Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants ont participé à un processus de nomination interne annoncé – ils ont allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du mérite en raison d’erreurs dans la méthode d’évaluation et qu’il y a eu du favoritisme personnel puisqu’un membre du comité d’évaluation était une amie intime de la personne nommée – le membre du comité et la personne nommée prenaient souvent de longs repas ensemble au travail et à l’extérieur – ils ont également pris des vacances ensemble – la décision découlait de huit plaintes concernant la personne nommée et le poste en question – la Commission a conclu qu’un observateur bien renseigné qui était au courant de l’amitié entre le membre du comité et la personne nommée, même s’il connaissait les qualifications de la personne nommée, pouvait raisonnablement percevoir de la partialité de la part du comité d’évaluation – la Commission a également conclu que l’utilisation d’une lettre de présentation pour évaluer les compétences en matière de communication écrite est un aspect raisonnable et éminemment juste de la marge de manœuvre accordée par le législateur à un administrateur général pour établir les méthodes d’évaluation – les membres d’un comité d’évaluation devraient se récuser du processus de nomination interne lorsqu’ils découvrent qu’un ami intime y a postulé – le plaignant n’a pas précisément demandé la révocation de la nomination; autrement, la Commission aurait exercé son pouvoir discrétionnaire et l’aurait fait – la Commission a déclaré que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du mérite dans le cadre du processus de nomination interne ayant mené à la nomination.

Plainte accueillie. Abus de pouvoir déclaré.

Contenu de la décision

Date: 20191106

Dossiers: EMP-2016-10505, EMP-2016-10506, EMP-2016-10642, EMP-2016-10643,

EMP-2016-10647, EMP-2016-10648, EMP-2017-11214, EMP-2017-11217

 

 Référence: 2019 CRTESPF 107

Loi sur la Commission

des relations de travail et de

l’emploi dans le secteur public

fédéral et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

KIRK McIntosh et DONNA Myskiw

plaignants

 

et

 

COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

 

intimé

et autres

Répertorié

Myskiw c. Commissaire du Service correctionnel du Canada

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant :  Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les plaignants :  Eux-mêmes

Pour l’intimé :  Zorica Guzina, avocate

Pour la Commission de la fonction publique :  Louise Bard, par arguments écrits

 

Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),

les 5 et 6 septembre 2018.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION   (TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Résumé

[1]  Kirk McIntosh et Donna Myskiw (les « plaignants ») sont des agents de programmes sociaux, classifiés WP-03, à l’Établissement de Stony Mountain (l’« Établissement ») du Service correctionnel du Canada (l’« intimé ») près de Winnipeg, au Manitoba. Ils sont tous les deux des employés de longue date de l’intimé et ils cherchent des possibilités d’avancement professionnel. Ils ont soutenu que des erreurs avaient été commises dans le processus de nomination interne en litige et que le favoritisme personnel avait entaché l’évaluation de la personne nommée, qui était une amie d’une gestionnaire supérieure et membre du comité d’évaluation, ce qui équivalait ainsi à un abus de pouvoir. L’intimé a nié qu’il y a eu des erreurs et a répondu que la nomination était fondée sur le mérite.

[2]  Étant donné la preuve non contredite selon laquelle la gestionnaire responsable de l’embauche et la personne nommée étaient des amies intimes qui prenaient souvent leur repas ensemble pendant la semaine de travail et qui se côtoyaient à l’occasion à l’extérieur du travail et alors qu’elles étaient en vacances, je conclus qu’il y a eu favoritisme personnel et que le processus de nomination interne était partial.

[3]  Bien que les plaignants aient reconnu que la personne nommée était réellement qualifiée pour la nomination, je conclus qu’il y a eu abus de pouvoir et je formule une telle déclaration. Agir autrement permettrait au spectre du favoritisme personnel d’entacher les nominations et minerait la confiance du public et des employés de la fonction publique dans les processus de nomination internes.

[4]  Les plaignants n’ont pas demandé la révocation de la nomination à titre de réparation. Pour cette raison uniquement, je n’exercerai pas mon pouvoir de la révoquer dans ces circonstances par ailleurs inacceptables.

II.  Contexte

[5]  Conformément à l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « Loi »), dans le cas d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours peut présenter à la Commission une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination à cause d’un abus de pouvoir dans l’application du mérite. Le plaignant a le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir (voir Tibbs c. Sous-ministre de la défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 49 et 55).

