Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour entendre le grief, puisqu’il avait été porté au troisième palier de la procédure de règlement des griefs et avait ensuite été renvoyé à l’arbitrage hors du délai prescrit par la convention collective et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral – le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que l’employeur aurait dû formuler son objection au plus tard 30 jours après avoir reçu le renvoi à l’arbitrage – il a déclaré que l’objection était hors délai et ne pouvait pas être entendue par la Commission – il n’a pas reçu la réponse de l’employeur au premier ou au deuxième palier, mais il a présenté son grief au dernier palier bien après le délai prescrit – la Commission a indiqué qu’une fois que le fonctionnaire s’estimant lésé a porté son grief au dernier palier, bien que hors délai, l’employeur demeurait tenu d’y répondre dans le délai imparti – si l’employeur voulait s’y opposer au motif qu’il était hors délai, il devait le faire au dernier palier – selon la jurisprudence, un employeur ne peut soulever une objection relative au délai de présentation d’un grief que si le grief a été rejeté pour cette raison dès la première possibilité et à toutes les étapes subséquentes de la procédure applicable aux griefs – l’absence de réponse de l’employeur à un palier de la procédure de règlement des griefs équivaut à un rejet du grief – comme l’employeur n’a pas répondu, le grief a été considéré comme rejeté, sans qu’une objection relative aux délais n’ait été soulevée – la Commission a déclaré qu’un employeur ne peut pas remédier rétroactivement à son défaut en présentant une réponse au dernier palier plus de huit mois après la date de son exigibilité – l’employeur a contrevenu à l’article 63 du Règlement; son objection est donc rejetée – pour ce qui est de l’objection du fonctionnaire s’estimant lésé, la Commission a conclu que l’objection de l’employeur a été soulevée dans le délai prévu à l’article 95 du Règlement – ainsi, les objections à la compétence fondées sur le respect des délais ont été rejetées – la Commission instruira le grief à l’audience prévue.

Objections rejetées.

Contenu de la décision

Date : 20200117

Dossier : 566-02-7980

 

 Référence : 2020 CRTESPF 4

 

 

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

eNTRE

 

Gurjinder Pannu

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Pannu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant :  John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Corinne Blanchette, Syndicat des Agents Correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers – CSN

Pour l’employeur : Asira Shukuru, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 18 et 23 février, et le 8 mars 2013.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉcision

(Traduction de la CRTESPF)

I.  Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1]  À l’époque pertinente, Gurjinder Pannu, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), travaillait pour le Conseil du Trésor (l’« employeur ») en tant qu’agent correctionnel classifié au groupe et au niveau CX-01, auprès du Service correctionnel du Canada (SCC), à l’Établissement de Kent, dans la région du Pacifique du SCC.

[2]  À l’époque pertinente, les conditions d’emploi du fonctionnaire étaient régies en partie par une convention collective entre le Conseil du Trésor et le Syndicat des Agents Correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers – CSN (l’« agent négociateur »), qui visait tous les fonctionnaires du groupe Services correctionnels (la « convention collective »). Cette convention collective a été signée le 26 juin 2006 et a expiré le 31 mai 2010.

[3]  Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTEFP) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

[4]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la LCRTEFP, de la LRTFP et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

II.  Résumé de la preuve

[5]  Le 16 mars 2012, le fonctionnaire a déposé un grief qui était rédigé en ces termes :

[Traduction]

ÉNONCÉ DU GRIEF

Lorsque je suis revenu de mon congé d’invalidité de longue durée (ILD), mon poste rotatif de 12 heures et mon équipe m’ont été retirés et j’ai été affecté à un poste de huit heures, du lundi au vendredi. Cela ne s’était pas produit dans le cas des autres agents qui étaient revenus au travail à la suite d’une ILD dans le passé. En raison de cela, ma famille et moi avons subi des pertes financières, puisque j’ai perdu la prime de poste, les journées fériées et les heures supplémentaires, et que j’ai dû parcourir 125 km en voiture dans les deux directions sans bénéficier du covoiturage, parce qu’il a été interrompu en raison de la perte de mon poste rotatif. J’ai dû aussi prendre des congés de maladie sur les conseils de mes médecins, ainsi que des congés annuels en raison de cette situation. J’ai aussi dû prendre des congés non payés pour les mêmes raisons.

