Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la décision de l’employeur de lui imposer une suspension d’un jour sans salaire en raison de son inconduite pour omission de superviser l’exportation de certains biens vers les États-Unis – la Commission a conclu qu’il avait délibérément négligé d’exercer ses fonctions de superviser adéquatement l’exportation des biens qu’il avait transférés, ce qui constituait un fondement valide pour imposer une mesure disciplinaire – la Commission a conclu que la suspension d’un jour était une sanction appropriée pour l’inconduite.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date : 20191125

Dossier : 566-02-7785

 

Référence : 2019 CRTESPF 113

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la Commission des relations de travail et l’emploi dans le
 secteur public fédéral

ENTRE

 

Terry Kowal

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(
Agence des services frontaliers du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Kowal c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant :  James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Erin Sandberg, avocate

Pour le défendeur :  Alexandre Toso, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),

les 24 et 25 septembre 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION  (TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Résumé des événements ayant donné lieu au grief

[1]  Terry Kowal, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est employé par le Conseil du Trésor à l’Agence des services frontaliers du Canada (« ASFC » ou le « défendeur ») dans le groupe des Agents des services frontaliers (« ASF »). Son poste est situé au passage à la frontière canado-américaine à Noyan (Québec).

[2]  Depuis de nombreuses années, la famille Kaiser exploite une entreprise agricole près de Noyan (Québec), à environ trois kilomètres de la frontière canado-américaine. Il arrive à l’occasion que l’entreprise agricole obtienne des produits des États-Unis. Le 20 juillet 2010, Mathias Kaiser a tenté de retourner au Canada à partir du passage à la frontière canado-américaine à Noyan avec des produits, entre autres six gallons de perméthrine, un type d’insecticide (les « marchandises »).

[3]  En raison de la nature de la perméthrine, un permis délivré par Santé Canada était exigé pour importer les marchandises au Canada, ce que M. Kaiser ne détenait pas. L’ASF en fonction à ce moment, M. « F » (le nom est anonyme pour des raisons de confidentialité), qui n’a pas témoigné à l’audience, a saisi les marchandises et a avisé M. Kaiser qu’elles seraient retenues pendant 40 jours ou jusqu’à ce qu’un permis soit obtenu.

[4]  Le 20 juillet 2010, M. F a délivré à M. Kaiser un formulaire de l’ASFC intitulé : « Reçu global pour éléments non monétaires » (le « formulaire K24 »). Il représente la saisie des marchandises dans l’attente d’un permis.

[5]  Trois jours plus tard, le 23 juillet 2010, le fonctionnaire, également un ASF, était en fonction au poste frontalier de Noyan quand M. Kaiser est revenu et a informé le fonctionnaire qu’il avait pris la décision de ne pas chercher à obtenir de permis de Santé Canada. Il retournerait plutôt les marchandises aux États-Unis.

[6]  Quand il a livré les marchandises à M. Kaiser, le fonctionnaire a signé le formulaire K24, mentionnant que les marchandises avaient été exportées le 23 juillet 2010. Le fonctionnaire n’a pas supervisé l’exportation des marchandises aux États‑Unis.

[7]  M. Kaiser n’a pas immédiatement retourné ses marchandises aux États-Unis. Il est plutôt retourné à la ferme familiale. Son fils a retourné les marchandises au distributeur américain le 27 juillet 2010. Quand la direction de l’ASFC a été mise au courant des faits du 23 juillet 2010, une enquête disciplinaire a été effectuée. Une audience disciplinaire a été tenue le 15 juillet 2011, moment auquel le fonctionnaire a reconnu son inconduite et a exprimé des remords pour ses actions.

[8]  Le 10 septembre 2011, le fonctionnaire a été mis au courant de sa sanction, une suspension sans solde d’un jour, à exécuter le 15 septembre 2011.

[9]  Le grief a été déposé le 17 septembre 2011, et a été rejeté à tous les paliers.

[10]  Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTEFP) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84), et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 396 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d’un grief avant le 1er novembre 2014 continue d’exercer les pouvoirs prévus par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP) dans sa version antérieure immédiatement avant ce jour.

[11]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la LCRTEFP et de la LRTFP pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[12]  Le grief a été renvoyé à l’arbitrage et je l’ai entendu les 24 et 25 septembre 2019 à Montréal (Québec). Pour les motifs qui suivent, je rejette le grief. La suspension d’un jour qui a été imposée initialement était une sanction juste et équitable pour l’inconduite en cause et demeurera en vigueur.

II.  Résumé de la preuve

[13]  La description de travail de l’ASF contient le texte suivant :

[Traduction]

[…]

L’agent des services frontaliers avec des responsabilités relatives à l’application de la loi fournit le contrôle frontalier pour la protection de la société et l’économie canadiennes par la facilitation de la circulation légitime à la frontière et la prévention d’entrée des gens et des marchandises qui constituent un risque potentiel pour le Canada.

[…]

[14]  Le même document contient le passage suivant concernant les responsabilités de l’ASF :

[Traduction]

[…]

Selon l’observation, le questionnement et l’analyse de données, il décide s’il convient de livrer les marchandises au Canada, d’admettre, de permettre ou de refuser l’entrée à des individus et entame l’arrestation ou le renvoi d’individus qui omettent de se conformer aux lois canadiennes ou qui constituent un risque pour le Canada. Pendant les activités d’application de la loi, il applique divers niveaux de sanction incluant les avertissements, les sanctions pécuniaires, les saisies de marchandises, les documents et les véhicules, la détention et l’arrestation, imposant des conditions sur les individus pour leur entrée, leur renvoi et leur refus. Les décisions sont fondées sur l’application de la loi et les lignes directrices. Le pouvoir discrétionnaire est fréquemment exercé pour rendre une décision qui est équilibrée et juste et qui résistera à une contestation judiciaire.

[…]

[15]  Aucune personne directement en cause dans les événements au poste frontalier de Noyan ne s’est présentée à la barre des témoins – ni le fonctionnaire, ni les ASF, ni aucun membre de la famille Kaiser.

[16]  Deux témoins ont témoigné au nom du défendeur. Le fonctionnaire n’a présenté aucun élément de preuve. Il s’est appuyé sur les renseignements fournis par les témoins du défendeur pour faire valoir ses arguments.

