Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté son licenciement et la révocation de sa cote de fiabilité – la Commission a conclu que l’employeur n’avait pas établi, selon la prépondérance de la preuve, que le fonctionnaire s’estimant lésé était impliqué dans la majorité des faits qu’il lui reprochait et que sa conduite justifiait l’imposition d’une mesure disciplinaire – la Commission a également conclu que l’employeur n’avait pas établi que la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé était justifiée par des préoccupations légitimes voulant qu’il représente un risque – la Commission a ordonné que le fonctionnaire s’estimant lésé soit réintégré dans son poste.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20191203

Dossier: 566-34-12327

 

Référence: 2019 CRTESPF 117

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Germain Pelletier

 

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Agence du revenu du Canada

 

employeur

 

Répertorié

 Pelletier c. Agence du revenu du Canada

 

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant :  Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Lui-même

Pour l'employeur :  Pierre-Marc Champagne, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),

du 23 au 26 octobre 2018, du 8 au 11 avril et le 28 mai 2019.


MOTIFS DE DÉCISION

I.  Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

[1]  Le 18 mars 2015, Germain Pelletier, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a été licencié de son emploi à l’Agence du revenu du Canada (ARC ou l’« employeur »), à la suite d’une enquête menée par la Division des affaires internes et du contrôle de la fraude (DAICF) de l’employeur, et sa cote de fiabilité a été révoquée. Le fonctionnaire a déposé un grief contre son licenciement et la révocation de sa cote de fiabilité, grief qui a été rejeté par l’employeur. Le 1er avril 2016, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, devenue, le 19 juin 2017, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

[2]  Le grief était rédigé comme suit :

Je conteste mon licenciement tel qu’énoncé  dans la lettre de l’employeur datée du 18 mars 2015. Je considère que les motifs au soutien de mon congédiement sont mal fondés en faits et en droit. L’employeur agit de manière abusive et a été négligeant [sic] dans l’analyse de la situation.

Je conteste également la révocation de ma cote de fiabilité.

[3]  La lettre de licenciement, signée par Henri Bettez, directeur du BSF de l’Ouest-du-Québec de 2014 à 2019, énonce comme suit les motifs de l’employeur pour le licenciement :

[…]

J’ai examiné attentivement les renseignements vous concernant contenus dans le rapport d’enquête de la Division des affaires internes et du contrôle de la fraude faisant état de situations d’inconduites graves dans l’exercice de vos fonctions à la Division de la vérification du Bureau des services fiscaux de l’Ouest-du-Québec à l’Agence du revenu du Canada (ARC).

À la suite de mon examen, je conclus que vous avez enfreint le Code de déontologie et de conduite de l’ARC. Plus particulièrement, vous avez commis des inconduites graves dans l’exercice de vos fonctions de gestionnaire à la Planification fiscale abusive, poste que vous occupiez au moment des événements.

Vous avez outrepassé votre autorité en autorisant le traitement de dossiers qui ne relevaient pas de votre champ de responsabilité. Plus spécifiquement, vous avez facilité le traitement de demandes de redressements et de dossiers de divulgation volontaire à l’insu de vos supérieurs et vous avez abusé de votre autorité en exigeant le traitement de ces dossiers par vos subordonnés alors que cette fonction ne relevait pas de votre secteur d’activité. En agissant ainsi, vous avez contourné les règles de contrôle interne en place. Vous avez également effectué des accès non autorisés et avez permis que des transactions soient effectuées avec des représentants qui n’étaient pas officiellement autorisés dans les dossiers des contribuables concernés.

Vos actions, qui constituent un traitement préférentiel à ces contribuables, ont eu pour effet de permettre à ces derniers de réduire leur dette fiscale et d’éviter l’imposition de pénalités applicables. En agissant de la sorte, vous avez manifestement manqué de loyauté envers votre employeur et vous avez porté atteinte à l’intégrité et à la réputation de l’ARC.

De plus, l’enquête a permis de découvrir que vous êtes propriétaire d’immeubles locatifs pour lesquels vous n’avez fait aucune divulgation confidentielle, ce qui va à l’encontre de la Directive sur les conflits d’intérêts et l’après-mandat. […]

 

[4]  La lettre de licenciement est datée du 18 mars 2015, mais elle précise bien que le licenciement prend effet rétroactivement au 12 mars 2014, date à laquelle le fonctionnaire avait été suspendu de ses fonctions, sans solde, pendant enquête.

[5]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que le comportement du fonctionnaire ne justifiait pas l’imposition d’une mesure disciplinaire. Je conclus également que la cote de fiabilité du fonctionnaire doit être rétablie. Ce dernier devrait donc être réintégré dans son emploi en date du 12 mars 2014, date à laquelle prenait effet son licenciement.

II.  Résumé de la preuve

A.  Témoins

[6]  L’employeur a fait témoigner les personnes suivantes :

·  Chris Docherty, directeur général par intérim de la Direction de la sécurité et des affaires internes;

·  Jacynthe Tremblay, directrice du Bureau des services fiscaux (BSF) de l’Ouest-du-Québec (qui regroupe les BSF de Laval, Gatineau et Rouyn-Noranda) en 2013-2014 (maintenant retraitée);

·  Joël Tremblay, enquêteur, DAICF;

·  Serge Gagné, enquêteur, DAICF;

·  Marie-France Leduc, enquêteuse, DAICF;

·  Garnel Augustin, vérificateur au BSF de Laval (maintenant retraité);

·  Jean-Paul Dufour, vérificateur au BSF de Laval (maintenant retraité);

·  John Lyssicatos, directeur adjoint de la vérification au BSF de Laval (maintenant retraité);

·  Henri Bettez, directeur du BSF de l’Ouest-du-Québec de 2014 à 2019 (maintenant retraité).

[7]  Le fonctionnaire a cité à témoigner Gabriel Lavoie, chef d’équipe pour l’élaboration de la charge de travail, 2010–2015 (maintenant retraité), et il a lui-même témoigné.

B.  Enquête

[8]  L’employeur a déposé en preuve le rapport d’enquête sur l’inconduite alléguée du fonctionnaire. Il est clair, d’après les témoignages, que les conclusions de l’enquête constituent le fondement de la mesure de licenciement; il convient donc d’analyser le rapport d’enquête en détail.

[9]  M. Tremblay est l’un des trois enquêteurs qui ont participé à l’enquête, avec Mme Leduc et M. Gagné. Il a expliqué à l’audience qu’une enquête préliminaire en janvier 2014 avait mené à une enquête approfondie à partir de mars 2014. Le fonctionnaire a été suspendu sans salaire le 12 mars 2014, date à laquelle commençait l’enquête approfondie. L’enquête préliminaire consistait à vérifier des pistes électroniques; l’enquête approfondie incluait l’examen de documents et comprenait également des entrevues avec diverses personnes qui pouvaient avoir de l’information.

[10]  M. Tremblay a indiqué qu’une enquête sur deux autres employés avait mené la DAICF à 21 « dossiers douteux », qui impliquaient le fonctionnaire. Ces 21 dossiers douteux constituent l’amorce de l’enquête et, finalement, en constitueront la teneur essentielle.

[11]  M. Tremblay a expliqué que l’enquête portait d’abord sur une étude des documents papiers et électroniques relatifs aux dossiers douteux. Le point de départ était le système informatique de gestion de la vérification (SIGV) dans lequel les vérificateurs consignent leur travail sur les dossiers. Le SIGV donne des renseignements tels que le numéro de dossier, le nom du contribuable, l’auteur de la vérification, le type de vérification, le nombre d’heures consacrées au dossier par le vérificateur, le nom du superviseur, et en vertu de quel programme de l’ARC le dossier est traité.

[12]  Chacun des 21 dossiers douteux est étudié en profondeur dans le rapport d’enquête. Je les passe en revue dans les paragraphes qui suivent. Afin de préserver la confidentialité des renseignements des contribuables, ceux-ci ne sont identifiés que par des initiales. J’ai identifié par leurs noms les témoins de l’employeur. Je n’identifie que par des initiales les employés qui ont été mêlés à cette affaire; il serait inéquitable de ternir leur réputation alors qu’ils n’étaient pas présents à l’audience pour défendre leurs intérêts. De même, je n’identifie que par leurs initiales les personnes à l’extérieur de l’ARC mêlées à cette affaire

[13]  Je note que, dans la présente décision, les termes « superviseur » et « chef d’équipe » sont synonymes et utilisés de façon interchangeable. Les vérificateurs relèvent d’un chef d’équipe; les chefs d’équipe se rapportent à un gestionnaire. De juin 2009 à septembre 2013, le fonctionnaire était gestionnaire à la vérification de la petite et moyenne entreprise (PME). (La lettre de licenciement indique erronément qu’il était gestionnaire à la Planification fiscale abusive).  Dix chefs d’équipe se rapportaient à lui, dont PS, MM et MA, souvent mentionnés dans la preuve. Avant d’être nommé à la vérification de la PME, de juillet 2003 à juin 2009, le fonctionnaire était chef d’équipe, Impôt international; sa gestionnaire, d’avril 2008 à juin 2009, était GM.

1.  Dossiers
a.  Dossier RA

[14]  Le dossier est ouvert le 27 octobre 2009 et clos le 16 novembre 2009, avec vérification faite par le superviseur le 3 décembre 2009 d’après le SIGV. Le vérificateur est Jean-Paul Dufour, et son chef d’équipe est PS. Une note au dossier indique qu’un M. GW a apporté le dossier RA au BSF de Laval, a rencontré le fonctionnaire, et celui-ci a chargé M. Dufour de traiter le dossier.

