Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus de nomination interne non annoncé et dans l’application du mérite en raison d’un favoritisme personnel – la Commission a conclu que la plainte était fondée en ce qui concerne le choix du processus – les nombreuses lacunes du processus de nomination en ce qui concerne la documentation du choix d’utiliser un processus de nomination non annoncé et en ce qui concerne le choix lui-même ont abouti à une conclusion de mauvaise foi, qui constitue une forme d’abus de pouvoir – l’intention n’était pas requise – les erreurs représentaient plus qu’un simple manquement au respect des étapes nécessaires à la transparence – le gestionnaire responsable de l’embauche et les représentants des ressources humaines (RH) n’ont pas assumé la responsabilité de s’assurer de la qualité de la documentation, ce qui inclut l’absence de justification écrite au stade de la décision, le refus initial d’en fournir une à un candidat potentiel, la position par la suite qu’aucune justification n’était nécessaire, l’utilisation d’une justification qui n’avait pas de sens compte tenu de la situation, le fait que la justification n’avait pas été signée et datée et le fait que la documentation clé n’avait pas été conservée, telle que le courriel envoyé au secteur – la Commission a conclu que le gestionnaire responsable de l’embauche avait initialement affirmé que le processus de nomination non annoncé était tout simplement le moyen le plus facile de pourvoir le poste et que, plutôt que de l’aider réellement à comprendre le processus de nomination, le conseiller en ressources humaines de l’intimé avait utilisé la flexibilité accrue en matière de politiques offerte par le cadre d’une « Nouvelle orientation en dotation » pour offrir au gestionnaire une justification du recours à un processus de nomination non annoncé, malgré la série d’erreurs et d’omissions – il n’y avait pas d’éléments de preuve que le gestionnaire responsable de l’embauche avait abaissé le niveau d’études requis dans l’énoncé des critères de mérite pour faciliter la nomination de la personne nommée – la Commission était convaincue que le gestionnaire responsable de l’embauche avait une connaissance suffisante de la candidate pour lui permettre d’évaluer son mérite par rapport aux qualifications essentielles – la Commission n’a pas conclu qu’il y avait une preuve de favoritisme personnel dans l’application du mérite ou que la personne nommée avait été nommée sans mérite.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date : 20190823

Dossier : EMP-2016-10572

 Référence : 2019 CRTESPF 83

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms

Devant une formation de la Commission des relations de  travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

ENTRE

ROBERT HUNTER

plaignant

et

sous-ministre de l’Industrie

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Hunter c. Sous-ministre de l’Industrie

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir déposée en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant :  David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant :  Billeh Hamud et Denise Giroux, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l’intimé :  Jeffrey Decontie, stagiaire en droit

Pour la Commission de la fonction publique :  Louise Bard (arguments écrits)

 

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),

les 8 et 9 mai 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

[1]  Robert Hunter (le « plaignant ») a déposé une plainte d’abus de pouvoir concernant la dotation d’un poste d’agent principal de la planification et du rendement (APPR) classifié au groupe et au niveau CO-03 en juin 2016 au sein du ministère de l’Industrie, qui est actuellement appelé généralement Innovation, Sciences et Développement économique Canada (« ISDE »).

[2]  Le poste est devenu vacant à la suite du départ à la retraite de son titulaire. Le gestionnaire responsable de l’embauche pour le poste, William LeDuc (le « gestionnaire responsable de l’embauche »), a choisi d’utiliser un processus interne non annoncé pour le combler, donnant lieu à une nomination pour une durée indéterminée.

[3]  Le plaignant a allégué un abus du pouvoir, à la fois dans le choix d’un processus de nomination non annoncé et dans l’application du principe du mérite, en raison de favoritisme personnel.

[4]  Le plaignant a fait valoir qu’il y avait plusieurs lacunes dans le processus de nomination. La lacune la plus importante était l’élaboration de la justification par écrit de l’utilisation du processus de nomination non annoncé seulement après que la décision d’embaucher la personne nommée a été prise et seulement après que le plaignant l’a demandé. De plus, une fois qu’elle était fournie, la justification n’avait aucun sens, étant donné les circonstances.

[5]  De plus, le plaignant a indiqué que l’intimé avait ignoré un bassin pour le groupe et le niveau CO-03 qui était en place dans une partie de la Direction générale des Services axés sur le marché et la petite entreprise (la « Direction générale ») qui contenait des candidats déjà qualifiés avec des qualifications plus élevées en matière d’études (un diplôme universitaire). Il avait été qualifié pour ce bassin. Il a allégué que le niveau d’études pour le poste d’APPR avait été baissé pour favoriser la nomination de la personne nommée, qu’il y avait des lacunes dans l’évaluation de ses critères de mérite, et que ces mesures faisaient preuve de favoritisme personnel.

[6]  L’intimé a nié qu’un abus de pouvoir a eu lieu. Même s’il a convenu que certaines parties du processus de nomination auraient pu être améliorées, le choix du processus de nomination non annoncé relevait bien du pouvoir du gestionnaire responsable de l’embauche, l’énoncé des critères de mérite (ECM) a été établi conformément aux dispositions de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13; LEFP), la LEFP donne une grande latitude aux gestionnaires pour ce qui est du choix des méthodes d’évaluation, et la personne nommée a été évaluée de façon appropriée par rapport aux qualifications essentielles.

[7]  La dotation a eu lieu dans les premiers mois suivant la mise en œuvre du cadre de politique intitulée « Nouvelle orientation en dotation » de la Commission de la fonction publique (CFP). Cette dernière est entrée en vigueur le 1er avril 2016, conjointement avec la nouvelle « Politique de la gestion de la dotation » d’ISDE.

[8]  L’initiative de la Nouvelle orientation en dotation de la CFP était conçue pour offrir plus de flexibilité en matière de dotation aux gestionnaires délégués de la fonction publique, tout en demeurant conforme aux principes et aux dispositions de la LEFP. Cette question devient essentielle dans l’analyse du présent cas, étant donné que le plaignant allègue que le gestionnaire responsable de l’embauche et les conseillers en ressources humaines d’ISDE n’ont pas suivi correctement la Politique de la gestion de la dotation, qui avait été adoptée en lien avec l’initiative de la Nouvelle orientation en dotation.

[9]  Je conclus que la plainte est partiellement fondée. Les nombreuses lacunes dans le processus de nomination en ce qui concerne la documentation du choix d’utiliser un processus de nomination non annoncé, conjointement avec le choix lui-même, contribuent à une conclusion de mauvaise foi, qui est une forme d’abus de pouvoir en vertu de la LEFP.

[10]  Toutefois, je ne vois pas de preuve de l’existence de favoritisme personnel dans l’application du mérite, et je ne conclus pas que la personne nommée a été nommée sans mérite. Par conséquent, je n’ordonne pas la révocation de la nomination, comme l’a demandé le plaignant. L’ordonnance comprend une déclaration qu’un abus de pouvoir a eu lieu, et certaines recommandations sont formulées.

II. Contexte

[11]  L’événement initial qui a donné lieu ensuite à la plainte était l’affichage d’une « notification de candidature retenue » (NCR) le 6 juin 2016, d’une nomination promotionnelle d’une personne nommée pour une période indéterminée au poste d’APPR dans le cadre du processus de nomination 16-DUS-INA-SPMS-74248. Ce poste fait partie de l’Unité de la planification stratégique et des services de gestion de la Direction générale.

[12]  Les qualifications essentielles relatives aux études pour le poste étaient les suivantes :

[Traduction]

programme d’études postsecondaires terminé avec succès avec une spécialisation en administration des affaires, en marketing ou toute autre spécialisation liée au poste OU une combinaison acceptable d’études, de formation et/ou d’expérience en lien avec le poste à doter.

