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Date:  20191205

Dossier:  569-02-00162

 

Référence:  2019 CRTESPF 118

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des Agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CSN)

agent négociateur

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CSN) c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 221 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant :  Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour l'agent négociateur :  François Ouellette, conseiller syndical

Pour l'employeur :  Marc Séguin, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
le 25 juillet, le 9 et le 14 août 2019.


MOTIFS DE DÉCISION

I.  Grief de principe renvoyé à l'arbitrage

[1]  Le 7 novembre 2014, l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO-SACC-CSN), l’agent négociateur qui représente les agents correctionnels qui travaillent au Service correctionnel du Canada (SCC), a renvoyé un grief de principe à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (devenue, le 19 juin 2017, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

[2]  Le grief porte sur la question de l’indemnité de départ pour les agents correctionnels qui ont servi dans les Forces armées canadiennes (FAC). L’agent négociateur soutient que la réduction de l’indemnité de départ pour les agents correctionnels qui ont reçu une indemnité de départ des FAC devrait être fonction du montant versé pour les années de service militaire. L’employeur soutient que la réduction est plutôt fonction de la durée du service militaire.

[3]  L’audience du grief par la Commission a débuté en novembre 2018, devant le commissaire Stephan Bertrand. M. Bertrand est décédé le 24 mai 2019, et le dossier m’a été assigné. Les parties ont convenu de procéder par voie d’arguments écrits, sur la base de l’énoncé conjoint des faits qui avait été déposé à l’audience en novembre 2018, et des arguments que les parties ont fait parvenir à la Commission en juillet et août 2019.

II.  Résumé de la preuve

[4]  Le résumé de la preuve se fonde sur l’énoncé conjoint des faits et la preuve documentaire déposés par les parties à l’audience de novembre 2018.

[5]  Le grief, déposé le 25 août 2014 par l’agent négociateur, fait suite à une interprétation donnée par l’employeur, le Conseil du Trésor, d’une disposition de la convention collective qui lie l’agent négociateur et l’employeur et couvre le groupe Services correctionnels (CX) (date d’expiration le 31 mai 2014). Il s’agit de la clause 33.02 qui prévoit une réduction de l’indemnité de départ à laquelle un employé a droit à sa retraite si celui-ci a déjà reçu une indemnité de départ pour une certaine période. L’indemnité de départ se définit comme suit (clause 33.01d.ii) de la convention collective) :

[…] une indemnité de départ à l’égard de la période complète d’emploi continu de l’employé-e à raison d’une (1) semaine de rémunération pour chaque année complète d’emploi continu […] jusqu’à concurrence de trente (30) semaines de rémunération.

... a severance payment in respect of the employee’s complete period of continuous employment, comprised of one (1) week’s pay for each complete year of continuous employment ..., to a maximum of thirty (30) weeks’ pay.

 

[6]  Le 5 novembre 2014, les parties ont signé une convention collective qui mettait fin à l’accumulation de l’indemnité de départ. Autrement dit, tous les employés visés par la convention collective avaient droit à l’indemnité de départ calculée au 5 novembre 2014. L’indemnité est parfois nommée indemnité de départ ou indemnité de cessation d’emploi; les termes sont synonymes, et dans le contexte de cette convention collective, fictifs, puisque les employés demeuraient en fonction. Tous les employés ont reçu un avis établissant le montant de leur indemnité de départ. C’est dans ce contexte que nombre d’agents correctionnels ont vu le calcul de leurs années de service continu, et donc du montant de l’indemnité due.

[7]  La disposition en litige se lit comme suit :

33.02 Les indemnités de départ payables à l’employée-e en vertu du présent article sont réduites de manière à tenir compte de toute période d’emploi continu pour laquelle il a déjà reçu une forme quelconque d’indemnité de cessation d’emploi. En aucun cas doit-il y avoir cumul des indemnités de départ maximales prévues à l’article 33.

33.02 Severance benefits payable to an employee under this Article shall be reduced by any period of continuous employment in respect of which the employee was already granted any type of termination benefit. Under no circumstances shall the maximum severance pay provided under this article be pyramided.