[17]  L’enquêteur interne, Hervé Dominique, et la superviseure immédiate du fonctionnaire, Mélanie Dinarzo, ont tous les deux témoigné. Ils ont déposé un certain nombre de documents en preuve. Ils ont tous les deux témoigné en se fiant à leur mémoire et parfois en se fiant au rapport d’enquête de M. Dominique, ainsi qu’à d’autres documents.

[18]  Mme Dinarzo était absente du 8 octobre au 7 décembre 2010. M. « G » (le nom est anonyme pour des raisons de confidentialité) était le surintendant intérimaire en son absence.

[19]  M. Dominique a témoigné quant à la façon dont l’enquête interne a été amorcée. L’introduction de son rapport d’enquête se lit, en partie, comme suit :

[Traduction]

[…]

5. En novembre 2010, [M. G] était le surintendant intérimaire aux bureaux de Clarenceville et de Noyan. Dans un rapport présenté à la direction le 18 novembre 2010, il a indiqué que trois inspecteurs du bureau de Noyan qui désiraient rester anonymes l’avaient informé d’un incident qui s’était déroulé en juillet 2010 et qui impliquait une inconduite de la part [du fonctionnaire]. L’histoire révèle qu’initialement, le 20 juillet 2010, l’ASF [M. F] avait détenu six gallons d’herbicide importés par FERME IMPÉRIALE, en se servant d’un formulaire officiel de l’ASF [K24]. Les marchandises n’étaient pas conformes au règlement de Santé Canada, et un permis d’importation leur était nécessaire pour être admissibles. Le rapport précisait que quelques jours plus tard, [le fonctionnaire] a livré les marchandises à l’importateur sans que ce dernier ait satisfait aux exigences canadiennes en matière d’importation, et que l’importateur a fait entrer des marchandises non admissibles au Canada. [M. G] a donc examiné le formulaire K24 et a remarqué que, le 23 juillet 2010, [le fonctionnaire] avait autorisé l’exportation des marchandises aux États-Unis […]

[…]

[20]  Le mandat de l’enquête interne a été officialisé le 26 novembre 2010, affectant M. Dominique, affecté à l’unité des normes professionnelles de l’ASFC, qui l’a mené.

[21]  À ce moment-là, une enquête séparée et de manière indépendante a également été ordonnée sur certains aspects des intérêts privés du fonctionnaire en raison d’un soupçon concernant un conflit d’intérêt réel ou perçu. M. Dominique a également mené cette enquête. Les allégations de conflit d’intérêts ont fait l’objet d’une enquête complète et se sont révélées non fondées, et n’ont donné lieu à aucune forme de mesure disciplinaire.

[22]  Le 7 décembre 2010, Mme Dinarzo est retournée au bureau à la suite de son congé, alors que M. G l’a informée de ce qu’il avait entendu au bureau au sujet des événements du 23 juillet 2010. Elle a immédiatement demandé au fonctionnaire de fournir sa version des faits. Il lui a fourni une note datée du 15 décembre 2010, qui se lit comme suit :

[Traduction]

À la suite de votre demande pour que je réponde à des « rumeurs que les marchandises saisies dans le formulaire K24 no A066168 – n’ont pas été exportées ».

Le 23 juillet 2010, M. Kaiser s’est présenté au comptoir à Noyan pour demander si ses marchandises étaient encore retenues par nous. Je lui ai expliqué qu’il aurait besoin de l’accord d’autres ministères et organismes gouvernementaux pour les importer, par exemple : permis d’importation d’ARLA. M. Kaiser a compris et a décidé de les exporter. J’ai apposé ma signature et inscrit la date sur le formulaire K24 et je l’ai agrafé à notre dossier. M. Kaiser a compris que les marchandises devaient être exportées et est parti avec elles et est retourné à son véhicule. J’ai poursuivi avec ma routine quotidienne dans notre bureau. Aujourd’hui et dans le passé, je n’ai aucune raison de croire que les marchandises n’ont pas été exportées.

[23]  Mme Dinarzo a transféré la note à M. Dominique, qui l’a lue le 8 février 2011. Le 11 février 2011, il a envoyé un courriel au fonctionnaire afin de fixer une entrevue avec lui. Le fonctionnaire a fait savoir à M. Dominique qu’en août 2010, il avait obtenu, de la famille Kaiser, une facture commerciale prouvant que les marchandises avaient été exportées et l’avait agrafée au dossier des formulaires K24. Le fonctionnaire a fourni à M. Dominique une copie de la facture, sur laquelle est apposé un timbre dateur indiquant [traduction] « 27 juillet 2010, Rouses Point (NY) ».

[24]  Un énoncé conjoint des faits (ECF) soumis par les parties avant l’audience indique que Mathias Kaiser a tenté d’entrer au Canada avec les marchandises le 20 juillet 2010, et est retourné au poste frontalier de Noyan le 23 juillet 2010, et a parlé au fonctionnaire à leur sujet.

[25]  Selon les notes de M. Dominique pendant son entrevue avec M. Kaiser, le 23 juillet 2010, M. Kaiser a dit au fonctionnaire qu’il avait pris la décision de ne pas obtenir de permis d’importation et qu’il retournerait simplement les marchandises au distributeur américain pour obtenir un remboursement. La facture indiquait un prix d’achat de 119,70 $ pour les six gallons de perméthrine.

[26]  M. Kaiser a raconté à M. Dominique que le fonctionnaire lui avait remis la boîte contenant la perméthrine, ainsi que des directives claires pour exporter la marchandise. M. Kaiser avait pleinement l’intention de retourner les marchandises, mais il se trouve qu’il aurait reçu un appel lui laissant savoir qu’on avait besoin de lui à la ferme. Au lieu de reconduire les marchandises aux États-Unis., il les a mises dans son camion et s’en est allé directement à la ferme.

[27]  M. Kaiser a dit à M. Dominique qu’il pensait qu’il y avait un peu de marge de manœuvre dans les instructions que le fonctionnaire a fournies. M. Kaiser n’avait pas l’impression qu’il devait immédiatement les retourner aux États-Unis, ce pourquoi il a décidé de se rendre à l’entreprise familiale à la ferme au lieu de se rendre directement aux États-Unis avec la perméthrine.

