. Cela est d’autant plus vrai dans le cas de M. D’Cunha puisqu’il a occupé un poste de CX, et qu’il a travaillé dans des établissements à sécurité moyenne ou maximale. De plus, à un moment donné, pendant sa carrière, il avait été opérateur de détecteur à ions, puis formateur en détection ionique au PK. Il savait certainement qu’il est important de faire en sorte que la drogue, y compris la marijuana, n’entre pas dans les établissements.

[234]  De plus, le fait que la loi en matière d’achat et de possession de marijuana ait été modifiée de manière à décriminaliser certains de leurs aspects ne change en rien la situation. Il est aussi de notoriété publique qu’on peut acheter et posséder en toute légalité d’autres drogues qui peuvent aussi être nocives et mortelles, et qui présentent un risque grave pour la santé et la sécurité des Canadiens (c’est‑à‑dire, le fentanyl et l’OxyContin). Des règles strictes régissent l’achat, la vente et la possession de ces produits et, dans certains cas, ces activités peuvent être considérées comme des actes criminels et donner lieu à des accusations et des procédures criminelles. On peut dire la même chose au sujet du tabac et de l’alcool. Le contexte et le caractère de l’activité distinguent les activités licites de celles qui sont à tout le moins inappropriées, sinon criminelles.

[235]  M. D’Cunha a déclaré dans son témoignage et ses observations qu’il ignorait que M. A était membre des Hells Angels. Le détective Weeks a déclaré que le 5 septembre 2014 (identifié à tort comme étant le 9 mai 2014), date à laquelle M. D’Cunha s’est présenté à la résidence de Mme B afin de lui acheter de la marijuana, la vidéo montre clairement que la motocyclette garée dans l’allée de Mme B (dont l’avant est visible sur la photographie dans le Résumé de l’opération Batlow) arbore des insignes visibles, qui ont été associés sans équivoque aux Hells Angels. M. Weeks a aussi déclaré que M. A, qui a ouvert la porte et invité M. D’Cunha à entrer, portait sa veste des Hells Angels ornée des couleurs et des insignes du club.

[236]  M. D’Cunha a déclaré qu’il n’avait pas vu les marques, que ce soit sur M. A ou sur sa motocyclette. Je trouve cela difficile à croire pour divers motifs. Premièrement, les insignes des Hells Angels ont acquis une très grande notoriété par divers moyens de communication. Deuxièmement, compte tenu de sa proximité à M. A et à sa motocyclette, il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir les marques. Troisièmement, compte tenu du fait que ce n’était que la deuxième fois (au moins selon le Résumé de l’opération Batlow) que M. D’Cunha achetait de la marijuana pour sa femme, on peut supposer qu’il ait été extrêmement conscient de son environnement, étant donné qu’il se livrait à une activité illicite qui, il le savait, pouvait lui attirer de sérieux ennuis, non seulement en vertu du Code criminel, mais aussi auprès de son employeur.

[237]  Dans son témoignage, M. D’Cunha a laissé entendre que Mme de Laat et lui avaient parlé des liens de M. A avec les Hells Angels pour la première fois le soir du 24 février 2015, la veille de la descente de police matinale où ils ont été arrêtés. Cette présumée conversation ne répond pas au critère énoncé dans Faryna, qui est « […] la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans une telle situation et de telles circonstances ».

[238]  Comme il est indiqué dans le Résumé de l’opération Batlow, M. A n’a porté qu’une seule fois ses couleurs des Hells Angels en présence de l’un ou l’autre fonctionnaire, à savoir le 5 septembre 2014. Cependant, le 30 janvier 2015, M. D’Cunha s’est présenté au domicile de Mme B afin d’acheter de la marijuana. M. A était présent, et une discussion, au cours de laquelle M. A a raconté à M. D’Cunha comment il avait été agressé et poignardé, a été enregistrée. Le 24 février 2015, M. D’Cunha a de nouveau rencontré M. A afin d’acheter de la marijuana, mais le Résumé de l’opération Batlow ne révèle rien qui puisse laisser penser que M. A était un homme violent, bien que la rencontre qui a eu lieu le 30 janvier 2015 l’ait certainement laissé penser.

