Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief contre sa suspension de huit jours – après le dépôt du grief, la suspension a été annulée – l’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission, soutenant qu’il n’y avait plus de litige entre les parties – de plus, il a soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour examiner les nouvelles allégations du fonctionnaire s’estimant lésé, parce qu’elles n’avaient pas été soulevées pendant la procédure de règlement des griefs, à savoir qu’il a en fait perdu 10 jours de paie plutôt que 8, que le poste qui lui a été attribué à son retour au travail représentait une rétrogradation, et qu’il a éprouvé du stress et de l’angoisse causés par la conduite insouciante et délibérée de l’employeur – la Commission a conclu qu’elle avait compétence pour entendre le grief, puisque la suspension n’avait pas été réglée à la satisfaction du fonctionnaire s’estimant lésé – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir que la suspension lui avait causé la perte de 10 jours de paie plutôt que 8 jours – elle a conclu qu’il ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir que le changement de poste représentant une rétrogradation et que ce changement était lié à sa suspension ou était une forme de mesure disciplinaire déguisée – elle a conclu qu’il n’y avait aucune de preuve sérieuse de stress excessif en raison de la conduite insouciante et délibérée de l’employeur – la Commission a également conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver que les allégations avaient été soulevées lors de la procédure de règlement des griefs.

Objections accueillies en partie.
Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date:  20191203

Dossier:  566-02-14406

 

Référence:  2019 CRTESPF 116

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Josiah Smith

Fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de la Défense nationale)

 

défendeur

 

Répertorié

 Smith c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale).

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant :  Augustus Richardson, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Douglas Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur :  Jena Montgomery, avocate

Affaire entendue à Fredericton (Nouveau-Brunswick),

Du 7 au 9 août 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

[1]  Est-ce que la Commission a compétence relativement à un grief disciplinaire quand un administrateur général annule subséquemment une mesure disciplinaire et allègue qu’il a rétabli l’employé à sa situation antérieure à l’imposition de la mesure disciplinaire? Est-ce que la Commission perd sa compétence dans de tels cas? Cet employé peut-il se plaindre qu’il n’est pas satisfait de la décision et, le cas échéant, qui doit s’acquitter du fardeau de la preuve? Il s’agit des deux questions qui découlent du grief dont je suis saisi.

I.  Le grief

[2]  Le grief portant le numéro « 2014-6327 » (« grief 6327 ») découle d’une décision du ministère de la Défense nationale (l’« employeur ») d’imposer une mesure disciplinaire à Josiah Smith, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), le 28 mars 2014. Le fonctionnaire a été suspendu sans traitement pendant huit jours à la suite d’une allégation fondée de harcèlement contre lui. Il s’agit du grief dont je suis saisi. Toutefois, je remarque que les événements entourant l’enquête sur l’allégation de harcèlement ont généré un certain nombre de griefs qui ont chevauché le grief 6327. Le grief portant le numéro « 2014-6280 » (le « grief 6280 »), a eu une incidence directe sur le résultat du grief 6327. Dans le grief 6280, le fonctionnaire a soutenu qu’on lui avait refusé la présence d’un représentant syndical avant que la décision disciplinaire ne soit prise. En revanche, dans le grief 6327, il a essentiellement allégué que la décision avait été prise sans processus en bonne et due forme, qu’il n’y avait pas de motifs valables, et qu’elle voilait la convention collective de l’unité de négociation du groupe Services de l’exploitation, qui est venue à échéance le 4 août 2014 (la « convention collective »).

II.  L’objection préliminaire de l’employeur à la compétence de la Commission

[3]  Avant et au début de l’audience, qui était prévue du 7 au 9 août 2019 à Fredericton (Nouveau-Brunswick), l’employeur s’est opposé à maintes reprises à ma compétence. J’ai énuméré les objections de l’employeur dans cette décision puisque mes décisions provisoires sur celles-ci ont eu une incidence sur l’audience et sur le fardeau de la preuve.

[4]  L’employeur a soutenu qu’après le dépôt du grief, il a annulé la mesure disciplinaire dans son entièreté et a remis au fonctionnaire les huit jours de paie qu’il avait perdus au départ. L’employeur a soutenu que puisque la mesure disciplinaire avait été entièrement annulée, il n’y avait plus de litige actuel entre les parties, et, par conséquent, je n’avais pas compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003 ch. 22, art. 2; la « Loi »), pour entendre le grief.

[5]  En réponse, le fonctionnaire a admis qu’il avait reçu les huit jours de paie qu’il avait perdus. Toutefois, il a soutenu avoir allégué que l’employeur ne lui avait pas accordé d’autres aspects de la réparation souhaitée. Il a également allégué que la mesure disciplinaire ne s’était pas limitée à une suspension de huit jours, mais avait entraîné ce qui suit :

  1. une perte de 10 jours de paie, et non de 8;
  2. un transfert à un poste qui était une rétrogradation;
  3. il a subi des pertes et dommages en raison du stress émotionnel et de l’anxiété découlant des actions disciplinaires de l’employeur, qui l’ont poussé à quitter le travail pour une période prolongée de congé de maladie.

 

[6]  Le fonctionnaire a soutenu que puisque l’employeur n’a pas complètement annulé sa décision disciplinaire ou n’a pas pleinement remédié aux conséquences de celle-ci, j’ai compétence pour examiner l’affaire; voir SEEFPO c. Ontario (ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels), 2019 O.G.S.B.A. no 51 (QL) au paragraphe 18.

[7]  Après avoir examiné les observations de l’employeur et du fonctionnaire, j’ai conclu ce qui suit :

  1. L’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission d’entendre ce grief, qui ne conteste que la suspension disciplinaire. Bien que les parties reconnaissent que la suspension a été annulée avant que le fonctionnaire renvoie son grief à l’arbitrage, ce dernier est demeuré insatisfait du traitement des réparations souhaitées par l’employeur.
  2. Un litige est toujours en cours entre les parties concernant les réparations appropriées dans les circonstances, et est inextricablement lié à la suspension disciplinaire.
  3. En vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, et à la lumière d’Amos c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 38, la Commission a tenu l’audience pour aborder les réparations appropriées.

[8]  Essentiellement, j’ai rendu cette décision parce que l’alinéa 209(1)b) de la Loi énonce qu’un l’employé peut renvoyer à l’arbitrage un grief individuel « […] sans avoir obtenu satisfaction […] » si le grief est lié à « […] une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […] ». En l’espèce, bien qu’il ne soit pas contesté que l’employeur avait en fait annulé la décision liée à la perte des huit jours de paie (que le fonctionnaire s’est vu rembourser), le fonctionnaire a allégué que le grief n’avait pas en fait [traduction] « été abordé à […] [sa] satisfaction ».