[15]  Il est à noter que le nom de M. Dufour revient souvent dans les dossiers douteux. M. Dufour a témoigné à l’audience. Il a été incapable de confirmer que c’était effectivement le fonctionnaire qui lui avait remis le dossier RA. Quand on lui a demandé qui lui avait remis les dossiers sur lesquels il a travaillés d’après le rapport d’enquête, il a spontanément répondu PS, MM et MA.

[16]  Selon le rapport d’enquête, le vérificateur a traité le dossier RA de façon extrêmement sommaire. Il n’y a aucune vérification de chiffres et aucun état financier; il n’y a que des totaux qui mènent à une somme à verser en impôt pour les trois années antérieures, sans pénalité, ni justification pour l’absence de pénalité.

[17]  La feuille de vérification est signée par PS, comme il se doit, puisqu’elle est le chef d’équipe. Pourtant, dans la note au dossier, M. Dufour indique qu’il a présenté les résultats de sa vérification au fonctionnaire le 4 novembre 2009. M. Dufour n’a pu ni expliquer ni confirmer cette note à l’audience.

[18]  Le seul lien avec le fonctionnaire est le fait que son nom apparaît dans les notes de M. Dufour. Or, celui-ci n’a pu confirmer à l’audience que le fonctionnaire lui avait effectivement assigné le dossier.

b.  Dossiers LA et LE

[19]  Ces dossiers sont traités ensemble, les contribuables sont des conjoints. Comme bon nombre d’autres dossiers, ils sont attribués à un programme de vérification intitulé « Projet d’actes notariés ». Pour le moment, je me contenterai de signaler quels dossiers ont été attribués à ce projet (17 des 21 dossiers). J’expliquerai plus loin en quoi consistait le projet d’actes notariés.

[20]  Le vérificateur dans ces dossiers était M. Dufour. Le superviseur était MA, un autre chef d’équipe qui se rapportait au fonctionnaire. La note au dossier indique ce qui suit :

Germain Pelletier me remet le dossier de LA et m’avise que c’est un nouveau client de [OPC] et que M. [OF] lui a remis la demande de redressement de dossier jointe pour vérification car il ne veut pas prendre de nouveau client sans vérification du fisc s’assurant ainsi que tout est réglo.

[21]  D’après le SIGV, le premier dossier a été ouvert le 9 février 2010, le second le 10 février 2010, et ils sont terminés le 20 mai 2010. La date de fermeture pour les deux dossiers dans les notes au dossier est le 27 avril 2010. M. Dufour n’a pu expliquer l’écart des dates dans les notes au dossier, ni confirmer que le fonctionnaire lui avait effectivement remis ces dossiers.

[22]  La vérification est plus que sommaire. En outre, selon la preuve, un contribuable (ou son représentant) n’est pas censé s’adresser à la section de vérification pour faire faire une vérification : c’est la section qui détermine quels contribuables feront l’objet d’une vérification. La preuve établit aussi que le processus s’assimile davantage à une divulgation volontaire, qui relève d’un autre secteur de l’ARC.

c.  Dossier CD

[23]  Le dossier est traité entre le 16 et le 18 mars 2009. Le vérificateur dans ce dossier est Garnel Augustin. Son chef d’équipe est le fonctionnaire.

[24]  Les notes au dossier indiquent que le fonctionnaire a remis le dossier à M. Augustin. Il s’agit d’une modification de déclaration de revenus, avec cotisation, mais sans pénalité.

[25]  En lien avec ce dossier, on a trouvé dans l’ordinateur du fonctionnaire  un projet d’entente en vertu de laquelle on fixe le montant des revenus supplémentaires que CD déclare, et on donne une estimation des impôts à payer. En retour, le contribuable s’engagerait à ne pas exercer ses droits de recours en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (LIR).

[26]  L’entente a été créée le 25 février 2009, et la dernière modification aurait été faite par le fonctionnaire. Les personnes dont les noms figurent pour signature (l’entente n’est pas signée) sont CD, GM, le fonctionnaire, et une représentante de Revenu Québec. L’intitulé indique que l’entente est entre CD et l’ARC, qui est représentée par GM.

[27]  Au moment du traitement de ce dossier, le fonctionnaire est chef d’équipe à l’impôt international; sa gestionnaire est GM.

[28]  D’après le rapport, le traitement du dossier est fautif et l’entente est hautement irrégulière; je note que celle-ci n’est pas signée.

d.  Dossier AA

[29]  Dans ce dossier, comme dans tous les autres dossiers qui restent sauf un, le nom du fonctionnaire n’apparaît nulle part. Le seul lien avec le fonctionnaire est le fait que le superviseur du vérificateur relève du fonctionnaire. Autrement dit, le nom du fonctionnaire n’apparaît pas dans 17 des 21 dossiers douteux.

[30]  Le dossier est attribué au projet d’actes notariés. Le vérificateur est M. Dufour, le superviseur est MA. Le dossier est ouvert le 26 mars 2010, et révisé le 20 mai 2010 par MA. Une offre d’entente préparée par M. Dufour est datée du 26 mars 2010, faisant état d’intérêts non déclarés sur des placements à l’étranger.

[31]  Sauf pour le fait que le nom du fonctionnaire ne figure pas dans les notes au dossier, la première note est très semblable à celle du dossier LA : il s’agit d’un nouveau client de la société comptable OPC; M. OF demande une vérification pour s’assurer que son nouveau client est « réglo ».

[32]  Encore une fois, dossier est traité de façon très sommaire; il manque tous les documents justificatifs et toute analyse. Le client a droit à une nouvelle cotisation, sans pénalité.

[33]  Dans ce dossier, le représentant inscrit au dossier n’est pas la société OPC.

e.  Dossier CN

[34]  Les données de ce dossier sont semblables à celles du dossier précédent : mêmes vérificateur et superviseur, mêmes dates d’ouverture et de révision, même provenance, soit la société OPC, et même explication dans les notes au dossier. Ici non plus, le représentant inscrit au dossier n’est pas la société OPC. Le dossier est attribué au projet des actes notariés.

[35]  Le traitement de ce dossier semble également très sommaire, et aucune pénalité n’est ajoutée pour une correction de déclaration s’étendant sur trois ans. L’offre d’entente préparée par M. Dufour est datée du 22 mars 2010, faisant état d’intérêts non déclarés sur des placements à l’étranger.

[36]  Le nom du fonctionnaire n’apparaît nulle part dans le dossier.

f.  Dossier FC

[37]  Dans ce dossier, les vérificateurs et superviseurs sont les mêmes, et le dossier est aussi ouvert le 26 mars 2010 (révisé le 12 mai 2010). Le dossier provient encore une fois de M. OF, qui demande une vérification pour s’assurer que son nouveau client est « réglo ».

[38]  Comme dans les dossiers précédents, les chiffres sont fournis, le vérificateur ne procède à aucune analyse, et la nouvelle cotisation est établie sans pénalité. L’offre d’entente préparée par M. Dufour est datée du 26 mars 2010, faisant état d’intérêts non déclarés sur des placements à l’étranger. Comme dans tous les dossiers, il n’y a aucun document bancaire faisant état des placements.

[39]  Le dossier est attribué au projet des actes notariés.

g.  Dossier GG

[40]  Encore une fois, le même scénario. Le dossier est ouvert le 26 mars 2010 par M. Dufour, et révisé le 21 mai 2010 par son superviseur, MA. Le dossier est vérifié à la demande de M. OF qui veut des clients « réglos ». Il s’agit de cotiser des intérêts non déclarés sur des placements à l’étranger. Le dossier est attribué au projet des actes notariés. Le dossier ne comprend aucun état bancaire ou autre document justificatif. L’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du 26 mars 2010.

h.  Dossier GJ

[41]  Ce dossier reflète la même réalité que celle des dossiers précédents : M. Dufour est vérificateur et MA est le superviseur. La date d’ouverture est le 26 mars 2010 et le dossier est révisé le 20 mai 2010. Le dossier contient la même note quant à la provenance et la raison de la vérification. Il s’agit de la cotisation d’intérêts non déclarés sur des placements à l’étranger pour les années 2006 à 2008, sans aucun état financier ou autre document justificatif. Le dossier est attribué au projet des actes notariés. Dans ce cas, le représentant au dossier n’est pas le bureau de M. OF. Curieusement, l’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du 24 février 2010.

i.  Dossier MS

[42]  Le dossier est ouvert le 26 mars 2010 par M. Dufour, et le superviseur qui révise le dossier le 20 mai 2010 est MA. La note au dossier est la même  quant à la provenance et au motif de vérification, et à la cotisation d’intérêts non déclarés à l’étranger, sur trois ans, sans pénalité. Le dossier est attribué au projet des actes notariés. Le représentant au dossier n’est pas le bureau de M. OF. L’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du 26 mars 2010.

j.  Dossier PG

[43]  Le dossier est ouvert le 26 mars 2010 par M. Dufour, le superviseur est MA qui révise le dossier le 21 mai 2010. Encore une fois, il s’agit de la même provenance et du même motif de vérification, avec cotisation d’intérêts non déclarés à l’étranger, sur deux ans, sans pénalité. L’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du 26 mars 2010.

[44]   Le dossier est attribué au projet des actes notariés. Le représentant au dossier n’est pas le bureau de M. OF.

k.  Dossier RE

[45]  Le dossier est ouvert le 26 mars 2010 par M. Dufour, le superviseur est MA. L’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du même jour, faisant état des intérêts non déclarés sur des placements à l’étranger de 2006 à 2008. D’après les notes aux dossiers, le dossier provient de M. OF.

