Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante, l’agent négociateur, a allégué que des modifications apportées aux heures de travail d’un certain nombre d’employés contrevenaient à la disposition de gel prévu par la loi de la convention collective applicable, laquelle est entrée en jeu lorsque la plaignante a signifié un avis de négocier à l’employeur – selon l’analyse proposée dans Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal-Mart du Canada, 2014 CSC 45, la Commission a conclu que les modifications instaurées par la défenderesse n’étaient pas conformes aux pratiques normales de gestion de l’employeur avant la signification de l’avis de négocier – de plus, selon la preuve, la Commission a conclu qu’elle ne pouvait pas établir qu’un employeur raisonnable aurait agi de la même manière dans les mêmes circonstances ou dans des circonstances semblables – la Commission a déclaré que la défenderesse avait contrevenu à l’art. 107 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et a ordonné l’annulation des modifications apportées aux heures de travail.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date : 20191115

Dossier : 561-34-872

 

Référence : 2019 CRTESPF 110

 

Loi sur la Commission des relations      Devant une formation de la

de travail et de l’emploi dans le     Commission des relations de

secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

enTRE

 

Alliance DE LA FONCTION PubliQUE DU Canada

plaignante

 

et

 

AgencE DU REVENU DU Canada

 

défenderesse

Répertorié

Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une plainte déposée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant :  Dan Butler, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante :  Amy Kishek, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour la défenderesse :  Jena Montgomery, avocate

Affaire entendue à Sudbury (Ontario)

du 9 au 11 septembre 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉcision  (Traduction de la crtespf)

I.  Introduction

[1]  À compter du 19 juin 2017, le centre fiscal/bureau des services fiscaux de Sudbury (le « bureau fiscal de Sudbury »), qui relève de l’Agence du revenu du Canada (la « défenderesse »), a réaménagé l’horaire de travail d’un certain nombre de fonctionnaires de l’unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « plaignante »). La nouvelle politique, qui a été annoncée officiellement le 28 mars 2017 lors d’une réunion du Comité de consultation syndicale-patronale, a eu un effet sur l’accès à certains horaires de travail et variables, et a imposé des limites que la direction locale jugeait nécessaires pour mettre en œuvre une initiative de [traduction] « renouvellement des services » à l’échelle de l’organisation.

[2]  La principale question à trancher dans la présente décision est celle de savoir si les changements mis en œuvre à compter du 19 juin 2017, constituaient une violation de la disposition sur le [traduction] « gel prévu par la loi », qui a été déclenchée lorsque la plaignante a signifié un avis de négocier à l’employeur, le 31 octobre 2016. Pour les motifs énoncés plus loin dans la présente décision, j’estime que la défenderesse a enfreint la loi.

II.  La plainte

[3]  Le 18 septembre 2017, la plaignante a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 190(1)c) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). La plaignante a allégué que la défenderesse avait contrevenu à l’article 107 de la Loi, qui est ainsi libellé :

Obligation de respecter les conditions d’emploi

Une fois l’avis de négocier collectivement donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve de l’article 132, les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou :

a) dans le cas où le mode de règlement des différends est l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue;

b) dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[4]  La plaignante est l’agent négociateur des membres du Syndicat des employé(e)s de l’impôt (SEI ou le « syndicat »), une composante de la plaignante, qui est classifiée au sein des groupes Services et programmes (SP) et Direction (MG – SP-05), dont les membres travaillent au bureau fiscal de Sudbury. (L’unité de négociation est assimilée au « groupe Exécution des programmes et des services administratifs » dans le certificat délivré par une commission prédécesseure, en 2001.)

[5]  La plaignante a maintenu ce qui suit :

[Traduction]

[…] la défenderesse a contrevenu à l’article de [sic] en imposant unilatéralement et arbitrairement des changements applicables à l’horaire de travail, en violation de l’article 25 de la convention collective conclue entre l’ARC et l’AFPC, ainsi que de l’article 107 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[6]  En guise de redressement, la plaignante a demandé ce qui suit :

  • 1) une déclaration que la défenderesse a contrevenu à l’art. 107 de la Loi;

  • 2) une ordonnance selon laquelle la défenderesse doit renoncer et mettre fin à l’adoption d’un nouvel horaire de travail;

  • 3) l’affichage de la décision de la Commission pour une période d’au moins 90 jours;

  • 4) une ordonnance selon laquelle la Commission demeurera saisie de l’affaire aux fins de la mise en œuvre de sa décision;

  • 5) [traduction] « toute autre réparation que la plaignante demandera éventuellement et que la Commission pourra accorder ».

[7]  Dans ses arguments en date du 24 octobre 2017, la défenderesse a affirmé que la plainte était sans fondement parce qu’elle avait agi dans les limites de son pouvoir de fixer l’horaire de travail, conformément à la convention collective conclue entre la plaignante et la défenderesse, qui est venue à échéance le 31 octobre 2016 (la « convention collective »). En plus de maintenir qu’elle n’avait pas contrevenu à l’art. 107 de la Loi, la défenderesse a exposé brièvement deux objections préliminaires : 1) la plainte était hors délai parce qu’elle n’avait pas été déposée dans les 90 jours suivant l’annonce du 28 mars 2017, à la réunion du Comité de consultation syndicale-patronale, comme l’exigeait l’al. 190(1)c) de la Loi; 2) la Commission doit exercer son pouvoir de refuser d’accueillir la plainte parce que l’affaire pourrait être renvoyée à l’arbitrage aux termes de la Partie 2 de la Loi.

III.  Stipulations et admission

[8]  Lors d’une conférence de gestion des cas convoquée le 22 juillet 2019, la plaignante a souligné qu’elle n’invoquerait pas la violation alléguée de l’article 25 de la convention collective à l’audience, ce qu’elle a reconfirmé à l’audience.

[9]  Pour sa part, la défenderesse a renoncé à ses objections préliminaires à l’audience.

[10]  La défenderesse a reconnu et n’a pas contesté que la plaignante avait signifié un avis de négocier le 31 octobre 2016. Elle a admis que les mesures annoncées à la réunion du Comité de consultation syndicale-patronale, le 28 mars 2017, comportaient une modification des conditions d’emploi au sens de l’art. 107 de la Loi.

[11]  Selon la plaignante, si la preuve est examinée à la lumière de la jurisprudence, elle révèle une violation de l’art. 107 de la Loi. La défenderesse a maintenu que l’application aux faits des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal-Mart du Canada, [2014] 2 RCS 323, 2014 CSC 45 (« Walmart ») permet d’établir qu’elle avait poursuivi ses activités normales et que, par conséquent, elle n’avait pas enfreint la disposition sur le gel prévu par la loi.

IV.  Résumé de la preuve

[12]  À l’audience, les parties ont présenté leur preuve par l’intermédiaire de quatre témoins, trois pour le compte de la plaignante, et un pour le compte de la défenderesse. J’ai examiné l’ensemble des témoignages livrés par les quatre témoins. Cependant, dans le résumé qui suit, je ne relève que les éléments que j’estime être les plus pertinents pour déterminer s’il y a eu violation de l’art. 107 de la Loi.

[13]  À la demande de la défenderesse, sans opposition de la part de la plaignante, j’ai rendu une ordonnance d’exclusion de témoins, à l’exception de Shane O’Brien, qui a conseillé l’avocate de la plaignante tout au long de l’audience.

A.  Témoins cités par la plaignante

1.  Chris Heywood

[14]  M. Heywood est chef d’équipe à la section du traitement des paiements du bureau fiscal de Sudbury. Il travaille à la fonction publique depuis 10 ans, ayant passé toutes ces années auprès de la défenderesse. Il siège depuis six ans au comité exécutif de la section locale 00042 du SEI; actuellement, il occupe le poste de deuxième vice‑président. Au moment du dépôt de la plainte, M. Heywood était président du SEI.

[15]  M. Heywood a déclaré qu’il avait appris que la défenderesse avait l’intention de réaménager l’horaire de travail dans le cadre de l’initiative de renouvellement des services lorsque le directeur, Yvan Bouchard, l’en a informé officieusement à la mi‑mars 2017. La défenderesse a ensuite exposé ses projets officiellement lors de la réunion trimestrielle du Comité de consultation syndicale-patronale tenue le 28 mars 2017, que M. Heywood présidait.

[16]  Le procès‑verbal de cette réunion (pièce C-2, onglet 2) décrit en ces termes le réaménagement de l’horaire de travail proposé par la défenderesse :

[Traduction]

[…]

  • Un maximum de 8,5 heures de travail par jour pour tous les fonctionnaires.

  • Un maximum de 8 heures de travail par jour pour tous les chefs d’équipe.

  • Un maximum de 7,5 heures de travail par jour pour tous les gestionnaires intermédiaires.

  • Un maximum de 7,5 heures de travail par jour pour tous les fonctionnaires assujettis au travail par postes et/ou à des postes de travail flexibles.

Toute exception à ces règles doit faire l’objet d’un examen et être approuvée.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[17]  La défenderesse a présenté plusieurs justifications à l’appui du réaménagement, notamment ses préoccupations à l’égard du fait que certains calendriers de travail existants entraînaient une perte de productivité, qu’il y avait des problèmes de présence particuliers les lundis et les vendredis, ainsi que des difficultés liées à l’insuffisance de la supervision, et que la charge de travail accrue qui découlait du renouvellement des services exigeait de prendre des mesures différentes.

[18]  M. Heywood a indiqué que la défenderesse avait demandé une rétroaction au syndicat à propos du réaménagement proposé, mais qu’à son avis la défenderesse avait déjà pris sa décision. Le syndicat a indiqué qu’il n’appuyait pas le réaménagement. M. Heywood était d’avis que la proposition de la défenderesse n’était pas la meilleure façon de gérer les difficultés qui pouvaient se poser, et qu’il y avait d’autres façons d’aborder les situations individuelles autres que l’adoption d’un réaménagement général.

[19]  À la suite de la réunion du Comité de consultation, le syndicat a résumé ses préoccupations concernant le projet de réaménagement des horaires de travail de la défenderesse, dans un courriel adressé à M. Bouchard et à un autre représentant de l’employeur, le 7 avril 2017 (pièce C-2, onglet 4).

[20]  M. Heywood a déclaré que M. Bouchard l’avait informé du renouvellement des services au cours du mois de novembre précédent, mais que rien ne lui avait laissé croire à ce moment‑là que l’horaire de travail serait modifié.

[21]  M. Heywood a décrit la pratique de [traduction] « bureau partagé » qui était en place avant que la plaignante ne signifie l’avis de négocier. Durant la période la plus occupée de la production des déclarations, le travail était parfois assigné à des quarts de travail qui partageaient le même espace de travail, le premier de 7 h à 15 h, et le deuxième de 15 h 30 à 23 h 30. Des modifications temporaires aux horaires de travail des fonctionnaires étaient apportées lorsque deux quarts étaient en cours.

[22]  M. Heywood a expliqué qu’avant le renouvellement des services, la pratique de bureau partagé se limitait principalement aux activités de saisie de données des déclarations d’impôt T1. Il a indiqué que la défenderesse n’avait soulevé aucun problème d’ordre général au sujet de la pratique de bureau partagé, et que dans le passé, ces questions avaient été réglées au cas par cas. Après le renouvellement des services, la pratique de bureau partagé s’est étendue aux étapes subséquentes à la saisie de données initiale. Ses répercussions sur le milieu de travail ont été importantes, mais se limitaient essentiellement aux secteurs de traitement des déclarations T1.

[23]  Quant à la préoccupation de la défenderesse au sujet de l’insuffisance de la supervision sur place avant le renouvellement des services, M. Heywood a signalé que la défenderesse ne l’avait pas cernée comme étant un problème antérieurement. Il a aussi indiqué que, dans le passé, il n’y avait aucune différence quant aux dispositions sur l’horaire de travail des chefs d’équipe et des employés réguliers; cette distinction ne figure pas dans la convention collective.

[24]  Le 27 avril 2017, M. Bouchard a adressé à ses gestionnaires un courriel intitulé [traduction] « Avis important », en les priant de le diffuser à tous les fonctionnaires (pièce C-2, onglet 6). Ce courriel confirmait le [traduction] « nouvel horaire de travail en vigueur le 19 juin 2017 », qui avait été annoncé lors de la réunion du Comité de consultation en mars.

[25]  M. Heywood a témoigné que les membres de la section locale avaient réagi à l’annonce avec confusion, indignation, colère et stupéfaction. Un bon nombre d’entre eux ont dit qu’ils avaient le sentiment de perdre le contrôle de leur horaire, que leur [traduction] « équilibre travail-vie personnelle » en serait compromis, et que les mesures de la défenderesse constituaient [traduction] « une autre attaque contre eux ». Comme cela s’ajoutait aux problèmes répandus qu’avait occasionnés le système de paye Phénix et aux difficultés survenues dans les négociations de contrats en cours, le moral des fonctionnaires a [traduction] « piqué du nez », selon M. Heywood. Lorsque les changements sont entrés en vigueur, 24 fonctionnaires, dont un bon nombre de défenseurs actifs du syndicat, ont présenté un grief (pièce C-2, onglet 7). D’autres fonctionnaires se sont montrés réticents, compte tenu de la stigmatisation associée au dépôt d’un grief.

[26]  Le syndicat a tenté de convaincre M. Bouchard de reporter la mise en œuvre après l’été, mais sa réponse a été [traduction] « non ». Ultérieurement, le syndicat a attiré l’attention de M. Bouchard sur une décision que la Commission avait rendue en juillet 2019, dans laquelle elle concluait que le réaménagement de l’horaire de travail dans la région de l’Atlantique de la défenderesse avait constitué une violation des dispositions sur le gel prévu par la loi (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 16 (« ARC »)), et l’a prié de reconsidérer sa décision. M. Bouchard a dit à M. Heywood qu’il avait discuté de la décision avec ses conseillers en relations de travail, et qu’il avait décidé qu’il n’annulerait pas le réaménagement.

[27]  M. Heywood estimait que le réaménagement mis en œuvre le 19 juin 2017 touchait environ le quart des effectifs du bureau fiscal de Sudbury. Il a admis qu’il était difficile d’être précis au sujet des répercussions.