[28]  M. Kaiser a dit à M. Dominique qu’au moment où il était à la ferme, la perméthrine n’a jamais été sortie du camion. Elle y est restée quatre jours, après quoi M. Kaiser a demandé à son fils, Nathan Kaiser, de la rapporter au distributeur américain et d’obtenir un remboursement. Le 27 juillet 2010, le plus jeune M. Kaiser a suivi les consignes de son père, mais pas par le poste frontalier de Noyan. Il est passé par Rouses Point (NY), qui est à environ 10 km.

[29]  Mme Dinarzo et M. Dominique ont indiqué dans leur témoignage qu’ils n’étaient pas au courant du fait qu’un membre de la famille Kaiser (ou qu’un aspect de l’exploitation agricole de la famille Kaiser) a été impliqué dans une activité transfrontalière suspecte dans le passé. Tout porte à croire que les Kaiser sont de [traduction] « grands voyageurs » à la frontière, avec un dossier irréprochable. Aucune mesure d’exécution n’a jamais été prise contre aucun d’entre eux ou contre leur ferme en raison des événements du 23 juillet 2010.

[30]  M. Dominique a indiqué dans son témoignage qu’il avait reçu l’information de la part de M. G selon laquelle certains ASF au bureau de Noyan avaient visionné une vidéo montrant M. Kaiser conduisant le camion qui transportait les marchandises en question directement au Canada le 23 juillet 2010, au lieu d’effectuer les deux virages à gauche nécessaires pour retourner directement aux États-Unis.

[31]  M. Dominique n’a pas visionné la séquence vidéo en question parce qu’elle avait été effacée. Les enregistrements ne sont gardés que 60 jours.

[32]  M. Dominique a interrogé le fonctionnaire le 18 février 2011, date à laquelle le fonctionnaire a avoué avoir certifié, au moyen du formulaire K24, l’exportation des marchandises aux États-Unis. Le fonctionnaire a souligné à M. Dominique qu’il n’avait aucune raison de soupçonner que M. Kaiser ne les exporterait pas, conformément à ses consignes. Il a avoué ne pas avoir observé le départ de M. Kaiser parce que le téléphone a sonné et il a plutôt répondu au téléphone.

[33]  Le fonctionnaire a ajouté qu’une caméra en circuit fermé est en place pour visionner le mouvement des véhicules, mais au moment pertinent, l’écran de visualisation n’était pas situé dans l’aire de travail. L’écran était dans une pièce adjacente loin du comptoir, le fonctionnaire n’était donc pas en mesure de visionner le tout. Il a simplement eu confiance dans le fait que M. Kaiser suivrait les consignes et exporterait les marchandises. Le fonctionnaire a dit à M. Dominique que M. Kaiser est un [traduction] « particulier à risque faible » bien connu et auquel on fait confiance au bureau de Noyan.

[34]  Mme Dinarzo, la responsable de la décision de cette affaire disciplinaire, a passé en revue le rapport d’enquête et a décidé de tenir une audience disciplinaire.

[35]  L’audience disciplinaire a été tenue le 15 juillet 2011. Mme Dinarzo a indiqué dans son témoignage qu’à l’audience, le fonctionnaire a proposé une admission complète à l’allégation. Il a mentionné avoir dit à M. Kaiser que les marchandises ne pouvaient pas entrer au Canada et qu’elles devaient être exportées. Il a reconnu le fait à Mme Dinarzo que, bien qu’il ait signé le formulaire K24 indiquant que les marchandises avaient été exportées, il ne les a pas réellement vues être retournées aux États‑Unis. Il a reconnu que le fait de le faire faisait partie de ses fonctions, mais qu’il a plutôt choisi de répondre au téléphone, ce qui fait aussi partie de ses fonctions. Le fonctionnaire a dit à Mme Dinarzo connaître M. Kaiser et lui faire confiance, et qu’il n’y a aucune raison de soupçonner que cette personne de confiance ne suivrait pas immédiatement ses consignes. Mme Dinarzo a indiqué dans son témoignage la claire expression de remords du fonctionnaire à l’audience disciplinaire, et elle l’a considérée comme facteur atténuant important.

[36]  Selon Mme Dinarzo, d’autres facteurs atténuants pris en considération étaient les longues années de service du fonctionnaire auprès de l’ASFC et son dossier exempt de mesure disciplinaire. Elle a considéré que l’incident était un événement isolé et étranger à sa personnalité.

[37]  Selon Mme Dinarzo, les facteurs aggravants étaient à deux volets. Premièrement, le fonctionnaire était loin d’être complètement direct quand l’incident du 23 juillet 2010 a été mis en lumière. Dès le mois d’août 2010, il aurait pu indiquer l’existence de la facture commerciale montrant l’exportation éventuelle de la marchandise le 27 juillet 2010. Il a plutôt attendu plus longtemps avant de la divulguer. Il n’a pas non plus fourni un compte rendu complet et honnête de ses actions dans le message du 15 décembre 2010 à Mme Dinarzo, et il n’a pas dit toute la vérité, tel qu’elle le mentionne, jusqu’à son audience disciplinaire le 15 juillet 2011.

[38]  Le deuxième facteur aggravant, selon Mme Dinarzo, portait sur la nature des marchandises en question que le fonctionnaire avait permises dans le pays. La perméthrine nécessite un permis d’importation puisqu’elle constitue un risque sur l’environnement et pour la santé. Il n’y a eu aucun contrôle sur la manière dont les marchandises ont été entreposées une fois qu’elles sont parties du bureau du poste frontalier de Noyan. Il n’y avait également aucune preuve (sauf circonstancielle) que les produits chimiques qui ont été retournés étaient les mêmes, en matière de quantité ou de composition, que les produits chimiques qui sont partis du poste frontalier de Noyan.

[39]  Mme Dinarzo a consulté d’autres membres de la direction et s’est familiarisée avec des mesures disciplinaires similaires dans le but d’en arriver à une peine juste et équitable. Elle sentait qu’une suspension sans solde de deux à trois jours était en ordre, mais elle a décidé d’une suspension d’une seule journée en raison du poids des facteurs atténuants.