[13]  L’ECM a également énuméré d’autres critères essentiels, quatre en matière d’expérience, deux en matière de connaissances, trois en matière d’aptitudes, et quatre en matière de qualités personnelles.

[14]  Après avoir examiné la NCR, le plaignant a demandé une discussion informelle avec le gestionnaire responsable de l’embauche. Celle-ci a eu lieu le 14 juin 2016.

[15]  Une « notification de nomination ou de proposition de nomination » (NAPA) a été publiée le 21 juin 2016, annonçant qu’ISDE avait procédé à la nomination de la personne nommée.

[16]  Le plaignant a déposé sa plainte auprès de l’ancienne Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) le 5 juillet 2016. Dans cette plainte, il a allégué un abus de pouvoir dans le choix entre un processus de nomination annoncé et un processus de nomination non annoncé.

[17]  À la suite d’un échange de renseignements, le plaignant a déposé ses allégations le 9 septembre 2016. Il a allégué un abus de pouvoir dans l’application du mérite au moyen du favoritisme personnel dont l’intimé a fait preuve envers la personne nommée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP et un abus de pouvoir dans le choix entre un processus de nomination annoncé et non annoncé en vertu de l’alinéa 77(1)b).

[18]  Comme nous en discuterons plus en détail, l’une des questions soulevées par le plaignant concerne le fait que l’intimé n’a pas pris en considération des candidats dans le bassin de CO-03. Le processus de nomination pour ce processus s’était terminé le 19 août 2014, pour les postes intitulés [traduction] « Gestionnaire, relations avec la clientèle et les partenaires ». Corporations Canada du ministère de l’Industrie avait dirigé le processus de nomination; Corporations Canada fait également partie de la Direction générale en question. L’annonce d’emploi indiquait : [traduction] « Ce processus sera utilisé pour doter le poste susmentionné; il peut également être utilisé pour établir un bassin de candidats partiellement qualifiés pour doter des postes semblables au sein d’Industrie Canada […] ».

[19]  La qualification en matière d’études pour le bassin de CO‑03 était [traduction] « un diplôme d’une université reconnue ». L’ECM complet pour le bassin couvrait un certain nombre de qualifications essentielles en matière d’expérience, de connaissances, de capacités et de qualités personnelles qui sont semblables au poste d’ARRP en question en l’espèce.

[20]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2).

[21]  La CFP n’a pas comparu à l’audience, mais a présenté des arguments écrits dans lesquels elle a traité de ses politiques et lignes directrices pertinentes. Elle ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de la plainte.

III. Questions en litige

[22]  Je dois trancher les questions suivantes :

  1. Y a-t-il eu abus de pouvoir lors du choix d’un processus de nomination non annoncé?
  2. Y a-t-il eu abus de pouvoir dans l’application du mérite en raison de favoritisme personnel?

IV. Résumé de la preuve

[23]  Le plaignant a témoigné et il a produit 16 documents en preuve. À l’époque des événements en question, il était chargé de projet classifié CO-02 à la Direction générale des industries de l’automobile et des transports d’ISDE. Au moment de l’audience, il travaillait pour Affaires mondiales Canada.

[24]  L’intimé a appelé le gestionnaire responsable de l’embauche et il a produit six documents en preuve. À l’époque des événements en question, le gestionnaire responsable de l’embauche était le directeur de l’Unité de la planification stratégique et de l’Unité des services de gestion, qui comprenait le poste en question. Au moment de l’audience, il était un « cadre supérieur invité » dans le cadre d’une affectation d’échange avec l’Association professionnelle des cadres supérieurs de la fonction publique du Canada, ou « APEX ».

[25]  Le besoin de doter le poste d’ARRP est survenu lorsque le titulaire a annoncé sa retraite de la fonction publique. Le titulaire a informé le gestionnaire responsable de l’embauche de sa décision de prendre sa retraite le 8 mars 2016 ou aux alentours de cette date. La retraite devait prendre effet le 28 juin 2016.

[26]  M. LeDuc a indiqué dans son témoignage que les principales tâches et responsabilités du poste d’ARRP avaient trait à la planification des ressources humaines (RH). Elles comprenaient le fait d’élaborer un plan des RH et de dotation, de surveiller et d’établir des rapports sur ce plan, d’être une personne-ressource pour les langues officielles, l’équité en matière d’emploi, la formation et le perfectionnement, et de veiller à l’exécution du programme de gestion du rendement. Le poste est classifié CO-03.

[27]  Il a indiqué dans son témoignage qu’il avait mené environ 20 processus de nomination au cours de son mandat à ISDE. Il a indiqué qu’avec le poste vacant en question, il croit avoir suivi ses pratiques normales. Premièrement, il sollicitait l’intérêt de l’unité de planification stratégique (de 8 à 10 personnes). Deuxièmement, il avisait d’autres membres de l’équipe de gestion du poste vacant lors de réunions et les encourageait à transmettre les noms de candidats intéressés. Enfin, il sollicitait l’intérêt dans l’ensemble du secteur par courriel, ce qui comprend environ 900 employés, principalement dans la région de la capitale nationale. Il a également indiqué dans son témoignage que le titulaire travaillait avec des douzaines de personnes et qu’il aurait transmis l’information concernant sa retraite et le poste vacant dans son réseau.

[28]  M. Leduc a indiqué dans son témoignage qu’il n’y a pas de procès-verbal ni de compte rendu des réunions de l’unité ou de gestion où il aurait mentionné le futur poste vacant, et qu’il n’avait pas pu trouver une copie du courriel qu’il avait envoyé au secteur pour solliciter l’intérêt.

[29]  À un moment donné en mai 2016, la personne nommée a abordé M. LeDuc et a indiqué qu’elle s’intéressait au poste. À cette époque-là, elle travaillait au niveau AS-07 à titre de conseillère spéciale du sous-ministre adjoint (SMA) – le même SMA dont relevait le gestionnaire responsable de l’embauche. À ce titre, elle travaillait de près avec de nombreux membres de l’équipe de gestion du secteur, y compris M. LeDuc, et aurait souvent assisté aux réunions de gestion au cours desquelles il communiquait des renseignements concernant les postes vacants.

[30]  M. LeDuc a indiqué que plusieurs conversations ont eu lieu avec une conseillère en dotation, Isabelle Jacques, et qu’il s’appuyait beaucoup sur les conseillers en dotation pour leur expertise. Il a examiné l’ECM existant et l’a approuvé pour le processus de nomination en question. Il ne pouvait se rappeler à quel point il avait été modifié. L’intimé a examiné le processus de l’autorisation en matière de priorité avec la CFP. M. LeDuc a indiqué dans son témoignage que le conseiller en RH de l’intimé lui avait indiqué qu’il disposait d’un processus de nomination non annoncé, et qu’il avait choisi cette option.

[31]  Il a également indiqué dans son témoignage que, si plus d’une personne l’avait sollicité, il aurait envisagé une autre mesure que le processus non annoncé, mais que la personne nommée était la seule personne qui lui avait fait part de son intérêt pour le poste.

[32]  Il n’a pas eu recours à un examen, une entrevue formelle, ou une vérification des références pour évaluer la personne nommée. Il a bien eu une entrevue informelle avec elle. Se fondant sur son curriculum vitae et sa connaissance de son travail à titre de conseillère spéciale au SMA, il a rempli un formulaire [traduction] d’« Évaluation contre l’énoncé de critères de mérite » (le « formulaire d’évaluation »).

[33]  Comme il a été indiqué, la NCR a été publiée le 6 juin 2016, la date de fin de la période d’attente étant le 10 juin 2016.

