Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a prétendu qu’elle a été victime d’un abus de pouvoir fondé sur la mauvaise foi et la discrimination parce qu’elle n’a pas été nommée à un poste d’avocate générale – elle a prétendu qu’elle a fait l’objet de discrimination fondée sur le sexe lors du processus de nomination – la formation de la Commission a conclu qu’elle avait établi une preuve prima facie de discrimination en fonction de la preuve indirecte présentée, y compris la perception d’un attribut qui peut être considéré comme négatif chez une femme – cependant, la formation a jugé que l’intimé avait fourni une explication crédible et non discriminatoire pour avoir attribué la note accordée à la plaignante lorsqu’il a évalué son leadership et ses habiletés interpersonnelles au moyen de l’entrevue et des références – la formation a établi que les qualités souhaitées n’étaient pas fondées sur le sexe, mais plutôt sur le comportement attendu d’un avocat général – la formation a conclu que le sexe de la plaignante n’a pas été un facteur dans son évaluation – la formation de la Commission a également établi que la plaignante n’a pas prouvé que le comité d’évaluation avait agi avec mauvaise foi à l’égard de son évaluation, que ce soit lors de l’entrevue ou de la vérification des références.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20190729

Dossier : EMP-2016-10822

 Référence : 2019 CRTESPF 77

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

ENTRE

Pamela Meneguzzi

plaignante

et

Directeur des poursuites pénales

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Meneguzzi c. Directeur des poursuites pénales

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Clea F. Parfitt, avocate

Pour l’intimé : Richard Fader, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard, analyste

Pour la Commission canadienne des droits de la personne : Sasha Hart, avocate

Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),

du 24 au 26 juillet 2018 et du 5 au 7 mars 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION (Traduction de la CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») et la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

[2]  La plaignante, Pamela Meneguzzi, a déposé une plainte auprès de la Commission le 15 novembre 2016 aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP) parce qu’elle n’a pas été nommée à un poste d’avocate générale auprès de l’intimé, le directeur des poursuites pénales, en raison d’un abus de pouvoir allégué fondé sur la mauvaise foi et la discrimination.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée. La plaignante n’a pas établi qu’elle n’a pas été nommée en raison d’un abus de pouvoir fondé sur la mauvaise foi ou la discrimination.

II. Résumé de la preuve

[4]  La plaignante a témoigné pour son propre compte. L’intimé a cité à témoigner Rosellina Dattilo, procureure fédérale en chef adjointe de la région de la Colombie‑Britannique (C.-B.) del’intimé, et Todd Gerhart, procureur fédéral en chef de la région de la C.-B.; ils composaient le comité d’évaluation pour le processus auquel la plaignante a postulé. L’intimé a également cité à témoigner Mark Erina, chef d’équipe, et Gerry Sair, avocat au groupe des crimes économiques, qui ont produit des références pour la plaignante dans le cadre de ce processus. Je n’ai trouvé aucune contradiction entre les témoignages en ce qui concerne les faits. Toutefois, il y a certainement eu des différences de points de vue et d’interprétation.

[5]  La plaignante travaille pour le Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) à titre d’avocate principale classifiée au groupe et niveau LP-03. En 2016, elle a postulé dans le cadre d’un processus pour un poste d’avocat général classifié au groupe et niveau LP-04. Il y avait cinq candidats, deux hommes et trois femmes, pour trois postes. Les deux hommes et l’une des femmes ont été retenus. La plaignante a échoué parce qu’elle n’a pas obtenu la note nécessaire pour deux qualifications essentielles : les relations interpersonnelles et le leadership. La note nécessaire établie par le comité de sélection était [traduction] « Parfaitement capable ».

[6]  La plaignante s’est jointe à l’équipe des poursuites fiscales en 2000. Son chef d’équipe était Bruce Harper. En 2012, M. Erina a succédé à M. Harper.

[7]  La plaignante a déposé en preuve ses évaluations de rendement. L’intimé s’y est opposé, puisqu’elles n’étaient pas pertinentes à la plainte qui contestait son évaluation en vue de la nomination. Elle a répliqué qu’elles étaient pertinentes pour contester l’évaluation. J’ai accepté les évaluations de rendement; elles pouvaient être pertinentes.

[8]  Les évaluations de rendement couvrent la période du 1er avril 2001 au 31 mars 2012. Elles ne tarissent pas d’éloges à l’égard de son rendement. Elle répondait aux attentes ou les dépassait. Dans la première, M. Harper écrit qu’elle est reconnue comme un leader par ses pairs. En 2008-2009, il insiste sur son attention aux détails et ses compétences d’analyse.

[9]  Les évaluations de rendement par M. Erina ont commencé en 2013. Elles traitent également de l’attention aux détails de la plaignante et de ses capacités à être l’avocate principale dans des affaires fiscales complexes. En 2013, il mentionne l’importance de sa collaboration avec de jeunes avocats en tant que modèle à suivre. En 2014, son rendement est décrit comme exceptionnel. En plus de son travail exceptionnel comme avocate, il indique qu’elle fait preuve de leadership et qu’elle a l’esprit d’équipe. Un commentaire est formulé au sujet de l’amélioration, soit qu’elle devrait savoir à quel moment une bataille est perdue et qu’il faut l’abandonner. L’exemple donné est l’interprétation d’une décision de la Cour suprême du Canada (CSC) dans laquelle son point de vue différait de celui du ministère. Elle s’est entêtée pendant une longue période, étant d’avis que son interprétation était la bonne.

[10]  En 2015, les commentaires de M. Erina (en tant que superviseur) ont été modifiés après une discussion avec la plaignante. Comme cette question est au cœur des allégations de mauvaise foi dans le cadre du processus de dotation, je vais reproduire ici les commentaires initiaux puis la version figurant dans l’évaluation de rendement de la plaignante. Les paragraphes précédant et suivant ceux que j’ai mis en évidence demeurent les mêmes et attestent du ton général de l’évaluation, ainsi :

[Traduction]

[…]

Pam continue de faire preuve d’une connaissance exceptionnelle du droit et d’un bon jugement dans son travail. Comme je l’ai indiqué à plusieurs occasions, son attention aux détails et sa capacité à cerner et à analyser les questions est sans égal au GCE [groupe des crimes économiques]. En tant que chef d’équipe, je consulte souvent Pam sur des questions ou je lui demande d’examiner mon travail écrit (ou celui d’autres personnes). Elle est mon premier choix d’avocate pour accepter des dossiers comportant des questions difficiles et obscures.

[Commentaires initiaux :]

Pam a éprouvé des difficultés particulières cette année à gérer des critiques selon lesquelles certains membres du GCE ont trouvé difficile de travailler avec elle. Pam a eu la possibilité de participer à des séances de coaching avec un expert‑conseil pour régler cette préoccupation. À son honneur, Pam a accepté volontiers l’offre et a terminé avec succès les séances. Son attitude et son approche à l’égard de cette question étaient extrêmement professionnelles et démontraient une préoccupation véritable non seulement pour elle-même, mais également pour les membres de son équipe du GCE en général.

[Version finale]

En ce qui concerne le perfectionnement professionnel, Pam a collaboré avec un coach pour l’aider à améliorer ses compétences de base. Son approche à l’égard de cette question démontrait un niveau élevé de professionnalisme ainsi qu’une préoccupation véritable non seulement pour elle-même, mais également pour les membres de son équipe du GCE en général.

Pam continue de faire preuve de leadership au GCE. Elle aide régulièrement ses collègues et ses pairs. Elle sert de modèle à suivre pour les jeunes avocats en ce qui concerne les compétences et le jugement.

[…]

[Je mets en évidence]

[11]  La plaignante a témoigné des événements qui ont donné lieu aux commentaires de M. Erina en 2015 dans le cadre de l’évaluation de son travail. Elle a eu un conflit avec une avocate adjointe affectée à un dossier qu’elle devait diriger en tant qu’avocate principale. Toutefois, l’autre avocate ne prenait pas bien les directives. M. Erina a appuyé l’ avocate adjointe, et la plaignante en a appelé auprès du procureur fédéral en chef (le prédécesseur de M. Gerhart; je l’appellerai l’« ancien PFC »).

[12]  Au bout du compte, la plaignante a rencontré l’ancien PFC et M. Erina, qui lui a dit que son traitement  de l’avocate adjointe était problématique et que personne ne voulait travailler avec elle. Elle a été renversée; ses évaluations de rendement indiquaient qu’il était agréable de travailler avec elle et elle se rappelait avoir bien travaillé avec M. Sair alors qu’il était avocat adjoint.

[13]  L’ancien PFC l’a assurée qu’aucune plainte pour harcèlement ne serait déposée. Il lui a plutôt suggéré d’obtenir un coaching en leadership pour cadre afin de l’aider à gérer les affaires plus aisément. Elle a obtenu ce coaching.

[14]  M. Erina a déclaré à l’audience que même s’il appréciait la rigueur, l’expertise et le professionnalisme de la plaignante, sa relation avec les avocats adjoints était souvent difficile et plusieurs ont dit qu’ils préféraient ne pas travailler avec elle. Il ressortait clairement du témoignage de la plaignante qu’elle ne reconnaissait pas l’idée que le coaching était lié à une lacune dans son rendement. Il lui avait été offert pour améliorer ses compétences en leadership et non pour corriger un problème qu’elle pouvait avoir avec les avocats adjoints.

[15]  Dans le cadre de ses fonctions d’avocate principale au sein du groupe, la plaignante faisait partie du comité d’appel, qui était un groupe de plusieurs avocats principaux (au niveau principal ou d’avocat général) qui conseillait le procureur fédéral en chef sur la question de savoir si le SPPC devait renvoyer des affaires en appel. Selon la plaignante, ce groupe était composé principalement d’hommes. Lorsqu’elle en faisait partie, il était composé de six hommes et de deux femmes. Au moment où elle a pris congé en 2016, M. Erina l’a remplacée, ne laissant qu’une seule femme au comité. Les deux membres du comité d’évaluation, M. Gerhart et Mme Dattilo, en faisaient partie.

[16]  En vue du processus de nomination, les candidats devaient présenter deux références. L’une devait provenir du supérieur immédiat qui, dans le cas de la plaignante, était M. Erina, son chef d’équipe, et l’autre devait provenir d’un avocat adjoint avec qui le candidat avait travaillé. Elle a choisi M. Sair.

[17]  La plaignante croyait avoir une bonne relation avec ses deux répondants. En tant que nouveau chef d’équipe, M. Erina voulait modifier la culture du bureau afin de la rendre plus amicale et plus positive. La plaignante a fortement appuyé ce changement et a eu de nombreux échanges informels avec M. Erina.