[239]  De plus, durant son entrevue avec le détective Schoorl (pendant la soirée du 25 février 2015), M. D’Cunha a déclaré qu’il savait que M. A avait des liens avec les Hells Angels, et qu’en raison du métier qu’il exerçait, il s’agissait pour lui d’un important signal d’alerte. Selon Mme de Laat, Mme B lui avait dit à quel point M. A était violent et qu’il avait des liens avec les motards. Mme de Laat a ajouté qu’il s’agissait pour elle d’un important signal d’alerte. Cependant, elle s’est rendue pour la dernière fois au domicile de Mme B afin d’acheter de la marijuana le 5 décembre 2014, et M. D’Cunha a effectué tous les achats par la suite (le 18 décembre 2014, les 2 et 30 janvier et les 6 et 24 février 2015). Le fait que Mme de Laat ait pu, sans l’avertir au préalable, laisser son mari, le père de ses enfants, se retrouver en face d’une personne dont elle avait raison de croire qu’il se montrait enclin non seulement à la violence, mais, comme elle l’a déclaré devant moi, à [traduction] l’« extrême violence », ce qui soulevait des signaux d’alerte pour elle, ne répond pas au critère énoncé dans Faryna.

[240]  À la lumière des faits, je conclus que les deux fonctionnaires étaient bien conscients des liens de M. A avec les Hells Angels et qu’ils ont fermé les yeux sur cette question. Il s’agit aussi clairement d’une violation de la règle numéro deux.

[241]  La règle numéro quatre concerne les activités du personnel qui mettent en cause des délinquants. Elle stipule que les employés doivent aider et encourager activement les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois, notamment en établissant avec eux des relations constructives en vue de faciliter leur réinsertion dans la collectivité. Ces relations doivent être empreintes d’honnêteté, d’intégrité et d’équité.

[242]  Le terme « délinquant » n’est défini ni dans le Code ni dans les Règles du SCC. Cependant, il s’agit d’un terme idiomatique pour le SCC. Il désigne des personnes déclarées coupables d’actes criminels et condamnées à des peines d’emprisonnement dans les établissements du SCC.

[243]  Je n’ai été saisi d’aucune preuve indiquant que M. A ou Mme B aient pu être considérés, à l’époque où M. D’Cunha les rencontrait et achetait d’eux des drogues illicites, comme délinquants au sens où le SCC utilise ce terme et y fait renvoi. Par conséquent, j’estime qu’aucun fondement ne permet de maintenir que les fonctionnaires ont contrevenu à la règle numéro quatre des Règles du SCC.

[244]  La règle numéro cinq des Règles du SCC stipule que les membres du personnel doivent faire preuve d’honnêteté et d’intégrité dans l’accomplissement de leurs tâches pour le compte du gouvernement du Canada. Ils ne doivent pas s’engager dans des entreprises commerciales ou privées qui pourraient, ou sembleraient, les mettre en conflit avec leurs fonctions en tant qu’employés du SCC ou leurs responsabilités générales en tant que fonctionnaires [je mets en évidence].

[245]  Pour les motifs déjà énoncés, les actes des fonctionnaires, à savoir de s’être présentés au domicile de Mme B à 28 reprises distinctes sur une période d’environ 16 mois, à la seule fin d’acheter une substance réglementée qui était illicite en vertu des lois fédérales, ont consisté à s’engager dans des entreprises commerciales ou privées qui les mettaient en conflit, ou à tout le moins, semblaient les mettre en conflit avec les fonctions de M. D’Cunha en tant que membre du personnel du SCC.

