Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire a déposé un grief contre la décision de l’employeur de lui imposer une journée de suspension à la suite d’un incident lors duquel il aurait eu un comportement inapproprié envers sa superviseure – la Commission a conclu que tout manquement dans le cadre de l’enquête disciplinaire a été corrigé par la tenue de l’audience de novo devant elle – la Commission a déterminé que le fonctionnaire s’estimant lésé s’était adressé de façon menaçante à sa superviseure – la Commission a aussi conclu que la suspension d’un jour n’était pas excessive.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20191025

Dossier: 566-02-12998

 

Référence: 2019 CRTESPF 105

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Jean-Pierre Pelchat

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Statistique Canada)

 

défendeur

Répertorié

Pelchat c. Administrateur général (Statistique Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant :  Linda Gobeil, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Lui-même

Pour le défendeur :  Andréanne Laurin, avocate 

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),

du 18 au 22 février 2019.


MOTIFS DE DÉCISION

I.  Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

[1]   Jean-Pierre Pelchat, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a déposé un grief contre la décision de Statistique Canada (l’« employeur » ou Statistique Canada) de lui imposer une journée de suspension à la suite d’un incident survenu le 25 avril 2016. La lettre de suspension du 27 mai 2016 précise que le fonctionnaire aurait eu un comportement inapproprié envers sa superviseure. Au moment de l’incident, le fonctionnaire était représenté par son syndicat, l’Association canadienne des employés professionnels (le « syndicat »). Le 8 juin 2017, le syndicat a avisé ce qui était alors la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique qu’il ne représentait plus le fonctionnaire.

[2]  Le fonctionnaire est maintenant à la retraite. Au moment de l’incident donnant lieu à la mesure disciplinaire, il travaillait pour Statistique Canada et occupait un poste au groupe et au niveau EC-06.

[3]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

II.  Résumé de la preuve

A.  Pour l’employeur

[4]  L’employeur a fait une déclaration d’ouverture dans laquelle il a indiqué que la preuve allait montrer que le fonctionnaire avait fait preuve d’un comportement inapproprié le 25 avril 2016 envers sa superviseure, Kimberley Boyuk et, qu’ainsi, l’employeur était justifié de lui imposer une mesure disciplinaire d’une journée de suspension. L’employeur a précisé qu’il avait ici appliqué le principe de discipline progressive, car au moment de l’incident, le fonctionnaire avait déjà une lettre de réprimande à son dossier personnel pour une infraction similaire.

[5]  Au soutien de sa preuve, l’employeur a fait entendre trois témoins.

[6]  Mme Boyuk a déclaré lors de son témoignage qu’elle travaille à Statistique Canada depuis 1996. En avril 2016, elle occupait un poste au niveau EC-07, et le fonctionnaire relevait d’elle. Mme Boyuk a indiqué que sa superviseure était Alice Born, qui était alors directrice de la Division des normes à Statistique Canada.

[7]  Mme Boyuk a expliqué que, le 25 avril 2016, elle était arrivée au bureau vers 10 h 30.

[8]  Mme Boyuk, qui, à l’époque, avait été la superviseure du fonctionnaire pendant environ quatre à cinq mois, a indiqué que, vers l’heure de la pause-repas, elle rattrapait le retard dans ses courriels lorsqu’elle a reçu une copie d’un courriel du fonctionnaire à l’intention d’un client nommé «R». Dans son courriel, le fonctionnaire a avisé le client qu’il y avait un lien vers un portail, et il lui a fourni le mot de passe pour y accéder.

[9]  Mme Boyuk a déclaré qu’à son avis, il n’était pas approprié d’envoyer un courriel contenant le mot de passe au client, ce qui constituait une atteinte à la sécurité. Elle a indiqué qu’elle a immédiatement avisé Mme Born afin de discuter de la question (pièce E-2, onglet 3, p. 1 et 2 du cahier de documents de l’employeur).

[10]  Après avoir examiné la question avec Mme Born, elles ont toutes les deux convenu que, même si l’envoi du mot de passe avec le lien vers le portail n’avait peut‑être pas été une atteinte à la sécurité puisqu’il n’y avait pas de données, cela n’était pas la meilleure façon de procéder et cela n’était certainement pas conforme aux pratiques exemplaires applicables. Mme Boyuk et Mme Born ont convenu que le fonctionnaire devait immédiatement rappeler le courriel et que Mme Boyuk devait discuter avec lui de cette question.

[11]  Mme Boyuk a indiqué qu’elle avait ensuite envoyé un courriel au fonctionnaire lui demandant de rappeler le courriel qu’il avait envoyé au client (pièce E-2, onglet 3, p. 1; pièce E-3, onglet 5 du cahier de documents de l’employeur). Elle s’est également rendue au cubicule du fonctionnaire et, puisque c’était l’heure de la pause-repas et qu’il ne s’y trouvait pas, elle a laissé un papillon adhésif bleu sur son écran d’ordinateur avec la mention suivante : [traduction] « Viens me voir tout de suite. Kim. » Mme Boyuk a expliqué qu’elle avait laissé le papillon adhésif parce que, parfois, les personnes ne regardent pas leurs courriels tout de suite (pièce BA-3).

[12]  Mme Boyuk a déclaré lors de son témoignage que, vers 12 h 40, le fonctionnaire est entré dans son bureau, très contrarié. Le bureau de Mme Boyuk est également un cubicule. Le fonctionnaire agitait le papillon adhésif bleu qu’elle avait laissé sur son ordinateur et lui a dit que [traduction] « c’était du harcèlement » et qu’il n’appréciait pas d’être traité ainsi. Selon Mme Boyuk, le fonctionnaire était alors très en colère contre elle et parlait très fort. Elle a indiqué qu’elle lui avait demandé de s’asseoir, mais que le fonctionnaire ne l’avait pas laissée terminer, et qu’il ne cessait de l’interrompre. Bien que tout cela n’ait duré qu’un court instant, elle s’est néanmoins sentie menacée. Elle a déclaré qu’elle craignait qu’il ne s’en prenne à elle. Mme Boyuk a indiqué qu’il était juste de l’autre côté de son bureau, dans son espace. Son langage corporel était agressif. Elle s’est sentie piégée. Elle le ressentait encore à l’audience. Quand il a fini de se plaindre, il lui a fait un geste de la main de manière méprisante afin d’indiquer qu’elle ne savait pas de quoi elle parlait. Il a ensuite quitté son bureau.

