Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu une suspension de deux jours pour avoir tenu des propos irrespectueux envers des entrepreneurs – bien qu’il ait soutenu qu’il n’y avait pas eu de faute de conduite, la Commission a conclu que son comportement agressif méritait une sanction – cependant, la mesure disciplinaire qui lui a été imposée ne tenait pas compte de sa réelle préoccupation au sujet de la sécurité – cette préoccupation constituait un facteur atténuant qui aurait dû entrer en ligne de compte dans l’évaluation de la faute de conduite et de la sanction – la suspension de deux jours a été jugée excessive – la suspension a été réduite d’une journée.

Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision

Date:  20191219

Dossiers:  566-02-14639

566-02-14640

 

Référence:  2019 CRTESPF 125

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Christian Parent

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Ministère de la Défense nationale)

 

défendeur

Répertorié

Parent c. Administrateur général (Ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant :  Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Goretti Fukamusenge, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur :  Philippe Giguère, avocat

Affaire entendue à Québec (Québec),

du 13 au 15 août 2019.


MOTIFS DE DÉCISION

I.  Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

[1]  Le 9 mars 2015, Christian Parent, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a fort mal accueilli un entrepreneur venu réaliser des travaux en électricité sur la base militaire de Valcartier. Ce mauvais accueil lui a valu deux jours de suspension pour ses « propos irrespectueux », selon la lettre de suspension. Il a déposé un grief contre cette mesure disciplinaire.

[2]  Le fonctionnaire fait partie d’une unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada qui a renvoyé le grief à l’arbitrage le 4 décembre 2017 sous deux titres : en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (devenue, le 19 juin 2017, Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, la « Loi »), et en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. L’alinéa 209(1)a) porte sur les griefs relatifs à l’interprétation de la convention collective, et l’alinéa 209(1)b) porte sur les griefs relatifs aux mesures disciplinaires.

[3]  Pour les motifs qui suivent, j’accueille partiellement le grief. Le ministère de la Défense nationale (MDN ou le « défendeur ») avait raison de sévir contre un comportement incivil. Il aurait dû toutefois tenir compte, dans l’évaluation de l’inconduite, des lacunes que dénonçait le fonctionnaire.

II.  Résumé de la preuve

[4]  Le fonctionnaire et son frère, Bernard Parent (M. Parent), sont les deux électriciens à la base militaire de Valcartier. Ils sont chargés de l’entretien du réseau de distribution d’électricité qui dessert la base. Ils sont tous les deux qualifiés comme électriciens de haute tension et comme monteurs de ligne. Le réseau de la base est un réseau de 25 000 volts (25kV), donc considéré comme un réseau de moyenne envergure. Le fonctionnaire et M. Parent ont témoigné à l’audience.

[5]  Le défendeur a cité à témoigner à l’audience les personnes suivantes : Martin Roy et Yohann Lacerte, représentants de Gémitech; Jean-Philippe Simard, représentant de Construction de défense Canada (CDC); Jérémie Émond (lieutenant-colonel retraité), qui a imposé la mesure disciplinaire en tant que commandant de l’unité d’infrastructure.

[6]  Le MDN engage par l’entremise d’une entité contractuelle, CDC, les services d’entrepreneurs pour les travaux de construction et d’infrastructure. CDC passe des marchés avec divers entrepreneurs, dont une entreprise spécialisée en travaux électriques, Gémitech. À l’époque des événements qui ont donné lieu au grief, CDC avait passé deux contrats avec Gémitech pour la base de Valcartier, l’un pour le service d’urgence aux heures creuses (en dehors des 40 heures par semaine travaillées par les frères Parent), l’autre pour des travaux spécialisés de calibrage et d’inspection.

[7]  Selon les documents déposés par le défendeur à l’audience, les deux contrats avaient été conclus avec Gémitech. Toutefois, le service d’urgence aux heures creuses était assuré par une filiale de Gémitech, nommée Lignec. Afin de pouvoir répondre aux appels d’urgence, Lignec disposait d’une clé lui donnant accès à la sous-station principale où se trouvait l’instrumentation du réseau électrique de la base.

[8]  Le 24 février 2015, M. Roy, ingénieur et directeur général chez Gémitech, a reçu un courriel de la part de CDC confirmant que Gémitech pourrait réaliser à la sous-station principale à Valcartier des travaux d’entretien planifiés les 9, 10 et 11 mars 2015.