[34]  Lorsqu’il a vu la NCR, M. Hunter a demandé une discussion informelle avec M. LeDuc. M. Hunter a indiqué dans son témoignage qu’il l’avait fait parce qu’il s’intéressait aux postes CO-03 et qu’ils devenaient rarement disponibles. Il avait participé au processus de nomination de Corporations Canada pour le poste CO-03 et il était partiellement qualifié par l’intermédiaire de ce bassin pour des occasions au groupe et au niveau CO-03.

[35]  M. Hunter servait également de délégué syndical pour l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC). Il avait connaissance des politiques et des pratiques ministérielles en matière de dotation et il a indiqué dans son témoignage que, d’après son expérience, ISDE favorise les bassins de dotation en tant que moyen efficace et efficient de doter des postes.

[36]  Un élément qui a frappé M. Hunter en ce qui concerne la NCR était la qualification plus faible en matière d’études pour ce poste CO-03, comparé à d’autres postes du même groupe et niveau. Il a indiqué dans son témoignage que le bassin pour le groupe et le niveau CO-03 avait exigé un diplôme d’une université reconnue. Il était qualifié par l’intermédiaire de ce bassin parce qu’il avait à la fois un baccalauréat et une Maîtrise en administration des affaires (MBA). Il a indiqué dans son témoignage que 91 % des employés dans la classification au groupe CO sont titulaires de diplômes universitaires et que bon nombre d’entre eux sont titulaires d’une maîtrise.

[37]  Le plaignant et le gestionnaire responsable de l’embauche se sont rencontrés pour leur discussion informelle le 14 juin 2016.

[38]  Selon M. Hunter, la raison que M. LeDuc avait donnée lors de cette réunion pour justifier l’utilisation d’un processus de nomination non annoncé était qu’il s’agissait du [traduction] « moyen le plus facile de doter le poste ». Dans la plainte qu’il a déposée le 6 juillet, il a poursuivi comme suit concernant le gestionnaire responsable de l’embauche :

[Traduction]

[…] Il a confirmé qu’il n’avait pas de justification par écrit et que les RH ne lui avaient jamais indiqué qu’il devait avoir une justification pour son choix d’un processus non annoncé. Il a également indiqué qu’il n’avait pas réalisé qu’il y avait un bassin existant (à la suite d’une compétition menée par son propre secteur) et, par conséquent, n’avait aucune explication pour le fait d’avoir totalement ignoré ce bassin de candidats qualifiés. Manifestement, les RH n’ont fourni aucun renseignement non plus concernant les bassins existants ni la façon dont ils pouvaient être utilisés.

[39]  Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire s’il contestait ce compte rendu de la réunion, M. LeDuc a répondu [traduction] « non ».

[40]  La seule question en litige concernant cette réunion est que M. LeDuc a indiqué dans son témoignage qu’il avait expliqué au plaignant la raison pour laquelle il avait nommé la personne nommée et comment c’était possible en vertu de la nouvelle politique de gestion de la dotation de 2016. M. Hunter ne se rappelle pas si le gestionnaire responsable de l’embauche a expliqué comment son évaluation avait conclu que la personne nommée était qualifiée.

[41]  Après cette réunion, le plaignant a formulé une série de demandes pour la justification par écrit de la décision d’utiliser un processus de nomination non annoncé. Il a fait appel à Denise Giroux, une représentante du personnel à l’IPFPC. Il a demandé que [traduction] « l’utilisation des processus non annoncés » soit inscrite à l’ordre du jour pour la prochaine réunion syndicale patronale.

[42]  Au départ, la représentante des RH, Mme Jacques, a pris la position que la discussion informelle était censée demeurer « informelle ». Par conséquent, aucun renseignement par écrit ne serait fourni. Toutefois, après un échange de plusieurs courriels entre le plaignant, des représentants des RH, et Mme Giroux, une justification par écrit lui a été fournie le 20 juin 2016.

[43]  Au cours de son interrogatoire principal, M. LeDuc s’est rappelé avoir rédigé la justification [traduction] « à un moment donné en mai ». Toutefois, lorsqu’au cours du contre-interrogatoire on lui a présenté la séquence des événements comme elle vient d’être décrite, il a convenu qu’elle a probablement été rédigée après la réunion du 14 juin. Il l’a signée, mais ne l’a pas datée.

[44]  Il convient de citer la justification par écrit en entier, comme suit :

[Traduction]

Justification pour donner suite à un processus de nomination non annoncé :

Un processus non annoncé a été utilisé pour doter le poste 10347 (CO-03 – agent principal de la planification et du rendement) à la suite de l’annonce récente du départ à la retraite du titulaire actuel – qui prendra sa retraite le 28 juin 2016. Plusieurs des tâches liées à ce poste, ainsi qu’une partie importante de la charge de travail (y compris l’analyse et la présentation de rapports réguliers et ad hoc au ministère et au Conseil du Trésor sur les ressources humaines et les questions connexes) sont permanentes, et on exige souvent des échéances très serrées. Par conséquent, le titulaire doit avoir les connaissances requises du ministère et du secteur (et des Directions générales) des différents processus ayant trait à la préparation et l’analyse de ces rapports et la capacité de formuler et de présenter les recommandations appropriées à la haute direction. Les retards en raison du fait de ne pas disposer d’un candidat parfaitement qualifié à ce poste compromettrait la capacité du secteur à respecter les exigences ministérielles et les échéances des produits livrables du secteur étant donné qu’il faudrait attendre qu’un candidat potentiel soit pleinement formé pour les tâches et soit en mesure de répondre à la charge de travail en continu. L’utilisation d’une nomination non annoncée dans cette situation particulière (c.-à-d. où il y avait peu de temps entre le départ à la retraite annoncé et le départ lui-même) a permis effectivement de doter le poste sans délai (ou interruption du service) et a également permis une période de chevauchement qui convenait à la fois pour la transition et le transfert des connaissances. Par conséquent, ce mécanisme de dotation (et le choix de la « bonne » candidate qui était en mesure de commencer à travailler immédiatement) était approprié et le plus avantageux d’un point de vue organisationnel, étant donné qu’il a permis que les opérations régulières du secteur (y compris respecter toutes les exigences ministérielles liées à ce rôle) et l’appui au SMA et à la haute direction se poursuivent sans entraves.

[45]  Le lendemain, le 21 juin 2016, la NAPA a été publiée, pour annoncer la décision de nommer la personne nommée au poste.

[46]  Ni le plaignant ni l’intimé n’étaient en mesure de se rappeler si le titulaire précédent avait travaillé jusqu’au 28 juin 2016 ou par conséquent s’il a bien eu une période de chevauchement au poste avec la personne nommée.

[47]  La plainte a été déposée le 6 juillet 2016.

[48]  Une autre réunion a eu lieu, le 11 août, pendant la période de l’échange de renseignements. M. LeDuc ne pouvait pas s’en souvenir. M. Hunter a indiqué dans son témoignage qu’il y avait assisté, avec Mme Giroux, M. LeDuc et une conseillère aux ressources humaines nommée Trisha Pagnutti. M. Hunter a indiqué dans son témoignage qu’au cours de cette réunion, l’intimé avait toujours la position qu’une justification par écrit n’était pas nécessaire, et que l’exigence de la politique d’avoir une justification est satisfaite lorsque le gestionnaire responsable de l’embauche évalue la personne nommée et qu’une lettre d’offre est signée.

[49]  À la réunion ou à la suite de la réunion, le plaignant a reçu le curriculum vitae de la personne nommée et le formulaire d’évaluation, dont il a appris que la personne nommée n’avait pas de diplôme d’une université reconnue, mais plutôt un diplôme d’études secondaires.