[13]  Mme Boyuk a déclaré lors de son témoignage qu’après le départ du fonctionnaire, elle s’est assise à son bureau en tremblant. Elle s’est ensuite rendue au bureau de sa voisine, Vijaya Sharma, et lui a demandé si elle avait entendu ce qui venait de se passer. Quelques minutes plus tard, Mme Sharma est venue à son bureau pour vérifier si elle allait bien. Mme Sharma n’a pas témoigné à l’audience.

[14]  Mme Boyuk a indiqué qu’elle était alors décontenancée et qu’elle ne comprenait pas d’où venait cette rage. Elle se souvient avoir tremblé de façon incontrôlable. Après l’incident, le fonctionnaire lui a envoyé un courriel indiquant que, récemment, il se sentait harcelé par elle et qu’il ne croyait pas avoir enfreint un protocole (pièce E-2, onglet 3). Elle a ensuite envoyé un courriel à Mme Born pour lui indiquer qu’elle était effrayée, que le fonctionnaire s’était montré verbalement violent. Mme Boyuk estimait également que le fait d’être accusé de harcèlement était une question sérieuse qui devait être portée à l’attention de Mme Born (pièce E-2, onglet 3, p. 1 du cahier de documents de l’employeur).

[15]  Mme Boyuk a déclaré lors de son témoignage qu’après avoir reçu son courriel au sujet de l’incident, Mme Born s’est également rendue à son bureau pour voir si elle allait bien. Elle a demandé à Mme Boyuk de la suivre à son bureau, qui était un bureau fermé, pour discuter de ce qui venait de se produire. Mme Born a demandé conseil au Service des relations de travail. Mme Boyuk est ensuite retournée à son bureau pour noter ce qui s’était passé entre elle et le fonctionnaire. Le lendemain matin, elle a envoyé ses notes sur l’incident à Mélanie Shultz, du Service des relations de travail, en envoyant une copie à Mme Born (pièce E-3, onglet 5 du cahier de documents de l’employeur).

[16]  Au cours du contre-interrogatoire, Mme Boyuk a indiqué que, trois ans avant de joindre la Division des normes, elle avait travaillé sur un projet spécial pour le statisticien en chef adjoint. À ce poste, elle ne supervisait aucun employé. Mme Boyuk a admis qu’une plainte de harcèlement avait été déposée contre elle par le passé et que la plainte n’avait pas encore été réglée.

[17]  Mme Boyuk a aussi admis que, contrairement à ce qu’elle pensait au départ, le courriel envoyé au client par le fonctionnaire, le 25 avril 2016, ne constituait pas une atteinte à la sécurité. Elle a néanmoins soutenu qu’il s’agissait d’une violation des pratiques exemplaires et que les mots de passe ne devaient jamais être partagés.

[18]  Quant au papillon adhésif qu’elle avait laissé sur l’ordinateur du fonctionnaire, Mme Boyuk a reconnu qu’elle était la personne qui l’avait placé là, mais qu’elle n’était ni contrariée ni en colère; elle devait simplement faire face à la situation. Lorsqu’on lui a demandé si elle aurait pu utiliser un langage moins agressif sur le papillon adhésif, elle a répondu qu’elle n’avait pas utilisé un langage agressif et qu’elle demandait simplement à voir le fonctionnaire.

[19]  Lorsqu’on lui a demandé pourquoi, dans sa note à Mme Shultz et à Mme Born, il n’y avait aucune référence aux mots [traduction] « c’est du harcèlement et je n’apprécie pas d’être traité ainsi », Mme Boyuk a expliqué que, lorsqu’elle a écrit sa note, elle était énervée et qu’elle n’avait donc pas tout écrit (pièce E-3, onglet 5). Lorsqu’on lui a demandé si le fonctionnaire avait utilisé une voix forte pendant l’incident du 25 avril 2016, Mme Boyuk a soutenu que c’était le cas, et qu’il avait parlé fort et l’avait menacée.

[20]  Mme Shultz a été le deuxième témoin de l’employeur. Mme Shultz est conseillère principale en relations de travail pour l’employeur depuis 2016. Elle a déclaré lors de son témoignage avoir été informée, le 26 avril 2016, qu’un incident avait eu lieu impliquant le fonctionnaire et Mme Boyuk la veille; elle a donc procédé à rencontrer les témoins potentiels de cet incident. Mme Shultz a indiqué que ces rencontres avec les témoins faisaient partie d’un processus d’établissement des faits à suivre dans des situations où un comportement inapproprié est signalé.

[21]  Dans le cadre de son enquête, Mme Shultz, accompagnée de Mme Born, a rencontré séparément Mme Boyuk, Lise Chapados et Mme Sharma le 26 avril 2016 (pièce E-5, onglet 7 du cahier de documents de l’employeur).

[22]  Mme Shultz a indiqué que Mme Boyuk avait donné sa version des faits lors de la rencontre du 26 avril 2016 et qu’elle l’avait aussi fait par écrit (pièce E-3, onglet 5 du cahier de documents de l’employeur). Selon Mme Shultz, le témoignage de Mme Boyuk était précis et sans ambiguïté. Mme Boyuk a maintenu avoir été intimidée et s’être sentie menacée par le fonctionnaire au cours de la pause-repas du 25 avril 2016.