[28]  Pour résumer son expérience, M. Heywood a indiqué qu’il avait prié ses superviseurs d’approuver les horaires de travail variables ou flexibles pratiquement dès son entrée en fonction au bureau fiscal de Sudbury, et que ses demandes étaient régulièrement accordées. La plupart du temps, il travaillait selon un horaire [traduction] « supercomprimé », qui consistait en une semaine de travail de quatre jours comprenant trois journées de 9,5 heures, et 9 heures de travail le quatrième jour. Son horaire était flexible, parfois entre 7 h et 17 h et parfois entre 7 h et 16 h 30. Le calendrier supercomprimé lui permettait de mieux gérer ses responsabilités parentales. M. Heywood a déclaré que ses superviseurs ne lui avaient jamais demandé de preuve ou de document à l’appui de ses demandes. Ces demandes, renouvelées toutes les 12 semaines, étaient approuvées de vive voix, après quoi M. Heywood entrait les détails de son horaire dans le système de déclaration du temps en ligne de la défenderesse.

[29]  M. Heywood a confirmé que la défenderesse ne lui avait jamais imposé d’horaire de travail. Il a déclaré qu’il n’avait jamais été critiqué au sujet de sa productivité parce qu’il travaillait selon un horaire supercomprimé, et qu’à sa connaissance, aucun problème de productivité n’avait été soulevé à l’égard d’autres membres de son équipe au sujet des horaires supercomprimés.

[30]  De façon plus générale, M. Heywood a indiqué que, à l’occasion, des superviseurs avaient questionné d’autres fonctionnaires au sujet des motifs justifiant leurs demandes, mais que ces demandes n’étaient jamais refusées. Dans des circonstances particulières, si un trop grand nombre de fonctionnaires pouvaient être en congé en même temps, des collègues se portaient volontaires pour régler les problèmes de présence.

[31]  La perte de l’horaire supercomprimé qu’a subie M. Heywood après juin 2017 a eu pour effet d’augmenter ses frais de garderie et de réduire le temps qu’il passait auprès de sa famille. Il a présenté un grief contestant le refus. Ce grief, ainsi que les autres qu’ont déposés divers fonctionnaires, est resté en suspens en attendant l’issue de la présente audience.

[32]  M. Heywood a confirmé qu’il ne partageait pas son bureau et ne travaillait jamais de nuit.

[33]  En contre-interrogatoire, M. Heywood a présenté les réponses ci-dessous :

  • (1) le renouvellement des services était l’un des motifs que la défenderesse avait invoqués pour réaménager l’horaire de travail lors de la réunion du Comité de consultation, le 28 mars 2017;

  • (2) le renouvellement des services a entraîné une augmentation de la charge de travail et des heures supplémentaires;

  • (3) la pratique de bureau partagé avait déjà été instaurée au besoin, mais elle a assurément augmenté avec le renouvellement des services;

  • (4) un plus grand nombre d’horaires de travail ont été modifiés par suite du renouvellement des services;

  • (5) la défenderesse n’avait jamais soulevé de problèmes de surveillance auprès de lui;

  • (6) la défenderesse n’avait jamais, de manière officielle, fait mention de préoccupations au sujet des lundis et des vendredis;

  • (7) il savait que son expérience de l’approbation des demandes d’horaire comprimé était partagée par les autres fonctionnaires, parce que le syndicat n’avait reçu aucune plainte de leur part;

  • (8) certains fonctionnaires ont travaillé selon un horaire supercomprimé à partir d’avril 2017;

  • (9) la défenderesse avait réaménagé l’horaire de travail dans le passé, mais seulement de façon temporaire et non générale;

  • (10) après juin 2017, la défenderesse a continué à autoriser les horaires comprimés.

[34]  Lorsque la défenderesse a demandé à M. Heywood s’il était au courant des restrictions appliquées antérieurement à l’horaire de travail en mai, juin et juillet 2015 (à la section du contrôle des déclarations des entreprises), ainsi qu’en juin 2016, M. Heywood a répondu par la négative dans chaque cas.

[35]  Pendant son réinterrogatoire, M. Heywood a reconfirmé qu’il avait cru comprendre, au moment où le renouvellement des services avait été annoncé, qu’il y aurait des changements dans le milieu de travail, mais qu’il ignorait qu’il y avait une corrélation entre ces changements et le réaménagement de l’horaire de travail. Il s’attendait à ce que des restrictions continuent de s’appliquer temporairement, comme dans le passé.

2.  Tracy Marcotte

[36]  Mme Marcotte travaille à la fonction publique depuis 17 ans, ayant passé toutes ces années auprès de la défenderesse. Actuellement, elle travaille comme chef d’équipe au sein de la Direction des déclarations et prestations des particuliers (Comptes T1). Mme Marcotte est aussi présidente en poste de la section locale 00042, après avoir siégé à son conseil exécutif pendant huit ans. En 2017, elle a été la première vice‑présidente de la section locale.

[37]  Mme Marcotte a pris connaissance de l’intention de la défenderesse de réaménager l’horaire de travail auprès de M. Heywood, à la suite de sa rencontre avec M. Bouchard en mars 2017. Mme Marcotte a assisté à la réunion du Comité de consultation le 28 mars 2017, et elle a convenu que le procès‑verbal de cette réunion (pièce C-2, onglet 2) reflète la présentation du directeur et les justifications qu’il a données pour modifier les horaires de travail. Mme Marcotte a résumé les préoccupations du syndicat, qui se concentraient sur le fait que les changements [traduction] « allaient à l’encontre » de la convention collective, que la différence de traitement des chefs d’équipe et des fonctionnaires n’avait aucun sens, et que la défenderesse n’avait fourni aucun véritable document pour étayer les problèmes liés à la productivité.

[38]  Mme Marcotte a déclaré que la défenderesse avait d’abord prétendu, lors de rencontres individuelles avec des représentants syndicaux, mais pas avec elle personnellement, que la présence et la surveillance ne posaient pas de problèmes. Mme Marcotte a affirmé que la défenderesse n’avait pas présenté de proposition officielle pour régler les problèmes allégués. Mme Marcotte se souvenait aussi que M. Bouchard abordait parfois la question de la productivité durant la dernière heure de travail, mais qu’aucun problème de productivité n’avait été soulevé aux réunions officielles avec le syndicat.

[39]  Au dire de Mme Marcotte, chaque secteur du bureau fiscal de Sudbury menait ses activités selon ses propres normes de production. Aucune directive ou politique générale concernant les quotas n’avait été publiée. Elle n’avait pas eu connaissance de lacunes au niveau de la productivité.

[40]  En avril 2017, en tant que chef d’équipe, Mme Marcotte a reçu de son gestionnaire des questions et réponses au sujet du réaménagement de l’horaire de travail (pièce C-2, onglet 10, pages 51 à 53), ainsi que la directive d’en informer son personnel. Mme Marcotte a refusé parce qu’elle était en désaccord avec le réaménagement et avait le sentiment que son gestionnaire devait tenir la séance d’information à l’intention du personnel. Tous les chefs d’équipe de son secteur travaillaient selon un horaire comprimé. Mme Marcotte savait qu’ils seraient mécontents et qu’il y aurait une réaction défavorable parmi les fonctionnaires des différentes équipes.

[41]  Les préoccupations sont apparues rapidement avec la mise en œuvre du réaménagement. Les chefs d’équipe se sont plaints des nouvelles restrictions appliquées à leurs horaires comprimés et ne comprenaient pas pourquoi ils étaient traités différemment des autres fonctionnaires. Les membres de la section locale étaient très contrariés et énuméraient les répercussions du réaménagement sur les responsabilités familiales, les services de garderie et l’équilibre travail-vie personnelle. Le moral était bas. Compte tenu de son poste auprès de la section locale, Mme Marcotte était en mesure d’apprécier les sentiments des gens dans l’immeuble et était informée par suite des nombreuses plaintes qu’elle recevait personnellement. Lorsque certains lui ont demandé de les aider à déposer un grief, elle y a consenti (pièce C-2, onglet 7), mais le syndicat n’a pas sollicité de griefs auprès de ses membres. Il espérait qu’un plus grand nombre de fonctionnaires présenteraient un grief, mais savait que beaucoup avaient peur.

[42]  Mme Marcotte a décrit brièvement comment elle avait aidé trois ou quatre membres à présenter une demande d’exception au réaménagement au comité de la haute direction mandaté à cette fin après juin 2017. Les demandes concernaient toutes des arrangements pour raisons médicales ou familiales, et elles ont toutes été approuvées.

[43]  S’agissant de sa propre situation, Mme Marcotte a précisé qu’elle avait travaillé selon un horaire flexible pendant 14 ans, de 7 h à 15 h au début, puis de 8 h à 16 h. Au cours des quatre ou cinq années qui avaient précédé la mise en œuvre du réaménagement par la défenderesse, en juin 2017, Mme Marcotte avait travaillé de 9 h à 17 h. (Elle n’a jamais adopté une semaine de travail comprimée). Les modifications apportées à son horaire au fil du temps reflétaient les changements dans le cadre de ses responsabilités parentales. Durant ses 17 années de service, ses demandes d’horaire flexible, présentées par voie électronique, ont été approuvées de façon routinière sans devoir les justifier. Lorsqu’elle est devenue chef d’équipe, Mme Marcotte a été autorisée à statuer sur les demandes d’horaire flexible ou de semaine de travail comprimée présentées par les membres de son équipe; elle les approuvait à moins qu’il n’y ait un motif de les refuser. La défenderesse n’a fourni aucune directive sur la façon d’approuver les demandes. Après juin 2017, les chefs d’équipe n’ont plus été autorisés à examiner les demandes, qui étaient plutôt transmises aux gestionnaires supérieurs.

[44]  Après juin 2017, Mme Marcotte a travaillé de 7 h à 15 h et s’est fait dire qu’elle n’avait pas d’autre choix. Elle ne partage pas son bureau. Elle n’a pas demandé officiellement un horaire différent depuis juin 2017, et a remarqué que son gestionnaire avait officieusement [traduction] « refusé » cette possibilité. À la question de savoir si des membres de son équipe avaient continué à travailler selon un horaire comprimé, Mme Marcotte a confirmé que certains l’avaient fait pourvu qu’ils ne partageaient pas leur bureau. Elle croyait comprendre que si la défenderesse instaurait un quart d’après-midi dans son secteur, les fonctionnaires touchés seraient tenus de travailler de 7 h à 15 h.

[45]  Dans le cadre de l’expérience de chef d’équipe de Mme Marcotte, la productivité au cours de la dernière heure de travail n’a jamais posé problème, et elle n’a pas eu besoin non plus de soulever un problème lié à la productivité au cours de la dernière heure auprès d’un membre de son équipe. Dans le même ordre d’idées, à sa connaissance, le travail selon un horaire supercomprimé ne posait pas problème, pas plus que la présence de suffisamment d’employés sur les lieux de travail. Les chefs d’équipe collaboraient afin d’assurer une présence et pouvaient eux‑mêmes [traduction] « alterner » pour garantir la présence d’un superviseur. En dernier lieu, Mme Marcotte a confirmé que la défenderesse n’avait jamais imposé d’horaire aux chefs d’équipe et que les gestionnaires n’intervenaient pas dans la surveillance de l’horaire des membres des équipes.

[46]  En contre-interrogatoire, Mme Marcotte a livré le témoignage suivant :

  • 1) elle a constaté une augmentation de la charge de travail par suite du renouvellement des services;

  • 2) elle n’a pas vu de véritable changement dans le flux de travaux ni dans la façon d’exécuter les tâches par suite du renouvellement des services;

  • 3) de nouvelles procédures ont été mises en place aux fins de nouvelles tâches, mais pas dans son secteur;

  • 4) il y avait désormais un quart d’après-midi qui débutait à 15 h 30 et se terminait à 23 h 30;

  • 5) il y avait une pratique de bureau partagé, et il n’y avait aucun chevauchement entre les postes de jour et ceux d’après-midi;

  • 6) la question de la présence d’un superviseur n’avait été mentionnée que sans s’y attarder dans le passé;

  • 7) elle avait entendu dans de multiples conversations informelles que beaucoup de gestionnaires se préoccupaient de la capacité les lundis et les vendredis, mais que ces jours‑là ne posaient pas de problème, selon son expérience;

  • 8) il n’y a jamais eu de rencontre avec M. Bouchard afin de discuter de ses problèmes en matière de productivité.

[47]  Dans son témoignage en contre-interrogatoire, Mme Marcotte a déclaré qu’elle ignorait combien de cas d’exception avaient été soumis au comité de la haute direction après juin 2017, et elle a confirmé que les représentants syndicaux ne jouaient aucun rôle au sein du comité. Elle a aussi indiqué que le syndicat n’avait pas effectué le suivi du nombre de membres qui s’étaient adressés à lui pour des problèmes d’horaire de travail.

[48]  Mme Marcotte a convenu qu’au cours des 17 années qu’elle a passées auprès de la défenderesse, il était parfois arrivé que des restrictions concernant l’horaire comprimé soient mises en place pour satisfaire à des exigences de travail plus élevées que la normale, habituellement, mais pas toujours, au cours de la période de février à juin. Ces restrictions s’appliquaient normalement dans trois secteurs (pas au traitement des déclarations T1) — Saisie au clavier, Inspection des erreurs et Tri et numérotage — et, peut‑être, dans [traduction] « une couple » de secteurs de plus. Mme Marcotte a expliqué que dans les cas de bureaux partagés, les fonctionnaires qui effectuaient le quart de jour devaient quitter l’immeuble à 15 h 30. La défenderesse autorisait les fonctionnaires à travailler selon un horaire comprimé, à condition que leur horaire se situe dans les limites de la politique mise en œuvre en juin 2017. En dernier lieu, Mme Marcotte a convenu que le bureau fiscal de Sudbury avait instauré la pratique de bureau partagé dans certains secteurs parce que l’immeuble était plein.

[49]  La représentante de la plaignante n’a pas réinterrogé le témoin.

3.  M. O’Brien

[50]  M. O’Brien remplit les fonctions d’agent principal des relations de travail au siège social du SEI, afin de conseiller le président national et divers comités nationaux, y compris le comité de la négociation collective. M. O’Brien participe activement au SEI depuis 41 ans, et a joué divers rôles de représentant élu ou d’employé comportant des responsabilités croissantes. Le fait que M. O’Brien soit le représentant officiel du SEI à son siège social pour toute question concernant les horaires de travail dans l’ensemble de l’organisation de la défenderesse est directement pertinent pour la présente affaire. Il dit dans ses mots : [traduction] « Je suis le gars responsable des heures de travail pour le syndicat ».