[18]  Dans leur témoignage, M. Erina et M. Sair ont mentionné leurs relations de travail positives avec la plaignante. M. Sair a déclaré qu’il aimait travailler avec elle parce qu’il pouvait beaucoup apprendre d’elle et qu’elle était un modèle de professionnalisme.

[19]  Ils ont tous les deux offert volontiers des références et ils pensaient avoir fourni une rétroaction très positive. La plaignante a vu leurs références d’un autre œil. Je vais résumer et citer les deux références dans les paragraphes qui suivent.

A. Référence de M. Erina

[20]  La première question de la référence de M. Erina demandait au répondant d’indiquer comment la candidate fonctionnait dans différentes sphères de son travail. Les intitulés concernaient les compétences et connaissances, le professionnalisme, le jugement, la gestion de la pratique, les communications, les relations interpersonnelles et le leadership. M. Erina a fait l’éloge des compétences et des connaissances de la plaignante et a donné plusieurs exemples de son excellent travail. Il a répondu de façon positive à toutes les questions. Sous [traduction] « Relations interpersonnelles », M. Erina a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Pam s’efforce d’établir des relations significatives et saines dans le lieu de travail. Elle a l’esprit d’équipe et se soucie de ses collègues et de la réussite du GCE [groupe des crimes économiques] en général. Elle est la personne à qui ses collègues s’adressent pour toutes sortes de questions. Elle accepte toujours d’aider un collègue même si elle est très occupée à ce moment-là.

[21]  Sous [traduction] « Leadership », M. Erina a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je m’en remets souvent à Pam pour m’aider à donner des conseils aux membres du GCE. Je la consulte régulièrement sur des questions opérationnelles concernant le GCE. L’aide qu’elle m’offre en tant que chef d’équipe est inestimable quant au bon fonctionnement du groupe.

Comme je l’ai indiqué ci-dessus, Pam est la personne à qui ses collègues s’adressent pour toutes sortes de questions. Elle procède souvent à l’examen du travail écrit préparé par ses collègues, à leur demande ou à la mienne.

Enfin, Pam a fait des présentations dans des séances de formation officielles, tant à l’intention de ses collègues que des enquêteurs.

[22]  La deuxième question était formulée ainsi : [traduction] « Y a-t-il eu une occasion ou une circonstance où vous avez trouvé que la candidate ne démontrait pas l’un de ces attributs? Dans l’affirmative, veuillez préciser. » M. Erina a donné la réponse suivante :

[Traduction]

Il y a eu des cas où certains collègues de Pam ont trouvé difficile de travailler avec elle comme procureur adjoint dans des poursuites pour évasion fiscale. Essentiellement, ils lui reprochaient d’adopter une approche trop autocratique à l’égard du dossier (c.-à-d. exigeant que le procureur adjoint réalise une tâche au plus tard à une date limite) et de ne pas accorder de valeur à leurs contributions. Par conséquent, ils se sentaient marginalisés et exclus de l’équipe.

Je crois que l’origine de ces problèmes vient du dynamisme intense de Pam et de l’accent qu’elle met sur les détails. Elle se raccroche à ses points de vue et souhaite que les choses soient accomplies d’une certaine façon. Il s’ensuit une « rigidité » qui fait qu’il lui est difficile, dans une certaine mesure, de tenir compte du point de vue des autres ou de leur faire confiance. J’appuie mon opinion sur le fait que ces problèmes étaient isolés à des situations où Pam a été jumelée à un collègue et agissait comme avocate principale. En d’autres termes, il s’agissait de situations où Pam était responsable au bout du compte des décisions prises dans le dossier.

Ces problèmes ont été portés à l’attention de Pam par l’ancien procureur fédéral en chef Bob Prior il y a environ un an ou deux (je ne me rappelle pas la date exacte). Par conséquent, Pam a travaillé avec un conseiller en relations avec les employés pendant plusieurs semaines pour améliorer sa capacité à collaborer avec des collègues.

Après son counseling, aucun autre incident n’a été noté. Pam contribue de façon significative à un environnement de travail positif. Elle traite ses collègues et les employés de soutien d’une façon amicale, respectueuse et courtoise. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, Pam s’efforce véritablement d'entretenir de bonnes relations avec ses collègues. Elle a été complètement surprise et renversée lorsque Bob Prior lui a parlé de son comportement.

[23]  M. Erina a déclaré qu’il avait été procureur adjoint avec la plaignante et qu’il avait été confronté à ses exigences fermes de produire le travail au plus tard à une date limite précise. Toutefois, il fondait son évaluation globale sur son expérience en tant que chef d’équipe gérant des situations où elle avait eu des conflits avec d’autres avocats affectés à ses dossiers.

[24]  M. Erina a déclaré qu’il croyait véritablement avoir donné à la plaignante une bonne référence, mais qu’il devait être honnête et sincère en tant que répondant. Il croyait avoir fait de son mieux pour compenser tout commentaire négatif pouvant être perçu par l’ajout du fait qu’il avait remarqué une amélioration notable. À la dernière question, soit celle de savoir s’il embaucherait de nouveau la candidate, il a répondu : [traduction] « Oui, sans hésitation ».

[25]  La plaignante était d’avis que M. Erina lui avait délibérément nui en indiquant que le coaching était du counseling. Comme je l’ai indiqué, elle ne considérait pas que le coaching avait pour but de corriger des problèmes, mais qu’il s’agissait plutôt d’une façon d’améliorer ses compétences en leadership.

[26]  La plaignante a soutenu qu’en fait, M. Erina voulait obtenir le poste d’avocat général et qu’il a miné sa candidature pour faire avancer la sienne à l’avenir. À l’audience, il a nié avoir voulu ce poste. Il a dit qu’il était heureux dans son poste de chef d’équipe.

B. Référence de M. Sair

[27]  La référence de M. Sair a aussi fait l’éloge des compétences et des connaissances de la plaignante, tout comme de sa fermeté. Toutefois, sur plusieurs points, la référence démontre un certain malaise quant à son comportement, mais il est nuancé pour diminuer l’incidence de tout commentaire négatif. Sous [traduction] « Professionnalisme », M. Sair a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Pam se soucie beaucoup de son travail et de la « bonne » chose à faire dans les dossiers, y compris suspendre des accusations ou ne pas approuver des accusations dans les dossiers lorsqu’il s’agit de la décision appropriée.

Pam est ponctuelle dans la production de ses actes de procédure, a le souci du détail dans sa préparation et est équitable, même si elle est ferme, avec les avocats de la partie adverse. Elle adopte parfois une attitude ferme à l’égard de ses positions, mais ne nuit pas injustement aux poursuites. Elle a beaucoup de courage, même lorsque ses décisions peuvent être impopulaires auprès des organismes d’enquête qui demandent ses conseils et son orientation.

[28]  Sous [traduction] « Jugement », M. Sair a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Pam a un excellent jugement juridique. Elle ne prend pas de décision trop rapidement et ne fonctionne pas en vase clos. Elle demande des conseils à des pairs sur des questions – y compris des pairs d’autres régions du Canada qui peuvent s’être penchés sur des questions semblables.

La pensée critique est l’un des points forts de Pam. Elle s’adapte également aux changements dans l’environnement de travail. Cela étant dit, elle peut parfois avoir des points de vue rigides, mais elle a l’esprit d’équipe et elle adoptera l’approche de l’équipe lorsque c’est approprié.

Pam pourrait parfois avoir avantage à être un peu plus indulgente dans son approche et faire preuve d’un jugement légèrement meilleur lorsque ses points de vue diffèrent de ceux de ses collègues et lorsqu’elle est fortement en désaccord avec eux.

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

[29]  Ses commentaires sous [traduction] « Relations interpersonnelles » sont ainsi rédigés :

[Traduction]

Pam prend des mesures pour établir des relations significatives. Elle témoigne de l’intérêt pour la vie personnelle de ses collègues, elle apporte des biscuits et des friandises au bureau, elle participe aux réceptions au bureau pour célébrer des événements (c.-à-d. le mariage prochain d’un collègue ou la venue d’un bébé) et est amicale au bureau.

Pam n’est pas la meilleure personne pour éviter les conflits au bureau. Si elle croit fermement en sa position sur un dossier (p. ex., une position légale) ou a une façon précise d’aborder une approche ou un style, elle peut affronter ses collègues pour démontrer en quoi elle a raison. Elle pourrait s’améliorer un peu dans ce domaine. Cela étant dit, il s’agit à mon avis de sa façon de diriger et de mettre le dossier en premier, même si cela peut (rarement) occasionner quelques frictions avec un collègue.

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

[30]  Ses commentaires faisaient l’éloge de son leadership, et étaient ainsi écrits :

[Traduction]

Pam est une très bonne leader. Elle fournit une orientation à ses collègues et vérifie rapidement que ses commentaires et ses rétroactions sont compris et qu’ils font l’objet de discussions. Elle est une excellente collaboratrice et entame librement une discussion ouverte et honnête sur tous les sujets.

Je crois que Pam veut que ses collègues réussissent et elle se libère de son horaire chargé pour leur donner des conseils et leur transmettre des commentaires. Lorsque les autres ont du succès, elle fait facilement leurs louanges. Elle fournit une excellente rétroaction constructive; elle règle aussi les problèmes de façon productive.

[31]  Pour la deuxième question, qui portait sur une occasion où le candidat n’a pas démontré les qualités demandées, M. Sair a répondu ce qui suit :

[Traduction]

Pam se bat pour ce en quoi elle croit. Il y a eu des moments, même s’ils ont été très peu fréquents au cours des huit dernières années, où elle a peut-être été trop rigide dans son approche sur un dossier et a adopté une position contraire à celle suggérée par un collègue qui était son subalterne dans un dossier.

Je nuancerais cette remarque en disant que lorsque cela s’est produit – ce qui a été très peu fréquent – Pam l’a fait parce qu’elle croyait qu’elle avait raison et qu’elle parviendrait à un meilleur résultat pour le dossier auquel elle avait travaillé avec diligence et de façon éthique (Pam est très éthique).

[32]  Il a décrit les [traduction] « forces les plus importantes » de la plaignante de la façon suivante :

[Traduction]

Les forces de Pam sont son éthique de travail, sa capacité à faire en sorte que toutes les tâches – y compris les tâches complexes – soient terminées rapidement et de façon efficace, et son sens juridique qui lui permet de déchiffrer des questions juridiques difficiles.

Pam est l’une des avocates qui travaillent le plus fort dans le bureau. Ses dossiers sont toujours « prêts » et elle accomplit souvent les petites choses de façon approfondie et bien avant les dates d’échéance. Elle est rarement prise au dépourvu.