[23]  Quant à sa rencontre avec Mme Chapados, Mme Shultz a précisé que Mme Chapados est une collègue de travail du fonctionnaire dont le bureau est situé à côté de celui de Mme Boyuk. Mme Chapados aurait indiqué ne pas avoir porté attention à la discussion entre le fonctionnaire et Mme Boyuk ce jour-là, et qu’elle n’avait rien entendu de particulier. Selon Mme Shultz, Mme Chapados semblait « renfermée dans ses réponses ». Selon elle, Mme Chapados ne tenait pas à être impliquée. Elle n’a pas témoigné à l’audience.

[24]  Quant à Mme Sharma, qui est une employée d’un autre ministère et qui a aussi son bureau à coté de Mme Boyuk, celle-ci aurait aussi affirmé à Mme Shultz n’avoir rien entendu d’anormal ce jour-là et ne pas avoir prêté attention à ce qui se passait. Mme Sharma aurait toutefois confirmé à Mmes Shultz et Born que, au cours de la pause-repas du 25 avril 2016, Mme Boyuk était allée la voir pour lui demander si elle avait entendu ce qui venait de se passer et que, par la suite, Mme Sharma était allée vérifier si Mme Boyuk allait bien. Mme Sharma a confirmé à Mmes Shultz et Born que Mme Boyuk ne semblait pas bien et qu’elle était ébranlée; quelque chose s’était produit. Selon Mme Shultz, Mme Sharma ne semblait pas non plus vouloir être impliquée dans cette affaire.

[25]  Mme Shultz a aussi déclaré avoir rencontré le fonctionnaire et son représentant syndical le 28 avril 2016 pour obtenir la version du fonctionnaire de l’incident du 25 avril 2016 (pièce E-8, onglet 6 du cahier de documents de l’employeur).

[26]  Lors de cette rencontre, le fonctionnaire a maintenu ne pas avoir fait preuve d’agressivité envers sa superviseure et il a indiqué que c’était plutôt Mme Boyuk qui s’était conduite de façon inappropriée en lui laissant une note au ton agressif sur son ordinateur. Selon Mme Shultz, le fonctionnaire a pu donner sa version des faits lors de cette rencontre, mais la réunion a dû être écourtée : les parties ne s’entendaient pas sur la procédure à suivre. Notamment, on ne s’entendait pas quant au droit de parole du représentant syndical (pièce E-5). Mme Shultz a indiqué avoir invité le fonctionnaire à soumettre d’autres commentaires s’il le désirait, ce qu’il a effectivement fait (pièces BA-6 et E-12, onglet 9 du cahier de documents de l’employeur).

[27]  Mme Born a été le dernier témoin de l’employeur.

[28]  Mme Born a déclaré lors de son témoignage qu’elle occupe le poste de directrice de la Division des normes à Statistique Canada, au niveau EX-02, depuis 2018. Au moment de l’incident, elle gérait une équipe d’environ 30 employés, dont 3 relevaient directement d’elle et occupaient un poste de niveau EC-07. Mme Boyuk était l’un de ces trois employés.

[29]  Mme Born a déclaré que, le 25 avril 2016, elle a reçu un courriel de Mme Boyuk lui indiquant qu’il y avait eu une possible atteinte à la sécurité. Mme Born a indiqué qu’en tant que directrice, elle devait évaluer si c’était le cas ou non (pièce E-2, onglet 3 du cahier de documents de l’employeur). Mme Born a déclaré qu’elle avait compris que Mme Boyuk avait ensuite apposé un papillon adhésif sur l’écran d’ordinateur du fonctionnaire alors qu’il était sorti pour sa pause-repas pour lui demander de passer la voir aussi vite que possible pour discuter de cette question relative à la sécurité. Peu de temps après, Mme Born a reçu une copie d’un courriel du fonctionnaire à Mme Boyuk indiquant qu’il se sentait harcelé (pièce E-2, onglet 3).

[30]  Mme Born a déclaré qu’elle était allée voir Mme Boyuk et qu’elle avait vu qu’elle pleurait et qu’elle était très contrariée par ce qui venait de se produire avec le fonctionnaire. Elle a demandé à Mme Boyuk de la suivre dans son bureau fermé.

[31]  Mme Born a indiqué qu’elle avait ensuite appelé le Service des relations de travail pour obtenir des conseils et qu’elle avait immédiatement rencontré le fonctionnaire. Mme Born a indiqué qu’elle avait demandé au fonctionnaire de rentrer chez lui. Elle a expliqué qu’elle l’avait renvoyé chez lui en raison de son comportement agressif à l’égard de Mme Boyuk, ainsi qu’au motif qu’elle voulait enquêter sur la question relative à la sécurité.

[32]  Au cours du contre-interrogatoire, on lui a demandé pourquoi le fonctionnaire avait été renvoyé chez lui sans lui fournir d’explication. Mme Born a indiqué qu’elle devait séparer les deux personnes et qu’elle n’avait pas le temps d’effectuer une recherche des faits immédiatement. Elle a affirmé qu’elle avait pris la décision en se fondant sur les renseignements dont elle disposait à ce moment-là, ainsi que sur le fait que Mme Boyuk avait été secouée et bouleversée. Il était clair que quelque chose s’était passé.

[33]  Le lendemain, 26 avril 2016, avec Mme Shultz, elle a rencontré séparément Mme Boyuk, Mme Chapados et Mme Sharma pour obtenir leur version de l’incident du 25 avril 2016. Elle a également informé le fonctionnaire qu’il devait retourner au travail le 27 avril 2016 (pièce E-6, onglet 4 du cahier de documents de l’employeur).

