Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé un grief de principe sur la question de savoir si la convention collective exige qu’un grief relatif à un licenciement au titre de renvoi en cours de stage soit entendu directement au dernier palier – les licenciements au titre de renvoi en cours de stage sont régis par la LEFP, et non pas par les dispositions de la LGFP – la Commission a examiné le sens clair et ordinaire des termes de la convention collective – lu dans son contexte global avec l’esprit de la LGFP et la LEFP, le libellé de la clause 24.18 n’inclut pas les licenciements au titre de renvoi en cours de stage – la Commission a conclu que rien ne permettait d’affirmer que le libellé de la clause 24.18 inclut, de façon implicite, les griefs concernant un renvoi en cours de stage – contrairement au libellé de la convention collective, le libellé du Règlement ne se limite pas qu’aux licenciements assujettis à la LGFP – la Commission a conclu que rien dans le libellé de la clause 24.18 ou de l’article 71 du Règlement ne permet à l’employeur d’influencer la décision de ne déposer un grief qu’au dernier palier – la Commission a conclu que l’article 71 du Règlement ne régit pas le processus de règlement des griefs individuels relatifs à un licenciement aux termes de la convention collective en raison du libellé du paragraphe 237(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral – étant donné que la clause 24.18 de la convention collective emploie un langage précis concernant les griefs relatifs à un licenciement qui peuvent être déposés directement au dernier palier, cette clause est incompatible avec l’article 71 du Règlement.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date : 20190925

Dossier : 569‑02‑230

Référence : 2019 CRTESPF 90

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

ENTRE

ASSOCIATION DES JURISTES DE JUSTICE

agent négociateur

et

Conseil du Trésor

employeur

Répertorié

Association des juristes de justice c. Conseil du Trésor

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l’arbitrage

Devant :  David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour l’agent négociateur :  Kathleen Terroux, avocate

Pour l’employeur :  Christine Langill, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 17 avril, les 6 et 16 mai et le 20 septembre 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION (TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1]  Le présent grief de principe soulève une simple question : Lorsqu’un employé souhaite présenter un grief contre son renvoi en cours de stage, la convention collective applicable exige‑t‑elle que le grief soit entendu directement au dernier palier?

[2]  Selon l’historique du grief de principe, en juin 2017, le Service des poursuites pénales du Canada (le « SPPC ») a mis fin à l’emploi d’un employé en cours de stage. Lorsque l’employé a présenté un grief, l’Association des juristes de justice (« AJJ » ou l’« agent négociateur ») a adopté la position selon laquelle le grief devrait être présenté directement au troisième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs, en citant la clause 24.18 de la convention collective concernant le groupe Praticien du droit (LP).

[3]  Le SPPC a adopté la position selon laquelle la clause 24.18 ne vise pas les griefs concernant le renvoi en cours de stage et a refusé de procéder directement au dernier palier. Toutefois, il a offert d’outrepasser le premier palier et d’amorcer l’audition du grief au deuxième palier de la procédure.

[4]  L’AJJ a ensuite déposé le présent grief de principe aux termes de l’art. 220 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») le 26 juillet 2017. Il a été rejeté le 7 décembre 2017 et l’AJJ l’a renvoyé à l’arbitrage le 2 mars 2018.

[5]  Après avoir consulté les parties, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a déterminé qu’elle entendrait l’affaire aux moyens d’arguments écrits. Après avoir reçu les premiers arguments des parties, la Commission a demandé d’autres arguments concernant un point, examiné à la section V de la présente décision.

[6]  La présente décision concerne uniquement une question de principe relative à la convention collective. Elle n’aborde pas l’affaire à l’origine du différend.

[7]  La question fondamentale de l’affaire concerne le libellé de la clause 24.18. Elle prévoit que, lorsque l’employeur rétrograde ou licencie un juriste pour un motif déterminé aux termes des alinéas 12(1)c), d) ou e) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F‑11; LGFP), la procédure de règlement des griefs énoncée dans la convention collective s’applique, sauf que le grief n’est présenté qu’au dernier palier.

[8]  Selon la position du Conseil du Trésor (l’« employeur »), la clause en litige ne vise pas les licenciements à la suite de renvois en cours de stage puisque ceux‑ci sont effectués en application de l’art. 62 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13, LEFP) et non en application de la LGFP.

