Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Une série d’articles de journaux mentionnaient l’existence d’une source au sein du ministère, laquelle aurait divulgué des renseignements et des documents confidentiels – il a été allégué que la fonctionnaire s’estimant lésée était la source – elle a été suspendue pour une période indéfinie sans rémunération en attendant le résultat d’une enquête – l’enquête a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée était la source des médias et qu’elle avait contrevenu à son devoir de loyauté envers l’employeur – sa cote de fiabilité a été révoquée, et elle a subséquemment été licenciée – la fonctionnaire s’estimant lésée a déposé des griefs contestant sa suspension et son licenciement – la Commission a conclu que la suspension imposée en attendant le résultat de l’enquête était purement administrative et aucunement disciplinaire – par conséquent, la suspension ne pouvait pas être renvoyée à l’arbitrage, et le grief concernant la suspension a été rejeté – en ce qui concerne son licenciement, la fonctionnaire s’estimant lésée alléguait que sa conduite découlait du fait qu’elle était une dénonciatrice – en outre, elle a soulevé des préoccupations quant à l’équité de l’enquête, et a mentionné les motifs et les faits sous-jacents à la révocation de sa cote de fiabilité – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas droit à la défense de dénonciation, qu’elle avait été traitée de manière équitable pendant le processus d’enquête, et que la révocation de sa cote de fiabilité était fondée sur des motifs légitimes – la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas établi qu’elle s’était prononcée sur une question importante pour le public, ce qui constitue une exception au devoir de loyauté – elle a divulgué des renseignements protégés, sa conduite était calculée et préméditée, et elle a mis le ministère et le gouvernement du Canada dans l’embarras – sa conduite ne correspondait pas aux comportements attendus et a entraîné la croyance raisonnable qu’elle peut ne pas être en mesure de protéger les renseignements et les actifs – sa conduite était suffisamment importante pour briser le lien de confiance entre l’employée et l’employeur – le licenciement était justifié.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date : 20190823

Dossiers : 566-02-9219 et 9488

Référence : 2019 CRTESPF 82

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

ENTRE

Sylvie Therrien

fonctionnaire s’estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de l’Emploi et du Développement social)

défendeur

Répertorié

Therrien c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant :  Steven B. Katkin, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée :  David Yazbeck, avocat

Pour le défendeur :  Caroline Engmann, avocate

 

Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),

du 20 au 23 janvier et du 31 août au 3 septembre 2015, et du 1er au 4 mars et le 5 juillet 2016, et à Ottawa (Ontario) le 24 août 2015.

(Arguments écrits supplémentaires déposés le 30 juin, les 11 et 18 août
et les 15 et 18 décembre 2017).

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION (TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1]  Sylvie Therrien, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), travaillait chez Service Canada, une partie du ministère maintenant appelé Emploi et Développement social Canada (l’« employeur » ou EDSC) en tant qu’enquêteuse des services d’intégrité (ESI). Ses fonctions comprenaient la réalisation d’enquêtes sur des fraudes possibles en matière de demandes d’assurance-emploi (AE), le signalement de paiements en trop, la recommandation de sanctions et la formulation de recommandations pour accepter ou rejeter les demandes.

[2]  Le 1er février 2013, un article a été publié dans le journal Le Devoir, faisant référence à une source de l’Unité des services d’intégrité de Service Canada qui a divulgué que le rendement des ESI était mesuré selon les économies qu’ils réalisaient chaque mois. L’article mentionnait également un tableau statistique provenant de la région de l’Ouest du Canada et des Territoires de l’Unité des services d’intégrité au sujet des objectifs d’économies pour la région. Des articles semblables ont été publiés dans Le Devoir les 25 et 27 février, le 5 et le 21 mars et le 22 avril 2013, mentionnant d’autres documents provenant de Service Canada et citant une source de l’Unité des services d’intégrité de Service Canada.

[3]  Après une enquête préliminaire, la fonctionnaire a été soupçonnée d’être la source mentionnée dans les articles qui avait divulgué des documents aux médias. Le 13 mai 2013, elle a été suspendue pour une période indéterminée sans rémunération en attendant les résultats d’une enquête administrative portant sur les allégations.

[4]  Le 24 mai 2013, la fonctionnaire a présenté un grief pour contester sa suspension. Ce grief (numéro de dossier 566-02-9219) a été renvoyé à l’arbitrage le 12 novembre 2013 en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP).

[5]  L’enquête administrative a permis de conclure que la fonctionnaire était bien la source journalistique et qu’elle avait contrevenu à son obligation de loyauté envers l’employeur et le gouvernement du Canada. Son employeur l’a donc informée par lettre qu’à compter du 15 octobre 2013 sa cote de fiabilité serait révoquée. Comme le maintien de cette cote constitue une condition d’emploi, dans une lettre distincte à la même date, l’employeur a mis fin à son emploi.

[6]  Le 30 octobre 2013, la fonctionnaire a présenté un grief pour contester cette révocation et ce licenciement, grief qui a été renvoyé à l’arbitrage le 24 janvier 2014, en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la LRTFP (numéro de dossier 566-02-9488).

[7]  Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTEFP) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84), et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP), qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la LRTFP avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

[8]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et les titres de la LCRTEFP et de la LRTFP pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

[9]  La fonctionnaire admet avoir divulgué des renseignements du ministère et parlé aux médias, mais elle croit qu’elle était justifiée de le faire. Elle soutient que le présent cas concerne des actes répréhensibles du gouvernement, des dénonciations et la liberté d’expression. Elle croit que l’enquête portant sur ses agissements était injuste et que son licenciement subséquent constituait une mesure disciplinaire déguisée de la part de l’employeur en raison de sa dénonciation. Pour les motifs qui suivent, je n’accepte pas ses arguments et je rejette les deux griefs.

II. Résumé de la preuve

[10]  Au cours de l’audience, les parties ont présenté des témoignages de vive voix et une preuve documentaire en français et en anglais. À la conclusion de l’audience, tout en reconnaissant que toutes les décisions de la Commission sont traduites, les deux parties ont demandé que la version originale de la présente décision soit en anglais.

[11]  L’employeur a appelé les témoins suivants : Daniel Comeau, directeur général, Intégrité interne et Sécurité et agent de sécurité du Ministère (ASM); René Pariseau, conseiller de la technologie de l’information (TI), Services partagés Canada (SPC); Jocelyn Côté et Michel Leduc, enquêteurs principaux, Enquêtes spéciales à l’Unité des enquêtes spéciales (UES), administration centrale d’EDSC; Gary Tiwana, chef d’équipe, Direction générale des services d’intégrité, programme d’AE et le chef d’équipe de la fonctionnaire; Claude Jacques, gestionnaire, Sécurité du personnel; Andy Netzel, cadre supérieur, Gestion des services, région de l’Ouest du Canada et des Territoires, EDSC. En contre-preuve, il a appelé Kevan Peters, conseiller en expertise opérationnelle (CEO), Services d’intégrité, région de l’Ouest du Canada et des Territoires; Patricia Minichiello, directrice, Services d’intégrité, région de l’Ouest du Canada et des Territoires.

[12]  La fonctionnaire a témoigné pour son compte.

A. Antécédents professionnels de la fonctionnaire s’estimant lésée

[13]  La fonctionnaire a commencé à travailler pour EDSC comme agente de programme à Prince George, en C.-B. À l’époque pertinente, elle a obtenu une cote de fiabilité et a signé un serment de loyauté le 1er décembre 2010, qui se lit comme suit :

Je jure que je remplirai fidèlement et honnêtement les fonctions que me confère mon emploi dans la fonction publique du Canada et que, sauf autorisation expresse, je ne révélerai  rien de ce qui sera parvenu à ma connaissance en conséquence de cet emploi […]

[14]  En juin 2012, la fonctionnaire a appris que son poste était visé par un réaménagement des effectifs. Elle s’est plus tard vu offrir une mutation au poste d’ESI, qu’elle a accepté, à Nanaimo, en C.-B., à compter du 1er octobre 2012.

[15]  Il existe un Programme national d’accréditation pour les enquêteurs (PNAE). Pour les nouveaux ESI, le PNAE offre trois semaines de formation en classe qui portent sur les principes fondamentaux du droit à l’AE, les compétences et les techniques d’enquête et les habiletés d’entrevue. Après cette formation, chaque ESI est affecté à un CEO, qui surveille son travail pendant environ six mois. Le but de la surveillance, qui fait partie intégrante du programme de formation, est d’amener les ESI à comprendre les principes d’AE, afin de s’assurer qu’ils mènent les enquêtes correctement.

[16]  La fonctionnaire a suivi le PNAE alors qu’elle travaillait à Nanaimo. Elle était en formation et avait un coach. Le type de dossiers qui lui étaient attribués nécessitait qu’elle les évalue conformément à certains critères et qu’elle formule une recommandation. Les critères comprenaient les questions de savoir si les demandeurs avaient quitté leur emploi ou s’ils avaient été licenciés pour manque de travail, s’ils cherchaient un emploi et s’ils avaient droit à des prestations. L’ESI prépare alors un rapport sur son enquête et ses recommandations, qui est transmis à l’équipe d’arbitrage de l’Intégrité (EAI) pour examen et décision sur la demande. Dans le cadre de sa formation, la fonctionnaire devait envoyer ses rapports à son chef d’équipe et au CAO avant qu’ils soient transmis à l’EAI.

[17]  À la demande de la fonctionnaire, elle a été mutée à Vancouver, C.-B., et elle a commencé à travailler au bureau de Harbour Centre de l’employeur le 10 janvier 2013. Après sa mutation, elle a continué de suivre la formation et de faire l’objet d’une surveillance. Elle a dit que même si le travail était identique à celui accompli à Nanaimo, elle était traitée différemment; c’est-à-dire qu’à mesure que la fin de l’exercice approchait, les enquêteurs subissaient des pressions pour réaliser autant d’économies que possible en matière d’AE. Même si les enquêteurs entièrement formés comptant deux ans d’expérience étaient assujettis à des objectifs en matière d’économie, la fonctionnaire n’avait pas d’objectif précis à cet égard puisqu’elle était encore en formation. Elle avait tout de même l’impression que le lieu de travail était empoisonné, puisque l’accent portait sur les économies. Elle a aussi soutenu que les demandeurs étaient traités avec moins de respect qu’à Nanaimo. Elle s’est plainte que les jeux étaient faits d’avance contre les personnes en chômage et les membres des Premières Nations. Elle a dit qu’au bout du compte, elle était harcelée parce qu’elle n’appliquait pas la loi relative à l’AE de la façon qu’elle devait être appliquée d’après ses collègues. Elle a donné deux exemples de cas où elle a appuyé des demandeurs alors que ses collègues ne l’auraient pas fait.

[18]  Son premier exemple était celui d’un membre d’une Première Nation qui travaillait pour l’industrie de la pêche et qui avait quitté son emploi en raison d’un harcèlement deux jours avant la fin de la saison, moment où il aurait été licencié. Selon sa recommandation, il existait un motif valable pour lui permettre de toucher à des prestations. Son chef lui a dit que le paiement devrait être refusé.

[19]  La fonctionnaire a ajouté toutes les circonstances pertinentes dans son rapport, mais elle déclare qu’on lui a dit de les omettre. À son avis, il s’agissait d’une manipulation injuste des faits. Comme je l’ai mentionné, dans le cadre de sa formation, elle devait envoyer ses rapports à son chef d’équipe et au CEO avant qu’ils soient transmis à l’arbitrage. Toutefois, elle a décidé de passer outre son chef d’équipe et le CEO et d’envoyer ses recommandations directement à l’EAI.

[20]  Le deuxième exemple donné par la fonctionnaire concernait un immigrant soudanais qui résidait au Canada depuis plusieurs années et qui était retourné au Darfour pour aider sa famille. Alors qu’il s’y trouvait, il a continué à remplir des déclarations d’AE et à recevoir des prestations. Son coach lui a dit que le demandeur n’avait pas droit à des prestations puisqu’il était à l’étranger et que comme des prestations avaient été versées, elle devait recommander leur remboursement ainsi qu’une sanction pécuniaire. Elle a dit qu’elle a écrit dans son rapport que le motif valable n’avait pas été prouvé et qu’elle inclurait des circonstances selon lesquelles il était détenu par les autorités soudanaises. Elle a encore une fois rempli son rapport sans consulter son coach, son chef d’équipe et le CEO.

[21]  À l’audience, lorsque M. Peters, le CEO de la fonctionnaire à l’époque, a appris que la fonctionnaire avait dit qu’on lui avait ordonné de ne pas inclure certaines circonstances dans ses rapports, il a dit que l’ordre ne venait pas de lui. Selon ses notes de surveillance, elle avait besoin de plus de faits pour appuyer des circonstances atténuantes si elle croyait qu’il existait un motif valable pour les mesures qu’elle recommandait.

[22]  La fonctionnaire a rédigé un document du 7 mars 2013 intitulé [traduction] « Énoncé des problèmes à l’unité de l’Intégrité à Harbour Centre », indiquant les problèmes mentionnés ci-dessus dans la présente décision et le harcèlement qu’elle avait subi selon elle. Elle a envoyé le document à la directrice, Services d’intégrité, Mme Minichiello, qui l’a reçu le 18 mars 2013. Mme Minichiello a répondu par courriel qu’elle transmettrait le document à Bernice Cook, qui mènerait une enquête sur les allégations de la fonctionnaire et communiquerait avec elle.

[23]  Mme Minichiello a déclaré qu’avant de recevoir le document, ni le dossier du demandeur de la Première Nation ni celui du demandeur soudanais n’avaient été portés à son attention. De plus, elle a dit qu’entre le 2 et le 22 janvier 2013, elle n’a eu aucune interaction directe avec la fonctionnaire. Durant cette période, ni la fonctionnaire ni personne d’autre de l’équipe de direction n’ont porté à son attention des renseignements sur un acte répréhensible commis dans le lieu de travail.

[24]  Mme Cook a rencontré la fonctionnaire et son représentant syndical, ainsi que Mme Minichiello le 3 avril 2013 et a interrogé d’autres témoins dans le cadre de son enquête. Mme Minichiello a communiqué les résultats de l’enquête à la fonctionnaire par lettre du 13 mai 2013, qui se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

J’ai personnellement examiné les détails de votre plainte et les déclarations obtenues des témoins. Je les ai aussi examinés dans le cadre d’une rencontre avec notre conseiller en relations de travail. Une grande partie des choses qui ont mal tourné dans cette situation semble provenir de communications mal interprétées, incomplètes ou mal comprises. Chaque chef d’équipe et gestionnaire a son propre style et sa propre approche de communication à l’égard de questions, comme la gestion du rendement, et chaque employé a ses préférences individuelles quant au style de gestion employé. Même si vous n’approuvez pas l’approche adoptée, je peux vous assurer que rien au sujet de la direction au bureau de Harbour Centre ne représente un écart important par rapport à une pratique de gestion acceptable.

[…]

[25]  La fonctionnaire a par la suite demandé une mutation à Nanaimo, mais on lui a dit qu’elle irait à Burnaby, en C.-B. En ce qui concerne sa décision de muter la fonctionnaire au bureau de Burnaby, Mme Minichiello a dit que durant une rencontre avec la fonctionnaire le 26 mars 2013, il était évident que cette dernière était stressée à l’idée de travailler avec l’équipe de direction de Harbour Centre et qu’elle se sentait mise à l’écart par le personnel. Selon ce qu’elle a perçu de l’inconfort de la fonctionnaire, Mme Minichiello a décidé de la placer dans un environnement favorisant davantage la formation et le perfectionnement en tant qu’ESI. Elle a aussi décidé d’attribuer à la fonctionnaire un nouveau CEO et un nouveau chef d’équipe pour un nouveau départ.

B. La mutation de la fonctionnaire s’estimant lésée à Burnaby

[26]  La fonctionnaire a commencé à travailler au bureau de Burnaby le 4 avril 2013. À l’époque pertinente, M. Tiwana était son chef d’équipe. Il avait notamment les responsabilités d’attribuer le travail, d’encadrer et d’appuyer le personnel, d’assurer la gestion du rendement, de gérer les congés et de déterminer les outils nécessaires pour aider les employés à connaître le succès. Il relevait de Wanda Morrison, la gestionnaire de services.

[27]  M. Tiwana a rencontré la fonctionnaire en avril 2013, lorsqu’elle s’est jointe à son unité. Sa directrice des opérations, Mme Minichiello, lui avait demandé de s’assurer que la fonctionnaire bénéficie d’un environnement très favorable et que tout soit fait pour veiller à ce qu’elle connaisse le succès en tant qu’ESI. Comme il ne connaissait pas le niveau de connaissances de la fonctionnaire, M. Tiwana a décidé de la traiter comme nouvelle employée ayant des notions de base en tant qu’ESI.

[28]  M. Tiwana a parlé avec la fonctionnaire lorsqu’elle a commencé, le 4 avril 2013. Il a dit que sa conversation avec elle ressemblait à celle qu’il avait avec tous les nouveaux employés. Elle portait sur les règles de base, les attentes, l’écoute des préoccupations et le soutien dont le nouvel employé pouvait avoir besoin.