[9]  Après avoir rendu ma décision, et quelques jours avant le début de l’audience, l’employeur a demandé des précisions sur la portée de ma décision et son incidence sur le fonctionnement de l’audience.

[10]  J’ai conclu que, normalement, dans les instances concernant des mesures disciplinaires, l’employeur doit s’acquitter du fardeau de la preuve. Toutefois, puisque le fonctionnaire a soutenu que l’employeur n’avait pas abordé son grief à sa satisfaction, le fardeau de la preuve lui revenait. En particulier, il devait établir les faits qui suivent :

  1. La sanction visait dix jours de paie plutôt que huit et, par conséquent, il avait le droit de récupérer deux jours de paie supplémentaires;
  2. Le poste auquel il a été transféré était une rétrogradation;
  3. Il a subi des pertes ou des dommages auxquels pour lesquels il avait droit à l’indemnisation.

 

[11]  Par conséquent, j’ai ordonné que le fonctionnaire procède en premier lors de l’audience et présente des éléments de preuve à l’appui de ses allégations. L’employeur a ensuite présenté ses éléments de preuve à l’appui de sa position selon laquelle la mesure disciplinaire visée par le grief avait été annulée dans son ensemble, que le fonctionnaire avait été indemnisé intégralement, et que son transfert n’était pas une rétrogradation.

[12]  Finalement, je dois souligner qu’au début de l’audience, l’employeur a réitéré son opposition à l’égard de ma compétence. Il a ajouté une nouvelle objection, affirmant que les allégations du fonctionnaire étaient nouvelles ou, à tout le moins, qu’elles n’avaient pas été soulevées pendant la procédure de règlement des griefs. Cela étant, la Commission n’aurait pas compétence pour s’y pencher parce que l’employeur n’a pas eu l’occasion de les aborder pendant la procédure de règlement des griefs (« le principe énoncé dans Burchill », tiré de Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 CF 109 (C.A.); Shneidman c. Procureur général du Canada, 2007 CAF 192; Baranyi c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 55, au paragraphe 104).

[13]  J’ai pris les objections sous réserve et j’ai entrepris d’écouter les preuves et les observations des parties.

III.  L’audience

[14]  Le fonctionnaire a témoigné en son nom. Les deux personnes suivantes ont témoigné pour l’employeur :

  1. Ryan Gannon, un conseiller en relations de travail au ministère de la Défense nationale, qui a témoigné à savoir si la paie du fonctionnaire a été réduite de 8 ou de 10 jours;
  2. Major Christian Gagnon, le commandant des opérations immobilières du MDN à la base des Forces canadiennes Gagetown (Nouveau-Brunswick) (la « base »), qui a témoigné quant aux changements qui ont eu lieu au niveau opérationnel, les fonctions du travail, et la structure organisationnelle pendant la période en question.

[15]  Les parties ont également présenté deux versions de ce qui devait être un recueil conjoint des pièces; elles se chevauchaient presque entièrement, même si elles différaient légèrement dans leur organisation. La version du fonctionnaire portait la mention pièce 1. La version de l’employeur a été très peu utilisée pendant l’audience, mais j’y ferai référence en utilisant « JEB » dans mes renvois à elle dans cette décision. Les deux versions comprenaient des documents pertinents à la question de la portée de la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire en mars 2014.

[16]  Il n’y avait réellement aucun conflit dans les témoignages des trois témoins. Les questions n’étaient pas liées à la crédibilité, mais aux inférences ou aux conclusions juridiques tirées des faits. Cela étant, je présenterai simplement mes conclusions de fait fondées sur la preuve, et je ferai référence au témoignage précis uniquement lorsque nécessaire.

[17]  Je devrais aussi rappeler l’observation selon laquelle les événements qui ont mené à la mesure disciplinaire en question semblent avoir généré un certain nombre de griefs à divers paliers au cours des événements antérieurs et postérieurs à l’imposition de la mesure disciplinaire en mars 2014. Malheureusement, pour des motifs qui ne m’ont pas été révélés, les parties ont choisi de ne pas fournir beaucoup de preuves sur l’origine ou le contexte des autres griefs, dont l’insuffisance a parfois fait en sorte qu’il était difficile de déterminer ce qui s’était passé exactement ou à quel moment, ou pour quels motifs.

IV.  Contexte du grief

[18]  En 2011, le fonctionnaire travaillait depuis 36 ans au MDN. Il a passé toute cette période à la base. Au fil des ans, il a occupé un certain nombre de postes pour une durée indéterminée et par intérim. En 2009, il a accepté un poste de gestionnaire principal de projet dans l’unité de l’agent de production, au sein de la division Génie construction (pièce 1, onglet 2). Ses principales fonctions comprenaient la gestion et la direction des gens de métier effectuant des projets de construction et d’entretien sur la base, ainsi que la direction du parc automobile de la succursale. Il supervisait plus de 20 à 100 travailleurs, selon la saison. Il relevait directement de l’agent de production.

[19]  En juin 2011, le fonctionnaire a accepté un poste d’agent de production par intérim. Il a occupé ce poste jusqu’en mars 2012, lorsqu’il est retourné à son poste régulier de gestionnaire principal de projet. Environ six mois plus tard, on lui a demandé d’occuper, par intérim, un poste de chef d’équipe principal (structures). Ses fonctions étaient presque identiques à celles qu’il exerçait dans le poste de gestionnaire principal de projet. Toutefois, le 31 mai 2012, alors qu’il était sur le point d’entrée en fonction, il a été avisé qu’une plainte de harcèlement avait été déposée contre lui en décembre 2011. (Vu l’ensemble des éléments dont je dispose, il semblerait qu’au moins trois défendeurs, y compris le fonctionnaire, ont été présumés avoir commis des actes de harcèlement à l’égard du plaignant.)

[20]  Une enquête de la plainte s’est ensuivie. Le fonctionnaire a reçu un rapport provisoire en septembre 2012. Il a également reçu une copie du rapport final le 30 mai 2013 (JEB, onglet 8).

[21]  Le commandant de base, à ce moment-là, était le Lieutenant-colonel P. D. Madic. Le 25 juin 2013, il a écrit au fonctionnaire au sujet de la plainte (JEB, onglet 2). Il a indiqué ce qui suit au fonctionnaire : [traduction] « À la lumière de ma récente décision de maintenir des aspects d’un grief visant le harcèlement de M. Marcel McLaughlin […] je vous réaffecte temporairement à d’autres fonctions en attente des résultats d’une évaluation supplémentaire de cette affaire de harcèlement. »

[22]  Le poste temporaire auquel le fonctionnaire a été affecté était celui d’agent à la gestion de la qualité. À ce poste, il relevait directement du capitaine Beauchamp et ne pouvait pas avoir de subordonnés. Il s’agissait d’un poste [traduction] « […] bien adapté pour […] les compétences en gestion de projets [du fonctionnaire] ». Le Lcol Madic a ajouté ce qui suit : [traduction] « Le résultat de cette évaluation supplémentaire pourrait entraîner une réévaluation de la décision de vous nommer au nouveau poste. » Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que son salaire au poste temporaire était le même que celui du poste de gestionnaire principal de projet. Il y est resté jusqu’en avril 2014.

