Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié en raison de sa participation à un incident exigeant un recours à la force que l’employeur a jugé excessif et contraire à la politique – il a été employé en tant qu’agent correctionnel (CX-02) pendant 17 ans – le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu qu’il avait participé à au moins 100 incidents de recours à la force avant les évènements et qu’il n’avait jamais fait l’objet de mesure disciplinaire pour l’un d’entre eux – après un examen approfondi, l’employeur a conclu que le fonctionnaire avait utilisé une force excessive pour faire tomber le détenu alors que cette mise au sol n’était pas nécessaire pour l’amener à lui obéir ou le contrôler - il a aussi conclu que, même si le contrôle physique avait été approprié dans les circonstances, le degré de force employé par le fonctionnaire était excessif et inacceptable – selon l’employeur, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas assumé la responsabilité de ses gestes et il n’a pas pu lui expliquer ce qu’il voyait sur la vidéo, ce qui avait mal tourné et ce qui l’avait obligé à réagir ainsi face au détenu – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas démontré qu’il comprenait véritablement les conséquences potentielles de ses agissements et qu’il recourrait sans aucun doute à la même tactique s’il était plongé dans une situation semblable à l’avenir – ce comportement mettrait à risque l’établissement, les détenus et ses collègues – il a violé la « Directive du commissaire 060 » et le « Code de déontologie » de l’employeur en maltraitant un détenu dont il était responsable – la Commission a aussi conclu que l’employeur avait eu raison de craindre que le fonctionnaire répète ce comportement s’il demeurait à son service – par conséquent, l’employeur n’a pas eu tort de conclure que le licenciement était approprié dans les circonstances, ou qu’il était déraisonnable – l’employeur s’est acquitté de son fardeau de démontrer que le lien de confiance avait été irrémédiablement rompu – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fourni à l’employeur un motif valable pour lui imposer la mesure disciplinaire et que la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas une réponse excessive – la Commission a rendu une ordonnance de mise sous scellés visant toutes les pièces qui contiennent des renseignements susceptibles d’identifier le détenu.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date : 20191010

Dossier : 566-02-11904

 

Référence : 2019 CRTESPF 101

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 

ENTRE

 

 

Clayton Shaw

 

fonctionnaire s’estimant lésé

 

 

et

 

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

 

 

Répertorié

Shaw c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : François Ouellette, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur :  Joel Stelpstra, avocat

Affaire entendue à Saskatoon (Saskatchewan),

du 8 au 10 janvier et le 9 juillet 2019.

(Traduction de la CRTESPF)

 


MOTIFS DE DÉCISION

(Traduction de la CRTESPF)

  I.  Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1]  Clayton Shaw, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a contesté la décision de l’employeur, le Service correctionnel du Canada (SCC), de mettre fin à son emploi à titre d’agent correctionnel 2 (CX-02) au Centre psychiatrique régional (CPR) à Saskatoon, en Saskatchewan, en raison de sa participation à un incident exigeant un recours à la force que l’employeur a jugé excessif et contraire à la politique.

  II.  Questions préliminaires

[2]  Au début de l’audience, le représentant de l’employeur a demandé la mise sous scellés de pièces qui contenaient des renseignements qui permettaient d’identifier le détenu visé par l’incident exigeant un recours à la force pour lequel le fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Je suis d’accord et j’ordonne que les pièces déposées à titre de pièces 2 et 3, y compris la vidéo de l’enregistrement du recours à la force, soient scellées. Le représentant a aussi demandé que le nom du détenu soit anonymisé, ce qui n’est pas requis puisque je n’ai pas l’intention de mentionner le détenu par son nom.

[3]  Comme le mentionne la « Politique sur la transparence et la protection de la vie privée » de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), le principe de transparence judiciaire occupe une place importante dans notre système de justice. Suivant ce principe garanti par la Constitution, la Commission tient ses audiences en public, sauf dans des circonstances exceptionnelles. La Commission pratique une politique d’ouverture qui favorise la transparence de ses procédures, la responsabilisation et l’équité dans la conduite de ses audiences. Les décisions de la Commission indiquent le nom des parties et des témoins et fournissent toute information à leur sujet qui est pertinente et nécessaire pour trancher le différend. Il s’agit d’une politique publique disponible à tous et elle est partagée avec les parties au processus d’arbitrage.

[4]  Dans des circonstances exceptionnelles, la Commission déroge à son principe de transparence judiciaire pour accéder à des demandes visant la protection de la confidentialité d’éléments spécifiques de la preuve et adapter ses décisions au besoin de protection de la vie privée d’une personne lorsque de telles demandes respectent les normes applicables et reconnues dans la jurisprudence. Dans ces circonstances, la Commission applique le critère Dagenais/Mentuck (Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835 et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76) qui a été reformulé ainsi dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, au paragraphe 53 :

[...]

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important [...] dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

(b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[5]  En l’espèce, il y a un risque grave qui pourrait découler de la divulgation de l’identité du détenu, étant donné que les détenus représentent une population vulnérable. Je suis convaincue que les droits à la vie privée du détenu peuvent être suffisamment protégés par la mise sous scellés des pièces, et je n’ai pas entendu d’arguments contraires. Le nom du détenu sera également caviardé dans la lettre de licenciement qui figure dans le dossier de la Commission. Les effets positifs de limiter le principe de transparence judiciaire l’emportent sur ses effets négatifs. Je rendrai une ordonnance à cet égard à la fin de la présente décision.

  III.  Résumé de la preuve

[6]  Le fonctionnaire a été employé en tant que CX-02 par l’employeur pendant 17 ans; à ce titre, il détenait le statut d’agent de la paix. La principale responsabilité de son poste consistait à protéger l’établissement et le public. En tant qu’agent de la paix, il a été assermenté pour protéger les personnes qui l’entourent et maintenir l’ordre dans l’établissement. Il était un agent hautement qualifié, possédant de l’expérience dans le recours à la force et connaissant la politique qui s’y appliquait. Durant la période de 17 ans où il a été un CX, il a été membre de l’équipe d’intervention d’urgence (EIU) pendant 15 ans et chef d’équipe de l’EIU pendant les quatre dernières années où il en a fait partie. Il connaissait très bien le Modèle de gestion de situations (MGS), qui est un modèle décisionnel employé pour évaluer le niveau approprié de recours à la force dans une situation de conflit. Il savait qu’il devait utiliser uniquement le niveau minimal de force nécessaire pour désamorcer et régler une situation.

[7]  Selon le fonctionnaire, il a participé à au moins 100 incidents de recours à la force avant les événements du 1er avril 2015 et il n’a jamais fait l’objet de mesure disciplinaire pour l’un d’entre eux. L’événement en question dans la présente décision était le seul pour lequel il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Le 1er avril 2015, le détenu en question, qui avait la réputation de dire tout ce qui lui passait par la tête, comme les témoins l’ont décrit, a refusé d’obéir à l’ordre de retourner à sa cellule et de s’y enfermer. Le détenu avait 60 ans et était beaucoup plus court que le fonctionnaire. Il n’a démontré aucun signe d’agression pendant l’incident en question, mais il n’a pas obéi à l’ordre de retourner à sa cellule donné par le fonctionnaire. Pour qu’il lui obéisse, le fonctionnaire s’est approché du détenu par-derrière, lui a fait une mise au sol par clé de bras et l’a couché au sol.

[8]  Un autre CX est venu aider le fonctionnaire et ce dernier s’est retrouvé coincé avec le détenu. Le fonctionnaire a donné des coups de genou sur la tête, le cou et les épaules du détenu pour libérer son collègue de l’emprise du détenu. Après un examen approfondi, l’employeur a conclu que le fonctionnaire avait utilisé une force excessive pour faire tomber le détenu alors que cette mise au sol n’était pas nécessaire pour l’amener à lui obéir ou le contrôler. Il a aussi conclu que, même si le contrôle physique avait été approprié dans les circonstances, le degré de force employé par le fonctionnaire était excessif et inacceptable.

[9]  Shawn Bird était le directeur du CPR au moment de l’incident. Il a déclaré que le CPR diffère des autres établissements de la région puisqu’il est le seul centre de traitement psychiatrique. Il s’agit d’un établissement autonome qui est accrédité et qui respecte les normes provinciales de soins de santé. Il offre des traitements et des interventions psychiatriques aux détenus; 80 de ses 220 lits sont réservés au traitement psychiatrique. Les détenus arrivent à la suite d’admissions cliniques et sont gérés au moyen d’un plan de traitement clinique et d’un plan correctionnel régulier.

[10]  L’équipe de traitement et les CX travaillent en équipe, selon M. Bird. Les CX-01 assurent la sécurité statique par la gestion des portes et la réalisation de dénombrements cellulaires comme dans tout autre établissement. Les CX-02, comme le fonctionnaire, assurent la sécurité active, interagissent avec les détenus et font partie de l’équipe de traitement et de gestion des cas. Le fonctionnaire a joué ce rôle au CPR pendant 17 ans à l’unité Bow du CPR, où l’incident est survenu.

[11]  M. Bird a déclaré que le fonctionnaire avait été choisi comme chef d’équipe de l’EIU en raison de son rendement. Les membres de l’EIU interviennent dans des situations à risque élevé. Les chefs d’équipe sont sélectionnés en fonction de leur professionnalisme, de la reconnaissance qu’ils ont un rendement supérieur, étant un modèle pour les autres agents, et de la reconnaissance qu’ils sont des experts dans le recours à la force et son application en vertu des politiques de l’employeur. Les membres de l’EIU suivent régulièrement de la formation et perfectionnent leurs compétences. Ils suivent une formation initiale de trois semaines ainsi qu’une formation d’appoint tous les ans.