[50]  Dans la partie « Études » du formulaire d’évaluation, la qualification pour un programme d’études postsecondaires ou une combinaison acceptable d’études, de formation et/ou d’expérience est remplacée par une troisième option [traduction] « […] OU un diplôme d’études secondaires ou d’autres options approuvées par l’employeur ». Toutefois, cette troisième option est biffée avec un grand « X ». Dans la partie de l’évaluation, l’évaluation initiale selon laquelle [traduction] « [la personne nommée] a un diplôme d’études secondaires et la combinaison de formation et d’expérience exigées pour le poste » est remplacée par une note manuscrite qui rajoute plusieurs détails supplémentaires concernant son expérience.

[51]  M. LeDuc a indiqué dans son témoignage qu’il ne savait pas qui avait biffé la troisième option des études ni qui avait rajouté la note manuscrite.

[52]  À la suite de l’échange de renseignements, le 9 septembre 2016, le plaignant a déposé ses allégations selon les exigences du processus de plaintes de dotation. Il a allégué que le gestionnaire responsable de l’embauche avait fait preuve de favoritisme personnel en évaluant la personne nommée par rapport à l’ECM à l’aide de méthodes inadéquates.

V. Analyse

A. Question no 1 : Y a-t-il eu abus de pouvoir lors du choix d’un processus de nomination non annoncé?

1. Observations préliminaires

[53]  Le plaignant a soutenu qu’une série de lacunes sont survenues dans l’administration du processus de nomination pour le poste en question, qui contribuent à une conclusion de mauvaise foi et par conséquent d’abus de pouvoir dans le choix d’utiliser un processus de nomination non annoncé ainsi que les allégations de favoritisme personnel. En somme, les lacunes alléguées sont les suivantes :

  1. le choix d’utiliser un processus de nomination non annoncé sans préparer de justification par écrit à l’avance;
  2. le fait de ne pas savoir qu’une justification devait être fournie et, au moins au départ, le refus d’en fournir une;
  3. les raisons fournies dans la justification par écrit (c.-à-d. l’urgence de doter le poste et de créer une période de chevauchement) n’ont pas de sens étant donné les faits du poste en question;
  4. une qualification comprise dans la justification qui n’était pas incluse dans l’ECM;
  5. le fait de ne même pas avoir envisagé d’utiliser un bassin de candidats déjà qualifiés qui était encore en vigueur à la Direction générale;
  6. l’incompréhension et la non-application de la politique de gestion de la dotation par le gestionnaire responsable d’embauche et les représentants des RH en ce qui concerne les processus de nomination non annoncés;
  7. l’établissement d’une qualification essentielle en matière d’études moins élevée dans l’ECM que celle utilisée normalement par ISDE au groupe et au niveau CO-03, pour permettre la nomination de la candidate choisie;
  8. le processus d’évaluation a été mené sans aucune entrevue formelle ni aucun processus d’évaluation formel et le formulaire d’évaluation a été rempli sans démontrer la façon dont chaque qualification essentielle était satisfaite;
  9. par le choix d’utiliser un processus de nomination non annoncé, conjointement avec ces autres lacunes, le processus de nomination mené a fait preuve de favoritisme personnel envers la personne nommée.

[54]  Les trois dernières lacunes alléguées seront traitées principalement dans l’analyse de la question no 2, à savoir, les allégations de favoritisme personnel.

[55]  Au moment d’analyser les lacunes, bien entendu, chacune doit être examinée individuellement. Si aucune de ces lacunes alléguées n’est valable, aucune conclusion d’abus de pouvoir ne peut être tirée. Et même si je conclus que certaines sont valables, il est possible qu’elles n’atteignent pas le niveau nécessaire pour conclure que la plainte est fondée.

[56]  Toutefois, le processus de nomination dans son ensemble doit également être analysé. La jurisprudence établie par la Commission et ses prédécesseurs est qu’une série d’erreurs relativement mineures peuvent mener à une conclusion de mauvaise foi, compromettant l’ensemble du processus de nomination et justifiant la conclusion qu’il y a eu abus de pouvoir.

[57]  L’intention n’est pas requise. Le plaignant aussi bien que l’intimé m’ont renvoyé à des cas dans lesquels une série d’omissions ou d’erreurs qui constituaient une insouciance ou une négligence grave pouvaient mener à une conclusion de mauvaise foi. Par exemple, l’intimé a cité Jacobson c. le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2009 TDFP 19, au paragraphe 52, et Phelan c. Sous-ministre du ministère des Pêches et des Océans, 2016 CRTEFP 115, au paragraphe 20, à titre d’autorités pour ce principe, bien qu’il ait promptement souligné le fait que, dans aucun des cas, la série d’erreurs n’a atteint un niveau permettant de conclure que les plaintes étaient fondées.

[58]  L’intimé a reconnu qu’en l’espèce, certaines des lacunes alléguées étaient des erreurs et des omissions. Il a formulé la question dont je suis saisi en situant l’espèce entre Morris c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2009 TDFP 9, et Robert et Sabourin c. le sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 TDFP 24.

[59]  Dans Morris, l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) a conclu qu’il y avait une série d’erreurs et d’omissions dans le processus de nomination qui a entraîné un « manque considérable de transparence » (au paragraphe 88), mais qui n’a pas atteint le niveau de négligence ni d’insouciance grave de sorte que la mauvaise foi puisse être présumée. Toutefois, dans Robert et Sabourin, la série d’erreurs, y compris le manque de justification écrite à trois occasions, le manque d’un ECM, le fait de ne pas avoir effectué d’évaluation en temps opportun des qualifications de la personne nommée, la dotation d’un poste avec une personne qui ne répondait pas aux exigences en matière de compétence dans les langues officielles, et l’avis inapproprié, ont bien mené à la conclusion que la mauvaise foi dans l’application du mérite constituait un abus de pouvoir.

[60]  La formulation du débat par l’intimé entre Morris et Robert et Sabourin était empruntée de Jarvo c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 6, aux paragraphes 16 et 17. Dans ce cas, le TDFP est arrivé à une conclusion semblable à celle dans Morris. Bien qu’il ait conclu qu’il y avait quelques lacunes dans la préparation de la justification pour un processus de nomination non annoncé et quelques omissions dans l’évaluation des qualifications, il a conclu qu’il n’y avait eu aucun abus de pouvoir.

[61]  Je retournerai à cette discussion après l’analyse des composantes individuelles des allégations. Toutefois, avant d’analyser chacune d’entre elles, il est nécessaire de présenter plus en détail le cadre de la politique. Bien que je ne sois pas lié par les politiques, elles sont utiles à examiner étant donné que leur intention est d’orienter les gestionnaires responsables de l’embauche en ce qui concerne la façon de mener les processus de nomination afin de s’assurer qu’ils sont conformes à la LEFP.

[62]  Comme il a été indiqué, peu de temps avant cette dotation, le 1er avril 2016, la Nouvelle orientation en dotation de la CFP est entrée en vigueur. Auparavant, la CFP avait une politique du Choix du processus de nomination autonome, qui était l’une de plusieurs politiques spécifiques. Par conséquent, une analyse de cette politique est une caractéristique de nombreuses décisions de la Commission et du TDFP dans lesquelles il y avait une allégation d’abus de pouvoir dans le choix d’utiliser un processus de nomination non annoncé. Cette politique exigeait que les administrateurs généraux établissent des critères pour l’utilisation de processus non annoncés et que [traduction] « […] une justification écrite doit établir comment le processus a respecté les critères établis et les valeurs directrices […] ».