[23]  Je n’ai pas reçu de copie de la [traduction] « décision récente » du Lcol Madic. Aucune preuve n’a été déposée concernant les [traduction] « aspects » du grief de harcèlement qui ont été maintenus. Le seul élément de preuve dont je suis saisi est le fait que le plaignant était classifié plusieurs niveaux au-dessous du fonctionnaire dans la hiérarchie et que sa plainte semblait alléguer que le harcèlement consistait en un manquement de la part d’un certain nombre de défendeurs (dont, apparemment, le fonctionnaire) à accommoder une présumée blessure, bien que le plaignant ait été reconnu apte à travailler.

[24]  Le manque de preuve entourant les motifs de décision de réaffecter temporairement le fonctionnaire à un autre poste a fait en sorte qu’il était difficile d’interpréter la décision autrement que comme signifiant qu’on voulait retirer le défendeur de la hiérarchie du plaignant en attente d’une évaluation supplémentaire sur les allégations de harcèlement.

[25]  En ce qui concerne la chronologie de l’affaire, un avis d’inconduite alléguée a été fourni au fonctionnaire le 25 juillet 2013 (JEB, onglet 13, pour toutes les citations dans ce paragraphe). L’avis mentionnait qu’une enquête serait menée sur six des sept allégations de harcèlement qui avaient été fondées. Par conséquent, l’avis indiquait au fonctionnaire [traduction] « que cette affaire a désormais été renvoyée au processus disciplinaire pour la suite. » On y ajoutait qu’une fois l’enquête terminée, mais avant qu’une décision finale soit prise, le fonctionnaire aurait l’occasion de présenter [traduction] « […] toute précision ou circonstance atténuante qui, selon lui, n’aurait pas été abordées au cours de l’enquête ou qui doivent être prises en considération. » L’avis se concluait par l’observation selon laquelle, [traduction] « […] à la conclusion de ce processus, des mesures disciplinaires pourraient être prises. » Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que, selon sa lecture de la lettre, des mesures disciplinaires lui seraient imposées à la suite de l’enquête sur le harcèlement.

[26]  Une rencontre a eu lieu le 8 novembre 2013. Lors de cette rencontre, le fonctionnaire a obtenu [traduction] « […] l’occasion de fournir une explication en ce qui concerne les conclusions de l’enquête sur le harcèlement » (pièce 1, onglet 5). Il a indiqué qu’il avait déposé des demandes d’accès à l’information (AIPRP) pour des renseignements qui expliqueraient les événements entourant l’allégation et son enquête. Le Lcol Madic a accepté d’attendre.

[27]  En mars 2014, aucun renseignement d'AIPRP n’avait encore été communiqué. Le Lcol Madic devait être transféré à un commandement différent. Il a décidé qu’il ne pouvait plus attendre les résultats de l’AIPRP et, par conséquent, il a envoyé une lettre disciplinaire datée du 28 mars 2014. Il a conclu que le harcèlement avait eu lieu et que, par conséquent, le fonctionnaire serait suspendu sans traitement pour une période de huit jours, du 2 au 11 avril 2014 (JEB, onglet 11). La suspension était la seule mesure disciplinaire que la lettre énonçait expressément. (La preuve concernant le poste que le fonctionnaire occupait en mars 2014 n’était pas claire, mais aux fins de cette décision, j’ai présumé qu’il s’agissait du poste d’agent à la gestion de la qualité auquel il avait été réaffecté temporairement en juin 2013.)

[28]  Le fonctionnaire a reçu la lettre disciplinaire le 1er avril 2014 (JEB, onglet 8, page 2). Le même jour, il a présenté un grief contestant [traduction] « […] la réception d’une lettre disciplinaire datée du 28 mars 2014, une suspension sans rémunération pour une période de 8 jours […] » (JEB, onglet 3). Il s’agissait du grief 6280. Il semble que l’un des motifs du grief était qu’aucun préavis de 24 h ne lui a été fourni avant de recevoir la lettre disciplinaire et qu’il n’a pas eu l’occasion de bénéficier d’un représentant syndical, contrairement à l’article 17.02 de la convention collective. Il a demandé les réparations suivantes :

  1. que sa suspension soit retirée de son dossier personnel;
  2. qu’il soit remboursé pour « la perte de tout avantage social et de rémunération »;
  3. qu’il soit rétabli dans sa situation antérieure, intégralement;

  qu’il soit indemnisé.

[29]  Aucune référence n’a été faite à la réaffectation de juin 2013.

[30]  Le fonctionnaire était en congé non payé du mercredi 2 avril au vendredi 11 avril 2014. Ce vendredi-là, il a déposé le grief 6327 du bureau de l’agent négociateur. Il a contesté [traduction] « la réception de la [lettre] disciplinaire datée du 28 mars 2014, qui est une suspension sans rémunération pour une période de 8 jours […] » (JEB, onglet 3). Il a demandé les réparations suivantes :

[Traduction]

1. que ma suspension soit retirée de mon dossier personnel

2. que je sois remboursé pour « la perte de tout avantage social et de rémunération »

3. que je sois rétabli dans ma situation antérieure, intégralement

4. que je sois indemnisé

V.  Congé de maladie et 10 jours de travail perdus comparativement à 8

[31]  Le fonctionnaire n’est pas retourné travailler le lundi 14 avril 2014. Il a indiqué dans son témoignage que la lettre disciplinaire et le fait qu’un avis de plainte avait été affiché sur le site intranet présentant ses documents électroniques de collaboration SharePoint lui avaient causé tant de détresse et d’embarras que son médecin de famille l’avait retiré du travail, en congé de maladie. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que son congé avait été entraîné par l’anxiété et la dépression dont il souffrait à la suite d’avoir été accusé de ce qu’il considère comme une allégation de harcèlement sans fondement. Il s’est absenté de son travail pendant une période de 14 mois. Il a reçu trois ordonnances, pour la dépression et l’anxiété, et pour l’aider à dormir. Il a indiqué dans son témoignage que lorsqu’il était en congé du travail, il était fâché, bouleversé et déprimé par ce qu’il croyait être de faux éléments de preuve ou des preuves de connivence de la part des collègues et du personnel militaire.