[9]  Le 9 mars 2015, M. Roy, comme il était convenu selon sa compréhension, s’est présenté à la sous-station principale avec d’autres ingénieurs de Gémitech ainsi qu’un étudiant stagiaire. La procédure établie était d’attendre, avant que Gémitech ne débute ses travaux, que le fonctionnaire et son frère réalisent les diverses manœuvres de sécurité nécessaires pour mettre hors tension la partie du réseau électrique sur laquelle travailleraient les ingénieurs de Gémitech.

[10]  M. Roy avait en main la clé qu’utilisait Lignec pour entrer dans la sous-station aux heures creuses. En arrivant le matin, il a déverrouillé la porte afin que l’équipe de Gémitech puisse entrer dans la sous-station pour y installer l’équipement (assez considérable) nécessaire pour effectuer les travaux d’entretien et de calibrage dont elle était chargée. Il n’était pas question de débuter les travaux avant l’arrivée des frères Parent, puisque leur participation était essentielle pour la mise hors tension afin que les travaux s’effectuent en toute sécurité.

[11]  En début d’après-midi, selon M. Roy, le fonctionnaire a fait irruption dans la sous-station, et s’est emporté contre les ingénieurs de Gémitech, leur reprochant d’être entrés dans la sous-station comme des voleurs, sans permission. Il s’est mis à leur faire tout un discours sur la sécurité, la responsabilité, insistant qu’ils n’étaient pas habilités à faire les travaux.

[12]  M. Roy était abasourdi. Il connaissait le fonctionnaire, il avait déjà travaillé avec lui sur la base. Il ne comprenait absolument pas pourquoi l’équipe, composée de professionnels en électricité, se faisait traiter de la sorte. Je reproduis ici quelques passages de la plainte que l’équipe a adressée le 12 mars 2015 à M. Simard de CDC à la suite de l’incident :

[…]

Le lundi 10 mars [les parties ont convenu à l’audience que c’était le 9 mars] dernier, Gémitech inc. était au bâtiment VC-686 (sous-station électrique principale) de la garnison de Valcartier afin d’y effectuer des travaux d’entretien électrique préventif. Au cours de la journée, nous vous avons fait la demande pour que des manœuvres soient faites sur le réseau 25kV afin d’isoler (mettre hors tension) certains secteurs de l’armoire de commutation 25kV. Après discussion, il était entendu que les employés du ministère de la Défense nationale viendraient en début d’après-midi, vers 13h00, pour effectuer les dites manœuvres.

Comme prévu, [le fonctionnaire] et Bernard Parent se sont présentés sur les lieux après le dîner. Cependant, ceux-ci ont patienté près d’une heure à l’intérieur de leur véhicule jusqu’à votre arrivée, n’ayant pas le droit d’interagir directement avec les entrepreneurs engagés par CDC selon des directives antérieures. Dès l’arrivée de M. Simard, [le fonctionnaire] s’est présenté à l’intérieur du bâtiment où les travaux prenaient place. C’est alors, que sans se présenter et sans hésitation, [le fonctionnaire] s’est dirigé vers Martin Roy pour lui faire savoir sa pensée et l’accusé d’être « illégal », de ne pas avoir le droit d’entrer à l’intérieur du bâtiment sans son autorisation, qu’il n’avait pas été informé de notre présence et que les travailleurs de Gémitech devraient quitté les lieux. Ils ont comparé nos travailleurs à des voleurs qui sont entrés par infraction dans une maison qui ne leur appartenait pas.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[13]  La plainte continue sur le fait que les travaux avaient été convenus à l’avance, que Gémitech avait toutes les compétences voulues, et s’étend longuement sur les jérémiades du fonctionnaire « au sujet d’interventions passées de Gémitech et autres entrepreneurs sur la base militaire ». Les signataires soulignent néanmoins les préoccupations fondées du fonctionnaire, malheureusement un peu perdues dans le torrent de critiques, dans les termes suivants :

[…] [Le fonctionnaire] désirait seulement s’assurer que les travaux allaient se dérouler de façon sécuritaire et que la procédure de mise hors tension conviendrait à lui et son frère qui travaillent quotidiennement sur le réseau de distribution de la garnison et qui sont à l’affût des dangers potentiels de chaque installation. Le problème ici est que [le fonctionnaire] avait initialement des intentions louables à l’effet de vouloir s’assurer des méthodes de travail de l’entrepreneur. Cependant, [le fonctionnaire] s’est emporté au point de manquer de respect envers des personnes et non seulement les employés d’un sous-traitant qui n’ont rien fait pour mériter de tels propos galvaudés de stéréotypes. […]

En somme, les émotions et le mépris [du fonctionnaire] pour les autres ont pris le dessus de sorte que la forme du message était inadéquate tandis que le fond était plein de bon sens.