[29]  La conversation qu’il a eue avec la fonctionnaire a frappé M. Tiwana parce que cette dernière a commencé à contester des questions habituelles, comme les pauses et le fait d’appeler M. Tiwana si elle était en retard au travail. Jamais personne n’avait contesté ces questions avec lui. Lorsque la fonctionnaire a parlé de son expérience à Harbour Centre, M. Tiwana a dit qu’il ne voulait pas l’entendre, afin de ne pas créer de partialité. Il voulait qu’elle ait un bon environnement, qu’elle se sente appuyée et qu’elle connaisse le succès.

[30]  Pendant cette conversation, la fonctionnaire a aussi parlé de son interprétation du fonctionnement des enquêtes et de la façon dont les économies sont réalisées et du fait qu’elle n’était pas partisane de Stephen Harper ou de son gouvernement. Bien que tout le monde ait droit à son opinion, M. Tiwana a trouvé cela étrange. Il tentait de se montrer encourageant, mais il a noté qu’elle n’approuvait pas le rôle d’ESI. Il avait pour objectif de surmonter cette difficulté et de créer un environnement propice à la réussite. En réponse, il a parlé de la structure de la Direction générale de l’intégrité, de la façon dont les économies correspondaient aux objectifs, mais qu’ils n’en étaient pas le seul accent, et des principaux indicateurs de rendement.

[31]  Dans un courriel envoyé à la fonctionnaire du 4 avril 2013, M. Tiwana a récapitulé leur conversation de cette journée-là, à laquelle la fonctionnaire a répondu par courriel le même jour, indiquant entre autres choses, ce qui suit : [traduction] « […] Je veux accomplir mon travail du mieux que je le peux, et je suis prête à le faire. » De même, le 4 avril 2013, dans un courriel adressé à Mme Minichiello et à Mme Morrison, M. Tiwana a récapitulé sa conversation avec la fonctionnaire et a mis en évidence certains signes préoccupants, principalement en ce qui concerne l’aspect de leur conversation relatif aux objectifs d’économies.

C. Les commentaires de la fonctionnaire s’estimant lésée dans le lieu de travail

[32]  Le 11 avril 2013, la Direction générale des services d’intégrité du programme d’AE à Burnaby a tenu une séance de planification stratégique. Dans une note de service qu’il a rédigée plus tard la même journée, M. Tiwana a noté ses observations de ce qui était survenu durant la séance.

[33]  La réunion comportait des discussions en petits groupes puis avec toute l’équipe. L’une des questions qui ont fait l’objet de discussions était qu’un certain nombre de dossiers étaient retournés par l’EAI. Certains employés ont suggéré la tenue d’une discussion avec les arbitres afin de déterminer comment les exigences de l’EAI pouvaient être mieux respectées.

[34]  La fonctionnaire s’est objectée, déclarant qu’à son avis, il n’était pas éthique de s’assurer que l’EAI approuve chaque recommandation des ESI et que cela équivalait à de la collusion. M. Tiwana a dit qu’elle en a parlé de façon très passionnée pendant un certain temps. Il était préoccupé puisqu’il tentait d’améliorer le moral de l’équipe, et son approche était négative. Cela l’a presque isolée de l’équipe.

[35]  Plus tard cet après-midi-là, une autre collègue a parlé de ses préoccupations au sujet d’un employé qui aurait divulgué des renseignements aux médias sur les objectifs en matière d’économies. Le public remettait en question l’intégrité du personnel et le travail qu’il accomplissait. Bien que le reste de l’équipe ait reconnu subir des répercussions de la fuite, la fonctionnaire a dit que si le gouvernement faisait quelque chose de répréhensible, les gens devaient parler. M. Tiwana a déclaré que même s’il pensait qu’elle pouvait avoir ses points de vue, comme il s’agissait d’un milieu officiel, il pensait qu’il devait le consigner. Ses supérieures, Mme Morrison et Mme Minichiello, ont été mises au courant de ses préoccupations et observations et ont demandé une copie de ses notes.

[36]  La fonctionnaire a reconnu avoir soulevé le fait qu’il pouvait y avoir un conflit d’intérêts entre la collaboration étroite avec l’EAI et la formulation de commentaires sur la dénonciation d’actes répréhensibles du gouvernement. Sur cette dernière déclaration, elle a affirmé à l’audience que s’il y avait un conflit entre le gouvernement et le public, il faut être loyal envers le gouvernement, mais que si la question est contraire à l’intérêt public, il faut la dénoncer. Elle a déclaré que les fonds d’AE n’appartiennent pas au gouvernement, mais qu’il s’agit de l’argent des travailleurs.

[37]  Le 16 avril 2013, M. Tiwana et la fonctionnaire ont eu une conversation sur son adaptation à son nouveau poste. Encore une fois, il a consigné leur discussion dans une note de service datée de la même journée. Entre autres choses, elle a dit qu’elle était mal à l’aise dans son poste et qu’elle souhaitait occuper un autre poste. Sa principale préoccupation concernait le fait de s’acharner sur des personnes pour réaliser des économies. Elle associait cette pratique au gouvernement conservateur en poste. M. Tiwana avait l’impression qu’elle n’était pas convaincue par le travail accompli par l’unité. Il croyait que le fait qu’elle n’aimait pas le travail constituait un obstacle à sa réussite. Il se préoccupait également du fait qu’elle parlait du gouvernement de façon négative. Il lui a dit que c’était son travail d’appuyer le gouvernement, peu importe les politiques, et l’a renvoyée au Code de conduite d’EDSC (le « Code de conduite »).

[38]  À l’audience, la fonctionnaire s’est rappelé que, comme l’indiquait la note de service de M. Tiwana, ce dernier lui a parlé du Code de conduite et du fait que la loyauté envers le gouvernement était importante. Elle a ajouté que les citoyens étaient aussi son employeur et qu’au bout du compte, sa loyauté allait aux Canadiens et Canadiennes, puisque l’intérêt public l’emportait sur tout.

[39]  Dans un courriel envoyé à M. Tiwana du 16 avril 2013, la fonctionnaire a récapitulé leur conversation de cette journée-là. Entre autres choses, elle a dit que durant leur conversation, elle s’est inquiétée de devoir travailler [traduction] « en s’acharnant sur des personnes, à la façon d’un chasseur de têtes, pour obtenir des économies », mais qu’elle voulait faire son travail de façon juste et honnête et qu’elle était prête à le faire. Elle a reconnu qu’un fonctionnaire ne parle pas contre un gouvernement élu et que ce comportement est contraire à l’éthique. Au bout du compte, elle a remercié M. Tiwana pour son temps et pour une [traduction] « une conversation où il lui a témoigné son soutien ». À l’audience, elle a reconnu que c’était son point de vue l’époque.

[40]  Le 29 avril 2013, une réunion a eu lieu entre la fonctionnaire et Mme Morrison, à laquelle a assisté M. Tiwana pour prendre des notes. Mme Morrison s’est inquiétée dans son courriel adressé à M. Tiwana le 16 avril 2013 que la fonctionnaire a utilisé le terme [traduction] « chasseurs de têtes » pour faire référence à la Direction générale de l’intégrité. Mme Morrison lui a donné un avertissement officiel selon lequel elle ne pouvait plus dire cela, la renvoyant à la valeur de « respect de la démocratie » du Code de conduite, à défaut de quoi une mesure administrative ou disciplinaire, pouvant aller jusqu’au licenciement, pouvait être imposée. La fonctionnaire a reconnu qu’elle avait dit à Mme Morrison qu’elle ne croyait pas que le gouvernement devrait les obliger à être des chasseurs de têtes et a dit que par cette expression, elle désignait la chasse mensuelle aux économies.

D. Enquête préliminaire

[41]  À la suite de la publication des articles dans Le Devoir, M. Leduc et M. Côté ont été affectés à l’enquête sur la raison pour laquelle des documents du gouvernement ont été publiés par les médias. M. Leduc a travaillé pour EDSC comme enquêteur principal à l’UES de 2003 à 2015. Auparavant, il a travaillé pour la Sûreté du Québec pendant 31 ans à divers postes, période pendant laquelle il a acquis une vaste expérience d’enquête.

[42]  M. Côté est un enquêteur principal, Enquêtes spéciales, à l’UES de Service Canada à Gatineau, au Québec, depuis mars 2008, et il relève de M. Comeau. Entre 2008 et 2013, il a mené au moins 50 enquêtes. Avant de se joindre à l’UES, M. Côté a été agent de police auprès de la Sûreté du Québec pendant 29 ans, période pendant laquelle il a passé 20 ans aux enquêtes criminelles.

[43]  Le 25 avril 2013, les enquêteurs ont reçu les notes de service de M. Tiwana provenant d’une gestionnaire de l’intégrité interne et de la sécurité d’EDSC à Vancouver, Marlene Toivonen, qui était au courant de la divulgation des documents du gouvernement aux médias. Même si les notes de service ne contenaient pas d’éléments de preuve directs au sujet de la fonctionnaire, les enquêteurs croyaient qu’ils avaient une certaine valeur, puisque la fonctionnaire et le journaliste qui a écrit les articles étaient francophones. Comme le document divulgué était un tableau statistique envoyé par voie électronique à des centaines d’employés de la Direction générale de l’intégrité, les enquêteurs croyaient qu’il était possible que le réseau électronique d’EDSC eût été utilisé pour le divulguer.

[44]  Les enquêteurs ont décidé d’effectuer une analyse préliminaire du compte de courriel de la fonctionnaire et de son accès Internet à EDSC pour déterminer s’ils contenaient les courriels envoyés depuis ce compte au journaliste. M. Côté a effectué l’analyse. Dans son analyse du compte de courriel de la fonctionnaire à Service Canada, il n’a pas trouvé de lien direct entre ce dernier et le journaliste du journal Le Devoir. Toutefois, il a trouvé plusieurs courriels envoyés de son compte à Service Canada à l’un de ses comptes personnels ainsi qu’à un compte de courriel d’une autre personne, qui a plus tard été identifiée comme une amie avec laquelle la fonctionnaire a habité pendant plusieurs semaines en janvier et en février 2013 et qui avait autorisé la fonctionnaire à utiliser son ordinateur portatif. Cette amie n’a pas témoigné à l’audience et la divulgation de son identité ne serait d’aucune utilité pour les fins de la présente décision. Je vais donc maintenir l’anonymat de cette personne en l’appelant « Mme C » dans le reste de la présente décision.

[45]  Le 22 janvier 2013, la fonctionnaire a envoyé un courriel de son compte de Service Canada au compte de courriel de Mme C. Elle a joint le tableau statistique de la région de l’Ouest du Canada et des Territoires de la Direction générale des services d’intégrité sur la réalisation d’économies pour décembre 2012 (le « rapport sur les économies de la DGSI ») publié le 16 janvier 2013 par le directeur exécutif, Direction générale des services d’intégrité (région de l’Ouest du Canada et des Territoires). M. Côté a dit que ce document, qui était réservé à l’usage interne, a été mentionné dans l’article publié dans Le Devoir le 1er février 2013. La même journée, la fonctionnaire a aussi envoyé un courriel de son compte de Service Canada à son compte de courriel personnel auquel était joint le rapport sur les économies de la DGSI de décembre 2012, accompagné de ses commentaires personnels sur les documents.

[46]  Aussi le 22 janvier 2013, la fonctionnaire a envoyé un courriel de son compte de Service Canada à l’adresse électronique de Mme C. Y était joint un questionnaire que les ESI utilisaient pour traiter avec les clients. Dans un autre courriel en date du 22 janvier 2013, envoyé depuis le compte de la fonctionnaire à Service Canada au compte de Mme C, elle a joint la version française du chapitre 56 du Guide sur les enquêtes et le contrôle, portant sur les indicateurs de rendement.

[47]  Le 24 janvier 2013, la fonctionnaire a envoyé un courriel de son compte de Service Canada à son compte personnel, auquel étaient joints les documents suivants : le chapitre 56 du « Guide sur les enquêtes et le contrôle », portant sur les indicateurs de rendement, en anglais et en français, accompagné de ses commentaires insérés à deux endroits; le chapitre 10 du « Guide de la détermination de l’admissibilité », en anglais et en français.

[48]  Dans un courriel du 2 avril 2013 et envoyé de son compte de Service Canada à son compte personnel, la fonctionnaire a joint plusieurs documents concernant des études de cas sur la stratégie d’enquête.

[49]  Les enquêteurs ont examiné les documents et les courriels de la fonctionnaire et les ont comparés aux articles publiés dans Le Devoir le 1er, le 25 et le 27 février, le 5 et le 21 mars et le 22 avril 2013. Leur analyse a divulgué certaines similarités frappantes entre le texte de ses courriels et les articles dans Le Devoir. L’article publié le 1er février reprenait presque textuellement le libellé qu’elle avait utilisé dans ses courriels, et celui publié le 22 février renvoyait au chapitre 19 du « Guide des opérations d’intégrité ».

[50]  Les résultats de l’analyse du compte de courriel de la fonctionnaire à Service Canada ont été remis à M. Comeau dans un courriel de M. Leduc du 8 mai 2013. M. Leduc informait M. Comeau que selon l’analyse, il avait des motifs raisonnables de croire que la fonctionnaire avait divulgué plusieurs documents du gouvernement et il demandait un mandat pour entamer une enquête administrative. M. Comeau a approuvé le mandat d’enquête la même journée.

[51]  M. Côté a dit que l’objectif de l’enquête consistait à déterminer si la fonctionnaire avait divulgué des documents réservés à un usage interne à un tiers, si la fuite a été faite par une personne non autorisée à divulguer ces documents et si elle avait contrevenu aux politiques du gouvernement.

E. Suspension

[52]  Par lettre du 13 mai 2013, la fonctionnaire a appris qu’une enquête administrative était menée en ce qui concerne les allégations selon lesquelles elle pouvait avoir contrevenu à la Politique de communication du gouvernement du Canada, au Guide d’opération pour l’assurance-emploi et au Code de conduite. En particulier, la lettre indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le 22 janvier 2013, ou vers cette date, n’étant pas une représentante autorisée en vertu de la Politique de communication du gouvernement du Canada, il est possible que vous ayez divulgué au public, aux médias, à des membres de la famille et à des amis, des documents protégés, des politiques et/ou des lignes directrices et d’autres renseignements administratifs qui n’étaient pas publics […]

[…]

[53]  Dans les circonstances, l’employeur a conclu que la fonctionnaire présentait [traduction] « […] un risque raisonnablement sérieux et immédiat quant aux préoccupations légitimes du Ministère […] ». Ainsi, elle a été suspendue pour une période indéterminée sans rémunération, en attendant le résultat de l’enquête.

[54]  La lettre de suspension indiquait également que le mandat de l’enquête consistait à vérifier les faits concernant les allégations et invitait la fonctionnaire à une entrevue avec les enquêteurs pour répondre aux allégations. La lettre indiquait aussi qu’à la fin de l’enquête, elle aurait la possibilité de présenter des précisions ou des circonstances atténuantes non abordées dans le cadre de l’enquête. Par la suite, la direction prendrait une décision sur toute mesure éventuelle.

[55]  Selon M. Netzel, qui a envoyé la lettre, il a décidé de suspendre la fonctionnaire sans rémunération parce qu’il craignait légitimement que d’autres documents puissent avoir été communiqués après le rapport sur les économies de la DGSI. Bien que le rapport ne soit pas secret, il a été communiqué sans contexte et il pourrait induire en erreur. Le Guide des opérations d’intégrité et les documents subséquents étaient plus préoccupants, puisqu’ils commençaient à mettre le compte d’AE à risque. Sa publication donnait un accès aux personnes qui avaient tendance à défier le système. Il pensait également au risque pour la sécurité du personnel, dans l’éventualité où un demandeur mécontent passait à l’action.

[56]  De plus, comme EDSC se voit confier les renseignements privés de citoyens, M. Netzel a déclaré qu’il souhaitait empêcher le risque que d’autres publications divulguent ces renseignements. Bien qu’une autre enquête soit nécessaire au sujet des allégations, M. Netzel a affirmé que selon les renseignements disponibles, il a conclu que la fonctionnaire représentait un risque sérieux et immédiat pour le Ministère.

[57]  À la question de savoir s’il avait envisagé d’autres options que la suspension de la fonctionnaire sans rémunération, M. Netzel a répondu que les options possibles consistaient à lui trouver un autre poste ou à la suspendre avec rémunération. Toutefois, aucun autre poste à EDSC n’avait comme titulaire des employés qui ne traitaient pas les renseignements des citoyens.

[58]  Pour ce qui est de la deuxième option, il a songé à la durée du processus d’enquête. Un représentant de la Direction générale de la sécurité lui a assuré que le processus prendrait de sept à huit semaines, ce qu’il considérait comme n’étant pas trop long. Si les allégations n’étaient pas fondées, la fonctionnaire serait réintégrée, avec salaire rétroactif.