[246]  D’après la preuve dont je dispose, l’employeur a établi que le comportement des deux fonctionnaires concernant l’achat de marijuana auprès de Mme B ou de M. A équivalait à une inconduite et à une violation du Code et des Règles du SCC, plus particulièrement des dispositions des règles numéros deux et cinq.

b. Les fonctionnaires ont envoyé des documents liés au travail depuis leurs comptes du SCC à leurs comptes de courriel à la maison sur un réseau électronique non sécurisé

[247]  La règle numéro six des Règles du SCC prévoit que les employés doivent traiter l’information reçue dans le cadre de leur emploi d’une manière conforme à certaines lois fédérales et au serment du secret. Il a été allégué que les deux fonctionnaires avaient enfreint cette règle en envoyant des documents à leur domicile par courrier électronique sur un réseau non sécurisé (Internet).  

[248]  En ce qui concerne M. D’Cunha, M. Edwards a déclaré que l’inconduite ne concernait pas le fait qu’il avait eu les documents en sa possession, ou à son domicile, mais bien qu’il les avait envoyés au moyen d’Internet.

[249]  Un examen des documents joints au rapport d’enquête du SCC a permis de constater que certains des documents envoyés par M. D’Cunha comprenaient des manuels de formation, et que d’autres concernaient de questions de sécurité. Manifestement, ces documents ne devraient pas nécessairement être du domaine public.

[250]  Comme dans le cas de M. D’Cunha, certains documents que Mme de Laat a envoyés à la maison au moyen d’Internet contenaient des renseignements sensibles, y compris les détails de la paye et des avantages sociaux des autres employés. Encore une fois, comme dans le cas de M. D’Cunha, s’il s’agissait de la seule transgression de Mme de Laat, je me serais attendu à ce que la mesure disciplinaire ait été beaucoup moins sévère, et certainement pas le licenciement.

[251]  D’après la preuve dont je dispose, l’employeur a établi que le comportement des deux fonctionnaires en ce qui concerne l’utilisation du réseau électronique du SCC équivalait à une inconduite et à des violations du Code et des Règles du SCC, plus particulièrement des dispositions qui traitent de la règle numéro six, à savoir la protection des renseignements.

c. Le vol de temps commis par Mme de Laat

[252]  L’employeur a aussi allégué que Mme de Laat était coupable d’un vol de temps. À plusieurs reprises, elle s’est déplacée afin d’acheter de la drogue illicite auprès de Mme B à Ottawa, alors qu’elle aurait dû être au travail. Soit elle a omis de saisir des données dans le système de gestion des congés pour rendre compte de son absence, soit elle a demandé un CMNP ou un congé familial.

[253]  Mme de Laat a soutenu qu’elle était visée par une entente de travail flexible et qu’elle était autorisée à prendre du temps compensatoire, ce qu’elle faisait lorsqu’elle se rendait à Ottawa afin d’acheter de la drogue alors qu’elle aurait dû être au travail.

[254]  Il n’y a aucune preuve documentaire d’une pareille entente de travail flexible. Cependant, personne n’a contesté que les heures de début et de fin de travail de Mme de Laat étaient flexibles, ce qui lui permettait de commencer à travailler entre 8 et 9 h, et de finir huit heures plus tard, entre 16 et 17 h. À l’occasion, on lui demandait d’aller chercher des fournitures pour le bureau. En dehors de l’allusion au fournisseur d’oxygène de Kingston, aucune précision n’a été donnée. Compte tenu de son poste d’adjointe administrative, je présume qu’on demandait à Mme de Laat d’aller chercher des fournitures de bureau.

[255]  Il n’y avait aucune preuve, même documentaire, de la fréquence et des moments où Mme de Laat est allée chercher des fournitures ni des lieux où elle est allée.

[256]  Mmes Storring et Napier-Glover ont toutes deux déclaré que selon l’entente concernant la cueillette de fourniture, il arrivait qu’on demande à Mme de Laat d’aller chercher des fournitures. Par conséquent, soit Mme de Laat partait plus tôt du travail pour aller chercher les fournitures, soit elle allait les chercher en se rendant au travail et arrivait un peu plus tard que d’habitude.

[257]  L’Établissement de Millhaven est situé à l’ouest de Kingston, juste à l’extérieur de la ville de Millhaven, au bord du lac Ontario. Les fonctionnaires habitaient à Kingston. Bien qu’ils n’aient pas précisé exactement où ils habitaient, je peux certainement constater qu’il est courant dans toutes les villes canadiennes de la taille de Kingston de trouver facilement plusieurs magasins « à grande surface » qui vendent de la papeterie et d’autres fournitures de ce genre.