[32]  Le stress, l’anxiété, et la dépression ont eu une incidence négative sur ses relations avec sa famille immédiate. Ses réactions émotionnelles ont empiré à mesure qu’il tentait de comprendre comment l’enquête avait été menée et la preuve qui avait été recueillie à la suite de sa demande d’AIPRP. Tous les deux mois, il voyait son médecin, qui l’a éventuellement incité à faire un retour au travail, ce qu’il a fait le mercredi 1er avril 2015.

[33]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que son médecin avait fourni des rapports réguliers de son état à l’employeur pendant son absence. Toutefois, le seul élément de preuve concernant son état médical et la raison de son absence du travail qu’il a présenté à l’audience était une lettre brève de deux paragraphes de son médecin datée du 5 avril 2017 (c’est-à-dire, bien après son retour au travail en 2015), qui indiquait ce qui suit (pièce 1, ongle 15) :

[Traduction]

Je suis le médecin de famille de M. Smith depuis 2003. À l’été et à l’automne 2013, il a développé des problèmes d’anxiété et de dépression nécessitant un traitement médical et un congé du travail d’avril 2014 jusqu’à juin 2015.

Selon mes renseignements, ce trouble a semblé avoir été précipité par un stress au travail d’une nature inhabituelle. Je doute qu’il ait subi ce trouble sans ce stress.

[34]  La date qu’a fournie le médecin pour le retour au travail du fonctionnaire semble erronée, dans la mesure où le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il est retourné au travail après le 31 mars 2015. Il a indiqué dans son témoignage que le [traduction] « résumé des congés » de l’employeur (pièce 1, onglet 7) indique précisément le moment auquel il était en congé de maladie, soit du 14 avril 2014 au 31 mars 2015.

[35]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’alors qu’il était en congé de maladie, il a reçu une période de paie de deux semaines (ce qui, ordinairement, comprenait 10 jours de salaire) pour une somme de zéro. Il a indiqué dans son témoignage que cela s’est produit en juin 2014. Il a communiqué avec les services de paie de l’employeur, qui lui a envoyé un courriel lui expliquant ce qui s’était passé (pièce 1, onglet 10).

[36]  Le 18 juin 2014, un conseiller en rémunération des Ressources humaines a informé le fonctionnaire que des versements excédentaires de 6 ou 2 jours avaient été recouvrés de son salaire, et ce, parce que son salaire pour les périodes qui comprenaient celle du 2 au 11 avril 2014 n’avait pas été déduit de 8 jours. Toutefois, compte tenu de certaines particularités dans le système de paie de l’employeur, et plutôt que de simplement déduire 8 jours de paie, ce qui suit s’est produit (JEB, onglet 6) :

[Traduction]

a. un versement excédentaire de 36 jours (pour la période du 2 avril au 21 mai 2014) a été établi, représentant un paiement en trop fictif de 36 jours;

b. le salaire a ensuite été entré à nouveau pour la période du 22 avril au 21 mai 2014, étant un paiement en trop fictif de 28 jours;

c. Le paiement en trop fictif signifiait que les 8 jours de versements excédentaires ont été recouvrés.

[37]  Le fonctionnaire n’avait aucune preuve (sauf sa mémoire) à l’appui de sa déclaration qu’il avait reçu un chèque de paie nul pour une période de paie. Toutefois, une correspondance par courriel du conseiller en rémunération de l’employeur le 18 juin 2014 énonçait que les 28 jours de paiement en trop fictif [traduction] « sont ensuite taxés, cotisation d'assurance-emploi et de RPC sur ce paiement de 28 jours et il semble que vous avez payé plus d’impôts, etc., à cause de la manière ou des procédures qui déterminent comment le faire; » (JEB, onglet 6). En contre-interrogatoire, M. Gannon a témoigné qu’à son avis, le fait que la paie du fonctionnaire ait possiblement eu une retenue d’impôt plus grande, des cotisations au RPC et à l’AE plus élevées sur cette paie en particulier auraient été corrigées au moment de produire sa déclaration de revenus dans le T4 du fonctionnaire reflétant son revenu annuel total réel.

VI.  Le traitement du grief 6327

[38]  Le traitement du grief 6327 s’est poursuivi pendant que le fonctionnaire était en congé de maladie. Le 15 mai 2014, le Lcol Madic a envoyé sa décision au premier palier (JEB, onglet 4). Il a renvoyé à l’audience des griefs au premier palier, énonçant ce qui suit au fonctionnaire : [traduction] « […] au cours de laquelle vous n’avez présenté aucun argument propre à ce grief et vous n’avez pas fourni plus d’explications sur le fait que vous croyiez que la décision que je prenais sur le grief 6280 entendu au même moment aurait une incidence sur ce grief. » Il a poursuivi en reconnaissant le fait que « […] les deux griefs sont liés à la lettre disciplinaire reçue […] » et a ajouté que « […] depuis [qu’il s’est] penché sur [sa] décision pour [le grief 6280] séparément […], il n’approuverait pas de mesures correctives pour le grief 6327. Une copie de cette décision distincte n’a pas été déposée en preuve.

[39]  L’audience du grief au deuxième palier a été tenue le 11 juin 2014, pendant laquelle le fonctionnaire a [traduction] « présenté des détails du » (JEB, onglet 8) grief au Lcol Hart, qui était devenu le commandant de base. Les renseignements du fonctionnaire comprenaient [traduction] « […] une déclaration écrite pour étayer [son] grief », ainsi que des documents. Le Lcol Hart a souligné que, par conséquent, la rencontre a été reportée au 19 juin. (Notons que le fonctionnaire ne m’a pas remis de copie de sa déclaration écrite ou de ses documents.)

[40]  Le 19 juin 2014, à la deuxième rencontre avec le Lcol Hart, le fonctionnaire a fourni [traduction] « […] des renseignements supplémentaires par écrit au sujet de ce qui était entendu par “que je sois indemnisé” que l’on retrouve » dans les réparations demandées dans le grief 6327 (JEB, onglet 8).