[63]  À compter du 1er avril 2016, la nouvelle orientation en dotation pour les administrateurs généraux a été regroupée en un seul document intitulé la Politique de nomination. Il s’agit d’un document d’un niveau bien plus élevé qui délègue effectivement l’élaboration des politiques en détail aux administrateurs généraux. Il énonce des objectifs étendus, y compris le résultat attendu que « […] des processus de nomination [sont] menés de manière juste, transparente et de bonne foi […] », ce qui reflète les principes énoncés dans le préambule de la LEFP.

[64]  L’Annexe B de la Politique de nomination intitulée Exigence en matière de renseignements, qui oblige les administrateurs généraux à documenter correctement et à retenir les renseignements pendant au moins cinq ans après la dernière mesure administrative pour chaque nomination, est également pertinente en l’espèce. La liste comprend, au numéro 5, « Évaluation et résultats de tous les candidats », et au numéro 8, « La formulation de la décision de sélection ».

[65]  Comme il a été indiqué, en lien avec l’initiative de la Nouvelle orientation en dotation, ISDE a adopté sa [traduction] Politique de gestion de la dotation. Elle énonce en détail l’exigence de [traduction] « articuler, par écrit, les décisions de sélection » ainsi que l’exigence d’élaborer une [traduction] « brève explication écrite » pour l’utilisation d’un [traduction] « processus de nomination non annoncé pour une durée indéterminée pour des motifs autres que ceux précisés à l’Annexe A ». Il n’a pas été soutenu que la nomination en question correspond à la liste des exceptions, par conséquent, le contenu de l’Annexe A n’est pas pertinent pour l’espèce.

2. Analyse des allégations individuelles

[66]  Je passe maintenant à l’analyse des lacunes individuelles alléguées.

[67]  En ce qui concerne l’allégation a), M. LeDuc a indiqué initialement dans son témoignage qu’il avait rédigé la justification en mai 2016. Toutefois, lorsqu’il a été confronté avec la séquence des événements et le témoignage de M. Hunter, il a fini par convenir qu’il l’avait probablement rédigée après la discussion informelle du 14 juin 2016. Quoi qu’il en soit, la justification écrite n’est pas datée.

[68]  Dans l’ensemble, j’accorde beaucoup plus de crédibilité au témoignage et aux éléments de preuve de M. Hunter. Après de nombreuses questions, M. LeDuc ne se souvenait simplement pas des détails des réunions et n’avait pas de notes ni de documents à l’appui de ses affirmations. M. Hunter avait un net souvenir des événements de 2016, qui étaient étayés par les notes détaillées qu’il a incluses dans sa plainte et dans le document contenant les allégations de septembre 2016.

[69]  Selon les éléments de preuve dont je suis saisi, je conclus que la justification a été rédigée entre le 14 et le 20 juin 2016. Le fait que la justification n’était pas datée et que l’intimé ne pouvait produire un récit cohérent de la façon dont elle a été mise sur pied est une omission importante qui compromet le principe de la transparence des pratiques d’emploi décrites dans le préambule de la LEFP.

[70]  Ce fait était exacerbé par le refus initial du gestionnaire responsable de l’embauche et du représentant des RH de fournir la justification écrite au plaignant (allégation b)). Même si elle a été fournie dans de brefs délais (le 20 juin), aussi tard qu’en août encore, pendant la période de l’échange de renseignements, l’intimé a indiqué qu’il n’y avait aucune obligation qu’il en fournisse une. Manifestement, cela a compromis la transparence du processus de nomination, et semble conçu pour frustrer même ceux qui déposent des plaintes en vertu de l’alinéa 77(1)b) de la LEFP, sans mentionner ceux qui ne vont pas plus loin qu’une discussion informelle.

[71]  L’allégation c) traite du contenu même de la justification écrite, et c’est ici que des problèmes plus graves surviennent.

[72]  Les éléments de preuve indiquent que le titulaire a annoncé son départ à la retraite le 8 mars, quelques 3,5 mois avant la date de son départ, le 28 juin. La justification prétend que [traduction] « […] il y avait peu de temps entre le départ à la retraite annoncé et le départ lui-même […] ».

[73]  Une période de 3,5 mois peut ne pas sembler très longue pour mener un processus de nomination interne annoncé. Le problème tient plus au fait de concilier la déclaration dans la justification avec la véritable séquence des événements. Selon le gestionnaire responsable de l’embauche, parmi les mesures qu’il a prises, il a envoyé un courriel à tout le secteur à la recherche de candidats intéressés. Étant donné qu’aucune preuve de ce fait n’a été fournie, cette allégation est contestée. Toutefois, selon le gestionnaire responsable de l’embauche, si plus d’une personne avait exprimé son intérêt, il aurait pris en considération plusieurs candidats. Par conséquent, le fait d’envoyer une expression d’intérêt à 900 personnes et d’établir un processus pour examiner plusieurs candidats pouvait également retarder la nomination.

[74]  Ce qui semble manifeste, selon les éléments de preuve, c’est que la personne nommée n’a abordé M. LeDuc qu’en mai, plus de deux mois après qu’il a eu connaissance du poste vacant imminent. Je peux comprendre qu’en mai, avec la retraite du titulaire prévue dans moins de huit semaines, le gestionnaire responsable de l’embauche soit devenu pressé de doter le poste par tous les moyens possibles. Ce qui n’est pas clair – si la justification citée était bien exacte – c’est la raison pour laquelle le gestionnaire n’a pas pris d’autres mesures pour trouver des candidats intéressés, étant donné le temps important écoulé.

[75]  La justification indique que l’utilisation d’un processus de nomination non annoncé [traduction] « […] a également permis une période de chevauchement qui convenait à la fois pour la transition et le transfert des connaissances ». Et pourtant, ce processus de nomination a donné lieu à la nomination pour une durée indéterminée de la personne nommée à compter du 21 juin 2016, une seule semaine avant le départ à la retraite du titulaire précédent. Le lien entre la justification indiquée et les faits de la situation est faible.

[76]  En résumé, l’intimé a défendu sa décision d’utiliser un processus non annoncé partiellement en indiquant qu’il avait envoyé une expression d’intérêt à un très grand nombre d’employés, mais sans le documenter comme il faut. L’intimé a ensuite élaboré une justification après coup, qui soulignait le besoin urgent de trouver un candidat avant le départ du titulaire, mais cette urgence n’est pas manifeste dans les mesures qu’il indique avoir prises entre février (lorsqu’il a appris que le poste se libérait) et mai (lorsque la personne qui a été nommée en fin de compte s’est présentée). Ces faits m’amènent à conclure que la justification mise sur pied n’a pas été préparée de bonne foi.

[77]  Le plaignant allègue également (allégation d) que l’énoncé dans la justification selon lequel [traduction] « […] le titulaire doit avoir les connaissances requises du ministère et du secteur (et des Directions générales) […] » est [traduction] « absent » dans l’ECM. Il comprend bien une qualification essentielle, dont le libellé est le suivant : [traduction] « Connaissance de l’organisation et du mandat d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada. » En fait, ce sont des concepts très semblables. Même s’il y a des différences de libellé et de forme, les deux portent plus ou moins sur la même question. Toutefois, la version de la « justification » pourrait être interprétée comme étant plus précise, étant axée sur le « secteur » plutôt que l’ensemble d’ISDE. Par conséquent, elle peut être interprétée comme limitant l’ECM, ce qui constitue tout au moins une petite erreur.