[46]  Le dossier est attribué au projet des actes notariés. Le représentant au dossier n’est pas le bureau de M. OF.

l.  Dossier ME

[47]  La date d’ouverture d’après le SIGV est le 10 mai 2010, M. Dufour étant le vérificateur. Le superviseur MA a révisé le dossier le 31 mai 2010. D’après les notes au dossier, il aurait été ouvert le 13 avril 2010. L’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du 15 avril 2010.

[48]  Encore une fois, il s’agit d’intérêts non déclarés dont le montant est établi dans la lettre de vérification. Le dossier provient du bureau de M. OF, qui cette fois est inscrit en tant que représentant du contribuable. Le dossier est attribué au projet des actes notariés.

m.  Dossier FG

[49]  La date d’ouverture est le 2 juin 2010. M. Dufour est vérificateur, et MA, le superviseur. Le dossier est attribué au projet des actes notariés.

[50]  Cette fois, il s’agit d’une demande de M. GW, pour un de ses clients, d’une vérification de revenus d’intérêts pour les années 2007 à 2009.

[51]  L’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du 2 juin 2010, pour des intérêts non déclarés sur des placements à l’étranger. Le représentant au dossier n’est pas M. GW.

n.  Dossier SH

[52]  Encore une fois, il s’agit d’une demande de M. GW pour une vérification de revenus d’intérêts pour 2007, 2008 et 2009. Le dossier est ouvert le 2 juin 2010 par M. Dufour en tant que vérificateur, et MA est le superviseur. L’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du 2 juin 2010. On établit les montants d’intérêts non déclarés sur des placements à l’étranger pour les trois années en question. Le représentant au dossier n’est pas M. GW.

o.  Dossier BL

[53]  Le dossier, cette fois, vient d’un M. PP. Il est ouvert le 5 juillet 2010 d’après les notes au dossier, mais le 26 juillet 2010 d’après le SIGV. Le superviseur est MA. Le dossier est attribué au projet des actes notariés.

[54]  L’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du 5 juillet 2010, et fait état d’intérêts non déclarés sur des placements à l’étranger, pour quatre années d’imposition, soit de 2006 à 2009.

[55]  D’autres irrégularités sont manifestes : l’adresse du contribuable dans les notes au dossier ne concorde pas avec celle du SIGV et le représentant n’est pas le même.

[56]  Dans ce dossier, comme dans tous les dossiers attribués au projet des actes notariés, apparaît la phrase suivante dans le rapport du vérificateur, toujours rédigée de la même façon pour expliquer la non-application d’une pénalité :

[…] Le représentant nous a remis, sous avis de [nom du contribuable ou simplement « son client »], de l’information et des documents que nous n’aurions jamais pu obtenir sans leur collaboration. […]

p.  Dossier CL

[57]  Le dossier est ouvert le 26 juillet 2010 d’après le SIGV, mais le 29 juillet 2010 d’après les notes au dossier. Le vérificateur est M. Dufour, et le superviseur est MA. L’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du 29 juillet 2010, et elle fait état des intérêts non déclarés sur des placements à l’étranger pour les années 2007, 2008 et 2009. Aucune pénalité n’est imposée, et on y trouve la même phrase justificative.

q.  Dossier DC

[58]  Le vérificateur est M. Dufour, le superviseur est MA. Le dossier est ouvert le 26 juillet 2010 d’après le SIGV, mais le 5 juillet 2010 d’après les notes au dossier. L’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du 5 juillet 2010. Elle établit les intérêts non déclarés sur les placements à l’étranger. Le dossier est attribué au projet des actes notariés, et comprend la même phrase justificative pour la non‑application d’une pénalité.

r.  Dossier FV

[59]  Le dossier est ouvert le 5 juillet 2010 d’après les notes au dossier. Le vérificateur est M. Dufour, le superviseur est MA. Le dossier est reçu de M. GW, et il est attribué au projet des actes notariés. La vérification consiste à établir le montant des intérêts non déclarés sur les placements à l’étranger.

[60]  L’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du 5 juillet 2010, et le rapport du vérificateur comprend la même phrase justifiant la non-application d’une pénalité. Le représentant au dossier n’est pas M. GW.

[61]  Ce dossier, assez curieusement, me semble se confondre avec un autre dossier (SH).

s.  Dossier BG

[62]  Le dossier est ouvert le 6 avril 2010, d’après le SIGV, par M. Dufour en tant que vérificateur; le superviseur est MA. Le contribuable est, selon les notes, un client de M. OF, qui aurait « […] demandé à ce que le dossier soit vérifié suite à un contact préalable établi avec l’ARC BSF de Laval par le représentant précédent […] ».

[63]  Le dossier, d’après les notes, est ouvert le 26 mars 2010. Il est attribué au projet des actes notariés. L’offre de règlement préparée par M. Dufour est datée du 26 janvier 2010, et reprend les chiffres proposés par le « représentant précédent » en janvier 2010 dans le cadre d’une entente pour déclarer les revenus de placements à l’étranger dont le contribuable aurait hérité au décès de son père.

t.  Dossier Cie G

[64]  Ce dossier est complètement différent des autres dossiers. Il remonte à septembre 2008, à l’époque où le fonctionnaire était chef d’équipe à l’impôt international et se rapportait à la gestionnaire GM.

[65]  Un avocat qui représentait la Cie G a pris contact avec GM pour discuter d’une planification fiscale qui comprenait un straddle loss [stellage entraînant une perte, mais l’utilisation du terme anglais est plus usuelle]. Je retiens des explications données par le fonctionnaire à l’audience qu’il s’agit d’une opération fort complexe. L’analyse fiscale doit être menée par des spécialistes. D’après le fonctionnaire, personne au BSF de Laval n’avait la compétence pour traiter cette question.

[66]  Pourtant, GM a demandé au fonctionnaire d’assister à une réunion avec l’avocat de la Cie G pour discuter de l’opération de straddle loss. Le fonctionnaire a témoigné qu’en sortant de cette rencontre, il a dit à GM qu’il n’avait pas la compétence pour l’aider dans cette affaire.

[67]  Le dossier a été confié par GM à M. Dufour, qui a traité le dossier selon les directives reçues des clients. Le dossier a par la suite refait surface, avec tous les défauts inhérents à un traitement plus que douteux.

[68]  Le rapport d’enquête fait état des faits suivants :

[…]

Lors d’une fouille effectuée le 17 mars 2014 par des enquêteurs internes au bureau de Germain Pelletier, un dossier contenant plusieurs documents (totalisant 366 pages) se rapportant à la vérification de la [Cie G] a été trouvé. Il s’agissait de documents tels que des correspondances, des états financiers, des écritures comptables, divers formulaires d’impôt, les notes au dossier de Jean-Paul Dufour, un formulaire de statut corporatif, des documents extrait du livre des minutes (description du capital-action, actionnaires, certificats d’action) ainsi qu’une copie du Memorandum mentionné ci-dessus. Il est surprenant que tous ces documents ont été récupérés au bureau de Germain Pelletier alors qu’aucune trace du dossier de vérification n’a été retrouvé. […]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[69]  Le fonctionnaire a expliqué à l’audience qu’on avait placé ces documents dans son bureau, mais qu’il n’avait rien eu à faire dans ce dossier, sauf pour ce qui est de la demande initiale de sa gestionnaire d’assister à la rencontre avec l’avocat. Au moment de ces événements, il était le superviseur de M. Dufour, mais aucun document ne montre qu’il a révisé ce dossier.

2.  Projet des actes notariés

[70]  Des vérificateurs de l’ARC avaient découvert le potentiel fiscal offert par les prêts privés, conclus devant notaire, qui génèrent des intérêts non cotisés. Le BSF de Laval a acheté une base de données qui faisait état de quelque 26 000 actes de prêt notariés. L’objectif était de faire enquête sur ces prêts afin de déterminer si les revenus d’intérêts avaient été déclarés, et sinon, de les cotiser.

[71]  Lorsque le fonctionnaire est devenu gestionnaire à la vérification de la PME, le projet était déjà en cours, mais il n’avait pas reçu de ressources d’Ottawa. À la demande de ses supérieurs, le fonctionnaire a présenté un dossier à Ottawa en 2009 pour prôner le projet, qui a été autorisé pour une période de deux ans.

[72]  Comme le font remarquer les enquêteurs, ce projet touchait les prêts privés au Québec pour l’achat de biens immeubles; il ne concernait en rien la déclaration d’intérêts provenant de placements à l’étranger.

[73]  Toutefois, selon l’explication de M. Lavoie, qui était responsable de la charge de travail sous la direction du fonctionnaire, l’attribution de dossiers à ce projet était assez large, et comprenait notamment la cotisation de gains en capital dans la vente de biens immeubles. Et M. Lavoie et le fonctionnaire étaient convaincus du lien entre le gain en capital et les actes notariés.

[74]  M. Lyssikatos, le supérieur hiérarchique du fonctionnaire, a déclaré lors de son témoignage que le projet faisait l’objet de rapports trimestriels qui semblaient complets et conformes.

[75]  Le fonctionnaire a témoigné que ce projet était l’œuvre de MM, qui l’avait créé et l’administrait. Le fonctionnaire signait les rapports à titre de gestionnaire, mais n’avait aucune idée des dossiers spécifiques qui étaient attribués au projet.

3.  Entrevues

[76]  L’enquête comprend des entrevues. À la lecture des comptes rendus de ces entrevues, il est frappant de constater le peu de preuve relative au fonctionnaire. Je résume dans les paragraphes qui suivent la teneur de ces entrevues.