[40]  Le 10 septembre 2011, le fonctionnaire a été mis au courant de sa peine, consistant en une suspension sans solde d’un jour, à purger le 15 septembre 2011. Deux jours plus tard, le grief a été déposé.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour l’employeur

[41]  Wm. Scott & Company Ltd. c. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P‑162, [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL) (« Scott »), fournit le cadre pour l’analyse qui doit être menée. Tout d’abord, y avait-il un fondement factuel à l’imposition de la discipline? Le cas échéant, la mesure disciplinaire imposée était-elle excessive? Le cas échéant, en quoi devrait consister la mesure appropriée?

[42]  L’employeur a soutenu qu’il y avait un fondement factuel à l’imposition de la discipline, que la sanction n’était pas excessive et qu’elle ne devrait pas être modifiée. Un employeur a le droit d’imposer une mesure disciplinaire pour un employé qui ne suit pas les procédures et pour l’insouciance face à l’exécution des fonctions, tel qu’illustré par les cas suivants :

  • · Brown c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 2;

  • · Eden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 37;

  • · Stewart c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 106;

  • · Hogarth c. Conseil du Trésor (Agence canadienne d’inspection des aliments), dossier de la CRTFP 166‑02-15583 (19870331), [1987] C.R.T.F.P.C. no 85 (QL);

  • · Mercer c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du développement des compétences), 2016 CRTEFP 11;

  • · Touchette c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 72.

 

[43]  Mercer, au paragraphe 55, suggère qu’un « […] arbitre de grief ne doit mitiger une mesure disciplinaire que lorsque celle-ci est manifestement déraisonnable ou erronée ». Selon le défendeur, cela est conforme à Scott en ce sens que cela revient à décider si une sanction est excessive est équivalente à décider si elle est considérée comme raisonnable ou manifestement déraisonnable ou erronée.

[44]  Il y a de bonnes raisons de donner au défendeur une marge de manœuvre en ce qui concerne la détermination de la mesure disciplinaire adéquate dans tous les cas. Tel qu’énoncé dans Rolland Inc. v. Canadian Paperworkers Union, élocal 310, [1983] O.L.A.A. no 75 (QL) au paragraphe 30 :

[Traduction]

30 Compte tenu des circonstances, nous ne sommes pas portés à intervenir à l’égard de la pénalité que l’employeur a choisie. En règle générale, nous ne croyons pas qu’il est souhaitable qu’un conseil d’arbitrage tente de « peaufiner » une décision en matière de gestion respectivement à la discipline qui n’est pas en soi déraisonnable ou excessive. En faire autrement ne ferait qu’encourager les litiges onéreux pour les fonctionnaires, espérant peut-être que des gains mineurs (peu importe le coût global) mettent de la pression sur leurs agents négociateurs pour qu’ils soumettent toute affaire disciplinaire à l’arbitrage […]

[45]  Le défendeur connaît le mieux le milieu de travail. La mesure disciplinaire imposée peut être liée à des buts ou à des positions précis qu’il essaie d’appliquer. Dans ce cas, l’un des principaux facteurs était de faire comprendre à tous les ASF l’importance de l’exécution adéquate de leurs fonctions principales.

[46]  Le défendeur a abordé l’un des facteurs aggravants identifiés par Mme Dinarzo, notamment l’omission du fonctionnaire de divulguer entièrement tous les détails de la transaction du 23 juillet 2010 alors qu’il en avait la possibilité. Il n’a pas été malhonnête délibérément, mais il était certainement loin d’être complètement direct, élément qui devrait être pris en compte comme facteur aggravant.

[47]  Selon le défendeur, eu égard à toutes les circonstances de l’espèce, la mesure disciplinaire a été imposée de manière adéquate en lien avec une infraction claire à la politique et n’était pas excessive. Le grief devrait être rejeté.

B.  Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[48]  Le fonctionnaire a soutenu qu’il n’y avait aucun fondement factuel à l’imposition d’une mesure disciplinaire en l’espèce. L’exercice de son pouvoir discrétionnaire de ne pas garder M. Kaiser dans sa ligne de mire pour assurer l’exportation immédiate de la marchandise n’a pas représenté d’inconduite.

[49]  Avec ses 25 années d’expérience, le fonctionnaire connaît très bien M. Kaiser, et il a évalué convenablement le risque associé à la situation. Il avait confiance que M. Kaiser suivrait les consignes et a ensuite poursuivi ses fonctions, qui comprenaient répondre au téléphone.

[50]  Le défendeur n’a fourni aucun motif pour lequel il n’a pas effectué de suivi et imposé une certaine sanction à M. Kaiser pour avoir importé les marchandises de façon inappropriée.

[51]  Il n’y avait pas d’écran à circuit fermé au poste de travail qui aurait permis au fonctionnaire de répondre au téléphone et d’observer les mouvements du camion de M. Kaiser en même temps. Il est intéressant de souligner qu’après cet événement, des écrans ont été installés dans les bureaux du poste frontalier de Noyan dans le but de pallier cette lacune.

[52]  La lettre de suspension du fonctionnaire énonce seulement qu’il [traduction] « […] a agi en violation des politiques et de la procédure énoncées dans le Mémorandum D et dans le Manuel sur le traitement des personnes de l’ASFC » ainsi que dans le Code de conduite de l’ASFC. Ce texte est trop étendu et vague, et ne fournit aucune information quant à savoir quelles actions précisément ont été sanctionnées. Aucune explication des facteurs aggravants et atténuants considérés n’a été apportée, ni le poids qui leur est accordé; il mentionne seulement qu’ils ont été pris [traduction] « en considération ».

[53]  En fait, l’imprécision de cette lettre de suspension est telle que le fonctionnaire n’a été informé qu’à son audience qu’il n’était pas sanctionné pour l’allégation de conflit d’intérêts. Le rapport d’enquête indique clairement deux types d’inconduites séparées et distinctes visées par une enquête. Le modèle d’entrevue de Mme Dinarzo, pour l’audience disciplinaire du 15 juillet 2011, comprenait également clairement des questions pour le fonctionnaire sur les problèmes de conflit d’intérêts. La direction ne l’a jamais informé formellement qu’aucune action ne serait à venir sur le conflit d’intérêts. La première fois qu’il a entendu parler de ce développement en particulier était à l’audience, de la part de Mme Dinarzo, à la barre des témoins.