[14]  À l’audience, M. Parent a essentiellement confirmé les propos de M. Roy, quoique selon lui son frère ne s’était pas emporté; il était raide parce qu’il avait l’impression que les employés de Gémitech étaient entrés dans la sous-station sans permission. M. Parent n’a pas démenti que le fonctionnaire avait perçu l’équipe de Gémitech comme des cambrioleurs, entrés par effraction.

[15]  Comme l’indique la lettre de plainte, les frères Parent ont effectivement attendu l’arrivée de M. Simard avant d’entrer dans la sous-station. Ils avaient reçu une directive claire de ne pas traiter directement avec les entrepreneurs, puisque le contrat était établi par CDC.

[16]  M. Simard, le représentant de CDC, a témoigné à l’audience. Il a rencontré les frères Parent à l’entrée de la sous-station vers 13 h 30. Le fonctionnaire est immédiatement entré pour parler aux employés de Gémitech, alors que M. Simard est resté à l’extérieur, avec M. Parent. Selon lui, les échanges entre le fonctionnaire et Gémitech ont fait que finalement, aucun travail n’a été réalisé ce jour-là. Le lendemain, l’équipe de Gémitech est revenue, et la feuille d’autorisation des travaux (« Procédure et autorisation de travaux basse et haute tension BFC Valcartier ») a été remplie par M. Simard et signée par lui et par M. Roy. D’après les témoignages, le travail de mise hors tension a été fait par Gémitech. La feuille n’est pas signée dans l’espace qui prévoit la signature de « ouvrier HT [haute tension] », ce qui serait un des deux électriciens de la base de Valcartier.

[17]  Le fonctionnaire a témoigné que son superviseur l’avait informé deux semaines auparavant que des travaux seraient effectués dans la sous-station principale. Le fonctionnaire a expliqué que les travaux réalisés par Gémitech sont différents des opérations quotidiennes d’entretien et de réparation dont lui et son frère sont chargés. Gémitech fait plusieurs choses, mais notamment de l’entretien préventif et du calibrage d’instruments, les travaux dont il était question le 9 mars 2015.

[18]  Le fonctionnaire a exprimé ses préoccupations quant à la procédure appliquée, selon lui pas assez stricte. À son avis, il était important, avant toute chose, que l’entrepreneur rencontre les électriciens de la base pour bien établir les paramètres des travaux et l’ampleur de la mise hors tension. Il était surtout nécessaire qu’une feuille d’autorisation des travaux soit remplie, détaillant le travail à réaliser et les opérations de sécurité (mise hors tension) nécessaires au préalable. Une fois cette feuille signée, la responsabilité des travaux dans la sous-station passait à l’entrepreneur.

[19]  Le fonctionnaire a déposé en preuve deux documents, l’un intitulé « Sécurité en matière d’électricité au travail » publié par l’Association canadienne de normalisation (CSA), et l’autre, intitulé « Mesures de sécurité dans les installations électriques » publié par le MDN.

[20]  Le fonctionnaire a souligné dans le document de la CSA l’importance pour l’employeur principal (en l’espèce, le MDN par l’entremise de CDC) de communiquer aux employeurs sous-traitants (en l’espèce Gémitech) toute l’information nécessaire pour parer aux dangers inhérents à une station électrique, notamment les dangers connus mais susceptibles de ne pas être identifiés par le sous-traitant. Le document du MDN comprend notamment les deux dispositions suivantes pour les installations électriques de haute tension :

1. Aucun employé ne doit commencer ou être autorisé à commencer à travailler sur une installation électrique à haute tension sans l’autorisation du responsable de la dite installation.

2. Aucun employé ne doit entrer seul ou être autorisé à entrer dans une partie d’une chambre d’une sous-station renfermant une installation électrique sous haute tension sans l’autorisation du responsable de la dite installation.