[41]  Une copie de la déclaration du 19 juin 2019 a été déposée en preuve (JEB, onglet 7, qui est la source de toutes les citations dans ce paragraphe). Elle comprenait une liste des mesures correctives pour les quatre griefs, y compris les griefs 6280 et 6327. En ce qui concerne le premier grief, le fonctionnaire a seulement sollicité ce qui suit : [traduction] « Que le processus établi soit mené conformément à la convention collective et aux directives sur les mesures disciplinaires du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada ». En ce qui concerne le deuxième grief, qu’il a caractérisé comme « […] Suspension de 8 jours devenus 6 jours […] », il a établi ce qui suit (JEB, onglet 7) :

 [Traduction]

[…]

1. Suspension levée et tous les jours perdus sans traitement entièrement rétabli.

2. Copie de la décision disciplinaire retirée de mon dossier personnel

3. Être dédommagé intégralement

a. Tous les congés mérités utilisés soient retournés depuis le 4 juin 2012

b. Le poste de surintendant de la production qui a été « éliminé » par le Lcol Madic soit rétabli comme poste civil et me soit offert ou à tout le moins être muté comme superviseur-chef à l’atelier de structures (rémunération presque identique) comme je l’ai demandé à deux reprises.

c. Rétablir mon milieu de travail et, si possible, les dommages à ma réputation à la suite de la diffusion des renseignements protégés B à l’organisation. J’ai été humilié et disgracié publiquement.

d. Actions/comportement du Lcol Madic soient examinés.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[42]  Je m’arrête ici pour souligner que selon les éléments de preuve dont je suis saisi, j’ai conclu que la référence à « 8 jours devenus 6 jours » est une référence à une décision de l’employeur pendant le traitement du grief 6280 afin de réduire la suspension de 8 jours à 6 étant donné qu’il y avait eu violation de la convention collective quand le fonctionnaire s’est vu refuser le droit à une représentation syndicale (pièce 1, onglet 17).

[43]  Le Lcol Hart a ensuite envoyé la décision de l’employeur au deuxième palier concernant le grief 6327 le 19 juin 2014. Après avoir examiné tous les renseignements du fonctionnaire, le Lcol Hart a conclu que le grief devait être rejeté au deuxième palier (JEB, onglet 8).

VII.  Le retour au travail du fonctionnaire après le 31 mars 2015

[44]  Ce qui s’est produit en ce qui concerne le poste du fonctionnaire à son retour au travail après le 31 mars 2015 n’est pas clair. Le poste auquel il est retourné n’était pas le même que celui qu’il occupait antérieurement (gestionnaire principal de projet) ou celui auquel il avait été temporairement affecté en juin 2013 (agent à la gestion de la qualité). Il a indiqué dans son témoignage qu’on lui avait dit qu’il occuperait le poste de technologue principal en génie civil (pièce 1, onglet 1). On lui a demandé de signer la description de poste, mais il a refusé de le faire étant donné que sur papier, du moins, cela aurait impliqué une réduction de la paie. Cependant, dans les faits, il est resté classifié au groupe et au niveau GL-COI-11, avec le même taux de rémunération (y compris une prime de surveillance) qu’à son poste de gestionnaire principal de projet.

[45]  Dans tous les cas, en avril 2019, il occupait le poste de gestionnaire principal de projet même si le fonctionnaire a témoigné ne pas avoir été reconnu comme tel. En contre-interrogatoire, il était d’avis qu’il avait la même cote de classification et le même taux de rémunération et qu’il était caractérisé dans l’organigramme comme étant un gestionnaire principal de projet en date de 2017. La seule différence importante de son poste en 2013 qu’il a pu faire ressortir est qu’il n’avait plus de tâches de supervision.

[46]  Le Major Gagnon a témoigné qu’il croyait comprendre qu’à son poste antérieur, le fonctionnaire supervisait un grand nombre de gens de métier. À son nouveau poste, il était un gestionnaire de projet au département du génie travaillant à des projets avec des conseillers et des entrepreneurs, mais avec aucun subordonné. Il a également témoigné que le nouveau poste faisait partie d’une réorganisation plus large à l’échelle du pays dans l’administration militaire qui a eu lieu lorsque le fonctionnaire était en congé de maladie.

[47]  Le changement de la structure organisationnelle apparaît comme une partie de la restructuration des services de soutien immobilier militaire canadien qui ont évolué au cours de 2013 et 2014 sous le titre [traduction] « Transformation au soutien de l’armée (SA) ». Des employés dans l’administration centrale à Halifax (Nouvelle-Écosse) ont élaboré la restructuration. L’un de ses aspects consistait en une restructuration des rôles et des responsabilités des différentes sections de la division des biens immobiliers pour centraliser la responsabilité afin d’apporter des services de soutien immobilier avec un agent de construction de la base. La restructuration s’applique à toutes les divisions des biens immobiliers à travers le Canada, et non seulement à la base.

[48]  Le 16 décembre 2014, le « Plan de mise en œuvre principal » pour la base a été émis. Il avait pour but de guider la mise en œuvre de la restructuration générale, et il visait les points suivants (JEB, onglet 18) :

[Traduction]

 

[…]

a. Établir clairement les rôles et responsabilités en vertu de la nouvelle unité organisationnelle;

b. Fournir de l’orientation sur les allocations financières au sein de l’unité;

c. Fournir de l’orientation sur des tâches, des délais et des méthodes précises par lesquels la transformation aura lieu.

[…]

[49]  En ce qui concerne le grief, le 15 avril 2016, la Lcol MacEachern a rendu une décision après une audience de cinq jours qui a été tenue en décembre 2015 en ce qui concerne quatre griefs (JEB, onglet 14), dont un grief collectif et trois griefs individuels déposés par trois employés, y compris le fonctionnaire. Les griefs étaient numérotés 5590, 5592, 5593 et 5594. Bien qu’ils n’aient pas inclus celui dont je suis saisi, ils semblent liés au même ensemble des faits et, plus particulièrement, aux allégations de harcèlement que M. McLaughlin avait faites.

[50]  La Lcol MacEachern a conclu que les griefs étaient [traduction] « partiellement fondés » notamment parce qu’il y avait eu absence d’équité procédurale, que les conclusions n’étaient pas étayées par la preuve, et que certains témoins avaient eu une conduite inappropriée. Elle a également souligné l’écart important qui existait dans une conclusion de harcèlement contre M. McLaughlin « […] en ne répondant pas à ses besoins en raison d’une […] blessure […] [alors que le dossier de rémunération du travailleur] indiquait clairement qu’il n’avait aucune restriction pour son lieu de travail ».

[51]  La Lcol MacEachern a poursuivi en disant ce qui suit, étant donné qu’elle avait partiellement accueilli les griefs (JEB, onglet 14) :

[Traduction]

[…]

[…] J’ai ordonné que la conclusion de l’AG sur le harcèlement soit renversée et que les sanctions financières connexes à l’égard de M. Joey Smith soient annulées. J’ai accepté d’ordonner la tenue d’une autre enquête. J’ai également accepté d’expliquer le tout dans une unité de forum public, ce que j’ai fait le matin du 4 avril 2016. […]

[…]

[52]  La décision de la Lcol MacEachern laisse également entendre que les quatre griefs et les réparations demandées (pas en ce qui concerne le grief devant moi) ne pouvaient pas être traités [traduction] « […] à n’importe quel niveau de la procédure de règlement des griefs jusqu’à ce qu’une autre enquête de harcèlement soit conclue » (JEB, onglet 14, page 2).