Pam accomplit un travail d’appel complexe parce qu’elle comprend les nuances du droit mieux que la plupart des gens. À cet égard, elle représente une excellente ressource au bureau.

[33]  La quatrième question portait sur [traduction] « les principaux besoins de perfectionnement de la personne ». M. Erina a simplement répondu que la plaignante devrait se fier davantage à son intuition. M. Sair a répondu ce qui suit :

[Traduction]

Il serait peut-être plus profitable à Pam d’être un peu moins rigide dans son approche à l’égard de certaines questions. Bien qu’elle ait de profondes convictions sur un sujet, le fait de pouvoir exprimer ses points de vue d’une façon « plus douce » pourrait lui bénéficier à l’avenir.

Je n’ai pas d’autres préoccupations. Pam est exceptionnellement qualifiée pour ce poste.

[34]  Enfin, à la cinquième question, soit celle de savoir si, en tant que superviseur, le répondant embaucherait de nouveau la candidate, M. Sair a répondu ce qui suit : [traduction] « Si j’étais le superviseur de Pam, je l’embaucherais de nouveau très certainement. Son énergie, son éthique de travail, sa boussole morale, son sens juridique et son intelligence sont tous d’un niveau supérieur. »

[35]  M. Sair a déclaré que lorsqu’il a écrit la référence, il pensait à son expérience directe avec la plaignante ainsi qu’aux expériences dont d’autres avocats lui avaient fait part.

[36]  En contre-interrogatoire, M. Erina et M. Sair ont été invités à dire pourquoi ils n’avaient pas donné de réponse détaillée pour illustrer les forces de la plaignante en tant que membre de l’équipe et avocate principale. Ils ont répondu qu’ils avaient fait ce qu’ils croyaient être suffisant. Ils pensaient tous les deux qu’elle méritait amplement le poste. M. Sair a dit qu’il avait été très surpris d’apprendre qu’elle n’avait pas été nommée.

[37]  On a demandé à M. Sair pourquoi il avait écrit uniquement au sujet de biscuits et de célébrations d’événements de la vie sous [traduction] « Relations interpersonnelles ». Il a répondu qu’il croyait que cette section concernait les relations personnelles plutôt que professionnelles. On lui a demandé s’il percevait l’aspect méprisant d’un tel commentaire, et il a répondu par la négative. Il croyait réellement que sa prévenance était l’une des qualités de la plaignante. La mention du [traduction] « mariage prochain d’un collègue » faisait référence en fait à sa propre expérience. Lorsqu’il s’est marié, elle a organisé une petite célébration au bureau pour lui et sa fiancée et ils en ont été très touchés.

[38]  M. Erina a été interrogé au sujet d’un commentaire qu’il aurait formulé à la plaignante selon lequel les trois femmes auraient à se faire concurrence pour le même emploi, puisque les deux hommes étaient sûrs d’être nommés. Il a répondu sans hésitation qu’il était clair que les deux hommes étaient des [traduction] « étoiles montantes », non parce qu’ils étaient des hommes, mais plutôt parce qu’ils avaient toutes les qualités requises – ils étaient non seulement d'éminents avocats, mais également d'éminents mentors, très appréciés de toutes les personnes qui avaient travaillé avec eux.

[39]  La plaignante a soutenu que M. Sair et M. Erina s’étaient consultés pour préparer leurs références, notamment parce qu’ils avaient tous les deux mentionné qu’elle était quelque peu rigide. Ils ont tous les deux nié vigoureusement l’avoir fait. Je n’ai aucune raison de ne pas les croire. M. Sair a fait remarquer que, s’il y avait des éléments communs entre les références, c'était peut-être parce qu’elles renvoyaient toutes les deux à la même réalité. Les deux ont fourni des explications franches de leurs références, qui étaient clairement fondées sur leur expérience avec la plaignante.

[40]  Un incident qui s’est produit impliquant M. Sair, et qui n’est pas du tout lié à la présente plainte, est révélateur du point de vue de la plaignante.

[41]  M. Sair avait un chien. Il a expliqué qu’à un moment donné, le chien avait d’importants problèmes médicaux. Il pensait qu’il ne pouvait pas le laisser seul à la maison, alors il l’a emmené au travail. Le chien a mordu la plaignante à travers ses vêtements, laissant des marques sur sa peau, qui ont éventuellement formé une cicatrice. Il a aussi déféqué dans son bureau (l’incontinence étant l’un de ses problèmes médicaux).

[42]  La plaignante a témoigné de long en large au sujet de cet incident, pour démontrer qu’elle avait fait preuve de bonne grâce au sujet de tout l’incident, ce qui démontrait sa maturité émotionnelle. Ainsi, l’évaluation de la [traduction] « gestion des émotions » (un élément des relations interpersonnelles, selon l’affiche annonçant le processus de dotation) avait été déficiente, puisqu’à cette occasion elle avait démontré une gestion supérieure de ses émotions.

[43]  À l’audience, M. Sair a déclaré que la plaignante avait effectivement fait preuve de bonne grâce au sujet de l’incident relatif à son chien et qu’il n’avait jamais connu la gravité de la morsure avant de voir les photographies préparées pour l’audience. Il ne lui est jamais venu à l’esprit d’inclure l’incident dans la référence.

[44]  M. Gerhart et Mme Dattilo ont témoigné au sujet du processus décisionnel qui a mené à la sélection des personnes nommées et des raisons pour lesquelles ils avaient fait échouer la plaignante dans les domaines des relations interpersonnelles et du leadership.

[45]  Selon Mme Dattilo, la note Parfaitement capable a été choisie pour toutes les qualifications essentielles, étant donné l’importance du rôle de l’avocat général. L’avocat général doit être un leader; il ou elle est responsable des litiges les plus complexes et doit être en mesure de gérer tous les domaines. Il est essentiel que l’avocat général ait des aptitudes supérieures en relations humaines, étant donné ses interactions avec les employés du SPPC et autres personnes au sein d’organismes d’application de la loi et de tribunaux. En raison des attentes élevées en matière de rendement, le candidat doit pouvoir démontrer qu’il est parfaitement capable; cela donne une importance particulière à bien réussir à l’entrevue.

[46]  Le comité d’évaluation a appliqué un guide de notation fourni par les conseillers en ressources humaines. L’expérience était évaluée à partir de la demande initiale. La plaignante a été sélectionnée. Les connaissances, les aptitudes, les compétences et les qualités personnelles ont été évaluées à partir de l’entrevue et des références. Elle a obtenu la note Parfaitement capable pour les compétences et les connaissances spécialisées, le professionnalisme, le jugement, la gestion de la pratique et les communications. Elle a obtenu la note [traduction] « Capable » pour les relations interpersonnelles et le leadership.

[47]  Le guide de notation comprend des indicateurs de rendement. Sous [traduction] « Relations interpersonnelles », plusieurs comportements sont inclus qui indiquent une participation active à l’élaboration et à l’encouragement de relations positives avec et parmi les collègues et les intervenants partenaires (p. ex., les officiers de justice, les enquêteurs ou les clients). Sous [traduction] « Leadership », les exemples sont groupés en trois catégories : [traduction] « Coaching et mentorat », [traduction] « Influencer les autres » et [traduction] « Travail d’équipe ».

[48]  À l’audience, la plaignante a fortement contesté l’évaluation faite à son égard, puisqu’elle a beaucoup fait pour favoriser les relations interpersonnelles, qu’elle était une influenceuse et qu’elle croyait au travail d’équipe. Les exemples qu’elle a donnés concernaient principalement le travail qu’elle avait accompli avec les organismes d’application de la loi, les officiers de justice et les ministères clients.

[49]  Mme Dattilo a expliqué que les questions avaient pour but de donner aux candidats la possibilité de se présenter, ainsi que leur travail et leurs forces. On ne leur posait pas de questions hypothétiques, mais on leur demandait plutôt d’expliquer les défis de leur travail et la façon dont ils les relevaient. Dans la préparation de leurs réponses aux questions, les candidats ont été informés de ce que chaque question avait pour but de mesurer. Par exemple, la première question était rédigée ainsi :

[Traduction]

Expliquez l’affaire la plus complexe que ce vous avez eu à mener.

Pourquoi était-elle complexe?

Quelles étaient les principales questions?

De quelle façon avez-vous fait preuve de leadership durant le litige?

[50]  Le questionnaire indiquait que cette question avait pour but de mesurer les compétences juridiques (les connaissances et les aptitudes), le professionnalisme, la gestion de la pratique, les relations interpersonnelles et le leadership. Pour chacun de ces thèmes, des exemples de comportement du guide de notation étaient fournis. Sous [traduction] « Relations interpersonnelles », les exemples donnés étaient [traduction] « comme établir des relations et la gestion des émotions »; sous [traduction] « Leadership », les exemples étaient [traduction] « comme du coaching et du mentorat, influencer les autres et le travail d’équipe ».

[51]  Selon l’évaluation de Mme Dattilo, la plaignante n’a pas saisi la possibilité de démontrer des compétences en leadership, comme le mentorat ou le coaching, et n’a pas inclus de relations interpersonnelles en ce qui concerne le fait d’aider et d’encourager les personnes avec qui elle travaillait. Ses réponses portaient beaucoup sur les défis juridiques et pratiques et comment elle les relevait.

[52]  De même, pour la quatrième question, qui portait sur le leadership, la plaignante n’a pas donné de détails sur la direction d’une équipe, l’apport d’un soutien ou l’offre de coaching ou de mentorat. Sa réponse était très bonne en ce qui concerne la gestion de la pratique, mais elle ne portait pas sur la façon dont l’équipe et ses membres étaient dirigés et appuyés.

[53]  On a fait remarquer à Mme Dattilo que, conformément à l’échelle d’évaluation, la note [traduction] « Compétent pour un rendement au travail réussi » comprenait Capable, Parfaitement capable et Excellent. Cela indiquerait que l’imposition d’une norme Parfaitement capable était simplement une façon de rendre plus difficile pour les femmes le fait d’accéder à des postes plus élevés.

[54]  Mme Dattilo a exprimé son désaccord profond avec cette idée. L’établissement d’une note Parfaitement capable indiquait une norme d’excellence. Selon elle, il n’y avait pas de raison pour que les femmes ne puissent pas parvenir à cette norme.

[55]  Mme Dattilo a aussi expliqué que l’évaluation était globale – les réponses n’étaient pas cloisonnées. Par exemple, elle a expliqué que la deuxième question portait sur les principales tendances juridiques. La plaignante en a mentionné une dans sa réponse à cette question, mais elle a soulevé une autre tendance dans une autre question, qui a été créditée à sa réponse à la deuxième question.