[51]  Dans le passé, il y a eu très peu de problèmes concernant l’horaire de travail au bureau fiscal de Sudbury, selon M. O’Brien. Ces cas ont été résolus. Au cours des périodes de l’année où la charge de travail culminait, une demande motivée justifiait les restrictions applicables à l’horaire de travail pour des périodes déterminées. M. O’Brien ne se souvenait d’aucun exemple de restrictions imposées en dehors de telles périodes.

[52]  M. O’Brien a pris connaissance de la nouvelle politique adoptée au bureau fiscal de Sudbury peu de temps après la réunion du Comité de consultation syndicale‑patronale tenue le 28 mars 2017, lorsque le vice-président régional du SEI, Cosimo Crupi, avait communiqué avec lui. M. O’Brien a dit à M. Crupi que la présentation de griefs n’était pas la bonne façon de réagir, et a mentionné la plainte liée au gel prévu par la loi déposée par le SEI concernant le réaménagement de l’horaire de travail dans la région de l’Atlantique, plainte que M. O’Brien avait lui‑même rédigée. Ultérieurement, celui‑ci a transmis une copie de la décision que la Commission avait rendue dans cette affaire à M. Heywood, par l’intermédiaire de M. Crupi, afin qu’il la montre à M. Bouchard.

[53]  M. O’Brien a déclaré que le SEI considérait la situation vécue au bureau fiscal de Sudbury comme étant très similaire à celle qui avait donné lieu à la plainte dans la région de l’Atlantique. Les deux plaintes concernaient une décision unilatérale imposant une politique générale, qui avait pour effet de modifier les horaires de travail variables et flexibles durant la période de gel prévu par la loi.

[54]  M. O’Brien menait les consultations nationales sur l’initiative de renouvellement des services pour le SEI. Il a déclaré que lorsque l’initiative a été présentée au syndicat pour la première fois, il n’avait pas été question des horaires de travail variables ou flexibles. Il a confirmé que la défenderesse ne l’avait jamais intégré aux discussions relevant du renouvellement des services qui portaient sur les restrictions concernant l’horaire de travail, que ce fût à l’échelle nationale ou au bureau fiscal de Sudbury.

[55]  M. O’Brien a réfuté la proposition selon laquelle les restrictions concernant l’horaire de travail mises en œuvre au bureau fiscal de Sudbury étaient analogues aux restrictions imposées antérieurement au plus fort de la période de production des déclarations. Les situations n’étaient pas semblables, et aucune véritable analyse de cas n’avait été présentée au syndicat pour établir le bien-fondé de la nouvelle politique. M. O’Brien a confirmé qu’aucun autre centre fiscal, centre d’appels ou bureau de services fiscaux n’avait modifié sa politique de la manière dont cela avait été fait au bureau fiscal de Sudbury, même aux endroits où les charges de travail et les effectifs avaient également augmenté par suite du renouvellement des services et où la pratique de bureau partagé était l’une des caractéristiques.

B.  Témoin cité par la défenderesse

1.  M. Bouchard

[56]  En qualité de directeur, M. Bouchard était le cadre supérieur responsable du bureau fiscal de Sudbury.

[57]  M. Bouchard a décrit l’expérience des horaires supercomprimés qui a été vécue au bureau fiscal de Sudbury, en précisant que les horaires [traduction] « supercomprimés » comportaient des jours de travail de plus de huit heures et demie. Il a indiqué qu’avant juin 2017, les gestionnaires avaient convenu [traduction] « qu’il n’y aurait pas beaucoup d’horaires supercomprimés », mais que tout le monde savait qu’il y en avait. Le bureau fiscal de Sudbury n’encourageait pas cette pratique, parce qu’il était difficile de gérer de tels horaires, plus particulièrement dans les secteurs de traitement. Les fonctionnaires avaient tendance à se lasser des tâches de traitement répétitives, et [traduction] « la production y faisait tout simplement défaut », au dire de M. Bouchard. Selon lui, la préoccupation concernant la productivité était [traduction] « un a priori de leur côté ».

[58]  Au dire de M. Bouchard, dès 2014‑2015 les gestionnaires locaux se sont entendus pour limiter les horaires supercomprimés. M. Bouchard a évoqué un [traduction] « engagement d’honneur » visant à maintenir ces calendriers à un minimum — encore une fois, selon lui, afin de [traduction] « s’efforcer vraiment de diminuer le phénomène ». Par contre, les gestionnaires ne percevaient pas les horaires comprimés réguliers comme un problème.

[59]  À la question de savoir pourquoi les horaires supercomprimés avaient été autorisés, M. Bouchard a répondu que les demandes relatives à ces horaires n’avaient pas été portées à son attention bien souvent, et qu’il ne les aurait pas approuvées s’il en avait reçu. Elles étaient approuvées à un niveau inférieur par les gestionnaires et les chefs d’équipe. Assurément, M. Bouchard a indiqué qu’il y avait eu [traduction] « un affrontement » entre les gestionnaires à la table au sujet des raisons pour lesquelles certains d’entre eux autorisaient les horaires supercomprimés et d’autres non. Il croyait comprendre qu’il y avait des circonstances exceptionnelles dans lesquelles les horaires supercomprimés étaient logiques, par exemple dans le cas des vérificateurs travaillant auprès des clients.

[60]  M. Bouchard a assimilé à une [traduction] « pratique commune et coutumière » l’application de restrictions à l’horaire de travail durant les périodes d’activité intense, habituellement de février à juin, mais aussi en automne dans certaines sections. Parfois, de petits projets que la défenderesse assignait à l’administration centrale exigeaient aussi de suspendre les horaires comprimés. M. Bouchard a dit que les restrictions concernant l’horaire de travail étaient acceptables pour de courtes périodes et conformes aux activités habituelles, et il a déclaré que cela n’arrivait pas souvent. Il n’avait pas vu de griefs à ce sujet.

[61]  Lorsque M. Bouchard s’est vu présenter une série de documents qui donnaient des exemples précis de cas où des restrictions avaient été appliquées à l’horaire de travail dans certains secteurs, de 2013 à 2016, il a déclaré qu’il ne se souvenait pas d’avoir vu ces documents et n’avait aucun souvenir précis de telles situations.

[62]  M. Bouchard a pris connaissance de l’initiative de renouvellement des services en avril 2016, pendant une téléconférence avec l’équipe chargée du renouvellement des services à l’administration centrale. À ce moment‑là, il a dû signer un document l’engageant à ne pas divulguer les renseignements concernant le renouvellement des services, puisqu’il s’agissait d’une question visée par le secret du Cabinet. Le renouvellement des services lui a été présenté sous la forme d’un plan détaillé. M. Bouchard était tenu de mettre en œuvre [traduction] « leur plan » à l’intérieur de [traduction] « leur délai ». Selon lui, il aurait été démis de ses fonctions s’il n’avait pas appuyé le plan. Il n’a pu discuter du renouvellement des services avec ses supérieurs et les gestionnaires qu’à la fin d’octobre ou au début de novembre 2016, lorsqu’il a reçu l’autorisation de procéder. Il a créé une équipe (également tenue de garder le secret) pour voir aux détails de la mise en œuvre, notamment en ce qui concernait les variations de la charge de travail et les délais. Subséquemment, il a informé les représentants syndicaux locaux, après quoi les fonctionnaires ont reçu des renseignements généraux au sujet du renouvellement des services dans un courriel en date du 18 novembre, de plus amples renseignements ayant été communiqués sur le site intranet InfoZone du bureau (pièce R-1, onglets 5 et 22).

[63]  Le renouvellement des services au bureau fiscal de Sudbury visait principalement à réorienter son travail, en reconnaissance de la numérisation croissante des services, afin d’améliorer les services offerts à la population canadienne. Le renouvellement des services comprenait la consolidation du nombre de grands centres à l’échelle nationale, de neuf à quatre, le bureau fiscal de Sudbury recevant plus de nouveau travail que tout autre centre. Avant le renouvellement des services, ses effectifs comptaient entre 1 650 et 1 850 travailleurs. Avec le renouvellement, de nombreux fonctionnaires devaient être embauchés afin de porter le niveau des effectifs à environ 3 200 travailleurs en 2018, ce qui a entraîné de nouvelles exigences en matière de formation.

[64]  M. Bouchard a déclaré que pour accueillir les effectifs plus importants dans l’espace de travail existant, diverses mesures s’étaient avérées nécessaires, notamment la création d’un poste d’après‑midi, de 15 h 30 à 23 h 30, l’incitation au télétravail et la densification de l’espace de travail (un plus grand nombre de travailleurs par pied carré). Il fallait étendre la pratique de bureau partagé, même si la direction s’est efforcée de la limiter aux secteurs les plus touchés et aux périodes achalandées.

[65]  Au dire de M. Bouchard, les nouvelles mesures exigeaient de modifier les horaires de travail. Les fonctionnaires des postes de jour qui partageaient leur bureau devaient partir à 15 h, avant le début du poste d’après‑midi, à 15 h 30. Face aux nouvelles charges de travail qui étaient plus importantes, le risque de ne pas répondre aux besoins des clients était élevé. La direction devait exercer un plus grand contrôle sur les effectifs que dans le passé, surtout compte tenu du nombre de nouveaux fonctionnaires.

[66]  Il fallait aussi modifier le nombre maximal d’heures de travail en dehors des cas de bureau partagé. M. Bouchard a déclaré que la direction souhaitait maintenir certains horaires comprimés — [traduction] « dans les cas où il est possible de consentir, nous consentons » —, mais que des restrictions étaient nécessaires dans d’autres circonstances. Les cadres et les gestionnaires supérieurs ne pouvaient généralement pas avoir accès à l’horaire comprimé et devaient être présents cinq jours par semaine. Les chefs d’équipe occupant des postes classifiés aux groupes et niveaux MG‑1 et MG‑2 ne pouvaient pas travailler plus de huit heures par jour. En fait, la direction préférait une limite de sept heures et demie dans le cas des chefs d’équipe, mais pensait que la restriction à huit heures pouvait fonctionner.

[67]  M. Bouchard a déclaré qu’en mars 2017, il avait avisé la plaignante du réaménagement de l’horaire de travail, et que peu de temps après cela, les directeurs avaient informé leurs employés (pièce C‑ 2, onglet 6). Il a confirmé l’exactitude du procès‑verbal de la réunion du 28 mars du Comité de consultation (pièce C-2, onglet 2), en précisant qu’à ce moment‑là, les changements étaient des [traduction] « propositions ». Il a demandé une rétroaction au syndicat, qui a rétorqué que les restrictions n’étaient pas nécessaires et qu’elles auraient une incidence défavorable sur la vie des fonctionnaires. La rétroaction du syndicat n’a pas suffi pour convaincre M. Bouchard de changer de cap, parce que son équipe de direction n’était pas à l’aise face aux risques d’échec du renouvellement des services. La direction devait devenir plus conservatrice dans sa gestion des horaires comprimés.

[68]  M. Bouchard a déclaré qu’il n’aurait pas mis en œuvre le réaménagement de l’horaire de travail s’il n’y avait pas eu de renouvellement des services. Il a réitéré qu’en l’absence du renouvellement des services, ils [traduction] « n’auraient pas organisé quelque chose comme cela ». À l’époque où le renouvellement des services a été annoncé, en novembre 2016, il n’était pas en mesure de discuter de l’horaire de travail avec le syndicat, parce qu’il fallait plus de temps pour déterminer comment mettre en œuvre le renouvellement des services au bureau fiscal de Sudbury.

[69]  M. Bouchard a décrit le processus établi pour examiner les exemptions personnelles à la nouvelle politique mise en œuvre en juin 2017. Il a signalé qu’une équipe de la haute direction avait accordé quelques exemptions temporaires dans des circonstances exceptionnelles, afin de donner plus de temps aux fonctionnaires pour s’adapter au nouveau régime. La direction devait aussi respecter les cas où des fonctionnaires avaient des besoins nécessitant une adaptation.

[70]  En contre-interrogatoire, la représentante de la plaignante a passé en revue un vaste éventail de questions avec M. Bouchard. Ses réponses les plus marquantes, à mon avis, ont été les suivantes.

[71]  M. Bouchard a reconnu que dans le passé, les chefs d’équipe et les gestionnaires traitaient normalement les demandes d’horaires supercomprimés. Normalement, ces demandes ne venaient pas jusqu’à son niveau. Il a convenu que les demandes d’horaire comprimé régulier étaient approuvées, à moins qu’il n’y ait un motif de ne pas le faire, mais il ne pouvait pas dire si les demandes d’horaire supercomprimé étaient gérées de la même façon. Il a admis que l’engagement d’honneur visant à limiter les horaires supercomprimés, dont il avait parlé, n’était pas régulièrement appliqué.

[72]  Lorsque M. Bouchard a été prié de confirmer qu’il n’y avait eu aucune restriction concernant les horaires flexibles dans le passé, il n’était pas d’accord. Il a admis qu’un horaire de 9 h à 17 h avait été autorisé. Il a déclaré qu’il n’était au courant d’aucune politique ou directive concernant l’horaire de travail qui aurait guidé l’acceptation des demandes, à part la convention collective. Sans employer le terme « supercomprimé », les dispositions de la convention collective sur l’horaire de travail variable étaient les règles régissant les demandes d’horaire supercomprimé. M. Bouchard n’a pas admis que l’horaire de travail supercomprimé était une pratique de longue date, mais il a convenu qu’il [traduction] « en existait » au bureau. Il a déclaré que le travail selon un horaire supercomprimé pendant de nombreuses années ne constituait pas [traduction] « la norme ». Il ignorait combien de personnes avaient choisi un horaire supercomprimé avant juin 2017, et il n’était pas au courant de rapports faisant état de ces renseignements. Il a confirmé que lorsqu’il avait annoncé le réaménagement de l’horaire de travail à la réunion de mars 2017 du Comité de consultation, il ignorait si des données avaient été compilées afin de dépeindre le nombre de fonctionnaires qui seraient touchés.

[73]  M. Bouchard a déclaré que les horaires flexibles et les horaires comprimés réguliers étaient communs et le demeuraient.