[54]  Malgré l’affirmation du défendeur selon laquelle le fonctionnaire était moins que transparent dans ses actions, le fonctionnaire soutient qu’il a coopéré pleinement avec lui. Pour quelle autre raison fournirait-il volontairement une preuve d’exportation sous forme de copie de la facture commerciale montrant le retour des marchandises? Il a non seulement agrafé la facture au dossier des formulaires K24, mais a également fourni une copie à l’enquêteur quand on le lui a demandé.

[55]  En effet, au paragraphe 46 de son rapport d’enquête, M. Dominique conclut ce qui suit : [traduction] « Les renseignements obtenus ne permettent pas de conclure que le 23 juillet 2010 [le fonctionnaire] a agi délibérément quand Mathias KAISER a temporairement importé les marchandises au Canada. »

[56]  De plus, le fonctionnaire a soutenu que les très longs délais entre l’inconduite alléguée et le rapport et la suspension indiquent une incohérence dans l’allégation du défendeur selon laquelle les événements du 23 juillet 2010 justifient la mesure disciplinaire. Cela ne pouvait pas être une situation urgente puisque rien n’a été fait pour s’assurer que ces événements ne se reproduisent plus, plus précisément compte tenu de la fréquence avec laquelle la famille Kaiser traverse la frontière à la suite de ses activités agricoles.

[57]  L’enquête à l’égard de l’incident du 23 juillet 2010 a été officiellement confiée le 25 novembre 2010. Les interrogatoires ont eu lieu en février 2011, et le rapport définitif a été remis à la direction le 25 mai 2011. Il est un principe bien établi selon lequel les employeurs doivent punir les particuliers de façon raisonnablement expéditive. Le fonctionnaire a soutenu que l’espèce n’a pas été expéditive, et le délai déraisonnable a miné l’allégation du défendeur selon laquelle l’intégrité des frontières a été menacée.

[58]  Dans Heyser c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2015 CRTEFP 70, une employée soupçonnée d’avoir délibérément falsifié des documents a eu le droit de garder son poste, ce qui indique qu’elle ne présentait aucun risque pour les activités de l’organisation. Similairement, en l’espèce, le manque de mesures d’exécution contre M. Kaiser et le temps pris à présenter la question mine l’allégation du défendeur selon laquelle les actions du fonctionnaire ont menacé l’intégrité des frontières canadiennes.

[59]  Ainsi, a soutenu le fonctionnaire, il n’existe aucun fondement permettant l’imposition d’une mesure disciplinaire dès le départ, selon le critère en trois étapes énoncé dans Scott.

[60]  Dans le cas où l’argument présenté par le fonctionnaire ne peut réussir, il a soutenu que la suspension d’un jour était excessive et qu’elle devait être remplacée par une réprimande écrite, étant donné l’absence de facteurs aggravants et la présence de trois facteurs atténuants importants, notamment une carrière de 25 ans exempte de mesure disciplinaire, sa collaboration pendant l’enquête, et le délai déraisonnable à imposer une mesure disciplinaire dès le départ.

[61]  Le fonctionnaire a fait référence à Desjarlais c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 88, pour démontrer l’habileté d’un arbitre de grief à remplacer une mesure disciplinaire punitive excessive par une mesure plus raisonnable selon les circonstances.

IV.  Analyse et motifs

[62]  John Sopinka (c.r.), était juge à la Cour suprême du Canada. Son livre, The Law of Evidence in Canada, (2e éd., Toronto, Butterworths) constitue toujours la première autorité dans ce domaine du droit. Voici ce qu’il a à dire sur les ouï-dire, à la page 173 :

[Traduction]

Les déclarations, écrites ou verbales, ou les communications faites par des personnes autrement que lors d’un témoignage dans le cadre de l’instance où elles sont présentées sont inadmissibles si elles sont produites pour établir leur véracité ou les assertions implicites qui en découlent.

[63]  La meilleure preuve provient de la personne qui peut fournir un récit de première main des événements et peut ainsi être soumise à un contre-interrogatoire. La communication entendue et fréquemment répétée est assujettie à l’interprétation par la personne qui l’a entendue, ce qui peut avoir une incidence sur la qualité du message.

[64]  Les instances devant la Commission ont un critère moins exigeant pour l’admissibilité de la preuve par ouï-dire que, par exemple, la procédure au tribunal criminel, mais les mêmes questions au sujet des obstacles potentiels de preuve par ouï-dire peuvent tout de même survenir.

[65]  La présente audience a été presque entièrement caractérisée par voie de preuves par ouï-dire qui étaient parfois superposées de manière surprenante. Prenons l’exemple des discussions entourant la séquence vidéo de l’ASFC du camion agricole des Kaiser. La séquence décrivait supposément le camion partant du poste frontalier de Noyan pour le Canada, au lieu de faire demi-tour et de se rendre aux États-Unis.

[66]  Un ou plusieurs collègues du fonctionnaire, qui voulaient initialement rester dans l’anonymat, ont vu la séquence, ont accepté ce qu’elle décrivait comme étant la vérité, et en ont parlé à M. G (le superviseur par intérim temporaire des bureaux de Noyan). M. G n’a pas visionné la vidéo, mais a parlé à l’enquêteur interne de sa brève existence (effacée après 60 jours) et de son importance possible vis-à-vis la culpabilité du fonctionnaire. M. Dominique a pris des notes sur le contenu de la séquence vidéo, les a documentées dans son rapport d’enquête, et a livré un témoignage sur l’existence temporaire de la vidéo ainsi que sur son importance possible à l’allégation contre le fonctionnaire.

[67]  Mon professeur de première année pour la Loi de l’évidence aurait littéralement salivé face aux multiples répercussions de ouï-dire des faits, qui auraient sûrement fait leur chemin dans mon examen final s’il les avait conçus. Je peux seulement espérer que j’aurais répondu au problème tel que je l’attaque actuellement. Je ne peux accepter la séquence vidéo fantôme pour la vérité de son contenu. J’inclus cet exemple pour démontrer uniquement l’ampleur et l’étendue de quelques questions de ouï-dire qui figurent en l’espèce.