MESURE CORRECTIVE DEMANDÉE

J’aimerais être dédommagé pour toutes les pertes financières que j’ai subies et recevoir le remboursement des congés de maladie et des congés annuels que j’ai utilisés en raison de cette situation, ainsi que les congés non payés.

[6]  Le 2 avril 2012, le fonctionnaire a transmis le grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Le 18 mai 2012, bien que le grief ait déjà été transmis au deuxième palier, l’employeur l’a rejeté au premier palier.

[7]  Dans une lettre datée du 27 septembre 2012, le grief a été rejeté au deuxième palier. Il semble que le fonctionnaire ait reçu copie de la réponse au grief au deuxième palier le 23 octobre 2012, et que, le 2 novembre 2012, il ait transmis le grief au dernier palier.

[8]  L’employeur n’a pas répondu au grief au dernier palier dans le délai prévu par la convention collective. Le 4 janvier 2013, le fonctionnaire l’a renvoyé à la CRTFP pour arbitrage.

[9]  Le jeudi 17 janvier 2013, le greffe de la CRTFP a écrit aux parties afin d’accuser réception de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage. Une page de confirmation de transmission par télécopieur révèle que la lettre du greffe a été envoyée à 11 h 21, le même jour.

[10]  Le lundi 18 février 2013, l’employeur a écrit à la CRTFP afin de s’opposer à sa compétence d’instruire le grief, au motif que celui‑ci n’a pas été présenté dans les délais prescrits. L’objection de l’employeur est énoncée plus loin dans la présente décision, dans le résumé de l’argumentation, tout comme la réponse du fonctionnaire et la réplique de l’employeur.

[11]  La présente affaire a initialement été mise au rôle les 8 et 9 octobre 2019 à Abbotsford, en Colombie‑Britannique. Cependant, à la suite d’une rencontre avec les représentants du SCC et l’agent négociateur concernant des questions autres que le présent grief en particulier, la présidente de la Commission a accepté de ne pas mettre au rôle toute audience touchant les groupes visés durant la semaine du 7 au 11 octobre 2019. Par conséquent, la présente affaire a été reportée aux 28 et 29 janvier 2020, à Abbotsford.

[12]  Les parties ont demandé à la Commission de se prononcer sur le fond quant à l’objection relative au respect des délais avant l’audience. La présente décision porte uniquement sur cette objection.

A.  La convention collective

[13]  L’article 20 de la convention collective s’intitule « Procédure de règlement des griefs ». Les parties pertinentes à la présente objection énoncent ce qui suit :

[…]

20.03 Sauf indication contraire dans la présente convention, un grief est traité par les paliers suivants :

a) palier 1 - premier (1er) palier de direction;

b) palier 2 - palier intermédiaire;

c)  palier final - l’administrateur générale ou l’administrateur général ou, encore, sa représentante ou son représentant autorisé.

[…]

20.10 Au premier (1er) palier de la procédure, l’employé-e peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 20.05, au plus tard le vingt‑cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

20.11 L’Employeur répond normalement au grief d’un-e employé‑e, à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs sauf au dernier, dans les dix (10) jours qui suivent la date de présentation du grief audit palier. Si la décision ou le règlement du grief ne donne pas satisfaction à l’employé-e, ce dernier peut présenter un grief au palier suivant de la procédure dans les dix (10) jours qui suivent la date à laquelle il reçoit la décision ou le règlement par écrit.