[59]  Le 13 mai 2013, la journée où elle a reçu la lettre l’informant de sa suspension pour une période indéterminée pendant l’enquête, la fonctionnaire a envoyé des courriels de son compte personnel au journaliste du journal Le Devoir et à son ancien conjoint qui mentionnaient le rapport sur les économies de la DGSI qu’elle avait déjà transmis au journaliste. Le courriel envoyé au journaliste se lit comme suit :

[…]

J’ai écrit ce document du bureau de service Canada pour me l’envoyer à moi-même à la maison. Cet email était attaché au document disant qu’ils avaient sauvé tant et tant dans la région de l’ouest, le premier document, le « report card » que je vous avais envoyé et ceci le 22 janvier comme vous pouvez constater, j’ai été imprudente, niaiseuse et je me suis fait pogner, regarder ci-dessous le courriel et le document joint de mon courriel du travail.

C’est fini mon emploi.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[60]  Le courriel de la fonctionnaire à son ancien conjoint se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

C’est ce qu’ils ont contre moi. J’ai été stupide et j’ai envoyé un courriel de mon ordinateur au travail à moi-même à cette date, mais ils savaient qu’à ce moment un article avait été publié dans les médias à ce moment aussi. Ils peuvent faire le lien. De plus, le syndicat m’a dit être totalement honnête et de tout dire immédiatement, que c’est ce qu’il y a de mieux à faire […]

[…]

F. Entrevue avec les enquêteurs

[61]  M. Côté et M. Leduc se sont rendus à Vancouver où, le 13 mai 2013, ils ont interrogé Mme Minichiello et M. Tiwana. Le 14 mai, ils ont interrogé Mme C. Le 15 mai, les enquêteurs ont interrogé l’un des collègues de la fonctionnaire et, enfin, la fonctionnaire.

[62]  L’avocat de la fonctionnaire a soulevé une objection générale à l’admission en preuve des notes d’entrevue des enquêteurs à l’égard des témoins de l’employeur au motif qu’elles contenaient une preuve par ouï-dire, à l’exception de M. Tiwana, puisque l’employeur l’avait annoncé comme témoin. De plus, Mme Minichiello a témoigné dans le cadre de la contre-preuve de l’employeur. J’ai admis le reste des notes d’entrevue et examiné l’objection de la fonctionnaire au moment d’évaluer le poids accordé à la preuve. Au bout du compte, les notes en question au sujet de l’entrevue du collègue de la fonctionnaire et de Mme C n’étaient pas importantes aux questions à trancher en l’espèce. En tout état de cause, les renseignements qu’elles ont communiqués durant les entrevues n’ont pas été contestés.

[63]  Le collègue de la fonctionnaire a informé les enquêteurs qu’il avait travaillé comme ESI à Vancouver avec elle. Il lui avait transmis le rapport sur les économies de la DGSI à sa demande.

[64]  M. Côté a dit que durant l’entrevue avec Mme C, cette dernière a confirmé que la fonctionnaire avait habité avec elle pendant six semaines en janvier et en février 2013. Durant cette période, elle avait autorisé la fonctionnaire à utiliser son ordinateur portatif. Mme C a également confirmé son adresse électronique personnelle, à laquelle la fonctionnaire avait transmis certains documents. Lorsqu’elle a appris que la fonctionnaire avait transmis certains documents du travail à son adresse électronique, Mme C a confirmé qu’elle ne les avait jamais vus et qu’elle ne savait pas que son adresse électronique avait été utilisée à cette fin.

[65]  L’entrevue de la fonctionnaire a eu lieu le 15 mai 2013, de 13 h 55 à 16 h 15, y compris les pauses, et elle s’est déroulée en français. La fonctionnaire était accompagnée par un représentant syndical national, Robert Strang. Au début, les enquêteurs ont demandé et obtenu sa permission d’enregistrer l’entrevue. Elle a plus tard reçu une copie de l’enregistrement. Avec le consentement des deux avocats, on a fait entendre l’enregistrement de toute l’entrevue pendant l’audience. La copie de cette pièce de la Commission se trouve sur un disque compact et est composée de deux fichiers, le premier qui se déroule depuis le début de l’entrevue à 14 h et le deuxième, depuis environ 15 h 15 jusqu’à la fin, à 16 h 15.

[66]  M. Leduc a mené l’entrevue, alors que M. Côté prenait des notes. L’entrevue a été menée en ordre chronologique des événements, un document étant montré à la fonctionnaire à chaque question. Elle a ensuite été invitée à fournir une explication.

[67]  Lorsqu’on lui a montré l’article publié dans Le Devoir du 1er février 2013, la fonctionnaire a nié en avoir eu connaissance et elle a déclaré qu’elle ne connaissait pas le journaliste, à part par la lecture de ses articles. En ce qui concerne le rapport sur les économies de la DGSI, la fonctionnaire a dit que tout le monde à la Direction générale de l’intégrité l’avait reçu, elle y comprise.

[68]  À mesure que l’entrevue progressait et qu’on lui montrait des documents et des courriels, la fonctionnaire niait constamment les avoir transmis au journaliste. Elle a dit qu’elle était en formation et qu’il était normal qu’elle se transmette des documents de travail à elle-même, pour les étudier à la maison. À la question de savoir pourquoi elle avait transmis des documents de travail à l’adresse électronique de Mme C, la fonctionnaire a répondu qu’elle voulait lui montrer le type de travail qu’elle accomplissait.

[69]  Selon M. Côté, durant une pause demandée par M. Strang, tous les participants sont sortis de la salle d’entrevue. M. Strang et la fonctionnaire ont eu une conversation privée puis elle a fait un appel à voix haute depuis son téléphone cellulaire à une personne qu’elle a identifiée comme son avocat. Elle a dit à cette personne qu’elle était détenue par les enquêteurs. Puis elle a dit aux enquêteurs que son avocat lui avait dit que la Charte (en référence à la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la « Charte »)) était toujours en vigueur et qu’il voulait leur parler. Elle leur a passé son téléphone. M. Leduc et M. Côté ont refusé de prendre le téléphone parce qu’ils ne connaissaient pas la personne et n’avaient aucune façon de savoir s’il était un avocat. M. Leduc l’a invitée à poursuivre l’entrevue.

[70]  La fonctionnaire a déclaré qu’elle se sentait mal à l’aise durant l’entrevue et qu’elle était tourmentée question après question, dont un grand nombre étaient répétitives. Elle avait l’impression que les enquêteurs n’étaient pas transparents avec elle. Elle croyait que l’entrevue avait pour but d’expliquer ses agissements, mais elle sentait qu’elle avait déjà été trouvée coupable. Elle se sentait perdue et confuse, et M. Strang n’était pas autorisé à parler, puisqu’il était présent uniquement en tant qu’observateur.

G. Analyse de l’ordinateur portatif utilisé par la fonctionnaire s’estimant lésée

[71]  Mme C a donné aux enquêteurs la permission de copier le disque dur de son ordinateur portatif.

[72]  M. Leduc a communiqué avec M. Pariseau pour effectuer une expertise judiciaire sur ce disque dur. À l’époque pertinente, M. Pariseau était un analyste de la TI auprès d’EDSC. Ses fonctions comprenaient une expertise en informatique judiciaire, la gestion d’incidents, la gestion de la vulnérabilité et la contre-ingénierie des logiciels malveillants.

[73]  Comme le lui avait demandé M. Pariseau, André Moos, un technicien de TI à EDSC à Harbour Centre à Vancouver, a créé une image miroir du disque dur et a décrit le processus dans un courriel du 16 mai 2013, envoyé à M. Côté, et en copie conforme à M. Pariseau. Lorsqu’il a reçu l’image, M. Pariseau l’a copiée dans son ordinateur d’investigation informatique et il a refait le processus de duplication pour s’assurer qu’il était correct. L’image miroir originale a été conservée dans un coffre-fort. Bien que M. Pariseau ait pleinement expliqué les aspects techniques de la création d’une image miroir d’un disque dur et des méthodes de recherche, son témoignage n’a pas été contesté et il n’a pas à être résumé.

[74]  À la demande de M. Pariseau, M. Leduc a fourni une liste de mots-clés à chercher dans le disque dur, lesquels étaient liés aux documents divulgués au journal Le Devoir. M. Pariseau a expliqué que les résultats de sa recherche ont démontré une version en antémémoire du compte Hotmail personnel de la fonctionnaire. Ce compte contenait des courriels auxquels étaient joints des documents envoyés de son compte de courriel de Service Canada à son adresse Hotmail, puis transmis au journaliste qui avait rédigé les articles publiés dans Le Devoir.

[75]  Parmi les courriels, le 24 janvier 2013, avant la publication du premier article, la fonctionnaire a écrit ce qui suit au journaliste :

[…] Voici d’autres documents directement du site interne du gouvernement. Un des documents est en Anglais, veuillez ne pas en tenir compte ce n’est que la version anglaise du document Services d’intégrité, un des trois documents présente la version française. Prenez ce qui vous intéresse et bonne lecture […]

H. Rapport d’enquête

[76]  L’enquête a permis de conclure que la fonctionnaire avait transmis au journaliste du journal Le Devoir des renseignements protégés et des renseignements réservés à l’usage interne, en violation de la Politique de communication du gouvernement du Canada et du Code de conduite.

[77]  Le rapport d’enquête a été remis à M. Comeau, qui l’a transmis à M. Netzel le 8 juillet 2013, puisque ce dernier était responsable de la gestion des employés dans la région de l’Ouest du Canada et des Territoires. Après la présentation du rapport, l’UES a appris que la fonctionnaire avait donné une entrevue à CBC News le 20 juillet 2013, au cours de laquelle elle a dit être la source des divulgations. M. Comeau a demandé un suivi à M. Côté. Un addenda au rapport d’enquête administrative, du 25 juillet 2013, a été préparé, mais il n’a pas modifié les conclusions du rapport d’enquête. Il faisait remarquer que dans son entrevue avec les enquêteurs, la fonctionnaire a nié toute participation à la divulgation des renseignements aux médias.

[78]  Une copie du rapport d’enquête administrative a été remise à la fonctionnaire le 31 juillet 2013, puis elle a été invitée à présenter des précisions ou des circonstances atténuantes en réponse. À sa demande, le 12 août 2013, M. Netzel lui a remis une traduction française du rapport d’enquête administrative. Au moyen d’une lettre adressée à M. Netzel le 23 août 2013, la fonctionnaire a fourni sa réplique à ce rapport.

[79]  Dans sa réplique au rapport d’enquête, la fonctionnaire a indiqué que lorsqu’elle a été mutée de Nanaimo à Vancouver, elle a noté un changement de culture dans la gestion de la Direction générale de l’intégrité. Elle a dit qu’à Nanaimo, elle était capable de discuter du droit d’un demandeur à des prestations avec son chef d’équipe, son coach et ses collègues et que ses questions et points de vue étaient pris en compte. Bien que des économies étaient recherchées, son coach ne lui avait pas dit ce qu’elle devait faire pour les réaliser.

[80]  La fonctionnaire a dit que ses agissements n’étaient pas motivés par la politique ou accomplis pour s’opposer à la ministre qui était alors responsable d’EDSC. Elle a agi dans l’intérêt public, reconnaissant qu’elle pouvait avoir créé un débat public. Sa réplique renvoyait à un extrait du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique (le « Code de VE »), qui indique que les fonctionnaires conservent la confiance du public. Elle a écrit qu’elle croyait que ce qu’on lui demandait de faire violait la confiance du public.

[81]  Dans la même veine, la réplique de la fonctionnaire indiquait également qu’elle croyait que ce qu’elle a fait constituait [traduction] « un acte unique de dénonciation ». Selon ses mots, [traduction] « j’ai agi en dernier recours pour protéger le public canadien. Je l’ai fait par amour et par respect pour le Canada, ses traditions démocratiques, ses citoyens et ses institutions gouvernementales ».

[82]  La fonctionnaire a conclu comme suit sa réplique en fournissant un résumé de facteurs atténuants :

[Traduction]

1) J’ai travaillé pendant plus de trois ans comme fonctionnaire. Je n’ai aucun dossier disciplinaire et avant de travailler à l’Intégrité, je respectais ou je dépassais mes attentes en matière de rendement.

2) J’ai déjà été trop punie. Je suis suspendue sans rémunération depuis mai 2013. Mon fils à charge et moi-même avons subi des conséquences économiques de cette punition. En raison de la sévérité de la pénalité imposée par le Ministère, ma réputation et mon image ont été ternies (aux yeux de mes collègues et de ma famille, de ma communauté élargie et du public dans son ensemble). Des mesures punitives de cette ampleur laissent présumer la culpabilité et peut-être des représailles de nature partisane. La présomption de culpabilité est également préjudiciable à tout grief ou à toute autre mesure que je peux intenter en ce qui concerne ma situation.

3) J’ai été exposée à une culture d’un lieu de travail qui violait les valeurs et l’éthique que j’ai juré de préserver. Même si je pensais avoir le rôle d’assurer l’intégrité du Ministère, je croyais que la direction était plus préoccupée par la réalisation d’économies et la restriction des sommes distribuées, peu importe la question de savoir si les prestataires admissibles ou non perdaient leurs droits. On m’a dit que les gestionnaires recevaient des primes qui étaient directement liées aux économies qu’ils produisaient. Que ce soit la vérité ou qu’il s’agisse d’une rumeur, la prime sur les économies a créé une culture d’indifférence à l’égard des clients. Cela a amené des collègues à formuler des remarques désobligeantes au sujet de l’ethnicité et de la culture de clients (peut-être en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne). Lorsque j’ai exprimé mes préoccupations aux chefs d’équipe, aux gestionnaires et aux directeurs, aucune faute n’a jamais été trouvée, aucune solution constructive n’a été envisagée et j’ai été réprimandée pour avoir critiqué le gouvernement.

4) J’ai divulgué des renseignements par respect pour la démocratie. Je l’ai fait parce que je suis redevable envers le Parlement et les Canadiens et Canadiennes comme condition de mon emploi. J’ai agi de bonne foi et de manière non partisane et je n’ai pas du tout profité de mes agissements. Je l’ai fait en toute conscience.

5) J’ai au départ nié avoir divulgué des renseignements parce que j’avais peur et que j’étais intimidée par l’approche autoritaire adoptée par l’employeur et la façon dont j’ai été interrogée. Mon état mental a aussi contribué à mon déni instinctif. Je regrette de ne pas avoir répondu honnêtement.

[83]  M. Netzel a lu sa réplique et l’a transmise à M. Comeau, qui a dit, après l’avoir examinée, puisqu’elle n’avait pas souligné d’erreur de fait dans le rapport d’enquête administrative, qu’il n’y avait pas lieu de la modifier.

[84]  M. Comeau a aussi fourni une copie de la réplique de la fonctionnaire à M. Côté et lui a demandé de l’examiner pour déterminer si elle modifiait l’une des conclusions du rapport. Après avoir lu plusieurs fois la réplique, M. Côté a conclu qu’elle ne modifiait pas les faits ou les conclusions du rapport d’enquête et l’a indiqué à M. Comeau.

I. Révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire s’estimant lésée et son licenciement

[85]  Après la conclusion du rapport d’enquête, M. Comeau a décidé de faire réaliser un examen motivé de la cote de fiabilité de la fonctionnaire et il a renvoyé l’affaire à M. Jacques, gestionnaire, Sécurité du personnel, qui effectuait ces examens en vertu de la Norme sur la sécurité du personnel.

[86]  Dans le cadre de la préparation de son rapport de réévaluation de la cote de fiabilité, M. Jacques a dit qu’on lui avait demandé d’examiner le dossier d’enquête de l’UES portant sur la fonctionnaire et de présenter son évaluation et sa recommandation en fonction du dossier. Il a obtenu le rapport d’enquête, la réplique de la fonctionnaire et tous les documents pertinents à l’enquête. Il a ensuite lu tous les documents, y compris les notes des enquêteurs et les déclarations des témoins. Son rapport de réévaluation de la cote de fiabilité a été remis à M. Comeau le 10 septembre 2013. Selon son évaluation, la cote de fiabilité de la fonctionnaire devait être révoquée.

[87]  En résumé, M. Jacques a conclu qu’il n’y avait aucun doute que la fonctionnaire avait divulgué des renseignements protégés; que ses agissements étaient calculés et prémédités; que même si elle pouvait ne pas approuver les politiques internes et les stratégies gouvernementales, en tant que fonctionnaire, elle était obligée, selon les règles et règlements, de maintenir la confidentialité; que ses agissements ont embarrassé le Ministère et le gouvernement du Canada. Dans l’ensemble, il a indiqué que ses agissements n’étaient pas conformes aux caractéristiques et aux comportements attendus nécessaires pour conserver une cote de fiabilité, à savoir : 1) si on peut être convaincu que la personne n’abusera de la confiance qui pourrait avoir été accordée; 2) s’il y a motif raisonnable de croire que la personne peut ne pas avoir réussi à protéger les renseignements.

[88]  Après avoir examiné tous les documents, M. Comeau a décidé de révoquer la cote de fiabilité de la fonctionnaire et en a informé M. Netzel par lettre du 11 octobre 2013. Dans sa lettre à M. Netzel, M. Comeau a déclaré que la fonctionnaire représentait un risque sérieux pour l’employeur. Il a déclaré qu’il en était arrivé à cette conclusion en raison de son absence de remords, de sa croyance continue qu’elle avait divulgué des renseignements pour les bonnes raisons, de son manque de fiabilité à l’égard des renseignements et des biens du gouvernement et de l’embarras continu qu’elle causait au gouvernement et qui pouvait entraîner de l’agressivité envers les employés d’EDSC.

