Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté la décision de l’employeur de la licencier – la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs a été communiquée le 21 novembre 2011 – l’employeur a accueilli le grief et a réintégré la fonctionnaire s’estimant lésée dans ses fonctions – celle ci souhaitait renvoyer à l’arbitrage des questions concernant sa réintégration – l’affaire n’a été renvoyée à l’arbitrage que le 17 mai 2019 – l’employeur a soulevé une objection quant au délai du renvoi – l’agent négociateur a assumé l’entière responsabilité de l’omission de renvoyer le grief à l’arbitrage dans les délais impartis – au moyen des critères énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, la Commission a examiné l’intérêt de l’équité des deux parties – la fonctionnaire s’estimant lésée a fait preuve de diligence raisonnable relativement à son grief, et seul l’agent négociateur était responsable du renvoi tardif du grief à l’arbitrage – toutefois, la durée du retard constituait un facteur important – ce retard était de plusieurs années, il s’agissait d’un retard extrêmement long, qui n’était pas du tout ordinaire – compte tenu de la durée du retard, la Commission a accepté que la prorogation du délai pour être préjudiciable envers l’employeur – bien que l’agent négociateur ait fait valoir que ce préjudice aurait été minime, étant donné que la fonctionnaire s’estimant lésée avait deux autres griefs connexes en attente d’une audience, la Commission a estimé que les liens entre le grief de licenciement et les deux autres griefs étaient ténus – la fonctionnaire s’estimant lésée disposait aussi d’un autre recours en vertu de l’art. 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, qu’elle a exercé – la Commission a conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’équité d’accorder la prorogation pour renvoyer le grief à l’arbitrage.

Demande rejetée.

Contenu de la décision

Date:  20191219

Dossier:  566-02-40448

 

 

 

Référence:  2019 CRTESPF 126

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

NOELLE EDWARDS

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Agence des services frontaliers du Canada_

 

employeur

 

Répertorié

Edwards c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant :  James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée:  Christophe Schulz

Pour l’employeur :  Richard Fader, avocat

 

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

Deposes le 12 juin et le 4 juillet 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

I.  Contexte

[1]  Le 14 septembre 2006, Noelle Edwards, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a déposé un grief contre l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur ») pour avoir fait preuve de discrimination à son égard au motif de son invalidité. Le grief porte le numéro 79183 et est dans le dossier portant le numéro 566‑02‑6477 de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

[2]  Le 2 décembre 2006, la fonctionnaire a déposé un grief demandant un milieu de travail exempt de harcèlement. Il porte le numéro 79802 et est dans le dossier de la Commission portant le numéro 566‑02‑6478.

[3]  Le 1er avril 2009, la fonctionnaire a été licenciée et elle a déposé un troisième grief pour contester le licenciement. Il porte le numéro 97391, est dans le dossier de la Commission portant le numéro 566‑02‑40448 et fait l’objet de la présente décision. Il sera appelé le « troisième grief » tout au long de la présente décision.

[4]  Les deux premiers griefs ont été renvoyés à l’arbitrage en temps opportun par l’agent négociateur de la fonctionnaire, soit l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC).

[5]  La réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs a été communiquée à la fonctionnaire relativement au troisième grief le 21 novembre 2011. L’employeur a fait droit au grief et a rétabli la fonctionnaire dans ses fonctions, mais il existait des questions concernant sa réintégration que la fonctionnaire souhaitait présenter aux fins d’arbitrage. L’affaire a été renvoyée à l’arbitrage que le 17 mai 2019

II.  Objection à la compétence soulevée par l’employeur fondée sur le dépôt hors délai du troisième grief

[6]  Le 12 juin 2019, l’employeur a soulevé une objection quant au délai pour renvoyer le troisième grief à l’arbitrage.

A.  Réponse de l’agent négociateur

[7]  La réponse de l’agent négociateur était exhaustive et a été déposée le 4 juillet 2019. Dans sa réponse, l’agent négociateur reconnaît que le troisième grief a été renvoyé à l’arbitrage au‑delà du délai prévu par le Règlement, mais il demande que la Commission exerce son pouvoir discrétionnaire pour accorder une prorogation des délais dans l’intérêt de l’équité, en vertu de l’art. 61 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005‑79; le « Règlement »).