[56]  Tous les candidats devaient répondre à six questions. Ils avaient une demi-heure pour se préparer, après quoi ils participaient à leur entrevue, laquelle devait durer une heure. Les candidats répondaient aux questions comme ils le souhaitaient. La plaignante n’a pas utilisé l’heure au complet. Lorsqu’elle a eu fini de répondre aux questions, on lui a demandé si elle souhaitait ajouter quelque chose; elle a décliné l’offre.

[57]  Le comité d’évaluation avait décidé à l’avance de ne pas poser de questions additionnelles aux candidats durant l’entrevue, afin d’éviter d’en favoriser en incitant des réponses. Mme Dattilo s’est rappelé avoir posé une seule question pendant les cinq entrevues, laquelle a été posée à la plaignante. Elle portait sur la personne responsable de l’établissement des horaires.

[58]  Pour ce qui est de l’analyse des références, Mme Dattilo a déclaré qu’elles ne démontraient pas les aptitudes supérieures en relations humaines requises pour le poste. Elle a mentionné la déclaration de M. Sair selon laquelle la plaignante n’était peut‑être pas la meilleure personne pour éviter les conflits, alors que le guide de notation traitait de diplomatie et d’encouragement à une discussion ouverte et constructive et à différents points de vue.

[59]  Au bout du compte, le comité d’évaluation a conclu que les préoccupations exprimées par les références reflétaient le fait que les sujets des relations interpersonnelles et du leadership n’avaient pas été suffisamment élaborés dans l’entrevue. La plaignante était très compétente et possédait des aptitudes juridiques. Toutefois, elle n’a pas pu obtenir une note Parfaitement capable pour les habiletés interpersonnelles et le leadership.

[60]  À l’audience, Mme Dattilo a parlé des réponses à l’entrevue et des références des personnes nommées. Elle a souligné le contenu supplémentaire qui manquait à l’entrevue de la plaignante et dans ses références.

[61]  Dans les trois cas, les personnes nommées ont donné des réponses détaillées à l’entrevue quant à la gestion d’affaires difficiles qui comportaient des questions juridiques complexes et auxquelles participaient plusieurs intervenants – organismes d’application de la loi, avocats de la partie adverse, témoins et système judiciaire. Ces éléments faisaient aussi partie des réponses de la plaignante. Toutefois, en plus, les trois personnes ont démontré comment elles avaient encadré les avocats adjoints et comment elles avaient élaboré une approche d’équipe. Dans leurs références, les trois autres personnes étaient louangées pour leur encouragement des avocats débutants et leur volonté à écouter des points de vue différents. Les deux hommes nommés ont mentionné l’incidence que des affaires difficiles avaient eue sur leur vie familiale; l’un d’eux était resté en contact avec son jeune fils par Skype alors qu’il était à l’extérieur de la ville pendant une période prolongée en raison d’un long procès, et l’autre avait préparé une affaire difficile avec un avocat de la défense belliqueux, alors qu’il était debout la nuit pour endormir son nouveau-né.

[62]  Mme Dattilo a témoigné du fait qu’elle connaissait personnellement la plaignante. Elles s’étaient déjà fréquentées, mais ne le faisaient plus, , pour des raisons non liées au travail. Mme Dattilo était aussi au courant de la situation concernant M. Erina et l’ancien PFC, parce qu’elle rencontrait souvent M. Erina pour prendre un café et qu’ils discutaient de questions liées au bureau. Toutefois, cette connaissance au sujet de l’incident fournissait simplement un contexte aux commentaires de M. Erina.

[63]  Mme Dattilo a été invitée à commenter la réponse dans la référence de M. Sair au sujet des biscuits et de la célébration d’événements de la vie, et plus particulièrement si elle considérait qu’il s’agissait d’un commentaire sexiste. Elle a répondu qu’elle ne le pensait pas; pour elle, la gentillesse n’était pas exclusivement féminine. Elle a également dit que la référence de M. Sair avait porté sur le rôle de la plaignante comme source de renseignements et de conseils. Toutefois, elle a aussi noté le commentaire sur le fait qu’elle n’était pas la meilleure personne pour éviter les conflits. Mme Dattilo a établi une distinction entre le fait d’être ferme, qui est une exigence pour les avocats, et d’être rigide ou de manquer de diplomatie, qui est un obstacle pour un poste de leadership.

[64]  De façon générale, les références ont été reçues avant la tenue des entrevues. Dans un échange de courriels avant l’entrevue de la plaignante, Mme Dattilo écrit : [traduction] « Todd, toutes les références sont bonnes jusqu’à maintenant. Le seul commentaire négatif, que Gerry et Mark ont nuancé, était pour décrire la façon dont Pam traite les autres lorsqu’elle n’est pas d’accord avec eux ». M. Gerhart a répondu : [traduction] « Bien – pas de réelle surprise là ».

[65]  M. Gerhart a témoigné au sujet du processus. Son évaluation correspondait à celle de Mme Dattilo. Ils avaient décidé ensemble de la norme Parfaitement capable, étant donné les responsabilités du poste d’avocat général. Il a également commenté le manque de détails dans les réponses de la plaignante au sujet du coaching et du mentorat. Ses exemples démontraient des compétences supérieures en gestion de la pratique, mais comportaient peu de détails sur les personnes aidées dans l’équipe   et la façon dont elles avaient été aidées. Elle parlait de l’attribution de tâches et d’une boucle de rétroaction, mais elle n’a donné aucun exemple de la façon dont elle encadrait le procureur adjoint.

[66]  M. Gerhart, comme Mme Dattilo, n’était pas du tout d’accord pour dire qu’une note Capable aurait été suffisante et aurait permis à plus de femmes d’être qualifiées. Il a répondu que les femmes n’avaient pas besoin que l’on réduise les normes. Comme Mme Dattilo, il n’a perçu aucun préjugé sexiste dans les références, qu’elles portaient sur des biscuits ou des friandises ou la nécessité d’une approche plus douce. Il ne considérait pas que le don de friandises était une prérogative féminine. Il a ajouté qu’en fait, le chef d’équipe apportait souvent des friandises au bureau. Il a donné comme exemple d’une approche plus douce une réponse à l’entrevue d’une personne nommée, qui expliquait en détail comment elle a augmenté la confiance d’un avocat débutant par un encadrement soutenu de ses techniques d’entrevue des témoins.

[67]  M. Gerhart a eu une expérience de travail avec la plaignante, qui a eu lieu lorsqu’ils ont eu la tâche de réaliser une présentation PowerPoint sur la poursuite criminelle et réglementaire. Selon lui, l’expérience ne s’est pas bien déroulée. Il a constaté qu’il était impossible d’en arriver à une entente sur l’élaboration d’une présentation conjointe. Elle avait son propre plan et ne voulait pas du tout le modifier afin d’intégrer ses suggestions. Au bout du compte, ils ont donné des présentations séparées.

[68]  À l’audience, M. Gerhart a souligné qu’il avait mis cet événement de côté dans son esprit pour le processus de nomination. Il était convaincu qu’il s’en était tenu uniquement aux notes d’entrevue et aux références. Son expérience pouvait avoir servi à expliquer sa réaction au courriel de Mme Dattilo sur la façon dont la plaignante traitait les autres lorsqu’il a déclaré [traduction] « pas de réelle surprise là ».

[69]  Bref, M. Gerhart et Mme Dattilo ont déclaré que la plaignante n’avait pas répondu aux questions de l’entrevue de façon aussi exhaustive que leur norme l’exigeait pour les habiletés interpersonnelles et le leadership. Ils n’avaient aucun doute qu’elle satisfaisait aux autres exigences pour les compétences juridiques, le professionnalisme et la gestion de la pratique. Les références n’ont pas contredit leur évaluation. Même s’ils connaissaient tous les deux la plaignante avant le processus, ils ont consciemment décidé de ne pas utiliser ces connaissances pour l’évaluation; ils ont fondé leur évaluation strictement sur les entrevues et les références. Au bout du compte, la décision finale revenait à M. Gerhart, en tant que président du comité d’évaluation, mais en fait ils étaient d’accord.

[70]  Lorsque la plaignante a appris qu’elle avait été éliminée pour avoir échoué à deux qualifications essentielles, elle était stupéfaite et fâchée. Elle était certaine d’avoir très bien réussi à l’entrevue. Elle a immédiatement pensé que les références avaient entraîné l’évaluation insatisfaisante. Elle a confronté M. Erina et M. Sair pour découvrir ce qu’ils avaient écrit, ce qui les a mis très mal à l’aise. M. Sair était certain qu’elle serait sélectionnée pour le poste. M. Erina, même s’il était moins certain, avait sincèrement souhaité qu’elle soit sélectionnée. Plusieurs échanges ont eu lieu, tant en personne que par courriel. M. Gerhart a dû intervenir. Il a dit à M. Erina de ne répondre à aucune autre question.

[71]  Après une discussion informelle avec M. Gerhart, la plaignante lui a fourni un document très détaillé pour expliquer pourquoi ses réponses en entrevue étaient suffisantes pour respecter la norme Parfaitement capable. Elle fondait sa démonstration sur le profil des « compétences clés en leadership » du Secrétariat du Conseil du Trésor pour montrer qu’elle avait correctement répondu à toutes les questions portant sur le leadership et les habiletés interpersonnelles de son entrevue. Puis elle a discuté des références. Si elles étaient négatives, c’était parce qu’elles étaient partiales. Elle a mis fin à son document sur la note suivante : [traduction] « Je suis convaincue que mes références devraient appuyer totalement la conclusion que je suis parfaitement capable dans tous les domaines évalués. J’espère qu’il y aura un examen productif de votre évaluation, y compris un suivi des références. »

[72]  M. Gerhart a déclaré à l’audience qu’il avait examiné avec soin les autres arguments de la plaignante et qu’il en avait discuté avec Mme Dattilo, mais qu’ensemble ils avaient conclu que ses arguments ne modifiaient pas leur évaluation du fait qu’elle ne satisfaisait pas à la norme Parfaitement capable pour le leadership et les habiletés interpersonnelles. Ils croyaient que les personnes nommées avaient démontré ces compétences à ce niveau, mais non la plaignante.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

[73]  La plaignante allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du critère de mérite dans ce processus puisqu’il était caractérisé par la mauvaise foi et la discrimination.

[74]  Le comité d’évaluation s’est fondé sur des références qui étaient discriminatoires parce qu’elles étaient sexistes. Il a accepté des références qui avaient été soumises de mauvaise foi; il a aussi démontré qu’il était partial à l’égard de la plaignante.