 

[8]  Les parties ne sont pas d’accord sur l’interprétation de la clause 33.02 de la convention collective. Selon l’employeur, la période d’emploi continu est diminuée par la période pour laquelle l’employé aurait déjà reçu une indemnité de départ. Selon l’agent négociateur, le montant dû est réduit du montant déjà reçu.

[9]  Le problème se pose pour les agents correctionnels qui ont fait du service militaire. À leur départ des FAC, ils ont reçu une indemnité de départ. Lorsqu’ils prennent leur retraite du SCC, le calcul du montant de l’indemnité soulève le problème suivant : faut‑il soustraire la période pour laquelle ils ont reçu l’indemnité de départ des FAC, ou soustraire le montant reçu?

[10]  La question est délicate parce que sa réponse entraîne des conséquences monétaires. Alors que selon la convention collective, les employés ont droit à une semaine de paie pour chaque année de service continu, dans les FAC, le montant de l’indemnité de départ s’établit de la façon suivante :

·  Avant 9 années de service : aucune indemnité de départ;

·  Entre 9 et 20 années de service : une demi-semaine de paie par année de service;

·  Après 20 années de service : une semaine de paie par année de service.

[11]  On comprend que pour l’agent correctionnel qui compte entre 9 et 20 années dans les FAC, son indemnité de départ des FAC est moitié moins que celle à laquelle il aurait droit au SCC pour le même nombre d’années.

[12]  Le paragraphe 10 de l’énoncé conjoint des faits résume bien les positions respectives des parties. Il se lit comme suit :

UCCO-SACC-CSN est d’avis que les indemnités de départ devraient être calculées en retranchant les montants versés en indemnités de départ au moment de quitter les Forces armées canadiennes; l’employeur, quant à lui, est d’avis qu’il faut réduire la période pour laquelle les agents correctionnels avaient droit à une indemnité de départ en vertu de la convention collective des agents correctionnels (CX) par la période pendant laquelle ils ont eu droit à une indemnité de départ alors qu’ils étaient militaires dans les Forces armées canadiennes.

[13]  Les parties ont convenu que les documents suivants faisaient partie de leur preuve conjointe :

  • · Convention collective intervenue entre le Conseil du Trésor et UCCO-SACC-CSN, pour le groupe Services correctionnels (CX), venant à échéance le 31 mai 2014, dans les deux langues officielles;

  • · Ordonnances administratives (FAC);

  • · Directive administrative sur l’indemnité de départ et le congé de réadaptation (FAC);

  • · Directive sur les conditions d’emploi (Secrétariat du Conseil du Trésor);

  • · Directives et ordonnances administratives de la Défense (DOAD), chapitre 204;

  • · Lettre de Karine Renoux à Michel Bouchard, le 29 juillet 2014, qui donne la position de l’employeur quant à l’interprétation de la clause 33.02 de la convention collective;

  • · Réponse de l’employeur au grief de principe, le 2 mars 2015.

[14]  Il est entendu que, selon la Directive sur les conditions d’emploi, l’emploi continu comprend toute période de service au sein des FAC.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour l’agent négociateur

[15]  La seule question en litige, selon l’agent négociateur, est l’interprétation de la clause 33.02 de la convention collective.

[16]  Selon l’agent négociateur, l’interprétation de l’employeur part d’une prémisse absurde, soit de soustraire une période de temps d’un montant, en interprétant trop littéralement la clause 33.02 de la convention collective, ce qui aboutit à des résultats absurdes, illustrés par les trois situations suivantes.

[17]  D’abord, l’employé qui a servi pendant huit ans dans les FAC; il ne reçoit aucune indemnité de départ. S’il travaille ensuite pendant 17 ans au SCC, pour un total de 25 années de service continu, il aura droit à 25 semaines de paie à titre d’indemnité de départ.

[18]  Ensuite, l’employé qui cumule 10 ans de service militaire, puis travaille 15 ans au SCC. Dans ce cas, il aura droit à 5 semaines de paie à titre d’indemnité de départ des FAC, et à 15 semaines de paie à titre d’indemnité de départ lorsqu’il quitte le SCC, pour un total de 20 semaines de paie à titre d’indemnité de départ.

[19]  Enfin, l’employé qui sert pendant 20 ans dans les FAC, puis travaille 5 ans au SCC. Il aura droit à 20 semaines de paie à titre d’indemnité de départ des FAC, et à 5 semaines de paie pour son emploi au SCC, pour un total de 25 semaines de paie à titre d’indemnité de départ.