[74]  À la question de savoir s’il avait envisagé de modifier la politique relative à l’horaire de travail avant le 16 novembre 2016, lorsqu’il a avisé M. Heywood du renouvellement des services, M. Bouchard a répondu par la négative. Il a reconnu que le réaménagement de l’horaire de travail mis en œuvre au bureau fiscal de Sudbury ne faisait pas partie du [traduction] « plan détaillé » de renouvellement des services transmis par l’administration centrale, mais il assumait que [traduction] « les gens le présumaient peut‑être ». Ni la copie originale ni la version mise à jour de l’avis présenté par le commissaire adjoint concernant le renouvellement des services (pièce R-1, onglet 5) ne faisaient mention du réaménagement de l’horaire de travail.

[75]  M. Bouchard a indiqué qu’il aurait été surpris que les consultations tenues au niveau national sur le renouvellement des services n’englobent pas la question de l’horaire de travail.

[76]  M. Bouchard a déclaré que lorsque les renseignements sur le renouvellement des services leur ont été présentés, il était évident pour les fonctionnaires et le syndicat qu’il y aurait des répercussions. Ce n’était un secret pour personne qu’il y aurait du travail par postes et des répercussions sur les horaires comprimés. La direction envisageait d’autres possibilités, mais était pressée de procéder rapidement.

[77]  M. Bouchard a consulté des conseillers en ressources humaines à maintes reprises au sujet de la conformité à l’art. 107 de la Loi, mais n’a participé à aucune tentative visant à obtenir le consentement du syndicat à la nouvelle politique sur l’horaire de travail.

[78]  Quant aux motifs invoqués pour réaménager l’horaire de travail lors de la réunion de mars 2017 du Comité de consultation (pièce C-2, onglet 5), M. Bouchard a déclaré qu’il avait déjà officieusement mentionné certains d’entre eux dans des conversations avec des représentants syndicaux locaux, mais qu’il n’y avait pas eu de consultations officielles sur cette question. À la question de savoir si l’approche de l’horaire de travail évoquée à la réunion avait été modifiée avant la mise en pratique, M. Bouchard a répondu que les mesures étaient [traduction] « ce qui devait arriver ». Il a déclaré que le réaménagement de l’horaire annoncé était [traduction] « déjà en place pour certaines personnes ».

[79]  M. Bouchard a précisé qu’il avait tenu des réunions avec ses subordonnés directs, ainsi qu’avec des conseillers en ressources humaines, afin d’examiner les commentaires du syndicat. En se fondant sur ces discussions, il avait eu le sentiment que ce ne serait pas une bonne chose de s’écarter du plan initial et qu’il ne devait rien changer à ce qui avait été proposé. L’augmentation des volumes de travail supposait une transformation complète de la culture organisationnelle et la nécessité de répondre aux besoins en profondeur.

[80]  En réponse à une dernière série de questions récapitulatives que lui a posées la représentante de la plaignante, M. Bouchard a déclaré ce qui suit :

  • 1) il se souvenait avoir reçu la décision de la Commission par l’intermédiaire de M. Heywood à la fin de l’été 2017, et de l’avoir communiquée aux Ressources humaines;

  • 2) l’examen du réaménagement de l’horaire de travail a débuté peu après novembre 2016;

  • 3) il existait des horaires supercomprimés avant le 31 octobre 2016, mais ils n’ont pas été autorisés après juin 2017;

  • 4) le [traduction] « cumul » de jours de congé comprimés les fins de semaine et pendant les vacances n’a pas été autorisé après juin 2017, sauf dans des circonstances tout à fait exceptionnelles;

  • 5) les horaires quotidiens flexibles autres que celui de 7 h à 15 h avaient été autorisés dans le passé, mais n’ont pas été largement encouragés après juin 2017 en vertu de la nouvelle politique, qui établissait un horaire ferme;

  • 6) les demandes de modification d’horaire étaient gérées par les chefs d’équipe ou les gestionnaires avant octobre 2016, mais n’ont plus été laissées à leur discrétion en vertu de la nouvelle politique.

[81]  Pendant son réinterrogatoire, M. Bouchard a confirmé que les fonctionnaires qui ne partageaient pas leur bureau et souhaitaient travailler sept heures et demie par jour auraient pu avoir la possibilité de travailler ces heures entre 8 h et 16 h ou entre 9 h et 17 h. Il ne souhaitait pas que ces horaires soient répandus, mais ils étaient possibles pour [traduction] « quelques personnes ici et là ».

V.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour la plaignante

[82]  Compte tenu des aveux de la défenderesse, la plaignante a soutenu que très peu de faits étaient en litige.

[83]  Le 31 octobre 2016, un avis de négocier a été signifié. La défenderesse a reconnu que le 28 mars 2017, elle a officiellement avisé la plaignante qu’elle modifiait les conditions d’emploi en remaniant sa politique sur les horaires de travail variables et flexibles, avec entrée en vigueur le 19 juin 2017.

[84]  M. Bouchard a déclaré qu’en ce qui concerne la période qui avait précédé la signification de l’avis de négocier, la défenderesse avait suspendu certains horaires de travail en réponse aux lourdes charges de travail. Il a précisé que les changements étaient en vigueur pour des périodes limitées et touchaient certaines unités, mais qu’ils [traduction] « n’étaient pas fréquents ». Il a aussi précisé que l’horaire de travail était parfois modifié lorsque l’administration centrale assignait certains petits projets.

[85]  Selon l’argumentation de la plaignante, la pratique de la défenderesse qui a été gelée lorsqu’elle a signifié l’avis de négocier est celle concernant la tendance de la défenderesse de suspendre certains horaires de travail variables et flexibles dans certains secteurs discrets pour des périodes limitées. La plaignante a convenu que la défenderesse pouvait instaurer des restrictions à l’horaire de travail conformément à cette tendance préétablie.

[86]  À partir du 19 juin 2017, tous les fonctionnaires ont été assujettis à une nouvelle politique, qui encadrait les heures de travail. Les fonctionnaires qui [traduction] « partageaient leur bureau », ainsi que d’autres qui ne le partageaient pas, ont subi la perte effective de l’horaire supercomprimé et de certains autres horaires comprimés. Les chefs d’équipe qui occupaient des postes classifiés aux groupes et niveaux MG-1 et MG-2 ont perdu le droit de travailler selon un horaire comprimé comprenant plus de huit heures par jour. À quelques exceptions près, les fonctionnaires qui travaillaient le quart de jour ont perdu l’accès aux horaires flexibles en dehors de la période de 7 h à 15 h.

[87]  Le réaménagement général mis en œuvre le 19 juin 2017 constituait une dérogation complète aux pratiques habituelles avant le 31 octobre 2016.

[88]  Pour interpréter l’art. 107 de la Loi, la Commission doit adopter une interprétation téléologique qui reconnait que le gel prévu par la loi s’applique au‑delà de ce qui est expressément énoncé dans la convention collective. L’interprétation téléologique visée a été adoptée par la Commission dans diverses décisions. Voir, par exemple, Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 46 (« ASFC »); ARC; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 11 (« Service correctionnel »).

[89]  Une violation de l’art. 107 de la Loi est une infraction « de responsabilité absolue ». Elle ne repose pas sur l’intention de la défenderesse. Il n’importe pas non plus que la défenderesse ait voulu bien faire; voir Ontario Nurses’ Association v. Oakville Lifecare Centre, [1993] OLRB Rep 980 (« ONA »). Tout comme dans Service correctionnel, où la Commission a adopté une approche de responsabilité absolue, la défenderesse n’était pas tenue non plus de démontrer que les changements qu’elle avait mis en œuvre portaient atteinte à la négociation collective.

[90]  Un gel prévu par la loi n’est pas statique. La jurisprudence reconnaît que l’employeur est en droit de mettre des changements en œuvre selon un modèle établi; voir ASFC, au paragraphe 167, et ARC, au paragraphe 71. Dans les circonstances en l’espèce, la défenderesse a agi à l’encontre des [traduction] « pratiques normales » en adoptant une politique différente du modèle de la tendance visant des changements restreints à l’horaire de travail dans des secteurs précis, qui prévalait avant la signification de l’avis de négocier.

[91]  En plus de représenter une violation de l’art. 107 de la Loi dans le cadre du modèle établi selon les [traduction] « pratiques normales », les gestes de la défenderesse peuvent aussi s’interpréter comme une violation en vertu du « critère des attentes raisonnables » qui est attesté dans la jurisprudence. Au titre de ce critère, la question à poser est celle de savoir si les changements mis en œuvre par un employeur durant une période de gel prévu par la loi étaient, ou auraient raisonnablement pu être, attendus des fonctionnaires avant la signification de l’avis de négocier.

[92]  Le critère relatif aux pratiques normales n’exclut pas celui des attentes raisonnables, pas plus qu’il n’est en rupture par rapport à lui. Voir, par exemple, Association canadienne des employés professionnels c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (Services publics et Approvisionnements Canada), 2016 CRTEFP 68 (« ACEP »), et Service correctionnel, au paragraphe 63, qui adoptent ACEP. Dans les cas où aucune tendance de pratiques normales n’est établie, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’une [traduction] « première fois », le critère des attentes raisonnables est utile.

[93]  La preuve a clairement démontré la pratique de la défenderesse en matière d’horaire de travail au cours de la période qui a précédé la signification de l’avis de négocier par la plaignante, notamment le modèle consistant à modifier cette pratique dans des circonstances limitées. Il est aussi ressorti de la preuve de manière indiscutable que la défenderesse a modifié sa politique relative à l’horaire de travail durant la période de gel, sans le consentement de la plaignante.

[94]  Par conséquent, la plaignante penche en faveur de l’approche axée sur les pratiques normales. Néanmoins, la preuve satisfait à la fois au critère des pratiques normales et à celui des attentes raisonnables. En ce qui a trait à ce dernier critère, les fonctionnaires s’attendaient raisonnablement à ce que les horaires variables et flexibles en place avant la signification de l’avis de négocier soient maintenus durant la période de gel, sous réserve du modèle préétabli prévoyant des changements limités.

[95]  Le témoignage de M. Heywood a établi que le syndicat n’avait pas été consulté au sujet du réaménagement. En novembre 2016, lorsqu’il a été avisé de la prochaine initiative de renouvellement des services, la défenderesse n’a pas abordé la question de l’horaire de travail. Lors de la réunion du Comité de consultation syndicale‑patronale, le 28 mars 2017, lorsque la défenderesse a annoncé le réaménagement de l’horaire de travail, le syndicat a été prié de présenter une rétroaction. Il l’a fait, en s’opposant aux justifications que la défenderesse a données à l’appui du réaménagement. M. Heywood a indiqué que la défenderesse avait déjà soulevé certains de ces motifs officieusement, mais que le syndicat ignorait qu’il s’agissait de [traduction] « questions sérieuses ». Le témoignage de M. Bouchard a confirmé ce point.

[96]  Les membres du syndicat ont réagi aux changements avec confusion, colère et stupéfaction, en ayant le sentiment d’avoir perdu le contrôle de leur vie, selon M. Heywood. Certains ont déposé un grief; d’autres ont été dissuadés de porter un grief par crainte des répercussions. En tout, environ le quart de l’effectif du bureau fiscal de Sudbury a été touché par les changements. M. Heywood a rappelé qu’avant juin 2017, il y avait eu très peu de plaintes portant sur des refus relatifs à l’horaire de travail. Lorsque des problèmes étaient soulevés, ils étaient habituellement réglés au cas par cas.

[97]  En ce qui concerne M. Heywood, il a travaillé selon un horaire supercomprimé pendant huit années sur dix avant la modification de la politique par la défenderesse. Les demandes qu’il présentait aux chefs d’équipe pour travailler selon cet horaire n’exigeaient aucun renseignement supplémentaire, parce qu’elles étaient assimilées à une pratique normale. M. Heywood n’a pas partagé son bureau, sauf pendant une période de deux semaines, et n’a jamais travaillé de nuit. Rien ne l’a jamais empêché d’être au travail après 16 h.

[98]  Le témoignage de Mme Marcotte a confirmé que la défenderesse n’avait pas officiellement soulevé de motifs pour réaménager l’horaire avant mars 2017; elle n’avait pas non plus présenté de données sur la productivité ou d’autres questions liées à l’horaire de travail. Mme Marcotte a dit du réaménagement qu’il avait porté un [traduction] « dur coup au moral ». Elle a précisé qu’après sa mise en œuvre, elle avait aidé des membres à demander une exception devant un comité de la haute direction. Comme l’a confirmé M. Bouchard, le comité a accordé des exemptions pour des motifs liés à l’adaptation aux circonstances médicales ou familiales. Ce nouveau processus s’écartait clairement de la pratique antérieure. Auparavant, les fonctionnaires pouvaient obtenir des exemptions ou des mesures d’adaptation au niveau du chef d’équipe. Anciennement, Mme Marcotte avait approuvé de telles demandes en qualité de chef d’équipe et le faisait en l’absence de directive ou de politique officielle. Après juin 2017, des horaires ont été imposés, et les fonctionnaires qui demandaient une exemption ou une mesure d’adaptation devaient démontrer leur besoin au comité de la haute direction. Selon les observations de la plaignante, les changements apportés au processus pour obtenir la mise en œuvre d’une exemption de la part de la défenderesse constituaient aussi une rupture par rapport à l’ancien modèle, en violation du gel prévu par la loi.

[99]  Mme Marcotte a décrit son expérience de travail selon un horaire flexible pendant 14 ans. Ses demandes d’horaire flexible ont toujours été approuvées sans avoir à fournir des renseignements supplémentaires. Lorsque des problèmes se posaient, les chefs d’équipe les réglaient. Après juin 2017, Mme Marcotte a perdu l’accès à son régime de travail de longue date, de 9 h à 17 h, même si elle n’a jamais partagé son bureau. Selon elle, elle n’a [traduction] « pas eu le choix ».

[100]  Selon le témoignage de M. O’Brien, le syndicat avait été avisé pour la forme, et non consulté, au sujet du réaménagement des horaires de travail au bureau fiscal de Sudbury. Le syndicat n’avait pas anticipé ce changement à l’horaire de travail en raison des consultations sur l’initiative de renouvellement des services. M. O’Brien a confirmé qu’aucun autre centre d’appels ou centre fiscal n’avait exigé de réaménager l’horaire de travail dans le cadre du renouvellement des services.