[75]  Le comité d’évaluation s’est fondé sur des connaissances antérieures de la plaignante et sur des renseignements négatifs fournis par son chef d’équipe, M. Erina. Il n’a pas tenu compte d’autres documents d’évaluation, comme des évaluations du rendement, malgré qu’il ait eu des documents inadéquats pour l’évaluer.

[76]  Le comité d’évaluation n’a pas fourni les références en temps opportun à la plaignante, de sorte qu’elle n’a pas pu demander une réévaluation appropriée.

[77]  La plaignante a soulevé la question de l’obligation du comité d’évaluation d’assurer la fiabilité des références, invoquant Hill c. Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2017 CRTESPF 21, au soutien de cette position. J’aborderai cette question dans mon analyse.

[78]  Le critère pour la discrimination est bien établi. La plaignante a cité Hotte c. Conseil du trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2016 CRTEFP 122, au paragraphe 19, ainsi pour énoncer le critère de discrimination prima facie :

[19] Le fonctionnaire doit établir qu’il existe un lien entre un motif de distinction illicite de discrimination et la distinction, l’exclusion ou la préférence dont il ou elle se plaint ou, en d’autres termes, que le motif en cause était un facteur dans la distinction, l’exclusion ou la préférence [...].

[79]  Il suffit que la discrimination soit un facteur dans la décision défavorable et elle n’a pas à être intentionnelle. Elle peut être subtile et liée à des idées ou à des hypothèses inconscientes qui, par inadvertance, créent des obstacles à l’avancement d’un groupe de personne (voir Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), 2001 CanLII 8492 (TCDP)).

[80]  Lorsque la discrimination prima facie est établie, dans un contexte d’emploi, l’employeur doit démontrer qu’il avait une raison légitime liée au travail pour agir comme il l’a fait.

[81]  La discrimination repose sur les mots [traduction] « rigide » et [traduction] « rigidité » qui figurent dans les références et qui sont utilisés pour décrire certains comportements de la plaignante. Le passage qui suit est tiré de ses arguments écrits :

[Traduction]

[…]

C’est un problème reconnu  pour les femmes, comme en ont convenu plusieurs témoins en l’espèce r, qu’il existe une tension importante entre le fait d’être ferme, affirmative et forte et l’attente, souvent inconsciente, que les femmes soient aimables, dociles, agréables et obligeantes. Cela peut faire en sorte qu’il est difficile pour les femmes d’être reconnues comme étant fermes, affirmatives et fortes et signifier que lorsqu’elles le sont, on les considère comme étant déplaisantes et non aimables. Le problème se pose en particulier lorsque, comme en l’espèce, être ferme, affirmative et forte sont des éléments clés du poste qu’une femme occupe. Un certain nombre de critères énumérés pour le poste d’avocat général nécessitent de la fermeté et de la détermination.

[…]

[82]  Par conséquent, selon la plaignante, il est raisonnable pour la Commission de conclure que lorsque la critique de la [traduction] « rigidité » est utilisée, elle s’applique aux qualités requises par le poste et que le sexe constitue à tout le moins un facteur donnant lieu à cette critique. En fait, dans sa référence, l’une des personnes nommées a été louangée pour ne jamais avoir été en situation conflictuelle, ce que M. Gerhart a mentionné. Toutefois, la plaignante est considérée comme étant rigide pour avoir maintenu des positions fermes. Il est raisonnable de croire qu’un stéréotype sexiste était en cause. Les commentaires de M. Sair sur les relations interpersonnelles, qui ont été formulés uniquement dans un contexte de vision stéréotypée des femmes (biscuits et friandises, bébés et événements de la vie), renforcent ce point de vue.

[83]  La plaignante soutient également que les répondants avaient un préjugé à son égard. Elle soutient que des expériences négatives ont teinté la perception qu’ils ont d’elle. En même temps, elle fait valoir que les répondants ont été privés d’instructions appropriées pour leurs références, ce qui les a empêchés de fournir des références plus complètes.

[84]  Selon la plaignante, les références étaient trompeuses et invalides, celle de M. Sair parce qu’il s’en est remis aux paroles d’autres personnes et celle de M. Erina parce qu’il a laissé entendre qu’elle avait fait l’objet d’une mesure corrective (counseling plutôt que coaching) alors qu’en fait ce n’est pas ainsi que la situation lui avait été présentée.

[85]  La plaignante soutient que le processus de nomination était défectueux. Des renseignements incorrects ont été donnés aux candidats, une note de passage trop élevée a été établie et le guide de notation n’a pas été fourni. À l’étape de l’entrevue, le comité d’évaluation ne lui a pas demandé de précisions, qu’elle aurait volontiers fournies. Enfin, le comité d’évaluation n’a pas tenu compte de ses nouveaux arguments et a rendu une décision finale avant qu’elle voie les références, ce qui l’a empêchée de fournir une réponse complète.

B. Pour l’intimé

[86]  La présente affaire concerne un simple processus de nomination. Après une présélection initiale fondée sur sa candidature, la plaignante a été évaluée au moyen d’une entrevue et de références. Le comité d’évaluation a établi la note de passage à Parfaitement capable pour tous les candidats. Il a noté ses réponses à l’entrevue et ses références au niveau Capable pour les domaines des relations interpersonnelles et du leadership, selon une évaluation globale. Les deux membres du comité d’évaluation ont entièrement démontré les lacunes dans ses réponses à l’entrevue, comparativement à celles des personnes nommées, pour justifier l’évaluation.

[87]  Essentiellement, la Commission est priée de réévaluer la plaignante et de formuler des conclusions de mauvaise foi et de discrimination.

[88]  Il ressort clairement de la jurisprudence de la Commission et de son prédécesseur, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP), que son rôle ne consiste pas à refaire une évaluation, malgré l’insatisfaction d’un plaignant. En outre, tant dans la loi que dans son interprétation par la jurisprudence, les gestionnaires responsables de l’embauche ont un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’ils décident des qualifications essentielles et de la façon dont elles seront évaluées.

[89]  L’intimé soutient que la preuve appuie la conclusion du comité d’évaluation fondée sur l’entrevue et les références selon laquelle le fait de ne pas donner à la plaignante la note Parfaitement capable était une décision raisonnable.

[90]  Les répondants ne sont pas les décideurs et on ne s’attend donc pas à ce qu’ils soient impartiaux. En fait, puisqu’un candidat choisit un répondant, on s’attend à ce qu’il choisisse une personne ayant un préjugé favorable. On s’attend toutefois à ce que les répondants soient honnêtes.

[91]  La plaignante a choisi M. Sair et n’a pas soulevé de préoccupations quant au fait de demander à son chef d’équipe d’agir comme référence avant d’apprendre le résultat de l’évaluation. L’intimé a cité Pellicore c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TDFP 23, pour appuyer son point de vue sur le rôle et les limites des références. Je reviendrai sur cette décision dans mon analyse.

[92]  Selon l’intimé, rien dans la preuve n’indique qu’il y avait partialité ou mauvaise foi de la part des répondants ou du comité d’évaluation. Tout le monde a fourni des raisons raisonnables et objectives pour justifier ses actions dans le processus en cause.

[93]  En ce qui concerne l’allégation de discrimination, l’intimé déclare qu’elle ne repose sur aucun fondement. La plaignante devait démontrer qu’il existait des éléments de preuve selon lesquels le sexe était un facteur dans son évaluation. Elle soutient que ses références étaient discriminatoires parce qu’elles manifestaient des préjugés culturels. Elle veut dire le stéréotype culturel selon lequel les femmes seraient douces, dociles et agréables. Elle fonde l’allégation de discrimination sur le fait que ses répondants ont parlé du souhait qu’elle soit moins rigide et qu’elle adopte une approche plus douce (en plus de la louanger pour avoir apporté des biscuits au travail, ce qui selon elle était un stéréotype féminin).

[94]  Pour ce qui est de M. Sair, même s’il a parlé d’une approche [traduction] « plus douce », ses remarques ont été nuancées et certainement compensées par l’éloge de la plaignante, y compris sa fermeté et sa capacité à se tenir debout pour ses convictions. Il a parlé de touches personnelles, mais il a déclaré à l’audience que dans son esprit, le fait d’apporter de la nourriture n’était pas exclusivement féminin – des hommes du groupe ont aussi contribué régulièrement.

[95]  De façon générale, la référence de M. Erina était très positive. Le dynamisme et la ténacité sont présentés comme des caractéristiques positives. On lui a posé une question précise sur le passé et il croyait qu’il devait être honnête. Il a nuancé sa réponse en mentionnant des incidents [traduction] « isolés » et il a noté les progrès effectués depuis.

[96]  Les membres du comité d’évaluation n’ont vu aucune discrimination fondée sur le sexe dans les références. Les commentaires auraient tout aussi bien pu être formulés au sujet d’un homme. Les deux étaient conscients du risque de partialité inconsciente ou potentielle. Ils ont précisé que l’évaluation de la plaignante n’avait rien à voir avec son sexe.

C. Pour la Commission de la fonction publique

[97]  La Commission de la fonction publique (CFP) a formulé des arguments sur la compétence de la Commission en vertu de la LEFP. Elle y a confirmé que la discrimination dans le cadre d’un processus de nomination est un abus de pouvoir (voir Rajotte c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada et al., 2009 TDFP 25).

D. Pour la Commission canadienne des droits de la personne

[98]  La Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) s’est vu signifier un avis de la présente plainte, en vertu de l’article 78 de la LEFP, qui est ainsi rédigé :

78  Le plaignant qui soulève une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne en donne avis à la Commission canadienne des droits de la personne conformément aux règlements de la Commission des relations de travail et de l’emploi.

[99]  Même si elle est avisée chaque fois qu’il y a une question au sujet de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP), la CCDP fournit rarement des arguments. Elle l’a fait en l’espèce. Elle ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de la plainte. Elle a plutôt souhaité orienter la Commission en lui donnant un aperçu de la jurisprudence et des principes juridiques applicables.

[100]  Selon la CCDP, la question de la discrimination devrait être abordée au moyen d’une analyse en deux étapes, ainsi :

  1. La plaignante peut-elle établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe, contrairement à l’article 7 de la LCDP?
  2. S’il y a une contravention prima facie de la LCDP, l’intimé peut‑il s’acquitter de son fardeau de prouver l’existence d’une explication non discriminatoire de sa conduite ou sinon réfuter la preuve prima facie en établissant un moyen de défense prévu par la loi en vertu de la LCDP?

[101]  La CSC a souvent déclaré que le critère pour la discrimination prima facie est le suivant (par exemple, voir Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61) : la plaignante possède une ou plusieurs caractéristiques protégées par la LCDP, elle a subi un mauvais traitement et la caractéristique protégée a constitué un facteur dans le mauvais traitement. Il suffit que la caractéristique soit un facteur; elle n’a pas à être l’unique raison.