[20]  Pour 25 années d’emploi continu, les montants de l’indemnité de départ sont complètement disparates si l’on adopte l’interprétation de l’employeur. Celle que propose l’agent négociateur assure à chaque employé ce à quoi il a droit en vertu de la convention collective, soit une semaine de paie pour chaque année d’emploi continu, sans qu’il soit permis d’augmenter ce chiffre en recevant plus qu’une semaine de paie par année de service. Il faut donc tenir compte des périodes pour lesquelles un montant d’indemnité de départ a déjà été versé, avant la retraite. Cela ne veut pas dire qu’on soustrait la période des années (ce que ne prévoit pas la clause), mais bien le montant versé.

[21]  Pour reprendre l’exemple donné plus haut des trois employés avec des parcours différents mais comptant tous 25 années d’emploi continu, l’interprétation du syndicat leur assure à chacun 25 semaines de paie à titre d’indemnité de départ, la somme reçue des FAC étant soustraite, le cas échéant, de la somme totale versée au moment du paiement de l’indemnité.

[22]  Dans l’interprétation d’une disposition de la convention collective, il faut tenir compte de l’intention des parties telle que la reflète l’ensemble de la convention collective. La clause 33.02 de la convention collective s’inscrit dans le contexte plus large de l’article 33, qui donne une semaine de paie pour chaque année d’emploi continu. L’article prévoit aussi, avec un accroissement des années d’emploi continu, des sommes plus généreuses dans le cas d’une mise à pied. Autrement dit, l’intention est d’avantager, et non de pénaliser, les employés qui ont plus d’années d’emploi continu. Cette intention est manifeste non seulement pour ce qui est de l’indemnité de départ, prévue à l’article 33, mais dans d’autres dispositions de la convention collective, par exemple, celle visant le congé annuel, qui augmente avec le nombre d’années d’emploi.

[23]  L’intention de la clause 33.02 de la convention collective est rendue explicite par sa dernière phrase, qui vise à prévenir le cumul des indemnités de départ en raison de différents postes occupés.

[24]  L’agent négociateur invoque la décision Communication, Energy and Paperworkers Union, Local 777 v. Imperial Oil Strathcona Refinery (Policy Grievance), [2004] A.G.A.A. no 44 (QL), dans laquelle l’arbitre donne les paramètres suivants d’une interprétation valable de la convention collective :

·  L’interprétation devrait être plausible, c’est-à-dire raisonnable;

·  L’interprétation devrait répondre à la question posée dans les limites offertes par la convention collective;

·  L’interprétation devrait être acceptable, c’est-à-dire dans les limites de l’acceptable pour les parties, et juste et raisonnable dans une perspective juridique.

[25]  Selon l’agent négociateur, l’interprétation prônée par l’employeur ne correspond pas à ce critère, parce qu’elle mène à des résultats inéquitables et déraisonnables. Elle ne respecte pas l’intention des parties d’accorder une semaine de paie pour chaque année de service continu; les employés ayant entre 9 et 20 années de service militaire n’y auront pas droit. De plus, elle fait en sorte qu’un nombre moindre d’années de service peut donner à certains un montant supérieur d’indemnité de départ.

[26]  La clause en litige a fait l’objet de deux décisions déjà, dont les résultats sont contradictoires : Martin c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-28191 (19981029) et Burzynski c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2008 CRTFP 60. L’agent négociateur prône le résultat dans Martin. Je reviendrai à ces décisions dans mon analyse.

[27]  Pour conclure, l’agent négociateur soutient que pour donner pleinement effet à l’article 33 de la convention collective, qui accorde une semaine de paie par année de service, il faut reconnaître son interprétation de la clause 33.02.

B.  Pour l’employeur

[28]  Selon l’employeur, les anomalies soulevées par l’agent négociateur sont attribuables non pas à la convention collective, mais bien au régime particulier des FAC en matière d’indemnité de départ. Puisque ce régime ne fait pas partie de la convention collective, il ne devrait pas avoir d’incidence sur son interprétation.