[9]  L’agent négociateur demande une interprétation de la clause 24.18 qui comprendrait les griefs concernant les licenciements au titre de renvois en cours de stage. Son objectif est d’obliger l’employeur à entendre ces griefs uniquement au troisième et dernier palier. Ses arguments sont fondés sur le libellé et l’objectif de la clause 24.18, ainsi que sur le principe selon lequel l’employeur exercera ses droits de direction raisonnablement, équitablement et de bonne foi, tel que cela est énoncé à la clause 5.02.

[10]  L’employeur s’en tient à sa décision au dernier palier et ses arguments sont axés sur le libellé précis de la clause 24.18 et sur la distinction entre les licenciements effectués sous les régimes de la LGFP et de la LEFP.

[11]  Le fardeau de la preuve incombait à l’agent négociateur. Il a présenté un certain nombre d’arguments quant à la raison pour laquelle il est logique que ces griefs soient entendus uniquement au dernier palier. Toutefois, l’AJJ n’a pas établi que la convention collective avait été violée. Pour les motifs suivants, et en tenant particulièrement compte du libellé clair et précis de la clause 24.18, le grief est rejeté.

II. Résumé de la preuve

[12]  Les parties ont présenté un énoncé conjoint des faits étayé par cinq pièces. L’employeur a déposé un document supplémentaire joint à ses arguments. L’agent négociateur a déposé deux documents joints à ses arguments.

[13]  Lorsque le grief a été déposé, la convention collective concernant le groupe LP en vigueur avait été signée le 21 juin 2011 dont la date d’échéance était le 9 mai 2014. Toutefois, les parties ont également déposé la convention collective actuelle, signée le 7 novembre 2018, dont la date d’échéance était le 9 mai 2018. Les parties ont accepté que le libellé des clauses 5.02 et 24.18 est identique dans les deux conventions.

[14]  La clause 5.02 fait partie de l’article relatif aux droits de la direction. Elle se lit comme suit :

5.02 L’Employeur agit raisonnablement, équitablement et de bonne foi dans l’administration de la présente convention collective.

[15]  La clause 24.18 fait partie de l’article relatif à la procédure de règlement des griefs de la convention collective. Elle se lit comme suit :

24.18 Lorsque l’Employeur rétrograde ou licencie un juriste pour un motif déterminé aux termes des alinéas 12(1)c), d) ou e) de la Loi sur la gestion des finances publiques, la procédure de règlement des griefs énoncée dans la présente convention s’applique, sauf que le grief n’est présenté qu’au dernier palier.

[16]  Les dispositions pertinentes du par. 12(1) de la LGFP se lisent comme suit :

12 (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable :

[...]

c)   établir des normes de discipline et prescrire des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, la suspension, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et les sanctions pécuniaires;

d)   prévoir le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur de toute personne employée dans la fonction publique dans les cas où il est d’avis que son rendement est insuffisant;

e)   prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d’une personne employée dans la fonction publique;

[...]

[17]  L’employeur a rejeté le grief au motif que le [traduction] « [l]icenciement d’un employé en cours de stage est clairement régit par l’article 62 de la LEFP. Il ne s’agit pas d’un licenciement en vertu de la LGFP ».

[18]  Les dispositions pertinentes de l’art. 62 de la LEFP se lisent comme suit :

Renvoi

62 (1) À tout moment au cours de la période de stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis :

a) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques;

b) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par l’organisme distinct en cause dans le cas d’un organisme distinct dans lequel les nominations relèvent exclusivement de la Commission.

Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de ce délai.

[...]

III. Questions en litige

[19]  Après avoir examiné les arguments des deux parties, j’ai établi les questions suivantes :

  1. Un licenciement au titre de renvoi en cours de stage est‑il visé par les dispositions de la LGFP qui sont énumérées à la clause 24.18?
  2. Dans la négative, la clause 24.18 devrait‑elle quand même être interprétée comme comprenant les griefs concernant les renvois en cours de stage en tenant compte de l’ensemble de la convention collective et de la clause 5.02 en particulier?