[102]  En d’autres termes, en l’espèce, la CCDP a déclaré que la plaignante devait démontrer que son sexe a été un facteur dans l’évaluation de sa candidature et dans la décision de l’intimé de l’éliminer du processus.

[103]  Comme la discrimination flagrante est relativement rare, un tribunal doit examiner l’ensemble des circonstances pour déterminer si une inférence de discrimination peut être tirée de la preuve, ce qui signifie qu’une telle inférence est plus probable que d’autres explications. L’exercice est fortement axé sur les faits.

[104]  Lorsque la discrimination prima facie est établie, l’employeur doit défendre ses actions; c’est-à-dire qu’il doit fournir une explication non discriminatoire. La plaignante doit ensuite démontrer que l’explication est un prétexte, non la raison réelle, et qu’en réalité il est plus que probable que la discrimination était un facteur. L’exigence professionnelle justifiée ne constitue pas un moyen de défense en l’espèce; l’intimé ne l’a pas mentionnée non plus.

[105]  La CCDP a mentionné trois décisions qui reposaient sur des stéréotypes allégués dans un contexte d’emploi. Je vais les examiner brièvement dans les paragraphes qui suivent.

[106]  La première décision est Farris v. Staubach Ontario Inc., 2011 HRTO 979, où le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) a conclu que Mme Farris, la plaignante dans cette affaire, avait été victime de discrimination en fonction de son sexe dans le cadre de son emploi. Elle a soutenu avoir été privée de promotion en raison de son sexe et, au bout du compte, elle a été licenciée. L’employeur a fait valoir que son attitude et sa personnalité l’avaient freinée et avaient finalement entraîné son licenciement. Les deux parties ont invoqué un climat de travail toxique et l’ont reproché à l’autre partie.

[107]  Mme Farris travaillait comme agente de location commerciale et était payée à la commission. Elle a été embauchée en 1997 dans un bureau qui s’est agrandi au cours des années subséquentes. En 2001, elle avait quatre collègues masculins et une collègue féminine. Il s’agissait d’un lieu de travail extrêmement concurrentiel; chaque agent devait travailler avec acharnement pour obtenir des clients et des commissions.

[108]  Au bout du compte, selon l’ensemble de la preuve qu’il a obtenu, le TDPO a conclu que le sexe de Mme Farris était un facteur dans le mauvais traitement de la part de l’employeur et de ses agents. Elle était une personne difficile, a dit le TDPO, mais cela n’expliquait pas pourquoi le comportement qui était excusé chez ses collègues masculins était considéré comme répréhensible dans son cas. Le TDPO a conclu qu’il y avait plus qu’une relation déplaisante avec une collègue difficile en jeu en raison des facteurs suivants : certains agents avaient répandu une fausse rumeur selon laquelle Mme Farris avait une aventure avec le propriétaire, ce qui selon le TDPO était une déclaration humiliante fondée sur son sexe; les autres agents et le personnel parlaient de Mme Farris en termes humiliants, souvent sexualisés; et un comportement agressif était une caractéristique commune de tous les agents, mais seule Mme Farris en a été blâmée.

[109]  La deuxième décision est Ogunyankin v. Queen’s University, 2011 HRTO 1910, où le Dr Ogunyankin, le plaignant, a soutenu que des commentaires faits à son sujet comportaient des stéréotypes raciaux. Même si le TDPO a reconnu la possibilité de préjugés inconscients, il a conclu que dans cette affaire il ne pouvait pas, selon la preuve, tirer une inférence de discrimination raciale.

[110]  Le Dr Ogunyankin s’est vu refuser une promotion. Il a fait valoir que sa race et son origine ethnique avaient été des facteurs dans la décision. Il était un homme noir d’origine nigériane, ce qui selon lui avait été un facteur dans les mauvaises références qu’il avait obtenues pour appuyer sa demande de promotion à la faculté de médecine et dans l’évaluation du comité de promotion.

[111]  Cette affaire fournit une analyse de la discrimination qui est utile en l’espèce, où la discrimination prima facie est difficile à distinguer de la discrimination réelle. J’y reviendrai dans mon analyse.

[112]  La troisième affaire est Correia v. York Catholic District School Board, 2011 HRTO 1733, où un homme d’origine indienne a postulé deux fois un poste de surintendant à un conseil scolaire et a été rejeté les deux fois. Chaque fois, une femme caucasienne a été nommée. M. Correia était le seul non Caucasien postulant aux postes. Il était le seul à avoir de l’expérience en tant que surintendant. Le TDPO a conclu qu’il avait établi une preuve prima facie de discrimination.

[113]  Le TDPO a conclu que l’explication du conseil scolaire pour avoir préféré les candidates choisies – expérience en tant que directrice d’école, ce que M. Correia n’avait pas – était sensée. Toutefois, il a aussi conclu que l’un des membres du comité d’évaluation avait évalué le style de gestion de M. Correia ([traduction] « autoritaire ») moins selon la preuve et davantage selon un préjugé (peut-être inconsciemment dans l’ensemble) à l’égard des hommes sud-asiatiques.

[114]  Malgré cette conclusion, l’explication du conseil scolaire pour avoir choisi les deux candidates sélectionnées était satisfaisante. Même si M. Correia avait été caucasien, il n’aurait pas obtenu le poste, parce qu’il n’était pas aussi qualifié que les deux candidates sélectionnées. Néanmoins, le TDPO a formulé une conclusion de discrimination en ce qui concerne les stéréotypes appliqués aux hommes sud-asiatiques.

IV. Question

[115]  La question peut être formulée ainsi : L’intimé a-t-il omis de nommer la plaignante en raison d’un abus de pouvoir dû à de la discrimination ou à de la mauvaise foi?

V. Analyse

[116]  L’article 77 de la LEFP prévoit un mécanisme de plainte à l’intention des personnes qui croient s’être vu priver d’un poste en raison d’un abus de pouvoir. L’expression « abus de pouvoir » n’est pas définie dans la LEFP, mais le paragraphe 2(4) désigne précisément la mauvaise foi comme un cas d’abus de pouvoir. Comme l’a indiqué la CFP, le TDFP a reconnu la discrimination comme une forme d’abus de pouvoir, notamment dans Rajotte.

[117]  J’ai considérablement fondé mon analyse sur la décision du TDPO dans Ogunyankin. Dans cette affaire, le TDPO exprime un important malaise en ce qui concerne les critères habituellement appliqués pour établir la discrimination prima facie : le critère habituel de discrimination prima facie et le critère Shakes (voir Shakes v. Rex Pak Limited, [1982] 3 C.H.R.R. D/1001). Les critères peuvent être énoncés brièvement selon les termes suivants.

[118]  Selon le critère de discrimination prima facie, la plaignante possède une ou plusieurs caractéristiques protégées par la LCDP, elle a subi un mauvais traitement et la caractéristique protégée a constitué un facteur dans le mauvais traitement. Il suffit que la caractéristique soit un facteur; elle n’a pas à être l’unique raison (voir Moore).

[119]  Selon le critère Shakes, le plaignant possédait les qualifications pour l’emploi en cause, mais il n’a pas été embauché et une personne qui n’était pas mieux qualifiée, mais qui n’avait pas la caractéristique distinctive, a subséquemment obtenu le poste.

[120]  Le problème est qu’il est difficile de parvenir à la troisième étape du critère prima facie, soit la question de savoir s’il y a un lien entre le motif protégé et le traitement défavorable, sans tenir compte des actions de l’intimé. Toutefois, il s’agirait de la deuxième partie de l’analyse, lorsque la discrimination prima facie est établie, soit la question de savoir si l’intimé a fourni une explication non discriminatoire de ses actions.

[121]  Le problème avec le critère Shakes est la prémisse sous-jacente selon laquelle la plaignante était qualifiée pour le poste. Toutefois, il s’agit précisément de la question en litige entre les parties. La plaignante en l’espèce croit qu’elle était pleinement qualifiée, et l’intimé soutient qu’elle ne l’était pas.

[122]  Dans Ogunyankin, le TDPO résout le problème en acceptant la discrimination prima facie, puis en analysant la question de savoir si l’explication de l’intimé montre qu’il n’y a pas discrimination, ce qui nécessite deux autres étapes : 1) L’explication est-elle raisonnable? 2) Est-il plus que probable que la discrimination soit un facteur, malgré l’explication de l’intimé?

[123]  Le TDPO fournit des principes directeurs pour ce critère en citant une décision de la cour divisionnaire. L’extrait pertinent est le suivant :

[Traduction]

[…]

[87]  Les principes qui s’appliquent dans le contexte de l’analyse par le Tribunal des affaires de discrimination raciale ont été examinés et approuvés par la cour divisionnaire dans Shaw v. Phipps, 2010 ONSC 3884 (CanLII) où la Cour a déclaré (aux paragraphes 75 à 79) :

De nombreuses affaires de discrimination, comme celle en l’espèce, ne comportent pas une preuve directe que la couleur ou la race d’un plaignant est un facteur dans l’incident en question. Un tribunal doit tirer des inférences raisonnables des faits avérés.

Le Tribunal a correctement mis en évidence les principes qui s’appliquent dans des affaires concernant une allégation de discrimination raciale. […]

(a)  Le ou les motifs de discrimination n’ont pas à être l’unique ou le principal facteur du comportement discriminatoire; il suffit qu’il s’agisse d’un facteur;

(b)  Il n’est pas nécessaire d’établir une intention ou une motivation de discriminer; l’accent de l’enquête doit être l’effet des actions de l’intimé sur le plaignant;

(c)  Il n’y a pas à avoir de preuve directe de discrimination; la discrimination sera plus souvent prouvée par une preuve circonstancielle et par inférence;

(d)  Les stéréotypes raciaux découleront habituellement de croyances inconscientes subtiles et de préjugés.

[…]

Dans les cas où la discrimination doit être prouvée au moyen d’une preuve circonstancielle, il n’y a pas de démarcation nette. Le Tribunal doit déterminer quelles inférences raisonnables peuvent être tirées des faits avérés. Il s’agit d’affaires très difficiles et nuancées qui sont importantes pour les deux parties, la société et pour les quartiers où nous vivons. Le Tribunal note ce qui suit (au paragraphe 17) :

En l’espèce, comme dans de nombreuses affaires portant sur la discrimination raciale, il n’y a pas de preuve directe que la race était un facteur dans la décision de l’agent de prendre les mesures qu’il a prises. Par conséquent, la question de savoir si les actions de l’agent équivalent à de la discrimination raciale en violation du Code doit être déterminée conformément aux principes bien établis suivants applicables aux affaires de preuve circonstancielle.