[78]  L’allégation e) est que l’intimé n’a pas envisagé d’utiliser le bassin de candidats déjà qualifiés de CO-03 qui était en vigueur. Le gestionnaire responsable de l’embauche avait une bonne raison pour laquelle cela n’aurait pas eu de sens d’utiliser ce bassin. Il a décrit le poste affiché dans le bassin comme étant plutôt un poste de [traduction] « gestionnaire », axé sur le travail avec des clients et des intervenants externes, et le poste d’APPR comme étant un poste d’une nature plus [traduction] « organisationnelle ». Toutefois, aucune preuve n’indique qu’il a même envisagé le bassin. Les éléments de preuve indiquent qu’il n’en a eu connaissance que le 14 juin, lorsque le plaignant a discuté avec lui. Étant donné qu’il a [traduction] « consulté de près » les RH, cela suggère que les RH n’étaient pas non plus au courant ou ont choisi de ne pas mentionner le bassin, même si plus de deux mois se sont écoulés entre le moment où le titulaire précédent a annoncé son départ à la retraite et le moment où la personne nommée s’est présentée.

[79]  Ce qui est plus important, il n’y a aucune preuve qu’après avoir entendu le plaignant parler du bassin de CO-03, ainsi que de son intérêt concernant le poste en question, le gestionnaire responsable de l’embauche se soit penché sur sa candidature ou celle d’autres candidats partiellement qualifiés dans le bassin. La justification — rédigée après le 14 juin — n’en fait aucune mention. Aucun des éléments de preuve produits à l’audience ne suggère qu’il l’a fait. Plutôt, sept jours après sa rencontre avec le plaignant, l’intimé a affiché la NAPA annonçant la nomination de la personne nommée.

[80]  Le plaignant soutient que tout mène à l’allégation f), selon laquelle le gestionnaire responsable de l’embauche et les représentants des RH n’ont pas compris ni appliqué la [traduction] Politique de gestion de la dotation. Je partage cet avis. Il est manifeste d’après le témoignage du gestionnaire responsable de l’embauche qu’il ne connaissait pas le détail des dispositions de la politique. Il a indiqué qu’il s’était appuyé fortement sur les conseils des RH à chaque étape du processus de la nomination, mais les RH ne lui ont pas indiqué les détails de la politique. Même après que la plainte a été déposée, l’intimé a suggéré qu’aucune justification écrite n’était nécessaire dans le cadre du processus de nomination. Par conséquent, il incombait au plaignant et à son agent négociateur d’indiquer les dispositions de la politique qui exigent une justification écrite, d’insister sur l’accès à cette justification, et de s’interroger si elle avait un sens.

[81]  Plus loin dans la décision, je conclus que l’allégation h) du plaignant a un certain bien-fondé, en ce qui concerne le fait de remplir le formulaire d’évaluation. Essentiellement, je conclus qu’il a été rempli avec des lacunes et des erreurs. Bien que ces lacunes et erreurs ne mènent pas à une conclusion que la nomination n’était pas bien fondée, elles se rajoutent à l’analyse entreprise dans cette partie de l’omission par l’intimé de documenter correctement les décisions qu’il a prises au cours du processus de nomination non annoncé.

3. Analyse globale

[82]  Les erreurs et les omissions constituent-elles des éléments de preuve d’insouciance et de négligence équivalant à de la mauvaise foi de façon à me permettre de conclure qu’un abus de pouvoir a eu lieu en l’espèce?

[83]  Le plaignant a cité trois cas dans lesquels des plaintes d’abus de pouvoir dans le choix du processus de nomination ont été fondées.

[84]  Le plaignant a cerné trois facteurs dans Cameron et Maheux c. l’administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 16, qui sont semblables à l’espèce et qui ont mené le TDFP à ses conclusions, qui étaient que le besoin de dotation était moins urgent que ce qui était indiqué dans la justification, le processus d’évaluation était faible, et la justification était préparée après la prise de décision concernant la dotation. Des conclusions semblables ont mené à la justification de la plainte dans Ayotte c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 21 et 2010 TDFP 16.

[85]  Dans Beyak c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 7, plusieurs questions sont survenues en ce qui concerne la préparation des justifications écrites, ce qui a mené à la conclusion suivante, au paragraphe 151 :

151 Le Tribunal se préoccupe du fait que l’exigence de produire une justification en ce qui a trait aux processus de nomination non annoncés semble se limiter au dépôt d’un document, sans égard à son contenu, et que, dans les plaintes en l’espèce, les raisons invoquées dans la justification n’ont pas été réellement examinées.

[86]  L’intimé ainsi que la CFP ont souligné que le choix du processus de nomination revient aux administrateurs généraux. Le préambule de la LEFP concerne le fait de donner aux gestionnaires de la fonction publique la flexibilité nécessaire pour doter les postes, qui est renforcé à l’article 33. Cette disposition permet l’utilisation d’un processus de nomination annoncé ou non annoncé. C’est également renforcé au paragraphe 30(4), qui indique que la CFP (et, par extension, un administrateur général), « […] n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite ».

[87]  L’intimé a cité une panoplie de cas dans lesquels ces principes ont été maintenus, y compris Phelan, Jarvo, Soccar c. le Commissaire de la Gendarmerie Royale du Canada, 2013 TDFP 14, et Stroz-Breton c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 13, pour ne donner que quelques exemples. Dans tous ces cas, les plaintes concernant le choix du processus de nomination ont été rejetées, souvent malgré les erreurs ou les omissions.

[88]  Comme il a déjà été indiqué plus haut, l’intimé a pris la position selon laquelle l’espèce ressemble davantage à Morris qu’à Robert et Sabourin ou d’autres cas cités par le plaignant dans lesquels l’abus de pouvoir a été fondé. En fin de compte, dans Morris, le TDFP a conclu qu’il y avait de graves erreurs qui ne justifiaient pas une conclusion d’abus de pouvoir, mais comprenaient bien des observations fortes, comme suit :

100  L’intimé n’a pas respecté les lignes directrices de la CFP, ce qui a donné lieu à des erreurs et à des omissions; plus particulièrement, il n’a pas consigné l’évaluation et la justification expliquant le recours à un processus de nomination non annoncé. Toutefois, le Tribunal estime, compte tenu de la preuve, que les erreurs et les omissions de l’intimé, bien qu’elles constituent de l’insouciance et de la négligence du point de vue de la transparence, ne sont pas graves au point où l’on pourrait supposer qu’il y a eu mauvaise foi.

101  Cela dit, le Tribunal souhaite mettre l’accent sur le fait qu’il aurait été possible de prendre des mesures pour atténuer les préoccupations légitimes de la plaignante concernant le manque de transparence du processus de nomination. Il est essentiel, aux fins de l’administration appropriée des nominations, de consigner les décisions. Les gestionnaires délégataires doivent faire preuve de beaucoup de diligence à cet égard compte tenu du vaste pouvoir discrétionnaire que leur confère la LEFP. Il faut donc consigner de façon détaillée et en temps opportun les décisions prises, de façon à garantir des pratiques d’emploi transparentes.

[89]  À mon avis, l’espèce peut être différenciée de Morris d’une façon importante. Dans Morris, un poste vacant imprévu et urgent devait être doté à titre intérimaire dans une situation hautement opérationnelle (il s’agissait d’un établissement correctionnel). L’espèce concerne un poste vacant à durée indéterminée occasionné par un départ à la retraite annoncé plusieurs mois à l’avance.

[90]  De plus, les erreurs en l’espèce constituent plus qu’une simple omission de prendre les mesures nécessaires pour la transparence. En l’espèce, le gestionnaire responsable de l’embauche et les représentants des RH n’ont pas pris la responsabilité de veiller à la qualité de la documentation. Cela comprenait l’absence d’une justification écrite à l’étape de la décision, le refus initial d’en fournir une à un candidat potentiel, la position par la suite qu’aucune justification n’était nécessaire, l’utilisation d’une justification qui n’avait aucun sens étant donné la situation, le fait que la justification n’était ni signée ni datée, et le fait que des documents importants n’étaient pas conservés, tels que le courriel à l’ensemble du secteur.