[101]  La plaignante a maintenu que le renouvellement des services n’avait jamais été associé à un réaménagement de l’horaire de travail. Cela ne faisait pas partie du [traduction] « plan détaillé » élaboré au niveau national, qu’a évoqué M. Bouchard; rien ne permet non plus d’établir un lien avec les problèmes de productivité ou les raisons pour lesquelles ces problèmes exigeaient un réaménagement.

[102]  Sous l’angle de la jurisprudence, la plaignante a évoqué la similitude [traduction] « irréelle » entre ce qui est arrivé au bureau fiscal de Sudbury et les circonstances examinées dans ARC, où, durant la période de gel, l’employeur avait exigé que les fonctionnaires commencent à travailler à 8 h plutôt qu’à 7 h. Dans cette affaire, tant les horaires variables que les horaires flexibles avaient été touchés par un changement dont la Commission avait conclu qu’il s’agissait d’une violation de l’art. 107 de la Loi.

[103]  Dans ASFC, l’employeur a mis en œuvre une nouvelle politique en matière d’enquête sur les normes professionnelles durant la période de gel. Après avoir adopté le critère des pratiques normales, la Commission a conclu que la nouvelle politique entraînait la violation de l’art. 107 de la Loi (voir, notamment, les paragraphes 78 à 80).

[104]  Dans ACEP, la Commission a rejeté l’argument selon lequel l’employeur était en droit de réaménager l’horaire de travail durant la période de gel sous le régime de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11), aux articles 7 à 12.

[105]   Dans Service correctionnel, l’employeur a réduit les heures de travail des employés nommés pour une période déterminée dans sa région du Pacifique, de 37,5 à 30 heures, ou de 40 à 32 heures, durant la période de gel, ce qui constituait un pouvoir de l’employeur en dehors de la période de gel, mais qu’il n’avait pas exercé. Dans cette optique, les fonctionnaires s’attendaient raisonnablement à ce que l’employeur ne réaménage pas leur horaire après la signification d’un avis de négocier. En déclarant qu’il y avait eu violation de l’art. 107 de la Loi, la Commission n’a relevé aucun élément de preuve indiquant que le syndicat avait consenti au réaménagement ou que ce réaménagement était justifié selon l’approche axée sur les pratiques normales ou celle axée sur les attentes raisonnables.

[106]  Dans Association des pilotes fédéraux du Canada c. Conseil du Trésor, 2006 CRTFP 86 (« APFC »), la Commission a corroboré la violation des dispositions sur le gel statutaire, en fonction de la preuve démontrant que l’employeur avait imposé des modifications quotidiennes de l’horaire de travail normal à deux fonctionnaires durant la période de gel.

[107]  Dans ONA, la Commission des relations de travail de l’Ontario a conclu que la pratique antérieure de l’employeur avait donné lieu à l’attente raisonnable qu’il ne modifierait pas les ententes de travail partagé et de travail par postes. Le fait que l’employeur les ait modifiées durant le gel prévu par la loi constituait une violation de la loi (ONA est un exemple de première instance).

[108]  En anticipant l’argumentation de la défenderesse, la plaignante a maintenu que Walmart était distincte. Dans sa décision, la Cour suprême du Canada a interprété l’art. 59 du Code du travail du Québec (RLRQ, ch. C-27). Cette affaire concernait une situation factuelle différente, qui portait sur la négociation d’une première convention collective (voir le paragraphe 35). Dans sa conclusion, la Cour n’a fait renvoi, par exemple, ni à la jurisprudence de l’Ontario ni à celle du Conseil canadien des relations industrielles qui a guidé l’approche de la Commission pour interpréter l’art. 107 de la Loi.

[109]  En guise de redressement, la plaignante a demandé à la Commission de déclarer qu’il y avait eu violation de l’art. 107 de la Loi, d’ordonner à la défenderesse d’annuler le réaménagement de l’horaire de travail qui a été mis en œuvre le 19 juin 2017, de permettre aux fonctionnaires de retourner à l’ancienne pratique en matière d’horaire de travail, et d’exiger que la défenderesse affiche la décision de la Commission dans tous les lieux de travail importants partout au pays. La plaignante a prié la Commission de demeurer saisie de l’affaire aux fins de la mise en œuvre.

[110]   En invoquant la violation antérieure de l’art. 107 de la Loi par la défenderesse dans ARC, la plaignante a soutenu qu’un redressement supplémentaire plus rigoureux était requis. À cette fin, elle a pressé la Commission d’envisager une autre ordonnance à l’intention de la défenderesse, afin que celle‑ci rembourse les pertes financières qu’ont subies les fonctionnaires (garde d’enfants, transport et autres frais) par suite du réaménagement de leurs horaires de travail.

B.  Pour la défenderesse

[111]  Les modifications apportées à la politique sur l’horaire de travail que la défenderesse a mises en œuvre le 19 juin 2017 faisaient partie intégrante de l’initiative de renouvellement des services qui était enclenchée avant que la plaignante n’ait signifié un avis de négocier, et elles étaient compatibles avec la pratique normale de la défenderesse dans le passé. Sur ce fondement, la défenderesse a soutenu qu’il n’y avait pas eu violation de l’art. 107 de la Loi.

[112]  La défenderesse a adopté l’approche axée sur les pratiques normales qui a été confirmée dans Walmart. Elle a accepté que les faits particuliers qui ont été soumis à un examen dans Walmart diffèrent de ceux liés à la plainte dont la Commission est saisie, mais a soutenu que la situation sous‑jacente mettant en cause un gel statutaire était similaire. À ce titre, Walmart expose le droit contraignant qui entoure le critère des pratiques normales, que la Commission doit appliquer.

[113]  Les paragraphes 55 et 56 de Walmart énoncent le critère des habitudes en ces termes :

[55] Quelle que soit la source des éléments de preuve qu’il considérera, l’arbitre dispose de deux moyens pour se prononcer sur la conformité entre un changement donné et les pratiques habituelles de gestion de l’employeur. Dans un premier temps, pour que la décision de l’employeur ne soit pas assimilée à une modification des conditions de travail au sens de l’art. 59 du Code, l’arbitre devra être convaincu qu’elle a été prise en conformité avec ses pratiques antérieures de gestion. Pour reprendre l’expression du juge Auclair, il devra être en mesure de conclure que la décision patronale a été prise « selon les paramètres qu’il s’est lui-même imposés avant la venue du syndicat chez lui » : Pakenham, p. 202. (Voir aussi Woolco (No. 6291), p. 7-8; Gravel & Fils Inc., p. 90; Plastalène Corp.; Union des routiers, brasseries, liqueurs douces & ouvriers de diverses industries, p. 6-7; Société des casinos du Québec inc., p. 16-19; Association des juristes de l’État c. Commission des valeurs mobilières du Québec, par. 75.)

[56] Dans un deuxième temps, la jurisprudence reconnaît que l’entreprise doit rester en mesure de s’adapter au contexte variable de l’environnement commercial dans lequel elle évolue. Par exemple, dans certains scénarios où il est difficile ou impossible de déterminer si une pratique de gestion donnée existait avant le dépôt de la requête en accréditation, la jurisprudence pertinente admet qu’il est possible de considérer qu’une décision « raisonnable », de « saine gestion », conforme à ce qu’aurait fait un « employeur raisonnable placé dans la même situation », relève des pratiques habituelles de gestion (Gagnon et autres, p. 600; Burkett et autres, p. 171; Plastalène Corp.; Syndicat des employés de Télémarketing Unimédia (CSN); Association des juristes de l’État c. Commission des valeurs mobilières du Québec; Société du centre Pierre-Péladeau c. Alliance internationale des employés de scène et de théâtre, du cinéma, métiers connexes et des artistes des États-Unis et du Canada (I.A.T.S.E.), section locale 56, 2006 CanLII 32333 (T.A.); Travailleurs et travailleuses de l’alimentation et du commerce, section locale 501).

[114]  Les approches axées respectivement sur les pratiques habituelles et sur les attentes raisonnables sont distinctes. Il n’est pas nécessaire de démontrer le critère des attentes raisonnables pour satisfaire au critère des pratiques habituelles. Assurément, le critère des attentes raisonnables ne s’applique pas à la plainte qui nous occupe.

[115]  Dans Labour and Employment Law in the Federal Public Service, à la page 240, C. Rootham met en lumière les difficultés liées à la conciliation du critère des [traduction] « pratiques habituelles » et du critère des attentes raisonnables.

[116]  Dans diverses décisions qu’ils ont rendues, la Commission et ses prédécesseurs ont combiné le critère des pratiques habituelles  et celui des attentes raisonnables; voir, par exemple, Association professionnelle des Agents du Service extérieur c. Canada (Conseil du Trésor), 2003 CRTFP 4, aux paragraphes 124 et 127 (« APASE »); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 107, aux paragraphes 47 et 48 (« AFPC »).

[117]  Dans Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 26, au paragraphe 63 (« Chefs d’équipe »), il n’était pas nécessaire de satisfaire le critère des attentes raisonnables. Dans AFPC, au paragraphe 355, la Commission a établi une distinction appropriée entre les deux approches.

[118]  Par conséquent, il n’y a pas d’homogénéité en matière de décision dans l’ensemble de la jurisprudence de la Commission quant à la question de savoir si les approches axées sur les pratiques habituelles et sur les attentes raisonnables peuvent être utilisées toutes les deux dans une analyse, ou si elles doivent être jugées de manière distincte. Selon la défenderesse, qui se fonde sur Walmart, il n’y a aucun doute que la Commission doit clarifier son approche et ne pas combiner les deux critères. En réponse à ma question, la défenderesse a confirmé qu’elle faisait valoir que la Commission devait réorienter sa jurisprudence concernant l’art. 107 de la Loi, de façon à appliquer uniformément le critère des pratiques habituelles, comme il est expliqué dans Walmart.

[119]  L’administration centrale de l’employeur, qui avait élaboré l’initiative de renouvellement des services, en a d’abord informé M. Bouchard, en avril 2016. Il était chargé de sa mise en œuvre au bureau fiscal de Sudbury seulement. Il faisait face à des circonstances exceptionnelles, dans la mesure où il n’était pas autorisé à en parler à qui que ce soit, même pas à son personnel de direction. Ce n’est qu’à la fin d’octobre 2016 que M. Bouchard a été autorisé à en discuter avec ses cadres, et seulement à la fin de novembre qu’il a pu en informer le syndicat.

[120]   La défenderesse a reconnu qu’elle avait avisé le syndicat et les fonctionnaires de l’initiative de renouvellement des services et du fait qu’il y aurait un réaménagement de l’horaire de travail après la signification de l’avis de négocier.

[121]  La seule question que la Commission doit trancher est celle de savoir si la politique mise en œuvre le 19 juin 2017, durant la période de gel, débordait le cadre des pratiques habituelles de la défenderesse, qui est apprécié en vertu du critère énoncé dans Walmart.

[122]  Walmart énonce clairement les éléments que la défenderesse doit démontrer pour présenter une défense contre la plainte : (1) la décision de réaménager l’horaire de travail était compatible avec les pratiques habituelles, ou bien la défenderesse aurait entrepris le même réaménagement si aucun avis de négocier n’avait été signifié; (2) l’engrenage du réaménagement était enclenché avant la signification de l’avis de négocier.

[123]  Comme l’a évoqué M. Bouchard, l’initiative de renouvellement des services avait une portée très large. Elle a grandement augmenté la charge de travail au bureau fiscal de Sudbury, ce qui a exigé l’embauche de nouveaux employés et la modification du déroulement du travail, entre autres changements. Aborder la question des heures de travail maximales n’était que l’un des éléments nécessaires de la mise en œuvre et faisait partie intégrante de l’initiative.

[124]  M. Bouchard a déclaré qu’avec le renouvellement des services, il ne pouvait pas envisager de continuer comme auparavant. Dans le cadre de l’initiative, le bureau n’était plus le même et ne pouvait plus le demeurer. Par exemple, M. Bouchard n’a pas pu maintenir l’engagement d’honneur antérieur, ce qui a entraîné des approches incompatibles lorsqu’il s’agissait d’autoriser des horaires supercomprimés. M. Bouchard a plutôt dû éliminer l’incertitude et le risque. L’approche des heures de travail était un élément qui relevait de son contrôle, et l’une des stratégies nécessaires pour assurer la réussite du renouvellement des services. Même s’il ne s’agissait peut‑être pas de la meilleure ni de la seule option, c’était une option raisonnable.

[125]  On peut distinguer la décision que la Commission a rendue dans APFC, parce qu’elle est antérieure à Walmart et met en cause une tentative d’influencer la négociation collective, ce qui n’est pas en litige dans la présente affaire.

[126]  La décision rendue dans ONA est surannée, mais elle semble indiquer, aux paragraphes 29 à 32, que les approches axées sur les pratiques habituelles et sur les attentes raisonnables sont distinctes; c’est‑à‑dire, pour reprendre l’expression usuelle, que [traduction] « l’une peut aller sans l’autre ».

[127]  La décision rendue dans ARC comprend un mélange des deux approches, puisque la défenderesse avait demandé à la Commission d’adopter une perspective différente.

[128]  ASFC est également antérieure à Walmart. Aux paragraphes 194 à 199, la Commission évalue si l’approche axée sur les attentes raisonnables s’applique, et décide que non.

[129]  En ce qui concerne le redressement, la défenderesse s’est opposée à la position de la plaignante, [traduction] « ajoutée à la toute fin », selon laquelle la Commission devrait ordonner le dédommagement des pertes subies par les fonctionnaires dont l’horaire de travail a été modifié. Comme la défenderesse ne savait pas au préalable que des pertes poseraient un problème qui exigerait un redressement, elle n’a pas passé en revue les éléments de preuve concernant les frais allégués découlant du réaménagement de l’horaire de travail et, par conséquent, elle a subi un préjudice par suite de la demande de redressement tardive de la plaignante.

[130]  La formation de la Commission qui examine les griefs déposés par les fonctionnaires abordera peut‑être mieux la question des pertes.