[12]  Chaque incident exigeant un recours à la force, y compris ceux du fonctionnaire, est examiné par l’établissement, selon M. Bird. Le gestionnaire correctionnel, Opérations (GCO), a réalisé l’examen initial de l’incident exigeant un recours à la force concernant le fonctionnaire, en se fondant sur le Rapport d’observation ou déclaration d’un agent (RODA) déposé et le rapport de soins de santé suivant un recours à la force. Le détenu a aussi fourni des observations écrites. Le GCO a conclu que, même si le recours à la force avait été raisonnable, compte tenu de la possibilité que le détenu agresse le fonctionnaire avec du liquide chaud, le degré de force employé par le fonctionnaire était excessif.

[13]  Les agents de la paix sont protégés par le Code criminel (L.R.C. (1985), c. c-46) du Canada lorsqu’ils recourent à la force, si cette dernière est proportionnelle à la situation. Selon les conclusions de l’examen du GCO, le degré de force utilisé dans ce cas était excessif, compte tenu des comportements démontrés par le détenu. En raison de l’utilisation de la force, il a subi des blessures au visage, des ecchymoses, des douleurs à l’épaule et des maux de tête.

[14]  Lorsque le GCO a terminé son examen et formulé ses recommandations, M. Bird a revu la vidéo et a parlé au détenu directement, qui lui a dit qu’il voulait obtenir des excuses du fonctionnaire pour la nature excessive de la force qu’il avait utilisée.

[15]  M. Bird a décrit ce qu’il a vu sur l’enregistrement vidéo, soit le fonctionnaire et son collègue, Nikolause Danczak, suivant le détenu jusqu’à une table, où le fonctionnaire frappe un bol que le détenu tenait dans sa main. Selon lui, on peut voir le bol voler dans les airs. En même temps, le fonctionnaire attrape le détenu et le jette sur la table puis sur le sol, où il le frappe à la tête avec son genou à deux reprises.

[16]  Avant que le fonctionnaire ne jette le détenu au sol, M. Bird a noté que la situation n’était pas urgente. Le bol avait été arraché des mains du détenu. Le fonctionnaire avait amplement la possibilité de se retirer et de réévaluer la situation. Il a plutôt effectué une mise au sol par clé de bras et a projeté maladroitement et dangereusement le détenu au sol. Le détenu a ensuite attrapé la jambe de M. Danczak. À ce moment-là, le fonctionnaire a donné deux coups de genou sur le cou, le dos et les épaules du détenu. Le détenu a fini par être menotté, levé et escorté à sa cellule. Selon M. Bird, le langage corporel du détenu avant la mise au sol ne démontrait aucun signe d’agressivité.

[17]  M. Bird a conclu que le recours à la force avait été excessif, même si un recours à la force moindre était justifié dans les circonstances. Le processus d’examen s’est poursuivi aux niveaux régional et national. Après son achèvement et puisque l’examen a fourni les mêmes conclusions que celles de M. Bird, ce dernier a entrepris une enquête disciplinaire pendant laquelle le fonctionnaire a été suspendu sans traitement. M. Bird a nommé Heather Bergen et Kathy Neil en tant qu’enquêtrices disciplinaires. Elles avaient 30 jours pour lui soumettre leurs conclusions.

[18]  Selon leur rapport écrit (pièce 2, onglet 1), le fonctionnaire n’avait pas respecté les politiques de l’employeur ou la loi. Bien que le recours à la force ait été justifié, le degré de force utilisé était déraisonnable et excessif. Elles ont conclu que le fonctionnaire avait contrevenu à la « Directive du commissaire 060 » (« DC-060 ») et au Code de discipline de l’employeur et qu’il avait mis le détenu, son collègue et lui‑même en danger.

[19]  Selon M. Bird, le recours excessif à la force dans l’exécution des tâches d’un agent est une infraction à la DC-060. Conformément au MGS, lorsqu’il fait face à un conflit, un agent doit l’évaluer et, dans la mesure du possible, faire des interventions verbales pour le régler. S’il utilise la force, elle doit être nécessaire, raisonnable et proportionnelle aux menaces auxquelles il fait face. Les enquêtrices ont conclu que la force utilisée par le fonctionnaire, qui a été jugée excessive à toutes les étapes du processus d’examen de recours à la force, contrevenait à la DC-060.

[20]  M. Bird a déclaré qu’il avait accepté les conclusions. Par conséquent, pour donner au fonctionnaire la possibilité de répondre au rapport, M. Bird a convoqué une audience disciplinaire à laquelle a assisté le fonctionnaire en compagnie de son représentant syndical. Jusqu’à ce moment, selon M. Bird, il n’avait tiré aucune conclusion quant au résultat du processus disciplinaire. Toutefois, lorsqu’il en a eu la possibilité, le fonctionnaire n’a pas présenté à M. Bird d’éléments à prendre en considération pour rendre sa décision. M. Bird avait l’impression que le fonctionnaire ne prenait pas l’affaire au sérieux et qu’il ne reconnaissait pas la gravité de ses gestes. 

[21]  Le fonctionnaire n’a pas assumé la responsabilité de ses gestes. Selon M. Bird, le fonctionnaire n’a pas pu lui expliquer ce qu’il voyait sur la vidéo, ce qui avait mal tourné et ce qui l’avait obligé à réagir ainsi face au détenu. Les collègues du fonctionnaire présents au moment de l’incident n’ont pas corroboré sa version des événements; ils n’ont pas non plus appuyé sa description du détenu, soit qu’il était agressif, fauteur de trouble et violent. La seule explication fournie par le fonctionnaire pour ses actions était qu’il croyait que le détenu allait l’agresser, ce que M. Bird n’a pu accepter parce qu’il a vu clairement sur la bande vidéo que c’était le détenu, et non le fonctionnaire, qui était vulnérable.

[22]  Le détenu en question avait 60 ans et aucun antécédent de violence dans son dossier criminel ou pendant son incarcération. Il était vulnérable, ce que le fonctionnaire n’a pas reconnu, selon M. Bird. Le fonctionnaire a répété qu’il croyait que le détenu allait lui lancer quelque chose de chaud. Il a dit vaguement à M. Bird avoir été agressé auparavant avec des liquides chauds, mais il n’a pu lui fournir de détails. Aucun incident de ce genre n’a été enregistré au cours des quatre dernières années, selon une vérification des registres de l’établissement effectuée par M. Bird. Par conséquent, M. Bird n’a pas tenu compte de cette affirmation au motif qu’elle n’était pas vraie. S’il existait des RODA pour documenter ces agressions, le fonctionnaire aurait dû les lui présenter à l’audience disciplinaire, ce qu’il n’a pas fait.

[23]  Selon M. Bird, l’objectif dans un lieu de travail violent, comme une prison, consiste à fournir au personnel une formation, des outils précis et des processus et à s’assurer qu’il y a suffisamment d’employés pour atténuer les risques. Selon M. Bird, le fonctionnaire, étant donné son expérience et sa formation en EIU, aurait dû être préparé pour gérer cette situation. Un CX ne peut pas toujours supposer que le pire va arriver.

[24]  M. Bird s’est dit désappointé par la réaction du fonctionnaire à la situation et par la façon dont ce dernier l’a gérée. Étant donné son expérience en tant que CX et en tant que chef d’équipe et membre de l’EIU, il est un expert du recours à la force et il doit agir de manière à être un modèle pour les autres agents. Il a lamentablement échoué à agir comme tel dans la situation en question. Aucune de ses réactions ne témoignait du degré de formation et d’expérience qu’il avait dans les situations exigeant un recours à la force.

[25]  Le fonctionnaire a dit à M. Bird qu’il avait tenté de négocier avec le détenu. M. Bird a conclu qu’aucune négociation n’avait eu lieu, selon son examen de la bande vidée et des réponses du fonctionnaire aux questions de savoir ce qu’il avait fait exactement qui constituait de la négociation. Selon M. Bird, le fait de crier après un détenu et de lui donner des ordres directs ne constitue pas de la négociation. Encore une fois, le fonctionnaire échoué dans son application du MGS et en ce qui concerne les attentes à son égard en sa qualité d’expert du recours à la force.

[26]  M. Bird a émis l’hypothèse selon laquelle, si le fonctionnaire craignait vraiment d’être agressé avec le contenu du bol dans les mains du détenu, il aurait très bien pu neutraliser la menace en faisant tomber le bol de ses mains, ce qu’il a précisément fait. À ce moment-là, la menace était neutralisée, et le fonctionnaire aurait dû réévaluer la situation selon le MGS et déterminer ce qu’il devait faire, étant donné les nouvelles circonstances. Il avait amplement le temps de se retirer, mais il ne l’a pas fait. Il a plutôt jeté le détenu au sol d’une manière susceptible de le blesser, ce qui a empiré la situation. La situation n’était pas urgente avant que le fonctionnaire réalise son plan d’attaque.

[27]  Il était clair pour M. Bird que la mesure disciplinaire contre le fonctionnaire était justifiée puisque ce dernier n’a pas expliqué pourquoi les choses se sont déroulées ainsi. La mesure disciplinaire a pour but d’être corrective, mais cela signifie que l’employé doit reconnaître qu’il a mal agi. Autrement, rien ne peut être corrigé. Selon ce que M. Bird a entendu du fonctionnaire, soit qu’à aucun moment il n’a assumé la responsabilité de ce qui était arrivé, et ce qu’il a appris sur le rôle du fonctionnaire dans la création d’une situation exigeant un recours à la force et sur le fait que le fonctionnaire ne reconnaissait pas qu’il avait mal agi, la seule option dont disposait l’employeur était le licenciement.