(1)  Une fois que la preuve prima facie de discrimination a été établie, c’est alors à l’intimé qu’il incombe de fournir une explication raisonnable qui n’est pas discriminatoire.

(2)  Il ne suffit pas de réfuter une inférence de discrimination pour laquelle l’intimé peut suggérer une simple explication raisonnable. Il doit fournir une explication qui est crédible pour l’ensemble de la preuve.

(3)  Un plaignant n’est pas tenu d’établir que les actions de l’intimé ne mènent qu’à une seule conclusion, soit que la discrimination était le fondement de la décision en litige dans une affaire donnée.

(4)  Il n’est pas nécessaire que le comportement de l’intimé, pour qu’il soit jugé discriminatoire, soit conforme à l’allégation de discrimination et incompatible avec toute autre explication raisonnable.

(5)  La question ultime est celle de savoir si une inférence de discrimination est plus probable selon la preuve que les explications réelles fournies par l’intimé.

Le Tribunal confirme qu’il n’a pas eu à conclure que la race était le seul ou le principal facteur menant au comportement discriminatoire. Il n’avait pas non plus eu à conclure il y avait une intention de discriminer, puisque les stéréotypes raciaux découleront souvent de croyances ou de préjugés inconscients. Le Tribunal était bien au courant de la question difficile et nuancée qu’il devait trancher. Il indique ce qui suit (aux paragraphes 18 et 19) :

Pour déterminer si l’inférence de discrimination raciale est plus probable que les explications fournies par l’agent intimé, je dois également garder à l’esprit la nature de la discrimination raciale telle qu’elle est entendue aujourd’hui et qu’elle découlera souvent d’attitudes apprises et de préjugés et qu’elle est souvent à un niveau inconscient. [...]

[…]

[124]  Cette affaire portait sur la discrimination raciale, mais les principes peuvent certainement s’appliquer à des affaires de discrimination fondée sur le sexe. Comme la discrimination raciale, la discrimination fondée sur le sexe peut découler de croyances ou de préjugés inconscients et il peut être difficile de trouver une preuve directe de la discrimination; il faut s’en remettre à la preuve circonstancielle.

[125]  La plaignante soutient également que les répondants et le comité d’évaluation ont fait preuve de mauvaise foi. Le TDFP a abordé la question de la mauvaise foi dans Cameron c. l’administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 16, fondant sa définition sur la décision de la CSC dans Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36. Essentiellement, la mauvaise foi est non seulement intentionnelle, elle englobe aussi l’incurie ou l’insouciance grave. Le paragraphe 56 de Cameron indique ce qui suit :

[56] Ainsi, la mauvaise foi pourrait être établie par la preuve d’actes qui se démarquent au point où le Tribunal ne peut conclure qu’ils ont été posés de bonne foi parce qu’ils sont inexplicables et incompréhensibles dans le contexte de la LEFP.

[126]  La mauvaise foi peut être établie par une preuve directe ou circonstancielle (voir Cameron, au paragraphe 57).

A. Discrimination

[127]  Dans Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, la Cour d’appel fédérale a insisté sur l’importance de ne pas confondre les deux étapes de l’analyse de la discrimination qui sont, d’abord, la question de savoir s’il y a une discrimination prima facie et, ensuite, si l’intimé a fourni une réponse adéquate pour démontrer que ses actions étaient raisonnables. Il y a une troisième étape, soit la question de savoir si malgré l’explication de l’intimé, il demeure plus que probable que le sexe de la plaignante était un facteur dans le processus de nomination.

1. Discrimination prima facie

[128]  Je conclus que la plaignante a établi une preuve prima facie de discrimination, selon plusieurs facteurs. Le processus concernait cinq candidats, trois femmes et deux hommes. M. Erina a laissé entendre que les trois femmes auraient à concourir pour un poste, puisque les deux hommes étaient sûrs d’être nommés. En effet, les deux hommes ont été nommés et seule l’une des trois femmes a été retenue. La plaignante a parlé d’un roulement élevé parmi les femmes dans le bureau, ce que l’intimé n’a pas contesté. Le comité d’appel, un groupe consultatif principal du procureur fédéral en chef, était composé principalement d’hommes. La plaignante a renvoyé au fait qu’elle a été jugée rigide, pourtant elle se percevait comme étant ferme. Le fait de considérer l’attribut comme négatif pour une femme, mais positif pour un homme, peut être une indication de discrimination. Lorsqu’il faut tenir compte de la preuve circonstancielle pour établir s’il y a eu discrimination, je crois qu’il est plus prudent de fixer un faible seuil de discrimination prima facie.

2. L’explication de l’intimé

[129]  Selon la plaignante, le comportement discriminatoire des répondants consistait à fournir des références qui l’associait à un comportement trivial souvent associé aux femmes dans notre société (friandises, biscuits et événements de la vie) et à critiquer son comportement qui ne serait pas critiqué chez un homme (être trop rigide et avoir besoin d’une approche plus douce). Le comportement discriminatoire du comité d’évaluation consistait à accepter ces références et à ne pas être au courant du préjugé sous-jacent concernant les femmes.

[130]  La plaignante a soutenu que M. Sair a fourni une réponse discriminatoire à la question sur les relations interpersonnelles en parlant de ses gestes amicaux plutôt que de ses interactions professionnelles. Il a expliqué qu’il a compris que la question portait sur ses interactions personnelles plutôt que ses interactions professionnelles. Il pensait qu’il devait parler de relations interpersonnelles informelles, comme celles qui se déroulaient dans un lieu de travail, mais à un niveau plus personnel, soit le fait d’apporter des friandises et de souligner des anniversaires ou d’autres événements de la vie.

[131]  Je ne crois pas que ces commentaires étaient négatifs. Je crois M. Sair lorsqu’il dit qu’ils se voulaient comme un compliment. Je n’ai rien entendu du comité d’évaluation qui démontrerait que ces commentaires étaient perçus comme méprisants; au contraire, ils démontraient le côté humain et agréable de la plaignante. Tous les témoins de l’intimé ont témoigné de l’importance de la nourriture et des liens amicaux dans un bureau et ils ont tous dit qu’un tel comportement était bien accueilli et démontré par les hommes et les femmes. J’ajouterais que M. Sair a mentionné ailleurs dans sa référence le professionnalisme de la plaignante.

[132]  Les éléments négatifs que le comité d’évaluation a compris des références de M. Sair concernaient l’évitement des conflits et le refus de faire des compromis de la part de la plaignante.

[133]  Il s’agissait du deuxième aspect de la plainte de discrimination de la plaignante – ce qui est considéré comme de la fermeté chez les hommes devenait de la rigidité chez les femmes. Elle a vu de la discrimination dans le fait que M. Erina et M. Sair ont mentionné son approche rigide, laissant entendre qu’ils pensaient que la fermeté n’était pas une qualité pour une femme.

[134]  Tous les témoins de l’intimé ont louangé la force des convictions, le professionnalisme et l’énergie de la plaignante. Il y a une différence entre être ferme et être rigide. L’un est une qualité; l’autre, une lacune. Je ne crois pas que dans son lieu de travail, et rien dans la preuve ou les arguments présentés par la plaignante ne m’a convaincue du contraire, ces caractéristiques sont louangées pour un sexe et dénigrées pour l’autre.

[135]  L’intimé a fourni une explication crédible pour avoir attribué la note Capable à la plaignante lorsqu’il a évalué son leadership et ses habiletés interpersonnelles au moyen de l’entrevue et des références. Les qualités souhaitées n’étaient pas fondées sur le sexe, et l’évaluation ne portait pas sur le comportement attendu d’une femme, mais plutôt sur le comportement attendu d’un avocat général. Mme Dattilo a parlé de l’importance pour un avocat général de faire preuve de diplomatie dans ses relations avec les autres. Je considère la qualification de rigidité comme étant négative à cet égard, non parce que cela n’est pas féminin, mais parce que cela n’est pas souhaitable en général. Je ne peux considérer la diplomatie comme étant un trait féminin ou masculin, mais plutôt comme une qualité que les deux sexes peuvent démontrer (ou non).

3. Est-il plus que probable que le sexe de la plaignante était un facteur dans le processus de nomination?

[136]  Dans Ogunyankin, le TDPO a conclu que la race du Dr Ogunyankin n’avait pas été un facteur dans le refus de la promotion. Il n’y avait aucune indication de partialité, et la justification ainsi que le processus étaient très rigoureux. À l’opposé, dans Correia, le TDPO a conclu que les caractéristiques qui étaient attribuées à M. Correia ne correspondaient pas à la preuve, mais plutôt à ce qui semblait être un stéréotype dans l’esprit de l’un des membres du comité. De même, dans Farris, le traitement défavorable subi par Mme Farris était évidemment lié à son sexe – les commentaires désobligeants, les rumeurs et le langage insultant.

[137]  La plaignante a soutenu qu’un préjugé sexiste peut être subtil et inconscient. La question a été posée à tous les témoins, qui étaient tous d’accord pour dire que c’était vrai. Je suis aussi de cet avis. Toutefois, dans le contexte de ce processus et du SPPC, je ne crois pas que le sexe de la plaignante a été un facteur dans la décision.

[138]  Le principal argument de préjugé fondé sur le sexe de la plaignante était le fait que ce qui était considéré comme une qualité chez un homme (fermeté) était perçu comme un problème pour une femme et est appelé [traduction] « rigidité ». Selon elle, le rôle des hommes et des femmes était stéréotypé dans l’esprit des membres du comité d’évaluation, puisque les hommes pouvaient être autoritaires, alors que les femmes devaient être gentilles et dociles.

[139]  Comme je l’ai indiqué, je ne considère pas que la flexibilité requise de l’avocat général (faire preuve de diplomatie et accepter des points de vue différents) est une qualité liée au sexe. En outre, on ne m’a fourni aucun élément de preuve selon lequel au SPPC le rôle des hommes et des femmes était fixé et attendu.

[140]  La preuve que j’ai obtenue au sujet du lieu de travail de l’intimé contredit à de nombreux égards les affirmations de la plaignante. Je ne crois pas que le SPPC favorise les hommes autoritaires et les femmes dociles. Les deux hommes nommés étaient chaleureux et bienveillants, selon les références qui ont été fournies à leur sujet. Ils ont tous les deux donné des exemples de défis causés par leurs responsabilités familiales et le conflit qu’ils ont senti entre le fait d’accomplir leur travail et l’éducation de leurs enfants. Mme Dattilo ne m’est pas apparue comme une personne douce et docile, mais plutôt comme une personne déterminée et qui démontrait de l’assurance. On a répété à de nombreuses reprises que la dirigeante actuelle du SPPC est une femme.