[21]  Selon le fonctionnaire, il était plus pointilleux que ses supérieurs pour ces mesures de sécurité, et l’absence de mesures claires avait déjà fait l’objet de nombreuses discussions. L’autre élément préoccupant, selon le fonctionnaire, était le flou entourant l’utilisation de la clé de la sous-station. Cette clé avait été remise à Lignec, pour usage aux heures creuses en cas d’urgence. Il n’y avait jamais eu autorisation pour qu’une autre entité, Gémitech, l’utilise pendant les heures ouvrables. Selon le fonctionnaire, cela présentait un risque trop grand. Il avait été témoin d’incidents où selon lui le sous-traitant ne prenait pas assez de précautions, exposant ainsi ses employés à des risques réels (d’où sa diatribe contre un entrepreneur en particulier devant l’équipe de Gémitech).

[22]  Les préoccupations du fonctionnaire le 9 mars 2015 étaient donc de deux ordres : 1) il n’avait pas une feuille d’autorisation remplie en bonne et due forme pour détailler les travaux de Gémitech et les mesures de sécurité qu’il devait prendre; 2) la clé avait été utilisée selon lui sans permission. Le fonctionnaire a insisté à l’audience sur le sérieux de la situation, compte tenu des réels dangers d’électrocution dans une station de25kV.

[23]  Le fonctionnaire a convenu que les employés de Gémitech étaient tout à fait qualifiés pour travailler dans la sous-station (sauf le stagiaire qui devait être bien encadré). Il a nié avoir dit qu’ils n’étaient pas « qualifiés ». Ce qu’il voulait dire ce jour-là, c’est qu’ils n’avaient pas l’autorisation requise pour entrer dans la sous-station (aucune autorisation expresse d’utiliser la clé de Lignec) et pour débuter leurs travaux (aucune feuille d’autorisation détaillant les travaux). Il a reconnu qu’il avait sévèrement critiqué un entrepreneur en particulier, parce qu’il n’appliquait pas assez strictement les normes de sécurité. Il a reconnu qu’il avait été abrupt, mais a soutenu que ses reproches visaient l’absence d’autorisation, et non les employés de Gémitech comme tels.

[24]  L’enquête menée par la suite par le MDN a essentiellement confirmé que le fonctionnaire s’était emporté, qu’il avait critiqué certains entrepreneurs pour ce qu’il percevait comme des lacunes de sécurité. La lettre de suspension, datée du 19 octobre 2015, présente comme suit ce qu’on reproche au fonctionnaire :

[…] L’enquête a révélé que le 9 mars 2015, vous avez fait preuve des inconduites suivantes :

1. Vous vous êtes adressé à des employés de l’entreprise Gémitech en utilisant des propos irrespectueux et dénigrants.

2. Dans une discussion avec des employés de Gémitech, vous avez tenu des propos irrespectueux et dénigrants sur des employés de différents entrepreneurs ayant travaillé dans le passé sur la base de Valcartier.

[…]

Pour ces inconduites, je vous impose deux journées de suspension sans solde. J’ai pris cette décision en tenant compte du fait que vous avez déjà une lettre de réprimande à votre dossier. J’ai également retenu une circonstance aggravante importante. En effet, non seulement vous ne reconnaissez pas les faits qui vous sont reprochés mais vous avez de plus affirmé avoir bien agi. […] Plutôt que de vous attarder à justifier votre comportement en prétextant des lacunes au niveau de la sécurité au service du génie, je vous invite à réfléchir aux comportements qui sont attendus des employés du MDN.

[25]  La lettre mentionne une circonstance aggravante, mais aucun facteur atténuant.

[26]  À l’audience, M. Émond, qui a signé la lettre de suspension et qui était également le décideur au premier palier de la procédure de grief, a témoigné qu’il avait jugé qu’une suspension de deux jours était une sanction adéquate pour l’inconduite du fonctionnaire, qui avait clairement enfreint les normes de respect, qui sont la règle au MDN. Il a dit avoir « encensé » le fonctionnaire, au cours de l’audience disciplinaire, pour son souci de sécurité. Néanmoins, à l’audience devant la Commission, M. Émond a insisté sur l’absence de remords chez le fonctionnaire, et son sentiment de « régence », comme si lui et son frère étaient les seules personnes qui pouvaient s’occuper du réseau d’électricité.