[258]  La preuve a également démontré qu’entre novembre 2013 et décembre 2014, Mme de Laat était la propriétaire enregistrée de deux véhicules et qu’elle en utilisait un, ou les deux, pour ses déplacements. Même si elle devait peut‑être faire un petit détour pour aller chercher des fournitures, selon la preuve, je ne crois pas qu’elle ait eu droit à une entente particulière à l’égard d’une période indemnisable pour l’utilisation de son véhicule.

[259]  Je n’ai été saisi d’aucune preuve du nombre de fois que Mme de Laat a eu à aller chercher des fournitures entre le moment de son retour au travail à la suite de son accident (à la fin de 2013 ou au début de 2014) et celui de son arrestation et de sa suspension (le 25 février 2015). En réalité, le taux courant de l’employeur pour l’utilisation d’un véhicule personnel durant cette période variait entre 0,50 et 0,55 $ par kilomètre.

[260]  Tout le monde sait qu’Ottawa se trouve au nord‑est de Kingston. Le trajet en voiture de Kingston à Ottawa est d’environ 185 à 200 km, en fonction de l’itinéraire, et dure approximativement deux heures ou deux heures et demie. J’ai indiqué plus haut dans la présente décision les heures auxquelles Mme de Laat était arrivée au domicile de Mme B et en était repartie. En l’absence de problèmes de circulation ou de mauvais temps, un trajet aller‑retour de son domicile à celui de Mme B dure entre quatre heures et quatre heures et demie. Si on ajoute le temps qu’elle a passé au domicile de Mme B, le déplacement compte entre quatre heures et demie et six heures.

[261]  À six reprises, Mme de Laat est allée chez Mme B et aucun type de congé n’a été enregistré à l’égard des jours qui auraient autrement été des jours où elle aurait dû être au travail, notamment le 22 mai 2014, les 1er, 8, 14 et 25 août 2014 et le 7 octobre 2014. À une occasion, Mme de Laat a enregistré un congé pour obligations familiales dans le système de gestion des congés; à trois autres reprises, elle a enregistré un CMNP. En tout, le nombre d’heures perdues pour l’employeur s’élève à environ 71,5 heures, dont 49 heures ont été payées à Mme de Laat.

[262]  Le salaire de Mme de Laat est prévu à la convention collective du groupe PA. Selon la grille salariale des employés classifiés au groupe et au niveau CR-04, la fonctionnaire avait droit à un salaire allant de 45 189 $ à 48 777 $ par année ou d’environ 23,10 $ à 24,93 l’heure.

[263]  Par conséquent, Mme de Laat a commis une fraude allant de 1 131,90 $ à 1 221,57 $ à l’endroit de l’employeur.

[264]  Il aurait fallu que Mme de Laat accumule un kilométrage important pour que celui‑ci atteigne la valeur en dollars d’une heure de son temps, et à plus forte raison un montant se situant entre 1 131,90 $ et 1 221,57 $.

[265]  D’après la preuve dont je dispose, je suis convaincu que Mme de Laat ne faisait pas l’objet d’une entente comme elle l’a allégué, et qu’elle a commis une fraude à l’endroit de son employeur, ce qui constituait clairement une violation de la règle numéro un des Règles du SCC.

2. La mesure disciplinaire était‑elle excessive dans les circonstances?

[266]  Aux paragraphes 51 et 60 à 62 de Tobin, la Cour a commenté en ces termes la question du discrédit et de l’atteinte à la réputation l’employeur :

[51]  De la même façon, les règles de conduite professionnelle et le Code de conduite traitent de conduite nuisible à la réputation du SCC. Compte tenu de la mission du SCC, la question de savoir si une déclaration de culpabilité et les circonstances dans lesquelles la culpabilité a été reconnue lui sont nuisibles constitue un facteur à prendre en compte dans l’évaluation du caractère approprié de la sanction imposée à M. Tobin.