[89]  M. Netzel a avisé la fonctionnaire que sa cote de fiabilité serait révoquée à compter du 15 octobre 2013. Comme son emploi nécessitait une cote de fiabilité valide, par lettre aussi du 15 octobre 2013, il l’a informée qu’il avait mis fin à son emploi en vertu de l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; LGFP). Cette disposition indique qu’un administrateur général peut licencier des fonctionnaires pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[90]  Au départ, l’employeur a contesté l’admissibilité à l’arbitrage des deux griefs. Il était d’avis que puisque la suspension et le licenciement subséquent de la fonctionnaire dus à la révocation de sa cote de fiabilité constituaient des mesures purement administratives prises en vertu de l’alinéa 12(1)e) de la LGFP, ils n’avaient pas un caractère arbitrable en vertu de l’article 209 de la Loi et l’arbitre de grief nommé en vertu de la Loi n’avait pas le loisir d’examiner le bien-fondé de ces décisions.

[91]  À cet égard, les parties ont été invitées à présenter d’autres arguments écrits en ce qui concerne la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Heyser, 2017 CAF 113, qui a été rendue après l’audition de la présente affaire. L’employeur a reconnu qu’en raison de Heyser, la Commission a pleine compétence en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la Loi pour déterminer s’il y a, comme l’a déclaré la Cour, des « motifs légitimes et valables » pour révoquer la cote de fiabilité et elle doit déterminer si le licenciement consécutif est valable « […] en se basant sur les faits pertinents ayant mené à la révocation et sur les politiques pertinentes adoptées par le Conseil du Trésor en sa qualité d’employeur ». Toutefois, en ce qui concerne la suspension, l’employeur soutient qu’il s’agissait d’une mesure administrative et qu’il n’avait pas l’intention d’imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire. Au contraire, sa décision de la retirer du lieu de travail était très prudente, étant donné les circonstances.

[92]  L’employeur a déclaré que compte tenu d’Heyser, le concept de mesure disciplinaire déguisée n’est plus pertinent à l’analyse du licenciement. Par conséquent, la question à trancher est celle de savoir si la révocation et le licenciement consécutif étaient fondés sur un motif légitime. L’employeur a soutenu que cela nécessite un examen substantif et procédural de la décision du ministère par la Commission, en vertu duquel elle peut évaluer la preuve selon une perspective de sécurité ou de fiabilité. Un examen substantif de la décision de révocation doit être effectué selon une perspective non disciplinaire et doit être régi par les principes et le raisonnement établis dans les politiques en matière de sécurité de l’employeur. À cet égard, il déclare que sa décision était conforme à la Norme sur la sécurité du personnel et qu’elle était fondée sur le rapport d’enquête et la réévaluation de la cote de fiabilité et qu’il existait un risque immédiat et futur dans le maintien de la cote fiabilité de la fonctionnaire.

[93]  L’employeur a aussi fait valoir qu’une grande partie du témoignage de la fonctionnaire ne devait pas être cru, puisque les allégations de dénonciation ont été formulées après le fait et qu’il n’y avait pas lieu de conclure qu’elles étaient crédibles. En tout état de cause, pour régler le grief de licenciement, l’employeur a soutenu qu’il était inutile de formuler une conclusion quant à la question de savoir si la fonctionnaire était une dénonciatrice. Toutefois, si la Commission était d’avis qu’une telle conclusion devait être formulée, elle doit se demander si, au moment de la divulgation des documents au journaliste, la fonctionnaire faisait une dénonciation. Dans le contexte du présent cas, l’employeur a soutenu que la divulgation des documents aux médias ne constituait pas une dénonciation.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[94]  Selon la fonctionnaire, la Commission a pleinement le pouvoir d’examiner tous les aspects du processus de révocation, y compris le licenciement. Elle soutient que sa suspension pour une période indéterminée sans rémunération en attendant le résultat de l’enquête découlait d’une mesure disciplinaire ou d’une mesure disciplinaire déguisée de la part de l’employeur. La lettre de suspension renvoyait aux politiques qu’elle pouvait avoir violées, ce qui normalement était géré au moyen du processus disciplinaire. De plus, l’intention de l’employeur dans sa suspension était disciplinaire. Bien qu’il ait subséquemment choisi de suivre un processus non disciplinaire, le fait que ce choix était possible indique l’intention disciplinaire ou la mesure disciplinaire déguisée.

[95]  En ce qui concerne le grief de licenciement, la fonctionnaire soutient que la Commission a pleinement compétence pour examiner le licenciement afin d’évaluer le bien-fondé de la décision sous-jacente de révoquer la cote de fiabilité d’une employée. Il est loisible à la Commission d’écarter la révocation selon le bien-fondé, pour mauvaise foi, une violation de l’équité procédurale ou une restriction des droits prévus par la Charte ou tout autre facteur pertinent.

[96]  À cet égard, la fonctionnaire a déclaré qu’aucun témoin n’avait contredit ses préoccupations quant à la pression pour réaliser des économies, le rejet des demandes auxquelles les citoyens avaient droit et les sanctions qui n’auraient pas dû être imposées. Elle a fait valoir qu’en divulguant des renseignements ministériels et en parlant aux médias, elle a exercé sa liberté d’expression, que son employeur a violée en la suspendant, en révoquant sa cote de fiabilité et en mettant fin à son emploi en fonction de ces activités. Puisque les agissements de l’employeur peuvent se justifier uniquement en vertu de l’article premier de la Charte, et qu’il n’existe aucun élément de preuve appuyant cette justification, les griefs devraient être maintenus pour ce fondement seul.

[97]  Subsidiairement, la fonctionnaire soutient que le concept de mesure disciplinaire déguisée demeure toujours pertinent en vertu d’Heyser pour régler son grief de révocation et de licenciement. En fait, comme pour tous les autres motifs à la disposition de la Commission pour écarter la révocation selon le bien-fondé, la mesure disciplinaire déguisée est également un motif non légitime de licenciement. Par conséquent, si la Commission conclut qu’il y a eu mesure disciplinaire déguisée, la révocation doit alors être écartée.

[98]  La fonctionnaire a soutenu que son licenciement était une mesure disciplinaire déguisée de la part de l’employeur pour dénonciation et que ses agissements étaient conformes à ses obligations de fonctionnaire ainsi qu’aux politiques pertinentes. Dans la même veine, la fonctionnaire soutient que le rapport de réévaluation de la cote de fiabilité ne contient pas d’analyse appropriée des risques. La conclusion selon laquelle elle a divulgué de l’information est insuffisante, et le fait qu’elle l’a délibérément accompli ne constitue pas une évaluation de la fiabilité. Il n’y a aucun élément de preuve selon lequel elle a utilisé l’ordinateur portatif de Mme C pour dissimuler ses agissements. De plus, la déclaration dans le rapport selon laquelle ses agissements ont embarrassé le gouvernement ne concerne pas la fiabilité ou le risque, mais est le résultat de la dénonciation. La conclusion selon laquelle ses agissements ont rompu le lien de confiance ne concerne pas non plus sa fiabilité. Il s’agit d’une preuve selon laquelle le but et l’intention de tout le processus étaient de nature disciplinaire.

[99]  La fonctionnaire a soutenu qu’il n’y avait aucun élément de preuve de préjudice découlant de ses agissements et qu’en dehors du débat public, il n’y a pas eu de conséquences. Certains des documents qu’elle a divulgués étaient de nature anodine et factuelle, et elle n’avait pas l’intention de parler au nom du ministère.

[100]  La fonctionnaire a aussi fait valoir que le processus d’enquête et la décision de révoquer sa cote de fiabilité n’étaient pas équitables du point de vue procédural. Entre autres choses, elle a soutenu qu’elle n’avait pas eu la possibilité de fournir une explication à l’étape de la réévaluation de la cote de fiabilité; elle a été intimidée pendant son entrevue; et, avant la révocation de sa cote de fiabilité, elle n’a pas eu un avis suffisant du type de preuve qu’elle devait présenter ni eu la possibilité de la présenter.

IV. Analyse

A. Le grief portant sur la suspension

[101]  Selon l’employeur, ses actions pour suspendre la fonctionnaire n’étaient que des mesures administratives et non disciplinaires et, à ce titre, sa suspension n’était pas admissible à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la Loi.

[102]  La compétence de la Commission découle de ses lois habilitantes. Les griefs individuels sont renvoyés à l’arbitrage devant elle en vertu de l’article 209 de la Loi. Comme je l’ai mentionné, le grief portant sur la suspension a été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b), alors que le grief portant sur le licenciement a été renvoyé en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i). Ces parties de l’article 209 se lisent comme suit :

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire qui n’est pas un membre, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur  :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite […]

[103]  Pour l’application de l’alinéa 209(1)c), dans le cas d’un employé de l’administration publique centrale, je note que le paragraphe 2(1) de la Loi indique que l’expression « administration publique centrale » a la même signification que celle du paragraphe 11(1) de la LGFP. La LGFP définit « administration publique centrale » comme les « ministères figurant à l’annexe I et les autres secteurs de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe IV ». EDSC figure à l’annexe I de la LGFP et il fait donc partie de l’administration publique centrale.

[104]  Pour que la Commission ait compétence à l’égard du grief portant sur la suspension, la fonctionnaire devait établir non seulement qu’elle avait été suspendue, mais également que sa suspension pour une période indéterminée sans rémunération en attendant l’enquête découlait d’une mesure disciplinaire imposée par l’employeur.

[105]  Au moment de déterminer si la suspension de la fonctionnaire était administrative ou disciplinaire, il faut examiner le contexte pendant la période qui y a mené, comme l’a indiqué Petrovic c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 16, au paragraphe 126 :

[126] La tâche d’un arbitre de grief de traiter une telle objection a été établie au paragraphe 53 de Cassin [2012 CRTFP 37] :

53 Bien qu’un employeur puisse caractériser une suspension comme étant de nature administrative, un arbitre de grief doit néanmoins vérifier cette affirmation et examiner les circonstances entourant l’intention de l’employeur lorsqu’il a décidé de suspendre un fonctionnaire s’estimant lésé, selon le cas. Cette exigence a d’ailleurs été judicieusement confirmée par l’arbitre de grief dans King, s’exprimant ainsi à cet égard au paragraphe 62 […]

[…]

62. Le point essentiel que je retiens de Frazee et des décisions Basra est que je dois examiner les circonstances du présent cas en fonction de la preuve révélatrice de l’intention du défendeur au moment de la suspension du fonctionnaire sans traitement et par la suite. Si je suis convaincu que le défendeur a démontré que, selon la prépondérance des probabilités, l’intention sous-tendant sa décision « administrative » n’était pas disciplinaire au moment où la décision a été prise et qu’elle est demeurée non disciplinaire pendant la suspension en découlant, je dois donc refuser d’exercer ma compétence. À l’inverse, si le défendeur ne s’est pas acquitté de son fardeau, alors je dois conclure que sa décision était disciplinaire dans son essence, peu importe la description qu’en fait le défendeur, et que, par conséquent, j’ai la compétence nécessaire pour examiner le grief aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

[106]  Au moyen d’un courriel du 8 mai 2013, M. Leduc a informé M. Comeau que selon une analyse préliminaire, les enquêteurs avaient des raisons de croire que la fonctionnaire pouvait avoir communiqué plusieurs documents. Il a demandé à obtenir un mandat pour effectuer une enquête administrative, ce que M. Comeau a approuvé la même journée.

[107]  Dans sa lettre à la fonctionnaire du 13 mai 2013, M. Netzel l’a informée de l’enquête administrative sur les allégations selon lesquelles, entre autres choses, elle pouvait avoir divulgué des documents du gouvernement au public, aux médias, à des membres de la famille ou à des amis, contrevenant ainsi à certaines politiques gouvernementales. La lettre l’informait aussi que comme la direction avait conclu qu’elle présentait [traduction] « […] un risque raisonnablement sérieux et immédiat quant aux préoccupations légitimes du Ministère […] », elle était suspendue pour une période indéterminée sans rémunération en attentant le résultat de l’enquête.

[108]  M. Netzel a dit qu’il avait été informé des conclusions préliminaires de l’enquête et qu’il était parvenu à l’étape où la fonctionnaire en constituait un élément essentiel. La lettre avait pour but d’établir l’étape d’enquête et de l’inviter à une entrevue. La lettre indiquait également les allégations qui, si elles étaient fondées, étaient contraires aux politiques. M. Netzel a insisté pour dire qu’il s’agissait d’allégations à ce moment-là, puisque l’enquête était en cours.

[109]  M. Netzel a déclaré que la fonctionnaire devait être suspendue parce qu’il craignait légitimement que d’autres documents puissent avoir été communiqués après le rapport sur les économies de la DGSI qui a été communiqué sans contexte et aurait pu induire en erreur. Le Guide des opérations et les documents subséquents étaient plus préoccupants, puisqu’ils commençaient à mettre l’AE à risque. La publication de ces documents donnait un accès aux personnes qui avaient tendance à défier le système et à le frauder. Il pensait également au risque pour la sécurité du personnel, dans l’éventualité où un demandeur mécontent décidait de passer à l’action.

[110]  De plus, comme EDSC se voit confier les renseignements privés de citoyens et qu’il avait constaté la publication de renseignements personnels de demandeurs à deux reprises, il souhaitait empêcher le risque que d’autres publications divulguent ce type de renseignements. Bien qu’une enquête approfondie sur les allégations soit nécessaire, M. Netzel a affirmé que selon les renseignements disponibles, il a conclu que la fonctionnaire représentait un risque sérieux et immédiat pour le Ministère.

[111]  En contre-interrogatoire, M. Netzel a reconnu que même s’il n’avait pas de renseignements précis selon lesquels des personnes tentaient de frauder le système, cela demeurait une possibilité. Il a aussi reconnu ne pas avoir eu connaissance de menaces précises de risque pour le personnel. Il se préoccupait de la sécurité du personnel en raison des cas rapportés concernant des membres du public mécontents. Pour ce qui est du risque de publication de renseignements de demandeurs, rien n’indiquait que la fonctionnaire le ferait.

[112]  M. Netzel a déclaré que même si la lettre du 13 mai 2013 renvoyait à la prise de mesures administratives ou disciplinaires si les allégations formulées contre la fonctionnaire s’avéraient fondées, il a dit que la voie disciplinaire n’avait pas été suivie puisque, selon sa compréhension du processus, une fois que le processus administratif a été entamé, le processus disciplinaire ne l’était pas, pour éviter le chevauchement.

[113]  M. Netzel a dit qu’il envisagerait des mesures disciplinaires uniquement lorsque l’enquête prend fin. Même s’il existait deux possibilités, la mesure disciplinaire et la révocation de la cote de fiabilité, la dernière relève du domaine de la sécurité, à l’égard duquel il n’avait pas de pouvoir.

[114]  Dans les circonstances comme celles en l’espèce, l’employeur a le loisir de poursuivre un processus administratif ou disciplinaire. La fonctionnaire semble avoir reconnu dans son argumentation que la seule raison pour laquelle l’employeur n’a pas entamé le processus disciplinaire est parce qu’il n’avait pas à le faire ce qui, à son avis, constituait une mesure disciplinaire déguisée. La fonctionnaire n’a présenté aucune autorité pour appuyer la proposition selon laquelle le choix de l’employeur de suivre un processus non disciplinaire suffisait pour constituer une mesure disciplinaire déguisée.

[115]  La fonctionnaire a aussi soutenu que la lettre de suspension renvoyait aux politiques qu’elle pouvait avoir violées, ce qui normalement serait géré au moyen du processus disciplinaire. Il me semble que la question de savoir si une violation alléguée d’une politique de l’employeur attire normalement l’imposition d’une mesure disciplinaire ne signifie pas qu’il s’agira nécessairement de la réponse de l’employeur dans toutes les circonstances.

[116]  Le libellé employé dans la lettre du 13 mai 2013, comme [traduction] « il est possible que vous ayez », [traduction] « allégations » et [traduction] « votre cote de fiabilité ou votre cote de sécurité peut aussi être révisée […] », indique clairement qu’à ce moment, la fonctionnaire était informée des allégations d’actes répréhensibles sur lesquelles l’employeur ferait enquête.

[117]  M. Netzel a évalué le risque et décidé de retirer la fonctionnaire du lieu de travail en attendant le résultat de l’enquête. Comme il l’a reconnu, il est vrai que certains des risques qu’il envisageait ne se sont pas matérialisés. Toutefois, selon les conclusions de l’enquête préliminaire et plusieurs articles qui ont été publiés dans Le Devoir, il n’était pas déraisonnable pour M. Netzel d’avoir examiné et conclu honnêtement qu’il pourrait y avoir d’autres fuites dans les médias et que puisque la fonctionnaire avait été désignée comme la source potentielle des fuites, elle devait être retirée du lieu de travail. De plus, il a déclaré qu’il n’y avait pas d’autres postes à Service Canada dont elle pouvait accomplir les fonctions sans avoir accès aux systèmes électroniques de l’employeur.