C.  Réponse de la plaignante

[131]  Il existe de bonnes raisons pour lesquelles la Commission n’a pas analysé Walmart dans sa jurisprudence récente — les faits sous‑jacents à cette décision sont tout simplement très différents, à vrai dire, uniques. Honnêtement, il est difficile de cerner comment s’applique le critère des pratiques habituelles, ou celui des attentes raisonnables. Cela étant, au paragraphe 60 Walmart cite Spar Aerospace Products Ltd. c. Spar Professional and Allied Technical Employees Association, [1979] 1 C.L.R.B.R. 61 (« Spar Aerospace »), une décision source qui est sous‑jacente à la jurisprudence traitant du gel prévu par la loi. Dans cette affaire, qui est résumée dans Walmart, il est posé en principe que l’employeur « […] ne perd pas son droit de gestion […] » avec l’arrivée d’un syndicat, mais doit « […] désormais l’exercer comme il le faisait ou l’aurait fait avant cet événement […] ». La jurisprudence de la Commission est uniforme quant à cette approche.

[132]  ONA fournit des orientations utiles sur les circonstances dans lesquelles on peut utiliser le critère des pratiques habituelles et celui des attentes raisonnables. Dans ses décisions, la Commission a toujours conclu que les deux approches ne s’excluent pas mutuellement; c’est‑à‑dire qu’il y a toujours un « ou » dans les affaires en question.

[133]  Les faits liés à la plainte établissent clairement que le modèle ancré dans les pratiques habituelles était en place avant que la plaignante ne signifie son avis de négocier, le 31 octobre 2016. La défenderesse n’a pas contesté ces faits, mais a fait valoir, comme si le critère s’appliquait aux mesures qu’elle avait prises au bureau fiscal de Sudbury durant le gel statutaire, que la question devrait être la suivante : « Qu’aurait fait un employeur raisonnable dans les circonstances? »

[134]  Le deuxième volet de Walmart, comme l’a intitulé la défenderesse, présente la question de savoir si l’engrenage du réaménagement de l’horaire de travail était enclenché avant que la plaignante ne signifie un avis de négocier. Cependant, le témoignage de M. Bouchard démontre qu’à la date où l’avis de négocier a été signifié, la défenderesse ignorait comment le renouvellement des services serait entrepris. Ce n’est qu’après que M. Bouchard a avisé son équipe de direction du renouvellement des services, à la fin d’octobre ou au début de novembre 2016, que son équipe a commencé à planifier des approches pour mettre le renouvellement en œuvre. Subséquemment, le renouvellement comprenait des options, notamment celle de réaménager l’horaire de travail. Selon la preuve présentée par M. Bouchard, le réaménagement de l’horaire de travail n’était pas amorcé lorsque l’avis de négocier a été signifié.

[135]  La plaignante a reconnu qu’il s’agit d’une affaire strictement liée aux pratiques habituelles. La Commission n’est pas tenue de tirer une conclusion fondée sur le critère des attentes raisonnables, mais les attentes raisonnables des membres du syndicat au bureau fiscal de Sudbury – selon lesquelles l’horaire de travail ne serait pas réaménagé comme il l’a été le 19 juin 2017 – font partie de l’approche axée sur les pratiques habituelles qui est démontrée par la preuve.

VI.  Motifs

[136]  La présente plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)c) de la Loi. Elle alléguait une violation de la disposition sur le gel prévu par la loi énoncée à l’art. 107. Une telle disposition est commune dans l’ensemble des lois fédérales et provinciales. Elle remplit une fonction vitale dans les régimes de négociation collective qui sont au cœur de ces lois, tel qu’il est souvent examiné dans les décisions de la Commission. (Parmi les nombreuses discussions sur l’objet de la disposition sur le gel prévu par la loi énoncée à l’art. 107, dans la jurisprudence présentée par les parties, voir, plus particulièrement, les propos du juge LeDain dans Canada (Conseil du Trésor) c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1982] 2 C.F. 80 (C.A.), cité dans APFC et ARC, ainsi que dans d’autres affaires.)

[137]  Dans les affaires visées par l’art. 107, la Commission procède souvent à ce qui est en réalité une analyse en deux étapes. En premier lieu, la Commission vérifie si un plaignant s’est acquitté du principal fardeau de présentation lui incombant, soit d’établir qu’un avis de négocier a été signifié, qu’un employeur a subséquemment modifié une condition d’emploi qui pouvait faire partie d’une convention collective et qui était en vigueur à la date de la signification d’un avis de négocier, et que le plaignant n’y consentait pas. À la deuxième étape, la Commission examine la défense présentée par l’employeur selon laquelle, bien qu’une condition d’emploi ait été modifiée au sens de l’art. 107, ses actes n’ont donné lieu à aucune violation dudit article, le plus souvent parce que l’employeur maintenait ses pratiques habituelles. Dans certains cas, la Commission assimile les pratiques habituelles à une approche qui autorise un plaignant à s’acquitter du fardeau de la preuve en démontrant qu’une condition d’emploi était en place avant la signification d’un avis de négocier, mais que l’employeur l’a modifiée subséquemment, en violation de l’art. 107.

[138]  La plainte dont la Commission est saisie en l’espèce requiert une analyse en deux étapes. En ce sens, elle n’est pas exceptionnelle. Cependant, la défenderesse a invoqué un nouvel argument pour contester les fondements de la jurisprudence de la Commission. En effet, la défenderesse a soutenu que ma décision devait réorienter la jurisprudence de la Commission, de façon à assurer l’application uniforme de l’approche relative à l’interprétation d’une disposition sur le gel prévu par la loi que la Cour suprême du Canada a exposée dans Walmart. Elle a maintenu que, dans les circonstances en l’espèce, cette interprétation mène à la conclusion qu’elle a appliqué les pratiques habituelles de gestion, telles qu’elles sont décrites dans Walmart, lorsqu’elle a réaménagé l’horaire de travail le 19 juin 2017, et que, par conséquent, elle n’a pas enfreint l’art. 107 de la Loi.

[139]  Pour sa part, la plaignante a soutenu que les faits propres à Walmart distinguent la décision de la Cour suprême du Canada — principalement, cette décision visait l’application d’un gel prévu par la loi sous le régime du droit québécois durant une période où un agent négociateur nouvellement accrédité tentait de négocier une première convention collective. La plaignante a aussi maintenu que la décision ne faisait pas renvoi à une jurisprudence influente provenant de l’extérieur du Québec qui aurait joué un rôle important dans la décision de la Commission. (En contre‑preuve, la plaignante a admis que la Cour suprême du Canada avait cité Spar Aerospace.)

[140]  Assurément, les faits de Walmart diffèrent de ceux de la plainte dont je suis saisi. L’employeur en question dans un magasin Walmart à Jonquière, au Québec, a pris la décision de fermer le magasin et de résilier les contrats de travail de tous les employés durant la période de gel prévu par la loi, alors que l’agent négociateur nouvellement accrédité tentait de négocier une première convention collective. Comme la Cour suprême du Canada l’a résumé au paragraphe 23, elle a été appelée à décider si la disposition prévoyant le gel prévu par la loi en droit québécois, qui s’applique dans le cas d’un premier contrat, « […] peut être invoquée pour contester la résiliation de l’ensemble des contrats de travail des employés d’un établissement ».

[141]  Les négociations menées dans les circonstances d’une nouvelle accréditation et d’une première convention collective diffèrent parfois substantiellement de celles qui visent le renouvellement d’une convention dans le cadre d’une relation de négociation parvenue à maturité. Cependant, je ne suis pas convaincu que cette seule possibilité, ou le fait que Walmart ait été tranchée en grande partie dans le cadre du droit québécois, signifie nécessairement que Walmart ne peut pas fournir de directives dans les affaires dont la Commission est saisie.

[142]  Aux fins de la présente analyse, j’examinerai où mène Walmart compte tenu du bien‑fondé de la plainte en cause. Autrement dit, j’évaluerai si, selon la théorie de la défenderesse, il existe un motif de conclure qu’une défense fondée sur les pratiques habituelles peut être efficace dans les circonstances en l’espèce. Ceci étant, je dois souligner que je n’endosse pas nécessairement la proposition selon laquelle la Commission a en quelque sorte erré en refusant d’appliquer Walmart de la façon que la défenderesse l’a demandé. J’adopterai plutôt l’approche suivante : si la défenderesse ne peut pas se défendre de manière convaincante en se fondant sur ce qui est exigé dans Walmart, la défense fondée sur les pratiques habituelles ne sera fort probablement pas garante de succès en l’espèce, si elle est présentée plutôt selon les grandes lignes maintenues dans les décisions de la Commission.

[143]  Au paragraphe 39, Walmart énonce comme suit les éléments qu’un syndicat doit démontrer, afin de s’acquitter du fardeau d’établir qu’un employeur a apporté une modification unilatérale aux conditions d’emploi durant une période de gel prévu par la loi :

[39] […] (1) qu’une condition de travail existait au jour du dépôt de la requête en accréditation ou de l’expiration d’une convention collective antérieure; (2) que cette condition a été modifiée sans son consentement; (3) que cette modification est survenue entre le début de la période prohibée et, selon le cas, le premier jour d’exercice du droit de grève ou de lock-out, ou encore le jour où a été rendue une sentence arbitrale […]

[144]  La preuve qui illustrait le régime d’heures de travail au bureau fiscal de Sudbury au moment où la plaignante a signifié un avis de négocier, le 31 octobre 2016, est très claire et essentiellement non contestée. En me fondant sur les témoignages de M. Heywood et de Mme Marcotte, ainsi que sur la preuve présentée par M. Bouchard, je tire les principales conclusions de fait suivantes :

  • 1) certains ou bon nombre de fonctionnaires pouvaient travailler selon divers horaires de travail variables, autorisés par la convention collective, en fonction desquels leurs heures de travail étaient comprimées, voire supercomprimées, ce qui rendait possible la semaine de travail de quatre jours;

  • 2) certains ou bon nombre de fonctionnaires avaient accès à un horaire quotidien flexible, entre 7 h et 17 h;

  • 3) les demandes d’horaires de travail comprimés ou d’horaires quotidiens flexibles présentées par les fonctionnaires faisaient normalement l’objet d’une décision au niveau des chefs d’équipe ou des gestionnaires subalternes;

  • 4) ces demandes étaient généralement accordées à moins qu’il n’y ait un motif de les refuser, et normalement, elles ne nécessitaient pas une justification détaillée;

  • 5) durant les périodes de travail achalandées, ou dans les cas de projets spéciaux, la défenderesse imposait temporairement des limites aux horaires de travail variables ou flexibles;

  • 6) les limites imposées réduisaient le nombre maximal d’heures quotidiennes autorisées (afin de prévenir, par exemple, les horaires supercomprimés), restreignaient les périodes durant lesquelles les horaires quotidiens flexibles étaient possibles, et exigeait la pratique de bureau partagé afin d’accueillir des postes de jour et des postes de soir.

[145]  Les faits susmentionnés satisfont au fardeau de la preuve dont doit s’acquitter la plaignante, que la Cour suprême du Canada a établi au point (1) du paragraphe 39 de Walmart.

[146]  La défenderesse n’a pas contesté qu’elle avait modifié sa politique relative à l’horaire de travail après que la plaignante eut signifié un avis de négocier, le 31 octobre 2016, lorsqu’elle a mis en œuvre une nouvelle politique à compter du 19 juin 2017. Essentiellement, la preuve a établi que, comme elle l’a admis, la défenderesse a modifié les conditions d’emploi en appliquant des restrictions qui avaient été temporaires et de portée limitée auparavant, et qui sont devenues des contraintes permanentes appliquées dans l’ensemble de l’organisation. La défenderesse a réduit le nombre maximal d’heures quotidiennes, limité l’éventail des horaires comprimés acceptables, et éliminé entièrement les horaires supercomprimés. Elle a restreint les horaires flexibles quotidiens. Elle a établi une distinction entre les employés réguliers et les chefs d’équipe comme jamais auparavant. La preuve a aussi établi que le processus suivi pour accorder les demandes d’horaire comprimé et d’heures de travail avait changé, puisque les chefs d’équipe et les gestionnaires subalternes avaient perdu le pouvoir dont ils jouissaient auparavant. La défenderesse a pris toutes ces mesures sans le consentement de la plaignante. À mon avis, les points (2) et (3) du paragraphe 39 de Walmart sont amplement satisfaits.

[147]  Comment, selon Walmart, doit‑on effectuer l’analyse qui permettra de décider si la modification des conditions d’emploi était autorisée durant une période de gel prévu par la loi?

[148]  Au paragraphe 46, Walmart indique ce qui suit :

[46] Pour prouver que la modification apportée par l’employeur constitue une « modification des conditions de travail » au sens de l’art. 59, le syndicat ne peut pas se contenter de démontrer qu’un changement est survenu dans le cadre normatif de l’entreprise. Il doit, au surplus, établir que le changement dénoncé n’est pas conforme aux « pratiques habituelles » de gestion de l’entreprise […]

[149]  Walmart ajoute autre chose au sujet des [traduction] « pratiques habituelles de gestion » aux paragraphes 47 et 48, qui précisent qu’un gel statutaire n’est pas statique; cette conclusion se reflète dans des affaires instruites par la Commission (voir, par exemple, ASFC, au paragraphe 167, et ARC, au paragraphe 71) :

[47] En effet, bien qu’une interprétation purement littérale et hors contexte de l’art. 59 du Code puisse suggérer une conclusion contraire, cette disposition n’a pas pour effet de « figer » ou de « geler » totalement l’environnement normatif du travail. Au contraire, afin d’éviter la paralysie de l’entreprise, elle laisse à l’employeur son pouvoir général de gestion. Survivant à l’arrivée du syndicat, ce pouvoir se trouve toutefois désormais encadré par la loi. Il doit être exercé « à l’intérieur des normes qui s’imposaient antérieurement et selon les pratiques qui avaient cours dans l’entreprise » […]

[48] Dans ce contexte, l’employeur ne peut se limiter à prétendre que sa décision est conforme aux pouvoirs que lui attribuaient le contrat individuel de travail et le droit commun avant le dépôt de la requête en accréditation. Il doit dorénavant continuer à agir comme il le faisait, ou l’aurait fait, avant cette date […]

[150]  Aux paragraphes 55 à 57, cités par la défenderesse ci‑dessous, Walmart résume comment déterminer si une pratique ou une politique est conforme aux pratiques habituelles de gestion :

[55] […] l’arbitre dispose de deux moyens pour se prononcer sur la conformité entre un changement donné et les pratiques habituelles de gestion de l’employeur. Dans un premier temps, pour que la décision de l’employeur ne soit pas assimilée à une modification des conditions de travail au sens de l’art. 59 du Code, l’arbitre devra être convaincu qu’elle a été prise en conformité avec ses pratiques antérieures de gestion. Pour reprendre l’expression du juge Auclair, il devra être en mesure de conclure que la décision patronale a été prise « selon les paramètres qu’il s’est lui-même imposés avant la venue du syndicat chez lui » […]

[56] Dans un deuxième temps, la jurisprudence reconnaît que l’entreprise doit rester en mesure de s’adapter au contexte variable de l’environnement commercial dans lequel elle évolue. Par exemple, dans certains scénarios où il est difficile ou impossible de déterminer si une pratique de gestion donnée existait avant le dépôt de la requête en accréditation, la jurisprudence pertinente admet qu’il est possible de considérer qu’une décision « raisonnable », de « saine gestion », conforme à ce qu’aurait fait un « employeur raisonnable placé dans la même situation », relève des pratiques habituelles de gestion […]

[57] Un changement pourra donc être déclaré conforme à la « politique habituelle de gestion » de l’employeur (1) s’il est cohérent avec ses pratiques antérieures de gestion ou, à défaut, (2) s’il est conforme à la décision qu’aurait prise un employeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances. En d’autres mots, la modification « qui aurait été administrée de la même façon, en dehors d’un processus de syndicalisation ou de renouvellement de convention collective, ne doit pas être considérée comme un changement dans les conditions de travail visé par l’article 59 du code du travail » […]

[151]  À l’examen du premier volet du critère énoncé dans Walmart, la nouvelle politique restreignant l’horaire de travail au bureau fiscal de Sudbury qui a été mise en œuvre le 19 juin 2017 était‑elle « […] conforme aux « pratiques habituelles de gestion de l’employeur […] », ou, pour employer l’expression usuelle, à ses habitudes?