[…]

[60]   L’arbitre ne précise pas sous quelle forme une telle preuve devrait être présentée. La preuve directe d’atteinte à la réputation peut être requise en certaines circonstances, mais il était manifestement déraisonnable pour l’arbitre de fixer une norme qui, à toutes fins utiles, ne pouvait être respectée. L’on ne saurait apprécier ou mesurer la réputation d’une institution nationale de la même façon qu’on le ferait pour une personne au sein d’une collectivité. Comment l’arbitre concevait-il qu’une telle preuve lui serait présentée? Aurait-elle été présentée sous forme de sondages de l’opinion publique? Hormis la question des coûts et de l’emploi à bon escient des fonds publics, il m’apparaît que la conception de tels sondages poserait des difficultés considérables. Par exemple, comment l’employeur s’y prendrait-il pour savoir, avant les événements en question, qu’il doit commencer à recueillir des éléments de preuve d’atteinte à sa réputation? Il est tout simplement déraisonnable de croire que la réputation du SCC puisse être mesurée avec une précision mathématique et qu’un facteur particulier puisse expliquer avec certitude les changements à cette réputation.

[61]   Le passage de l’arrêt Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la Fonction publique), [1985] 2 R.C.S. 455 [Fraser], auquel le juge de première instance renvoie au paragraphe 50 de ses motifs, est particulièrement pertinent à cet égard. Dans l’arrêt Fraser, il s’agissait de déterminer si les critiques d’un fonctionnaire à l’égard des politiques du gouvernement avaient laissé libre cours à la perception qu’il était incapable de remplir ses fonctions de fonctionnaire. La notion d’incidence néfaste est assez élastique, tout comme celle de l’image ternie. C’est en ce sens que la Cour suprême s’est prononcée :

Si on examine l’incidence néfaste dans un sens plus large, je suis d’avis qu’une preuve directe n’est pas nécessairement exigée. Les traditions et les normes contemporaines de la fonction publique peuvent constituer des éléments de preuve directe. Toutefois elles peuvent également être des éléments d’étude, d’argumentation écrite et orale, de connaissance générale de la part d’arbitres qui ont l’expérience du secteur public et enfin, de déductions raisonnables par ces derniers.

Fraser, précité, au paragraphe 48

[62]   Il en va de même pour la question de savoir si une conduite donnée porte atteinte à la réputation du SCC. Il s’agit d’une question dont le traitement commande une dose de bon sens et de discernement […]

[267]  Même si la Couronne a décidé de ne pas poursuivre M. D’Cunha en vertu du Code criminel, et que celui‑ci n’a pas été déclaré coupable de l’infraction dont il a été accusé, il est ressorti de la preuve dont je suis saisi que M. D’Cunha avait certainement participé à l’achat et à la possession de marijuana à neuf reprises au moins. À l’époque, il s’agissait d’une infraction en vertu du Code criminel qui était punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire.

[268]  M. Edwards a déclaré qu’il avait déterminé que la mesure disciplinaire prise à l’égard de la conduite de M. D’Cunha se fondait en partie sur le fait qu’il avait enfreint le Code et les Règles du SCC, notamment les règles numéros deux et cinq pour ce qui est de ses visites au domicile de Mme B afin d’acheter de la marijuana auprès d’elle et de M. A. De même, bien que Mme de Laat n’ait pas été déclarée coupable d’un acte criminel à l’époque où la décision concernant la mesure disciplinaire a été rendue, Mme Russon a déclaré que sa décision de licencier Mme de Laat était fondée sur les faits sous‑jacents qui ont donné lieu aux accusations criminelles portées contre Mme de Laat par suite de l’opération Batlow.

[269]  Je conclus que le comportement des deux fonctionnaires, soit de s’être présentés au domicile de Mme B et d’y avoir acheté de la marijuana à de nombreuses reprises sur une longue période, constitue une inconduite grave, qu’un observateur raisonnable et bien informé considérerait comme un comportement susceptible de jeter le discrédit sur le SCC. Il n’est pas nécessaire de démontrer le discrédit.