[118]  Je n’ai trouvé aucune indication dans le témoignage de M. Netzel ni ailleurs dans la preuve que lorsqu’il a suspendu la fonctionnaire, il avait l’intention d’imposer une mesure disciplinaire. Il a indiqué très clairement que s’il avait envisagé de lui imposer une mesure disciplinaire, il l’aurait envisagé seulement après la fin de l’enquête. Dans les circonstances, je conclus que l’employeur a démontré selon la prépondérance des probabilités qu’il n’avait aucune intention disciplinaire lorsqu’il a décidé de la suspendre sans rémunération en attendant le résultat de l’enquête. Je note qu’aucun argument n’a été présenté selon lequel sa suspension administrative est devenue disciplinaire avec le passage du temps.

[119]  Par conséquent, l’objection de l’employeur est maintenue en ce qui concerne le grief portant sur la suspension et qu’à ce titre ce grief est rejeté.

B. Le grief portant sur le licenciement

[120]  Bien qu’il se soit objecté au départ au caractère arbitrable du grief portant sur le licenciement au motif qu’il s’agissait d’une mesure administrative, l’employeur a reconnu par la suite qu’en raison de Heyser, la Commission a pleine compétence en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la Loi pour déterminer si le licenciement de la fonctionnaire était fondé sur des motifs légitimes.

[121]  Malgré cela, la fonctionnaire m’a demandé de conclure que la révocation de sa cote de fiabilité et son licenciement constituaient une mesure disciplinaire déguisée. Toutefois, les décisions de la Cour d’appel fédérale dans Bergey c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 30; Canada (Procureur général) c. Féthière, 2017 CAF 66; et Heyser ont indiqué très clairement que la Commission a pleine compétence sur les questions concernant la révocation de la cote de fiabilité d’un employé et son licenciement qui en résulte et qu’il n’est plus nécessaire que la Commission invoque le concept des mesures disciplinaires déguisées, peu importe le motif énoncé de l’employeur pour procéder à la révocation (voir Heyser aux paragraphes 73, 75 et 79).

[122]  La question à laquelle il faut répondre dans des cas comme la présente affaire est celle de savoir si le licenciement était valable, à savoir si la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire était fondée sur des motifs valables et légitimes et si elle était justifiée selon les politiques pertinentes. Dans Heyser, la Cour a déclaré ce qui suit :

[…]

[76]  Dans des circonstances semblables à celles ayant mené au présent litige, il appartient donc à la Commission de décider si le licenciement pour motif non disciplinaire était motivé. Pour y parvenir, la Commission doit décider, en se basant sur les faits pertinents ayant mené à la révocation et sur les politiques pertinentes adoptées par le Conseil du Trésor en sa qualité d’employeur, si le licenciement est motivé, ce qui signifie qu’elle doit faire enquête pour décider si la révocation est justifiée par des motifs légitimes et valables.

[77]  Je suis d’avis que, si la révocation est justifiée eu égard aux politiques pertinentes, le licenciement qui en résulte est motivé. Autrement dit, lorsque l’employeur licencie un employé pour des motifs non disciplinaires, par exemple parce que l’employé a perdu sa cote de fiabilité, comme c’est le cas en l’espèce, la Commission doit décider si la révocation à l’origine du licenciement était justifiée. Si c’est le cas, alors l’employeur a démontré que le licenciement était motivé. Si, au contraire, l’employeur ne réussit pas à démontrer que la révocation était fondée sur des motifs valables, alors le licenciement n’est pas justifié et l’employé, comme l’a ordonné l’arbitre en l’espèce, doit être réintégré dans ses fonctions.

[…]

[123]  Par conséquent, je ne crois pas qu’il est nécessaire d’analyser le grief portant sur le licenciement selon la perspective de la question de savoir si les actions de l’employeur constituaient une mesure disciplinaire déguisée. Je vais plutôt analyser les circonstances de la révocation et du licenciement afin de déterminer si le licenciement était motivé.

[124]  La question de savoir si la fonctionnaire a divulgué les documents aux médias n’est pas en litige, puisqu’elle a admis l’avoir fait dans l’entrevue à la CBC du 20 juillet 2013, puis dans sa réplique au rapport d’enquête administrative du 23 août 2013. Le principal argument de la fonctionnaire est plutôt qu’elle a été licenciée parce qu’elle est une dénonciatrice. Elle a aussi soulevé des préoccupations quant à l’équité de l’enquête et, dans le même ordre d’idées, aux motifs et aux faits sous-tendant la révocation de sa cote de fiabilité. Comme je vais l’expliquer, je n’accepte pas ses arguments et, à mon avis, son licenciement était motivé.

1.  1. La fonctionnaire s’estimant lésée peut-elle se prévaloir de la défense de dénonciation?

[125]  Les fonctionnaires ont une obligation de loyauté envers le gouvernement du Canada. L’objectif de cette obligation est « de promouvoir une fonction publique impartiale et efficace » (voir Haydon c. Canada, [2001] 2 CF 82, au paragraphe 79). Comme la Cour fédérale l’a déclaré dans Stenhouse c. Canada (Procureur général), 2004 CF 375, au paragraphe 32, « [l]a liberté d’un fonctionnaire […] de s’exprimer à l’encontre des intérêts de son supérieur hiérarchique ou de son employeur lorsqu’il s’agit d’actes illégaux ou de pratiques ou politiques contraires à la sécurité est protégée par la common law et la Charte […] [est] ce qu’on appelle ordinairement la défense de “dénonciateur” ». La liberté d’expression d’un fonctionnaire l’emporte sur son obligation de loyauté envers l’employeur dans certaines circonstances seulement, comme la Cour suprême du Canada l’a établi comme suit dans Fraser c. C.R.T.F.P., [1985] 2 RCS 455, à la page 470 :

[…]

[…] En règle générale, les fonctionnaires fédéraux doivent être loyaux envers leur employeur, le gouvernement du Canada […] En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l’égard des politiques d’un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d’autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n’avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d’une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude […]

[…]

[126]  D’autres catégories d’actes répréhensibles pourraient aussi inclure ceux indiqués à l’article 8 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (L.C. 2005, ch. 46; LPFDAR), comme l’usage abusif des fonds ou des biens publics, les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public ou le fait de sciemment ordonner à une personne de commettre un acte répréhensible.

[127]  Malgré la prétention de l’employeur selon laquelle il est inutile de formuler une conclusion quant à la question de savoir si la fonctionnaire était une dénonciatrice, la Cour fédérale dans Stenhouse a déclaré qu’« […] un fonctionnaire […] qui s’exprime publiquement sur une question d’importance publique ne peut être licencié si l’affaire en cause tombe sous les exceptions identifiées par la Cour suprême » (au paragraphe 34). De même, bien que la fonctionnaire soutienne que les actions de l’employeur en l’espèce puissent se justifier en vertu de l’article premier de la Charte comme une limite raisonnable à la liberté d’expression, l’obligation de loyauté de la common law formulée dans Fraser a été jugée comme respectant suffisamment la liberté d’expression et elle constitue donc une limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte (voir Haydon, aux paragraphes 61 à 89). Par conséquent, en ce qui concerne sa prétention selon laquelle l’employeur l’a licenciée parce qu’elle était une dénonciatrice, il s’agit de savoir si elle s’est exprimée sur une question d’importance publique qui tombe sous une exception à l’obligation de loyauté. À mon avis, ses agissements n’ont pas tombé sous cette exception.

[128]  La fonctionnaire a relevé cinq articles de journaux dont elle était l’objet qui l’ont désignée comme une dénonciatrice en raison de ses divulgations en litige en l’espèce. Même si l’employeur ne s’est pas opposé à leur dépôt en preuve, il a soutenu qu’ils constituaient une preuve inacceptable sous forme d’opinion pour laquelle elle a fourni uniquement le contexte et qu’elle ne peut pas les invoquer. Il a fait valoir que les auteurs des articles n’étaient pas des experts sur le sujet et que les articles contenaient des déclarations intéressées. La fonctionnaire a soutenu que les articles de journaux n’avaient pas été déposés à titre de preuve d’expert, mais pour démontrer que des organisations légitimes la considéraient comme une dénonciatrice.

[129]  Bien que certaines personnes et organisations puissent considérer la fonctionnaire comme une dénonciatrice, la pertinence de ce point de vue en ce qui concerne les exigences du critère Fraser n’a pas été établie. Encore une fois, il s’agit de savoir si elle s’est exprimée sur une question d’importance publique qui tombait sous une exception à l’obligation de loyauté. Les articles de journaux ne permettent pas d’aborder cette question.

[130]  La fonctionnaire a fait valoir qu’elle tombe sous l’exception relative à la vie, la santé ou la sécurité de l’obligation de loyauté exprimée dans Fraser à cause de l’effet de cette situation sur sa santé et son bien-être.

[131]  La seule référence à sa santé se trouve dans son témoignage et elle est exprimée dans sa déclaration des questions reçues par Mme Minichiello le 18 mars 2013 qui indiquait qu’elle trouvait que l’ambiance de travail au bureau du Harbour Centre de Vancouver était plus difficile et stressante qu’à Nanaimo.

[132]  La fonctionnaire n’a présenté aucun élément de preuve sur la façon dont les politiques de l’employeur ont compromis sa santé ou sa sécurité. Elle n’a pas non plus présenté d’éléments de preuve médicale ou autres des effets sur sa santé. À mon avis, sa seule affirmation selon laquelle sa santé était touchée, sans plus, ne suffit pas pour assujettir ses agissements à l’exception de Fraser. Je rejette donc l’argument selon lequel la divulgation par elle de renseignements aux médias avait pour but de protéger sa santé et son bien-être.

[133]  La fonctionnaire a aussi déclaré qu’elle avait divulgué les documents parce qu’ils étaient dans l’intérêt public. Dans le cadre de son témoignage, elle a déclaré qu’en plus des objectifs d’économies, leur raison d’être était que Service Canada faisait preuve d’une mauvaise gestion flagrante en n’attribuant pas des fonds publics aux secteurs qui en auraient eu besoin et qu’il [traduction] « pillait » les fonds d’AE.

[134]  Tout d’abord, la fonctionnaire n’a pas déposé la moindre preuve pour appuyer ses allégations de mauvaise gestion flagrante. Par conséquent, je n’accepte pas ses prétentions sur ces questions. Ensuite, on a conclu que l’« intérêt public légitime » n’est pas une autre catégorie distincte d’exception de celles établies dans Fraser. Dans Read c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 283, un employé a été licencié pour avoir violé son obligation de loyauté et son serment du secret. Il a soutenu que les questions qu’il avait soulevées représentaient une exception supplémentaire à l’obligation de loyauté d’un fonctionnaire envers son employeur, à savoir un « intérêt public légitime », qui devait être débattu ouvertement. La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument et a formulé les commentaires suivants en ce qui concerne l’objet des exceptions formulées dans Fraser qui, selon moi, sont pertinentes aux prétentions de la fonctionnaire en l’espèce :

[…]

[119] […] Il importe de se rappeler que l’objet des exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser […] n’est pas d’encourager ou d’autoriser les fonctionnaires à débattre de questions comme s’ils étaient des membres ordinaires du public, libres de responsabilités envers leur employeur. D’après moi, l’objet des exceptions est plutôt de permettre aux fonctionnaires de dévoiler, dans des circonstances exceptionnelles, des actes répréhensibles du gouvernement. Il me semble que les exceptions sont assez larges pour permettre aux fonctionnaires de s’exprimer dans les cas où la divulgation doit avoir préséance sur l’obligation de loyauté.

[120] Les exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser […] à savoir le cas où le gouvernement s’engage dans des activités illégales ou celui où ses politiques mettent en danger la vie, la santé ou la sécurité du public ou de membres du public, sont sans aucun doute des questions qui suscitent un intérêt public légitime. Il ressort clairement toutefois des mots employés par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Fraser […] qu’il n’entendait pas créer une exception de nature à permettre aux fonctionnaires d’exprimer tous leurs doutes ou désaccords à propos de politiques gouvernementales et d’activités ministérielles. Je n’ai aucun doute que, si telle avait été son intention, les exceptions auraient été énoncées d’une manière très différente. Je suis donc d’accord avec le juge Harrington lorsqu’il dit, au paragraphe 109 de ses motifs, que « [c]ependant, je ne considère pas que l’intérêt public légitime en général constitue une exception à l’obligation de loyauté d’un employé envers son employeur ».

[…]

[Je mets en évidence]

[135]  La fonctionnaire a aussi déclaré qu’elle s’est sentie obligée de divulguer les documents au public parce qu’elle n’arrivait à rien au moyen des voies internes. Elle a dit qu’elle a exprimé les questions dans le lieu de travail, comme un conflit d’intérêts allégué entre les ESI et les arbitres, soit à la réunion de l’équipe de Burnaby le 11 avril 2013.

[136]  La seule preuve concrète du fait que la fonctionnaire a soulevé les questions à l’interne était l’énoncé des questions qu’elle a envoyées à Mme Minichiello en ce qui concerne le comportement irrespectueux et le harcèlement allégués à son endroit par la direction d’Harbour Centre. L’enquête de Mme Cook a permis de conclure que ses prétentions n’étaient pas fondées et elle n’a pas donné suite à l’affaire. Sur cette question, la fonctionnaire a été renvoyée à la section 3 du Code de conduite intitulée « Pistes de résolution », dont l’élément « c », intitulé « Divulgation d’actes répréhensibles » indique les trois possibilités suivantes pour signaler un acte répréhensible : le superviseur immédiat, l’agent supérieur de la divulgation du ministère ou le Commissaire à l’intégrité du secteur public. Elle a dit qu’elle n’était pas au courant de l’existence d’un poste d’agent supérieur de la divulgation, mais qu’elle connaissait les deux autres.

[137]  En tout état de cause, la fonctionnaire a fait valoir que la question de savoir si elle avait soulevé ses préoccupations à l’interne avant de divulguer les documents aux médias n’était pas déterminante et qu’il s’agissait simplement d’un facteur à prendre en considération qui n’est pas absolu. Bien que ce soit peut-être vrai, je remarque qu’elle a elle-même soulevé le manque d’action interne comme raison justifiant sa divulgation au public. Il lui revenait ainsi de présenter certains éléments de preuve pour appuyer cette prétention. Comme je l’ai indiqué dans le paragraphe qui précède, je conclus qu’il existe peu d’éléments de preuve pour appuyer le fait qu’elle avait soulevé les préoccupations qui faisaient l’objet de ses divulgations à l’attention de la direction avant de divulguer les renseignements au journaliste. Plus important, son besoin de divulgation énoncé n’était pas fondé sur un acte répréhensible du gouvernement ou un manque d’action. Encore une fois, comme l’a indiqué Read, le simple fait qu’elle avait des préoccupations quant aux activités de l’employeur ou même son enquête et sa réponse, ou qu’elle ne les approuvait pas, ne faisait pas en sorte que ses agissements représentaient des exceptions formulées dans Fraser.

[138]  La fonctionnaire s’est comparée aux fonctionnaires s’estimant lésés dans Haydon et a soutenu que si les commentaires en litige dans cette affaire étaient protégés, ses documents devraient alors également l’être. Les fonctionnaires s’estimant lésés dans Haydon étaient des évaluateurs en matière de médicaments responsables de l’évaluation scientifique des nouveaux médicaments vétérinaires qui, entre autres choses, évaluaient la question de savoir si les nouveaux médicaments respectaient les exigences en matière d’innocuité. Dans le cadre de leurs fonctions, les fonctionnaires s’estimant lésés sont devenus fort préoccupés au sujet du processus d’approbation des médicaments en général et, notamment, du processus d’approbation portant sur les hormones de croissance qui stimulent la production de la viande et du lait. Ils ont fait des efforts répétés pour se faire entendre à l’interne, entre autres, ils demandaient une enquête externe et ils ont transmis leurs préoccupations au ministre de la Santé et au premier ministre, ils ont présenté à l’interne plusieurs griefs en bonne et due forme et se sont adressés au prédécesseur de la Commission, la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Ils ont finalement décidé d’accorder une entrevue à la télévision nationale, au cours de laquelle ils ont exprimé leurs préoccupations sérieuses quant au processus d’évaluation des médicaments et à l’impact que les problèmes en cause pourraient avoir sur la santé des Canadiens et Canadiennes. Ils ont été réprimandés pour avoir manqué à leur obligation de loyauté, et leurs griefs liés à cette mesure ont été rejetés par le sous-ministre délégué de Santé Canada.

[139]  Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a conclu qu’il y avait une preuve suffisante permettant de conclure que les critiques publiques étaient visées par l’une des exceptions de l’obligation de loyauté énoncée dans Fraser, à savoir la divulgation de politiques mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité du public. De plus, la Cour était d’avis que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient cherché de plusieurs façons à obtenir qu’on examine leurs préoccupations à l’interne, sans succès. La Cour a conclu que n’ayant pas tenu compte du contexte qui a mené aux commentaires faits publiquement à la télévision nationale, le sous-ministre délégué a commis une erreur dans l’application du critère de Fraser et elle a annulé sa décision.