IV. Argumentation et analyse

A. Question en litige 1 : Un licenciement au titre de renvoi en cours de stage est‑il visé par les dispositions de la LGFP qui sont énumérées à la clause 24.18?

[20]  Au cours des premières étapes de la procédure de règlement du grief de principe, l’AJJ a adopté la position selon laquelle un licenciement au titre de renvoi en cours de stage est visé par la LGFP et que, par conséquent, il est clairement visé par la clause 24.18. Cette position est évidente au cours des premiers échanges entre l’agent négociateur et le SPPC relativement au grief.

[21]  Cette position est également évidente dans la réponse de l’employeur au grief de principe qui a énoncé ce qui suit à l’intention de l’AJJ : [traduction] « Dans votre argumentation, vous avez soutenu que le licenciement d’un employé en cours de stage est visé par l’alinéa 12(1)e) de la LGFP et que, par conséquent, la clause 24.18 s’appliquerait. »

[22]  L’alinéa 12(1)e) autorise les administrateurs généraux de licencier les employés « [...] pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite [...] ».

[23]  L’employeur a rejeté l’interprétation de l’AJJ en déclarant ce qui suit :

[Traduction]

[...] Le licenciement d’un employé en cours de stage est clairement régi par l’article 62 de la LEFP. Il ne s’agit pas d’un licenciement en application de la LGFP. Il s’agit de la conclusion de la CRTESPF, de ses prédécesseurs et de la Cour fédérale dans de nombreuses décisions au cours des années.

[24]  Dans ses arguments écrits présentés à la Commission, l’AJJ n’a pas cherché à faire valoir directement qu’un renvoi en cours de stage relève de la LGFP. En fait, elle a reconnu que la convention collective concernant le groupe LP est silencieuse quant aux licenciements au titre de renvoi en cours de stage.

[25]  Toutefois, elle n’allait pas jusqu’à répondre directement à cette première question; elle n’a pas non plus reconnu la position de l’employeur à cet égard. En fait, l’AJJ a gardé cette question ouverte en faisant valoir que la grande partie de la jurisprudence ayant trait à la relation entre la LGFP et la LEFP n’a porté que sur la question relative à la compétence de la Commission pour instruire les griefs concernant les renvois en cours de stage et non l’audition des griefs déposés en application de l’art. 208 de la Loi. À titre d’exemple d’un cas dans lequel la Cour fédérale aborde uniquement la question relative à la compétence d’un arbitre de grief relativement aux griefs concernant un renvoi en cours de stage et non la question relative au règlement interne des griefs, elle a cité Kagimbi c. Canada (Procureur général), 2014 CF 400. En soutenant que la jurisprudence peut être distinguée des questions en litige dans le présent grief, elle semble s’en tenir à sa première position.

[26]  Vu ce qui précède et le fait que les arguments de l’employeur portaient directement, et ce, de façon assez détaillée, je trancherai quand même cette première question.

[27]  Pour l’employeur, le renvoi en cours de stage est visé clairement et nettement par l’art. 62 de la LEFP, qui confère aux administrateurs généraux le droit de mettre fin à l’emploi d’un employé au cours de la période de stage. Il n’est pas visé par l’al. 12(1)e) de la LGFP, qui confère aux administrateurs généraux de l’administration publique centrale le pouvoir de mettre fin à l’emploi des employés « [...] pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite [...] », ce qui vise les licenciements pour incapacité ou abandon.

[28]  En d’autres termes, les licenciements en application de la LGFP et de la LEFP se distinguent l’un de l’autre.

[29]  L’employeur a soutenu que l’interprétation de l’al. 12(1)e) proposée de l’AJJ exigerait de lire cette disposition isolément du reste de la LGFP et de ne pas tenir compte du régime législatif de la LEFP. En citant Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, au par. 10, et British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62, aux par. 45 et 46, l’employeur a soutenu que la Cour suprême du Canada avait indiqué clairement, en premier lieu, qu’une disposition ne peut pas être interprétée isolément de l’ensemble de la loi et, en deuxième lieu, qu’elle ne peut pas être interprétée isolément des autres textes législatifs.

[30]  Selon le principe cité par l’employeur, l’interprétation législative exige la présomption de non‑redondance. Si l’al. 12(1)e) de la LGFP était interprété comme incluant les renvois en cours de stage, il exigerait une interprétation selon laquelle l’art. 62 de la LEFP est superflu.