[152]  La preuve m’a convaincu que les modifications instaurées par la défenderesse avant la signification d’un avis de négocier n’étaient pas conformes aux [traduction] « pratiques habituelles de gestion ». Pour résumer l’essentiel de la preuve qu’a présentée les témoins cités par la plaignante, il est clair qu’avant le 31 octobre 2016, les restrictions concernant l’horaire de travail dans le cadre des [traduction] « pratiques habituelles de gestion » étaient imposées temporairement et seulement dans certains secteurs de travail. Après le 19 juin 2017, comme il est ressorti des conclusions relatives à la preuve dans la présente décision, le nouveau régime a imposé des contraintes globales, dont certains éléments avaient été vus auparavant, mais qui s’appliquaient désormais en tout temps et dans tous les secteurs et faisaient l’objet de divers processus d’autorisation.

[153]  Le témoignage de M. Bouchard confirme que ce qui s’est produit après le 19 juin 2017 n’était pas [traduction] « habituel » en comparaison du passé. Dans son témoignage au sujet de la pratique préexistante, il a dit des restrictions concernant l’horaire de travail qu’elles étaient [traduction] « acceptables pour de courtes périodes » et conformes aux habitudes, puis a déclaré que [traduction] « cela n’arrivait pas souvent »; en pareil cas, leur portée était limitée. Ensuite, le monde a changé avec le renouvellement des services. M. Bouchard a admis qu’il [traduction] « n’aurait pas mis en œuvre le réaménagement de l’horaire de travail s’il n’y avait pas eu de renouvellement des services », et a réitéré que s’il n’y avait pas eu de renouvellement des services, ils [traduction] « n’auraient pas organisé quelque chose comme cela ». M. Bouchard a précisé que [traduction] « la direction devait devenir plus conservatrice dans sa gestion des horaires comprimés ». Essentiellement, il a déclaré que [traduction] « l’augmentation du volume de travail supposait une transformation complète de la culture organisationnelle et la nécessité de répondre aux besoins en profondeur ».

[154]  Selon la preuve présentée par M. Bouchard, qui est appuyée par les témoignages des témoins cités par la plaignante, je n’hésite pas à conclure qu’il n’y avait rien de [traduction] « normal » dans les pratiques de travail qui ont été mises en oeuvre au bureau fiscal de Sudbury le 19 juin 2017. Les nouvelles restrictions étaient beaucoup plus exhaustives, n’étaient plus temporaires ni limitées, établissaient entre les fonctionnaires une distinction qui était nouvelle, et altéraient l’attribution des pouvoirs.

[155]  Le deuxième volet du critère énoncé au paragraphe 56 de Walmart postule que « […] l’entreprise doit rester en mesure de s’adapter au contexte variable de l’environnement commercial dans lequel elle évolue ». Il semble y être admis qu’une mesure de « raisonnabilité » peut s’appliquer — qu’aurait fait un « employeur raisonnable placé dans la même situation »? Walmart reformule la question en ces termes au paragraphe 57 : La mesure prise par l’employeur est-elle « […] conforme à la décision qu’aurait prise un employeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances? » Effectivement, on rajoute ensuite qu’un employeur n’enfreint pas la disposition sur le gel prévu par la loi s’il avait agi de la même façon en dehors d’un processus de syndicalisation ou de négociation d’une première convention collective. En application à la présente plainte, la défenderesse a laissé entendre que la question à poser est celle de savoir si la défenderesse aurait agi de la même façon si aucun avis de négocier n’avait été signifié.

[156]  Il est difficile de répondre aux questions proposées aux paragraphes 56 et 57. Cependant, je tiens à souligner que le paragraphe 56 suppose aussi une prémisse, qui pourrait bien signifier que le deuxième volet du critère n’est pas nécessaire si la pratique de gestion antérieure est claire. Selon le point essentiel auquel fait allusion le paragraphe 56 avant le renvoi au caractère raisonnable à titre d’élément à examiner, certains tribunaux ont admis l’approche axée sur le caractère raisonnable : « […] dans certains scénarios où il est difficile ou impossible de déterminer si une pratique de gestion donnée existait avant [que le gel statutaire ait pris effet] […] » [je souligne]. Dans la plainte qui nous occupe, il n’y a assurément rien qui nous empêche d’établir s’il existait une pratique antérieure. À la suite du paragraphe 56, nous pourrions fort bien dire qu’il n’est pas nécessaire d’examiner plus amplement si les actes de la défenderesse étaient ceux d’un employeur raisonnable.

[157]  Si le caractère raisonnable doit être soumis à un examen — et l’abondance des éléments de preuve concernant la pratique de gestion antérieure m’incite fortement à douter que ce soit le cas —, il m’est impossible de conclure avec certitude que les mesures mises en œuvre au bureau fiscal de Sudbury auraient été gérées de la même façon par un employeur raisonnable qui aurait été placé dans des circonstances identiques ou analogues. Assurément, selon la preuve non contestée en l’espèce, qui a été présentée par M. O’Brien, aucun des autres bureaux fiscaux du pays, dont bon nombre ont été touchés par le renouvellement des services, quoique peut‑être pas au même degré que le bureau fiscal de Sudbury, n’a eu le sentiment qu’il fallait imposer les restrictions concernant l’horaire de travail que M. Bouchard et ses collègues ont décidé de mettre en œuvre. Si les changements apportés au bureau fiscal de Sudbury étaient effectivement le choix qu’un employeur raisonnable aurait fait, compte tenu de l’exigence de mettre en œuvre le renouvellement des services, est‑il logique qu’aucun autre endroit n’ait suivi cette stratégie, en totalité ou en partie? Si le [traduction] « plan détaillé » de renouvellement des services qui a été transmis par l’administration centrale n’abordait pas la question de l’horaire de travail, et si le communiqué émis subséquemment aux fonctionnaires à l’échelle nationale afin d’instaurer le renouvellement des services ne mentionnait pas non plus de l’horaire de travail (pièce R-1, onglet 5), y a‑t‑il un fondement permettant d’établir que le réaménagement de l’horaire de travail comme il en a été décidé au bureau fiscal de Sudbury était raisonnablement nécessaire dans le cadre du renouvellement des services? Je pense que la réponse doit être « non ».

[158]  Je ne dispose d’aucun autre fondement probatoire solide pour évaluer le caractère raisonnable de la nouvelle politique du bureau fiscal de Sudbury. La description de M. Bouchard selon laquelle il y a eu [traduction] « une transformation complète de la culture organisationnelle et la nécessité de répondre aux besoins en profondeur » désamorce l’argument voulant que ce qui a été fait ne consistait qu’à amplifier ce qui avait eu cours dans le passé et que, par conséquent, c’était raisonnable. Même si je ne conclus pas nécessairement que la défenderesse a agi de façon déraisonnable, il est évident pour moi que cet argument ne constituait pas un argument convaincant fondé sur le caractère raisonnable.

[159]  La défenderesse aurait‑elle agi de la même façon si aucun avis de négocier n’avait été signifié? Une fois de plus, la prémisse implicite au paragraphe 56 pourrait bien signifier qu’il est inutile de répondre à cette question, compte tenu de la preuve claire au sujet de la pratique de gestion antérieure. Je prends aussi en compte qu’une question contrefactuelle entraîne toujours le risque de s’aventurer vers la pure spéculation. Néanmoins, si j’adresse la question, qu’en résulte‑t‑il? Nous savons que, comme il est indiqué plus haut dans la présente décision, M. Bouchard a déclaré qu’il n’aurait pas mis en œuvre le réaménagement de l’horaire de travail en l’absence de renouvellement des services. Cependant, le renouvellement des services constituait sa nouvelle réalité. Compte tenu de cette réalité, aurait‑il procédé comme il l’a fait en l’absence d’un avis de négocier?

[160]  Il semble que nous pouvons conclure sans risque que, selon la prépondérance de la preuve, les répercussions de l’art. 107 de la Loi n’ont jamais été à l’avant‑plan de l’analyse de la direction. M. Bouchard a déclaré qu’il avait consulté ses conseillers en ressources humaines au sujet de l’art. 107 de la Loi au moins une fois, mais nous ignorons ce que ses conseillers lui ont dit, nous savons seulement qu’il n’a pas changé de cap. Par l’intermédiaire du syndicat, M. Bouchard a ultérieurement pris connaissance de la décision rendue dans ARC qui avait enjoint le même employeur, dans une autre région, à ne pas réaménager l’horaire de travail durant une période de gel prévu par la loi antérieure. M. Bouchard n’a pas été dissuadé.

[161]  La prépondérance de la preuve indique que la décision de M. Bouchard de mettre en œuvre une nouvelle politique en matière d’horaire de travail était motivée pratiquement exclusivement par sa conviction. et celle de son équipe de la haute direction, de ce qui devait être fait dans son milieu de travail pour mettre en œuvre le renouvellement des services avec succès. M. Bouchard a fait un choix exceptionnel, afin d’éviter le risque de donner l’impression d’échouer. Comme l’ont démontré les témoignages, le réaménagement de l’horaire de travail n’était pas [traduction] « intégré » dans le renouvellement des services. L’[traduction] « engrenage » n’était pas [traduction] « enclenché ». Rien ne montre que le plan [traduction] « détaillé » de renouvellement des services qui avait été transmis par l’administration centrale touchait l’horaire de travail. Comme je l’ai déjà mentionné dans la présente décision, aucun autre bureau fiscal n’en a fait autant. M. Bouchard a agi en fonction de son jugement et de son évaluation des motifs qu’il avait envisagés et qui étaient convaincants pour lui; apparemment, il n’a pas été influencé par les répercussions possibles de l’art. 107 de la Loi, ni par la réalité de la mise en œuvre du renouvellement des services ailleurs.

[162]  Par conséquent, cela m’amène à conclure que la défenderesse pourrait avoir agi de la même façon si aucun avis de négocier n’avait été signifié. Cela veut‑il dire alors que les mesures de la défenderesse étaient raisonnables au sens du paragraphe 57 de Walmart, et que, par conséquent, sa défense devrait être accueillie?

[163]  Comme il est mentionné ci‑dessous, aux paragraphes 94 et 96, Walmart indique que, selon la décision arbitrale initialement rendue dans cette affaire, rien ne démontrait que l’employeur aurait fermé son entreprise en l’absence de la requête en accréditation, laquelle a déclenché le gel statutaire :

[94] […] l’arbitre a raison de soutenir que le simple fait d’invoquer la fermeture (voire le droit de fermer son entreprise) n’est pas suffisant pour justifier la modification au sens de l’art. 59 (par. 26). Comme je l’ai souligné plus haut, l’arbitre saisi d’une plainte fondée sur cet article ne peut se borner à constater que l’employeur possède le pouvoir de gérer son entreprise et, par le fait même, de la fermer. Il doit au surplus être convaincu que ce dernier aurait procédé à cette fermeture même en l’absence de la requête en accréditation. Or, en l’absence de preuve à cet effet, il était raisonnable de conclure que la fermeture ne résultait pas d’une pratique habituelle de gestion.

[…]

[96] […] on comprend que, lorsqu’il affirme que l’employeur n’a pas démontré que la fermeture s’inscrivait dans le cours normal des affaires de l’entreprise, il retient que le Syndicat a déjà présenté suffisamment d’éléments de preuve pour le convaincre que la modification n’était pas conforme aux pratiques antérieures de gestion de l’employeur ou à celles d’un employeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances. En effet, on peut raisonnablement conclure que cet employeur raisonnable n’aurait pas fermé les portes d’un établissement qui « évoluait très bien » et où « les objectifs étaient rencontrés », à tel point que des bonis étaient promis.

[164]  Dans cette mesure, ma conclusion fondée sur la preuve que la défenderesse en l’espèce pourrait avoir agi de la même façon si aucun avis de négocier n’avait été signifié laisse entrevoir une voie menant à une conclusion différente au sujet de la violation de la disposition sur le gel prévu par la loi. Tout bien pesé, cependant, je ne crois pas qu’il me soit possible de suivre cette voie.

[165]  Une fois de plus, je ne suis toujours pas convaincu que l’analyse du « caractère raisonnable » prévue dans le deuxième volet — le seul motif de s’interroger à savoir ce que la défenderesse aurait fait si aucun avis de négocier n’avait été signifié — est nécessaire, compte tenu de l’existence d’une preuve claire au sujet de la pratique de gestion antérieure (voir Walmart, au paragraphe 56). Au‑delà de la question de la prémisse implicite au paragraphe 56, je ne peux ignorer les autres observations cruciales formulées dans Walmart, qui constituent une solide mise en garde contre le contournement d’un gel prévu par la loi en vigueur.