[140]  Dans la présente affaire, j’ai conclu que la fonctionnaire n’est pas visée par l’exception relative à la santé ou à la sécurité du critère Fraser et elle ne s’est pas efforcée de faire traiter ses préoccupations à l’interne. À ce titre, le contexte de la décision dans Haydon se distingue de celui de la présente affaire et je conclus que cette décision n’appuie pas la position de la fonctionnaire.

[141]  Pour toutes les raisons qui précèdent, je conclus que la fonctionnaire n’a pas établi qu’elle s’est exprimée sur une question d’importance publique qui tombe sous une exception à l’obligation de loyauté.

[142]  Enfin, bien que les parties ne l’aient pas soulevé, je souhaite aborder une question en ce qui concerne la compétence de la Commission relativement aux allégations de dénonciation de la fonctionnaire. Le paragraphe 208(2) de la Loi indique qu’un fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale. La LPFDAR est un autre recours administratif de réparation qui est ouvert pour les représailles alléguées en ce qui concerne les dénonciations. Je prends connaissance d’office que la fonctionnaire a utilisé ce recours (voir Therrien c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1351; Therrien c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 14). Cela étant dit, l’alinéa 51a) de la LPFDAR indique ce qui suit :

51 Sous réserve des paragraphes 19.1(4) et 21.8(4), la présente loi ne porte pas atteinte :

a) au droit du fonctionnaire de présenter un grief individuel en vertu du paragraphe 208(1) ou de l’article 238.24 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral […]

[143]  Après avoir examiné le régime de la Loi et de la LPFDAR, je suis convaincu que l’alinéa 51a) de la LPFDAR s’applique comme une exception au paragraphe 208(2) de la Loi en l’espèce. Ainsi, l’existence d’un recours administratif de réparation ne m’empêche pas d’entendre les présents griefs.

2.  2. La fonctionnaire s’estimant lésée a-t-elle été traitée équitablement?

[144]  La fonctionnaire a aussi soulevé plusieurs arguments selon lesquels l’employeur a contrevenu à l’équité procédurale pendant le processus d’enquête. La jurisprudence constante de la Commission et de son prédécesseur indique que les audiences par un arbitre de grief sont des audiences de novo et qu’une violation de l’équité procédurale qui pourrait être survenue est corrigée par l’arbitrage du grief (voir, par exemple, Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (CA) (QL); Maas et Turner c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 123, au paragraphe 118; Pajic c. Opérations des enquêtes statistiques, 2012 CRTFP 70; Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291 (demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée dans [2016] S.C.C.A. no 59 (QL)).

[145]  De plus, la jurisprudence n’appuie pas l’argument de la fonctionnaire selon lequel ce concept est limité aux lacunes de la procédure de règlement des griefs. En tout état de cause, comme je vais maintenant l’examiner, rien dans l’enquête ne m’a permis de conclure qu’une violation de l’équité procédurale ou de la justice naturelle n’est survenue.

[146]  La fonctionnaire a déclaré que durant son entrevue du 15 mai 2013, les enquêteurs l’ont intimidée et tourmentée avec des questions répétitives. Elle avait l’impression qu’on faisait pression sur elle pour continuer l’entrevue après qu’elle eut décidé de partir et que son représentant, M. Strang, n’avait pas le droit de parler.

[147]  Après avoir écouté attentivement tout l’enregistrement de l’entrevue de la fonctionnaire, je ne suis pas d’accord avec sa qualification de cet événement. M. Leduc, qui a mené l’entrevue, est demeuré respectueux pendant toute l’entrevue et il a adopté un ton de conversation. Au début, à 14 h, elle a appris qu’elle était enregistrée et qu’elle obtiendrait une copie de l’enregistrement. Elle a alors été invitée à décrire son historique d’emploi à la fonction publique, ce qu’elle a fait. M. Leduc a abordé les allégations relatives à sa conduite. Il lui a montré les articles publiés dans Le Devoir et lui a demandé sa réponse. Il lui a montré les courriels qu’elle avait envoyés à son compte de courriel personnel ainsi qu’à celui de Mme C, et les documents ministériels qu’elle y avait joints.

[148]  Vers la 24e minute de l’enregistrement, alors que le sujet portait sur les objectifs d’économies, M. Strang a mentionné son expérience à EDSC.

[149]  Vers la 27e minute de l’enregistrement, la fonctionnaire a été interrogée sur la question de savoir si elle avait formulé un commentaire rapporté dans l’un des articles, moment auquel M. Strang s’est interposé en indiquant qu’il s’agissait d’un ouï-dire, ce à quoi les enquêteurs n’ont pas répondu. Environ une minute plus tard, en réponse à une question posée à la fonctionnaire, M. Strang s’est encore une fois interposé pour dire qu’il y avait eu corroboration. À ce moment, les enquêteurs lui ont dit que seule la fonctionnaire devait répondre aux questions qui lui étaient posées.

[150]  Vers la 45e minute, lorsque la fonctionnaire a été interrogée au sujet du nom de Mme C, M. Strang est intervenu pour demander si ces renseignements étaient pertinents. Les enquêteurs lui ont dit que c’était le cas.

[151]  Vers la 58e minute, M. Leduc a dit qu’ils ne cherchaient pas à trouver un coupable, mais qu’ils voulaient comprendre la situation. La fonctionnaire a répondu qu’elle voulait qu’ils comprennent qu’elle n’avait pas divulgué les documents.

[152]  La fonctionnaire a alors dit aux enquêteurs qu’elle n’aimerait pas avoir leur travail, car ils torturent presque les gens. M. Leduc lui a demandé s’ils la torturaient, elle a répondu d’une voix normale et presque badine qu’elle dirait qu’ils la torturaient.

[153]  Peu de temps après, les enquêteurs ont dit à la fonctionnaire qu’ils tentaient de lui faire comprendre qu’il était dans son intérêt d’être honnête.

[154]  M. Strang a demandé une pause vers 15 h. Pendant la pause, la fonctionnaire a téléphoné à son avocat. Lorsqu’elle est revenue dans la salle d’entrevue, elle a dit qu’elle avait des droits garantis par la Charte et qu’elle pouvait partir si elle le souhaitait. Elle a dit aux enquêteurs qu’ils avaient tous les documents leur permettant de faire leur travail sans elle, qu’ils devraient faire leur travail et qu’elle ferait le sien. Lorsqu’ils lui ont demandé s’ils devaient comprendre qu’elle mettait fin à l’entrevue, elle a répondu qu’ils comprenaient très bien. Sur l’enregistrement, on entend le bruissement de papier qui est rangé. M. Côté et M. Leduc ont déclaré que la fonctionnaire était libre de quitter l’entrevue à tout moment.

[155]  La fonctionnaire a finalement décidé de rester et, à la reprise de l’entrevue à 15 h 15, M. Leduc a demandé à la fonctionnaire puis à M. Strang s’ils avaient des questions, ce à quoi ils ont répondu par la négative.

[156]  Vers la 42e minute du deuxième fichier audio, pendant une discussion sur les objectifs d’économies, M. Strang a dit que les objectifs n’étaient pas uniformes pour toutes les unités. Il a demandé une pause vers 16 h. Lorsqu’ils ont repris, à la demande de la fonctionnaire, les enquêteurs ont convenu que l’entrevue prendra fin à 16 h 30. En fait, elle s’est terminée à 16 h 15. À ce moment, une discussion a commencé sur la transmission d’une copie de l’enregistrement à la fonctionnaire.

[157]  L’employeur a soutenu que le fait que la fonctionnaire n’ait pas appelé M. Strang pour témoigner au sujet de l’entrevue était révélateur et qu’une inférence défavorable devait donc être tirée. À mon avis, l’enregistrement audio me permet clairement de conclure que les enquêteurs ne l’ont pas intimidée. Leur ton était respectueux et professionnel et ils n’ont pas empêché M. Strang de formuler certaines observations.

[158]  Un autre exemple d’une violation alléguée de l’équité procédurale avancée par la fonctionnaire était que M. Jacques ne l’avait pas rencontrée avant de soumettre son rapport d’évaluation de la cote de fiabilité, ce qui l’avait privée d’une possibilité de fournir une explication à cette étape. De plus, elle n’a pas obtenu de copie. Elle a soutenu qu’elle aurait dû avoir la chance d’aborder tout renseignement défavorable figurant dans le rapport.

[159]  Selon le témoignage non contredit de M. Jacques, lorsqu’il prépare des rapports de réévaluation de la cote de fiabilité, il ne rencontre pas les sujets. Il prépare son rapport selon le rapport d’enquête administrative et des documents connexes et il formule une recommandation. Le rapport est ensuite remis à l’ASM pour décision.

[160]  Dans la lettre de M. Netzel du 13 mai 2013 l’informant de sa suspension, ce dernier a avisé la fonctionnaire que sa cote de fiabilité pouvait être révisée. Elle a indiqué qu’elle en était consciente dans un courriel envoyé à la même date à son ancien conjoint.

[161]  M. Jacques a fondé sa réévaluation de la cote de fiabilité sur le rapport d’enquête administrative et des documents pertinents, y compris la réplique de la fonctionnaire qui, selon lui, n’abordait pas la question de la cote de fiabilité. Rien dans la preuve n’indiquait qu’il existait une exigence selon laquelle le sujet d’un rapport de réévaluation de la cote de fiabilité doit en obtenir une copie.

[162]  Comme elle savait que sa cote de fiabilité pouvait être compromise, la fonctionnaire aurait pu aborder cette question dans sa réplique au rapport d’enquête administrative. Bien qu’elle ait fait valoir que sa réplique n’avait pas cet objectif, il demeure qu’elle avait la possibilité de le faire. De même, les explications supplémentaires devant être fournies à l’étape de la réévaluation de la cote de fiabilité qui différaient de celles qui figuraient dans sa réplique n’étaient pas claires. En tout état de cause, elle a eu l’occasion d’aborder toute question relative au rapport de réévaluation de la cote de fiabilité pendant l’audience.

[163]  Le dernier exemple d’une violation alléguée de l’équité procédurale que je vais aborder est le témoignage et les arguments de la fonctionnaire selon lesquels elle n’a pas obtenu de copie de l’addenda au rapport d’enquête administrative du 25 juillet 2013. La question de savoir si elle l’a reçu n’est pas tout à fait claire. Bien que M. Comeau ait déclaré qu’elle ne l’avait pas reçu, lorsqu’on lui a montré un courriel du 12 août 2013, dont elle n’a pas obtenu une copie conforme, mais qui indiquait qu’une copie traduite de l’addenda lui avait était envoyée par messagerie cette journée-là et qui renvoyait à la prorogation accordée pour présenter sa réplique, la fonctionnaire a dit qu’elle n’en avait aucun souvenir.

[164]  En tout état de cause, à mon avis, il est inutile de formuler une conclusion sur la question de savoir si elle a reçu l’addenda. La preuve montre qu’il n’a pas modifié les conclusions du rapport d’enquête administrative. Jusqu’à ce moment, la fonctionnaire avait nié avoir divulgué les documents ministériels aux médias. Le rapport d’enquête administrative indiquait les faits recueillis pendant l’enquête et la conclusion des enquêteurs selon laquelle elle était la source des fuites. Pendant l’entrevue à la CBC, elle a admis avoir divulgué les documents, ce qui a confirmé la conclusion des enquêteurs.

[165]  À l’audience, en dehors de la déclaration selon laquelle elle n’avait pas reçu une copie de l’addenda, le témoignage de la fonctionnaire n’abordait pas par ailleurs ce document. Elle n’a pas contesté le contenu de l’addenda ou soutenu qu’il était erroné. Je conclus donc qu’en ce qui concerne l’addenda, elle n’a pas prouvé une violation de l’équité procédurale par l’employeur.

3.  3. Le licenciement de la fonctionnaire s’estimant lésée était-il motivé?

[166]  Le maintien de sa cote de fiabilité constituait une condition d’emploi pour la fonctionnaire. Si elle a été révoquée pour un motif légitime, son licenciement était alors motivé. À cet égard, elle soutient que le rapport de réévaluation de la cote de fiabilité ne contenait pas d’analyse appropriée des risques.

[167]  La cote de fiabilité a été décrite comme suit dans Bergey au paragraphe 23 :

La cote de fiabilité désigne la fiabilité et la loyauté d’un employé et signifie qu’on peut lui confier des renseignements confidentiels et des biens de l’État. Il s’agit du niveau de sécurité le moins élevé. À l’heure actuelle (et conformément aux politiques en place à l’époque des faits), tous […] les fonctionnaires fédéraux occupant des postes à long terme doivent posséder au moins la cote de fiabilité […] Dans le cas des employés de ministères fédéraux, la cote de fiabilité peut être accordée et révoquée par un agent de sécurité du ministère.

[168]  Comme l’indique le paragraphe 22 de Bergey, conformément à l’autorité prévue aux articles 7, 11 et 11.1 de la LGFP, le Conseil du Trésor en tant qu’employeur a adopté des politiques relatives à la cote de sécurité ou à l’habilitation de sécurité que les employés doivent posséder. La politique applicable en ce qui concerne la cote de sécurité en l’espèce est la Norme sur la sécurité du personnel, modifiée en 2002. La lettre de M. Comeau du 8 juillet 2013 transmettant le rapport d’enquête administrative à M. Netzel indiquait que l’enquête avait révélé que la fonctionnaire avait violé la Politique de communication du gouvernement du Canada et le Code de conduite. Le rapport de réévaluation de la cote de fiabilité préparé par M. Jacques renvoyait également au Code de VE.

[169]  L’article 2.1 de la Norme sur la sécurité du personnel indique qu’« [u]ne saine gestion du personnel exige qu’on évalue la loyauté des employés et détermine s’ils conviennent au poste afin de protéger les intérêts de l’employeur ». L’article 5 de la politique indique qu’« [à] la suite d’une mise à jour ou d’une révision découlant de la découverte de nouveaux renseignements défavorables, on pourrait révoquer la cote de fiabilité ou la cote de sécurité de la personne concernée ». L’annexe B, intitulée « Lignes directrices concernant l’utilisation des informations pour les vérifications de fiabilité », indique à l’article 3 ce qui suit en ce qui concerne l’évaluation de la fiabilité :

En vérifiant la fiabilité de la personne, il faut se demander s’il peut se montrer digne de la confiance qu’on lui accordera. Autrement dit, il faut chercher à savoir s’il pourrait voler des objets précieux, utiliser à son profit les biens et renseignements auxquels il aura accès ou ne pas protéger les biens et renseignements, ou se comporter d’une façon qui nuirait à leur protection. Pour ce faire, il faut évaluer les risques éventuels entraînés par la nomination ou l’affectation et, compte tenu du degré de fiabilité requis et de la nature des fonctions à remplir, déterminer si ces risques sont acceptables ou non.

[170]  Le rapport de réévaluation de la cote de fiabilité du 10 septembre 2013 reprend ce paragraphe dans sa section intitulée [traduction] « Partie I : Facteurs de la réévaluation de la cote de fiabilité ». La partie II du rapport porte sur les conclusions du rapport d’enquête administrative, à savoir que les [traduction] « activités et comportements » de la fonctionnaire contrevenaient à la Politique de communication du gouvernement du Canada et au Code de conduite. Le rapport de réévaluation de la cote de fiabilité indique ensuite que ses [traduction] « agissements et comportements » ont eu une incidence négative sur sa fiabilité, définie par la Norme sur la sécurité du personnel et il reproduit les extraits suivants tirés de l’article 3 de l’annexe B de ce document :

[Traduction]

1. Il faut se demander si la personne peut se montrer digne de la confiance qu’on lui accordera.

2. Il faut chercher à savoir si la personne pourrait voler des objets précieux, utiliser à son profit les biens et renseignements auxquels elle aura accès ou ne pas protéger les biens et renseignements, ou se comporter d’une façon qui nuirait à leur protection.

[171]  La partie III du rapport de réévaluation de la cote de fiabilité, intitulée [traduction] « Commentaires généraux », renvoie d’abord aux définitions de dictionnaire de [traduction] « franchise » et [traduction] « honnête ». Elle indique ensuite que l’activité de la fonctionnaire [traduction] « […] met en doute sa franchise et ses traits de caractère, de même que son caractère approprié en général, qui sont des principes fondamentaux de l’obtention et du maintien d’une cote de fiabilité ». Dans son témoignage, M. Jacques a dit que l’expression [traduction] « traits de caractère » peut avoir été un mauvais choix de mots. Il voulait parler de la loyauté d’une personne, de sa capacité à protéger les renseignements et de la question de savoir si la personne est digne de confiance.

[172]  La partie V du rapport de réévaluation de la cote de fiabilité, intitulée [traduction] « Recommandations », se conclut comme suit :

[Traduction]

Selon les renseignements fournis et la preuve découverte durant l’enquête, il n’y a aucun doute dans l’esprit de l’auteur que Sylvie Therrien a divulgué des renseignements protégés qui étaient réservés à l’usage interne. Cela est confirmé par sa propre admission au journaliste de CBC News durant son entrevue devant la caméra, dans le cadre de laquelle elle a déclaré qu’elle les avait divulgués parce que leur contenu était contraire à ses valeurs.