[28]  Le fonctionnaire a été licencié parce que ses actions ont considérablement porté préjudice au détenu, qu’il n’a pas respecté les politiques de l’employeur, qu’il a recouru de manière excessive à la force et que sa version du recours à la force n’est pas conforme aux faits. M. Bird ne pouvait plus faire confiance au fonctionnaire, qui n’a pas été franc lorsqu’il a décrit ses actions dans le cadre de l’incident exigeant un recours à la force. Il ne pouvait plus lui faire confiance pour recourir correctement à la force contre un détenu à l’avenir.

[29]  Le CPR est un hôpital accrédité; les détenus sont des patients vulnérables. Le fonctionnaire a violé son obligation de soins envers le patient lorsqu’il a eu recours de manière excessive à la force. Dans l’esprit de M. Bird, la situation a soulevé la question de savoir si, pendant toute la période, le fonctionnaire s’est conduit de façon appropriée avec la population vulnérable. Selon lui, il n’était pas certain que le fonctionnaire l’avait fait et il ne pouvait donc pas lui faire confiance et il doutait de ses capacités à faire confiance au fonctionnaire si ce dernier devait être réintégré dans un tel poste de confiance.

[30]  Lorsque le fonctionnaire a présenté une demande d’assurance-emploi, l’employeur a contesté son droit au motif qu’il n’avait pas été franc et honnête dans sa demande. Il ne s’agissait que de la deuxième fois que M. Bird, en sa qualité de directeur, prenait cette mesure extrême, mais il a dit que cette décision démontrait qu’il était convaincu que le fonctionnaire n’avait pas été franc et qu’il n’assumait la responsabilité de ses actions.

[31]  Jean‑Guy Ouellette était le GCO au CPR au moment de l’incident. Il a effectué un examen du recours à la force au niveau de l’établissement et il a formulé des recommandations à la suite de son évaluation. Il a expliqué à l’audience la structure de l’unité Bow, où le détenu était hébergé ainsi que les emplacements et les angles des caméras vidéo dans cette unité. Il avait obtenu la bande vidéo (pièce 2, onglet F3).

[32]  Leon Durette gérait et tenait à jour les dossiers de recours à la force et il effectuait des examens de recours à la force pour l’employeur. Il est formé dans tous les aspects du recours à la force. Il est un formateur principal à l’échelle nationale pour les EIU. Il a déclaré que le MGS est une représentation graphique du processus décisionnel nécessaire pour la gestion des situations exigeant un recours à la force. Il est circulaire pour représenter la nécessité de flexibilité. Toutes les situations nécessitent une résolution de problèmes et exigent que les CX évaluent tous les facteurs situationnels et obtiennent des renseignements pour s’assurer que tous les autres éléments de réponse sont pris en considération avant de recourir à la force, qui doit être utilisé en dernier recours. Pour qu’elle soit appropriée, un CX peut recourir à la force seulement après avoir examiné les comportements démontrés par les détenus et tous les autres facteurs situationnels; le recours à la force doit être proportionnel et nécessaire. On s’attend à ce que les agents évaluent et réévaluent leurs réactions tout au long d’un incident et les modifient pour les adapter à la situation changeante.

[33]  Selon M. Durette, les membres de l’EIU, comme le fonctionnaire, suivent une formation supplémentaire qui s’inspire de la formation de base sur les arrestations et la maîtrise et l’autodéfense offerte à tous les CX. Ils revoient le MGS dans chaque module de leur formation. Ils sont experts dans le recours à la force au sein d’un établissement et du SCC. Les coups de genou ne font pas partie de leur formation.

[34]  Lorsqu’il examine un incident exigeant un recours à la force, un examinateur doit d’abord déterminer si le recours à la force était nécessaire. Ensuite, il doit se demander si elle était proportionnelle et raisonnable dans les circonstances. Selon M. Durette, le recours à la force est jugé nécessaire si un CX a épuisé toutes les options, a tenté de communiquer avec le détenu, a tenté de désamorcer la situation et a d’abord tenté une intervention moindre. Par la suite, le recours à la force est nécessaire. Le recours à la force peut aller d’une présence physique à un contrôle physique et comprendre l’utilisation d’armes, au besoin.

[35]  Selon M. Durette, le recours à la force est proportionnel s’il est approprié au niveau de menace auquel fait face le CX, compte tenu de sa perception. La proportionnalité concerne la force utilisée en réponse au comportement du détenu. En l’espèce, le détenu lançait des insultes au fonctionnaire tout en se conformant à l’ordre qui lui était donné. Ce comportement était considéré comme de la résistance verbale, selon M. Durette, et ne nécessitait pas le contrôle physique comme celui employé par le fonctionnaire, selon l’avis et l’expérience de M. Durette.

[36]  Mme Neil a témoigné au sujet de la tenue de l’enquête qu’elle a exécutée avec Mme Bergen. Elles ont interrogé toutes les personnes qu’elles croyaient pertinentes à leur enquête, y compris tous les témoins et le détenu. Elles ont obtenu une copie de la vidéo enregistrée. De plus, elles ont examiné les politiques et autres documents pertinents, y compris les RODA et le [traduction] « registre de suivi de l’unité Bow », que les CX utilisent pour consigner les événements importants qui sont survenus durant un quart. Si un détenu devait être mis en isolement un certain nombre de fois pour mauvais comportement ou absence de collaboration, on s’attendrait que cet incident soit consigné dans le registre de suivi de l’unité, mais, pour le détenu en question, il n’y avait pas de tel renseignement. Rien dans le registre n’appuie les affirmations du fonctionnaire selon lesquelles le détenu était agressif, fauteur de trouble et violent. Selon Mme Neil, les enquêtrices ont conclu que le fonctionnaire n’était pas crédible.

[37]  Lorsque M. Danczak a signalé aux enquêtrices que le détenu avait participé à une agression antérieure, elles ont examiné tous les rapports d’incident le concernant. Aucun dossier ne signalait que le détenu avait agressé quiconque et il n’avait aucun antécédent d’agression ou de comportement violent envers le personnel ou d’autres détenus. Il n’avait aucun antécédent d’infraction violente. Il avait été incarcéré pour des infractions contre des biens. Les enquêtrices ont conclu que le détenu était mécontent du fait que sa routine matinale avait été perturbée, qu’on lui avait dit [traduction] « non » et qu’il devait retourner à sa cellule, mais qu’il n’avait démontré aucun comportement physiquement agressif.

[38]  Selon Mme Neil, durant son entrevue, le fonctionnaire a décrit le détenu comme prompt à se mettre en colère lorsqu’on lui dit [traduction] « non ». Le jour en question, on lui a dit [traduction] « non » deux fois et on lui a dit de retourner à sa cellule. Le fonctionnaire a dit aux enquêtrices qu’il avait ordonné au détenu de s’enfermer dans sa cellule. Lorsque le détenu a refusé, le fonctionnaire a tenté de négocier avec lui. Après avoir échoué, le fonctionnaire a alors démontré sa présence physique en escortant le détenu à sa cellule. Comme il craignait que du liquide chaud lui soit lancé, le fonctionnaire a recouru au contrôle physique, selon ce qu’il a dit aux enquêtrices.

[39]  Selon Mme Neil, d’après leur entrevue avec le fonctionnaire, les enquêtrices ont tiré certaines conclusions, comme le fait que le fonctionnaire n’avait pas tenté de négocier avec le détenu et que seules quatre minutes s’étaient écoulées entre l’ordre d’isolement et l’incident exigeant un recours à la force, ce qui était un délai insuffisant pour toute interaction significative avec le détenu. La négociation oblige le CX à interagir avec le détenu. Toujours selon Mme Neil, les RODA ne mentionnent pas de négociation; ils signalent des ordres donnés, mais ne font pas mention d’autres interactions.

[40]  Sur l’enregistrement vidéo, le détenu semblait détendu et il n’avait pas une attitude agressive, selon le témoignage de Mme Neil. À 8 h 20, on lui a accordé dix minutes pour s’enfermer. Puis, à 8 h 24, le fonctionnaire est intervenu. Le détenu n’avait pas dépassé le délai; il n’y avait aucune raison pour le fonctionnaire de recourir à la force comme il l’a fait.

[41]  Les enquêtrices ont aussi conclu que le fonctionnaire n’avait pas appliqué correctement le MGS ou recouru à un niveau minimal de force nécessaire lorsque le détenu a refusé de collaborer et de retourner à sa cellule. Le fonctionnaire avait des options à sa disposition avant que le contrôle physique devienne approprié ou nécessaire.

[42]  Lorsque le recours à la force a été entrepris, le détenu n’était pas dans un état agressif et le fonctionnaire a eu suffisamment de temps pour faire tomber le liquide chaud des mains du détenu. Ainsi, il a eu le temps de réévaluer la situation, selon le MGS. Lorsque la clé de bras a été appliquée, le détenu était concentré à ramasser son bol de gruau; il a été surpris par l’action du fonctionnaire qui l’a attrapé. Selon Mme Neil, le fonctionnaire aurait pu reculer, mettre de la distance et tenter plutôt de communiquer avec le détenu, ce qui aurait été conforme au MGS. Il a plutôt recouru directement à la force.