[31]  L’employeur a cité de nombreux cas devant la Commission qui établissent que les licenciements au titre de renvoi en cours de stage doivent d’abord être examinés en vertu de l’art. 62 de la LEFP. Un fonctionnaire s’estimant lésé doit établir que son renvoi était fondé sur une invocation factice de la LGFP ou qu’il constituait un subterfuge ou un camouflage. L’arbitre de grief dans Premakanthan c. Administrateur général (Conseil du Trésor), 2012 CRTFP 67, aux par. 44 et 45, réussit bien à faire référence aux décisions citées par l’employeur et il n’est pas nécessaire de citer chacune de celles‑ci individuellement dans la présente décision.

[32]  Dans ses arguments en réplique, l’agent négociateur n’a pas réfuté les arguments de l’employeur concernant la distinction entre la LGFP et la LEFP.

[33]  Je conclus que les arguments de l’employeur relatifs à cette question sont convaincants et que l’agent négociateur n’a présenté aucune argumentation approfondie pour réfuter l’employeur à cet égard. Les licenciements au titre de renvoi en cours de stage sont effectués en application de l’art. 62 de la LEFP et non en application de l’al. 12(1)e) de la LGFP. Par conséquent, les griefs qui en découlent ne sont pas directement visés par le libellé de la clause 24.18.

B. Question en litige 2 : Dans la négative, la clause 24.18 devrait‑elle quand même être interprétée comme comprenant les griefs concernant les renvois en cours de stage en tenant compte de l’ensemble de la convention collective et de la clause 5.02 en particulier?

[34]  Néanmoins, selon la position de l’AJJ, la clause 24.18 devrait quand même être interprétée comme comprenant les griefs concernant les renvois en cours de stage.

[35]  En citant Brown et Beatty (dans Canadian Labour Arbitration, 4e édition, aux par. 4:2100 et 4:2150), l’agent négociateur a déclaré que le libellé de la convention collective doit être interprété [traduction] « [...] dans son contexte intégral, selon son sens grammatical et ordinaire, en conformité avec l’esprit et l’objet de la convention et avec l’intention des parties ».

[36]  Selon l’AJJ, la clause 24.18 a pour but de s’assurer que les juristes qui ont été licenciés et qui ne sont donc plus présents au milieu de travail ne sont pas tenus de retourner au milieu de travail à maintes reprises pour suivre toutes les trois étapes de la procédure de règlement des griefs. Le fait d’obliger un fonctionnaire s’estimant lésé de faire valoir ses arguments trois fois prolonge les répercussions négatives du licenciement.

[37]  L’agent négociateur a soutenu qu’une procédure de règlement des griefs qui compte une seule étape est également avantageuse pour l’employeur, étant donné les problèmes de sécurité possibles liés au retour d’un employé licencié au milieu de travail.

[38]  Le sens ordinaire du terme « licenciement » est l’acte de congédier une personne de son emploi, ce qui survient clairement en raison d’un renvoi en cours de stage. Par conséquent, selon l’AJJ, la clause 24.18 devrait être interprétée comme s’appliquant à toutes les formes de licenciement, y compris le renvoi en cours de stage.

[39]  L’agent négociateur a également cité le libellé suivant de la clause 24.17, en proposant qu’elle prévoit le contexte du libellé de la clause 24.18 :

24.17 Lorsque la nature du grief est telle qu’une décision ne peut être rendue au‑dessous d’un palier d’autorité donné, l’Employeur et le juriste et, s’il y a lieu, l’Association, peuvent s’entendre pour supprimer un palier ou tous les paliers, sauf le dernier.

[40]  L’AJJ est d’avis que la clause 24.17 indique que les parties ont convenu que les paliers de la procédure de règlement des griefs peuvent être éliminés si la personne qui instruit un grief n’a pas le pouvoir de le trancher. Elle a soutenu que seuls l’administrateur général ou son délégué auraient le pouvoir d’annuler un licenciement au titre de renvoi en cours de stage. Par conséquent, le fait d’exiger qu’un fonctionnaire s’estimant lésé suive les première et deuxième étapes constitue un résultat absurde et inéquitable qui est contraire à l’interprétation de l’article 24 et de l’ensemble de la convention collective.