[29]  L’employeur soutient que la clause 33.02 de la convention collective est claire. Le montant de l’indemnité de départ doit être réduit par toute période pour laquelle l’employé a reçu une prestation quelconque à titre d’indemnité de départ; c’est la période qui doit être soustraite de la durée totale de l’emploi continu.

[30]  Selon l’employeur, il serait erroné de s’appuyer sur la décision Martin, comme le voudrait l’agent négociateur, car cette décision est fondée notamment sur le principe de préclusion, qui ne s’applique pas en l’espèce.

[31]  Il faut plutôt, selon l’employeur, appliquer en l’espèce le raisonnement de l’arbitre de grief dans la décision Burzynski. Dans cette décision, l’arbitre de grief soustrait la période de temps dans les FAC de la période totale d’emploi continu.

[32]  La décision Burzynski a fait l’objet d’un contrôle judiciaire à la Cour fédérale (Procureur général (Canada) c. Burzynski, 2009 CF 522). Le juge dans cette affaire a rejeté la demande de contrôle judiciaire, estimant la décision de l’arbitre de grief raisonnable. Par conséquent, selon l’employeur, il y a lieu pour la Commission de respecter la décision Burzynski.

IV.  Analyse

[33]  D’emblée, il faut souligner la curieuse formulation de la clause 33.02 de la convention collective, qui soustrait une période d’un montant. J’ai un peu de difficulté avec l’argument de l’employeur, qui soutient que le texte est clair. Je pense que le texte français est un peu plus clair, et il est intéressant de noter que les deux décisions qui ont interprété cette clause, Martin et Burzynski, se fondent sur le texte anglais.

[34]  Le texte anglais dit ce qui suit : « Severance benefits payable to an employee under this Article shall be reduced by any period of continuous employment […] ». Le texte français énonce plutôt ce qui suit : « Les indemnités de départ payables à l’employé-e en vertu du présent article sont réduites de manière à tenir compte de toute période d’emploi continu […] ». En français, on ne réduit pas une somme en soustrayant une période, mais bien en en tenant compte. La version française, à mon sens, va davantage dans le sens de l’interprétation prônée par l’agent négociateur, à savoir que le montant versé est ce qu’il faut soustraire. Tenir compte de la période pour laquelle une indemnité a déjà été versée, cela veut dire que la période doit être considérée, avec ce qu’elle présente de particulier, et notamment la somme qui est versée en raison de cette période.

[35]  Les parties m’ont présenté les décisions Martin et Burzynski comme autorités. L’agent négociateur soutient que Martin est la bonne décision, alors que l’employeur soutient que c’est Burzynski. Il convient d’abord de résumer les conclusions de chacune de ces décisions, qui portent sur la même problématique, l’interprétation du libellé de clauses similaires à la clause 33.02 (dans le contexte d’employés qui ont pris leur retraite des FAC). Cette clause se retrouve dans d’autres conventions collectives du Conseil du Trésor, toujours avec l’étrange formulation de soustraire une période de temps d’un montant payable.

[36]  Dans l’affaire Martin, l’employé avait été dans les FAC pendant 19 ans. Il a reçu une offre pour travailler à Transports Canada. Parce qu’il ne comptait pas 20 ans dans les FAC, le calcul de son indemnité de départ des FAC était le salaire d’une demi-semaine de travail multiplié par 19. M. Martin a demandé à plusieurs reprises à Transports Canada si, au moment où il prendrait sa retraite de Transports Canada, il aurait droit à une indemnité de départ qui compenserait l’autre demie semaine, de façon à avoir droit à une semaine de salaire par année d’emploi continu. On l’a assuré chaque fois que tel serait le cas.

[37]  Dans son analyse, l’arbitre de grief a d’abord considéré le fonctionnement de la disposition qui prévoit, comme la clause 33.02 de la convention collective en l’espèce, qu’il faut soustraire la période pour laquelle un montant d’indemnité de départ a été versé de la somme totale qui est due à titre d’indemnité de départ au moment de la retraite. Elle a conclu qu’il était absurde de déduire une période d’une somme, que l’objet de la clause était de prévenir une double indemnité, mais qu’il serait injuste, et contraire à l’intention des parties, de pénaliser l’employé parce qu’il avait été 19 ans plutôt que 20 ans dans les FAC. De façon subsidiaire, elle a ajouté que de toute façon, l’engagement de l’employeur de payer l’indemnité en soustrayant la somme et non la période de temps obligeait l’employeur, selon un principe de préclusion.