[27]  Le défendeur a déposé en preuve à l’audience les évaluations de rendement du fonctionnaire. Sa compétence en tant qu’électricien n’est pas mise en doute; par contre, il y a des commentaires sur sa façon de communiquer qui devrait être plus respectueuse. On dit également que le fonctionnaire devrait être « plus attentif aux directives provenant de [ses] superviseurs »; le fonctionnaire indique dans ses commentaires ce qui suit : « J’aimerais avoir les directives plus clairement sur papier. »

[28]  Le fonctionnaire et son frère ont témoigné que depuis l’événement donnant lieu au grief, il y avait eu des changements importants, tant pour ce qui est du protocole de la clé, à savoir que les entrepreneurs doivent maintenant obtenir la clé à un endroit convenu sur la base avant d’aller à la sous-station, que pour la feuille d’autorisation, maintenant remplie d’avance, qui détaille les travaux à effectuer, les opérations de mise hors réseau et le transfert de responsabilité entre les électriciens de la base et les entrepreneurs qui exécutent des travaux électriques. Le fonctionnaire et son frère ont témoigné à l’audience qu’ils étaient satisfaits des nouvelles procédures, plus sécuritaires selon eux.

[29]  Finalement, M. Roy a déclaré à l’audience qu’il avait souvent travaillé par la suite sur la base de Valcartier, qu’il avait traité à maintes reprises avec les frères Parent depuis, et qu’il n’y avait eu aucun autre problème.

[30]  Je note que le défendeur a déposé en preuve une réprimande écrite figurant dans le dossier disciplinaire du fonctionnaire, au sujet d’actions dans l’exercice de son métier d’électricien qui, selon le défendeur, étaient contraires aux directives précises de ses supérieurs. Les actions remontaient à octobre et décembre 2013. La lettre de réprimande est datée du 1er juin 2015, mais elle prenait effet le 19 juin 2014 pour les fins du dossier disciplinaire.

[31]  Le défendeur a également déposé en preuve le Code de valeurs et d’éthique du secteur public (« Code de valeurs »), du gouvernement du Canada, qui s’applique à tous les fonctionnaires fédéraux. Une des valeurs fondamentales du Code de valeurs est le respect envers les personnes.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour le défendeur

[32]  Selon le défendeur, il est clair que le fonctionnaire a enfreint le Code de valeurs par son manque de respect envers des employés de Gémitech. La preuve établit que le fonctionnaire s’est emporté contre des ingénieurs professionnels, mettant en doute leurs compétences et leur droit de se trouver au lieu où ils devaient exécuter leurs travaux, dont ils avaient reçu l’autorisation. Le rôle du fonctionnaire était de couper le courant; la gestion de l’entrepreneur revenait à CDC.

[33]  Selon le défendeur, l’inconduite est avérée, et il n’y a pas de facteurs atténuants. Par contre, il y a des facteurs aggravants : les avertissements, la mesure disciplinaire antérieure et l’absence de remords ou d’excuses.

[34]  D’après le défendeur, une fois l’inconduite reconnue, il n’appartient pas à la Commission de moduler la sanction. La jurisprudence à cet égard est claire : une fois l’inconduite établie, l’arbitre de grief n’a pas à réviser le quantum de la mesure disciplinaire, s’il se situe dans les paramètres du raisonnable.

[35]  Le défendeur a présenté plusieurs décisions pour appuyer sa position. Dans l’affaire Bousquet c. Conseil du Trésor (Travaux publics Canada), dossier de la CRTFP 166-2-16316 (19870421), l’employé avait reçu une suspension de trois jours pour avoir mené une campagne de diffamation contre son employeur. L’extrait suivant résume bien le raisonnement qu’il est préférable de ne pas intervenir indûment dans une décision disciplinaire :

Me McMunagle a prétendu qu’une suspension d’un jour aurait dû être jugée suffisante dans les circonstances. A cet égard, je suis d’accord avec les observations faites par le président suppléant Bendel dans l’affaire Hogarth (dossier de la Commission 166‑2‑15583):

 

[...]  un arbitre ne doit mitiger une mesure disciplinaire que lorsque celle‑ci est manifestement déraisonnable ou erronée. Selon moi, l’arbitre ne doit pas intervenir même s’il estime qu’une peine légèrement moins sévère aurait été suffisante. Il est évident que la détermination d’une mesure disciplinaire appropriée est un art et non une science. (page 6).