[41]  Afin de renforcer cet argument, l’AJJ a cité la clause 5.02 qui exige que l’employeur agisse « raisonnablement, équitablement et de bonne foi » dans l’administration de la convention collective. L’AJJ est d’avis que le fait d’obliger les juristes qui ont été licenciés à suivre les trois étapes de la procédure de règlement interne des griefs est déraisonnable et inéquitable.

[42]  Le cas Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2017 CSC 55 (« AJJ 1 ») a été cité en tant qu’autorité de la Cour suprême du Canada quant à l’application de la clause 5.02. Dans ce cas, l’employeur avait affecté les employés à des quarts de garde sans rémunération. L’arbitre de grief a conclu que l’imposition unilatérale, par l’employeur, de quarts de garde sans rémunération était déraisonnable et constituait une violation de la clause 5.02, malgré le fait qu’aucune disposition de la convention collective ne prévoyait une rémunération pour les quarts de garde. La Cour suprême a confirmé cette conclusion.

[43]  En résumé, l’AJJ est d’avis qu’il est absurde de traiter le renvoi en cours de stage de manière différente de tous les autres licenciements et que le fait d’interpréter la clause 24.18 de manière à les inclure ne ferait pas fi du but des régimes législatifs qui les distinguent. Aux fins de la procédure de règlement interne des griefs, les répercussions économiques et en matière de santé mentale sur les fonctionnaires s’estimant lésés sont les mêmes et le fait de les obliger de suivre trois étapes prolonge simplement leur détresse.

[44]  Pour l’employeur, selon le principe prépondérant régissant l’interprétation de la convention collective, le libellé de la convention communique l’intention commune des parties. Il a cité les mêmes principes de Brown et Beatty adoptés par l’AJJ, y compris ceux concernant l’interprétation des clauses dans le contexte de l’ensemble de la convention et le fait de veiller à ce qu’une interprétation stricte des termes n’entraîne pas un résultat absurde.

[45]  Toutefois, à la suite de la décision de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil national de recherches du Canada, 2013 CRTFP 88, l’employeur a soutenu qu’en l’espèce, le libellé de la clause 24.18 est clair. Elle énumère seulement les dispositions de la LGFP. Si les parties avaient eu l’intention qu’il n’existe qu’une seule étape de la procédure de règlement des griefs concernant les renvois en cours de stage, elles l’auraient indiqué en énumérant l’art. 62 de la LEFP dans la clause. L’intégration des licenciements en vertu de l’art. 62 de la LEFP à la clause serait contraire au sens ordinaire de la convention collective et exigerait sa modification. L’art. 229 de la Loi interdit aux arbitres de griefs de modifier les conventions collectives.

[46]  Selon l’employeur, le fait d’exiger que les employés suivent la procédure de règlement des griefs à trois étapes, même pour les renvois en cours de stage, ne constitue pas du tout un résultat absurde. Il ne faut pas faire abstraction des avantages d’une procédure à trois étapes. En fait, les circonstances limitées dans lesquelles la Commission peut assumer la compétence sur les licenciements effectués en vertu de l’art. 62 de la LEFP signifient que la procédure complète offre à un fonctionnaire s’estimant lésé le forum principal où il peut faire valoir ses arguments. Quoi qu’il en soit, l’agent négociateur n’a déposé aucun élément de preuve indiquant que le fait de participer à cette procédure entraîne des difficultés ou crée des problèmes liés à la sécurité.

[47]  L’employeur a également cité le mécanisme de délégation de pouvoir de SPPC qui lui permet de déléguer à la baisse le renvoi au cours de la période de stage aux gestionnaires du niveau cinq (sur six) et a déclaré que tous les six niveaux d’autorité peuvent entendre un grief en matière de relations de travail au premier palier. Il a soutenu qu’un gestionnaire qui décide de renvoyer une personne en cours de stage peut annuler cette décision à la première étape de la procédure de règlement des griefs.

[48]  Selon l’employeur, la clause 24.17 n’offre aucun contexte pour interpréter la clause 24.18. Au contraire, elle constitue une preuve que les parties se sont entendues pour offrir des possibilités de souplesse dans le cadre de la procédure, sous réserve évidemment à un commun accord.