De plus, il n’y a aucun doute que ses agissements étaient calculés et prémédités. Mme Therrien a utilisé l’ordinateur personnel de [Mme C] pour avoir accès à son compte de courriel personnel puis elle a transmis les documents au journaliste du journal Le Devoir, un organe de presse du Québec. Ces agissements ont été accomplis pour s’assurer qu’aucune trace électronique ne remonterait à son ordinateur personnel ni à elle.

Mme Therrien pouvait ne pas approuver les politiques internes et les stratégies gouvernementales; toutefois, en tant que fonctionnaire, elle était obligée, selon les règles et règlements, de maintenir la confidentialité. Par ses agissements, elle a embarrassé le Ministère et le gouvernement du Canada.

Cela étant dit, un examen approfondi de cette affaire démontre que le comportement de Mme Therrien n’était pas conforme aux caractéristiques ou aux comportements attendus nécessaires pour détenir la cote de fiabilité définie par la NSP [Norme sur la sécurité du personnel] en vertu de la PSG [Politique sur la sécurité du gouvernement] (et notée dans le présent rapport). Par ses agissements, indiqués dans le présent rapport, Mme Therrien a démontré des comportements et des activités qui sont jugés incompatibles avec le maintien d’une cote de fiabilité.

De plus, elle a compromis la confiance requise en tant qu’employée d’EDSC et cela est suffisant pour rompre le lien de confiance qui existe entre l’employé et l’employeur.

Selon la Sécurité ministérielle, la cote de fiabilité de Mme Therrien doit être révoquée.

[173]  Essentiellement, le rapport de réévaluation de la cote de fiabilité résumait les conclusions du rapport d’enquête administrative portant sur les agissements de la fonctionnaire, renvoyait à certaines politiques et a conclu que son comportement n’était pas digne de confiance et qu’il était incompatible avec le maintien de la cote de fiabilité.

[174]  À mon avis, les conclusions du rapport de réévaluation de la fiabilité étaient fondées sur des motifs légitimes.

[175]  Le premier fondement de la recommandation de révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire était le fait qu’elle avait divulgué des renseignements protégés réservés à l’usage interne. Cette conclusion a été confirmée par la preuve, puis elle a admis les fuites. Il ressort aussi clairement de la preuve que tous les documents qu’elle a divulgués étaient des documents ministériels internes d’EDSC qui n’étaient par ailleurs pas à la disposition du public. Pendant son entrevue de sécurité, à l’occasion de l’un de ses nombreux refus de reconnaître qu’elle a divulgué des documents, elle a dit qu’elle-même et d’autres employés de la Direction générale des services d’intégrité savaient qu’ils n’avaient pas le droit de mettre des documents gouvernementaux à la disposition des médias et que ce geste serait considéré comme très grave. À cet égard, l’article 20 de la Politique de communication du gouvernement du Canada, intitulé « Porte-parole », se lit en partie comme suit : « Les cadres supérieurs des institutions doivent désigner des gestionnaires ou des employés compétents dans les bureaux principaux et les régions qui parleront à titre officiel des questions qui relèvent de leurs fonctions ou de leurs domaines de spécialisation. » Il est reconnu que la fonctionnaire n’avait pas été désignée comme une porte-parole de l’employeur et qu’elle n’était pas autorisée à transmettre aux médias les renseignements qu’elle a fournis.

[176]  Le deuxième fondement de la recommandation de révoquer la cote de fiabilité de la fonctionnaire est que ses agissements étaient calculés et prémédités et qu’elle avait utilisé l’ordinateur portatif de Mme C pour les dissimuler. La fonctionnaire a soutenu qu’il n’y avait aucun élément de preuve à cet égard et elle a déclaré qu’elle n’avait pas les connaissances pour le faire. À mon avis, sa position est indéfendable. Elle aurait facilement pu utiliser son ordinateur et son compte de courriel de Service Canada pour envoyer les documents directement au journaliste. La preuve révèle plutôt clairement qu’alors qu’elle utilisait l’ordinateur et le compte de courriel de Service Canada, elle a d’abord envoyé les documents ministériels de son ordinateur à son compte de courriel personnel ou à celui de Mme C. Elle a ensuite eu accès à l’ordinateur portatif de Mme C et elle les a transmis au journaliste au moyen de son compte de courriel personnel. La seule conclusion logique à tirer est que sa méthode d’envoi de documents ministériels avait pour but d’éviter la détection.

[177]  Le rapport de réévaluation indique aussi que par ses agissements, la fonctionnaire a embarrassé le Ministère et le gouvernement du Canada. À cet égard, elle a soutenu que les documents qu’elle a divulgués étaient de nature anodine et factuelle et qu’aucune conséquence n’avait découlé de ses actions, en dehors du débat public suscité. Selon elle, l’embarras était simplement le résultat de sa dénonciation.

[178]  Toutefois, ce que la fonctionnaire ne reconnaît pas est la contribution de ses agissements sur la perception du public, sans qu’elle ait soulevé une question d’importance publique qui tombe sous une exception de l’obligation de loyauté. M. Jacques a expliqué que sa conclusion selon laquelle les agissements de la fonctionnaire avaient embarrassé le Ministère et le gouvernement du Canada renvoyait aux déclarations figurant dans sa réplique au rapport d’enquête selon lesquelles la ministre responsable d’EDSC à l’époque avait trompé les Canadiens et les Canadiennes lorsqu’elle avait déclaré qu’il n’y avait pas de quota. De même, M. Comeau avait déclaré que l’opinion publique aurait pu entraîner de l’agressivité envers les employés d’EDSC.

[179]  Bien qu’il n’y ait pas eu d’éléments précis d’événements agressifs, je note que les commentaires de M. Comeau correspondent aux préoccupations exprimées par les employés de la Direction générale des services d’intégrité de Burnaby à la séance de planification stratégique du 11 avril 2013. Ainsi, en réponse à la divulgation des renseignements aux médias au sujet des objectifs d’économies, l’équipe avait reconnu que le public remettait en question son intégrité et le travail qu’elle accomplissait, ce qui avait un effet sur elle.

[180]  La fonctionnaire soutient que ses agissements étaient conformes à ses obligations de fonctionnaire ainsi qu’aux politiques pertinentes. Toutefois, comme l’a mis en évidence le rapport de réévaluation, je conclus que son comportement a contrevenu aux valeurs et aux comportements attendus suivants figurant dans le Code de VE : le respect de la démocratie, le respect envers les personnes, l’intégrité, l’intendance et l’excellence. En particulier, certains aspects des valeurs de respect de la démocratie et d’intégrité ont été mis en évidence dans le rapport de réévaluation.

[181]  La valeur du respect de la démocratie du Code de conduite se lit comme suit :

Le régime canadien de démocratie parlementaire et ses institutions sont fondamentaux pour servir l’intérêt public. Les fonctionnaires reconnaissent que les élus sont responsables devant le Parlement et, par conséquent, devant la population canadienne, et qu’un secteur public non partisan est essentiel à notre système démocratique.

[182]  Les comportements attendus suivants pour cette valeur ont été mis en évidence dans le rapport de réévaluation :

[Traduction]

Les fonctionnaires préservent le régime canadien de démocratie parlementaire et ses institutions en :

i.   respectant la primauté du droit et exerçant leurs fonctions conformément aux lois, aux politiques et aux directives de façon non partisane et impartiale.

[…]

ii.  exécutant avec loyauté les décisions prises par leurs dirigeants conformément à la loi et aidant les ministres à rendre compte au Parlement et à la population canadienne […]

[…]

[183]  Même si cela n’est pas repris dans le rapport de réévaluation, je remarque que sous le comportement attendu « Ils exécutent avec loyauté les décisions prises […] », le Code de conduite élargit l’obligation de loyauté comme suit :

• Comme fonctionnaire, vous avez un devoir de loyauté envers le gouvernement du Canada. À ce titre, vous devez veiller à ce que les déclarations et les gestes que vous posez en public (y compris à l’extérieur du bureau) soutiennent votre capacité à effectuer vos tâches; que ces déclarations et gestes contribuent à préserver l’impartialité et l’objectivité dans l’exécution de tâches et qu’ils aient un effet positif sur le Ministère.

• Le devoir de loyauté comprend l’obligation d’éviter de critiquer publiquement le gouvernement du Canada, ses politiques, ses priorités, ses programmes ou ses représentants.

[…]

• Le devoir de loyauté signifie que vous ne devez divulguer aucun renseignement confidentiel du gouvernement, à moins d’y être légalement autorisé […]

[184]  Cette section résume également certains principes de l’obligation de loyauté conformément au critère Fraser, y compris ce qui suit : l’obligation de loyauté n’est pas absolue – les critiques du public peuvent être justifiées dans certaines circonstances et il faut établir un équilibre entre l’obligation de loyauté et d’autres intérêts, comme la liberté d’expression des fonctionnaires. Elle établit ensuite trois situations dans lesquelles la conciliation de ces intérêts entraînera vraisemblablement une exception à l’obligation de loyauté. Il s’agit de celles où le gouvernement commet des actes illégaux; ses politiques mettent en danger la vie, la santé ou la sécurité; les critiques du fonctionnaire n’ont aucun effet sur son aptitude à accomplir d’une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude.

[185]  En ce qui concerne la valeur de l’intégrité, le rapport de réévaluation met en évidence le fait que les fonctionnaires doivent servir l’intérêt public notamment en [traduction] « […] agissant de façon à conserver la confiance de leur employeur ». Ce comportement attendu est expliqué dans le Code de conduite comme le fait, entre autres choses, de s’assurer que la conduite – tant au travail qu’à l’extérieur – ne nuit pas à la réputation du Ministère ou ne l’empêche pas de fonctionner efficacement au nom de ses clients.

[186]  Il n’y a aucun doute que la fonctionnaire connaissait bien le Code de VE et le Code de conduite. La lettre du 11 septembre 2012, dans laquelle elle s’est vu offrir une mutation au poste d’ESI, qu’elle a acceptée, à Nanaimo, contenait ce qui suit :

[Traduction]

J’aimerais porter votre attention sur le fait que les employés de la fonction publique du Canada doivent observer le Code de valeurs et d’éthique du secteur public et l’annexe B de la Politique sur les conflits d’intérêts et l’après-mandat. De plus, vous devez respecter le Code de conduite de RHDCC. Ces codes et cette politique sont essentiels à la gestion des ressources humaines et font partie de vos conditions d’emploi. En acceptant cette offre, vous attestez que vous avez lu ces codes et cette politique portant sur l’accomplissement de vos fonctions et que vous vous y conformerez.

[187]  Sous ce paragraphe se trouvaient les liens vers les versions en ligne de ces politiques.

[188]  La fonctionnaire a reconnu avoir reçu le courriel de M. Tiwana du 17 avril 2013 portant sur un plan de formation, d’avoir suivi la formation et d’avoir lu le Code de conduite et le Code de VE. Elle l’a confirmé dans un courriel qu’elle lui a fait parvenir le 19 avril 2013.

[189]  De plus, dans son courriel envoyé à la fonctionnaire le 2 mai 2013, résumant leur discussion du 29 avril 2013, Mme Morrison a écrit ce qui suit sur l’utilisation par la fonctionnaire de l’expression [traduction] « chasseurs de têtes » lorsqu’elle a renvoyé à la Direction générale de l’intégrité et sur le fait que cela n’est pas conforme au Code de conduite :

[Traduction]

[…]

Je vous ai aussi parlé de certains des mots que vous avez utilisés dans un courriel envoyé à Gary le 16 avril 2013. J’ai examiné le Code de conduite de RHDCC ainsi que les valeurs et l’éthique avec vous. Je vous ai dit que vous ne pouvez plus formuler de commentaires négatifs au sujet du gouvernement, des programmes ou des fonctionnaires. Je vous ai avisé que toute contravention aux attentes qui précèdent pourrait entraîner des mesures administratives et/ou disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. Je vous ai dit à quel point je prends cette question au sérieux pour l’avenir, tout comme le fait de m’assurer que vos commentaires et vos actions sont conformes au Code de conduite.

Je vous ai demandé de lire le Code de conduite, Respect de la démocratie, et de me faire savoir si vous avez des questions en ce qui concerne le Code de conduite.

J’ai inclus un renvoi à ce document ici : [lien au Code de conduite]

[190]  Enfin, en contre-interrogatoire, la fonctionnaire a reconnu avoir lu le Code de conduite et le Code de VE et qu’ils lui convenaient.

[191]  Dans l’ensemble, le rapport de réévaluation concluait que les agissements de la fonctionnaire étaient incompatibles avec le maintien de la cote de fiabilité. Dans l’examen de l’article 3 de l’annexe B de la Norme sur la sécurité du personnel, j’accepte que la preuve démontre que les agissements de la fonctionnaire étaient visés par les éléments suivants de ce paragraphe : ses agissements n’étaient pas conformes aux comportements attendus nécessaires pour se montrer digne de la confiance qu’on lui accordera et qu’il faut chercher à savoir si elle pouvait ne pas protéger les renseignements qui lui étaient confiés.

[192]  La fonctionnaire soutient également que l’article 3 de l’annexe B la Norme sur la sécurité du personnel ajoute une exigence à respecter pour régler une question relative à la cote de fiabilité, à savoir une évaluation du risque fondée sur le niveau de fiabilité requis et la nature des fonctions à accomplir ainsi qu’un jugement quant à la question de savoir si les gestes sont acceptables. La majorité des documents ont été divulgués en janvier 2013, et rien n’indique qu’un abus de confiance se poursuivra à l’avenir. De même, elle soutient que l’employeur n’a pas envisagé une évaluation du risque futur fondée sur les fonctions du poste qu’elle occupait et que ses témoins n’ont pas montré qu’ils comprenaient ses fonctions dans la mesure requise pour évaluer la fiabilité.

[193]  Il me semble que l’argument de la fonctionnaire ne tient pas compte du fait qu’au niveau le plus fondamental de la cote de sécurité et en dehors des tâches précises de son poste, elle devait avoir accès aux renseignements et aux biens de l’employeur pour accomplir ces fonctions. M. Tiwana a témoigné au sujet des systèmes électroniques auxquels elle avait eu accès pour accomplir ses fonctions et il a renvoyé à une liste de ces systèmes. De plus, M. Netzel a déclaré qu’il n’y avait aucun poste à EDSC dans le cadre duquel un employé n’avait pas à traiter les renseignements de citoyens.

[194]  À mon avis, dans ces circonstances, le facteur de la nature des fonctions à accomplir dans le cadre de l’évaluation du risque n’obligeait pas l’employeur à tenir compte de chaque aspect de la description de travail de la fonctionnaire. La preuve montre que si son emploi s’était poursuivi, elle n’aurait pas pu accomplir ses fonctions sans avoir accès aux renseignements et aux biens de l’employeur.

[195]  De même, il ressort clairement de la dernière partie des recommandations du rapport que les agissements de la fonctionnaire étaient suffisamment graves pour amener l’employeur à conclure qu’elle représentait un risque actuel et futur. Ainsi, M. Jacques a conclu que l’abus de confiance était [traduction] « […] suffisant pour rompre le lien de confiance qui existe entre l’employé et l’employeur ». M. Jacques a déclaré qu’à son avis, la fonctionnaire n’avait pas été franche avec les enquêteurs puis elle a admis dans une entrevue aux médias qu’elle avait eu le comportement, ce qui indiquait que le lien de confiance entre l’employeur et l’employé n’existait plus.

[196]  Au bout du compte, la décision relative à la question de savoir s’il fallait révoquer la cote de fiabilité de la fonctionnaire revenait à M. Comeau, l’ASM. Sa lettre du 11 octobre 2013, informant M. Netzel de sa décision de la révoquer, se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

Le rapport [d’enquête administrative] du 8 juillet 2013 indique clairement que le comportement, les activités et les agissements de Mme Therrien et son mépris du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique adopté par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada présentent un risque sérieux pour le Ministère.

[…]

[197]  Tout comme M. Jacques, M. Comeau a déclaré qu’il avait conclu que la fonctionnaire représentait un risque sérieux en raison de son absence de remords, de sa croyance continue qu’elle avait divulgué des renseignements pour les bonnes raisons, de son manque de fiabilité à l’égard des renseignements et des biens du gouvernement et l’embarras continu qu’elle causait au gouvernement.

[198]  En contre-interrogatoire, il a aussi déclaré que les agissements de la fonctionnaire étaient prémédités, qu’elle les a continués même après avoir constaté l’effet sur le public, qu’elle a utilisé l’ordinateur d’un tiers pour tenter de dissimuler ses agissements, qu’elle a menti aux enquêteurs et qu’elle n’a pas éprouvé de remords. Tout cela représentait un risque trop élevé pour l’employeur en ce qui concerne son comportement futur.