[270]  De plus, la lettre de licenciement qu’a reçue M. D’Cunha indiquait qu’il avait omis de se conformer au Code de valeurs et d’éthique du secteur public, puisqu’il avait contrevenu à la valeur éthique qui consiste à se conduire toujours avec intégrité, d’une manière qui puisse résister à l’examen public le plus approfondi et de manière à préserver la confiance de l’employeur. Bien qu’aucune copie de ce code n’ait été déposée en preuve, les règles numéro deux et cinq du SCC font certainement allusion ou renvoient directement à une obligation comparable de se conduire de manière éthique et avec intégrité. J’estime que de se présenter au domicile de Mme B afin d’acheter de la marijuana n’équivaut pas à se conduire de manière éthique, avec intégrité ou d’une manière qui puisse résister à l’examen public le plus approfondi.

[271]  M. D’Cunha a présenté un témoignage et a laissé entendre dans certains documents qu’il avait pleinement collaboré à l’enquête du SCC. Il a déclaré que ce n’est que par suite des conseils de son avocat qu’il a parfois omis de collaborer.

[272]  Lorsque votre liberté est en jeu, il est judicieux de prendre la décision de suivre les sages conseils juridiques d’un avocat criminaliste, et je ne blâme aucun des fonctionnaires d’avoir agi ainsi, même à la lumière de l’enquête du SCC qui était en cours. Cependant, le manque de collaboration des fonctionnaires dépasse de beaucoup le droit de garder le silence. Plutôt que de garder le silence et de ne pas répondre aux questions, ils ont décidé de répondre à certaines questions d’une manière qu’on ne peut qualifier que de carrément mensongère, qui n’avait rien à voir avec la décision de suivre les conseils juridiques sur le droit au silence. Leurs mensonges sont les suivants :

Pour M. D’Cunha :

  • que la seule personne qu’il connaissait dans la liste des personnes arrêtées était Mme B, alors qu’en réalité il connaissait M. A, puisqu’il lui a acheté de la marijuana au moins deux fois et l’a vu au moins trois autres fois;
  • qu’il n’irait pas et n’était pas allé à un domicile quelconque à Ottawa afin d’acheter de la drogue, alors qu’en réalité il est allé chez Mme B à neuf reprises afin d’acheter de la drogue;
  • que ses visites chez Mme B étaient purement sociales, alors qu’en réalité elles avaient nettement pour but d’acheter de la drogue illicite;
  • qu’il ignorait si Mme de Laat était mêlée à quoi que ce soit en lien avec la drogue, alors qu’il savait pertinemment qu’elle achetait de la drogue auprès de Mme B, qu’il achetait de la drogue chez Mme B à la demande et aux fins de la consommation de Mme de Laat, et que celle‑ci consommait de la drogue [traduction] « depuis le jour où il avait fait sa connaissance » (extrait de la transcription de l’entrevue du détective Schoorl, le 25 février 2015);
  • qu’il ne connaissait personne du nom de M. A, alors qu’il l’a rencontré à deux reprises afin d’acheter de la drogue.

Pour Mme de Laat :