[6]  Selon le paragraphe 30(1) de la Loi, les nominations – internes ou externes – à la fonction publique doivent être fondées sur le mérite et, selon l’alinéa 30(2)a), une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne à nommer possède les qualifications essentielles établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir.

[7]  L’expression « abus de pouvoir » n’est pas définie par la Loi; toutefois, le paragraphe 2(4) fournit l’orientation suivante : « [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel ». L’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) a examiné l’expression et, dans Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7, aux paragraphes 39 et 40, il a conclu ce qui suit, ce à quoi je souscris :

[39] De plus, l’expression « il est entendu » au début du paragraphe 2(4) est employée pour une raison. En effet, le législateur fait précisément référence à la mauvaise foi et au favoritisme personnel pour s’assurer que nul ne conteste le fait que ces formes d’inconduite constituent un abus de pouvoir. Il convient de noter que le mot « favoritisme » est qualifié par l’adjectif « personnel », ce qui met en évidence l’intention du législateur de faire en sorte que les deux mots soient lus ensemble, et que c’est le favoritisme personnel, non pas tout autre type de favoritisme, qui constitue un abus de pouvoir.

[40] La mauvaise foi et le favoritisme personnel comptent parmi les formes les plus graves d’abus de pouvoir que la fonction publique dans son ensemble devrait s’efforcer avec ardeur de prévenir. Lorsqu’un abus de pouvoir survient, il faut prendre toutes les mesures nécessaires pour y remédier. Manifestement, le paragraphe 2(4) vise à ce qu’il ne fasse aucun doute que ces formes d’inconduite constituent un abus de pouvoir. Voir : Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham : Butterworths, 2002), aux pages 180 à 182. […]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

[8]  En plus des témoignages pertinents (résumés plus loin), la Commission de la fonction publique a fourni des arguments écrits sur le cadre réglementaire des nominations. Elle ne s’est pas prononcée sur le bien‑fondé de la plainte.

III.  Faits

[9]  Il s’agit du deuxième cas que j’entends des mêmes plaignants qui contestent les pratiques de nomination de leurs gestionnaires à l’Établissement. Dans le cas précédent, j’ai conclu qu’il y avait eu abus de pouvoir pour un autre processus de nominations internes non annoncées WP-05 (voir Myskiw c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2018 CRTESPF 70).

[10]  Dans l’affaire dont je suis saisi maintenant, l’intimé a publié un avis de possibilité d’emploi (APE) (2016-PEN-IA-PRA-112403) pour un poste WP-05 à l’Établissement pour une nomination intérimaire. La zone de sélection était ouverte aux employés de l’intimé qui occupaient un poste à l’Établissement. Les deux plaignants ont postulé, mais ils n’ont pas été retenus. M. McIntosh a été éliminé après qu’il a été conclu qu’il ne respectait pas le critère essentiel de l’expérience. Mme Myskiw a été sélectionnée, mais elle n’a pas obtenu la note de passage à l’évaluation écrite.

[11]  La présente décision découle du regroupement et de l’audition de huit plaintes liées aux nombreuses prolongations de nomination accordées à la personne nommée au poste en litige en l’espèce.

[12]  Sjana Sookermany était membre du comité d’évaluation pour le processus de nomination interne. Elle était une gestionnaire supérieure à l’Établissement. Même si elle avait déjà supervisé la personne nommée, ce n’était pas le cas de la nomination en litige.

[13]  Les plaignants ont déclaré lors du témoignage que le poste WP-05 était très recherché, qu’ils avaient exprimé leur intérêt à Mme Sookermany et qu’ils avaient demandé à se voir offrir une affectation de façon intérimaire pour se préparer et acquérir de l’expérience à ce poste. Les plaignants ont aussi déclaré que la nomination intérimaire a été prolongée à de nombreuses reprises, pour atteindre une période de plus de deux ans.

[14]  Dans le cadre de son interrogatoire principal, Mme Sookermany a déclaré qu’elle-même et la personne nommée, Terry MacDonald, étaient bien des amies intimes à l’extérieur du travail. Elle a ajouté qu’elles n’avaient jamais discuté du processus de nomination ou de sélection.