[49]  En ce qui concerne sa position, l’employeur a également cité Association des juristes de Justice c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 48 (« AJJ 2 »), dans laquelle l’AJJ avait déposé un grief de principe concernant la procédure de règlement des griefs de principe. Dans AJJ 2, l’agent négociateur a soutenu que le décideur dans la procédure de règlement des griefs de principe devrait être tenu de participer à l’audition du grief. L’arbitre de grief n’était pas du même avis et a conclu que ni le libellé de l’article relatif à la procédure de règlement des griefs, ni le libellé de la clause 5.02, ni le concept de l’équité procédurale n’autorisait à interpréter la convention collective de manière à comprendre cette exigence. La procédure de règlement des griefs, même si elle constitue un élément clé de l’intégrité des relations de travail, permet aux parties de recourir à divers mécanismes, y compris les trois étapes et les audiences ou les arguments écrits, pour tenter de régler les questions.

[50]  À mon avis, en ce qui concerne l’interprétation de la convention collective dans un cas comme celui en l’espèce, le premier principe que la Commission doit appliquer consiste à examiner le sens clair et ordinaire des mots dans une convention collective. D’autres principes d’interprétation ne s’appliquent que s’il existe une ambiguïté, si le sens clair et ordinaire des mots entraîne un résultat absurde ou incompatible ou si le sens clair et ordinaire des mots est incompatible avec d’autres parties de la convention collective.

[51]  Le libellé de la clause 24.18 est clair, précis et non ambigu. Elle fait clairement référence comme suit aux licenciements effectués en vertu de la LGFP :

24.18 Lorsque l’Employeur rétrograde ou licencie un juriste pour un motif déterminé aux termes des alinéas 12(1)c), d) ou e) de la Loi sur la gestion des finances publiques, la procédure de règlement des griefs énoncée dans la présente convention s’applique, sauf que le grief n’est présenté qu’au dernier palier.

[52]  Je comprends pourquoi un fonctionnaire s’estimant lésé pourrait préférer que son grief concernant un renvoi en cours de stage soit entendu uniquement au dernier palier, mais l’agent négociateur n’a pas démontré que le fait de suivre les trois paliers de la procédure constitue un résultat absurde. Il n’a pas non plus démontré une violation de la clause 5.02.

[53]  L’agent négociateur a tenté de réfuter l’argument de l’employeur selon lequel les gestionnaires au premier palier ont le pouvoir délégué de licencier un employé au cours de son stage et, par conséquent, d’annuler ce licenciement. Il a contesté cet argument en faisant remarquer que les documents de délégation de pouvoir cités par l’employeur indiquent que les gestionnaires au sein de l’unité de négociation pourraient mettre fin à l’emploi au cours de la période de stage. Même si ce fait suscite un certain doute quant à la question de savoir si l’employeur déléguerait réellement un tel pouvoir à un niveau aussi bas, il ne s’agit pas du type d’élément de preuve nécessaire pour établir une violation de la convention collective.

[54]  Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec l’employeur pour dire que, dans de tels cas, un fonctionnaire s’estimant lésé et son agent négociateur pourraient appliquer les dispositions de la clause 24.17 pour faire valoir que le grief devrait passer outre un palier ou en fait les deux paliers et être entendu directement au troisième et dernier palier. Même si la clause 24.17 exige un accord entre l’employeur et le fonctionnaire s’estimant lésé, elle offre effectivement un moyen d’obtenir le résultat demandé par l’AJJ; à savoir une procédure plus courte. Tel que cela a été indiqué, dans l’affaire qui a donné lieu au dépôt du présent grief de principe, il ressort de la preuve que les parties ont effectivement passé outre le premier palier et qu’elles ont passé directement au deuxième palier.

[55]  Il convient de noter que l’AJJ a également soutenu que la Commission a le pouvoir de [traduction] « supposer » l’inclusion d’un licenciement au titre de renvoi en cours de stage à la clause 24.18 et que le faire est nécessaire pour donner effet à la convention collective de l’AJJ, ne créerait aucun problème administratif pour l’employeur et permettrait de rationaliser la procédure de règlement des griefs.