[91]  Je suis donc obligé de conclure que ce qui a réellement poussé à la prise de décision en l’espèce était, selon la déclaration initiale du gestionnaire responsable d’embauche le 14 juin 2016, que le processus de nomination non annoncé était simplement [traduction] « le moyen le plus facile pour doter le poste » et que, plutôt que de l’aider à vraiment comprendre le processus de nomination, le conseiller des RH de l’intimé s’est servi de la plus grande flexibilité de la politique offerte par le cadre de la Nouvelle orientation en dotation pour offrir au gestionnaire une justification de l’utilisation d’un processus de nomination non annoncé, malgré la série d’erreurs et d’omissions. Cette façon de procéder a peut-être atteint l’objectif de l’« efficacité » inclus dans la [traduction] Politique de gestion de la dotation d’ISDE, mais il est plus difficile de comprendre la façon dont elle se rapproche de l’objectif de [traduction] « l’intégrité en matière de dotation » dans cette politique, ou des principes de l’équité et de la transparence énoncés dans la LEFP.

[92]  Cette position dépouille effectivement de son sens l’alinéa 77(1)b) de la LEFP, qui permet de présenter une plainte concernant le choix entre un processus de nomination annoncé ou non annoncé.

[93]  En fin de compte, les mesures prises par l’intimé ne satisfont pas à l’exigence de consigner correctement et de conserver l’information concernant un processus de nomination, tel qu’il est requis dans la Politique de nomination de la CFP, et ne respecte pas les dispositions de sa [traduction] Politique de gestion de la dotation, qui exige d’exprimer par écrit les décisions du processus de sélection. Je suis d’accord avec le décideur dans Beyak cette exigence ne vise pas simplement à produire une justification écrite, mais à en produire une qui a un sens.

[94]  Je ne crois pas que les fortes observations incidentes, tel que dans Morris, suffisent pour faire passer un message concernant les problèmes du processus de nomination en l’espèce.

[95]  Pour tous les motifs susmentionnés, je conclus que les mesures prises par l’intimé constituaient de la mauvaise foi, qui est une forme d’abus de pouvoir.

B. Question no 2 : Y a-t-il eu abus de pouvoir dans l’application du mérite en raison de favoritisme personnel?

[96]  Le plaignant a soutenu que la série de lacunes indiquées dans l’administration du processus de nomination constituait un abus de pouvoir. À titre de rappel, ces lacunes sont les suivantes :

g) l’établissement d’une qualification plus faible en matière d’études dans l’ECM que celle utilisée normalement par ISDE au groupe et au niveau CO-03, pour permettre la nomination de la candidate préférée;

h) le processus d’évaluation a été mené sans aucun entretien formel ni aucun processus d’évaluation formel et le formulaire d’évaluation a été rempli, sans démontrer la façon dont chaque qualification essentielle était satisfaite;

i) par le choix d’utiliser un processus de nomination non annoncé, conjointement avec ces autres lacunes, le processus de nomination mené a fait preuve de favoritisme personnel envers la personne nommée.

[97]  L’allégation du plaignant de favoritisme personnel est ancrée dans l’affirmation selon laquelle, parce que la personne nommée et le gestionnaire responsable de l’embauche relevaient du même SMA, ils avaient une relation personnelle qui a entraîné le choix de sa candidature à titre de candidate préférée. Il a soutenu qu’elle avait [traduction] « des renseignements privilégiés » concernant le poste vacant parce qu’elle a assisté à la réunion de l’équipe de gestion au cours de laquelle des renseignements étaient échangés concernant les postes vacants. Il a allégué que le gestionnaire responsable de l’embauche avait établi l’ECM tout en l’ayant à l’esprit, précisément en éliminant la qualification d’un diplôme universitaire qui est une pratique courante dans la collectivité des postes du groupe CO. Enfin, il a rempli le formulaire d’évaluation se fondant entièrement sur son curriculum vitae et sur ses connaissances personnelles puisqu’il avait travaillé avec elle durant une période de deux ans, alors qu’il aurait dû utiliser des méthodes d’évaluation plus solides.

[98]  Pour ce qui est de la qualification en matière d’études, le plaignant a remis en question le fait que la personne nommée satisfaisait à la qualification essentielle. Il a souligné le fait que l’intimé n’avait pas produit de preuve qu’elle détenait un diplôme d’études secondaires. Il a renvoyé à la note manuscrite dans le formulaire d’évaluation à titre d’indication que d’autres preuves et d’autres justifications auraient dû être exigées. Renvoyant à Ross c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2017 CRTEFP 48, au paragraphe 108, il a soutenu que je ne devrais accepter ni le formulaire d’évaluation ni le curriculum vitae de la personne nommée à première vue.

[99]  Même s’il a convenu que l’article 36 de la LEFP donne à la CFP (et, par extension, à l’administrateur général) une grande latitude au moment de choisir la méthode d’évaluation qu’elle estime appropriée pour établir le mérite, le plaignant a indiqué que le formulaire d’évaluation rempli avait plusieurs points faibles. Renvoyant de nouveau à Ross, il a soutenu que la Commission devrait rejeter une évaluation en parallèle qui n’avait pas suffisamment de détails. Le manque d’exemples dans le formulaire d’évaluation indique une évaluation superficielle des capacités de la personne nommée. En particulier, il a cité la qualification essentielle de la [traduction] « [c]apacité de communiquer efficacement à l’oral ainsi qu’à l’écrit », qui a été évaluée sans aucune référence à un examen de la communication écrite. Il a pris la position qu’il n’est pas possible d’estimer qu’une personne est qualifiée pour cette qualité essentielle en se fondant uniquement sur un curriculum vitae et sur la connaissance personnelle.

[100]  Le plaignant a soutenu qu’une situation de fait semblable s’est produite dans De Santis c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2016 CRTEFP 34. Dans ce cas, au paragraphe 33, l’ancienne CRTEFP a reconnu que la connaissance personnelle pouvait constituer un outil d’évaluation valide (si elle est faite correctement). Toutefois, dans ce cas, l’évaluation était effectuée par une gestionnaire responsable de l’embauche qui était la superviseure de l’employé. Étant donné que le gestionnaire responsable de l’embauche en l’espèce n’était pas le superviseur de la personne nommée et n’avait jamais effectué d’évaluation du rendement de son travail, il ne pouvait présumer avoir des connaissances suffisamment détaillées de ses connaissances et de ses capacités, et, par conséquent, aurait dû choisir d’autres types d’évaluation.

[101]  Le plaignant a renforcé ce point en citant Thompson c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2017 CRTEFP 22. La plainte dans ce cas était fondée sur un formulaire d’évaluation pour une nomination qui « manquait de détails dans certaines sections ». Elle a été rejetée parce que l’ancienne CRTEFP avait conclu qu’il était légitime qu’une superviseure immédiate soit en mesure d’évaluer la capacité de son employée de satisfaire aux qualifications essentielles du poste. En l’espèce, aux yeux du plaignant, le gestionnaire responsable de l’embauche n’avait pas satisfait à ce critère.

[102]  Enfin, citant Glasgow c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 0007, le plaignant a soutenu qu’une preuve du favoritisme personnel peut être directe, mais que « […] ce sera souvent une question de preuve circonstancielle, où certains […] commentaires ou événements observés avant ou pendant le processus de nomination doivent être examinés » (au paragraphe 44). La preuve circonstancielle en l’espèce comprend la qualification plus faible en matière d’études, les points faibles dans le formulaire d’évaluation, et le fait que le gestionnaire responsable de l’embauche a indiqué qu’il aurait modifié le processus de la nomination si quelqu’un d’autre avait exprimé un intérêt, mais il ne l’a pas fait lorsque le plaignant a exprimé son intérêt lors de la discussion informelle du 14 juin.