[77]  MA : il confirme que le projet des actes notariés a été développé par MM. Il avait remplacé MM, mais les dossiers étaient déjà attribués aux vérificateurs. Je cite le rapport d’enquête qui rapporte les propos de MA : « [L]e projet des actes notariés pouvait impliquer à peu près n’importe quoi. Il était possible que Germain Pelletier ait attribué directement des dossiers à des vérificateurs alors qu’il était gestionnaire mais ne savait pas s’il avait attribué des dossiers à Jean-Paul Dufour. »

[78]  Le fonctionnaire lui aurait dit, lors de son arrivée en poste, de traiter les dossiers d’actes notariés comme l’avait fait MM. Finalement, il dit que M. Dufour semblait suivre les consignes reçues de MM.

[79]  PS : elle a travaillé sous la supervision du fonctionnaire, mais elle ne fait nullement allusion à lui pour ce qui est de l’attribution de dossiers aux vérificateurs. La signature de PS est apposée sur le rapport de vérification du dossier RA, mais elle ne s’en souvient pas. Le rapport d’enquête indique à ce sujet : « Elle n’avait pas eu de directives d’une tierce personne concernant le traitement de ce dossier. »

[80]  M. Dufour : il n’a pas rencontré les enquêteurs, mais il a accepté de répondre à certaines questions par téléphone. Dans son entrevue téléphonique, il n’implique pas le fonctionnaire. Il se souvenait que le dossier de straddle loss lui avait été remis par MM.

[81]  M. Augustin : il se rappelait que le fonctionnaire lui avait remis le dossier de CD. Le fonctionnaire lui avait dit de simplement reproduire les rajustements déjà calculés et de ne pas imposer de pénalité. Il s’agissait simplement de fermer le dossier, tous les calculs ayant été faits.

[82]  En contre-interrogatoire à l’audience, M. Augustin a confirmé que le fonctionnaire avait discuté avec lui du représentant qui avait la procuration de CD.

[83]  M. Lyssikatos : au cours de son entrevue, M. Lyssikatos a surtout parlé du mouvement des gestionnaires d’un poste à l’autre au BSF de Laval. Il a confirmé que les procédures dans les dossiers douteux n’étaient pas conformes aux règles. Il mentionne le fonctionnaire dans le cadre du projet des actes notariés et de ses responsabilités de gestion, mais la seule allusion aux faits reprochés au fonctionnaire est présentée comme suit dans le rapport d’enquête :

[…]

Le nom [OF] ne lui disait rien mais il avait possiblement entendu le nom [GW] lorsqu’il travaillait à Montréal. Les firmes comptables [OPC] et [GWP] n’auraient pas dû approcher Germain Pelletier pour lui demander que les dossiers de leurs clients soient vérifiés. Il était inacceptable que Germain Pelletier ait par la suite accepté les dossiers des représentants directement puisqu’il aurait dû référer les dossiers au Programme des divulgations volontaires; […]

 

[84]  Interrogé à l’audience sur sa connaissance directe de l’implication du fonctionnaire dans les faits sous enquête, M. Lyssikatos a répondu que ce paragraphe correspondait aux questions que les enquêteurs lui avaient posées. Ils avaient posé la question « Est-ce acceptable que […] » en suppléant le sujet, soit le nom du fonctionnaire. Selon M. Lyssikatos, sa réponse aurait été la même s’ils avaient inséré son propre nom, « Est-ce acceptable que John Lyssikatos […] ». Il aurait répondu que non, ce n’était pas acceptable. Cela dit, a‑t-il confirmé à l’audience, il n’avait aucune connaissance personnelle que le fonctionnaire avait effectivement agi ainsi. Il a témoigné à l’audience qu’il avait été abasourdi par la suspension abrupte du fonctionnaire.

4.  Conclusions de l’enquête

[85]  L’enquête a conclu que le fonctionnaire « a agi à l’extérieur de ses fonctions en tant que vérificateur et sans la diligence attendue d’un fonctionnaire du gouvernement du Canada et a enfreint le Code déontologie et de conduite » en raison des comportements suivants :

  • · en refusant de collaborer à l’enquête interne;

  • · en acceptant de traiter des demandes de contribuables qui ne faisaient pas partie du mandat de sa Division, contournant ainsi les mesures de contrôle mises en place par l’ARC;

  • · en accordant un traitement préférentiel à certains contribuables, leur permettant de réduire leur dette fiscale et d’éviter les pénalités;

  • · en abusant de son autorité en demandant à deux vérificateurs sous sa gouverne de traiter des divulgations volontaires de contribuables;

  • · en accédant sans autorisation aux renseignements confidentiels de plusieurs contribuables et en rencontrant des représentants qui n’avaient pas, selon le dossier, la procuration du contribuable.

[86]  L’enquête conclut également que le fonctionnaire a enfreint la Directive sur les conflits d’intérêts en ne soumettant pas un formulaire de divulgation volontaire relatif à ses immeubles locatifs.

C.  Explications du fonctionnaire

[87]  Le fonctionnaire a effectivement choisi de ne pas collaborer à l’enquête; il a refusé de rencontrer les enquêteurs. Une fois l’enquête terminée, M. Bettez lui a envoyé une lettre le 18 novembre 2014 pour l’inviter à une audience disciplinaire pour discuter du rapport d’enquête. Le rapport d’enquête était lourdement caviardé. Toute information relative aux 21 dossiers douteux était caviardée. Il ne reste dans le rapport caviardé que les conclusions de l’enquête, mais il est impossible de comprendre comment les enquêteurs en sont arrivés à ces conclusions.

[88]  Le 20 novembre 2014, le fonctionnaire a répondu avec « quelques commentaires préliminaires » à la lettre de M. Bettez. Il a répondu essentiellement que le projet d’actes notariés avait été mené correctement, et que les rapports avaient toujours été acceptés par l’administration centrale. Il a nié que les dossiers aient été traités de façon détournée. Compte tenu du fait qu’aucun détail n’a été fourni sur les dossiers en cause, il n’a fourni aucune autre explication.

[89]  À l’audience, le fonctionnaire a expliqué pourquoi il avait refusé de rencontrer les enquêteurs. Lorsqu’il a été suspendu le 12 mars 2014, la directrice du bureau, Mme Tremblay, ne lui a fourni aucune raison pour la suspension, sauf pour dire qu’une enquête aurait lieu. Le fonctionnaire s’est dit prêt à répondre aux questions des enquêteurs.

[90]  Toutefois, dès le lendemain, des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) se sont présentés chez lui pour lui poser des questions. Les agents semblaient au courant de sa suspension, et lui ont posé beaucoup de questions sur ses collègues. Mal à l’aise, le fonctionnaire a alors communiqué avec un avocat criminaliste, qui lui a conseillé de ne pas collaborer davantage à l’enquête de l’employeur. Il était préférable, selon cet avocat, d’attendre pour voir quelles seraient les allégations de l’employeur après enquête, pour y répondre à ce moment-là. Lorsque le fonctionnaire a reçu la copie caviardée du rapport d’enquête, il s’est dit que sa lettre pour nier toute inconduite suffisait, en attendant d’avoir le détail des allégations contre lui. Lorsqu’il a été licencié, il n’avait toujours pas la copie intégrale du rapport d’enquête. Il ne l’a obtenue que par une ordonnance de la Commission, après avoir renvoyé à l’arbitrage son grief contre son licenciement.

[91]  Le fonctionnaire a fourni les explications suivantes en réponse au rapport d’enquête.

[92]  Pour le premier dossier RA, le fonctionnaire a nié avoir rencontré M. GW, et il a également nié avoir attribué le dossier. L’attribution des dossiers ne relevait pas de ses fonctions. Un chef d’équipe est responsable de la charge de travail, et les chefs d’équipe qui dirigent les vérificateurs attribuent les dossiers aux vérificateurs. D’ailleurs, M. Dufour a été incapable de confirmer que le dossier lui avait été attribué par le fonctionnaire, malgré la note au dossier qui l’indique. Le fonctionnaire a fait remarquer que, dans le SIGV, le dossier avait d’abord été ouvert en février 2009, à une époque où le fonctionnaire ne travaillait pas encore en tant que gestionnaire à la PME, et M. Dufour ne faisait pas partie de son secteur. Le fonctionnaire a ajouté que les gestionnaires ne regardaient jamais le détail des dossiers; c’est le chef d’équipe qui révise le travail du vérificateur. Dans ce dossier, le chef d’équipe était PS.

[93]  Pour les dossiers LA et LE, le fonctionnaire a également soutenu qu’il n’avait pas été au courant du tout. Encore une fois, M. Dufour n’a pu confirmer à l’audience que le fonctionnaire lui avait effectivement remis les dossiers, contrairement à ce qu’indiquaient les notes aux dossiers.

[94]  Pour le dossier CD, le fonctionnaire a expliqué que c’est sa gestionnaire à l’époque, GM, qui avait demandé que le dossier soit traité. Il s’agissait de cotiser un gain en capital. Le fonctionnaire a accédé au dossier, mais pour vérifier qui avait la procuration pour le contribuable. Le fonctionnaire avait déjà eu des conflits avec sa gestionnaire, et il ne s’est pas opposé au traitement du dossier. Le mémorandum se trouvait dans son ordinateur sans doute parce que sa gestionnaire lui avait envoyé. Il n’a rien signé, même si son nom apparaît dans le mémorandum.

[95]  Pour tous les dossiers traités par M. Dufour, où MA était le chef d’équipe, le fonctionnaire n’a jamais été mêlé aux dossiers. Selon le fonctionnaire, ce n’était pas le rôle du gestionnaire de vérifier de près les dossiers traités par des vérificateurs et révisés par le chef d’équipe. À l’époque, 10 chefs d’équipe se rapportaient à lui. Il n’attribuait pas de dossier directement aux vérificateurs.