[53]  Je souligne que la preuve et les témoignages des témoins à l’audience renvoyaient à l’existence d’autres griefs du fonctionnaire (y compris, peut-être, ceux qui ont été mentionnés par la Lcol MacEachern) qui étaient traités parallèlement, mais indépendamment, du grief en l’espèce. Aucune partie ne m’a fourni autre chose que de vagues références aux procédures.

[54]  En faisant de mon mieux et en mettant l’accent sur les commentaires dans la décision de la Lcol MacEachern du 15 avril 2016, j’ai décidé que, en réalité, sa décision a entièrement renversé les conclusions du rapport sur le harcèlement et la décision disciplinaire du 28 mars 2014. En effet, la suspension disciplinaire du fonctionnaire a été annulée. Les questions à savoir si le harcèlement a eu lieu et si l’enquête sur la plainte de harcèlement ou la conduite de la direction ont été appropriées étaient toujours en jeu dans le cadre des quatre nouveaux griefs que la Lcol MacEachern a mentionnés.

[55]  Le 8 juin 2017, Gilles Moreau, directeur général – gestion du milieu de travail, pour l’employeur, a fourni la décision de l’employeur au dernier palier sur les griefs 6280 et 6327, soit celui dont je suis saisi, et un autre grief, numéroté 5915. Il a souligné que le grief 6280 était associé à présumé déni d’une représentation syndicale en ce qui concerne la mesure disciplinaire qui a mené au grief 6327. L’équipe de gestion avait apparemment reconnu cette violation de la convention collective et avait réduit la suspension de huit jours à six jours. Il a également souligné que la décision de la Lcol MacEachern du 15 avril 2016 avait [traduction] « […] renversé les six (6) jours restants de la suspension, annulant efficacement les huit (8) jours de suspension disciplinaire » (JEB, onglet 10).

[56]  Il semble qu’au moment où le grief 6327 a été présenté à M. Moreau, le fonctionnaire se plaignait également du fait que [traduction] « dix (10) jours de paie avaient en fait été retenus sur la paie [du fonctionnaire] au moment où la suspension a été servie » (JEB, onglet 10). M. Moreau a indiqué qu’il avait demandé que l’affaire soit examinée et que le fonctionnaire soit informé des conclusions.

[57]  Le 28 juillet 2017, le fonctionnaire a renvoyé le grief 6327 à l’arbitrage auprès de la Commission.

VIII.  Observations

[58]  Les observations des parties sur la compétence répétaient essentiellement celles qui avaient déjà été apportées avant l’audience. Les faits, les questions et les observations sur la compétence chevauchaient ceux concernant les trois questions soulevées par le fonctionnaire qui n’avaient pas été réglées à sa satisfaction. Par conséquent, je ne crois pas nécessaire de les répéter. Je les aborderai dans le cadre de mes motifs sur le fond des déclarations du fonctionnaire.

IX.  Analyse et décision

[59]  Je reprends l’observation de l’employeur selon laquelle je n’ai pas compétence parce que la suspension de huit jours a été annulée et que les huit jours de paie manqués ont été versés au fonctionnaire.

[60]  Je suis d’accord avec l’observation selon laquelle la compétence de la Commission en vertu de l’alinéa 209(1)b) dépend de l’existence d’une « […] mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […] » qui a été « […] portée jusqu’au dernier palier de la procédure applicable […] » et qui n’a pas « […] obtenu satisfaction […] ». Si l’action dont il se plaint n’est pas disciplinaire, il n’y a pas compétence; voir, par exemple, Canada (procureur général) c. Assh, 2005 CF 734; Browne c. Canada (Conseil du Trésor), Browne c. Conseil du Trésor (Revenu Canada , Douanes , Accise et Impôt), dossier de la CRTFP 166-02-27650 et 27652 et 27657 à 27660 (19971201); Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115; et Finlay c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 59, au paragraphe 98.

[61]  Il ne faisait aucun doute que j’étais saisi d’une action disciplinaire conformément à l’alinéa 209(1)b). Il était également évident que le fonctionnaire n’était pas satisfait de l’issue de son grief. En ce qui concerne la compétence, il reste à déterminer si les aspects du grief que le fonctionnaire m’a présentés faisaient partie du « […] grief individuel […] » qui « […] avait été porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable […] » (conformément au paragraphe. 209(1) de la Loi). Je le mentionne parce que si ses plaintes n’ont pas été soulevées pendant la procédure de règlement des griefs, elles ne peuvent pas l’être maintenant, en vertu du principe de Burchill.

[62]  Puisque cette question dépend dans une certaine mesure des faits, il était nécessaire d’entendre la preuve qui n’a pas été traitée à la satisfaction du fonctionnaire et de déterminer si ces questions ont été soulevées à tout moment jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Dans cette optique, j’aborderai cette question dans le contexte de chacune des allégations qui m’ont été présentées.

[63]  Le fonctionnaire a allégué que quatre aspects de la mesure disciplinaire qui lui a été imposés n’ont pas été traités à sa satisfaction. Toutefois, à mon avis, les deux derniers aspects — dommages pour douleur et souffrance et une insouciance alléguée de la part de l’employeur— sont deux versions de la même chose. Par conséquent, je les ai abordés comme un seul aspect, laissant les trois questions ou allégations suivantes :

  1. le fonctionnaire a en fait perdu 10 jours de paie plutôt que 8;
  2. les postes auxquels il n’a pas été affecté en juin 2013 ou auxquels il s’est retrouvé après son retour au travail au début du mois d’avril 2015 représentaient des rétrogradations qui faisaient partie de la mesure disciplinaire de mars 2014;
  3. il a subi une perte ou des dommages (détresse émotive et diffamation) en plus de la perte de rémunération à la suite de la mesure disciplinaire du 28 mars 2014 ainsi que des dommages causés par la conduite insouciante, délibérée et injustifiée de l’employeur.

[64]  Je me penche maintenant sur ces trois questions.

A.  Le fonctionnaire s’est-il vu enlever 10 jours de paie plutôt que 8?

[65]  J’ai été convaincu que cette partie de la plainte du fonctionnaire a été soulevée pendant la procédure de règlement des griefs. La réponse de l’employeur au dernier palier, datée du 8 juin 2017, y renvoie en mentionnant un engagement de sa part selon lequel [traduction] « […] cette affaire sera examinée […] » (pièce 1, onglet 17).