[8]  Dans ses plaidoiries du 4 juillet 2019, l’agent négociateur assume l’entière responsabilité de l’omission de la fonctionnaire de renvoyer son grief à l’arbitrage dans les délais impartis

[9]  L’agent négociateur a fourni un échéancier détaillé pour expliquer comment le troisième grief a été reçu. Par exemple, l’échéancier indique que le 29 novembre 2011, le Syndicat des Douanes et de l’Immigration (soit l’élément de l’AFPC de la fonctionnaire) a transmis le troisième grief à l’AFPC aux fins d’analyse et d’examen.

[10]  L’échéancier indique les efforts continus de la fonctionnaire d’en savoir davantage auprès de son agent négociateur en ce qui concerne l’état de son troisième grief. Il est fait référence aux communications en date de février 2012; d’août, d’octobre et de décembre 2013; du 2 novembre 2015; d’août et de septembre 2017 et de mars 2018.

[11]  Selon l’agent négociateur, ce n’est qu’au cours d’une conférence téléphonique préparatoire à l’audience avec la Commission le 24 avril 2019 ayant trait aux deux autres griefs, que l’avocat de l’agent négociateur a appris que le troisième grief n’avait jamais été renvoyé à l’arbitrage.

[12]  Tel que cela est indiqué, le troisième grief a enfin été renvoyé à l’arbitrage le
17 mai 2019. À ce moment‑là, l’agent négociateur a demandé qu’il soit joint aux deux autres griefs de la fonctionnaire.

[13]  La fonctionnaire a par la suite déposé une plainte de pratique déloyale de travail auprès de la Commission en alléguant que l’agent négociateur avait agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi dans le cadre de sa représentation, en application de l’al. 190(1)g) et de l’art. 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »). La fonctionnaire et l’agent négociateur ont convenu de suspendre la plainte en attendant l’issue de la présente décision.

[14]  L’agent négociateur reconnaît qu’il est manifeste que la fonctionnaire n’est aucunement à blâmer en ce qui a trait au fait que le troisième grief n’a pas été renvoyé à l’arbitrage dans les délais impartis et que le retard s’explique par sa négligence.

[15]  L’agent négociateur reconnaît qu’en fait, le troisième grief a été accueilli au dernier palier, mais il souligne le fait que la question est loin d’être théorique parce que le cœur du grief est l’omission de l’employeur de réintégrer la fonctionnaire de manière appropriée, ce qui a donné lieu à de graves conséquences sur ses prestations d’invalidité permanentes, versées par un assureur tiers.

[16]  L’agent négociateur soutient que le fait de ne pas accorder la prorogation du délai entraînerait une injustice importante à l’égard de la fonctionnaire parce qu’elle perdrait son seul recours pour réclamer le montant des dommages auquel elle estime avoir droit, en raison de l’omission de l’employeur de la réintégrer correctement après qu’il a été informé qu’elle avait été licenciée de manière inappropriée.

[17]  L’agent négociateur m’a renvoyé aux cas suivants : Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1; Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59; Prior c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 96.

B.  Réponse de l’employeur

[18]  L’employeur a répondu le 20 août 2019. Il fait référence à deux cas, Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33 et Sonmor c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 20. En résumé, l’employeur soutient que la négligence de l’agent négociateur ne constitue pas une raison claire, logique et convaincante pour expliquer la raison pour laquelle le grief a été renvoyé à l’arbitrage sept ans et demi suivant la date à laquelle l’employeur a communiqué sa réponse au dernier palier au grief concernant le licenciement. Selon l’employeur, une prorogation du délai dans de telles circonstances ne peut être justifiée.

[19]  L’employeur fait valoir qu’au cours des nombreuses années qui se sont écoulées, les souvenirs se sont estompés, les principaux témoins ne sont peut‑être plus disponibles et il se peut que les documents aient été détruits, conformément aux politiques sur la conservation de documents, étant donné que, depuis novembre 2011, aucune autre mesure n’a été prise relativement au licenciement de la fonctionnaire.

[20]  L’employeur soutient également que les questions soulevées dans les deux autres griefs de la fonctionnaire ne sont pas liées au grief relatif au licenciement.