[15]  En contre-interrogatoire, Mme Sookermany a souhaité préciser son amitié avec la personne nommée en ajoutant qu’elle concernait principalement le travail. Interrogée sur leurs activités ensemble à l’extérieur du travail, elle a déclaré qu’elle‑même et la personne nommée avaient déjà passé du temps ensemble à un chalet près d’un lac, mais qu’elles ne s’étaient pas côtoyées depuis un certain temps. Leur dernier événement social de fin de semaine avait eu lieu en septembre 2017. Elle a admis qu’elles se parlaient souvent en arrivant au travail le matin et qu’elles quittaient fréquemment du travail pour aller manger ensemble. M. McIntosh a déclaré que Mme Sookermany et la personne nommée passaient régulièrement de longues pauses dîner ensemble à l’extérieur du bureau.

[16]  Dans leur interrogatoire principal, les plaignants ont aussi mentionné qu’ils étaient d’avis que la direction les avait injustement privés de possibilités d’une nomination intérimaire au poste WP-05, qu’ils avaient été injustement éliminés du processus d’évaluation et que la personne nommée avait indûment obtenu de nombreuses prolongations à sa nomination intérimaire au-delà de l’année annoncée à l’origine dans l’APE. Ils ont aussi soutenu que la nomination de la bonne personne a été prédéterminée en faveur de la personne nommée. Ces questions ont été présentées davantage sous forme d’allégations et elles ne sont pas suffisamment appuyées par la preuve pour justifier une analyse précise.

[17]  Dans son interrogatoire principal, Mme Myskiw a fait remarquer que le comité d’évaluation a donné une mauvaise impression de sa lettre de présentation. Il y avait écrit des notes soulignant une erreur d’orthographe et un passage, lequel selon lui comportait des renseignements non pertinents.

[18]  Dans son interrogatoire sur cette question, Matt Gee, président du comité d’évaluation, a confirmé que Mme Myskiw n’avait pas obtenu la note de passage pour le critère de sa capacité à communiquer efficacement par écrit. Mme Myskiw n’a pas donné suite à cette question dans son contre-interrogatoire de M. Gee ou celui des autres membres du comité d’évaluation.

[19]  M. Gee a déclaré qu’il ne se préoccupait pas du fait que Mme Sookermany évaluait son amie, qui a plus tard accepté la nomination, parce qu’elle est [traduction] « compétente et professionnelle ». M. Gee a assuré à l’audience que Mme Sookermany n’avait pas tenté d’influencer le processus d’évaluation en faveur de la personne qui a fini par être nommée.

[20]  M. Gee a ajouté qu’un exercice à l’aveuglette de désignation de la bonne personne a été réalisé pour assurer l’objectivité des sélections. Il a expliqué qu’en fait, la personne nommée n’était pas le premier choix de l’évaluation de la bonne personne.

[21]  En contre-interrogatoire, M. Gee a admis qu’il était au courant de l’amitié de Mme Sookermany avec la personne nommée, mais il a répété son affirmation selon laquelle elle n’avait pas tenté d’influencer le comité d’évaluation en faveur de son amie. Il a ajouté que Mme Sookermany était la personne qui connaissait le mieux le travail du poste. À la question de savoir s’il avait perçu que son amitié soulevait l’apparence d’un caractère incorrect, M. Gee a répondu qu’il était au courant de la question et qu’il serait intervenu si un membre de la famille ou un conjoint d’un candidat avait siégé au comité d’évaluation. Il a aussi déclaré que d’autres membres qui n’étaient pas des amis intimes de la personne qui a fini par être nommée siégeaient au comité et que le processus d’évaluation reposait sur des questions et des réponses normalisées à l’échelle nationale.

IV.  Questions

A.  L’utilisation par l’intimé de la lettre de présentation de Mme Myskiw pour évaluer ses communications écrites et son omission de le divulguer dans l’APE constituaient-elles une erreur?

[22]  La preuve non contredite a établi que la lettre de présentation de Mme Myskiw a servi à évaluer sa capacité à communiquer efficacement par écrit. L’APE ne précisait pas que la lettre de présentation servirait à cette fin.

[23]  Les plaignants n’ont pas invoqué de jurisprudence, mais ils ont soutenu que l’absence d’un avis selon lequel leur lettre de présentation serait utilisée pour l’évaluation était injuste et erronée. Je ne suis pas d’accord.