[34]  Mme Born a indiqué que, lorsqu’elle a rencontré Mme Shultz et Mme Boyuk, le 26 avril 2016, Mme Boyuk a essentiellement répété que, la veille, le fonctionnaire était venu à son bureau et, d’une voix forte, avait dit qu’il n’appréciait pas d’être harcelé. Mme Boyuk a soutenu que le fonctionnaire s’était montré agressif et menaçant, et qu’elle n’avait pas eu la possibilité de s’expliquer, car il ne l’avait pas laissée parler. Mme Boyuk a répété qu’elle était secouée et effrayée, et qu’elle était allée voir Mme Sharma au sujet de ce qui s’était passé.

[35]  Mme Born a déclaré lors de son témoignage que, le même jour, elle avait également rencontré Mme Chapados avec Mme Shultz. Elle a indiqué que Mme Chapados avait dit que la discussion s’était déroulée en anglais et qu’elle n’avait pas entendu de voix forte ni rien de particulier.

[36]  Au cours de sa rencontre avec Mme Sharma, Mme Born a estimé qu’elle était très réticente à parler et qu’elle ne voulait pas être impliquée. Selon Mme Born, Mme Sharma a néanmoins confirmé que Mme Boyuk était allée la voir et qu’elle s’était rendue au bureau de Mme Boyuk pour vérifier si elle allait bien.

[37]  Mme Born a déclaré que, encore avec Mme Shultz, elle a rencontré le fonctionnaire et son représentant syndical, le 28 avril 2016, pour obtenir son point de vue sur ce qui s’était passé. Le fonctionnaire a dit à Mme Born qu’il n’avait jamais été agressif envers Mme Boyuk le 25 avril 2016, qu’il était calme et qu’il lui parlait d’une voix basse. Le fonctionnaire a également nié avoir agi de façon menaçante envers sa superviseure et qu’il n’avait jamais dit à haute voix à Mme Boyuk que [traduction] « c’est du harcèlement et je n’apprécie pas cela ». Quant à la présumée atteinte à la sécurité, le fonctionnaire a déclaré qu’il ne s’agissait pas d’une situation grave et qu’il avait déjà agi de la même façon sans que personne ne se plaigne. Mme Born a indiqué que la réunion s’était soldée par un désaccord entre Mme Shultz et le représentant syndical quant à la façon dont la réunion devait se dérouler (pièce BA-6). Mme Born a indiqué qu’à la fin de la réunion, le fonctionnaire a eu l’occasion de fournir d’autres commentaires et renseignements, s’il le voulait. Le fonctionnaire a présenté des observations supplémentaires les 24 et 27 mai 2016 (pièce E-12, onglet 9, p. 4; pièce BA-6 du cahier de document de l’employeur).

[38]  Lorsqu’on lui a demandé quels facteurs elle avait pris en considération pour imposer une journée de suspension au fonctionnaire, Mme Born a expliqué qu’elle avait examiné tous les témoignages et qu’elle avait conclu que le fonctionnaire avait agi de façon menaçante envers sa superviseure, le 25 avril 2016. Mme Born a fondé sa conclusion sur le fait qu’elle avait vu Mme Boyuk immédiatement après l’incident et qu’elle avait clairement été secouée et elle pleurait, de même que sur le fait incontesté que Mme Boyuk était immédiatement allée voir Mme Sharma, qui s’était sentie obligée d’aller la voir pour s’assurer qu’elle allait bien. Mme Born a également conclu que, même si le fonctionnaire avait soutenu qu’il n’avait jamais dit à Mme Boyuk qu’il estimait qu’il s’agissait de harcèlement, il a néanmoins utilisé exactement ces mots dans le courriel qu’il a envoyé juste après l’incident (pièce E-2, onglet 3 du cahier de documents de l’employeur).

[39]  Mme Born a également expliqué qu’elle avait décidé d’imposer une journée de suspension en prenant en considération le Code de conduite de Statistique Canada, qui interdit clairement tout comportement inapproprié. De plus, elle a pris en considération le fait que, moins de deux ans auparavant, le fonctionnaire avait reçu une lettre de réprimande, le 14 novembre 2014, pour un comportement similaire à l’égard d’une autre superviseure, Mme Drysdale (pièces E-9, E-10 et E-11, onglets 2, 10 et 11 du cahier de documents de l’employeur). Le fonctionnaire n’a présenté aucun grief concernant la lettre de réprimande.

[40]  Au cours du contre-interrogatoire, on a demandé à Mme Born pourquoi elle avait décidé de croire la version proposée par Mme Boyuk, alors que Mme Chapados et Mme Sharma avaient toutes deux déclaré qu’elles n’avaient rien entendu ce jour-là. Mme Born a expliqué que, même si Mme Sharma avait dit qu’elle n’avait rien entendu, elle était manifestement réticente à s’impliquer dans cette affaire. Malgré le fait qu’elle ne voulait pas s’impliquer, elle a néanmoins confirmé à Mme Born que Mme Boyuk était allée la voir immédiatement après l’incident et qu’elle avait été secouée, suffisamment pour que Mme Sharma se sente obligée d’aller la voir. Enfin, Mme Born a indiqué qu’elle avait elle-même vu dans quel état Mme Boyuk était après l’incident : elle était encore secouée et elle pleurait. Selon Mme Born, la version de l’incident de Mme Boyuk était plus crédible.

B.  Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[41]  Dans sa déclaration d’ouverture, le fonctionnaire a plaidé que la mesure disciplinaire était injuste et empreinte de mauvaise foi, et que le processus d’enquête avait été à la fois mal géré et démontrait de nombreuses lacunes. Selon le fonctionnaire, l’imposition d’une journée de suspension démontrait clairement l’intention malveillante de l’employeur dans toute cette affaire.

[42]  Nicholas Martinez a déclaré lors de son témoignage qu’il avait travaillé sous la supervision du fonctionnaire du 8 avril 2016 au 15 mai 2016. À ce titre, M. Martinez a indiqué qu’il devait rencontrer le fonctionnaire à l’occasion pour discuter de questions telles que les objectifs des ententes de rendement et que, au cours de cette période, le fonctionnaire s’était toujours montré courtois et poli, et qu’il n’avait jamais agi de façon irrespectueuse. M. Martinez ne s’est jamais senti menacé par le fonctionnaire.