[96]  Le fonctionnaire a expliqué à l’audience qu’il n’avait jamais été directement engagé dans le projet des actes notariés, qui avait été monté et administré par MM. Il avait soumis le projet à l’administration centrale Ottawa pour obtenir des ressources, à la demande de son directeur adjoint, et il avait signé les rapports trimestriels. Il se fiait aux chefs d’équipe pour que les dossiers soient traités correctement.

[97]  Finalement, pour le dossier de la Cie G, il a effectivement accompagné GM à la rencontre avec l’avocat. Il a insisté sur le fait que le straddle loss dépassait la compétence de toutes les personnes au bureau de Laval, y compris la sienne. GM a attribué le dossier directement à M. Dufour, et le fonctionnaire n’en a plus entendu parler.

[98]  Au cours de son témoignage, le fonctionnaire a parlé de conflits sérieux entre lui et sa gestionnaire, GM, ainsi qu’avec MM, qui relevait de lui. Avec GM, les conflits avaient été d’ordre professionnel, c’est-à-dire des désaccords sur la façon de traiter certains dossiers. Le fonctionnaire avait refusé à un certain moment de signer un rapport de vérification, pour des raisons d’éthique, et il avait eu droit à des remontrances de la haute direction pour son insubordination.

[99]  La relation avec MM avait été tendue, notamment parce que le fonctionnaire lui avait donné une évaluation de rendement que MM jugeait insatisfaisante.

D.  Décision de licencier le fonctionnaire

 

[100]  M. Bettez, qui a signé la lettre de licenciement, a témoigné à l’audience. Il a dit à quel point il avait été surpris par les résultats de l’enquête. Le fonctionnaire, selon lui, était une étoile montante, et la haute direction avait bon espoir qu’il continuerait sur sa lancée. Je note que M. Lyssikatos a également témoigné qu’il avait été très surpris par les allégations contre le fonctionnaire. Selon lui, cela ne correspondait pas du tout à son profil.

[101]  Quand M. Bettez a reçu le rapport d’enquête, il voulait avoir les explications du fonctionnaire. Cependant, celui-ci n’a pas voulu se présenter à une rencontre disciplinaire, et a envoyé la lettre mentionnée plus haut, niant les allégations et soutenant que le projet des actes notariés était en règle.

[102]  Ce déni a confirmé pour M. Bettez la véracité du rapport d’enquête. Il ne comprenait pas pourquoi le fonctionnaire ne cherchait pas à s’expliquer, de vive voix, et ne cherchait pas à obtenir toutes les explications possibles sur les conclusions de l’enquête. Le fait que le fonctionnaire semblait comprendre la teneur du rapport, et y répondait en soutenant que le projet des actes notariés était en règle, confirmait aux yeux de M. Bettez qu’il avait été complice dans tous les dossiers enquêtés.

E. Révocation de la cote de fiabilité

  • [103] À la suite des conclusions de l’enquête, la cote de fiabilité du fonctionnaire a été révoquée. Les motifs de révocation sont énoncés de la façon suivante dans une lettre du 31 mars 2015, signée par M. Docherty :

[…]

Lorsque des renseignements défavorables sont découverts et qu’ils peuvent être assez graves pour révoquer la cote de fiabilité, un examen de sa cote de fiabilité est initié afin d’établir si les renseignements défavorables sont considérés comme un risque continu relativement au poste occupé par la personne. Dans de telles situations, la personne est invitée à une entrevue et se voit accorder la possibilité de fournir des renseignements supplémentaires qui sont pris en compte au moment de prendre la décision définitive quant au maintien ou à la révocation de sa cote de fiabilité.

Tel que décrit dans nos correspondances datées du 19 novembre 2014 et du 20 février 2015, les renseignements défavorables contenus dans le rapport d’enquête de la Division des affaires et du contrôle de la fraude ont entraîné l’initiation d’un examen justifié de votre cote de fiabilité, conformément à la Directive sur les enquêtes de sécurité sur le personnel de l’ARC. Cette revue a été initiée puisque :

· vous n’avez pas protégé les renseignements et les biens de l’Agence lorsque vous avez effectués des accès non autorisés;

· vous avez utilisé au profit de tiers les biens et les renseignements de l’ARC auxquels vous aviez accès lorsque vous avez accordé un traitement préférentiel à des contribuables en leur permettant de réduire leur dette fiscale et d’éviter l’imposition de diverses pénalités, et lorsque vous avez accepté de traiter des demandes provenant des clients et de leurs représentants, à l’insu de vos supérieurs et en contournant les mesures de contrôles internes; et

· vous avez fait preuve de comportements nuisibles à votre fiabilité.

Afin de vous donner l’occasion de traiter les renseignements défavorables en main, dans notre correspondance du 19 novembre 2014, nous vous avons invité à participer à une entrevue préventive en personne le 21 novembre 2014. Cette entrevue avait été reportée pour le 5 décembre 2014, et vous vous n’êtes pas présenté. Une deuxième entrevue a été cédulé pour le 16 février 2015 suite à votre audience disciplinaire, et vous vous n’êtes pas présenté. Afin de vous donner une occasion finale de traiter les renseignements défavorables en main et d’aborder les risques notés ci-dessus, vous avez été invité à contacter Sylvain Bayeur, directeur adjoint/i, Sécurité, Région du Québec, avant le 3 mars 2015 afin de choisir de répondre lors d’une entrevue en personne, lors d’une entrevue téléphonique ou en soumettant une communication écrite. Vous n’avez pas communiqué avec M. Bayeur et vous n’avez pas soumis aucune communication écrite avant la date limite du 10 mars 2015. De ce fait, puisque vous n’avez pas répondu à cette lettre, une décision a été prise d’après les informations qui sont présentement disponibles.

Nous avons conclu que vous représentez un risque sérieux et imminent pour la sécurité des renseignements et des biens matériels de l’Agence, et que votre accès continu aux renseignements, aux biens et aux lieux de l’ARC constituerait donc, pour le moment, un risque inacceptable pour la sécurité. Par conséquent, nous devons révoquer immédiatement votre cote de sécurité, conformément à la Directive sur les enquêtes de sécurité sur le personnel de l’ARC. Cette décision est assujettie à un examen et à un recours par l’intermédiaire de la procédure de grief interne.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[104]  Comme dans le cadre de l’enquête disciplinaire, le fonctionnaire a choisi de ne pas rencontrer le directeur adjoint de la section de la sécurité pour s’expliquer, malgré de multiples invitations.

[105]  M. Docherty a déclaré lors de son témoignage que l’examen de la cote de fiabilité menée à la suite des renseignements fournis par l’enquête est un processus complètement distinct. L’examen vise non pas l’inconduite, mais l’avenir de la relation entre l’employé et l’employeur. Autrement dit, l’employeur peut-il continuer de faire confiance à l’employé? Le fait que le fonctionnaire n’ait pas accepté de présenter son point de vue sur les conclusions de l’enquête a pesé lourd dans l’évaluation du risque. Le service de sécurité n’avait en main que les allégations du rapport, auxquelles le fonctionnaire n’avait pas répondu. M. Docherty a conclu que les actions du fonctionnaire, non contestées, posaient un risque sérieux à la sécurité de l’ARC.

[106]  Dans son contre-interrogatoire, M. Docherty a indiqué que sa préoccupation pour l’enquête de sécurité n’était pas de vérifier la véracité des conclusions de l’enquête, mais bien d’offrir une procédure équitable au fonctionnaire pour que celui-ci puisse répondre aux allégations. Ce n’était pas son rôle, selon lui, de refaire l’enquête, mais bien de donner l’occasion au sujet de l’enquête de présenter son point de vue.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour l’employeur

[107]  L’élément important dans ce dossier est la notion de confiance. Il ne fait aucun doute que le fonctionnaire était un excellent employé; tous les témoins qui l’ont supervisé l’ont confirmé. Le problème, la raison pour laquelle l’employeur a perdu confiance, c’est l’absence d’explications face à une somme de faits accablants.

[108]  L’employeur reconnaît qu’il n’y a pas de preuve flagrante. Par contre, il y a suffisamment d’éléments de preuve quand les faits sont considérés dans leur ensemble.

[109]  L’employeur a eu d’abord des soupçons, d’où la tenue de l’enquête. Le refus catégorique du fonctionnaire de collaborer a sérieusement miné la confiance de l’employeur.

[110]  Il faut souligner que, dans le contexte de l’ARC, la confiance est primordiale, non seulement la confiance de l’employeur en ses employés, mais surtout, du contribuable dans le système fiscal.

[111]  L’employeur résume la preuve comme suit : des enquêtes ont révélé des irrégularités dans certains dossiers au BSF de Laval. Tous ces dossiers ont un point commun : le fonctionnaire, principalement à titre de gestionnaire. Par ailleurs, son nom apparaît dans quatre des dossiers, une preuve matérielle de son implication.

[112]  Selon l’employeur, tous les dossiers présentent des similarités frappantes : un traitement de faveur, une vérification plus que sommaire, l’absence de pénalités, le caractère de divulgation volontaire alors que ce n’est pas le mandat du BSF de Laval, une cotisation apparemment à la baisse pour les sommes dues, qui ne sont même pas vérifiées par une documentation complète. Voilà de quoi miner sérieusement la confiance dans le système, ce que l’ARC veut évidemment maintenir pour continuer à obtenir la collaboration de tous les contribuables.