[56]  En ce qui concerne les deux derniers points, les arguments de l’AJJ peuvent bien être valables, aucun élément de preuve selon lequel le fait d’exiger que ces griefs soient instruits au dernier palier uniquement ne créerait un problème administratif et il est logique de soutenir que le fait de passer directement au dernier palier pourrait rationaliser la procédure.

[57]  Toutefois, je ne suis pas convaincu que le fait d’interpréter la clause 24.18 de manière à inclure les griefs concernant le renvoi en cours de stage est nécessaire pour donner effet à la convention collective. Les dispositions de la convention collective offrent quand même à un fonctionnaire s’estimant lésé un mécanisme pour contester son renvoi en cours de stage.

[58]  L’AJJ a également fait valoir que le fait de supposer l’inclusion serait conforme au critère énoncé dans Perelmuter c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2013 CRTFP 15, au par. 15, citant McKellar General Hospital v. Ontario Nurses’ Assn. (1986), 24 L.A.C. (3e) 97, au par. 107, comme suit :

[15] [...] le pouvoir de déclarer un délai implicite ne devait être exercé qu’en présence des deux conditions suivantes :

[Traduction]

[...]

1) s’il est nécessaire d’admettre une condition implicite pour rendre un contrat « efficace au plan commercial et de la convention collective » autrement dit, pour faire en sorte que la convention collective puisse être exécutée;

2) si, après avoir pris connaissance de l’omission de la condition, les parties conviennent sans hésitation de l’inclure.

[59]  Malgré le caractère valable des arguments concernant la première condition, évidemment la deuxième condition citée dans Perelmuter n’a pas été satisfaite. Si l’employeur avait « convenu sans hésitation » d’insérer à la clause 24.18 les licenciements au titre de renvoi en cours de stage, il aurait donc pu faire droit au grief de principe ou il aurait pu convenir de passer directement au dernier palier en ayant recours à la souplesse prévue à la clause 24.17. Il ne l’a pas fait. Au contraire, il a rejeté le grief de principe au dernier palier et a fait preuve d’importants efforts devant la Commission pour nier le fait que la clause 24.18 s’applique aux renvois en cours de stage.

[60]  Par conséquent, je conclus que rien ne suppose que le libellé de la clause 24.18 soit interprété de manière à inclure les griefs concernant les renvois en cours de stage.

V. Le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

[61]  Dans leurs premiers arguments, aucune des parties n’a mentionné la différence entre le libellé de la convention collective à la clause 24.18 et le libellé figurant dans le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005‑79 (le « Règlement »), à l’art. 71, qui se lit comme suit :

Circonstances permettant d’éliminer des paliers

71 Le grief individuel ayant trait à la classification, au licenciement ou à la rétrogradation peut être présenté au dernier palier de la procédure applicable aux griefs individuels sans avoir été présenté aux paliers inférieurs.

[62]  Par conséquent, la Commission a invité les parties à présenter d’autres arguments sur l’art. 71 du Règlement, ainsi que sur les répercussions du par. 237(2) de la Loi.

[63]  L’AJJ était d’avis que l’art. 71 du Règlement n’est pas incompatible avec la clause 24.18 de la convention collective. Les deux dispositions reflètent une variante dans la procédure qui autorise de présenter les griefs relatifs au licenciement directement au troisième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs individuels.

[64]  L’employeur a soutenu que l’art. 71 du Règlement n’est pas prescriptif (« doit »), mais facultatif (« peut ») et, par conséquent, le libellé de l’article n’étaye pas ce qui est demandé par l’AJJ, à savoir une exigence selon laquelle certains griefs doivent être présentés directement au dernier palier. Elle a proposé que divers facteurs devraient être soupesés afin de déterminer si l’art. 71 exige qu’un certain grief soit présenté directement au dernier palier. L’employeur a fait valoir que l’art. 71 est incompatible avec la convention collective. Les parties ont déjà créé une souplesse dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et elles ont indiqué expressément les circonstances dans lesquelles un grief individuel peut être présenté directement au dernier palier.