 

Une peine moins sévère aurait peut‑être pu répondre aux besoins légitimes de l’employeur en l’occurrence, mais la sanction imposée ne me semble pas déraisonnable. Par conséquent, le grief est rejeté et la mesure disciplinaire prise par l’employeur est maintenue.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[36]   La Cour fédérale a entériné le principe de la façon suivante dans Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 958 :

[45] Aucun argument convaincant n’a été avancé en faveur d’une modification de la sanction prononcée contre le Dr Chopra, soit une suspension sans traitement de cinq jours. Rien n’autorise la Cour à modifier cette sanction, confirmée par l’arbitre qui la décrit comme « tout à fait justifiée compte tenu des critères applicables aux sanctions disciplinaires ».

[37]  Selon le défendeur, il n’est pas déraisonnable d’imposer une sanction de deux jours pour incivilité. Il m’a cité deux décisions mettant en cause le même médecin, sanctionné pour avoir été impoli avec un patient (suspension de 3 jours) puis avec le psychologue traitant d’un autre patient (suspension de 5 jours) (voir Tanciu c. Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada), dossier de la CRTFP 166-2-25763 (19950606) et Tanciu c. Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada), dossier de la CRTFP 166-2-27712 (19970805)).

B.  Pour le fonctionnaire

[38]  Le fonctionnaire soutient qu’il n’y a pas eu inconduite. Selon lui, ses propos ont été interprétés comme irrespectueux, mais il serait plus juste de dire qu’ils étaient soucieux de la sécurité. Les témoins ne se sont pas entendus sur les mots exacts employés par le fonctionnaire quand il s’entretenait avec les employés de Gémitech.

[39]  Selon lui, le défendeur n’a pas tenu compte de l’ensemble des circonstances. Le fonctionnaire a expliqué à quel point il était frustré par le manque de rigueur dans l’administration des autorisations préalables et l’utilisation de la clé.

[40]  Il a ajouté qu’il y a dans ce dossier de graves lacunes d’équité procédurale. D’abord, pour ce qui est du temps qu’il a fallu pour imposer la suspension : l’événement s’est produit le 9 mars 2015, et la sanction n’a été imposée que le 19 octobre 2015.

[41]  Ensuite, le défendeur n’a pas respecté les étapes de la procédure de règlement des griefs. M. Émond a imposé la mesure disciplinaire; il n’aurait pas dû être le décideur au premier palier. De plus, il a déclaré lors de son témoignage qu’il n’avait jamais lu la lettre de plainte, qu’il s’était fondé simplement sur le rapport d’enquête. Par conséquent, il n’a pas vu que les signataires de la lettre de plainte reconnaissaient le bien-fondé des préoccupations du fonctionnaire.

IV.  Analyse

[42]  Le fonctionnaire soutient qu’il n’y a pas eu inconduite, et qu’il y a eu défaut d’équité procédurale dans cette affaire. En effet, le décideur du premier palier ne devrait pas être la même personne qui a imposé la sanction, pour des raisons évidentes : il est difficile de revenir sur son propre raisonnement. Le fonctionnaire a également souligné le temps qu’il a fallu pour imposer la mesure disciplinaire. Il est préférable, bien sûr, qu’une sanction suive d’assez près l’inconduite, tant pour l’enseignement que pour la dissuasion. Toutefois, je ne peux blâmer le MDN d’avoir mené une enquête avant de sévir.

[43]  Je considère les défauts d’équité procédurale comme corrigés par l’audience qui s’est tenue devant moi, comme le confirment nombre de décisions de la Commission.

[44]  Par ailleurs, je conclus que l’inconduite reprochée est avérée. Les témoignages de M. Roy et de M. Parent concordent essentiellement, et le fonctionnaire n’a pas nié avoir confronté l’équipe de Gémitech pour l’absence d’autorisation et l’utilisation de la clé de Lignec. Je considère que le comportement agressif du fonctionnaire à l’endroit de l’équipe Gémitech méritait une sanction.

[45]  Lorsqu’un arbitre de grief entend un grief disciplinaire, son analyse se fonde généralement sur les critères énoncés dans Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 C.L.R.B.R. 1, à savoir : Y a-t-il eu une inconduite justifiant une mesure disciplinaire? Le cas échéant, la mesure disciplinaire est-elle excessive, compte tenu de l’ensemble des circonstances? Si la mesure est excessive, quelle mesure devrait la remplacer?