[43]  Mme Neil a déclaré que les enquêtrices considéraient que les coups de genou que le fonctionnaire avait donnés au cou et aux épaules du détenu alors que ce dernier se trouvait au sol étaient particulièrement problématiques. Selon elle, le détenu était déjà au sol et dans un espace restreint. Il réagissait aux interventions des agents (le fonctionnaire et M. Danczak) et les coups de genou n’ont fait qu’empirer la situation.

[44]  Selon Mme Neil, aucun véritable processus de négociation n’a été entamé. Il n’y avait aucune urgence immédiate démontrée d’enfermer le détenu. Le fonctionnaire savait que le détenu vivait dans le couloir supérieur et que la pratique consistait à permettre aux détenus qui y vivaient d’emporter leur gruau et leur café dans la cellule. Le fonctionnaire occupait un poste régulier à l’unité Bow depuis un certain nombre d’années; le détenu se trouvait dans cette unité depuis environ un an. Le fonctionnaire aurait dû avoir une compréhension du comportement du détenu, en particulier s’il avait tendance à recourir à la violence physique.

[45]  Mme Neil a parlé du contraste entre le fonctionnaire et le détenu qui a pris part à l’incident. Le détenu avait 60 ans et aucun antécédent d’agression. Les deux fois où il a participé à des altercations physiques, celles-ci avaient eu lieu avec d’autres détenus. Il était connu comme étant une personne qui faisait preuve d’agressivité verbale, mais non physique. D’un autre côté, le fonctionnaire était un CX expérimenté, ayant 15 ans d’expérience en tant que membre de l’EIU à l’établissement. L’employeur l’avait très bien formé pour gérer ce type de situation. Dans son entrevue et son RODA, il a utilisé le libellé du MGS, mais les enquêtrices n’en ont vu aucune preuve dans l’enregistrement vidéo des événements. Il n’a démontré aucun des indicateurs comportementaux qui auraient montré qu’il avait tenté de désamorcer la situation, comme poser des questions et ralentir le rythme de l’incident, plutôt que de recourir au contrôle physique ou d’accroître la communication plutôt que de donner des ordres.

[46]  Lorsque le fonctionnaire a dit aux enquêtrices qu’il avait été agressé avec des liquides chauds au travail, ce qui faisait partie de la justification de ses actions, Mme Neil a examiné le Système de gestion des délinquants, dans lequel de tels cas auraient été consignés. Sa recherche lui a permis de conclure que dans la majorité des agressions contre des agents par des détenus impliquant des liquides, il s’agissait d’urine ou de salive. Deux incidents ont été consignés dans le cadre desquels des liquides chauds avaient été lancés à des agents qui travaillaient à l’unité des femmes au cours des trois années précédant l’incident en question, mais aucun ne concernait le fonctionnaire. Lorsqu’on lui a demandé de fournir plus de détails, il ne pouvait pas se rappeler le nom du détenu et, par conséquent, une recherche supplémentaire n’a pas été possible. Mme Neil a expliqué que, selon son expérience, si l’incident avait été important, le fonctionnaire se serait facilement rappelé le nom du détenu. Au bout du compte, les enquêtrices ont seulement pu conclure que le fonctionnaire était [traduction] « paranoïaque », comme Mme Neil l’a décrit, au sujet des liquides, mais qu’il n’a pas pu leur fournir de preuve justifiant le fondement de cette paranoïa.

[47]  Mme Neil a examiné les conclusions des enquêtrices quant au degré de force utilisé par le fonctionnaire. Les deux coups de distraction et le contrôle physique avaient été excessifs. Le fait de heurter la tête du détenu sur la table puis de lui donner des coups de distraction n’était pas proportionnel au risque qu’il représentait à ce moment-là. Le fonctionnaire a réagi lorsque le détenu l’a appelé [traduction] « mon ami » alors qu’il prenait son gruau et se préparait à retourner à sa cellule. Les enquêtrices ont aussi conclu que le détenu était mécontent ce jour-là en raison des circonstances qui échappaient au contrôle des agents en devoir et qui nécessitaient encore une fois cette semaine-là l’isolement des détenus.

[48]  M. Danczak est l’autre CX qui a participé à l’incident exigeant un recours à la force pour lequel le fonctionnaire a été licencié. Il a dit qu’il était très difficile de travailler à l’unité Bow en raison de la diversité des détenus qui s’y trouvaient. Ils adoptent d’importants comportements d’automutilation et des débordements, les tensions sont donc vives parmi les CX qui y sont affectés. L’unité était aussi souvent à court de personnel, ce qui entraînait de fréquents isolements cellulaires et contrariait les détenus.

[49]  Ce matin-là, un autre isolement cellulaire de l’unité a été annoncé; le détenu en question n’était pas content. La routine habituelle de l’unité avait commencé et, sans avis, l’isolement cellulaire a été annoncé. On a dit aux détenus de prendre leur déjeuner et de retourner dans leur cellule. M. Danczak a vu le détenu qui a participé à l’incident s’approcher du centre de commande de l’unité et exprimer son mécontentement au sujet de l’isolement cellulaire au fonctionnaire, mais il n’a pas pu entendre ce que le fonctionnaire lui a répondu.

[50]  M. Danczak a remarqué que le détenu devenait plus agité. Le fonctionnaire a donné l’ordre direct au détenu de s’enfermer dans sa cellule, selon M. Danczak. Lorsque le détenu a commencé à marcher vers sa cellule, le fonctionnaire l’a accompagné dans le couloir. Toutefois, le détenu n’est pas allé directement à sa cellule; il s’est arrêté à une table pour ramasser son gruau. Le fonctionnaire lui a dit de continuer d’avancer et de ne pas s’arrêter. Un échange est survenu alors qu’ils se trouvaient tous les deux à la table, mais M. Danczak n’a pas entendu précisément ce qui a été dit. Il a décrit leurs paroles comme des [traduction] « protestations ». Le détenu n’était pas visiblement agressif à ce moment-là; il ne gesticulait pas et il n’avait pas adopté une position agressive, selon M. Danczak.

[51]  Lorsque M. Danczak s’est approché de la table où se trouvait le fonctionnaire avec le détenu, il a pu entendre le fonctionnaire crier des ordres au détenu. Lorsque le détenu est allé chercher quelque chose qu’il avait mis dans le four micro-ondes, M. Danczak a conclu qu’il n’était pas physiquement coopératif puisqu’il ne retournait pas à sa cellule, ce qui a alerté M. Danczak. C’est alors que le fonctionnaire est intervenu et qu’il a fait tomber le détenu. Les autres détenus regardaient.

[52]  Lorsque M. Danczak est venu aider le fonctionnaire à menotter le détenu, ce dernier lui a attrapé la jambe. M. Danczak a alors crié à l’intention du fonctionnaire dans un [traduction] « ton paniqué », comme il l’a décrit, demandant son aide. Pour libérer M. Danczak de l’emprise du détenu, le fonctionnaire a frappé ce dernier deux fois avec son genou pour le distraire, ce qui a donné à M. Danczak la possibilité de se libérer.

[53]  Lorsqu’on lui a demandé de décrire le fonctionnaire de façon générale, M. Danczak a dit qu’il était son mentor et son leader. Le fonctionnaire lui avait montré comment rester en sécurité.

[54]  Le fonctionnaire a décrit sa carrière auprès de l’employeur. Il a commencé à travailler pour le CPR en décembre 1999 et a été affecté à l’unité Bow pendant toute cette période, à l’exception de deux années, par la suite. Après 1999, le fonctionnaire a été promu au poste CX-02, il est devenu un formateur du personnel sur l’utilisation d’appareils à incendie et d’appareils respiratoires autonomes et il est devenu membre de l’EIU de l’établissement, puis son chef d’équipe. En tant que chef d’équipe, il devait présenter les plans de gestion des situations d’urgence. Il devait aussi assurer la formation continue des membres de l’EIU et il était un modèle pour les autres membres de l’équipe.

[55]  Selon le fonctionnaire, les détenus de l’unité Bow y étaient hébergés en raison de leurs problèmes psychiatriques ou de leur santé mentale en déclin. On y retrouvait des détenus classifiés à plusieurs niveaux de sécurité avec des comportements très imprévisibles. Les incidents exigeant un recours à la force qui y survenaient découlaient de son infrastructure physique. Il s’agissait d’une unité ouverte qui n’offrait aucune zone sécuritaire pour le personnel, selon le témoignage du fonctionnaire. En raison du concept ouvert, qui était très bruyant, il était difficile de maîtriser un incident. La seule façon d’en gérer un était de procéder à l’isolement cellulaire des détenus.

[56]  Le fonctionnaire a déclaré que, le jour en question, le GCO a appelé à l’unité et a ordonné l’isolement cellulaire en raison d’une pénurie de personnel. Par haut-parleur, le fonctionnaire a ordonné aux détenus de retourner dans leur cellule et a tenté de répondre à leurs préoccupations. Selon le témoignage du fonctionnaire, le détenu en question lui a dit qu’il ne s’enfermerait pas dans sa cellule. Puis, selon le fonctionnaire, d’une voix calme, il a engagé la conversation avec lui et a tenté de freiner les commentaires du détenu. Apparemment, le détenu était contrarié d’être en isolement cellulaire encore une fois cette semaine-là.

[57]  Le fonctionnaire a dit que le comportement du détenu distrayait les autres détenus, les empêchant de retourner à leur cellule, et qu’il démontrait aussi un comportement physique exacerbé; il gesticulait et son langage corporel montrait qu’il était agité. Selon le fonctionnaire, le ton de voix du détenu incitait les autres détenus à adopter des comportements négatifs et il représentait une menace pour toute l’unité. Il pouvait voir que les autres détenus commençaient à être d’accord avec le détenu en question et à devenir agités. Le fonctionnaire craignait que les autres détenus refusent également de retourner dans leur cellule et qu’un incident survienne.