[24]  Les candidats à un processus de nomination interne devraient savoir que l’intégralité des éléments soumis, y compris leur lettre de présentation, est communiquée dans l’unique but d’évaluer leur aptitude en vue de la nomination.

[25]  La Commission a constamment reconnu que les gestionnaires bénéficiaient d’une vaste marge de manœuvre pour utiliser les méthodes d’évaluation qu’ils jugent appropriées aux fins de leurs processus de nomination internes. C’est ce que prévoit l’art. 36 de la Loi :

36 La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation – notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues – qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

[26]  Le législateur a clairement énoncé l’intention de donner aux gestionnaires la possibilité d’adapter leur évaluation des candidats afin de respecter les besoins précis du poste à doter.

[27]  Comme l’a fait valoir l’avocate de l’intimé, le Tribunal a examiné l’art. 36 dans Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11, au paragraphe 77, et il a conclu ce qui suit :

[77] L’article 36 de la LEFP prévoit que l’administrateur général peut avoir recours à toute méthode d’évaluation indiquée dans un processus de nomination interne. Pour que le Tribunal considère qu’il y ait abus de pouvoir dans le choix des méthodes d’évaluation, la plaignante doit démontrer que le résultat est inéquitable et que les méthodes d’évaluation sont déraisonnables et ne peuvent évaluer les qualifications prévues à l’énoncé des critères de mérite, qui n’ont aucun lien avec ceux-ci ou qu’elles sont discriminatoires.

[28]  L’utilisation d’une lettre de présentation pour évaluer les compétences en matière de communication écrite est un aspect raisonnable et éminemment juste de la marge de manœuvre accordée par le législateur à un administrateur général pour établir les méthodes d’évaluation. Je conclus que l’intimé n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a utilisé la lettre de présentation de Mme Myskiw pour évaluer ses communications écrites et en ne le divulguant pas dans l’APE. L’absence de divulgation dans l’APE n’a pas de conséquence puisque les candidats devraient s’assurer de se présenter aussi bien que possible dans tous les aspects de leur candidature en vue d’une nomination, y compris leur lettre de présentation.

B.  Le lien d’amitié de la personne nommée avec un membre du comité d’évaluation représentait-il du favoritisme personnel?

[29]  L’avocate de l’intimé a reconnu qu’il existait un lien d’amitié entre la personne nommée et Mme Sookermany. Comme l’ont indiqué les témoins, je conclus que la preuve non contredite a clairement établi que l’amitié était de nature personnelle, qu’elle était accompagnée de contacts fréquents durant la journée de travail, ainsi que d’une socialisation peu fréquente à l’extérieur du lieu de travail.

[30]  Les plaignants n’ont pas invoqué de jurisprudence, mais ils ont soutenu que ce lien d’amitié manifestement personnel a créé une perception de partialité en faveur de la personne nommée qui a entaché le processus de nomination interne. Ils ont soutenu qu’on ne peut pas le tolérer et qu’il s’agissait d’un abus de pouvoir en vertu de la Loi.

[31]  L’avocate de l’intimé a noté le témoignage des témoins de l’intimé, qui ont tous clairement indiqué qu’ils croyaient que la personne nommée était qualifiée pour la nomination et qu’elle le méritait, uniquement en fonction du mérite. L’avocate a aussi fait remarquer que Mme Sookermany avait nié avec véhémence que son amitié avec la personne nommée avait influencé son travail ou celui du comité d’évaluation.

[32]  L’avocate de l’intimé a cité deux décisions du Tribunal, qui portaient sur le favoritisme personnel, pour faire remarquer que les faits du présent cas ne devraient pas m’amener à conclure que le favoritisme personnel a influencé d’une façon quelconque la nomination en litige.

[33]  La décision Carlson-Needham et Borden c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 38, a d’abord conclu que le Tribunal avait établi qu’une plainte en vertu de la Loi doit faire davantage que simplement énoncer une injustice perçue. Elle a également indiqué ce qui suit au paragraphe 54 :

[54] […] le plaignant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne a été nommée par la suite de favoritisme personnel et que la nomination était fondée sur des facteurs autres que le mérite. En d’autres termes, le plaignant doit prouver que les actions de l’intimé sont telles qu’elles permettent de conclure que la personne retenue a été nommée par favoritisme personnel.