[113]  L’enquête confirme les soupçons, et le fonctionnaire ne fournit aucune explication. L’employeur souligne l’importance que la jurisprudence accorde à l’obligation de l’employé soupçonné de méfaits de répondre aux allégations de l’employeur. En particulier, l’employeur a invoqué la décision Société canadienne des postes c. Association des officiers des postes du Canada (grief de Knox), [1996] D.A.T.C. no 621, où un employé, pris en flagrant délit de vol apparent, a refusé de fournir la moindre explication, prétextant les conseils reçus d’un avocat criminaliste. Au bout du compte, l’arbitre n’a pas cru l’explication de l’employé de ses gestes et il a maintenu le congédiement. Dans cette décision, l’arbitre a beaucoup insisté sur l’importance pour les employés d’expliquer leur comportement à l’employeur lorsque celui-ci soupçonne une inconduite grave.

[114]  Par ailleurs, l’employeur invoque la décision Laplante c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 104 (demande de contrôle judiciaire rejetée, 2008 CF 1036) pour faire valoir qu’une preuve circonstancielle peut suffire pour établir des faits selon la prépondérance de la preuve.

[115]  Plusieurs faits concourent à impliquer le fonctionnaire dans les dossiers, et celui-ci ne fournit aucune explication, ni au cours de l’enquête, ni au décideur, M. Bettez. Le fonctionnaire est nommé dans quatre dossiers. Même à l’audience, il explique mal pourquoi il a confié le dossier CD à M. Augustin, et pourquoi, en tant que chef d’équipe, il n’a pas souligné toutes les lacunes de la vérification dans ce dossier. Ses agissements dans le dossier de la Cie G sont également mal expliqués à l’audience : on lui demande d’assister à une réunion parce que le dossier est très technique, et il dit ne pas s’en être occupé. Pourtant, c’est dans son bureau qu’on retrouve tout le dossier. Pour ce qui est des autres dossiers, la défense du fonctionnaire est qu’il était gestionnaire, et donc, n’était pas responsable. Pourtant, dans les deux cas où il était lui-même chef d’équipe, c’est sa gestionnaire qu’il blâme.

[116]  Le fonctionnaire plaide l’ignorance en ce qui concerne les dossiers attribués au projet des actes notariés. Cependant, c’est le projet dont il était responsable. Il blâme MM, mais il ne s’est pas assuré que le projet fonctionne comme il devait, et non en tant que camouflage de manœuvres malhonnêtes.

[117]  Le fonctionnaire soutient que la copie caviardée du rapport d’enquête ne lui permettait pas de répondre aux accusations de l’employeur. Toutefois, il n’a pas tenté de rencontrer M. Bettez pour demander plus de détails. De plus, malgré le caviardage, le rapport communiqué au fonctionnaire donnait l’essentiel de ce qui lui était reproché, dans les termes suivants :

Les renseignements recueillis ont également permis d’établir que Germain Pelletier, gestionnaire, Division de la vérification, BSF de l’ouest-du-Québec semble avoir accepté des dossiers de divulgations volontaires sous le prétexte d’initier des vérifications à la demande des représentants. Les dossiers identifiés comportent des sommes importantes de revenus de placements étrangers et, bien qu’il s’agisse de revenus non déclarés, aucune pénalité pour faute lourde n’a été appliquée. Les dossiers ont été attribués à des vérificateurs mais les éléments aux dossiers porte [sic] à croire qu’aucune vérification n’a véritablement été effectuée.

[…] La plupart des dossiers ont été codés comme faisant partie du Projet des actes notariés effectué par la Division de la vérification, BSF de l’Ouest-du-Québec.

[118]  Dans la lettre adressée à M. Bettez à la suite de la réception de la copie caviardée du rapport d’enquête, le fonctionnaire ne fait que défendre le projet des actes notariés, sans répondre véritablement aux allégations d’inconduite, à savoir, le fait d’accepter des dossiers de représentants des contribuables qui concernent des revenus de placements à l’étranger.

[119]  Par conséquent, M. Bettez avait raison de craindre que le fonctionnaire n’était pas fiable, d’autant plus qu’il ne semblait assumer aucune responsabilité.

[120]  L’employeur cite les décisions suivantes sur l’obligation pour l’employé d’expliquer un comportement considéré douteux par l’employeur: Canadian Union of Public Employees, local 1252 v. Horizon Health Network (Arsenault grievance), [2018] N.B.L.A.A. no 4; Sarens Canada Inc. v. General Teamsters, Local Union no 362 (Hall grievance), [2017] A.G.A.A. no 31; Toronto (City) v. Toronto Civic Employees’ Union, Local 416 (Walker grievance), [2017] O.L.A.A. no 367.

[121]  Enfin, selon l’employeur, même si la Commission devait conclure qu’il n’y avait pas un motif suffisant pour le licenciement, il n’y aurait pas lieu d’accorder des dommages supplémentaires, car il a agi au meilleur de sa connaissance, en l’absence d’une explication de la part du fonctionnaire.

B.  Pour le fonctionnaire

[122]  Le bris de confiance invoqué par l’employeur est imputable à celui-ci dans sa façon de traiter le fonctionnaire. Tous les témoins ont reconnu que le fonctionnaire était un excellent employé. Pourtant, lorsque des dossiers douteux ont fait surface, on lui a refusé toute explication, et donc toute possibilité de se défendre.

[123]  Le fonctionnaire avait changé de secteur lorsque l’employeur l’a suspendu; il n’avait aucune idée quelles pouvaient être les allégations d’inconduite. Il était disposé à collaborer à l’enquête, jusqu’à ce que les agents de la GRC se présentent chez lui le lendemain de sa suspension pour l’interroger. Non seulement il ignorait les allégations, mais voilà qu’il faisait face à une possible enquête criminelle. C’est à ce moment qu’il a communiqué avec un avocat spécialisé en affaires criminelles, qui lui a conseillé le silence.

[124]  Il est clair que l’employeur l’a congédié sur la base d’un rapport d’enquête auquel il n’avait pu répondre de façon éclairée, et sur la base de sa réponse préliminaire, où il tentait tant bien que mal de faire comprendre qu’il n’avait rien fait de mal dans le projet des actes notariés. Ce n’est qu’en septembre 2017, à la suite de l’ordonnance de la Commission, qu’il a pu voir une copie non caviardée du rapport d’enquête.

[125]  Les renseignements dont disposait la GRC lorsque les agents l’ont rencontré montraient que l’ARC collaborait pleinement aux enquêtes de la GRC. Cela n’était pas rassurant. Certaines personnes impliquées dans les dossiers douteux avaient dû quitter assez rapidement l’ARC, et la GRC cherchait des renseignements.

[126]  M. Bettez a dit avoir été ébranlé par le rapport d’enquête; pourtant, il n’a pas cherché à valider les conclusions de l’enquête. L’employeur n’a fait aucune démarche pour vérifier, selon les agendas, les téléphones, les comptes de dépenses ou les courriels si, effectivement, le fonctionnaire avait rencontré des représentants de contribuables comme l’avait indiqué M. Dufour dans ses notes. En réalité, il n’avait jamais rencontré ces personnes, et l’employeur n’avait aucune preuve, sauf les notes de M. Dufour, qui n’a rien confirmé une fois sous serment à l’audience.

[127]  Le fonctionnaire explique qu’il n’a pas voulu rencontrer les enquêteurs parce qu’il a senti que pour quelque raison, on voulait simplement étoffer une décision déjà prise de le licencier.

[128]  Dans le dossier CD, sa gestionnaire GM avait dit qu’il fallait simplement traiter le dossier tel quel. Il s’est contenté de vérifier la procuration. Le traitement était fait par le vérificateur sous la direction de GM. Il ne s’est pas opposé parce qu’il venait d’avoir un autre conflit avec GM; il avait parlé contre le traitement d’un autre dossier  et on l’avait accusé d’insubordination.

[129]  Les dates des dossiers douteux coïncidaient avec les dates où M. Dufour et MM étaient au BSF de Laval. C’est MM qui administrait la charge de travail du projet des actes notariés. Après son départ, en 2011, il n’y a plus eu de dossiers douteux.

[130]  Le fonctionnaire soutient que les conclusions du rapport d’enquête sont arbitraires et fondées sur des liens fallacieux. La preuve circonstancielle ne suffit pas ici à établir que le fonctionnaire a véritablement mal agi. Le fonctionnaire invoque la décision Nehmé c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2017 CRTEFP 14, qui traite notamment de la preuve circonstancielle. J’y reviendrai dans mon analyse.

[131]  Selon le fonctionnaire, il y a un grave défaut d’équité procédurale dans la façon dont l’employeur a agi, en ne lui fournissant aucun détail des allégations. Il invoque la décision Shneidman c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 133, où l’arbitre de grief a annulé la décision de licenciement en raison de graves défauts d’équité procédurale au moment du licenciement. J’y reviendrai dans mon analyse.

[132]  Le fonctionnaire reconnaît qu’il aurait peut-être dû faire plus et assurer un suivi plus serré. Cela dit, il n’a rien fait en ce qui concerne les dossiers douteux. Il arrivait dans un poste de gestionnaire, pour la vérification de la PME, ce qui n’est pas sa spécialité. Il était responsable de 10 chefs d’équipe, et tentait d’administrer du mieux qu’il le pouvait.

[133]  Il plaide pour sa réintégration. Il a été selon lui un employé fiable et respecté. S’il était réintégré, il serait désormais très vigilant.

IV.  Ordonnance de confidentialité

[134]  L’employeur a demandé que les renseignements relatifs aux contribuables soient mis sous scellés. Cela est conforme aux paragraphes 241(1) et (4.1) de la LIR, qui se lisent comme suit :

 (1) Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire ou autre représentant d’une entité gouvernementale :

a) de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d’en permettre sciemment la prestation;

b) de permettre sciemment à quiconque d’avoir accès à un renseignement confidentiel;

c) d’utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l’application ou de l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance-chômage ou de la Loi sur l’assurance-emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article.