[58]  Le fonctionnaire a décrit ses interventions avec le détenu en question. Il a commencé avec une conversation et a tenté d’écouter le point de vue du détenu et ses options de négociation. Selon le fonctionnaire, il s’agissait d’une intervention verbale. Le détenu voulait obtenir quelque chose que le fonctionnaire ne pouvait pas lui donner et il ne lui a rien offert, des négociations n’étaient donc pas possibles. Les commentaires et les suggestions du fonctionnaire ont aggravé la colère du détenu; ses réponses sont devenues brèves et vulgaires, selon le fonctionnaire. Si le détenu avait demandé à être autorisé à emporter son déjeuner, le fonctionnaire le lui aurait permis, mais il ne l’a pas demandé, selon le fonctionnaire. Toutefois, dans les situations d’isolement cellulaires non urgentes, les détenus ont entre 10 et 15 minutes après que l’ordre a été donné pour retourner dans leur cellule, afin de ramasser leurs effets personnels. Toutefois, la journée en question, lorsque le détenu a refusé de retourner dans sa cellule, il n’était plus dans une situation d’isolement cellulaire normale et il n’avait plus droit à une période de 10 à 15 minutes avant de retourner à sa cellule. Le fonctionnaire s’attendait à ce qu’il y retourne immédiatement.

[59]  Le comportement du détenu avait un impact négatif sur l’autorité du fonctionnaire devant les autres détenus. Le fonctionnaire lui a donné trois ou quatre ordres directs de s’enfermer dans sa cellule avant qu’il fasse sentir sa présence physique en sortant de la bulle (le poste de commande sécuritaire de l’unité) pour aller dans le couloir négocier en personne avec le détenu. Le fonctionnaire mesurait environ cinq pieds et 10 pouces et il pesait 270 livres à l’époque. Selon lui, le détenu mesurait environ cinq pieds et 8 pouces et il pesait 180 livres.

[60]  Le détenu a reçu d’autres ordres de retourner dans sa cellule et il a continué de refuser. Il résistait verbalement et il ne collaborait pas physiquement. La situation avait empiré. Le détenu a emprunté le couloir, a dépassé l’escalier qui mène à sa cellule pour se rendre à une table. Il n’a montré aucun signe qu’il voulait poursuivre la discussion avec le fonctionnaire. Le fonctionnaire a déclaré avoir suivi le détenu à la table, où ce dernier a tenté de prendre une tasse de café chaud.

[61]  Selon son témoignage, le fonctionnaire a vu que la tasse était pleine et il a eu peur d’être agressé. Il n’a jamais eu l’intention de recourir au contrôle physique, mais lorsque sa sécurité a été mise en danger, il a conclu qu’il devait le faire. Le café dans la tasse était une arme et, dans l’esprit du fonctionnaire, le détenu avait l’intention de l’utiliser. On lui avait déjà lancé du café au visage dans une autre unité et il avait vu des détenus être atteints par du café chaud qui leur avait été lancé. Étant donné sa proximité avec le détenu à ce moment-là, le fonctionnaire avait l’impression qu’il y avait un risque qu’il soit attaqué avec le café.

[62]  Pour se protéger, lorsque le détenu a pris son bol de gruau, le fonctionnaire a attrapé son avant-bras pour atténuer le risque que posait le café. Il a choisi le contrôle physique en raison de sa crainte d’une agression imminente, qui nécessitait une réponse immédiate. Il a ensuite fait une mise au sol par clé de bras parce qu’il était plus à l’aise avec cette tactique. Le recours initial de la force était la clé de bras; cette dernière s’est transformée en mise au sol parce que le détenu a échappé à son emprise.

[63]  Le fonctionnaire a reconnu qu’il n’avait pas bien effectué la manœuvre. Il n’a pas évalué la proximité des tables autour de lui (qui étaient boulonnées au sol) et il a blâmé les tables pour justifier la mise au sol mal effectuée puisque le détenu est tombé sur le haut de son dos, sa tête et ses épaules. À la question de savoir pourquoi il n’avait pas utilisé les autres outils à sa disposition plutôt que d’exécuter une mise au sol, le fonctionnaire a déclaré qu’après avoir attrapé la main du détenu, il ne pouvait plus s’éloigner. Il a aussi conclu qu’il ne pouvait pas utiliser son gaz OC (oléorésine de capsicum) parce qu’il n’avait pas le temps de l’enlever de sa ceinture. S’il l’avait utilisé, le reste de l’unité aurait subi une contamination croisée. Il n’a pas reculé parce qu’il se serait ainsi exposé au liquide chaud et que, compte tenu de l’emplacement, il n’aurait pas pu reculer de façon sécuritaire.

[64]  Le fonctionnaire n’a jamais prévu recourir au contrôle physique pour maîtriser le détenu. Après l’avoir placé au sol, il a tenté de lui passer les menottes avec l’aide de M. Danczak, qui l’a avisé que le détenu tenait l’une de ses jambes. Selon le fonctionnaire, M. Danczak l’a appelé et il semblait contrarié et préoccupé pour sa sécurité. Dans son esprit, son collègue était agressé. Dans une tentative d’arrêter l’agression, le fonctionnaire a utilisé une technique de distraction (deux coups de genou) sur la tête et le cou du détenu. L’intention du fonctionnaire était ainsi d’arrêter l’agression, de contrôler le détenu pour finalement l’obliger à obéir. Au bout du compte, le détenu a obéi lorsqu’il a été menotté.

[65]  Le fonctionnaire a admis avoir sous-estimé la taille du détenu par rapport à la sienne. Il a aussi reconnu avoir mal jugé l’espace dans lequel il travaillait et que sa taille l’avait rendu [traduction] « problématique », comme il l’a décrit. Toutefois, sur le moment, il pensait qu’il faisait la bonne chose, étant donné les effets de l’adrénaline et sa crainte pour sa sécurité. Il s’est servi de sa formation. Il a déclaré qu’avec le recul, il n’aurait pas utilisé une clé de bras, mais plutôt une prise de poignet, une torsion de poignet ou un blocage nerveux. Cette journée-là, il a utilisé la technique avec laquelle il avait le plus d’expérience.

[66]  Après l’incident exigeant un recours à la force, M. Bird a contacté le fonctionnaire. Il voulait le rencontrer ainsi que le détenu pour discuter de la plainte que ce dernier avait déposée au sujet de l’incident. Le fonctionnaire a reconnu avoir dit à Mme Neil qu’il avait présenté ses excuses au détenu comme l’indique le rapport d’enquête. Toutefois, il a dit autre chose devant la Commission. Il a dit que le détenu voulait avoir des excuses de sa part, mais qu’il lui a plutôt dit que les choses étaient arrivées parce qu’il avait eu peur pour sa sécurité à ce moment-là. Il a dit que la rencontre s’était terminée par la reconnaissance qu’ils avaient des avis différents et qu’ils s’étaient serré la main. Il a déclaré qu’il avait accepté d’aller de l’avant et d’établir un rapport avec le détenu, ce qui faisait partie de son rôle dynamique en matière de sécurité. Après cette rencontre, entre le 1er avril, moment où l’incident est survenu, et la mi-juin 2015, le fonctionnaire a travaillé environ 40 quarts à l’unité Bow, pendant lesquels le détenu était présent.

[67]  Le fonctionnaire a déclaré que, durant sa carrière de 15 ans à l’EIU, c’était sa première enquête de recours à la force et qu’il avait participé à plus de 100 incidents exigeant un recours à la force pendant sa carrière. Depuis sa suspension en juin 2015, et en date de son licenciement, il n’avait pas de dossier disciplinaire en cours.

  IV.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour l’employeur

[68]  Les faits de la présente affaire reposent sur la motivation du fonctionnaire. L’employeur a allégué que le fonctionnaire avait eu recours par frustration dans le but de démontrer son contrôle, alors que le fonctionnaire a soutenu qu’il l’avait fait pour se protéger. Selon la jurisprudence, la sanction pour ses agissements ne fait aucun doute; elle dépend simplement de la version des faits qui sera acceptée par l’arbitre de grief. La version de l’employeur est vraisemblablement davantage fondée sur les faits et la vidéo fournie.

[69]  Dans certaines circonstances, les CX peuvent recourir à la force contre les détenus. Cette force est utilisée selon le cadre établi dans les directives du commissaire. Le fonctionnaire n’a pas respecté le cadre du recours à la force, contrevenant ainsi à son premier principe, qui est de protéger les détenus et le public. La jurisprudence est claire. Les détenus représentent une population vulnérable qui dépend des CX pour leurs besoins essentiels. Ils perdent leur autonomie. Ils sont aussi vulnérables parce qu’on ne doit pas les croire. Comme ils ont la garde d’une population vulnérable, les CX sont dans une position de confiance (voir Ontario Public Service Employees Union (Gillis et. al.) v. Ontario (Ministry of Community Safety and Correctional Services), (2008) 178 L.A.C. (4th) 385).

[70]  Il est essentiel que ce niveau de confiance accru à l’égard d’un CX soit maintenu. Les tribunaux, les arbitres de grief et les arbitres de différends ont reconnu qu’une agression physique par un CX sur un détenu qui n’est pas motivée constitue un abus de confiance du plus haut niveau et une infraction très grave (voir Ontario Public Service Employees Union (Marshall et. al.) v. Ontario (Ministry of Community Safety and Correctional Services) (2013), 236 L.A.C. (4th) 91). Une agression sur un détenu par un CX est fondamentalement contraire à l’objectif pour lequel le CX a été embauché.