[43]  M. Martinez a indiqué qu’il avait mentionné à une occasion au fonctionnaire qu’il voulait quitter la Division des normes. M. Martinez a expliqué qu’il n’aimait pas travailler avec Mme Boyuk. Même s’il ne relevait pas directement d’elle, il estimait que ses instructions et celles du fonctionnaire étaient souvent contradictoires. Il a également indiqué qu’il n’aimait pas le style de gestion de Mme Boyuk. Il estimait qu’il n’était pas facile de travailler avec elle et qu’elle effectuait une microgestion de son travail. Il voulait quitter avant qu’une situation conflictuelle ne se produise.

[44]  Le fonctionnaire a déclaré être agronome de formation et être maintenant à la retraite depuis le 27 juillet 2016. Il a précisé avoir connu somme toute une belle carrière dans la fonction publique et que, généralement, il avait eu de bons gestionnaires de même que de bons employés. 

[45]  Le fonctionnaire a indiqué avoir été nommé à un poste au groupe et au niveau EC-06 à la Division des normes en 2008. Toutefois, à la suite de suppressions de postes en 2012, la superviseure d’alors, Mme Drysdale, est devenue nerveuse et les choses ont commencé à être plus difficiles. Le fonctionnaire a cherché à quitter la Division des normes, mais il n’y parvenait pas. Le fonctionnaire a expliqué qu’en août 2014, Mme Drysdale n’était pas satisfaite de son travail et il avait été convoqué au bureau de Mme Born. Le fonctionnaire, trouvant la situation injuste, se serait emporté et aurait insulté sa superviseure, de là l’imposition d’une lettre de réprimande du 14 novembre 2014 (pièce E-11, onglet 2 du cahier de documents de l’employeur).

[46]  Mme Boyuk est devenue sa superviseure à l’automne 2015. Le fonctionnaire connaissait Mme Boyuk depuis 2005, car elle l’avait aussi supervisé à cette époque pour une période d’environ trois mois.

[47]  Quant à l’incident de l’atteinte à la sécurité alléguée le 25 avril 2016, le fonctionnaire a dit que, dans le passé, il transigeait directement avec le client «R»; il avait des liens avec ce client. Après une pause d’environ trois ans, le fonctionnaire a pris l’initiative de communiquer de nouveau avec «R» et que, pour ce faire, il a dû mettre le mot de passe afin de réintégrer le dossier de ce client. Le fonctionnaire a maintenu qu’il n’avait aucunement enfreint de mesures de sécurité dans son courriel à «R» et que, par le passé, il avait toujours agi de cette façon. De plus, selon le fonctionnaire, le mot de passe utilisé dans le courriel était expiré, donc il n’y avait aucun risque pour la sécurité (pièce E-2).

[48]  Revenant à l’incident du 25 avril 2016, le fonctionnaire a déclaré lors de son témoignage qu’à son retour au bureau vers 12 h 30, il a vu le papillon adhésif bleu sur l’écran de son ordinateur. Le fonctionnaire a déclaré avoir été surpris et que cela lui a « serré le cœur ». Il a affirmé s’être senti agressé. Le fonctionnaire a expliqué que les mots [traduction] « Viens me voir tout de suite. Kim. » du papillon adhésif bleu dénotaient de l’impatience. Selon lui, il s’agissait d’une forme de colère; « c’était raide ».

[49]  Le fonctionnaire a raconté avoir alors pris le papillon adhésif bleu et être allé au bureau de Mme Boyuk tout en restant à l’extérieur de son bureau. Il a dit ne pas être entré dans son bureau. Le fonctionnaire a maintenu avoir alors dit ce qui suit : [traduction] « Kim, je n’aime pas cette approche. Je considère cela comme agressant ».

[50]  Selon le fonctionnaire, Mme Boyuk aurait alors commencé à expliquer qu’il avait enfreint le protocole de sécurité en partageant le mot de passe avec le client «R», et que cela était grave. Le fonctionnaire a maintenu que, malgré ses explications quant à la pratique passée et le fait que le mot de passe était périmé, le ton de Mme Boyuk était agressif. Mme Boyuk lui a demandé de rappeler le courriel. Selon le fonctionnaire, Mme Boyuk s’est alors levée et s’est dirigée vers lui. Il a eu peur et il est parti, car  selon lui, cela ne donnait rien d’essayer de la raisonner.

[51]  Le fonctionnaire a déclaré lors de son témoignage être retourné à son bureau et avoir rappelé le courriel envoyé à «R». Il a indiqué avoir été convoqué au bureau de Mme Born (pièce E-6 du cahier de documents de l’employeur). Mme Born lui a alors juste ordonné de s’en aller chez lui, sans lui donner de raison.

[52]  Le fonctionnaire a dit avoir assisté, en présence de son représentant syndical, à une réunion le 28 avril 2016 où Mmes Shultz et Born étaient aussi présentes. Le but de cette rencontre était d’obtenir la version des faits du fonctionnaire de l’incident du 25 avril 2016. Lors de cette réunion, le fonctionnaire aurait réaffirmé n’avoir dit sur un ton doux que ce qui suit : [traduction] « Kim, je n’aime pas cette approche. Je considère cela comme agressant. »

[53]  Le fonctionnaire a aussi maintenu que, lors de cette rencontre du 28 avril 2016, les représentantes de l’employeur ont empêché son représentant syndical de prendre la parole et que par conséquent, la procédure était viciée. Selon le fonctionnaire, dans les circonstances, l’employeur aurait dû lancer une enquête indépendante, ce qui aurait été plus crédible.