[66]  Il incombait au fonctionnaire de s’acquitter du fardeau de la preuve d’établir que la mesure disciplinaire de l’employeur du 28 mars 2014 l’avait mené à perdre 10 jours de paie au lieu de 8. Je ne suis pas convaincu qu’il s’est acquitté de son fardeau.

[67]  Tout d’abord, la mesure disciplinaire de l’employeur a été limitée à huit jours. Il n’est pas contesté que huit jours de paie ont éventuellement été versés au fonctionnaire.

[68]  Ensuite, aucun élément de preuve n’a démontré que le fonctionnaire avait perdu deux jours de paie supplémentaires. Bien qu’il ait peut-être reçu un chèque de paie nul pour une période de paie (si l’on suppose que la mémoire du fonctionnaire d’un événement qui s’est produit cinq ans plus tôt était exacte), il ne s’agit pas d’une preuve qu’il a perdu deux jours de rémunération. Les retenues d’impôt, ou les déductions du RPC/AE plus élevées qu’elles ne l’auraient été en juin 2014 n’équivaut pas nécessairement à la perte de deux jours de paie. Une retenue d’impôt plus élevée pour une période d’une paie n’établit pas une obligation fiscale plus élevée à la fin de l’année, ou que l’employeur a déduit des jours de paie supplémentaires. Je souligne également que le fonctionnaire n’a soulevé la question de la perte de deux jours supplémentaires de paie que bien après juin 2014, un fait qui limite le poids accordé à sa preuve de la perte liée à sa paie plutôt que ses retenues pour une période de paie.

B.  L’affectation était-elle une rétrogradation fondée sur la mesure disciplinaire?

[69]  Il y a deux questions en litige. Premièrement, il y a la question de savoir si l’un ou l’autre des postes que le fonctionnaire a occupés, en juin 2013 ou à son retour du travail après mars 2015, représentaient une rétrogradation conformément à l’alinéa 209(1)b) qui faisait partie de la décision disciplinaire de mars 2014.

[70]  Pour répondre à cette question, j’accepte ce que le fonctionnaire a souligné, soit que je ne dois pas seulement considérer ce que les parties ont dit au sujet d’une action, mais les faits et le fond sous-jacents aux changements; voir Gauthier c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTEFP 94, au paragraphe 59, et Courtemanche c. Agence Parcs Canada, 2007 CRTEFP 119. J’accepte aussi la preuve qu’une présumée mesure administrative, ou non disciplinaire, de la part de l’employeur a une incidence sérieuse et sévère sur l’emploi d’un employé (par exemple, le licenciement) et pourrait être une preuve que les actions de l’employeur sont en fait une forme de mesure disciplinaire déguisée : Basra c. Procureur général du Canada 2010 CAF 24, au paragraphe 18 et Bergey c. procureur général du Canada 2017 CAF 30, aux paragraphes 34 à 40, 55 à 56 et 76 à 77. Cela ne signifie pas, toutefois, que l’intention expresse d’un employeur n’est pas pertinente. Il s’agit d’un des faits à considérer pour déterminer si les actions de l’employeur constituaient une mesure disciplinaire ou non.

[71]  Deuxièmement, il y a la question de savoir si l’allégation selon laquelle il s’agissait de rétrogradations a été soulevée lors de la procédure de règlement des griefs. Si ce n’est pas le cas, alors le principe de Burchill s’applique. Selon ce principe, ni le fonctionnaire ni l’agent négociateur ne peut modifier la nature d’un grief ou y ajouter des éléments après son renvoi à l’arbitrage; voir Hurley c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2018 CRTESPF 35, au paragraphe 255.

[72]  Le fonctionnaire avait le fardeau d’établir que le changement de poste en juin 2013 ou en avril 2015 représentait une « rétrogradation » conformément à l’alinéa 209(1)b) de la Loi et que le changement était une mesure disciplinaire ou une forme de mesure disciplinaire déguisée. Il avait également le fardeau d’établir, comme il l’a allégué, que le transfert au poste temporaire ou la réaffectation au nouveau poste à son retour au travail avait été soulevé lors de la procédure de règlement des griefs.

[73]  Les faits propres à ces deux questions sont abordés dans les six points suivants.

[74]  Premièrement, l’affectation à un poste temporaire s’est produite en juin 2013. Le seul élément de preuve dont je dispose est celui que le Lcol Madic a apporté, étant donné que certains aspects du grief sur le harcèlement ont été accueillis. Puisqu’on ne m’a pas fourni de copie de toute conclusion à laquelle il a renvoyé, sans plus, je ne peux conclure que de telles conclusions exigeaient une mesure disciplinaire ou que l’affectation était considérée comme disciplinaire. Il n’existe certainement pas de référence à la possibilité d’une mesure disciplinaire dans la lettre d’affectation en soi.

[75]  En outre, la décision d’un employeur de réaffecter un défendeur qui se situe dans la hiérarchie au-dessus d’un plaignant subordonné ne serait pas une mesure inhabituelle. Les réaffectations en pareil cas ont un sens et ne reflètent pas nécessairement une intention disciplinaire. Le fait qu’après la lecture de la lettre le fonctionnaire puisse supposer que la mesure disciplinaire s’ensuive n’est pas suffisant pour en être le cas.

[76]  Deuxièmement, ce n’est qu’un mois plus tard, en juillet 2013, que le fonctionnaire a été avisé formellement qu’une plainte avait été déposée, et que, selon les résultats d’une enquête, quelques-unes des allégations étaient fondées et que, par conséquent, le processus disciplinaire officiel avait été entamé. Il n’y avait pas de mesure disciplinaire comme telle. Il y avait plutôt un avis qu’une enquête serait menée dans le cadre de la procédure disciplinaire et qu’il aurait l’occasion de répondre avant qu’une décision finale soit prise. Ce n’est qu’une fois la procédure terminée qu’il était possible que des « mesures disciplinaires puissent être prises » [je souligne].

[77]  Troisièmement, la lettre disciplinaire du 28 mars 2014 ne renvoie pas au poste que le fonctionnaire occupait à ce moment-là. Elle ne confirmait pas le poste. Elle ne renvoyait pas au poste pour une durée indéterminée de gestionnaire principal de projet.

[78]  Quatrièmement, le fonctionnaire ne semble pas avoir interprété la décision disciplinaire du 28 mars 2018 comme mentionnant soit une rétrogradation, soit un transfert d’une affectation temporaire à un transfert permanent. Le grief 6327 ne renvoyait pas à la réaffectation et ne contenait aucun grief au sujet du poste qu’il a occupé à ce moment-là. Il en va de même en ce qui concerne la liste de mesures correctives qu’il a préparée le 19 juin 2019.