[103]  L’intimé s’est opposé à ces arguments en indiquant que le plaignant n’avait pas démontré qu’il y avait une relation personnelle entre le gestionnaire responsable de l’embauche et la personne nommée. Citant également Glasgow, il a soutenu que l’intention du législateur était que « favoritisme » et « personnel » soient lus ensemble, et « que c’est le favoritisme personnel, non pas tout autre type de favoritisme, qui constitue un abus de pouvoir » (le passage en évidence l’est dans l’original, paragraphe 39). Glasgow clarifie ensuite au paragraphe 41 le fait que les plaignants doivent établir « [d]es intérêts personnels indus, comme une relation personnelle entre la personne chargée de la sélection et la personne nommée […] » ou la sélection d’une personne « […] pour obtenir la faveur de quelqu’un […] » pour établir le favoritisme personnel.

[104]  Citant Carlson-Needham c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 38, l’intimé a soutenu que « […] le plaignant doit comparaître devant le Tribunal et lui présenter des éléments de preuve convaincants qui démontrent qu’il y a eu favoritisme personnel et non se contenter de formuler une allégation fondée sur des perceptions et des faits dépourvus de pertinence » (au paragraphe 52). « Par conséquent, le plaignant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne a été nommée par la suite de favoritisme personnel et que la nomination était fondée sur des facteurs autres que le mérite » (au paragraphe 54).

[105]  L’intimé a renvoyé à Bain c. le sous-ministre des Ressources naturelles Canada, 2011 TDFP 0028, et à Beyak, où le favoritisme personnel a été allégué, pour soutenir que je ne devrais pas conclure qu’en l’espèce, le favoritisme personnel est bien fondé.

[106]  Dans son témoignage, le gestionnaire responsable de l’embauche a indiqué qu’il n’avait pas de relation personnelle avec la personne nommée. Ils avaient une relation de travail purement professionnelle uniquement du temps où ils ont travaillé ensemble à ISDE, qui ne dépassait pas le milieu de travail. Bien qu’il y ait eu de nombreuses incohérences dans son témoignage en ce qui concerne les événements autour de la décision d’utiliser un processus de nomination non annoncé, pour cette question il était clair et sans équivoque. Le plaignant n’a proposé aucun élément de preuve direct qui oppose ce témoignage.

[107]  Pour ce qui est de la preuve indirecte, je conclus qu’elle n’est pas convaincante.

[108]  Le gestionnaire responsable de l’embauche a indiqué dans son témoignage que l’ECM pour ce poste a été examiné et adapté d’une version antérieure utilisée lorsque le titulaire précédent a été nommé. Il n’y a aucune preuve qu’il a baissé la qualification en matière d’études pour faciliter la nomination de la personne nommée. Les qualifications en matière d’études étaient un diplôme d’études postsecondaires terminé ou une combinaison appropriée d’études, de formation ou d’expérience. Les gestionnaires ont le pouvoir, en vertu de l’article 30 de la LEFP, d’établir les qualifications essentielles liées au travail à effectuer. Le gestionnaire responsable de l’embauche a parlé savamment de la nature unique du poste d’APPR et l’a distingué des autres postes du groupe CO, y compris celui saisi par le bassin du groupe et niveau CO-03 qui exigeait un diplôme universitaire.

[109]  L’argument du plaignant selon lequel [traduction] « 91 % » des employés de la classification CO sont titulaires d’un diplôme universitaire peut être vrai, mais il n’établit pas une violation si l’employeur n’a pas énoncé cette exigence minimale dans une norme de qualification conformément à l’article 31 de la LEFP.

[110]  Toutefois, la note manuscrite sur la partie concernant les études du formulaire d’évaluation mérite des remarques. Le fait que M. LeDuc ne savait pas qui avait ajouté la justification supplémentaire indique un défaut d’attention à la tenue des dossiers dans ce processus de nomination. Cela laisse soupçonner que quelqu’un des RH avait l’impression que les notes dactylographiées du gestionnaire responsable de l’embauche sur le formulaire ne suffisaient pas pour établir que la personne nommée satisfaisait aux exigences en matière d’études. Ce fait se rajoute à l’analyse de la Question no 1, qui était que l’intimé était plus préoccupé à justifier sa décision qu’à insister sur la qualité de la documentation. Toutefois, cela ne mène pas à une conclusion selon laquelle la personne nommée ne satisfaisait pas à cette qualification essentielle.

[111]  Je n’accorde pas de poids au fait que l’intimé ne m’a pas présenté de preuve que la personne nommée a un diplôme d’études secondaires. Le plaignant n’a pas demandé de produire le diplôme. Le curriculum vitae de la personne nommée décrit ses études et documente son expérience des progrès d’un poste CR-04 à un poste AS-07 au cours de 16 ans. Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincu que, par le simple fait qu’un diplôme n’a pas été placé devant moi, l’exigence des études ou de l’expérience n’a pas été satisfaite, comme le plaignant cherche à le prouver.

[112]  Je conclus qu’il y a une contradiction dans les arguments du plaignant selon laquelle, d’une part, le gestionnaire responsable de l’embauche connaissait la personne nommée si bien qu’il s’agissait de favoritisme personnel, alors que d’autre part, il soutient qu’il ne la connaissait pas assez pour l’évaluer parce qu’il n’était pas son superviseur. Selon la prépondérance des probabilités, je suis convaincu qu’il connaissait suffisamment la candidate pour lui permettre d’évaluer son mérite en ce qui concerne les qualifications essentielles.

[113]  Pour les motifs susmentionnés, je conclus que les allégations de favoritisme personnel, qui constituent un abus de pouvoir, ne sont pas fondées. Il y a bien eu des erreurs et des lacunes au moment de remplir le formulaire d’évaluation, et le gestionnaire responsable de l’embauche aurait pu utiliser des méthodes d’évaluation plus rigoureuses pour évaluer certaines des qualifications essentielles. Il aurait même été sage de le faire, pour éviter les allégations du plaignant. Mais sa décision de ne pas le faire ne constituait pas un abus de pouvoir.

VI. Mesures correctives

[114]  Comme je l’ai décrit, même si je conclus qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix d’utiliser un processus de nomination non annoncé, je conclus que l’allégation de favoritisme personnel est sans fondement. Le plaignant ne m’a pas convaincu que la personne nommée l’a été à la suite d’un abus de pouvoir. Ce résultat est semblable à celui dans Cameron et Maheux. Je conclus que les faits de l’espèce ne devraient pas donner lieu à une révocation de la nomination.

[115]  Renvoyant à Beyak c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 0034, et à Ayotte (2010 TDFP 0016), le plaignant et l’intimé ont convenu qu’au-delà d’une déclaration ou d’une révocation, les pouvoirs de réparation de la Commission dans cette situation consisteraient à formuler des recommandations. Le plaignant a demandé que l’intimé offre une formation pour le gestionnaire responsable de l’embauche et ISDE en ce qui concerne les dispositions de la LEFP et des politiques d’ISDE sur la consignation efficace de la décision d’utiliser un processus de nomination non annoncé. La formation devrait porter sur les exigences de la LEFP, la signification des responsabilités des gestionnaires délégués en vertu de la LEFP, ainsi que la façon dont les ressources humaines exercent leur fonction consultative pour satisfaire aux exigences de la LEFP. Par conséquent, je le recommande et j’encourage l’intimé à renvoyer à la présente décision dans sa formation.

[116]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

VII. Ordonnance

[117]  La plainte est partiellement fondée. Je déclare qu’un abus de pouvoir a eu lieu dans le choix d’utiliser un processus de nomination interne non annoncé.

Le 23 août 2019.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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