(4.1) La personne qui préside une procédure judiciaire concernant la surveillance ou l’évaluation d’une personne autorisée ou des mesures disciplinaires prises à son endroit peut ordonner la mise en œuvre des mesures nécessaires pour éviter qu’un renseignement confidentiel soit utilisé ou fourni à une fin étrangère à la procédure, y compris :

a) la tenue d’une audience à huis clos;

b) la non-publication du renseignement;

c) la suppression de l’identité du contribuable en cause;

d) la mise sous scellés du procès-verbal des délibérations.

 

[135]  Également, cela correspond à la décision de la Commission dans l’affaire Iammarrone c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 20 :

[…]

12   Les parties m’ont demandé conjointement de ne pas divulguer de renseignements protégés par cette loi et de parler des diverses situations décrites dans les éléments de preuve sans révéler les noms ou autres informations personnelles de contribuables. Dans le même ordre d’idées, les parties m’ont également demandé que soient mis sous scellés certains éléments de preuve contenant l’information de contribuables.

13      Afin de déterminer le bien-fondé de cette demande, j’ai examiné les paramètres qui sont devenus le critère connu sous le nom de « Dagenais/Mentuck ». Normalement, les audiences des tribunaux quasi judiciaires sont publiques, de même que les documents au dossier, incluant les pièces qui sont déposées par les parties. Toutefois, dans certaines circonstances, le tribunal peut imposer des restrictions concernant l’accès aux pièces qui sont déposées en preuve, s’il est établi que le besoin de protéger un autre droit important doit avoir préséance sur le principe de transparence judiciaire. La Cour suprême du Canada a reformulé le critère Dagenais/Mentuck dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41. Au paragraphe 53, la Cour a énoncé qu’une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 des Règles des Cours Fédérales (DORS/98-106) ne devait être rendue que si:

[…]

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque ; et

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[…]

14   Quelques années plus tard, la Cour a statué que le critère Dagenais/Mentuck s’appliquait à toutes les décisions discrétionnaires qui limitent le droit à l’information pendant les procédures judiciaires (voir Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43). Plus récemment, la Cour a confirmé au paragraphe 13 de l’affaire Société Radio-Canada c. La Reine, 2011 CSC 3, que « [l]a grille d’analyse établie dans les arrêts Dagenais et Mentuck s’applique à toutes les décisions discrétionnaires touchant la publicité des débats. […] ». Il est à noter que n’ai entendu aucun argument appuyant l’intérêt du public à l’égard de la transparence des débats dans la présente affaire.

15   Il est apparent que certains éléments de preuve dans le présent cas contiennent des renseignements personnels et confidentiels recueillis dans le cadre de l’obligation des contribuables de produire des déclarations fiscales en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, les contribuables étant tenus de divulguer ces renseignements. Je conviens que la protection de l’information permettant d’identifier les contribuables sert un intérêt important pour la société canadienne: maintenir la confiance du public dans l’intégrité du système fiscal canadien et assurer l’observation fiscale pour le compte de gouvernements dans l’ensemble du Canada de façon à contribuer au bien-être économique et social continu des Canadiens. Je conviens également que, dans le contexte des audiences dans la présente affaire, l’accès du public aux renseignements permettant d’identifier les contribuables pourrait gravement compromettre cet intérêt et qu’une ordonnance de mise sous scellés est nécessaire pour prévenir ce risque.

16   Bien qu’il est évident que certains éléments de preuve qui contiennent des renseignements permettant d’identifier des contribuables canadiens sont indispensables pour rendre une décision sur le fond dans cette affaire, je suis d’avis que les effets salutaires d’une ordonnance de mise sous scellés de ces renseignements l’emportent sur ses effets préjudiciables à l’égard de procédures quasi judiciaires transparentes et accessibles. Dans les circonstances, il me semble plus important de protéger l’information en question que le droit du public d’y avoir accès. Par conséquent, les éléments de preuve qui suivent, et qui contiennent des renseignements personnels et confidentiels de contribuables canadiens qui ne sont pas parties à ce litige et permettant d’identifier ces contribuables, seront scellés. […]

 

[136]  Je ne vois aucune raison d’adopter dans la présente affaire une approche différente de celle suivie dans l’affaire Iammarrone. Les pièces E-1 et E-2, ainsi que l’onglet 5 de la pièce E-3 seront mis sous scellés.

V.  Analyse

A.  Licenciement

[137]  Pour déterminer si une mesure disciplinaire est justifiée, on applique l’analyse classique d’abord énoncée dans la décision Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 Can. L.R.B.R. 1 : y a-t-il eu une inconduite de la part du fonctionnaire qui justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire? Le cas échéant, la mesure imposée est-elle excessive? Si la Commission juge la mesure excessive, quelle autre mesure juste et équitable peut-on y substituer?

[138]  La première question à laquelle il faut répondre est donc la suivante : y a-t-il eu inconduite? L’employeur reproche au fonctionnaire dans sa lettre de licenciement plusieurs actions.

[139]  D’abord, on lui reproche d’avoir traité des dossiers qui ne relevaient pas de son autorité, et d’avoir sciemment évité les règles de contrôle interne. Le fonctionnaire affirme qu’il n’était pas au courant du contenu des 17 dossiers attribués au projet des actes notariés, ni des dossiers de redressement sous la responsabilité de M. Dufour et de son chef d’équipe, dans un cas PS et dans l’autre cas MA. Je note que M. Dufour a spontanément nommé ces deux personnes comme lui ayant attribué des dossiers pendant cette période, ainsi que MM. Malgré les notes au dossier pour deux dossiers où il indique le nom du fonctionnaire, M. Dufour a refusé de confirmer à l’audience que c’était bien le fonctionnaire qui avait attribué ces dossiers.

[140]  Compte tenu de la faiblesse de la preuve présentée par l’employeur, je ne crois pas que l’employeur a prouvé selon la prépondérance de la preuve que le fonctionnaire était impliqué dans 19 des dossiers douteux.

  • [141] Il reste deux dossiers, pour lesquels le fonctionnaire n’a pas nié avoir été au courant du dossier, mais où il attribue la responsabilité à sa gestionnaire de l’époque GM. Je crois les explications du fonctionnaire, qui a dit ne pas vouloir créer un conflit avec sa gestionnaire. Dans un dossier, celui de CD, il a fermé les yeux sur le traitement sommaire effectué par le vérificateur. Il me manque cependant des éléments de preuve pour réprouver ce comportement, notamment, la version de GM (retraitée et non assignée à témoigner).

  • [142] Quant au dossier de la Cie G, je ne peux conclure à la responsabilité du fonctionnaire. Il a donné son avis qu’il n’avait pas la compétence pour traiter ce dossier, et GM a choisi de le confier à un vérificateur bien moins spécialisé que le fonctionnaire. La personne responsable n’est pas le fonctionnaire.

  • [143] La situation me semble assez semblable à celle que l’on trouve dans l’affaire Grant c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 37, où Mme Grant avait été congédiée à la suite d’une enquête portant sur des inconduites graves, dans lesquelles elle n’était impliquée que de façon indirecte. À l’entrevue précédant son congédiement, elle n’avait pu répondre aux allégations d’un rapport d’enquête presque entièrement caviardé. Finalement, la Commission a conclu que l’employeur n’avait pas fait la preuve d’une inconduite de la part de Mme Grant.

  • [144] La lettre de licenciement ajoute que le fonctionnaire aurait fait des accès non autorisés. Les seuls accès avérés par la preuve sont dans le dossier CD, pour lequel le fonctionnaire était chef d’équipe. Le fonctionnaire a expliqué qu’il avait voulu vérifier qui était le représentant autorisé dans ce dossier, et en faire un certain suivi. Compte tenu de ses responsabilités de chef d’équipe, je ne vois pas pourquoi l’accès à ce dossier serait considéré non autorisé.

  • [145] La lettre de licenciement signale également que le fonctionnaire aurait permis « […] que des transactions soient effectuées avec des représentants qui n’étaient pas officiellement autorisés […] ». Outre la contradiction avec le reproche antérieur d’avoir accédé à un dossier pour vérifier la procuration inscrite, je retiens l’explication du fonctionnaire selon laquelle ce genre de vérification serait la responsabilité du chef d’équipe, et non du gestionnaire, rôle qu’il occupait dans 19 des 21 dossiers.

  • [146] La lettre indique que le fonctionnaire n’a pas fait la divulgation confidentielle relative au fait qu’il soit propriétaire d’immeubles locatifs, ce qui, selon la lettre, « […] va à l’encontre de la Directive sur les conflits d’intérêts et l’après-mandat ». Le fonctionnaire n’a pas nié ne pas avoir fait la divulgation confidentielle. Par contre, il semble bien que les immeubles et leurs profits avaient été déclarés comme il se doit dans ses déclarations d’impôt. Je n’ai pas reçu beaucoup de preuve sur cette question à l’audience, et je ne suis pas convaincue que la propriété d’immeubles locatifs soit nécessairement source de conflits d’intérêts pour quelqu’un qui travaille à l’ARC et qui déclare en bonne et due forme les revenus afférents. De toute façon, s’il s’agit d’une inconduite, il me semble qu’en vertu de la discipline progressive, elle ne pourrait justifier à elle seule un licenciement mais plutôt, tout au plus, un rappel de remplir la divulgation confidentielle.

[147]  Somme toute, il me semble que l’employeur n’a pas établi, au regard de la preuve, que le fonctionnaire a commis une inconduite. La preuve présentée par l’employeur est essentiellement circonstancielle, comme l’employeur l’a lui-même reconnu à l’audience.