20.12 À défaut d’une réponse de l’Employeur dans les quinze (15) jours qui suivent la date de présentation d’un grief, à tous les paliers sauf au dernier, l’employé-e peut, dans les dix (10) jours qui suivent, présenter un grief au palier suivant de la procédure de règlement des griefs.

20.13 L’Employeur répond normalement au grief de l’employé-e au dernier palier de la procédure de règlement des griefs dans les trente (30) jours qui suivent la date de la présentation du grief à ce palier.

[…]

20.15 La décision rendue par l’Employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs est définitive et exécutoire pour l’employé-e, à moins qu’il ne s’agisse d’un type de grief qui peut être renvoyé à l’arbitrage.

20.16 Lorsqu’il s’agit de calculer le délai au cours duquel une mesure quelconque doit être prise ainsi qu’il est stipulé dans la présente procédure, les samedis, les dimanches et les jours fériés désignés payés sont exclus.

20.17 Les délais stipulés dans la présente procédure peuvent être prolongés d’un commun accord entre l’Employeur et l’employé-e et, s’il y a lieu, le représentant du Syndicat.

[…]

20.23 Lorsque l’employé-e a présenté un grief jusque et y compris le dernier palier de la procédure de règlement des griefs au sujet de :

  • a) l’interprétation ou de l’application, à son égard, d’une disposition de la présente convention ou d’une décision arbitrale s’y rattachant,

ou

  • b) une mesure disciplinaire entraînant une suspension ou une sanction pécuniaire,

ou

  • c) un licenciement ou une rétrogradation aux termes des alinéas 12(1)c), d) ou e) de la Loi sur la gestion des finances publiques

et que son grief n’a pas été réglé à sa satisfaction, il peut le présenter à l’arbitrage selon les dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et de son règlement d’exécution.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour l’employeur

[14]  L’employeur soutient que la Commission n’a pas compétence pour entendre l’affaire, puisque le grief a été porté au troisième palier de la procédure de règlement des griefs et qu’il a été renvoyé à l’arbitrage hors du délai prescrit par les clauses 20.11 et 20.12 de la convention collective et le paragraphe 90(2) du Règlement.

[15]  Le fonctionnaire a déposé son grief le 16 mars 2012, et il a reçu la réponse de l’employeur au premier palier le 25 mai 2012. Il a transmis son grief au deuxième palier le 2 avril 2012. N’ayant pas reçu de réponse à ce palier, il avait jusqu’au 9 mai 2012 pour renvoyer son grief au dernier palier. Cependant, il ne l’a fait que le 2 novembre 2012.

[16]  Si le fonctionnaire avait renvoyé son grief au dernier palier au plus tard le 9 mai 2012, comme il est exigé, l’employeur aurait été tenu de répondre au dernier palier au plus tard le 21 juin 2012.

[17]  En ce qui concerne le renvoi à l’arbitrage, le fonctionnaire était tenu de renvoyer son grief au plus tard le 1er août 2012. L’« avis de renvoi à l’arbitrage », qui a été reçu le 4 janvier 2013, est donc tardif également.

[18]  L’employeur demande à la Commission de rejeter le grief sans audience.

B.  Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[19]  Le fonctionnaire invoque les articles 95 et 96 du Règlement, qui prévoient quand une partie peut s’opposer au renvoi à la Commission au motif qu’un délai prévu par une convention collective ou le Règlement n’a pas été respecté. Le fonctionnaire m’a aussi renvoyé à l’article 10 du Règlement, où il est indiqué que, si le délai de dépôt d’un document expire un samedi ou un jour férié, l’échéance est reportée au jour suivant qui n’est ni un samedi ni un jour férié.