[34]  La dernière décision du TDFP dans Glasgow portait sur des faits semblables à ceux de Carlson-Needham. Une candidate a soulevé des décisions opérationnelles du bureau qui auraient été motivées par un favoritisme personnel et qui ont fait en sorte que la personne nommée dans ce cas a obtenu un avantage injuste dans le cadre du processus d’évaluation. Lorsqu’il a examiné les allégations dont il était saisi dans Glasgow, le TDFP a déclaré ce qui suit (au paragraphe 63) :

[63] Lorsqu’un plaignant présente une allégation de traitement différentiel, tel le favoritisme personnel ou la partialité dans l’évaluation des réponses à un examen ou le classement des candidats, le Tribunal examinera, lorsqu’approprié, comment les notes ont été accordées ou comment l’ordre de classement a été établi. Le Tribunal analysera la preuve afin de déterminer si l’allégation de traitement différentiel l’amène à conclure qu’il y a eu abus de pouvoir et par conséquent, que la plainte est fondée.

[Je mets en évidence]

[35]  Je distingue les faits de Glasgow et ceux de Carlson-Needham puisque les deux affaires portaient sur la gestion des fonctions de bureau, lesquelles ont amené les plaignantes à invoquer le favoritisme personnel, plutôt que les liens d’amitié, comme dans le cas dont je suis saisi.

[36]  Dans une réponse plus directe à la déclaration des plaignants, l’avocate de l’intimé a abordé la question de la crainte de partialité liée à l’amitié et a cité ma décision dans Johnston c. Directeur des poursuites pénales, 2018 CRTESPF 65, en portant une attention particulière à ce qui suit, aux paragraphes 33 à 35 :

[33] Le plaignant a indiqué dans son argumentation de cette allégation que la Commission avait conclu qu’il n’était pas nécessaire qu’une partialité réelle soit constatée, puisqu’une crainte raisonnable de partialité peut constituer un abus de pouvoir (voir Ryan c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2014 TDFP 9, au paragraphe 25, qui cite Denny c. Le sous‑ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29, au paragraphe 125, qui renvoie à Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, à la page 394).

[34] Dans sa forme initiale, dans Committee for Justice and Liberty, à la p. 394, la Cour suprême du Canada a énoncé le critère relatif à l’existence d’une crainte de partialité comme suit :

[…] « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[35] Dans Ryan, en invoquant Gignac c. Le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, qui à son tour a invoqué Committee for Justice and Liberty, le TDFP a adapté le critère comme suit :

[…]

Lorsqu’il y a allégation de partialité, le critère suivant pourra être appliqué à son analyse en tenant compte des circonstances l’entourant : Si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou plusieurs personnes chargées de l’évaluation, le Tribunal pourra conclure qu’il y a abus de pouvoir.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[37]  Je note aussi Bain c. le sous ministre de Ressources naturelles Canada, 2011 TDFP 28, qui a porté comme suit sur la question d’une amitié et la conclusion d’une crainte raisonnable de partialité :

[…]

121 La plaignante soutient que M. Aubé aurait dû refuser d’être membre du comité de sélection parce qu’il est un ami personnel de la personne nommée. Cette amitié donne lieu à une crainte raisonnable de partialité de M. Aubé envers cette personne.

122 Questionné sur la nature de sa relation avec M. Murphy, M. Aubé a affirmé qu’ils étaient de bons amis. Il a indiqué qu’ils s’étaient rencontrés il y a environ 15 ans, alors qu’ils travaillaient dans le même laboratoire. Leur amitié s’est développée lorsque M. Murphy a commencé à travailler sous ses ordres vers 1997‑1998, au complexe de Bells Corners. Ils se voyaient de temps à autre à l’extérieur du travail pendant deux ou trois heures, environ tous les cinq ou six mois. Par la suite, après sa nomination au poste de directeur général, Secrétariat à l’énergie de Canmet, en 2002, M. Aubé a dû aller travailler dans un autre complexe de sciences physiques; à partir de cette date, ils ne se voyaient qu’à l’occasion et leurs rencontres étaient rares en dehors des heures de travail.