[46]  Le défendeur m’a présenté bon nombre de décisions pour appuyer son argumentation qu’il ne faut pas modifier une sanction si elle se situe dans les limites du raisonnable. Je suis d’accord avec ce principe. Effectivement, une fois l’inconduite avérée, il ne revient pas à un arbitre de grief de modifier un peu une sanction parce qu’il aurait donné, par exemple, quatre jours de suspension plutôt que cinq.

[47]  Par contre, une des décisions incluses dans le recueil d’autorités du défendeur vient moduler quelque peu le principe. Dans Lewchuk c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), 2001 CRTFP 76, une infirmière dans un pénitencier a refusé un ordre direct de soigner une des détenues, parce qu’elle la craignait. Au cours de la procédure de règlement du grief, l’employeur a réduit la sanction disciplinaire de cinq à trois jours. L’arbitre de grief, ayant entendu toute la preuve, écrit ce qui suit :

[114] L’un des principes bien reconnus du droit du travail est que les arbitres et les commissions des relations de travail ne devraient pas intervenir dans la gestion proprement dite du lieu de travail, car c’est là un privilège exclusif de la direction. Par conséquent, on nous rappelle souvent que nous n’avons pas pour rôle de « rafistoler » la mesure disciplinaire particulière imposée par un employeur. Serais-je alors en train de « rafistoler » la mesure disciplinaire de l’employeur si je ramenais de trois à deux jours de suspension la sanction imposée vu mes conclusions sur la santé de la fonctionnaire s’estimant lésée au moment de l’incident qui a donné lieu à sa sanction disciplinaire? Si l’employeur n’avait pas déjà réduit la suspension initiale de cinq jours en la ramenant à trois jours, je crois que j’aurais réduit cette suspension, en vertu des compétences qui me sont conférées, compte tenu de la santé de la fonctionnaire s’estimant lésée et du fait qu’elle croyait que le plan proposé pour administrer le traitement n’était pas sécuritaire. Il est difficile d’émettre des hypothèses à ce stade quant à savoir si j’aurais ramené la sanction à une suspension de deux jours ou de trois jours.

[115] La décision de l’employeur de réduire la sanction pour la raison précitée était sensible, et je le félicite d’avoir pris cette mesure. Je ne veux pas dissuader les employeurs de réduire les sanctions initiales après nouvel examen, et je suis consciente de la sagesse qu’il y a à ne pas se mêler de la gestion du lieu de travail en « rafistolant » les sanctions imposées.

[116] Compte tenu des faits en l’espèce et de toutes les circonstances atténuantes, notamment du fait que l’employeur a réduit la sanction disciplinaire au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, j’ai néanmoins conclu qu’il semble juste et raisonnable, dans les circonstances, de réduire encore la mesure disciplinaire en la faisant passer d’une suspension de trois jours à une suspension de deux jours. J’en suis arrivée à cette conclusion pour les principales raisons suivantes: […] [l’arbitre de grief énumère les raisons factuelles pour justifier son intervention].

[117] Pour tous ces motifs, le grief est accueilli en partie. La sanction de trois jours de suspension est ramenée à deux jours de suspension […]

[48]  Dans l’appréciation de la sanction disciplinaire, l’arbitre de grief doit tenir compte de tous les faits qui entourent l’inconduite. Il peut paraître un peu ridicule de transformer une sanction de deux jours de suspension en une sanction d’un jour de suspension (la conclusion à laquelle j’arriverai), mais je ne pense pas qu’il s’agit ici d’un exercice vide de sens. Ce que les parties me demandent ici, c’est d’évaluer l’inconduite du fonctionnaire. C’est ce que j’ai fait, pour en arriver à des conclusions différentes de celle du défendeur. La culpabilité du fonctionnaire me paraît moindre que l’évaluation qu’en a faite le défendeur. Il paraît donc normal de diminuer la sanction imposée au fonctionnaire en conséquence.

[49]  On reproche au fonctionnaire d’avoir tenu des « propos irrespecteux » aux représentants de Gémitech, et d’avoir dénigré devant eux un collègue qui travaille pour leur compagnie affiliée, Lignec. Je ne sais pas si j’aurais qualifié les paroles du fonctionnaire de « propos irrespecteux », mais je suis d’accord avec le défendeur que le traitement réservé aux représentants de Gémitech était hors norme et inacceptable. Les représentants de Gémitech étaient des professionnels, présents sur la base pour réaliser un travail convenu. Surtout, ils étaient prêts à collaborer avec les frères Parent pour assurer que les travaux se réalisent de façon efficace, en toute sécurité. Ils ne méritaient pas de se faire accueillir comme des malfaiteurs, ni de se faire tenir un discours sur la sécurité qui s’adressait plutôt au défendeur.