  • que la seule personne qu’elle connaissait dans la liste des personnes arrêtées était Mme B, alors qu’en réalité elle connaissait M. A;
  • qu’elle n’a jamais su que Mme B consommait ou vendait de la drogue, alors qu’en réalité elle savait que Mme B fumait de la marijuana à l’école secondaire et qu’elle en avait fumé avec Mme B à l’école secondaire, qu’elle pensait que Mme B pourrait la mettre en contact avec une personne qui pourrait lui en vendre, qu’elle a fumé de la marijuana avec Mme B lorsqu’elle lui rendait visite afin d’en acheter, et qu’elle a acheté de la marijuana auprès de Mme B;
  • qu’elle ne voudrait pas qu’il y ait de la drogue dans l’entourage de ses enfants; cependant, au moment de son arrestation, la police a trouvé de la drogue illicite sur la table de salle à manger des fonctionnaires;
  • qu’elle allait à Ottawa tous les deux mois, alors qu’en réalité elle y allait beaucoup plus souvent que cela, et qu’en août 2014 elle y est allée toutes les semaines;
  • qu’elle n’utilisait jamais de congés de maladie pour aller à Ottawa, alors qu’à trois reprises, elle a utilisé un CMNP pour aller à Ottawa afin d’acheter de la drogue illicite;
  • que les seuls courriels qu’elle a envoyés à son adresse électronique domiciliaire traitaient de la pilosité faciale, alors qu’en réalité certains concernaient la paye et les avantages sociaux des membres du personnel;
  • qu’elle n’était allée que six ou sept fois chez Mme B en 2014‑2015, alors qu’en réalité elle y est allée 17 fois;
  • que la seule relation qu’elle entretenait avec Mme B était à titre d’amie d’enfance, alors qu’en réalité Mme B était sa trafiquante de drogues;
  • qu’elle ignorait que des stupéfiants étaient en vente au domicile de Mme B, alors qu’en réalité elle a acheté sa drogue auprès de Mme B;
  • qu’elle ignorait que M. D’Cunha était allé chez Mme B afin d’acheter des stupéfiants, alors qu’en réalité elle et lui avaient convenu qu’il irait chez Mme B afin d’acheter de la marijuana pour son compte;
  • qu’elle ne connaissait pas M. A, alors qu’en réalité elle le connaissait.

[273]  Même si les fonctionnaires avaient certainement des raisons d’être frustrés et contrariés par leurs échanges avec le SCC dans le cadre de son enquête et parce que le SCC ne leur a pas fourni de copie du Résumé de l’opération Batlow, il ne s’agit pas d’un motif pour mentir et induire les enquêteurs en erreur.

[274]  Dans son témoignage et ses observations, M. D’Cunha a admis ce qu’il avait fait et a exprimé des remords. Cependant, compte tenu de la gravité de l’infraction, du caractère répétitif de l’infraction et de sa fausse présentation des faits, et ce, en toute conscience, auprès de son employeur, je suis convaincu que la sanction imposée par l’administrateur général est appropriée et qu’elle n’est pas excessive dans les circonstances. Je refuse d’y substituer une sanction moins sévère.

[275]  Encore une fois, même s’il existe aujourd’hui des dispositions législatives qui décriminalisent en grande partie la simple possession de marijuana, pour les motifs que j’ai déjà énoncés, cela n’allège pas le comportement de Mme de Laat et n’atténue pas la gravité de ses actes. En réalité, après son arrestation et après avoir été accusé, elle aurait pu demander et obtenir une licence médicale. Cependant, il lui était loisible de le faire pendant la période pertinente et elle a décidé de ne pas suivre cette voie. En effet, les heures de conduite nécessaires pour se rendre à Ottawa et en revenir à 19 reprises auraient pu être allouées à la recherche de professionnels de la santé appropriés, afin de retenir leurs services, ce qui lui aurait permis d’éviter les actes qui ont conduit à son arrestation.

[276]  Même si le poste qu’occupait Mme de Laat incluait peu de contacts avec les détenus, si ce n’est aucun, à de nombreux égards son comportement a été plus flagrant que celui de M. D’Cunha. Non seulement a-t-elle acheté de la drogue à 19 reprises, mais à six de ces reprises, elle était ASP et touchait néanmoins son salaire. Il s’agissait d’un vol de temps, ce qui constitue de la fraude. Comme je l’ai déclaré dans Murdoch, cela va droit au cœur des relations de travail, qui consistent en l’échange d’un travail contre une rémunération.