[68]  Les seuls témoins, M. Dominique et Mme Dinarzo, ont fondé leur témoignage sur ce que les autres ont dit. La plupart du temps, voire tout le temps, je pense qu’ils l’ont bien fait, plus particulièrement lorsque leur témoignage a été corroboré par d’autres documents, tels que la facture commerciale ou le formulaire K24. À un certain moment, brièvement, les faits étaient un peu flous. Il y a eu un moment où on ne savait plus [traduction] « quel membre de la famille Kaiser avait fait quoi » avec les marchandises, jusqu’à ce que l’ASF intervienne pour clarifier le tout.

[69]  À aucun moment pendant l’audience ne m’a-t-on invité pour entendre une objection concernant une preuve par ouï-dire.

[70]  Il n’y a pas non pas plus eu de litiges soulevés par la crédibilité des témoins. Tous les deux ont fourni un témoignage franc, crédible et honnête. Si l’on met de côté la confusion de M. Dominique au sujet des membres de la famille Kaiser, je conclus que toute imprécision ou incertitude concernant les détails était attribuable seulement au passage du temps et non à la partialité ou aux intérêts directs du résultat.

[71]  Mme Dinarzo a indiqué dans son témoignage qu’à l’audience disciplinaire du 15 juillet 2011, le fonctionnaire a pleinement avoué avoir sciemment négligé ses fonctions de superviser adéquatement l’exportation de la marchandise le 23 juillet 2010. Il s’agit d’un cas typique de ouï-dire; une déclaration extrajudiciaire présentée pour la vérité de son contenu. Toutefois, il s’agissait d’une déclaration contre intérêt faite par le fonctionnaire, qu’il avait l’occasion de réfuter par témoignage verbal et ne l’a pas fait. Mme Dinarzo n’avait aucun motif apparent ou imaginable d’embellir cet aspect de l’affaire ou de dénaturer la vérité des événements qui se sont passés lors de l’audience disciplinaire. Par conséquent, je tiens pour avérée la caractérisation des paroles du fonctionnaire. Il s’agit d’un aspect important à ma décision pour établir l’allégation d’inconduite.

[72]  Je tiens également pour avéré le compte rendu sincère des expressions de remords et de regret de Mme Dinarzo fourni par le fonctionnaire à l’audience disciplinaire. Selon Mme Dinarzo, le fonctionnaire savait que ce qu’il avait fait était mal, et il a dit qu’il le regrettait sincèrement. J’accepte cette expression de regret comme facteur atténuant important.

[73]  Le fonctionnaire a choisi de ne pas témoigner, même s’il était présent tout au long des témoignages des deux témoins du défendeur. Cela n’a aucune incidence sur la véracité de certaines affirmations, telles que ses 25 années de service par un historique de mesures disciplinaires sans tache. Cela n’a pas non plus d’incidence sur la sincérité de son expression de remords.

[74]  Toutefois, le fait qu’il n’a pas témoigné rend la tâche d’accepter certaines autres prétentions sans réserve plus difficile. Le fonctionnaire a soutenu que ses actions du 23 juillet 2010 étaient un exercice de pouvoir discrétionnaire et d’évaluation des risques justifiables.

[75]  Il convient de souligner que l’évaluation des risques est un exercice très subjectif. Il est difficile d’accepter aveuglément son évaluation des risques en l’absence de l’habileté du défendeur à le contre-interroger sur ses choix à ce moment.

[76]  Certaines questions pressantes viennent à l’esprit pour ce qui est de la question du risque. Par exemple, quelle était l’urgence de répondre au téléphone plutôt que de rester debout à observer pour s’assurer que le camion fasse les deux virages à gauche plutôt que de continuer tout droit au Canada? Apparemment, d’autres ASF étaient à leur poste. L’un d’eux n’aurait-il pas pu répondre au téléphone? Devait-on répondre à l’appel immédiatement? Y a-t-il un système de boîte vocale mis en place? S’il sentait simplement qu’il devait décrocher le téléphone, le fonctionnaire n’aurait-il pas pu dire à l’interlocuteur : [traduction] « Gardez la ligne, s’il vous plaît, je dois exécuter une tâche rapide », et retourner regarder le camion pendant environ 10 secondes?

  • [77] En l’absence d’un témoignage convaincant de la part du fonctionnaire, je conclus que j’arrive à une évaluation des risques complètement différente. Demandez à toute personne raisonnable de peser l’entrée non autorisée d’un insecticide apparemment dangereux dans le pays contre répondre au téléphone. Observer un camion agricole pendant quelques instants est de loin l’option la plus risquée. La sonnerie du téléphone peut attendre. Si l’appel était urgent, l’interlocuteur aurait sans aucun doute téléphoné à nouveau ou au moins laissé un message.

[78]  Le fonctionnaire a également soutenu que la première fois qu’il s’est rendu compte qu’il ne faisait face à aucune mesure disciplinaire pour la question alléguée du conflit d’intérêts dans le rapport d’enquête était à l’audience. Le fonctionnaire a caractérisé cela comme un facteur atténuant important, mais il ne l’a soulevé que dans les observations finales. Il n’y avait aucun soutien par une preuve directe, seulement indirecte, dans les documents déposés par le défendeur.

  • [79] S’il avait pris la barre des témoins, le fonctionnaire aurait pu répondre à certaines questions clés au sujet de son niveau de compréhension sur son degré de danger aux différentes étapes de la procédure.

[80]  En l’état actuel des choses, je suis forcé de me fier aux documents au dossier pour déterminer le niveau de compréhension que le fonctionnaire aurait vraisemblablement eu. La lettre de suspension, du 6 septembre 2011, ne renvoie qu’à une seule allégation d’inconduite. Elle commence ainsi : [traduction] « Cette lettre donne suite à notre rencontre du 15 juillet 2011. Lors de cette rencontre, nous avons discuté du rapport d’enquête qui répond aux normes professionnelles PR 10-277 (le Rapport) auquel les événements du 23 juillet 2010 ont donné lieu. »

[81]  Le grief de sa suspension sans solde d’un jour a été présenté le 17 septembre 2011, et a été considéré au premier palier le 28 octobre 2011. Le 2 novembre 2011, il a accusé réception de la décision de rejeter son grief à ce palier, qui renvoie encore à une seule allégation d’inconduite, comme suit :

[Traduction]

L’employeur considère que l’inconduite que vous avez commise le 23 juillet 2010, avoir agi en violation des directives sur l’exportation de marchandises, constitue un grave manque à vos obligations et à vos responsabilités en tant que garde-frontière. Par conséquent, je maintiens ma décision de vous suspendre pour une journée.