[148]  Le fonctionnaire a invoqué pour parler de preuve circonstancielle la décision Nehmé. Dans cette affaire, Mme Nehmé avait été congédiée parce qu’elle était soupçonnée d’avoir triché lors de deux processus de nomination à des postes supérieurs au sien. Il n’y avait aucune preuve directe qu’elle avait triché, seulement la conjecture des autorités responsables qu’elle avait dû le faire, puisque ses notes préparées avant l’entrevue étaient tellement complètes, malgré le fait qu’elle n’était censée avoir accès à aucune source d’information.

[149]  La Commission a jugé qu’il n’y avait aucune preuve que Mme Nehmé avait triché. La preuve circonstancielle ne suffisait pas, puisqu’il existait une explication plausible du caractère complet des notes préparatoires, et surtout, parce que l’explication de Mme Nehmé était plus vraisemblable que celle de l’employeur.

[150]  Dans le cas présent, la preuve circonstancielle établit un certain lien entre les 21 dossiers douteux et le fonctionnaire. Cependant, en y regardant plus près, le lien est ténu. Pour 19 des 21 dossiers, le fonctionnaire était gestionnaire, et non chef d’équipe. M. Lyssikatos et le fonctionnaire ont témoigné sur le rôle du gestionnaire; celui-ci est chargé d’un encadrement général, mais non d’une surveillance serrée, qui est de la responsabilité du chef d’équipe. Les deux autres dossiers pour lesquels le fonctionnaire est effectivement chef d’équipe s’expliquent autrement.

[151]  Dans la décision Nehmé, la Commission cite le passage suivant de la décision Hodge (1838), 2 Lewin 227, 168 E.R. 1136, pour signaler le danger de se fier à une preuve circonstancielle :

[Traduction]

[…] la prédisposition de l’esprit humain à chercher – et souvent à déformer légèrement les faits afin d’établir une telle proposition [culpabilité] – oubliant qu’une seule circonstance qui n’est pas conforme à une telle conclusion, revêt plus d’importance que tout le reste, dans la mesure où elle détruit l’hypothèse de culpabilité.

 

[152]  En contrepoids à la preuve circonstancielle présentée par l’employeur, j’ai la preuve d’un parcours professionnel non seulement irréprochable mais brillant. Les événements qui donnent lieu au licenciement se situent dans un milieu bien précis, avec deux supérieurs connus (GM et MM) et deux subalternes spécifiques (M. Dufour et MA). Lors du traitement de la grande majorité (19) des dossiers douteux, le fonctionnaire arrivait en poste dans ses nouvelles responsabilités en tant que gestionnaire. Il n’était pas dans son domaine de spécialité; il était responsable de 10 équipes. Il a laissé chacun faire son travail. Je ne peux conclure à un comportement de sa part qui justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire.

[153]  Le fonctionnaire m’a présenté la décision Shneidman, qui, selon sa compréhension, permettrait d’annuler la décision de licenciement en raison du défaut d’équité procédurale. Je ne peux donner la même interprétation à cette décision.

[154]   Effectivement, l’arbitre de grief dans cette affaire a annulé le licenciement parce que Mme Sheidmann n’avait pu fournir à son représentant syndical une version non caviardée du rapport d’enquête. Le fonctionnaire fait le parallèle avec sa propre situation, où il n’a pu obtenir une copie non caviardée du rapport jusqu’après le renvoi à l’arbitrage.

[155]  La décision Shneidman n’a pas été maintenue en contrôle judiciaire, pour des raisons techniques. La décision en contrôle judiciaire ne répond pas à la question de fond, à savoir si le défaut d’équité procédurale suffisait pour faire annuler un licenciement.

[156]   De toute façon, je pense qu’en l’espèce, l’absence de preuve suffit pour annuler le licenciement. Le défaut d’équité procédurale perçu ici par le fonctionnaire est corrigé par la tenue d’une audience devant une instance neutre, la Commission.

[157]  La non-collaboration du fonctionnaire à l’enquête a été retenue par l’employeur non pas comme un motif de licenciement, mais comme un facteur aggravant.

  • [158] Lorsque le fonctionnaire est suspendu de ses fonctions, longtemps après les événements qu’on lui reproche, il n’a aucune idée des allégations. Le lendemain, des agents de la GRC frappent à sa porte. Il y a de quoi refroidir son ardeur à collaborer à l’enquête de l’employeur.

[159]  L’employeur m’a présenté beaucoup de jurisprudence qui insiste sur l’importance pour la personne menacée d’une mesure disciplinaire de présenter une explication claire et plausible de ses actions. Le fonctionnaire ne l’a pas fait avant l’audience, essentiellement par manque de confiance. L’employeur n’avait donc pas de réponse à ses soupçons. Le résultat a été le licenciement.

  • [160] Je comprends la réticence du fonctionnaire de collaborer à l’enquête, parce qu’il avait reçu la visite d’agents de la GRC et parce que son avocat lui avait conseillé d’attendre la preuve avant d’y réagir.

  • [161] Comme le souligne la décision CUPE, l’employeur a le fardeau de prouver, selon la prépondérance de la preuve, que la conduite du fonctionnaire justifiait l’imposition d’une mesure disciplinaire. Je suis d’avis que l’employeur ne s’est pas acquitté de cette tâche. Presque toutes les allégations dans la lettre de licenciement sont sans fondement, et notamment, le rôle joué par le fonctionnaire dans la grande majorité des dossiers.

  • [162] L’employeur a cherché à confirmer ses soupçons contre le fonctionnaire en ratissant large (il était gestionnaire, donc coupable) et en laissant entendre que les témoins ont dit des choses qui sont en fait mal interprétées (comme en a témoigné M. Lyssikatos).

  • [163] Contrairement à plusieurs décisions citées par l’employeur, le fonctionnaire a fourni une explication raisonnable à l’audience. Néanmoins, son silence au moment du licenciement lui a coûté cher.

  • [164] L’audience devant la Commission sert à donner une autre chance à l’employé de s’expliquer, parce que l’employeur n’a pas su ou n’a pas voulu l’écouter. Je suis un peu sensible à l’argument de l’employeur qu’il n’y avait rien à écouter. Par contre, je fais droit au grief parce que je conclus que l’employeur n’a pas établi que le comportement du fonctionnaire justifiait l’imposition d’une mesure disciplinaire. Je crois le fonctionnaire quand il dit ne pas avoir été impliqué dans les dossiers à la base de l’enquête. Cela serait complètement contraire à tout son profil professionnel. Il n’y a aucune trace directe de sa participation.

  • [165] Les parties n’ont pas traité directement de la révocation de la cote de fiabilité dans leurs arguments, mais cette révocation était contestée dans le grief. La seule preuve que j’ai reçue à ce sujet, par le témoignage de M. Docherty, est que les services de sécurité avaient reçu le rapport d’enquête, et par conséquent, l’examen de la cote de fiabilité était justifié. Toutefois, puisque je conclus que les conclusions de l’enquête ne sont pas appuyées par la preuve devant moi, et qu’il n’y a aucune preuve de comportement de la part du fonctionnaire qui puisse justifier des préoccupations légitimes qu’il représente un risque pour l’employeur, je conclus que l’employeur n’a pas fait la preuve d’un motif pour révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire.

  • [166] Puisque j’ai conclu qu’aucune mesure disciplinaire n’était justifiée dans les circonstances, le fonctionnaire est réintégré dans son poste.

  • [167] L’employeur a soulevé en début d’audience que j’étais saisie du grief contre le licenciement, et qu’il n’y avait eu aucun grief contre la suspension. Je note toutefois que l’employeur a choisi de faire remonter la date du licenciement à la date de la suspension, soit le 12 mars 2014. Compte tenu de la décision de l’employeur de procéder ainsi, la réintégration se fera donc à partir de cette date.

  • [168] La cote de fiabilité du fonctionnaire est rétablie.

  • [169] Dans son grief, le fonctionnaire demandait également des dommages moraux et punitifs pour la façon dont il avait été traité, notamment en n’ayant pas un énoncé clair des faits qu’on lui reprochait.

  • [170] J’estime que l’audience dans cette affaire a permis de faire la lumière sur tous les faits de l’affaire, et que la réintégration du fonctionnaire dans son poste est la juste réparation. Bien que je trouve regrettable que l’employeur ait décidé de licencier le fonctionnaire en s’appuyant sur une preuve si faible, comme dans l’affaire Grant, je ne crois pas qu’il y a eu malice ou acharnement de la part de l’employeur. Conformément au raisonnement dans Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, je ne crois pas qu’il y ait un délit distinct justifiant l’octroi de dommages.

B. Cote de fiabilité

C. Mesures de redressement

[171]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI.  Ordonnance

[172]  Les pièces E-1 et E-2, ainsi que l’onglet 5 de la pièce E-3 sont scellés.

[173]  Le grief est accueilli.

  • [174] J’ordonne à l’employeur de réintégrer le fonctionnaire dans son poste en date du 12 mars 2014.

  • [175] J’ordonne à l’employeur de rembourser au fonctionnaire son salaire, ses avantages sociaux et sa pension, sous réserve des déductions d’usage.

  • [176] J’ordonne à l’employeur de rétablir les droits de pension du fonctionnaire comme si celui-cin’avait jamais été licencié, étant entendu que le fonctionnaire devra rembourser les montants reçus au titre de pension.

  • [177] La cote de fiabilité du fonctionnaire est rétablie.

  • [178] Je demeure saisie pour 90 jours de toute question touchant le calcul des sommes dues au titre du paragraphe 175.

Le 03 décembre 2019.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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