[38]  La préclusion ne s’applique pas ici, mais l’absurdité demeure, telle qu’elle est décrite dans la décision Martin : l’employé qui quitte après 8 années de service militaire est en meilleure situation financière que celui qui quitte après 9 années, compte tenu d’une même période d’emploi à la fonction publique. L’employé qui quitte après 19 années pourrait au bout du compte recevoir moins que l’employé qui quitte après 20 années mais travaille plusieurs années de moins par la suite dans la fonction publique.

[39]  Dans l’affaire Burzynski, le même problème s’est posé, mais l’arbitre de grief en est arrivé au résultat contraire. Essentiellement, selon lui, il était injuste de faire payer à l’employeur l’indemnité qui n’avait pas été versée par les FAC pour une période donnée, comme l’écrit l’arbitre de grief au paragraphe 20 :

[…] En d’autres termes, l’employeur serait tenu de « rajuster à la hausse » l’indemnité de départ versée par les Forces au moment auquel le fonctionnaire s’estimant lésé aurait eu droit s’il avait travaillé, pendant cette période, au sein de la fonction publique plutôt que dans les Forces.

 

[40]  M. Burzynski a servi près de 11 ans dans les FAC, puis a travaillé un peu plus de 27 ans dans la fonction publique, pour un total de 38 années d’emploi continu. L’employeur a limité à 30 ans les années de service (le nombre maximum de semaines de paie à titre d’indemnité de départ est 30), puis soustrait les 11 années de service dans les FCA, pour lesquelles M. Burzynski avait reçu une indemnité de départ d’une demi-semaine par année de service. L’arbitre de grief a déclaré qu’il fallait soustraire le nombre d’années dans les FAC, mais du chiffre 38, et non 30, puisque le texte de loi ne prévoyait pas un maximum d’années d’emploi, seulement de semaines d’indemnité.

[41]  Le procureur général du Canada a demandé un contrôle judiciaire de la décision (portant sur la question des 30 semaines par rapport à 38), demande qui a été rejetée. La Cour fédérale a simplement dit que la décision à cet égard était raisonnable. Le calcul comme tel, à savoir s’il faut déduire la somme versée ou la période de temps, n’était pas un enjeu devant la Cour fédérale. Par conséquent, je ne vois pas la décision de la Cour fédérale comme réglant le problème dont je suis saisie.

[42]  Finalement, je me range au raisonnement de l’arbitre de grief dans Martin, dans une perspective d’interprétation qui tient compte du contexte global, soit le but de l’article 33 et l’ensemble de la convention collective, comme l’illustre le passage suivant de la décision aux pages 18 et 19 :

[…]

Lorsqu’il s’agit d’interpréter et d’appliquer la clause 18.02, il ne faut pas oublier le but de cette clause. Je conviens avec l’avocat du fonctionnaire que le but de la clause 18.02 est d’empêcher le paiement en double de l’indemnité de départ et le cumul des indemnités de départ. J’en tiens compte dans mon interprétation de la clause 18.02. Je prends note du fait que l’interprétation proposée par le fonctionnaire ne va pas à l’encontre de ce but; en fait, elle s’accorde avec celui‑ci.

 

Si on fait une interprétation littérale de la clause 18.02, les « indemnités de départ […] sont réduites dans la mesure de toute période d’emploi continu pour laquelle [le fonctionnaire] a déjà reçu une forme quelconque d’indemnité de cessation d’emploi au sein […] des Forces canadiennes, […]. ».

 

Bien qu’aucun des termes de la clause 18.02 ne soit équivoque en soi, une application littérale de la clause n’est pas possible, tant dans lidéal que dans la pratique. Comment peut-on soustraire du temps, soit « une période d’emploi continu », d’une somme d’argent, soit l’« indemnité de départ »? Le libellé de cette phrase est à la fois illogique et absurde, ce qui oblige le lecteur à déterminer l’intention des parties. De même, il contient une équivoque qui devient apparente quand on tente de l’appliquer.