[71]  Malgré cela, le recours à la force est une partie essentielle du travail d’un CX. Le recours excessif à la force est contraire à l’objectif de ce travail. Tout recours à la force doit être proportionnel et approprié, dans la mesure nécessaire pour contrôler la situation. Pour cette raison, l’employeur a adopté des politiques et des cadres rigoureux en ce qui concerne le recours à la force. Les CX savent comment et quand il est approprié de recourir à la force. Le MGS prévoit le recours à la force et il s’agit d’un outil que les CX doivent utiliser pour déterminer la réaction appropriée dans une situation donnée.

[72]  Lorsqu’un agent sort du cadre du MGS, comme l’a fait le fonctionnaire, la situation dégénère; les collègues deviennent à risque et la primauté du droit est compromise. Un CX a le droit de recourir à la force physique contre un détenu, conformément à l’exercice approprié de ses fonctions. Si un CX abuse de son droit de recourir à la force, le détenu est dans une position de vulnérabilité parce qu’il est peu probable que sa parole ait plus de poids dans la situation que celle du CX. En raison de cette vulnérabilité, l’employeur accorde un niveau de confiance élevé aux CX. Lorsque cette confiance est trahie, l’employeur a le droit de considérer cette violation comme une preuve que le CX ne possède plus les attributs essentiels à l’exécution appropriée de ses fonctions (voir British Columbia v. British Columbia Government Employees Union (Correctional Services Component) (1987), 27 L.A.C. (3d) 311, aux paragraphes 66 à 69).

[73]  Les détenus qui ont des problèmes de santé mentale sont les plus vulnérables des détenus vulnérables, et les CX qui traitent avec eux n’ont pas un travail facile (voir Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec c. Québec (Ministère de la Sécurité Publique) (grief de Savard), 2013 LNSARTQ 90). Quoi qu’il en soit, les CX qui travaillent dans ce milieu doivent garder leur sang-froid; ils ne peuvent l’invoquer comme excuse pour recourir de manière excessive à la force, ce qui demeurerait une grave violation des protocoles de l’employeur.

[74]  Le fonctionnaire a aussi contesté sa suspension sans rémunération durant l’enquête sur ses agissements. Il a été suspendu le 17 juin 2015 et il l’est demeuré jusqu’à la date de son licenciement. Comme c’était le cas dans Bétournay c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 37, la direction locale a tenté de comprendre ce qui était arrivé dans l’unité cette journée-là, ce qui a nécessité beaucoup de temps. Les processus de l’employeur pour évaluer le recours à la force en question s’appliquaient constamment. Comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu dans Canada (Procureur général) c. Bétournay, 2018 CAF 230, au paragraphe 67, agir autrement aurait incité l’employeur à prendre une décision le plus rapidement possible plutôt que de bien évaluer toutes les considérations pertinentes avant d’arrêter son choix de la sanction la plus appropriée.

[75]  Le 7 août 2015, les enquêtrices ont conclu que le fonctionnaire avait recouru à une force excessive contre le détenu en réalisant un contrôle par la force à l’égard d’un détenu non agressif et en donnant des coups de genou. Lorsque le recours à la force a commencé, le détenu ne représentait pas une menace; il ne savait même pas que le fonctionnaire s’approchait de lui par‑derrière. Les coups de genou alors que le détenu était maîtrisé étaient une option inappropriée.

[76]  L’audience disciplinaire s’est déroulée en septembre et, en octobre, le fonctionnaire a été licencié. Il n’y a eu aucun délai déraisonnable entre l’événement et l’imposition de la mesure disciplinaire.

[77]  La question dont est saisie la Commission consiste à établir la sanction appropriée, étant donné les éléments qui ont été mentionnés jusqu’à maintenant. Une personne raisonnable ne permettrait pas à l’employeur de faire comme s’il n’avait rien vu de la violence que le fonctionnaire a manifestée envers un détenu vulnérable. Il est inapproprié et immoral pour un CX de perpétuer une violence non provoquée contre un détenu dont il est responsable (voir Albano c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 79).

[78]  Bien que le recours à la force soit une triste réalité dans le milieu correctionnel, le recours excessif à la force est une faute disciplinaire grave qui justifie une sanction sévère (voir Hicks c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 99; Legere c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 65; et Newman c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 88).

[79]  Dans la lettre de licenciement, l’employeur a indiqué un certain nombre d’infractions. Toutefois, il n’a qu’une seule conclusion et un unique motif de licenciement, soit le recours excessif à la force. Dans la présente affaire, selon les faits, le recours excessif à la force violait la confiance fondamentale requise entre l’employeur et son employé. Les puces figurant dans la lettre sont des exemples de ce qui est requis de cet employé et ce qui découle de cette relation de confiance. À cause du recours excessif à la force par le fonctionnaire, l’employeur ne peut plus lui faire confiance pour accomplir ses fonctions de CX. C’est pour cette raison qu’il a été licencié.

B.  Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[80]  Dans Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, au paragraphe 24, la Cour d’appel fédérale a fourni des indications procédurales aux arbitres de grief lorsqu’ils entendent des affaires de licenciement. Les arbitres de grief doivent répondre aux trois questions suivantes, indiquées dans Wm. Scott & Co Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 C.L.R.B.R. 1, au paragraphe 13 (« Wm. Scott ») :

[...] [L]e comportement de l’employé a-t-il justifié que l’employeur impose des mesures disciplinaires? Le cas échéant, la décision de l’employeur de congédier l’employé était-elle excessive dans l’ensemble des circonstances de l’affaire? [...] [S]i l’arbitre est d’avis que le renvoi est excessif, quelle autre mesure juste et équitable peut-on y substituer?

[81]  La Commission a accepté ce raisonnement à de nombreuses reprises. Il incombe à l’employeur de démontrer les faits sous-jacents justifiant la mesure disciplinaire ainsi que le caractère approprié de la sanction (voir Basra de la Cour d’appel fédérale). L’employeur ne l’a pas fait en l’espèce. L’arbitre de grief ne devrait pas s’en remettre uniquement à la vidéo, cette dernière doit être mise dans le contexte de la journée. Il n’est pas raisonnable que le fonctionnaire soit jugé uniquement sur la vidéo. Un certain poids doit être accordé à son témoignage et à celui de ses témoins.

[82]  Les vidéos sont assujetties à l’interprétation des personnes qui les visionnent. Plus de poids doit être accordé au témoignage des personnes qui ont directement participé à l’incident. La version des événements du fonctionnaire n’a jamais changé. Lui-même et M. Danczak ont déclaré que l’unité Bow est un lieu de travail dangereux et explosif qui accueille environ 100 détenus qui sont impulsifs, imprévisibles et instables.

[83]  La configuration de l’unité Bow, en tant qu’unité ouverte, a empêché le fonctionnaire d’isoler l’incident. Il n’y avait pas d’espace ou de temps pour l’indécision lorsque les choses ont dégénéré. S’il n’avait pas agi comme il l’a fait, il aurait pu être agressé. Le détenu incitait les autres détenus à ne pas s’enfermer cette journée-là. Il a ignoré les ordres directs de M. Danczak. Le fonctionnaire a tenté de négocier avec le détenu, mais ce dernier n’était pas intéressé. Les RODA que les CX en devoir cette journée-là ont déposés indiquaient que le détenu était en colère et qu’il refusait de collaborer.

[84]  La question de savoir si le détenu a ramassé un bol ou une tasse n’est pas claire; il est clair que le fonctionnaire croyait qu’il était rempli d’un liquide chaud. Il a vu des collègues être agressés avec des liquides chauds dans le passé, et des liquides chauds lui ont été lancés. Il a tenté de retirer le contenant des mains du détenu parce qu’il croyait qu’une agression était imminente. Un CX n’a pas à attendre qu’une agression survienne avant de prendre des mesures.

[85]  La Directive du commissaire 567, intitulée Gestion des incidents, définit « agression » comme une menace sous-jacente aux comportements et aux actions. Pour déterminer si la perception du fonctionnaire qu’il était menacé était raisonnable, ses actions auraient dû être évaluées selon la perspective d’une personne raisonnable. Selon son expérience et son interprétation de la situation, le fonctionnaire percevait qu’il était menacé. Il a donc utilisé la tactique avec laquelle il était le plus à l’aise, la mise au sol par clé de bras.

[86]  À l’audience, le fonctionnaire a reconnu qu’il s’agissait d’une erreur. Le détenu ne devait pas tomber sur sa tête, son cou et ses épaules. D’autres options étaient à sa disposition mais, en raison de la montée d’adrénaline et du besoin global de contrôler la situation, il a utilisé la technique qu’il connaissait la mieux.

[87]  Lorsque M. Danczak est intervenu et que le détenu a agrippé sa jambe, le fonctionnaire a réagi en lui donnant des coups de genou pour le distraire et libérer son collègue. Il s’agissait de la seule option à sa disposition étant donné l’espace serré où il se trouvait entre les tables, il ne pouvait pas se repositionner. Il n’avait aucune méchanceté ou intention malveillante lorsqu’il a décidé de donner des coups de genou, il s’agissait d’une question d’ordre pratique. Ses actions reposaient sur un objectif légitime et elles étaient de bonne foi.

[88]  La preuve n’appuie pas l’affirmation de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire et le détenu ont eu un désaccord et que le fonctionnaire a agi sur le coup de la colère. Tout a été fait pour un objectif précis. Lorsque tout a été fini, le fonctionnaire a parlé au détenu et lui a expliqué pourquoi il a fait ce qu’il avait fait. Il a exprimé sa volonté de travailler avec le détenu à l’avenir, ce qu’ils ont fait pendant environ deux mois, sans incident.