  • [82] Son grief a également été rejeté au palier suivant, et le fonctionnaire a accepté la décision avec sa signature le 24 janvier 2012. Le rejet du grief est énoncé dans les cinq paragraphes suivants :

[Traduction]

[…]

La présente renvoie à vote grief (numéro 2011-3921-106172) dans lequel vous contestez la décision de l’Employeur de vous suspendre sans solde une journée, le 15 septembre 2011.

À titre de mesure corrective, vous avez demandé que l’Employeur vous rembourse pour cette journée de suspension sans solde, avec l’intégralité des prestations, et qu’il explique la raison de cette suspension. Vous avez également demandé que tous les documents soient retirés de votre dossier permanent et qu’aucun préjudice ne soit retenu contre vous.

Une audition du grief a été tenue le 31 octobre 2011 avec
M. Florent Roy, président du SDI des Cantons-de-l’Est et M. Patrick Toupin, conseiller en relations de travail.

En tant qu’agent des services frontaliers (ASF), l’une de nos responsabilités et de nos obligations principales est de s’assurer que les produits qui n’ont pas de permis adéquats soient exportés avec diligence.

Après avoir examiné tous les renseignements contenus au dossier et les arguments présentés par votre représentant syndical lors de votre audience, je suis d’avis que le 23 juillet 2011, vous n’avez pas mis en application la Directive sur l’exportation de marchandises en ne contrôlant pas l’exportation des marchandises aux États-Unis. Ce faisant, vous avez manqué à l’une de vos responsabilités et obligations principales en tant qu’ASF.

  • [83] Jusqu’à présent, il me semble qu’on dirait faire des reproches au fonctionnaire uniquement pour ne pas avoir effectué une surveillance adéquate de l’exportation des marchandises le 23 juillet 2010 (la date incorrecte dans le paragraphe ci-dessus est évidemment une erreur typographique).

[84]  Si des doutes subsistent quant à l’étendue du danger du fonctionnaire, ils doivent certainement être dissipés par le message de la réponse au grief au dernier palier, que le fonctionnaire a accepté en apposant sa signature le 15 octobre 2012 :

[Traduction]

La présente est en réponse à votre grief daté du 17 septembre 2011, dans lequel vous avez contesté la décision de la direction d’une suspension sans solde d’un jour le 15 septembre 2011. À titre de mesure corrective, vous avez demandé que votre suspension soit annulée et que les 7,5 heures de paie perdue soient remboursées avec l’intégralité des prestations.

J’ai examiné attentivement les circonstances qui ont donné lieu à votre grief et j’ai considéré les arguments présentés par votre représentant du syndicat des douanes et de l’immigration.

La suspension a été imposée puisque vous avez manqué d’assurer que les produits, qui n’avaient pas les permis adéquats, soient retournés aux États-Unis sous la supervision de l’ASFC sans délai. Votre négligence a entraîné l’importation de ces produits au Canada.

Vous n’avez pas satisfait à vos obligations et à vos responsabilités en tant qu’agent des services frontaliers. Par conséquent, je conclus que votre suspension était une mesure raisonnable afin de vous faire comprendre la gravité de votre inconduite.

Ainsi, votre grief est rejeté et aucune prise d’autres mesures correctives n’aura lieu.

  • [85] Il est difficile d’imaginer comment le fonctionnaire pourrait possiblement penser qu’il pourrait y avoir quelque ambiguïté quant à la portée de son inconduite. Aucune mention n’a jamais été faite, à aucun niveau de considération de son grief, de rien du tout qui aurait à voir avec une allégation de conflit d’intérêts. La seule allégation qui a été mentionnée (et elle a été mentionnée constamment) était celle de ne pas avoir supervisé de manière adéquate l’exportation des marchandises le 23 juillet 2010. Son argument d’ambiguïté et de manque de précision est absolument rejeté.

  • [86] Il est également difficile de conclure, par la simple allégation dans les observations finales plutôt que par le témoignage sous serment, la position du fonctionnaire selon laquelle il a pleinement collaboré à l’enquête. S’il avait pris la barre des témoins, le fonctionnaire aurait pu répondre aux questions au sujet de l’omission apparemment délibérée d’un détail important dans son message du 15 décembre 2010 à Mme Dinarzo. La dernière phrase de son message se lit comme suit : [traduction] « Aujourd’hui et dans le passé, je n’ai aucune raison de croire que les marchandises n’ont pas été exportées. » Aucune raison autre que, peut-être, la présence d’une facture commerciale qu’il a obtenue quatre mois plus tôt, indiquant que la perméthrine, qu’il a certifiée comme ayant été dûment exportée le 23 juillet 2010, aurait été exportée quatre jours plus tard, le 27 juillet 2010.

[87]  S’il avait pris la barre des témoins, le fonctionnaire aurait également pu avoir la possibilité d’expliquer la raison pour laquelle, en août 2010, il n’a pas fait de suivi avec une suggestion à la direction au sujet d’une mesure d’application de la loi quand il a appris que M. Kaiser avait délibérément ignoré sa consigne d’exporter. Une explication possible pourrait être que le fonctionnaire s’est simplement contenté de ne pas réveiller le chat qui dort, espérant que la négligence de ses fonctions ne soit jamais révélée.

  • [88] La négligence des fonctions comporte un élément important de mens rea. Cette expression en latin se traduit littéralement par « intention coupable », et elle signifie qu’afin de prouver la négligence de ses obligations, il faut prouver que la personne en question savait qu’elle avait une fonction à remplir, et qu’elle a délibérément pris la décision de ne pas la remplir.