[277]  Dans Pinto c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise), dossier de la CRTFP no 166-02-16802 (19880411), [1988] C.R.T.F.P.C. no 95 (QL), au paragraphe 18, on mentionne ce qui suit :

J’adopte le raisonnement de mon collègue, Me J.- M. Cantin, vice‑président, dans sa décision Bristow (supra), où il a décidé que :

La fraude, on le sait, est une faute professionnelle grave. Elle doit être assimilée au vol, qui est, selon Brown et Beatty, « l’une des fautes les plus graves, sinon la plus grave, dont on puisse être accusé dans la relation d’emploi » (voir Canadian Labour Arbitration, éd. No 1, no 7:3310, page 387). En tant que telle, la fraude entraîne habituellement le congédiement, à moins de circonstances atténuantes. (p. 34)

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[278]  Dans son témoignage devant moi, en réponse à une question de son représentant au sujet de ce qu’elle faisait avec Mme B lorsqu’elle allait acheter de la marijuana chez elle, Mme de Laat a déclaré qu’elles faisaient plusieurs choses, notamment qu’elles fumaient de la marijuana. Il serait difficile d’affirmer que fumer de la marijuana, puis retourner dans son véhicule et conduire sur l’autoroute pendant deux heures est un comportement prudent qui projette une bonne image du SCC.

[279]  Mme de Laat a aussi entraîné son époux, quoiqu’il ait été consentant. Contrairement à M. D’Cunha, elle n’avait pas un dossier exempt de mesures disciplinaires, puisqu’elle avait fait l’objet de telles mesures dans le passé pour une inconduite liée à la prise de congés.

[280]  D’après l’ensemble de la preuve et des observations, je n’ai pas le sentiment que la mesure disciplinaire imposée à Mme de Laat était excessive et inappropriée au vu des circonstances. Je ne suis pas disposé à la modifier.

[281]  Même si je suis convaincu que les fonctionnaires ont enfreint la règle numéro six des Règles du SCC dans le cadre de leur envoi de documents sensibles à leurs comptes de courriel à la maison, cet acte ne justifiait certainement pas un licenciement. S’il s’agissait de leur seule transgression, j’imagine que la mesure disciplinaire se serait probablement limitée à une réprimande verbale ou écrite. Néanmoins, leur comportement et leur conduite liés à leurs déplacements à Ottawa afin d’acheter de la marijuana ont été suffisamment graves pour justifier la mesure disciplinaire imposée.

V. Divers

[282]  Les fonctionnaires ont contesté le fait que le SCC ait contacté l’ASFC dans le cadre de son enquête. Je ne vois pas en quoi cela était inapproprié au vu des circonstances. Le SCC et l’ASFC sont des organismes du gouvernement fédéral, et leurs employés sont des employés du CT. L’ASFC est chargée de la protection des frontières canadiennes et s’en acquitte conjointement avec les organismes d’application de la loi, y compris le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis. Étant donné que les enquêteurs de l’opération Batlow avaient vu les fonctionnaires se présenter au domicile de Mme B et acheter de la drogue en quantités inconnues, et sachant qu’ils se rendaient régulièrement à New York, je ne vois aucunement en quoi le fait de communiquer avec l’ASFC aurait été inapproprié, suspect, malicieux ou vindicatif, compte tenu de ce que le SCC savait à l’époque.

[283]  La plainte relative à la vie privée et le rapport connexe sont sans pertinence pour la présente procédure. La présente Commission n’est pas liée par la décision du Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée. Les lois et règlements qui créent et régissent la Commission l’autorisent à accepter une preuve qui pourrait ne pas l’être nécessairement devant une cour de justice.

[284]  Pour tous les motifs énoncés ci‑dessus, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance figure à la page suivante.)


 

VI. Ordonnance

[285]  Le document figurant à la pièce E-2, onglet H, intitulé [traduction] « Résumé de la preuve et répertoire source – REGINA c. [M. A], [Mme B], [personne non concernée par les griefs], Andrea DeLAAT [sic] et Christopher D’CUNHA » (le « Résumé de l’opération Batlow ») est mis sous scellés.

[286]  Quatre pages figurant à la pièce E-2, onglet O, soit de la deuxième à la cinquième page inclusivement, et qui portent, écrits à la main dans le coin inférieur droit, l’un des numéros suivants : 86, 87, 88 ou 89, sont mises sous scellés. 

[287]  Le grief présenté dans le dossier 566-02-12091 est rejeté.

[288]  Le grief présenté dans le dossier 566-02-12564 est rejeté.

Le 31 juillet 2019.

Traduction de la CRTESPF

John G. Jaworski,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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