 

Premièrement, l’intention des parties est que les employés reçoivent « une (1) semaine de rémunération pour chaque année complète d’emploi continu » et « deux (2) semaines de rémunération pour la première année complète d’emploi continu ». Cette intention ressort de la clause 18.01 a) et il faut la respecter pour interpréter et appliquer le libellé de la clause 18.02 qui, comme je l’ai dit, contient une prémisse manquant de logique.

 

L’intention des parties (une semaine de rémunération par année d’emploi continu) et le but de la clause 18.02 (empêcher le paiement en double de l’indemnité de départ et le cumul des indemnités de départ) peuvent être respectés en appliquant une interprétation de la clause 18.02 fondée sur une prémisse logique, soit qu’un paiement est déduit d’un paiement et qu’il ne peut pas être déduit du temps. Par conséquent, l’indemnité de départ du fonctionnaire aurait dû être calculée en soustrayant du montant de l’indemnité de départ qui lui était due, et qui a été calculée en fonction de son emploi continu, le montant de l’indemnité de départ qu’il a reçue quand il a quitté les Forces canadiennes. Cela respecte l’intention des parties et le but de la clause 18.02.

L’interprétation proposée par l’employeur créerait des classes d’employés : d’une part, les employés ayant 19 années de service qui n’ont pas reçu d’indemnité de départ lorsqu’ils ont quitté les Forces canadiennes pour aller travailler à Transports Canada recevraient une semaine de rémunération pour chaque année d’emploi continu, y compris les 19 années de service dans les Forces canadiennes; d’autre part, les employés qui, comme le fonctionnaire, comptent le même nombre d’années de service dans les Forces canadiennes ne se verraient pas créditer ces années d’emploi continu parce qu’ils ont déjà accepté une indemnité de départ pour un certain nombre de ces années. En outre, selon l’interprétation proposée par l’employeur, les employés comptant tout au plus neuf années de service au sein des Forces canadiennes auraient droit à une indemnité de départ plus élevée au moment de leur départ de Transports Canada que les employés comptant 10 années et plus, mais moins de 20 années de service, qui ont accepté une indemnité de départ en quittant les Forces canadiennes. Je ne crois pas que c’était là l’intention des parties.

Il est vrai que, si le fonctionnaire avait simplement quitté les Forces canadiennes sans accepter de poste à Transports Canada, il n’aurait eu droit qu’à l’indemnité de départ qu’il a reçue et qui a été calculée en fonction de ses années de service, soit 10 et plus, mais moins de 20. C’était la méthode en vigueur dans les Forces canadiennes. Toutefois, à Transports Canada, la méthode décrite dans la convention collective pour calculer l’indemnité de départ est devenue intégralement applicable au fonctionnaire, et son indemnité de départ aurait dû être calculée en se fondant sur le fait qu’il avait droit à une semaine de rémunération pour chaque année d’emploi continu et en soustrayant l’indemnité de départ qu’il avait déjà reçue des Forces canadiennes.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[43]   Selon l’arbitre de grief dans Burzinski, l’employeur n’a pas à assurer la différence entre le montant versé au départ des FAC et le montant auquel le fonctionnaire a droit à la retraite de la fonction publique. Selon moi, c’est oublier la définition d’emploi continu, selon la Directive sur les conditions d’emploi, qui comprend « la période de service effectué immédiatement avant dans les Forces canadiennes ». Autrement dit, le service continu d’un employé comprend les années au sein des FAC, et l’employé a droit à une semaine d’indemnité par année de service. Le sens de la clause 33.02 de la convention collective est de prévenir le cumul des indemnités, et non de priver l’employé de l’indemnisation des années travaillées, chacune valant une semaine de salaire.

[44]  Logiquement, on déduit du montant à verser un montant, et non une période. Le montant est relatif à une période, et c’est selon moi le sens qu’il faut donner à la clause 33.02, « de manière à tenir compte de toute période d’emploi continu pour laquelle [l’employé]  a déjà reçu une forme quelconque d’indemnité de cessation d’emploi.». On tient compte de cette période en considérant le montant versé pour cette période. Il n’en reste pas moins que l’employé a droit à une semaine par année de service continu, et que, pour les fins de la définition, le service continu comprend les années dans les FAC.