[54]  Le fonctionnaire a aussi expliqué que, le 5 mai 2016, une autre réunion a eu lieu entre lui et Mmes Boyuk et Born où celles-ci auraient confirmé qu’il n’y avait pas eu d’atteinte à la sécurité par l’envoi du courriel le 25 avril 2016, mais que toutefois, cette façon de faire allait à l’encontre des meilleures pratiques à suivre.

[55]  Le 13 mai 2016, le fonctionnaire a avisé Mme Born qu’il avait l’intention de prendre sa retraite en septembre 2016. En juin, il s’est ravisé pour devancer cette date de retraite au 27 juillet 2016.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour l’employeur

[56]  L’employeur est d’abord revenu sur l’affirmation du fonctionnaire à savoir que, lors de la rencontre du 28 avril 2016, Mmes Shultz et Born ont empêché son représentant syndical de s’exprimer. Selon l’employeur, si effectivement il y a eu vice de procédure, ce défaut a été corrigé par la présente audience de novo. L’employeur  m’a renvoyée à la décision Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291, paragraphes 38 à 42, qui confirme qu’une audience devant la présente Commission est une audience de novo.

[57]  De plus, l’employeur  a plaidé que le fonctionnaire avait non seulement eu la chance de faire valoir son point de vue lors de la rencontre du 28 avril 2016, mais qu’il avait aussi fait parvenir ses commentaires à l’employeur dans son courriel du 24 mai 2016 (pièce BA-6).

[58]  L’employeur a maintenu que les questions à se poser dans la présente affaire sont les suivantes : y a-t-il eu inconduite de la part du fonctionnaire le 25 avril 2016 et, si oui, est-ce que la suspension d’une journée est raisonnable?

[59]  L’employeur  est revenu sur les faits en soulignant que je devais décider de la crédibilité des témoins afin de décider si, effectivement, le 25 avril 2016, le fonctionnaire était entré dans le bureau de Mme Boyuk et avait intimidé cette dernière en brandissant le papillon adhésif bleu et lui disant sur un ton élevé qu’elle le harcelait et qu’il n’appréciait pas cela.

[60]  L’employeur a maintenu que je devais préférer la version de Mme Boyuk à celle du fonctionnaire qui dit ne pas être entré dans le bureau de Mme Boyuk, lui avoir parlé d’une voix douce, lui avoir simplement dit qu’il n’aimait pas son approche et qu’il trouvait cela agressant. Selon l’employeur, si effectivement le fonctionnaire avait employé un ton calme, cela n’aurait pas créé ce genre de réaction auprès de Mme Boyuk.

[61]  Au soutien de ses prétentions, l’employeur m’a renvoyée au témoignage de Mme Born qui a affirmé que Mme Boyuk était stressée et elle pleurait. Le fonctionnaire a déclaré lors de son témoignage que Mme Boyuk s’était levée et qu’il avait eu peur. Or, il n’a jamais signifié ce fait ni à Mme Born ni dans ses notes des 24 et 27 mai 2016 (pièces BA-6 et E-12, onglet 9). De plus, le courriel du fonctionnaire envoyé tout de suite après l’incident faisait aussi référence au mot « harcèlement » (pièce E-2, onglet 3 p.1 du cahier de documents de l’employeur). Quant à la crédibilité des témoins, l’employeur m’a renvoyée à la décision Faryna c. Chorny, (1951) B.C.J. No.152.

[62]  En ce qui a trait à la journée de suspension imposée, l’employeur a plaidé que, dans les circonstances, la mesure était raisonnable compte tenu du fait que, moins de deux ans auparavant, le fonctionnaire avait reçu une lettre de réprimande pour un comportement similaire envers une autre superviseure. L’employeur m’a renvoyée aux décisions suivantes : Tanciu c. Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada), 1997 CRTFP 80; Nessrallah c. Administratrice générale (Commission de la fonction publique), 2007 CRTFP 121; Focker c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 7; Singaravelu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 178; Szmukier c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 37.

[63]  L’employeur a plaidé qu’il s’était acquitté du fardeau de la preuve et qu’il avait montré que le fonctionnaire avait eu un comportement agressif envers sa superviseure le 25 avril 2016. Une journée de suspension dans les circonstances est raisonnable compte tenu du fait que le fonctionnaire avait déjà été pénalisé pour un comportement agressif semblable. En conséquence, l’employeur a plaidé que je devais rejeter le grief.

B.  Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[64]  Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait agi de façon injuste et était de mauvaise foi à son égard. Selon lui, le processus d’enquête a été mal géré. Il a notamment mentionné la rencontre du 28 avril 2016 avec Mme Shultz et Mme Born, où on n’a pas permis à son représentant syndical de s’exprimer.

[65]  Le fonctionnaire a aussi plaidé que l’employeur n’était pas justifié de lui imposer une journée de suspension. Selon lui, Mme Born n’avait pas de raison de le renvoyer chez lui sans explication le 25 avril 2016. De plus, la version des faits tels qu’ils ont été rapportés par Mme Boyuk ne concorde pas du tout avec ce qui s’est passé le 25 avril 2016.

[66]  Le fonctionnaire a en effet maintenu n’avoir jamais dit de façon agressive : [traduction] « tu me harcèles et je n’apprécie pas cela ». Il a plutôt dit sur un ton calme ce qui suit : [traduction] « Kim, je n’aime pas cette approche. Je considère cela comme agressant. » Le fonctionnaire a insisté sur le fait que les mots qu’il a choisis étaient respectueux et qu’ils exprimaient qu’il ne s’était pas bien senti lorsqu’il a vu le papillon adhésif placé sur son ordinateur. Le fonctionnaire a insisté pour dire qu’il n’y avait rien de mal à faire connaître à Mme Boyuk qu’il se sentait agressé, voire même harcelé.