[166]  Examinons ce que je tiens pour l’un des énoncés les plus importants dans Walmart, au paragraphe 49, ci‑dessous :

[49] […] je tiens à souligner que le fait d’accepter la thèse contraire — à savoir que l’employeur peut toujours modifier ses normes de gestion, parce qu’il jouissait de ce pouvoir avant l’arrivée du syndicat — priverait l’art. 59 de tout effet. Cette disposition, je le rappelle, a été édictée dans le but précis d’empêcher l’employeur d’« utiliser in extremis sa grande liberté de manœuvre pour être particulièrement généreux ou exercer quelque autre moyen de pression » (Morin et autres, p. 1122). Or, lui permettre de continuer à utiliser ses pouvoirs de gestion comme si rien n’avait changé reviendrait en définitive à lui permettre de faire ce que la loi vise pourtant à prohiber.

[Je souligne]

[167]  Le contexte du paragraphe 49 est précisé antérieurement dans Walmart, par exemple aux paragraphes 34 et 35, qui aborde comme suit l’objet du gel prévu par la loi, quoique dans les circonstances particulières de la négociation d’un premier contrat :

[34] À mon avis, en encadrant les pouvoirs de l’employeur, l’art. 59 ne vise pas seulement à créer un équilibre ni à assurer le statu quo, mais plus exactement à faciliter l’accréditation et à favoriser entre les parties la négociation de bonne foi de la convention collective […]

[35] En effet, le « gel » des conditions de travail que codifie cette disposition législative limite l’utilisation du moyen principal dont disposerait autrement l’employeur pour influencer les choix de ses employés : son pouvoir de gestion au cours d’une période critique […] Or, en limitant ainsi le pouvoir de décision unilatérale de l’employeur, le « gel » restreint l’influence potentielle de celui-ci sur le processus associatif, diminue les craintes des employés qui exercent activement leurs droits et facilite le développement de ce qui deviendra éventuellement le cadre des relations de travail au sein de l’entreprise.

[168]  Puis, peu après le paragraphe 49, Walmart indique ce qui suit, au paragraphe 51 :

[51] Une interprétation laissant à l’employeur toute la latitude qu’il possédait avant le dépôt de la requête en accréditation violerait les prescriptions de l’art. 41 de la Loi d’interprétation, RLRQ, ch. I-16, lesquelles privilégient une interprétation large et téléologique de la disposition. Il m’apparaît que cette interprétation ferait aussi abstraction du fait que, après l’arrivée du syndicat, l’employeur ne contrôle désormais plus seul les relations de travail dans son entreprise […]

[169]  Selon mon approche de l’application de l’art. 107 de la Loi, la défenderesse ne peut pas jouir d’une liberté d’action absolue; dans le même ordre d’idées, je dois attribuer au gel prévu par la loi son sens et sa force véritables. Assurément, sous l’angle de la compétence de la Commission, l’art. 12 de la Loi d’interprétation (L.R.C. 1985, ch. I‑21) impose précisément l’exigence que j’attribue à l’art. 107 de la Loi, c’est‑à‑dire, aux termes de l’art. 12, qu’il : « […] s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».

[170]  M. Bouchard avait le pouvoir de réaménager l’horaire de travail avant qu’un avis de négocier n’ait été signifié, comme l’a concédé la plaignante, pourvu que le réaménagement soit conforme aux règles établies par la convention collective. Si la plaignante n’avait pas déclenché la protection prévue à l’art. 107 de la Loi en signifiant un avis de négocier, M. Bouchard aurait probablement pu continuer à apporter des changements, y compris des restrictions plus strictes qui n’auraient pas été temporaires, ni de portée limitée, sous réserve, encore une fois, de ce qu’autorisait la convention collective. Cependant, tout comme son monde a changé avec l’arrivée du renouvellement des services, son monde à titre de représentant de l’employeur a changé lorsque la plaignante a signifié un avis de négocier. Laisser entendre que M. Bouchard pouvait continuer à exercer ses pouvoirs et modifier passablement la pratique de gestion antérieure après la signification d’un avis de négocier, comme si rien n’avait changé, reviendrait à dire exactement ce qui ne doit pas arriver selon Walmart : « Or, lui permettre de continuer à utiliser ses pouvoirs de gestion comme si rien n’avait changé reviendrait en définitive à lui permettre de faire ce que la loi vise pourtant à prohiber » [je souligne]. La conclusion selon laquelle la défenderesse aurait pu procéder au réaménagement de l’horaire de travail comme elle l’a fait si la plaignante n’avait pas signifié d’avis de négocier — conclusion qui peut même n’être ni nécessaire ni appropriée compte tenu de la prémisse indiquée au paragraphe 56 de Walmart — est, à mon avis, loin d’être un motif impérieux de ne pas appliquer l’art. 107 de la Loi de façon large et libérale, comme il se doit.

[171]  Si le régime de négociation collective qui est au cœur de la Loi doit effectivement s’appliquer conformément à l’objet énoncé dans le préambule de la Loi, il est essentiel qu’un employeur respecte l’injonction à l’égard des modifications unilatérales des conditions d’emploi durant la période de gel prévue à l’art. 107. Les motifs justifiant l’exception aux pratiques habituelles doivent être interprétés sans exagérations, à mon avis, afin de ne pas aller à l’encontre de l’objet impérieux de l’art. 107. Le fait, encore une fois, qu’un employeur raisonnable ait pu exercer ses pouvoirs d’une certaine façon dans des circonstances contrefactuelles, ne devrait pas constituer une défense suffisante dans la plupart des circonstances. La défense doit normalement étayer davantage, à moins, suivant le paragraphe 56 de Walmart, qu’il n’y ait aucune preuve de la pratique de gestion antérieure sur laquelle une défense puisse se fonder. Même en pareil cas, il faut faire preuve de prudence. Autrement, cela enfreindrait la disposition sur le gel statutaire.

[172]  En résumé, j’estime que la défenderesse n’a pas présenté une défense répondant à la norme exposée dans Walmart, étant entendu que Walmart ne me dispense pas d’interpréter la disposition sur le gel prévu par la loi de façon large et libérale, comme il se doit. La défenderesse a modifié une condition d’emploi qui aurait pu être intégrée à la convention collective après la signification d’un avis de négocier, sans le consentement de l’agent négociateur. Le changement n’était pas conforme à la pratique de gestion antérieure. D’après la preuve, on ne peut conclure avec certitude qu’un employeur raisonnable aurait agi de la même façon dans des circonstances identiques ou analogues. Même si on peut admettre que M. Bouchard et son équipe auraient mis en œuvre les mêmes changements en l’absence de l’avis de négocier, maintenir que, par conséquent, la défenderesse était libre d’exercer ses pouvoirs comme elle l’a fait comme si rien ne s’était passé, risquerait de vider de son sens l’art. 107 de la Loi.

[173]  Je ne propose pas de passer ici en revue les diverses définitions et applications de l’approche axée sur les pratiques habituelles qui sont formulées dans les décisions rendues par la Commission et d’autres commissions des relations de travail, qu’ont fait valoir les parties, ni de les comparer à celles de Walmart. Cependant, j’ai examiné minutieusement ces décisions, et j’ai conclu que je serais parvenu à la même conclusion dans une réflexion sur ces affaires que par suite de mon analyse fondée sur Walmart. Ces décisions me confortent dans ma conclusion selon laquelle la défenderesse ne peut pas se soustraire à l’application du gel statutaire prévu à l’art. 107 de la Loi en invoquant une défense fondée sur les pratiques habituelles dans les circonstances en l’espèce. Si je me fondais sur ce que je crois être au cœur des autres affaires citées par les parties, je conclurais que le modèle déjà en vigueur avant que la plaignante ne signifie son avis de négocier — le modèle gelé en vertu de l’art. 107 — donnait lieu, en matière d’horaire de travail flexible ou comprimé, à des restrictions qui étaient temporaires et de portée limitée, n’établissait aucune distinction entre les chefs d’équipe et les employés réguliers, et conférait aux chefs d’équipe et aux gestionnaires subalternes le pouvoir d’approuver les horaires de travail. La défenderesse a modifié ce modèle après la signification d’un avis de négocier, ce qui a enfreint l’art. 107.

[174]  De façon accessoire, entre autres exemples de l’application de l’approche axée sur les pratiques habituelles, je mentionnerai Spar Aerospace, cité dans ONA, au paragraphe 30; ASFC, aux paragraphes 162 à 190; Service correctionnel, aux paragraphes 61 et 96 à 98; ACEP, aux paragraphes 132 à 135; APFC, aux paragraphes 707 à 709; Chefs d’équipe, aux paragraphes 57 à 60; APASE, au paragraphe 127; ARC, au paragraphe 77.

[175]  Étant donné que les deux parties ont principalement fondé leurs arguments sur l’approche axée sur les pratiques habituelles, je n’ai pas eu le sentiment qu’il était nécessaire dans les présents motifs de commenter l’allégation de la défenderesse selon laquelle l’approche axée sur les attentes raisonnables est inappropriée en l’espèce, est essentiellement incompatible avec Walmart, ou que les approches axées respectivement sur les pratiques habituelles et sur les attentes raisonnables sont distinctes et ne doivent pas être mélangées. La Commission s’est fondée sur les attentes raisonnables dans certaines de ses décisions. (Voir, par exemple, ASFC, aux paragraphes 174 et 175; APFC, au paragraphe 79; ONA, au paragraphe 48; ARC, aux paragraphes 72 et 77; Service correctionnel, au paragraphe 99; Chefs d’équipe, au paragraphe 61 et AFPC, aux paragraphes 52 et 58.) Il reviendra à une autre formation de la Commission de se prononcer sur la question de savoir si la Commission risque d’errer en effectuant une analyse des attentes raisonnables fondée sur une interprétation de Walmart. Je note toutefois que Walmart comporte ses propres renvois aux attentes raisonnables. Au paragraphe 42, on y retrouve la déclaration suivante, qui renvoie à la dépendance des travailleurs à leur emploi : « Dans ce contexte, on peut affirmer qu’il existe chez ces salariés une attente raisonnable que l’employeur ne remettra pas en cause leur emploi, sauf dans la mesure et les circonstances prévues par la loi ».

VII.  Redressement

[176]  Le paragraphe 192(1) de la Loi confère à la Commission le pouvoir général de forger un redressement en cas de plainte déposée en vertu du paragraphe 192(1), comme suit :

(1) Si elle décide que la plainte présentée au titre du paragraphe 190(1) est fondée, la Commission peut, par ordonnance, rendre à l’égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances et, notamment :

a) en cas de contravention par l’employeur des articles 107 ou 132, lui enjoindre de payer à un fonctionnaire donné une indemnité équivalant au plus, à son avis, à la rémunération qui aurait été payée par l’employeur au fonctionnaire s’il n’y avait pas eu contravention […]

[177]  La plaignante a demandé un redressement sous les formes suivantes :

  • 1) une déclaration selon laquelle la défenderesse a violé l’art. 107 de la Loi;

  • 2) une ordonnance exigeant que la défenderesse cesse et annule le réaménagement des horaires de travail et que les fonctionnaires puissent retourner à la pratique antérieure;

  • 3) une ordonnance exigeant que la défenderesse affiche la présente décision dans tous les lieux de travail importants partout au pays;

  • 4) que la Commission demeure saisie de l’affaire.

[178]  La Commission accorde tous ces redressements, qui sont justifiés et appropriés dans les circonstances en l’espèce.

[179]  La plaignante a aussi demandé à la Commission d’envisager un redressement supplémentaire sous la forme d’une ordonnance exigeant que la défenderesse dédommage les fonctionnaires pour les pertes financières subies par suite des changements qu’elle a mis en œuvre en juin 2017.

[180]  Le dédommagement des pertes financières est associé à la « rémunération » à l’al. 192(1)a) de la Loi. En conséquence, un argument a été présenté que le type de dédommagement demandé par la plaignante n’est pas prévu aux termes de cette disposition. Cependant, il ressort clairement du libellé du paragraphe 192(1) que la Commission peut « […] rendre […] toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances […] » et que l’al. 192(1)a) n’en donne qu’un exemple. À mon avis, j’ai le pouvoir d’envisager la possibilité d’un dédommagement du type demandé par la plaignante.

[181]  Sans me prononcer sur l’objection de la défenderesse selon laquelle l’avis tardif de demande de redressement sous la forme d’un dédommagement lui a causé préjudice, je refuse de donner suite à la requête de la plaignante. Les témoignages concernant la nature et l’étendue des pertes financières qu’ont subies les membres de l’unité de négociation par suite de la violation de l’art. 107 de la Loi par la défenderesse ont été brefs et n’étaient pas généralisés. La preuve n’a pas démontré combien de fonctionnaires avaient effectivement subi un réaménagement de leur l’horaire de travail, ni dans quelle mesure les pertes financières qui en ont résulté ont été répandues. Pour obtenir ces éléments de preuve, il faudrait que je rouvre l’audience et sollicite d’autres témoignages auprès des parties, ce qui prolongerait inutilement les présentes procédures, à mon avis. Je crains aussi que même en disposant d’une meilleure preuve, l’élaboration et la mise en œuvre d’un processus approprié aux fins de l’approbation des demandes de dédommagement puissent être complexes sur le plan administratif, ne soient coûteuses en temps et risquent de donner lieu à de nouveaux différends.

[182]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante.)


VIII.  Ordonnance

[183]  La plainte est accueillie.

[184]  La Commission déclare que la défenderesse a violé l’article 107 de la Loi.

[185]  Dans les 30 jours suivant la date de la présente décision, la défenderesse doit annuler le réaménagement de l’horaire de travail qui a été mis en œuvre le 19 juin 2017, à son bureau fiscal de Sudbury, et respecter les pratiques normales en matière d’horaire de travail qui étaient en vigueur à l’époque où l’avis de négocier a été signifié et antérieurement, jusqu’à ce qu’une nouvelle convention collective soit signée ou que les fonctionnaires de l’unité de négociation soient en mesure de mener une grève légale.

[186]  La défenderesse doit afficher la présente décision dans tous les lieux de travail importants pour une période de 90 jours.

[187]  La Commission doit demeurer saisie de la plainte pour une période de 90 jours afin de trancher les questions liées à la mise en œuvre.

Le 15 novembre 2019.

Traduction de la CRTESPF

 

Dan Butler,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

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