[45]  Retenir l’interprétation de l’employeur mène à trop d’absurdités injustes. Je suis d’accord avec l’interprétation de l’arbitre de grief dans Martin, que l’intention des parties ne peut être de pénaliser les employés dont les années de service comprennent des années au sein des FAC. L’intention de la clause 33.02 de la convention collective est clairement d’éviter une double rémunération, but qui est atteint en soustrayant le montant reçu de l’indemnité à verser. Si l’on s’en tient à la période, on risque les situations absurdes décrites par l’agent négociateur dans ses arguments, où un employé est pénalisé pour avoir été dans les FAC entre 9 et 20 ans, mais non s’il compte moins de 9 ans ou plus de 20 ans.

[46]  Je ne peux croire qu’une même période d’emploi continu ne donne pas toujours droit au même calcul pour l’indemnité de départ. Cela n’empêche pas de tenir compte de la période pour laquelle un montant aurait déjà été versé, en soustrayant ce montant. Tout autre résultat me paraît contraire à l’intention des parties, qui ont négocié une clause pour récompenser chaque année d’emploi continu.

[47]  La perspective de l’arbitre de grief dans la décision Burzynski est de dire que l’employeur n’a pas à compenser la rémunération moins généreuse du régime d’indemnité de départ des FAC. Par contre, comme le souligne l’agent négociateur, ce raisonnement mène également à une absurdité. La crainte de l’arbitre de grief dans l’affaire Burzynski semble être que dans le cas d’un employé comptant 10 années de service dans les FAC, le fait de soustraire le montant versé, et non la période dans les FAC, signifie que l’employé reçoit une indemnité de départ payée à moitié par les FAC, à moitié par l’employeur. Le texte de la clause 33.02 de la convention collective indique bien par contre qu’on soustrait la période pour laquelle une forme quelconque d’indemnité a été reçue. Il faut comprendre que, si aucune indemnité n’a été versée, comme dans le cas d’un employé qui ne compte que 8 années de service dans les FAC, l’employeur sera responsable à 100 p. cent de l’indemnité de départ pour ces 8 années. La décision Burzynski ne semble pas tenir compte de cette réalité, qui contredit sa conclusion que l’employeur n’a pas à être responsable de l’indemnité pour ceux qui ont été dans les FAC.

[48]  De toute façon, la question n’est pas de savoir si l’employeur doit ou non compenser un régime moins généreux. La question est d’interpréter la convention collective. L’employé visé par une convention collective a droit aux avantages qu’elle offre. Le calcul du montant de l’indemnité de départ doit se faire en tenant compte du nombre d’années d’emploi continu, y compris celles au sein des FAC. Je ne vois pas dans la clause 33.02 de la convention collective la possibilité de retrancher des années; il faut plutôt en tenir compte pour les fins d’un calcul. Puisque la soustraction d’un montant arrive à un résultat plus juste, qui respecte l’intention des parties d’accorder une semaine de paie par année de service, je crois que c’est l’interprétation qu’il faut préférer.

[49]  L’agent négociateur m’a demandé comme mesures de redressement une déclaration ainsi qu’une ordonnance pour un rajustement des paiements dus aux employés dans cette situation. Les deux demandes sont accordées.

[50]  L’agent négociateur m’a également demandé d’ordonner à l’employeur de verser des intérêts au taux légal. Pour faciliter le calcul et rendre le montant d’intérêts uniforme, j’ai choisi le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada. Les employés, aux termes de la clause 33.06 de la convention collective, devaient aviser l’employeur, dans les six mois de la signature de la convention collective, de l’option choisie pour le paiement de la somme due. À partir de cette date, les intérêts commencent à courir.

[51]  Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[52]  Le grief est accueilli.

[53]  Le montant versé à titre d’indemnité de départ doit être réduit, selon la clause 33.02 de la convention collective, du montant déjà versé à titre d’indemnité de départ.

[54]  L’employeur devra, dans les 90 jours de la présente décision, établir le calcul des montants dus aux employés dont l’indemnité de départ n’a pas été calculée selon le paragraphe précédent, et verser ces montants aux employés concernés.

[55]  L’employeur devra ajouter aux montants dus des intérêts calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle). Les intérêts commencent à courir le 5 mai 2014.

[56]  Je demeure saisie de l’affaire pendant 90 jours après la date de la présente décision uniquement en ce qui concerne le calcul des sommes dues.

Le 05 décembre 2019.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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