[67]  Le fonctionnaire a aussi mis en doute la version de Mme Boyuk lorsque celle-ci a affirmé que, lorsqu’il s’était adressé à elle, il parlait fort. Le fonctionnaire a insisté sur le fait que tant Mme Chapados que Mme Sharma (qui avaient leurs bureaux tout près de Mme Boyuk) avaient affirmé n’avoir rien entendu. Selon le fonctionnaire, puisque la preuve est contradictoire sur cet élément, comment alors croire le reste du témoignage de Mme Boyuk?

[68]  Le fonctionnaire est revenu sur le fait que, le 28 avril 2016, Mme Shultz avait mis fin prématurément à la rencontre à laquelle participaient aussi son représentant syndical, Mme Born et lui-même. Selon le fonctionnaire, la vraie raison pour mettre fin à cette réunion était que Mme Shultz n’était pas en mesure de lui dire de quoi il était accusé. De plus, l’employeur aurait dû nommer quelqu’un d’indépendant pour enquêter sur cette affaire et non Mme Shultz, qui relève de l’employeur. Au soutien de ses prétentions, le fonctionnaire m’a renvoyée à Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique, 2015 CAF 273.

[69]  Selon le fonctionnaire, je ne devrais pas accorder trop de poids au fait que Mme Boyuk était supposément ébranlée et qu’elle pleurait après leur rencontre. En effet, selon lui, rien ne permet de conclure que c’est à cause de son comportement; peut-être était-elle troublée à cause d’autres choses qui n’ont rien à voir avec lui.

[70]  Le fonctionnaire a aussi maintenu que, puisque l’employeur utilisait des mots qui s’apparentaient à de la violence pour décrire l’incident du 25 avril 2016, il aurait dû alors suivre la procédure dans ses lignes directrices intitulées  Prévention de la violence dans le lieu de travail - 934-1-IPG-081 (« lignes directrices sur la prévention de la violence », ce qu’il n’a pas fait.

[71]  Compte tenu de la preuve, le fonctionnaire m’a demandé d’accueillir le grief.

IV.  Motifs

[72]  Dans sa plaidoirie, le fonctionnaire a d’abord insisté sur le fait que, lors de la rencontre du 28 avril 2016 entre Mme Born, Mme Shultz, son représentant syndical et lui, son représentant n’a pas pu s’exprimer. Mme Shultz aurait alors décidé abruptement de mettre fin à la rencontre. Le fonctionnaire a maintenu que le processus d’enquête de l’employeur était donc vicié et que je ne devais pas en tenir compte (pièces BA-6 et E-8, onglet 6).

[73]  Le fonctionnaire a aussi plaidé que, dans les circonstances, l’employeur aurait dû tenir une enquête indépendante et non pas demander à Mme Shultz, une représentante de l’employeur, d’enquêter.

[74]  Je ne suis pas d’accord avec ces arguments. D’une part, la jurisprudence constante est à savoir que l’audience tenue devant cette Commission est une audience de novo. Donc, si manquements il y a eus lors de cette rencontre du 28 avril 2016, ils ont été corrigés par la tenue de la présente audience. À cet égard, je tiens à souligner que le fonctionnaire a pleinement exercé son droit de se faire entendre à l’audience, de même que de contre-interroger les témoins de l’employeur.

[75]  À ce sujet, il convient ici de rappeler les propos de la juge Gauthier dans Patanguli. La juge Gauthier se livre alors à une revue de la jurisprudence en la matière et confirme que s’il y a eu manquement à l’équité procédurale, ce manquement saurait être corrigé par l’audience de novo devant cette Commission :

38 La jurisprudence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique est claire à l’effet qu’une audience tenue devant un arbitre de grief constitue une audience de novo. (Voir par exemple « B » c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2013 CRTFP 75, para. 30.)

[…]

42 […] Dans McBride c. Canada (Défense nationale), 2012 CAF 181 [McBride], le juge Pelletier a également conclu que la violation du droit de M. McBride à l’équité procédurale (soit le défaut de divulguer les rapports médicaux sur lesquels le premier décideur administratif s’était appuyé) avait été corrigé par les audiences de novo tenues devant le Comité des griefs et le chef d’état-major de la Défense des Forces canadiennes (McBride, para. 45).Dans cette décision, le juge Pelletier a clarifié la question à considérer lorsqu’un manquement à l’équité procédurale est suivi d’une procédure de novo. Il indique au paragraphe 44 qu’il faut se demander « si compte tenu de l’ensemble des circonstances, la procédure était équitable »

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[76]  Je remarque de plus que le fonctionnaire a aussi eu l’occasion de donner sa version des faits dans deux courriels, soit celui du 24 et celui du 27 mai 2016 (pièces BA-6 et E-12, onglet 9 p.2 du cahier de documents de l’employeur).

[77]  Quant à l’argument du fonctionnaire selon lequel Mme Shultz n’était pas une « personne compétente » en vertu des lignes directrices sur la prévention de la violence pour enquêter sur cette affaire, je tiens juste à souligner que ces lignes directrices sont liées au Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail sous le Code canadien du travail (le « Code »), à la partie II. Or, en l’espèce, aucune procédure n’a été déposée en vertu de ce règlement, ni sous la partie II du Code. Il n’y a pas eu non plus de preuve ni d’argumentation quant à l’application de ce règlement ou de façon générale de la partie II du Code, aux faits en cause.

[78]  Quant à la preuve soumise, rappelons que Mme Boyuk a maintenu que, le 25 avril 2016, elle s’est sentie menacée par le fonctionnaire, qui serait entré dans son bureau et lui aurait parlé à voix forte. Mme Boyuk a dit avoir eu peur du fonctionnaire. Ce dernier a nié cette version des faits, et il a soutenu qu’il n’était jamais entré dans le bureau de Mme Boyuk et qu’il lui avait parlé d’une voix douce.