[141]  La plaignante n’a pas reçu la note de passage pour des raisons associées à sa façon d’aborder des situations conflictuelles et pour un manque de détails dans son entrevue en ce qui concerne les qualités interpersonnelles et en matière de leadership attendues d’un avocat général. Selon l’ensemble de la preuve que j’ai entendue, je ne peux conclure que son sexe a été un facteur dans son évaluation. Je conclus que la plaignante n’a pas prouvé qu’elle a fait l’objet de discrimination dans le cadre du processus de nomination.

B. Mauvaise foi

[142]  La plaignante a invoqué la mauvaise foi de M. Erina parce qu’il a mentionné le « counseling » qu’elle a obtenu. Son explication a été claire et convaincante; il croyait qu’il devait répondre sincèrement et c’est ce qu’il a fait. La plaignante a tenté de démontrer que le coaching qu’elle a obtenu n’avait rien à voir avec une lacune dans son rendement. Cela n’a simplement aucun sens. Le coaching était le résultat direct de l’insatisfaction créée par son style de leadership auprès d’une avocate débutante. M. Erina a donné une réponse franche et a nuancé considérablement son incidence en déclarant qu’elle contribuait [traduction] « [...] de façon significative à un environnement de travail positif ».

[143]  La plaignante a soutenu que M. Sair s’en était remis à ce que d’autres lui avaient dit. En fait, à l’audience, il a témoigné de ce que les autres avaient dit; toutefois, il a insisté pour dire que ce qu’il a écrit dans la référence correspondait à ce qu’il avait vu personnellement. Je n’ai aucune raison de mettre en doute son témoignage.

[144]  Je ne peux voir aucune mauvaise foi dans ce qu’ont écrit M. Erina et M. Sair. Ils ont écrit leur propre évaluation honnête et ils ont surtout louangé les aptitudes de la plaignante.

[145]  De plus, je ne crois pas que les références ont eu le poids que la plaignante semble leur avoir attribué dans son évaluation globale. M. Gerhart et Mme Dattilo ont tous les deux considéré les références comme étant positives en général, ce qu’elles étaient. Le comité d’évaluation a choisi de ne pas lui attribuer la note Parfaitement capable pour les relations interpersonnelles et le leadership en fonction d’une évaluation globale qui comprenait l’entrevue, dans laquelle certaines de ses réponses n’étaient pas aussi complètes et détaillées que celles des personnes nommées.

[146]  La plaignante a soutenu que le comité d’évaluation avait fait preuve de mauvaise foi en s’en remettant à des références viciées et en n’approfondissant pas la question pour l’évaluer selon un profil plus complet. Selon elle, il a aussi fait preuve de mauvaise foi en établissant une norme trop élevée, éliminant ainsi deux des trois candidates.

[147]  La plaignante a aussi fait remarquer ce qu’elle a appelé un processus généralement déficient : des renseignements inadéquats transmis aux candidats, une note de passage trop élevée, aucun guide de notation fourni, aucune précision demandée durant l’entrevue, aucune considération portée à ses autres arguments et le fait qu’elle s’est vue priver de l’accès aux références avant que le comité d’évaluation ne rende sa décision définitive.

[148]  M. Gerhart et Mme Dattilo ont expliqué la raison d’être de leur décision.

[149]  Comme l’indiquent le paragraphe 31(1) et l’article 36 de la LEFP, le comité d’évaluation avait un grand pouvoir discrétionnaire pour établir ses exigences et décider de ses méthodes d’évaluation, ce qui a été expliqué à l’audience. La norme élevée Parfaitement capable a été utilisée pour un poste principal qui nécessite des normes très élevées. La plaignante satisfaisait à la majorité des exigences du poste.

[150]  Les mêmes renseignements ont été fournis à tous les candidats. Il n’y avait aucune ambiguïté et, dans leur préparation pour l’entrevue, les candidats ont en fait obtenu plus de renseignements sur les éléments qui étaient évalués, et comment ils l’étaient, comparativement à ce qui est habituellement le cas dans les entrevues. Le comité d’évaluation avait décidé à l’avance de ne poser aucune autre question aux candidats durant l’entrevue, afin d’assurer l’équité en évitant d’inciter des réponses de certains et non d’autres. Dans la mesure où la même norme s’applique à tout le monde et qu’il s’agit d’une explication raisonnable, la Commission n’interviendra pas.

[151]  La plaignante a soutenu que ses autres arguments auraient dû être examinés. Le comité d’évaluation les a lus, mais il n’était pas convaincu que ses réponses à l’entrevue devaient être réévaluées. Les mêmes éléments étaient toujours manquants. Elle n’a pas eu accès aux références; cela aurait été très inhabituel. Les références parlent d’elle-même; elles n’ont pas à être interprétées par la personne visée.

[152]  La plaignante a invoqué Hill comme exemple de situation où un comité d’évaluation a commis un abus pouvoir en ne prenant pas les mesures nécessaires pour s’assurer qu’une référence était une source d’information fiable. Dans cette affaire, une évaluation négative par le répondant de deux qualifications essentielles (fiabilité et capacité d’adaptation) a mené à l’élimination de M. Hill du processus de nomination.

[153]  Les faits dans Hill diffèrent sensiblement. M. Hill a soulevé la question de la partialité de sa référence avant que le comité d’évaluation ne rende sa décision. De plus, le répondant avait laissé entendre à M. Hill que sa référence serait négative. M. Hill avait présenté plusieurs demandes de mesure d’adaptation au répondant, qui était son superviseur immédiat. Ces demandes ont été suivies par plusieurs griefs connexes. La Commission a conclu que le comité d’évaluation aurait dû écarter la référence après avoir appris les circonstances de la relation de M. Hill avec son superviseur et qu’il aurait dû trouver une autre méthode pour évaluer les deux qualifications essentielles.

[154]  À mon avis, il n’y a aucun rapprochement à faire avec la situation en l’espèce, sauf pour le fait que la plaignante a aussi demandé à son supérieur immédiat une référence. Sa relation avec M. Erina était cordiale et respectueuse. Sa référence était très positive. Il a déclaré qu’il devait être franc lorsqu’on lui a demandé s’il y avait eu un cas où les qualités demandées n’avaient pas été démontrées. Il n’a certainement pas remis en question la compétence et le professionnalisme de la plaignante. Il a donné des réponses positives dans les domaines des relations interpersonnelles et du leadership. Il a répondu de façon honnête qu’il était au courant d’un cas auquel il avait directement participé. Il a ajouté que la situation avait été corrigée.

[155]  La plaignante ne s’est pas opposée à donner le nom de M. Erina comme répondant et elle n’a pas remis en question le contenu de la référence avant d’apprendre qu’elle avait échoué dans le cadre du processus. Avoir une divergence de point de vue quant au contenu d’une référence ne revient pas à signaler un préjugé clair qui pouvait être prévu, comme dans Hill. Je ne considère pas que la référence de M. Erina, qui se termine par un message très fort selon lequel il embaucherait de nouveau la plaignante sans hésitation, était partiale. Je ne crois pas que la Commission devrait intervenir dans un cas où un répondant a simplement fourni une référence honnête, comme l’a établi la preuve à l’audience. Je remarque également que le comité d’évaluation s’est fondé sur les commentaires de M. Sair; la plaignante l’a elle-même choisi comme référence.

[156]  L’intimé a pour sa part cité Pellicore pour l’utilisation de références par un employeur. M. Pellicore avait échoué un processus de nomination pour deux qualifications essentielles, l’« esprit d’équipe » et les « valeurs et l’éthique ». Le comité d’évaluation a jugé que sa première référence, de son superviseur immédiat, était insatisfaisante. À la réunion informelle qui a suivi la notification de M. Pellicore selon laquelle il avait été éliminé, il a réussi à convaincre le comité d’évaluation qu’il devrait interroger deux autres répondants, dont il a fourni les noms. Ils ont répondu au questionnaire structuré et ont essentiellement confirmé les réponses du premier répondant.

[157]  Le TDFP a conclu qu’il n’y avait pas eu abus de pouvoir. Le comité d’évaluation a donné à M. Pellicore une possibilité équitable avec ses références. Le fait qu’elles avaient été négatives au sujet des deux qualifications essentielles ne démontrait pas qu’elles étaient partiales.

[158]  Le TDFP a conclu qu’il n’y avait pas eu abus de pouvoir de la part du comité d’évaluation, qui s’en était remis aux références pour évaluer les deux qualifications et qui avait choisi de ne pas tenir compte d’autres sources d’information, comme les évaluations de rendement. Je reconnais qu’un comité d’évaluation peut choisir ses outils d’évaluation, comme l’indique la LEFP, et, dans la mesure où ils sont appliqués de façon raisonnable et équitable, comme je crois qu’ils l’ont été en l’espèce, la Commission ne devrait pas intervenir.

[159]  La Commission ne réévalue pas les candidats, mais elle déterminera s’il y a eu abus de pouvoir dans le contexte du processus de nomination, y compris l’évaluation des candidats (voir Broughton c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux et al., 2007 TDFP 20).

[160]  À mon avis, les évaluations étaient raisonnables et la plaignante n’a pas établi l’existence d’un abus de pouvoir dans l’application du mérite dans le présent processus de nomination. Les références étaient honnêtes et en grande partie positives; les répondants ne peuvent pas être blâmés pour avoir noté des faiblesses. Les réponses à l’entrevue des personnes nommées étaient plus détaillées que celles de la plaignante pour les relations interpersonnelles et le leadership, pour ce qui est de favoriser l’esprit d’équipe, le coaching et le mentorat, éléments qui ont tous été indiqués dans les questions que les candidats avaient préparées avant l’entrevue. En outre, les références données pour les candidats nommés démontraient qu’ils étaient d’excellents mentors et des collègues attentionnés.

[161]  Je crois que le comité d’évaluation a correctement évalué les qualifications des candidats de façon globale au moyen de l’entrevue et de la vérification des références. La preuve dont je dispose m’amène à conclure qu’il n’y a pas eu abus de pouvoir dans le processus de nomination et, plus particulièrement, dans l’évaluation de la plaignante dans le cadre de ce processus. Je ne vois rien dans l’évaluation de la plaignante qui était déraisonnable, partial ou sans fondement. Je ne peux donc pas conclure qu’il y a eu mauvaise foi dans le cadre du processus de nomination.

[162]  Je conclus que la plaignante n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu discrimination, mauvaise foi ou autre agissement de la part de l’intimé qui équivaudrait à un abus de pouvoir dans ce processus de nomination.

[163]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[164]  La plainte est rejetée.

Le 29 juillet 2019.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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