[89]  L’employeur a invoqué sept motifs dans la lettre de licenciement et il devait établir chacun d’eux au moyen de raisons claires, logiques et convaincantes (voir Lloyd c. Canada (Procureur Général), 2016 CAF 115). Il n’a pas prouvé chacun d’eux, ce qui nécessite la réduction de la sanction.

[90]  Le recours à la force par le fonctionnaire était justifié. Le recours à la force n’était pas excessif et était fondé sur l’objectif. Le MGS est un guide qui fournit des options à suivre lorsqu’elles sont justifiées. Le modèle n’est pas linéaire et il accorde une certaine latitude fondée sur la perception de chaque personne. Les arbitres des griefs ne devraient pas substituer leurs perceptions à celles des personnes ayant participé aux événements. La présente affaire comprend une vidéo de l’incident, mais rien n’indique ce qui y a mené. La position du fonctionnaire tout au long de la vidéo n’est pas agressive ou passive, elle est défensive. L’élan de son bras et de son corps lorsqu’il exécute une mise au sol ne peut pas être interrompu. Il n’a jamais voulu que le détenu tombe sur sa tête. Le fonctionnaire a admis sa faute dans l’exécution de la mise au sol et qu’il pouvait s’améliorer. Laissons-le apprendre de la situation et aller de l’avant.

[91]  Les agents de la paix ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Le recours à la force ne peut pas être mesuré avec précision (voir R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6). Il n’est pas juste d’assujettir le fonctionnaire à une norme de perfection (voir Levesque v. Zanibbi, 1992 CarswellOnt 2832). Il faut tenir compte des circonstances telles qu’elles existaient à l’époque (voir Anderson v. Smith, 2000 BCSC 1194). Dans des circonstances semblables, d’autres CX se sont vu imposer seulement une suspension de quatre jours sans rémunération (voir King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 84).

[92]  L’employeur n’a présenté aucune preuve quant à la façon dont les agissements du fonctionnaire ont terni sa réputation ou celle du service correctionnel en général. Rien dans la preuve n’indique que cet incident a été porté à l’attention des médias. De simples allégations ne sont pas des preuves.

[93]  Même si les agissements du fonctionnaire justifiaient l’imposition de mesures disciplinaires, la sanction imposée est excessive, selon la jurisprudence de la Commission et les facteurs atténuants. Il a bâti une longue carrière, sans se voir imposer de mesures disciplinaires. À un certain moment, il devait faire une erreur. On doit lui permettre d’apprendre de ses erreurs et de continuer d’être un membre apprécié de l’effectif de l’employeur. Il serait injuste de l’empêcher de le faire. Si les actions pour lesquelles il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire étaient aussi flagrantes, pourquoi n’a-t-il pas été suspendu immédiatement? Il était un modèle pour d’autres CX et, sous l’impulsion du moment, il a réagi de façon excessive. Il a admis qu’il aurait dû agir différemment, ce qui montre qu’il comprend les conséquences de ses actions et qu’il ne les répétera pas.

  V.  Motifs

[94]  Dès le début des présents motifs, il est important que je tire une conclusion de fait fondée sur mon visionnement de la preuve vidéo. Pour y parvenir, je vais décrire ce que j’ai vu sur l’enregistrement vidéo déposé en preuve.

[95]  Le détenu en question s’approche d’une rangée de tables de type restauration rapide, auxquelles les bancs sont rattachés et qui sont boulonnées au sol. Un escalier se trouve devant lui. Derrière lui, on peut voir un couloir, des portes et un micro‑ondes. Il ramasse un bol ainsi qu’une tasse de liquide qui est clair, mais qui est constamment décrit comme du café. Il ne semble pas agité. Il ne gesticule pas, comme l’a décrit le fonctionnaire. M. Danczak a dit qu’il se tenait calmement à la table, ramassant des choses. Il parle, mais l’enregistrement n’a pas de son.

[96]  Le fonctionnaire entre dans l’image vidéo. Il attrape le bras droit du détenu par derrière; la tasse vole dans les airs. Le liquide se répand dans les escaliers, où la tasse atterrit et roule hors de l’image. Le fonctionnaire ne se retire pas. M. Danczak s’approche de la mêlée depuis le côté.

[97]  Le fonctionnaire continue d’entraîner le détenu au sol, entre les tables. Le détenu tombe sur ses épaules, son cou et sa tête. Le fonctionnaire le suit rapidement dans ce que je décrirais comme un mouvement à forte intensité. À ce moment-là, M. Danczak entre dans l’image pour aider le fonctionnaire à contrôler le détenu qui se débat pour échapper à l’emprise du fonctionnaire.

[98]  Le détenu agrippe la jambe de M. Danczak. À ce moment, le fonctionnaire ramène sa jambe et donne des coups de genou au détenu sur ses épaules et son cou. M. Danczak et le fonctionnaire reprennent contrôle du détenu, lui passent les menottes et l’emmènent. La vidéo s’arrête là.

[99]  L’importance de cette conclusion de fait est pertinente à la version des deux histoires que je juge véridique et qui est la plus conforme à la preuve dont je suis saisie. Si j’accepte l’argument de l’employeur selon lequel le fonctionnaire agissait par frustration, je dois écarter le témoignage de ce dernier qui indique qu’il craignait réellement d’être agressé avec du liquide chaud. Cette crainte aurait pu justifier ses actions ou à tout le moins être un facteur atténuant dans la détermination de la sanction.

[100]  C’est la raison pour laquelle j’ai pris la mesure inhabituelle de documenter ce que j’ai vu dans la vidéo, soit qu’au moment de l’incident, aucun liquide chaud n’aurait pu représenter une menace pour le fonctionnaire. Le liquide a été renversé par son intervention initiale. Ceci étant établi, il est clair qu’en continuant d’agir comme il l’a fait, en l’absence du danger, qui a été renversé avant la mise au sol, il a manqué à ses obligations d’appliquer correctement le MGS, à tout le moins, et qu’au pire, il a manqué à ses obligations en traitant mal un détenu vulnérable dont il était responsable en recourant de manière excessive à la force pour des motifs non justifiés.

[101]  Le représentant du fonctionnaire a fait valoir que les vidéos sont assujetties à l’interprétation des personnes qui les visionnent. Plus de poids doit être accordé au témoignage des personnes qui ont directement participé à l’incident. La version des événements du fonctionnaire n’a jamais changé. Lui-même et M. Danczak ont déclaré que l’unité Bow est un lieu de travail dangereux et explosif qui accueille environ 100 détenus qui ont des problèmes psychiatriques et qui sont impulsifs, imprévisibles et instables. Bien qu’il soit vrai que le fonctionnaire et M. Danczak se sont entendus sur la description de l’unité Bow, elle n’aide pas le fonctionnaire. Elle permet davantage de mettre en évidence la vulnérabilité de la population dont ils étaient responsables et la nécessité de posséder des compétences spéciales pour s’en occuper.

[102]  Il est bien établi en droit que les audiences devant un arbitre de grief sont des audiences de novo. Je ne suis pas liée par les conclusions tirées de l’enquête disciplinaire. Toutefois, dans la présente affaire, je conclus qu’à l’audience, Mme Neil a formulé des commentaires très intuitifs qui défendaient une opinion que je partage. Par conséquent, je suis d’accord avec les conclusions de Mme Neil et de Mme Berger figurant dans leur rapport selon lesquelles le fonctionnaire a recouru de manière excessive à la force le 1er avril 2015 dans la maîtrise du détenu en question.

[103]  Selon la prépondérance des probabilités, les renseignements que le fonctionnaire a fournis aux enquêtrices, à son employeur et à l’audience ne sont pas crédibles. Ils ne sont pas conformes aux RODA que d’autres agents ont déposés, à l’enregistrement vidéo que j’ai examiné de façon approfondie et dans le menu détail, avec le témoignage des témoins appelés en son nom ou avec les registres de l’unité selon lesquels, si le détenu avait eu des antécédents d’agression, de violence et de comportement antisocial comme le prétend le fonctionnaire, cela aurait certainement été consigné.

[104]   De même, je ne peux accepter ou croire que le fonctionnaire craignait réellement que le détenu l’agresse avec du liquide chaud. J’ai pu constater clairement après un visionnement répété de la vidéo que le fonctionnaire a renversé le liquide qui se trouvait à la portée du détenu, qui pouvait être chaud, lorsqu’il a renversé le bol la première fois. Aucune menace ne justifiait les gestes qu’il a posés. Ses actions n’étaient pas celles attendues d’un agent aussi qualifié et expérimenté en sa qualité de vétéran de l’équipe depuis 15 ans et de chef d’équipe expérimenté de l’EIU. De plus, en raison de sa réaction excessive inutile, il a mis son collègue en danger, ce qui constituait une autre violation inexcusable des politiques de l’employeur. Pourtant, il n’a pu expliquer son rôle dans la création de ce risque.

[105]  Je suis convaincue que la véritable cause de l’incident ce jour-là était la réaction du fonctionnaire lorsqu’il a été mis au défi par le détenu devant les autres détenus. Ce n’était pas le café qu’il a vu comme une menace; c’était la menace à l’égard de son autorité que le détenu représentait. Tout l’incident concernait une scène qui, si j’accepte la description du fonctionnaire du comportement du détenu, ce que je ne fais pas puisqu’elle n’est pas conforme à la description du comportement du détenu fournie par M. Danczak, a été créée par l’abus de pouvoir du fonctionnaire et son mépris du MGS.