[65]  J’estime qu’il convient de noter que le libellé de l’art. 71 vise généralement les griefs concernant le « licenciement ». Contrairement au libellé de la convention collective, le libellé du Règlement ne se limite pas aux licenciements en vertu de la LGFP. Sans les termes limitatifs prévus dans la convention collective, on pourrait soutenir qu’une interprétation en fonction du sens ordinaire du terme « licenciement » comprendrait les licenciements imposés pour quelque raison que ce soit, y compris ceux en vertu de la LEFP.

[66]  Même si l’art. 71 du Règlement utilise le terme « peut », la clause 24.18 l’utilise aussi. Il s’agit de l’employé qui présente le grief, et l’art. 71 et la clause 24.18 lui offrent tous les deux la possibilité de présenter son grief uniquement au dernier palier. Je conclus que ni le libellé de la clause 24.18 ni celui de l’art. 71 ne confère à l’employeur une influence quelconque sur cette décision. Au contraire, la clause 24.17 exige que l’employeur et le juriste et, s’il y a lieu, l’agent négociateur, s’entendent pour supprimer des paliers.

[67]  Toutefois, je conclus que l’art. 71 du Règlement ne régit pas le traitement des griefs individuels concernant le licenciement en vertu de la convention collective de l’AJJ en raison du libellé du par. 237(2) de la Loi, qui se lit comme suit :

Restriction à l’application des règlements

(2) Les clauses d’une convention collective conclue à l’égard des fonctionnaires d’une unité de négociation par l’agent négociateur accrédité pour celle‑ci et par l’employeur l’emportent sur les dispositions incompatibles des règlements pris en vertu du paragraphe (1) au sujet des griefs individuels, collectifs ou de principe.

[68]  À mon avis, puisque la clause 24.18 de la convention collective conclue entre les parties contient un libellé précis concernant les griefs ayant trait au licenciement qui peuvent être présentés directement au dernier palier, elle est incompatible avec l’art. 71 du Règlement et, par conséquent, l’art. 71 ne s’applique pas aux griefs individuels ayant trait au licenciement déposés par les employés régis par cette convention collective.

[69]  Vu le par. 237(2) de la Loi, le fait que les parties ont choisi de négocier le libellé précis de la convention collective prévu à la clause 24.18 indique une intention claire de la part des parties de ne pas être régis par l’art. 71 du Règlement en ce qui concerne les griefs relatifs au licenciement. Par conséquent, l’analyse du présent grief de politique doit être fondée sur le libellé de la clause 24.18.

VI. Conclusions

[70]  La réponse aux deux questions soulevées dans le grief est « non ». Le libellé de la clause 24.18, lue dans son contexte global avec l’esprit de la LGFP et de la LEFP, ne comprend pas les licenciements au titre de renvoi en cours de stage et je ne vois aucune raison pour interpréter ou pour supposer que ces licenciements sont visés par cette clause.

[71]  L’agent négociateur a présenté un certain nombre d’arguments raisonnables quant à la raison pour laquelle un grief concernant un renvoi en cours de stage devrait être entendu au dernier palier. Ces arguments pourraient se défendre dans le cadre de discussions avec l’employeur quant à la raison pour laquelle il devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de la clause 24.17 pour entendre un grief particulier portant sur ce sujet au dernier palier. Ces arguments pourraient également se justifier dans le contexte des négociations collectives où l’agent négociateur propose une modification à la clause 24.18 en vue d’inclure les licenciements en vertu de l’art. 62 de la LEFP.

[72]  Toutefois, ses arguments quant à la raison pour laquelle il pourrait être plus équitable et plus efficace de passer directement à la dernière étape de la procédure de règlement des griefs ne répondent pas à la norme requise pour me convaincre que la convention collective a été violée.

[73]  Cela ne signifie pas que les griefs concernant un renvoi en cours de stage doivent suivre toutes les trois étapes. Tel que cela a été indiqué, la clause 24.17 prévoit un mécanisme particulier en vertu duquel les parties peuvent s’entendre pour passer directement au dernier palier. De plus, je n’ai rien relevé dans la convention collective qui empêche les parties de s’entendre mutuellement pour passer outre des paliers, comme elles l’ont fait dans le grief individuel à l’origine du présent grief de principe.

[74]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[75]  Le grief est rejeté.

Le 25 septembre 2019.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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