[20]  Le fonctionnaire soutient que, dans sa réplique au dernier palier, l’employeur ne s’est pas opposé au non‑respect des délais prescrits qui est allégué à l’égard du renvoi du grief. Étant donné que le grief n’avait pas été rejeté au dernier palier parce qu’il n’avait prétendument pas été porté dans le délai prescrit par la convention collective, il ne pouvait pas faire l’objet d’une objection le 18 février 2013, parce que l’employeur ne s’y était pas opposé à la première occasion. À cet égard, le fonctionnaire a invoqué Canadian Labour Arbitration, de Brown et Beatty, au paragraphe 2:3130, Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2006 CRTFP 56, Sidhu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 76, et McWilliams c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 58.

[21]  Le fonctionnaire a aussi soutenu que l’employeur avait reçu un accusé de réception de l’avis de renvoi à l’arbitrage du grief le 17 janvier 2013. Par conséquent, en vertu du paragraphe 95(1), il aurait dû formuler l’objection à la compétence au plus tard 30 jours après cette date. Le trentième jour suivant le 17 janvier 2013 aurait été le samedi 16 février 2013. En vertu de l’article 10 du Règlement, l’objection aurait dû être soulevée le lendemain, soit le 17 février 2013. Comme elle a été soulevée le 18 février 2013, elle était hors délai. À ce titre, étant donné que la conformité aux articles 10 et 95 du Règlement est obligatoire, l’objection est hors délai et ne peut être accueillie.

C.  La réplique de l’employeur

[22]  En l’absence d’une réplique de l’employeur au dernier palier du processus de règlement des griefs, le fonctionnaire devait renvoyer son grief à l’arbitrage au plus tard le quarantième jour suivant la date à laquelle la réplique au dernier palier devait être présentée. En conséquence, le grief aurait dû être renvoyé à l’arbitrage au plus tard le 1er août 2012; il a été renvoyé le 4 janvier 2013, avec cinq mois de retard.

[23]  L’employeur a indiqué qu’il s’est conformé au paragraphe 95(1) du Règlement, puisqu’il a soulevé son objection avant l’expiration du délai de 30 jours. Il a reçu le 18 janvier 2013 une lettre de la Commission, datée du 17 janvier 2013, qui l’avisait que le grief avait été renvoyé à l’arbitrage. Le trentième jour suivant le 18 janvier 2013 tombait le dimanche 17 février 2013. Même si le délai de 30 jours expirait le samedi 16 février 2013, comme l’a allégué le fonctionnaire, la date limite prévue pour soulever l’objection en vertu du paragraphe 95(1) demeurait le lundi 18 février 2013, parce qu’il n’aurait pas été possible de le faire le dimanche 17 février 2013. Le dimanche est un jour férié, et l’article 10 du Règlement prévoit clairement que si le délai de dépôt d’un document expire un samedi ou un jour férié, l’échéance est reportée au jour suivant qui n’est ni un samedi ni un jour férié. Les articles 26 et 35 de la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21) prévoient également des directives à cet égard. Par conséquent, l’employeur a respecté l’article 95 du Règlement.

[24]  En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’employeur n’aurait pas fourni une copie de la décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs dans les 30 jours suivant le renvoi à l’arbitrage, l’employeur soutient que les articles 95 et 96 sont tout à fait distincts. L’article 95 s’intitule « Délai pour soulever une objection » et précise les conditions applicables à la présentation d’une objection valide fondée sur le respect des délais, conditions que l’employeur soutient avoir respectées.

[25]  L’article 96 du Règlement traite de l’exigence de la Commission selon laquelle des copies des réponses au grief doivent être déposées dans les 30 jours suivant le renvoi à l’arbitrage. L’article ne fait aucune allusion que ce soit à la partie qui formule l’objection, et il appuie la position de l’employeur selon laquelle ces articles s’appliquent indépendamment l’un de l’autre.

[26]  La jurisprudence citée par le fonctionnaire n’est pas pertinente à la question à trancher.

IV.  Motifs

[27]  La procédure de règlement des griefs de la fonction publique fédérale est régie par la Loi, le Règlement et toute convention collective propre à un groupe qui est conclue entre un agent négociateur autorisé et l’employeur à l’égard des fonctionnaires qui font partie d’une unité de négociation déterminée.