123 M. Aubé a affirmé que leurs interactions avaient un aspect plus professionnel lorsque M. Murphy assurait l’intérim pour lui, mais il leur arrivait encore d’aller prendre un verre tous les deux mois environ. Durant le processus de dotation, leur relation est demeurée inchangée : ils se voyaient à l’occasion, au travail et à l’extérieur. M. Aubé a soutenu que son amitié avec M. Murphy n’a eu aucune incidence sur sa capacité de l’évaluer de façon impartiale. Selon lui, il a su mettre leur amitié de côté et évaluer uniquement les résultats de M. Murphy.

[…]

126 M. Aubé a affirmé qu’il savait se montrer objectif et se garder d’être influencé par sa relation personnelle avec la personne nommée lorsque le comité discutait de l’évaluation des candidats durant le processus de nomination. Il pouvait faire la distinction entre ses liens professionnels et ses liens personnels avec M. Murphy lorsque le comité devait l’évaluer. De plus, durant les discussions, il limitait ses interventions aux réponses fournies par M. Murphy. Le comité commençait toujours en discutant des réponses des candidats, puis cherchait à en arriver à un consensus.

[…]

134 En examinant les questions de parti pris et de crainte raisonnable de partialité, les tribunaux ont reconnu qu’il est difficile d’établir une preuve directe de parti pris. La manière dont le critère de partialité doit être établi est décrite dans les motifs de dissidence de la décision Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394 :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [cette personne], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

 

[caractères italiques ajoutés]

[…]

138 Le parti pris et la crainte raisonnable de partialité peuvent être établis lorsqu’il existe une relation personnelle suffisamment étroite entre une personne directement touchée par le résultat de la décision et une personne qui y participe. Dans l’ouvrage Principles of Administrative Law (Jones, David Phillip and de Villars, Anne, Thomson Carswell, Toronto; 2009), les auteurs étudient différentes situations où le décideur entretient une relation personnelle étroite avec une personne qui a un intérêt direct dans l’issue de la décision en question. Ils soulignent aux pages 408-409 qu’une telle situation pourrait susciter une crainte raisonnable de partialité :

Lorsqu’un décideur entretient une relation personnelle suffisamment étroite avec quelqu’un qui a un intérêt direct dans l’issue de la décision, cette relation suscite une crainte raisonnable de partialité, et la personne doit être écartée du processus décisionnel. […] Le cœur du problème […] consiste généralement à déterminer si la relation entre le décideur et la personne concernée […] est suffisamment étroite pour qu’une personne raisonnable s’interroge sur la capacité du décideur de porter un jugement impartial.

[traduction]

139 Les candidats qui participent à un processus d’évaluation doivent pouvoir avoir confiance en la nature équitable du processus. Une crainte raisonnable de partialité entache le processus et soulève des doutes quant à son intégrité. Conformément au principe d’équité, les membres du comité d’évaluation doivent éviter les situations qui pourraient susciter une crainte raisonnable de partialité de la part d’un décideur.

[…]

[Je mets en évidence]

V.  Conclusion

[38]  Je privilégie l’approche adoptée par le Tribunal dans Bain, qui a abordé la question importante de la crainte de partialité. J’en viens à la même conclusion et je suis d’avis qu’un observateur relativement bien renseigné qui est au courant du lien d’amitié de Mme Sookermany avec la personne nommée, malgré les qualifications de cette dernière, pourrait raisonnablement percevoir de la partialité de la part du comité d’évaluation.

[39]  L’existence d’un lien d’amitié soulève une telle présomption d’existence d’un favoritisme personnel qu’elle crée une crainte de partialité en ce qui concerne le résultat, peu importe le fait que la personne nommée peut avoir été qualifiée ou avoir mérité par ailleurs la nomination en fonction du mérite.

[40]  Les membres d’un comité d’évaluation devraient se récuser du processus de nomination interne lorsqu’ils découvrent qu’un ami intime y a postulé. Le défaut de se récuser entache le processus d’évaluation et il laisse planer un doute sur ce qui pourrait par ailleurs être une nomination fondée sur le mérite.

[41]  Les plaignants ne m’ont pas précisément demandé d’ordonner la révocation de la nomination en litige, autrement, j’aurais exercé mon pouvoir discrétionnaire prévu par la Loi et je l’aurais fait.

[42]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance suivante :

(L’ordonnance est apparaît à la page suivante)


VI.  Ordonnance

[43]  Je déclare que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite dans le cadre du processus de nomination interne ayant mené à la nomination.

Le 6 novembre 2019.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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