[79]  L’employeur avait le fardeau de prouver que cet incident a eu lieu, c’est-à-dire que le fonctionnaire s’est comporté de façon inappropriée et agressive envers sa superviseure le 25 avril 2016. L’évaluation des faits doit se faire en tenant compte de la règle de la prépondérance de la preuve. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans Faryna c. Chorny, a insisté sur le fait que la crédibilité d’un témoin doit se faire non seulement en tenant compte de son témoignage mais aussi en tenant compte du contexte; de la prépondérance de toute la preuve entendue.

[80]  Bien que je réalise que ni Mme Chapados ni Mme Sharma n’ont témoigné et que, selon le témoin de l’employeur Mme Born, ces dernières lui ont indiqué ne rien avoir entendu, je conclus quand même que, le 25 avril 2016, le fonctionnaire s’est adressé de façon menaçante à sa superviseure et qu’il l’a ébranlée. Encore une fois, malgré le fait que Mme Chapados et Mme Sharma ont indiqué ne rien avoir entendu, il n’en demeure pas moins que le comportement de cette dernière est, selon moi, révélateur, corroborant ainsi à mon avis le témoignage de Mme Boyuk.

[81]   Il appert en effet du comportement de Mme Sharma que quelque chose s’est vraiment passé le 25 avril 2016 vers la pause-repas. Mme Boyuk a déclaré lors de son témoignage qu’elle était allée voir Mme Sharma tout de suite après, et que cette dernière était revenue la voir quelques minutes après pour voir si tout allait bien. Dans son témoignage,  Mme Born, qui a rencontré Mme Sharma quelques jours après, a aussi dit que Mme Sharma lui avait confirmé que Mme Boyuk était venue la trouver et qu’elle était ébranlée. Mme Sharma aurait aussi indiqué être allée vérifier quelques minutes plus tard si Mme Boyuk allait bien. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi Mme Sharma n’avait pas confirmé avoir entendu une dispute, Mme Born a expliqué que Mme Sharma travaille pour un autre ministère et qu’elle était réticente à s’impliquer dans cette affaire. Je dois avouer que le comportement de Mme Sharma n’a rien de surprenant, plusieurs personnes hésitent à être mêlées à des conflits de travail. Je retiens toutefois que le comportement de cette dernière après l’incident, tel qu’il a été rapporté par Mmes Boyuk et Born, m’amène à croire qu’effectivement le fonctionnaire a élevé le ton de façon inappropriée contre sa superviseure ce jour-là. Quant à Mme Chapados, tel qu’il a été indiqué, elle n’a pas témoigné. Je retiens toutefois du témoignage de Mme Shultz que Mme Chapados semblait « renfermée dans ses réponses », et qu’elle ne voulait pas s’impliquer.

[82]  Pour ce qui est du témoignage de Mme Boyuk, cette dernière a affirmé avoir été ébranlée et s’être sentie menacée par le fonctionnaire. Ses agissements, tout de suite après l’incident, me portent à croire qu’elle a dit la vérité. Elle est immédiatement allée voir Mme Sharma, qui a dit à Mme Born qu’elle apparaissait ébranlée. Je retiens aussi le témoignage de Mme Born; cette dernière m’a semblé très crédible dans sa description de Mme Boyuk après l’incident, à savoir qu’elle pleurait et était ébranlée. Compte tenu du témoignage de Mme Boyuk, de celui de Mme Born à savoir que tout de suite après l’incident, Mme Boyuk était en pleurs et énervée, que Mme Sharma aurait affirmé à la fois à Mme Born et qu’à Mme Shultz être allée voir dans quel état était Mme Boyuk tout de suite après l’incident, je conclus que la preuve dans son ensemble supporte la version de Mme Boyuk à savoir que le fonctionnaire s’est conduit de façon inappropriée le 25 avril 2016.

[83]  Quant au fonctionnaire, qui a affirmé s’être adressé d’une voix douce à sa superviseure, je comprends mal comment, si tel eut été le cas, cela aurait pu affecter à ce point Mme Boyuk. Il faut se rappeler le témoignage de Mme Born à savoir que Mme Boyuk tremblait et pleurait. De plus, le fonctionnaire a indiqué n’avoir jamais utilisé les mots « ceci est du harcèlement, je n’apprécie pas être traité de cette façon ». Tout comme Mme Born, je note toutefois que dans son courriel adressé à Mme Boyuk tout de suite après l’incident, le fonctionnaire utilise encore le mot « harcèlement » (pièce BA‑2).

[84]  Dans Bashra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, la Cour a ordonné de suivre l’approche de Wm. Scott et Co Ltd v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162 (19770 1 C.L.B.R.1.). Selon cette approche, les questions à trancher quand on doit décider la mesure disciplinaire à imposer sont les suivantes :

  1. L’employeur a-t-il prouvé une inconduite qui justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire?

  2. Dans l’affirmative, la mesure disciplinaire imposée est-elle excessive dans les circonstances?

  3. Si oui, quelle autre mesure disciplinaire devrait-elle lui être substituée?

1. L’employeur a-t-il prouvé une inconduite qui justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire?

[85]  Tel qu’indiqué plus haut, compte tenu de l’ensemble de la preuve, je conclus que l’employeur s’est déchargé de son fardeau de preuve et a montré que le fonctionnaire avait eu un comportement inapproprié envers sa superviseure le 25 avril 2016.

2. Dans l’affirmative, la mesure disciplinaire imposée est-elle excessive dans les circonstances?

[86]  Le 14 novembre 2014, le fonctionnaire s’est vu remettre une lettre de réprimande pour, encore une fois, avoir eu un comportement inapproprié envers une autre superviseure. J’estime donc que le principe de la discipline progressive s’applique et que la mesure imposée, soit une journée de suspension, n’est pas excessive; je n’ai donc pas à intervenir.

3. Si oui, quelle autre mesure disciplinaire devrait-elle lui être substituée?

[87]  Compte tenu de ma réponse à la question 2, je n’ai pas à répondre à cette question.

[88]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[89]  Le grief est rejeté.

Le 25 octobre 2019

Linda Gobeil,

 une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.