[89]  Le fonctionnaire a admis franchement à son audience disciplinaire le 15 juillet 2011 qu’il a sciemment négligé ses fonctions. Cela constitue une preuve plus que suffisante, selon une prépondérance d’une probabilité, de mens rea. Toutefois, je conclus également que la retenue délibérée du fonctionnaire de renseignements importants (l’existence de la facture commerciale, et la décision de ne pas suggérer de mesure d’exécution contre M. Kaiser), parce que cela révélerait sa propre inconduite, est une preuve circonstancielle supplémentaire d’une intention coupable.

[90]  Je suis d’avis avec les deux parties : Scott fournit le cadre pour l’analyse en l’espèce, et la première étape consiste à déterminer si l’inconduite survenue justifiait une sanction. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus d’une preuve claire et convaincante que le 23 juillet 2010, le fonctionnaire a sciemment négligé ses fonctions de superviser adéquatement l’exportation de marchandises qu’il avait remises à M. Kaiser. L’allégation est fondée, et il y avait un fondement valide pour une mesure disciplinaire puisque le contrôle approprié et la supervision de gens et de marchandises aux postes frontaliers canadiens sont au cœur du mandat de l’ASFC.

[91]  L’étape suivante dans l’analyse de Scott est une évaluation pour voir si la peine imposée était raisonnable. Elle implique l’évaluation des facteurs aggravants et atténuants.

A.  Facteurs aggravants

[92]  Compte tenu de la négligence du fonctionnaire face à ses fonctions, les produits chimiques qui constituent potentiellement un risque sur l’environnement et pour la santé ont pu entrer au Canada sans l’autorisation adéquate. Ils sont restés ici quatre jours avant d’être rapportés aux États-Unis. Le défendeur voudrait que je considère cela comme un facteur aggravant. Ce n’en est pas un. Ces faits ne sont pas externes aux événements en question; ils constituent une partie intégrale de l’inconduite en soi.

  • [93] Il a également été fait mention d’une incertitude quant à savoir si les produits chimiques qui ont été retournés au distributeur le 27 juillet 2010 étaient en fait les mêmes que ceux que le fonctionnaire avait placés sous garde de Mathias Kaiser le 23 juillet 2010. Je conclus qu’en l’absence d’aucune preuve supplémentaire quelconque, le fait que le matériel saisi le 20 juillet 2010 avait une valeur établie à 119,70 $ et semble avoir été remboursé pour ce même montant le 27 juillet 2010, est une preuve suffisante que les marchandises sont simplement restées dans le camion des Kaiser pendant quatre jours, selon les notes d’entrevue de M. Dominique. Je ne considère pas cela comme un facteur aggravant.

[94]  En fait, le seul facteur aggravant que je peux trouver, et c’est pour cette raison que j’ai fait beaucoup d’efforts pour l’aborder, est le manque de collaboration du fonctionnaire. Il n’a pas été délibérément malhonnête, mais il s’est contenté d’attendre discrètement et de voir si son inconduite passerait inaperçue ou serait impunie. Quand il a en effet fourni des renseignements, il a laissé de côté des détails compromettants.

B.  Facteurs atténuants

  • [95] Le fonctionnaire souhaiterait que j’accepte comme facteur atténuant la durée de temps entre la date de l’infraction et la date à laquelle la peine a été imposée. Il a décrit 14 mois comme étant déraisonnables. Je ne suis pas d’avis. Tout d’abord, comme je l’ai déjà mentionné, il s’est contenté de ne pas réveiller le chat qui dort et n’a pas mis en lumière des renseignements jusqu’à ce qu’il en soit obligé. Cela a retardé la résolution définitive des questions de plusieurs mois.

[96]   L’enquête sur les événements de l’inconduite du fonctionnaire le 23 juillet 2010 était relativement simple. Toutefois, elle était accompagnée de ce qui était probablement une enquête bien plus complexe sur des allégations de conflit d’intérêts, qui sont très sérieuses au sein de la fonction publique et ne peuvent être écartées jusqu’à ce qu’une enquête approfondie soit menée. Cela prend un certain temps. En fin de compte, les allégations de conflit d’intérêts n’étaient pas fondées, mais uniquement après qu’une enquête plus complète a été exécutée.

[97]  Considérant le tout, il n’est pas surprenant qu’il se soit passé 14 mois entre l’événement et la mesure disciplinaire. Compte tenu de toutes les circonstances, je ne trouve pas que cette durée est déraisonnable, et je ne conclus pas que cela équivaut à un facteur atténuant.

[98]  Les facteurs atténuants sont néanmoins présents. Le volumineux dossier du service sans tache du fonctionnaire est important. J’ai aussi apprécié entendre parler de son aveu de responsabilité à son audience disciplinaire du 15 juillet 2011, accompagné de ses expressions de regret et de remords. Ce sont d’importants facteurs atténuants. Je ne peux qu’exprimer que j’aurais préféré entendre ces mots du fonctionnaire lui-même, mais je ne doute pas qu’il les a prononcés.

  • [99] Je suis en accord avec la position de Mme Dinarzo au sujet de la sanction appropriée pour une inconduite de cette nature. Je crois qu’une période de suspension sans solde de deux ou trois jours est une peine adéquate. Les Canadiens et Canadiennes doivent pouvoir se fier aux ASF, qui sont souvent la première et la dernière ligne de défense, pour contrôler les marchandises et les personnes au-delà de nos frontières. Une omission délibérée de ces fonctions vise l’essence du mandat de l’ASFC et peut entraîner de sérieuses conséquences. La mise était relativement faible en l’espèce, mais la gravité de ce type d’inconduite ne peut être décrite dans une simple lettre de réprimande. La suspension sans solde est en règle.

[100]  Les facteurs atténuants sont importants, et je conclus qu’ils l’emportent sur le facteur aggravant. Sur cette base, je suis disposé à réduire ce qui serait normalement une suspension de deux ou trois jours à une seule journée.

[101]  Au vu de toutes les circonstances de cette affaire, et compte tenu du poids relatif des facteurs atténuants sur le seul facteur aggravant, une suspension sans solde d’un jour est la peine adéquate. Puisqu’il s’agit de la peine imposée en première instance, nul besoin de procéder à la troisième phase de l’analyse de Scott.

[102]  Pour tous ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[103]  Le grief est rejeté.

Le 25 novembre 2019.

Traduction de la CRTESPF

James R. Knopp,

 une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.