[79]  Cinquièmement, il n’y avait aucun renvoi dans les décisions de l’employeur rendues au premier, deuxième ou dernier palier au fait que le poste qu’occupait le fonctionnaire, soit à partir de la mesure corrective du 28 mars 2014, ou après cette date, faisait partie de la mesure disciplinaire qui avait été imposée (pièce 1, onglets 8, 12 et 17). Toutefois, les emplois, les postes et les affectations de travail sont les principales préoccupations de tout employé. On se serait attendu à voir des références à ce changement de poste si le fonctionnaire avait pensé ou compris que cela avait été le résultat d’une mesure disciplinaire ou qu’il s’agissait d’une rétrogradation.

[80]  Sixièmement, et finalement, la preuve qui m’a été présentée n’appuie pas une conclusion selon laquelle le poste du fonctionnaire après son retour au travail était une rétrogradation ou qu’il était de nature disciplinaire. Un changement de fonctions découlant de changements à l’échelle de l’organisation n’est pas en soi une preuve de mesure disciplinaire ou de rétrogradation simplement parce qu’une partie des fonctions du fonctionnaire (dans ce cas, des responsabilités de supervision) n’est plus présente, à tout le moins quand sa classification et ses taux de rémunération restent les mêmes.

[81]  À mon avis, ces faits n’appuient pas la conclusion selon laquelle, selon la prépondérance des probabilités, les changements au poste du fonctionnaire étaient disciplinaires ou constituaient une rétrogradation conformément à l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

[82]  Même si la question de la compétence en général conformément à l’alinéa 209(1)b) de la Loi avait été établie, il reste toujours celle de savoir si le transfert ou les postes qu’a occupé le fonctionnaire après mars 2014 faisaient partie des discussions au sujet de la décision disciplinaire aux différents paliers de la procédure de règlement des griefs. La preuve, telle qu’elle a été décrite plus tôt dans la présente décision, n’a pas établi que c’était le cas. Cela étant, le principe Burchill s’appliquerait et m’empêcherait d’entendre cette question.

[83]  Ceci étant, je reconnais que la liste de mesures correctives du 19 juin 2014 comprend le commentaire suivant : [traduction] « b. Le poste de surintendant de la production qui a été “éliminé” par le Lcol Madic soit rétabli comme poste civil et me soit offert ou à tout le moins à tout le moins être muté comme superviseur-chef à l’atelier de structures (rémunération presque identique) comme je l’ai demandé à deux reprises » (JEB, onglet 7, pour toutes les citations dans ce paragraphe). Toutefois, je ne lis pas cela comme une plainte au sujet du transfert au poste temporaire ou une objection que le transfert était disciplinaire. Je lis plutôt cela comme faisant partie de la stratégie de négociation du fonctionnaire sur la manière dont il a reçu des réparations « de manière intégrale ». Le fait qu’il a également sollicité « tous les congés utilisés […] depuis le 4 juin 2012 […] », qui est une date qui n’apparaît nulle part dans la chronologie des événements menant à la mesure disciplinaire du 28 mars 2014, appuie cette interprétation.

C.  Le fonctionnaire a-t-il subi une perte ou des dommages par suite de la perte de rémunération en raison de la suspension ou en raison à la conduite insouciante et délibérée de l’employeur?

[84]  Le fonctionnaire a allégué qu’il était tellement bouleversé, stressé et anxieux à la suite de la lettre disciplinaire du 28 mars 2014, et parce que certains renseignements au sujet de la suspension avaient été affichés sur le site SharePoint de l’employeur qu’il n’a pas travaillé pendant 14 mois. Le fonctionnaire a également soutenu que la conduite de l’employeur était insouciante et délibérée, ce qui justifie l’octroi de dommages.

[85]  Il n’y avait simplement aucun élément de preuve de fond pour appuyer ces prétentions. En ce qui concerne la causalité, la note médicale du médecin de famille du fonctionnaire était pour le moins vague et était datée longtemps après son retour au travail. Je n’ai pas été saisi de notes ou de rapports médicaux actuels justifiant l’existence d’une réaction au stress si sévère qu’elle a empêché le fonctionnaire de travailler.

[86]  Bien que je peux comprendre qu’il a peut-être souffert de stress en raison de la mesure disciplinaire et de l’enquête de harcèlement, le stress fait normalement partie de la vie au travail. Ce n’est pas suffisant en soi pour établir la cause d’une invalidité ou d’une incapacité à travailler; voir, par exemple, Procureur général du Canada c. Gatien, 2016 CAF 3, au paragraphe 48. Conclure autrement serait d’équivaloir des sentiments subjectifs seuls à des preuves de causalité selon la prépondérance des probabilités, ce qui n’est pas la loi ou la jurisprudence arbitrale comme je les comprends.

[87]  En ce qui concerne l’allégation de conduite insouciante et délibérée, il n’y a encore une fois aucune preuve à l’appui de cette conclusion. Il n’y a rien dans la conduite de l’employeur qui laisse entendre que le Lcol Madic a agi de façon insouciante et qu’il n’a pas pris en considération la preuve qui lui a été présentée. Je n’avais qu’une plainte de harcèlement, dont quelques-unes des parties étaient suffisamment fondées pour justifier temporairement la réaffectation d’un défendeur qui occuperait normalement un poste de supervision au-dessus du plaignant, et une décision qui a été prise après qu’une enquête a apparemment conclu que la plainte était valide. Rien dans ces faits n’appuie à première vue le type de conclusions associées à une conduite insouciante et délibérée. Il n’y a aucune preuve de conduite répréhensible justifiant les directives indiquées dans les deux décisions sur lesquels le fonctionnaire s’est appuyé : Doro c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 6, et Reeves c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2019 CRTESPF 61.

[88]  Je comprends que la décision du 15 avril 2016 de la Lcol MacEachern, en ce qui concerne quatre griefs différents (bien que connexes) laisse entendre qu’une nouvelle enquête devait être menée en raison des problèmes liés à la procédure ou des problèmes avec la preuve présentée pendant l’enquête sur le harcèlement. Toutefois, aucune preuve sous-jacente à la décision ne m’a été présentée. Comme ces griefs ne m’ont pas été présentés, je ne peux simplement pas supposer que la décision de la Lcol MacEachern est ou était équivalente à une conclusion selon laquelle le Lcol Madic a agi de manière insouciante pour prendre sa décision disciplinaire.

[89]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


X.  Ordonnance

[90]  L’objection de l’employeur selon laquelle le grief est théorique est rejetée.

[91]  L’objection de l’employeur concernant ma compétence d’aborder les questions qui n’ont pas été soulevées au sein de la procédure applicable aux griefs individuels est accueillie.

[92]  Le grief est rejeté.

Le 3 décembre 2019.

Traduction de la CRTESPF

Augustus Richardson,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéra

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