[106]  Les actions du fonctionnaire ont empiré la situation au point où il s’est vu dans l’obligation de recourir au contrôle physique, ce qui a ensuite mis son collègue en danger puisqu’une force supplémentaire a été nécessaire pour extirper ce dernier. À aucun moment le fonctionnaire ne s’est retiré pour évaluer ou réévaluer la situation. On voit clairement dans la vidéo un agent qui veut mettre au sol et menotter le détenu de manière non sécuritaire dans un endroit où trois personnes ont été mises en danger. À aucun moment après l’ordre initial et après qu’il eut renversé la tasse de liquide il n’a agi comme un membre responsable de l’EIU qui respectait sa formation ou l’une des directives du commissaire liées au recours à la force, dont la première consiste à régler la situation en recourant à la force la moins grande possible.

[107]  Après que le détenu a reçu l’ordre de s’enfermer, il aurait normalement eu le temps de prendre son déjeuner et son café pour les ramener dans sa cellule. Rien n’empêchait le fonctionnaire d’escorter le détenu à la table tranquillement, de prendre le déjeuner et de l’escorter à la cellule. Sa présence physique aurait été conforme au MGS et aurait désamorcé la situation et permis au fonctionnaire de contrôler le liquide dont il s’inquiétait tellement. Encore une fois, je ne peux que conclure que ce n’est pas le liquide qui préoccupait le fonctionnaire, mais plutôt le mépris du détenu contre son autorité.

[108]  À mon avis, le manque d’introspection du fonctionnaire quant aux conséquences de ses gestes est étonnant. Ce n’est qu’après plusieurs questions insistantes à la barre qu’il a reconnu qu’il aurait [traduction] « pu mieux agir » et que son collègue ou le détenu aurait pu être gravement blessé à cause de ses actions.

[109]  Le fonctionnaire n’a pas reconnu que ce n’est que par pure chance que le détenu qui a participé à la bousculade n’a pas été gravement blessé ou même tué, étant donné l’espace restreint, les meubles boulonnés et la mauvaise exécution de la mise au sol par clé de bras. Un agent avec l’expérience du fonctionnaire ne peut pas être motivé par les émotions, ce qui est exactement ce qui est arrivé dans les circonstances, selon la prépondérance des probabilités et un visionnement objectif de la preuve. Il était tanné que le détenu [traduction] « rouspète », comme l’a dit M. Danczak et il a réagi.

[110]  Même compte tenu de la vidéo, qui montre clairement que le liquide a été renversé puisqu’on peut le voir être lancé dans la salle avant que la mise au sol survienne, le fonctionnaire a continué de répéter devant la Commission que le détenu avait du liquide chaud dans sa main et qu’il craignait d’être agressé pour justifier ses actions plutôt que de respecter le MGS, sa formation et les directives du commissaire.

[111]  Le représentant du fonctionnaire a soutenu que pour déterminer si la perception du fonctionnaire qu’il était menacé était raisonnable, ses actions devraient être évaluées selon la perspective d’une personne raisonnable. Je suis convaincue qu’une personne raisonnable voyant du liquide être lancé devant un écran aurait conclu que toute crainte de liquide chaud avait été désamorcée et qu’étant donné la formation approfondie du fonctionnaire et sa connaissance du recours à la force, il aurait par réflexe suivi le MGS et réévalué la situation plutôt que d’exécuter la mise au sol par clé de bras dans un environnement dangereux. Une personne raisonnable n’aurait pas conclu que le fonctionnaire avait épuisé toutes les options ou qu’il avait tenté de communiquer avec le détenu. Une personne raisonnable n’aurait pas conclu que le fonctionnaire avait tenté de désamorcer la situation ou qu’il avait d’abord tenté une intervention moindre.

[112]  Le fonctionnaire a admis qu’il aurait pu utiliser une autre approche. Au mieux, il s’agit d’un aveu timide accablant! À la question de savoir ce qu’il aurait pu mieux faire, il a continué d’insister pour dire que la situation nécessitait que le détenu soit amené au sol. Cette déclaration m’indiquait clairement que même à cette ultime étape, alors qu’il plaidait pour être réintégré, il ne comprenait pas la véritable nature de la raison de son licenciement. Il ne comprenait pas les répercussions de ses actions sur la relation employeur-employé.

[113]  L’employeur n’a pas assujetti le fonctionnaire à une norme de perfection. Conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans Nasogaluak, l’employeur a tenu compte des circonstances qui existaient au moment de l’incident exigeant un recours à la force et il a rendu sa décision sur les facteurs connus à ce moment-là. J’ai fondé mon évaluation sur l’ensemble de la preuve dont je disposais, y compris le témoignage du fonctionnaire.

[114]  Selon mon évaluation, le fonctionnaire n’a pas démontré qu’il comprenait véritablement les conséquences potentielles de ses agissements et il recourrait sans aucun doute à la même tactique s’il était plongé dans une situation semblable à l’avenir, ce qui mettrait à risque l’établissement, les détenus et ses collègues. Il a non seulement violé la DC-060, mais également le [traduction] « Code de déontologie » de l’employeur en maltraitant un détenu dont il était responsable. Malgré la formation sur les méthodes appropriées du recours à la force et les formations d’appoint annuelles, il a choisi d’utiliser des méthodes de contrôle de détenu qui ne faisaient pas partie de sa formation et qui étaient en fait excessives. L’employeur a raison de craindre que le fonctionnaire répète ce comportement s’il demeure à son service. Par conséquent, je ne crois pas que l’employeur a eu tort de conclure que le licenciement était approprié dans les circonstances, ou qu’il était déraisonnable.

[115]  Je souscris à l’évaluation de l’avocat de l’employeur selon laquelle il s’agit d’un cas où deux versions s’opposent et que les faits s’appuient sur la motivation. Je reconnais également que la version de cette histoire qui est la plus conforme à la preuve objective dont je suis saisie est celle où le fonctionnaire a recouru à la force pour démontrer son contrôle par frustration et que le licenciement était justifié étant donné la population vulnérable avec laquelle il travaillait, ses rôles de membre et de chef d’équipe de l’EIU et sa formation approfondie quant à l’application appropriée du recours à la force et des politiques connexes de l’employeur.

[116]  Selon M. Danczak, le fonctionnaire était son mentor et son modèle. Le fonctionnaire a déclaré qu’en tant que chef d’équipe de l’EIU, son rôle consistait à être un modèle pour les autres membres de l’EIU. Il lui revenait, étant donné ses 17 années de service, son rôle de chef d’équipe, sa qualité de membre de l’EIU et de l’équipe de traitement des détenus, de démontrer aux autres la façon appropriée de gérer une situation comme celle en question. L’employeur ne voulait pas que son comportement dans cette situation soit reproduit par d’autres employés, et la sanction qui lui a été imposée, étant donné son poste et son rôle de chef d’équipe et de modèle, devait clairement envoyer le message aux personnes qui le tenaient en haute estime que l’abus à l’égard des détenus ne serait pas toléré. À mon avis, une sanction moindre, étant donné les circonstances, ne parviendrait pas à ce résultat.

[117]  Contrairement à ce qui a été invoqué par le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé dans Lloyd, il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle l’employeur a établi une série de violations de la DC-060, qui est le code de discipline de l’employeur. Le fonctionnaire a été renvoyé du SCC parce que ses actions, dont certaines étaient énumérées dans la lettre de licenciement, ont entraîné la perte de confiance de l’employeur. Il a été licencié parce que l’employeur ne pouvait plus lui faire confiance pour se comporter correctement dans le lieu de travail et appliquer les politiques sur le recours à la force à l’égard des détenus.

[118]  Je souscris à cette évaluation. Je crois sincèrement et fermement que le fonctionnaire manque l’introspection requise pour ne pas répéter le comportement pour lequel il a été licencié s’il était réintégré et que la perte de confiance de l’employeur à son égard est justifiée. L’employeur s’est acquitté de son fardeau de démontrer que le lien de confiance a été irrémédiablement rompu pour des raisons claires, logiques et convaincantes.

[119]  En résumé, je conclus en répondant aux questions de l’affaire Wm. Scott. Le fonctionnaire a fourni à l’employeur un motif valable pour lui imposer la mesure disciplinaire qui, selon les circonstances de l’affaire et l’ensemble de la preuve, y compris la vidéo, les témoignages oraux et les pièces, démontre que la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire n’était pas une réponse excessive. Étant donné cette conclusion, je n’ai pas à examiner la question de savoir si une mesure de rechange devrait être substituée en l’espèce.

[120]  Les parties m’ont fourni de nombreuses affaires à l’appui de leurs arguments. Même si je les ai toutes lues, j’ai uniquement mentionné celles ayant une importance primordiale.

[121]  Pour tous les motifs précités, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante.)


  VI.  Ordonnance

[122]  Le grief est rejeté.

[123]  J’ordonne que les documents suivants, y compris l’enregistrement vidéo, soient scellés :

  • pièce 2 – onglet 1

  • pièce 2 – onglet A, C, D et E

  • pièce 2 – onglets F1, F3, F9, F10, F11, F13, F15, F16

  • pièce 2 – onglets G1, G2, G5, G7, G8

  • pièce 3 – onglet 5

[124]  J’ordonne que le nom du détenu soit caviardé dans la lettre de licenciement du fonctionnaire datée du 30 octobre 2015, qui se trouve dans le dossier de la Commission.

Le 10 octobre 2019.

Traduction de la CRTESPF

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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