[199]  Les préoccupations de M. Comeau quant au fait que la fonctionnaire représentait un risque sérieux pour le Ministère ont été confirmées à l’audience. Pendant l’audience, elle n’a pas démontré de remords. Elle a présenté ses excuses pour avoir menti pendant l’entrevue de sécurité, ce qui selon elle était une erreur fondée sur les conseils qu’elle avait reçus d’un avocat qui lui avait dit de tout nier. Toutefois, elle était toujours d’avis que ce qu’elle avait dit avait mené à sa décision de procéder à la divulgation, à savoir le public avait le droit de connaître les renseignements qu’elle avait divulgués et l’intérêt public l’emportait sur son obligation de loyauté envers l’employeur. Bien qu’elle ait certainement eu le droit à son opinion sur la nature de ses fonctions et des politiques gouvernementales, à mon avis, cette affirmation appuie l’évaluation par l’employeur du risque sérieux que son manque de fiabilité représentait par rapport aux renseignements et aux biens du gouvernement et au lien de confiance entre un employé et un employeur qui a été rompu.

[200]  Compte tenu de toutes les circonstances, je conclus que les constatations du rapport de réévaluation de la fiabilité et la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire étaient fondées sur des motifs légitimes. À ce titre, son licenciement était motivé. Par conséquent, son grief contestant son licenciement est rejeté.

V. Demande d’une ordonnance de confidentialité

[201]  Au début de l’audience, j’ai informé les parties que je retirerais du [traduction] « recueil conjoint de documents » tout document qui n’avait pas été déposé en preuve pendant l’audience et que je n’en tiendrai pas compte pour rendre la présente décision. Par conséquent, les pages 450 à 479 du volume III, onglet 20, et les pages 622 à 644 du volume III, onglet 23 du recueil conjoint de documents seront retirées.

[202]  L’employeur a aussi demandé qu’une ordonnance soit rendue pour que les pièces E-24, E-25, E-30, E-31, E-44 et E-53, ou des parties de ces dernières, soient scellées, ce à quoi la fonctionnaire s’est opposée. En résumé, ces documents contiennent des études de cas sur la stratégie d’enquête et des modèles de questionnaire, certains indicateurs de rendement et des documents d’enquête qui contiennent des statistiques et des indicateurs de rendement pour le bureau de Burnaby. Avant d’aborder les arguments des parties, je vais établir les principes directeurs du droit.

[203]  La Commission fonctionne selon le principe de transparence judiciaire, qui est établi dans sa « Politique sur la transparence et la protection de la vie privée » qui est publiée sur son site Web. Selon le principe de transparence judiciaire, la Commission tient ses audiences en public, sauf dans des circonstances exceptionnelles. La Commission déroge à son principe de transparence judiciaire et elle peut accorder une ordonnance de confidentialité visant des éléments de preuve précis lorsqu’une telle demande respecte les normes juridiques applicables.

[204]  Dans Basic c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 120, aux paragraphes 9 à 11, la Commission a examiné en détail les principes juridiques applicables, qui peuvent être résumés comme suit : l’accès du public aux pièces et aux autres documents déposés dans le cadre d’une procédure judiciaire est un droit protégé par le droit à la liberté d’expression. Toutefois, des occasions surviennent où la liberté d’expression et le principe d’accès ouvert et public aux audiences doivent être équilibrés par rapport à d’autres droits importants, y compris le droit à une audience équitable. La Commission doit équilibrer ces droits et intérêts concurrents au moment de déterminer si elle doit accorder une ordonnance de confidentialité. Lorsqu’elle prend cette décision, la Commission doit appliquer le critère Dagenais/Mentuck, comme l’indique le paragraphe 11 de Basic :

11 Le critère Dagenais/Mentuck a été établi dans le cadre de demandes d’ordonnance de non-publication dans des instances criminelles. Dans Sierra Club of Canada, la Cour suprême du Canada a précisé le critère en réponse à une demande d’ordonnance de confidentialité dans le cadre d’une procédure civile. Le critère adapté est le suivant :

[…]

1. elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter le risque.

2. ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[…]

[205]  Dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, au paragraphe 55, (« Sierra Club »), la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au sujet de l’intérêt public : « […] pour citer le juge Binnie dans F.N. (Re), [2000] 1 R.C.S. 880, 2000 CSC35, par. 10, la règle de la publicité des débats judiciaires ne cède le pas que « dans les cas où le droit du public à la confidentialité l’emporte sur le droit du public à l’accessibilité […] [le passage en évidence l’est dans l’original] ».

[206]  Le critère pour assurer la confidentialité de la preuve a un seuil très élevé, la partie demandant la confidentialité ayant le fardeau de démontrer qu’elle respecte les exigences du critère.

A.  Résumé de l’argumentation

1. Pour l’employeur

[207]  L’employeur a fait valoir qu’en règle générale, les documents ministériels internes, comme le Guide sur les enquêtes et le contrôle, devraient être scellés puisqu’ils sont réservés à l’usage interne. Il a renvoyé au témoignage de M. Netzel quant aux deux types de risque dans l’éventualité où le Guide était mis à la disposition du public. Tout d’abord, certaines entités abuseraient des renseignements puis cette communication pourrait faire en sorte que les employés ministériels courent un risque lorsqu’ils doivent aller faire enquête dans la collectivité.

[208]  L’employeur a cité Yarney c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2011 CRTFP 112, aux paragraphes 108 et 109, comme exemple où la Commission a ordonné que des pièces soient scellées. Dans cette affaire, des intérêts commerciaux étaient en litige, à savoir les renseignements exclusifs de sociétés pharmaceutiques ayant participé au processus d’approbation pharmaceutique de Santé Canada, tout comme les opérations commerciales de Santé Canada. L’employeur a soutenu que les intérêts commerciaux dans Yarney n’étaient pas différents des documents de formation en l’espèce et que le public n’avait aucun intérêt à ce qu’ils soient rendus publics.

[209]  L’employeur soutient également que si les documents tombaient entre de mauvaises mains, ces parties n’auraient que des renseignements limités, par exemple uniquement des parties du Guide sur les enquêtes et le contrôle, sans connaître pleinement le programme. L’employeur se demandait ce qui arriverait si une partie avait une telle connaissance limitée.

2. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[210]  La fonctionnaire a soutenu qu’en ce qui concerne le témoignage de M. Netzel sur le risque que le Guide sur les enquêtes et le contrôle soit rendu public, en contre‑interrogatoire, il a admis qu’il n’avait reçu aucune menace à cet égard et que c’était spéculatif. Comme aucune autre preuve n’a été déposée au sujet de ces risques, cela ne suffit pas pour justifier une ordonnance de confidentialité.

[211]  La fonctionnaire a ajouté que dans Sierra Club, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il devait y avoir un « risque sérieux » pour un intérêt important, ce qui signifie que la meilleure preuve possible est requise pour une ordonnance de confidentialité. De plus, l’employeur n’a pas proposé d’options raisonnables pour écarter le risque. L’argument de l’employeur, soit qu’il n’y a aucun intérêt public dans la publication des documents, n’est pas le critère pour la mise sous scellés. La fonctionnaire a soutenu que la nature de la présente affaire milite en faveur de l’absence de mise sous scellés des documents.

B. Analyse

[212]  La pièce E-24 est composée d’études de cas sur la stratégie d’enquête que l’employeur utilise pour former les employés. Il a fait valoir que bien qu’il s’agisse d’études de cas hypothétiques, ils sont des documents exclusifs et il existe un risque sérieux qu’on en abuse. Il a aussi soutenu que le journaliste a communiqué avec le porte‑parole du Ministère pour vérifier le niveau de sécurité des documents, ce qui démontre qu’il savait qu’ils étaient protégés. L’employeur est également d’avis que le fait que la fonctionnaire avait les documents dans son compte de courriel personnel ne signifiait pas qu’ils étaient du domaine public.

[213]  La fonctionnaire a soutenu que le fait que ce document est exclusif n’est pas suffisant en soi pour qu’il soit scellé.

[214]  À mon avis, il est dans l’intérêt public que les études de cas sur la stratégie d’enquête demeurent confidentielles. L’employeur les utilise pour former les ESI et les agents des services d’intégrité (ASI). Il est dans l’intérêt public que les demandeurs d’AE respectent les lois applicables pour avoir droit à des prestations et qu’ils n’échappent pas aux poursuites. Si ces études de cas étaient divulguées, elles pourraient avoir pour effet d’amener les demandeurs à adapter leurs demandes en fonction des renseignements figurant dans les études. Par conséquent, j’ordonne la mise sous scellés de la pièce E-24. De plus, comme les pages 389 à 441 de l’onglet 20 du recueil conjoint de documents sont une reproduction de la pièce E-24 et qu’elles n’ont pas été déposées en preuve, j’ordonne qu’elles soient retirées du recueil conjoint de documents, comme je l’ai mentionné.

[215]  Pour ce qui est de la pièce E-25, l’employeur n’a pas demandé à protéger le courriel de la fonctionnaire envoyé de Service Canada à son compte personnel ou la première page, laquelle correspond au mandat de la Direction générale des services d’intégrité. Il souhaite protéger les pages qui suivent et qui contiennent les versions française et anglaise du chapitre 56 du Guide sur les enquêtes et le contrôle, portant sur les indicateurs de rendement. L’employeur a fait valoir que ce document est interne et qu’il indique comment il mène ses activités.

[216]  Plus particulièrement, l’employeur souhaite mettre sous scellés l’article 56.4.4 jusqu’à la fin de l’annexe A de la version anglaise du chapitre 56. Les articles 56.4.4 à 56.4.6 définissent certains termes; les articles 56.5 et 56.6 portent sur la détermination des économies; l’article 56.7 comporte des tableaux actuariels; l’article 56.8, qui comprend plusieurs paragraphes, porte sur le calcul des économies indirectes. Dans la version française, il ne demande pas la protection de la première page du document ni des commentaires que la fonctionnaire a insérés, mais il la demande pour le reste du document, jusqu’à l’annexe A.

[217]  À la suite de la version française du chapitre 56, 11 pages de la version anglaise de ce chapitre sont répétées, dont l’employeur demande la protection. Après cette deuxième version anglaise, la pièce contient une deuxième version française de 14 pages, dont l’employeur demande la protection. Les deux versions du chapitre 56 comportent la note suivante : [traduction] « Remarque : tous les chapitres et documents inclus dans le Guide des opérations d’intégrité sont protégé B, pour usage interne seulement. »

[218]  En ce qui concerne la pièce E-25, la fonctionnaire a soutenu que la première page de la deuxième version anglaise de 11 pages du chapitre 56 ne devrait pas être scellée puisqu’il s’agit de la table des matières. Selon la fonctionnaire, cet article 56.4.2, intitulé [traduction] « Enquêtes sur les numéros d’assurance sociale » ne constitue pas un risque, puisqu’elle énonce un fait. Elle a présenté le même argument pour l’article 56.7, intitulé [traduction] « Tableaux actuariels ».

[219]  Bien que l’employeur ait soutenu que le chapitre 56 revêt un intérêt important pour lui, il ne m’a pas convaincu qu’une ordonnance de confidentialité est nécessaire pour empêcher un risque sérieux pour cet intérêt. Il a fait valoir que certaines entités pourraient abuser des renseignements et que cette communication pourrait faire en sorte que les employés ministériels courent un risque lorsqu’ils doivent aller faire enquête dans la collectivité. Après avoir examiné les dispositions pertinentes du chapitre 56 décrit, je ne vois pas comment leur divulgation pourrait faire en sorte que les employés ministériels courent un risque lorsqu’ils font enquête dans la collectivité. Bien que je souscrive à l’observation de l’employeur selon laquelle il n’a pas à attendre qu’un incident survienne, il n’a pas démontré un lien entre un risque éventuel et les dispositions du chapitre 56.

[220]  De même, à mon avis, l’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau en ce qui concerne son argument selon lequel, en raison de la divulgation du chapitre 56, certaines entités abuseraient des renseignements. Il n’y a simplement aucun élément de preuve à cet égard. Son argument selon lequel ce document est interne et qu’il indique comment ses activités sont menées ne suffit pas pour respecter le critère du risque sérieux pour son intérêt s’il était divulgué. Je rejette donc la demande d’une ordonnance confidentialité de l’employeur pour le chapitre 56 du Guide sur les enquêtes et le contrôle (E-25).

[221]  La pièce E-31 contient la version française du chapitre 56 ainsi qu’un courriel provenant de l’ordinateur de travail de la fonctionnaire envoyé au compte de courriel de Mme C, auquel était joint le chapitre 56. Pour les mêmes raisons que pour la pièce E-25, l’employeur demande que le document soit scellé, à l’exception du courriel de la fonctionnaire et des commentaires qu’elle a insérés. Il demande que les pages 284 à 378 inclusivement de la pièce 53 soient scellées puisqu’elles reproduisent le chapitre 56. En raison de mon ordonnance relative à la pièce E-25, je rejette également la demande d’une ordonnance de confidentialité visant la pièce E-31.

[222]  L’employeur a demandé que la pièce E-30 soit scellée puisqu’elle est composée de techniques d’entrevue sous forme de questions. Il ne demande pas la protection de la page couverture de son courriel provenant de l’ordinateur de travail de la fonctionnaire envoyé au compte de courriel de Mme C et à laquelle les questions étaient jointes. La fonctionnaire a fait valoir qu’il n’y avait aucun risque pour le public de voir les modèles de questions d’entrevue.

[223]  Pour chacune des techniques d’entrevue figurant dans cette pièce, il est clairement indiqué que l’objet de l’entrevue consiste à déterminer le droit des demandeurs aux prestations d’AE ou de revoir leurs droits continus à des prestations. Pour que les demandeurs puissent démontrer qu’ils ont valablement droit à des prestations d’AE, je conclus qu’il est dans l’intérêt public qu’ils n’aient pas la possibilité de tirer un avantage éventuel de l’accès aux questions que les ESI utilisent pour déterminer le droit à des prestations d’AE. Par conséquent, j’ordonne la mise sous scellés de la pièce E-30. De plus, comme les pages 272 à 282 de la pièce 53 sont des reproductions des questions figurant dans la pièce E-30, j’ordonne la mise sous scellés de ces pages.

[224]  Enfin, l’employeur a demandé la mise sous scellés des pages 598 à 610 de la pièce E-44, puisqu’elles ne relèvent pas du domaine public et qu’il s’agissait de documents que M. Tiwana avait consultés au moment de préparer sa séance stratégique d’équipe qui s’est déroulée le 11 avril 2013.

[225]  Il a témoigné au sujet des pages en question, indiquant que la page 598 était la charge de travail non attribuée pour le bureau de Burnaby pour la séance stratégique, que la page 599 contenait le total des cas attribués et non attribués pour Burnaby et que la page 600 était une répartition des cas par employé, pour référence personnelle.

[226]  Il a partagé la page 601, intitulée [traduction] « Défi immédiat à Burnaby » avec le personnel. Les pages 600 et 601 contiennent le nom des employés. La page 602 est une comparaison de cas avec d’autres bureaux du même secteur de service, la page 603 étant un document de référence pour la page 602. La page 604 est un document fourni par le gestionnaire de services indiquant les objectifs d’économies pour chacun des bureaux du secteur de service pour l’exercice. La page 605 est un courriel donnant un aperçu des économies pour l’exercice. La page 606 ne contient qu’un bloc-signature de l’auteur du courriel. La page 607 contient une répartition mensuelle des économies générées par les enquêteurs. La page 608 indique le nombre de cas terminés par les ESI et les ASI par mois. La page 609 contient les économies par mois réalisées par les ESI et les ASI au bureau de Burnaby. La page 610 indique le nombre de cas terminés par mois au bureau de Burnaby. Plusieurs pages de la pièce contiennent le prénom ou le prénom et le nom de famille d’employés.

[227]  Pour ce qui est de la pièce E-44, la fonctionnaire a soutenu qu’il n’y avait aucun risque pour l’employeur si les renseignements figurant aux pages 598 à 610 étaient divulgués.

[228]  Comme je l’ai décrit, les pages 598 à 610 de la pièce E-44 contiennent des statistiques pour l’exercice 2012-2013, comme les charges de travail, les objectifs d’économies et les économies réelles pour plusieurs bureaux du secteur de service. Bien que ces statistiques puissent revêtir un intérêt commercial pour l’employeur, il n’a pas démontré comment l’intérêt public favorise une ordonnance de confidentialité pour les pages en question.

[229]  Je rejette donc la demande d’une ordonnance de confidentialité de l’employeur pour les pages 598 à 610 de la pièce E-44. Toutefois, ces pages contiennent les noms d’employés et leur retrait n’aurait aucun effet sur les renseignements qui y figurent. De plus, il n’y a aucun intérêt dans la divulgation des noms. Par conséquent, les noms de tous les employés, qu’il s’agisse du prénom ou du prénom et du nom de famille, aux pages 598 à 610, seront caviardés.

[230]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

VI. Ordonnance

[231]  Les griefs sont rejetés.

[232]  La mise sous scellés des pièces E-24 et E-30 est ordonnée.

[233]  Les noms de tous les employés, qu’il s’agisse du prénom ou du prénom et du nom de famille, seront caviardés aux pages 598 à 610 de la pièce E-44.

Le 23 août 2019.

Traduction de la CRTESPF

Steven B. Katkin,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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