III.  Analyse et motifs

[21]  Les demandes de prorogation du délai sont présentées en vertu de l’art. 61 du Règlement, qui dispose ce qui suit :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle‑ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

 a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

[22]  Évidemment, les parties n’ont pas convenu d’une prorogation et, par conséquent, la demande doit être examinée dans l’intérêt de l’équité des deux parties. Les critères à prendre en considération sont clairement définis comme suit dans Schenkman :

[23]  Dans mon examen des critères énoncés dans Schenkman, je ne me prononcerai pas sur les chances de succès du grief. Je ne peux constater que, puisqu’il a trait au licenciement de la fonctionnaire, il n’est manifestement pas de nature frivole ou futile.

[24]  La fonctionnaire a fait preuve de diligence raisonnable; elle a fait tout ce dont elle devait faire. Seul l’agent négociateur est responsable du renvoi tardif du grief à l’arbitrage. Toutefois, je suis d’accord avec l’arbitre de grief dans Copp pour dire que les erreurs administratives commises par un syndicat ne constituent pas nécessairement des raisons claires, logiques et convaincantes.

[25]  Tel que cela est indiqué dans Thompson, il s’agit de l’ensemble particulier de circonstances qui définissent chaque cas qui doit déterminer l’importance qui doit être accordée à l’un ou l’autre des critères énoncés dans Schenkman par rapport aux autres. La décision rendue dans Prior précise davantage que, dans une situation où l’agent négociateur a fait preuve de négligence et où un fonctionnaire s’estimant lésé a fait preuve de diligence raisonnable relativement à son grief, l’équité devrait motiver une demande de prorogation du délai.

[26]   La durée du retard constitue un facteur important. Les cas présentés font état de retards de plusieurs semaines ou peut‑être de plusieurs mois. Le retard en l’espèce est de plusieurs années. Beaucoup d’années. La situation est semblable au retard de 15 ans dans Schenkman et je suis d’accord avec l’énoncé du commissaire Mackenzie figurant au paragraphe 81, selon lequel « [i]l s’agit d’un retard extrêmement long, qui n’est pas du tout ordinaire […] Les agents négociateurs et les employeurs ont tous droit à ce que les différends qui les opposent en arrivent à une conclusion. Il y a un temps pour présenter des griefs, et un temps pour tourner la page. »

[27]  J’accepte le fait que, compte tenu de la durée du retard, l’employeur, qui exerce ses activités depuis de nombreuses années en fonction de l’hypothèse selon laquelle il n’existe aucun grief concernant le licenciement, subirait un certain préjudice parce qu’il devra revenir soudainement en arrière pour se préparer à régler cette question.

[28]  L’agent négociateur fait valoir que ce préjudice est minime parce que l’employeur était au courant de la nature du différend, puisqu’il est lié aux deux autres griefs. L’agent négociateur soutient que le retard dans l’audition des deux
griefs renvoyés correctement et le retard dans le renvoi du troisième grief sont les mêmes.

[29]  Outre le retard dans l’audition des deux autres griefs, il n’est pas clair comment la nature du différend dans le grief relatif au licenciement est liée aux deux autres griefs, dans lesquels un harcèlement et une discrimination sont allégués. Les questions relatives au licenciement ne sont peut‑être pas théoriques, mais j’estime que l’argument de l’agent négociateur selon lequel les questions qu’il soulève sont liées, dans une certaine mesure, aux deux autres griefs, car elles sont quelque peu ténues.

[30]  Même si je peux comprendre la situation de la fonctionnaire, je dois établir un équilibre entre les intérêts des deux parties. Ce faisant, je conclus que la fonctionnaire dispose d’un moyen de recours valable en vertu de l’art. 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, qu’elle a déjà exercé.

[31]  Je suis d’accord avec la conclusion dans Copp, selon laquelle « […] les erreurs ou les omissions de la part du syndicat ne constituaient pas des motifs clairs, logiques et convaincants expliquant pourquoi les délais impartis n’avaient pas été respectés ».

[32]  Dans toutes les circonstances, je conclus qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’équité d’accorder la prorogation pour renvoyer le grief à l’arbitrage. Je rends donc l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV.  Ordonnance

[33]  La demande de prorogation du délai est rejetée.

Le 19 décembre 2019.

Traduction de la CRTESPF

James R. Knopp,

Une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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