[50]  Cela dit, le fonctionnaire a bien mis en lumière les préoccupations qu’il avait en raison du manque de protocole entourant l’utilisation de la clé de la sous-station, et en raison de l’absence d’un document d’autorisation détaillant les travaux à réaliser, tant ceux de Gémitech que ceux des frères Parent pour sécuriser la zone de travail. Ces manquements ne sont pas attribuables au fonctionnaire, mais au défendeur, et dans une certaine mesure à CDC, qui avait la responsabilité du contrat avec Gémitech. Je ne comprends pas pourquoi M. Simard n’est pas intervenu dès le départ, au moment où on a constaté que les représentants de Gémitech étaient déjà entrés dans la sous-station, ni pourquoi il n’avait pas en main le document d’autorisation des travaux. Il n’a pas su expliquer son inaction à l’audience. Pourtant, le lendemain, c’est lui qui a fait signer le document d’autorisation par M. Roy pour ensuite le signer lui-même.

[51]  La mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire ne tient pas compte de sa réelle préoccupation au sujet de la sécurité. M. Émond dit l’avoir « encensé » pour son sérieux en matière de sécurité, mais la lettre de suspension, et la réponse au premier palier de la procédure de règlement du grief, ne tiennent pas compte de cet élément comme motivation pour le fonctionnaire, et ne l’appliquent donc pas comme facteur atténuant. Plus encore, on reproche au fonctionnaire de justifier son comportement « en prétextant des lacunes au niveau de la sécurité ».

[52]  Pourtant, même la plainte initiale des représentants de Gémitech faisait état du bien-fondé des préoccupations du fonctionnaire en matière de sécurité. M. Émond a plutôt parlé de l’absence de remords et du sentiment de « régence » du fonctionnaire. Je n’ai pas compris dans les propos du fonctionnaire un sentiment de « régence », mais plutôt, de responsabilité. La trop vive réaction du fonctionnaire à l’entrée des représentants de Gémitech dans la sous-station était mue par une inquiétude réelle et fondée, liée à l’absence d’une autorisation en bonne et due forme. Les normes CSA et celles du MDN le confirment : les travaux électriques doivent être détaillés et autorisés, pour des raisons évidentes de sécurité et de responsabilité civile. La préoccupation de sécurité du fonctionnaire constitue un facteur atténuant qui doit entrer en ligne de compte dans l’évaluation de l’inconduite, partant, de la sanction.

[53]  Il semble, d’après les témoignages du fonctionnaire, de M. Parent et de M. Roy, que la malheureuse situation du 9 mars 2015 ne risque plus de se reproduire, parce qu’il y a maintenant un protocole bien établi pour l’obtention de la clé. Le document d’autorisation des travaux a été refait, à la satisfaction des frères Parent. Il est toujours préparé d’avance, il est complet, et une fois signé, il transfère légalement la responsabilité des travaux à l’entrepreneur qui le signe.

[54]  Si ces mesures avaient été en place le 9 mars 2015, on aurait évité toute cette affaire – trois jours d’audition pour une mesure disciplinaire de deux jours de suspension.

[55]  Parce que l’inconduite du fonctionnaire est diminuée par son souci d’assurer un lieu de travail sécuritaire, je trouve qu’une suspension de deux jours était excessive dans l’ensemble des circonstances de l’affaire. Néanmoins, je considère quand même qu’il y a eu inconduite en raison de la façon dont il a traité les représentants de Gémitech. Je tiens compte du fait qu’il y a une lettre de réprimande au dossier du fonctionnaire. Dans ces circonstances, je réduis la sanction d’une journée.

[56]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[57]  Le grief est partiellement accueilli. La mesure disciplinaire imposant une suspension de deux jours est annulée. Elle est remplacée par une mesure disciplinaire imposant une suspension d’une journée, réputée avoir été imposée le 19 octobre 2015.

[58]  Le défendeur doit verser le salaire d’une journée au fonctionnaire, à son taux salarial actuel.

Le 19 décembre 2019.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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