[28]  Les parties se sont entendues sur certaines des conditions figurant à l’article 20 de la convention collective, qui régissent la procédure de règlement des griefs. Selon cette convention, la procédure comprend trois paliers. Si un fonctionnaire s’estimant lésé est insatisfait de la réponse de l’employeur au dernier palier, il peut renvoyer le grief à l’arbitrage (s’il s’agit d’un grief à l’égard duquel la Commission a compétence).

[29]  Une fois qu’un grief a été déposé au premier palier, l’employeur doit y répondre dans les 10 jours qui suivent, ce calcul n’incluant pas les samedis, les dimanches ou les jours fériés (clause 20.16 de la convention collective). Si l’employeur n’a pas répondu au grief à un palier déterminé, à l’exception du dernier, dans les 15 jours suivant la date de réception du grief à ce palier, le fonctionnaire peut le porter au palier suivant dans les 10 jours suivant cette date. La clause 20.17 prévoit que, d’un commun accord, les parties peuvent prolonger les délais afin de prendre les mesures mentionnées à l’article 20.

[30]  L’article 63 du Règlement, qui figure sous le titre « Griefs », puis le sous‑titre « Dispositions générales » et la note marginale « Rejet pour non-respect d’un délai », est ainsi rédigé :

Griefs

Dispositions générales

[…]

Rejet pour non-respect d’un délai 

63  Le grief ne peut être rejeté pour non-respect du délai de présentation à un palier inférieur que s’il a été rejeté au palier inférieur pour cette raison.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[31]  L’article 90 du Règlement, qui établit la procédure de renvoi d’un grief à la Commission pour arbitrage, est ainsi rédigé :

Délai pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage

90(1) Sous réserve du paragraphe (2), le renvoi d’un grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable au grief.

Exception

(2) Si la personne dont la décision constitue le dernier palier de la procédure applicable au grief n’a pas remis de décision à l’expiration du délai dans lequel elle était tenue de le faire selon la présente partie ou, le cas échéant, selon la convention collective, le renvoi du grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après l’expiration de ce délai.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[32]  Selon l’article 10 du Règlement, si un délai – prévu par le Règlement – de dépôt d’un document expire un samedi ou un jour férié, l’échéance est reportée au jour suivant qui n’est ni un samedi ni un jour férié.

[33]  Le terme « jour férié » n’est défini ni dans le Règlement ni dans la Loi. Il est défini à l’article 35 de la Loi d’interprétation et comprend le dimanche.

[34]  Le fonctionnaire a déposé son grief le 16 mars 2012. Il n’a été ni démontré ni allégué que le grief avait été déposé hors délai au premier palier. À ce titre, aux fins de la présente objection, je présume qu’il a été déposé dans le délai imparti.

[35]  La réponse de l’employeur au grief au premier palier a été présentée le 18 mai 2012, et le fonctionnaire l’a reçue le 25 mai 2012. En vertu de la clause 20.11 de la convention collective, l’employeur aurait dû répondre au grief au premier palier dans un délai de 10 jours. Comme il n’avait pas répondu dans le délai de 15 jours prévu à la clause 20.12, le fonctionnaire était en droit de porter le grief au deuxième palier de la procédure dans les 10 jours qui suivaient le quinzième jour suivant le dépôt de son grief, ce qu’il a fait, le 2 avril 2012.

[36]  Une fois que le fonctionnaire a porté son grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, dans la mesure où cela a été fait avant l’expiration du délai de réplique de l’employeur, le délai à ce palier a commencé à s’écouler, et cela, à partir du 2 avril 2012 dans le cas présent. Là encore, en vertu de la clause 20.11, l’employeur aurait dû répondre au deuxième palier de la procédure dans un délai de 10  jours. La clause 20.16 prévoit que, lorsqu’il s’agit de calculer le délai au cours duquel une mesure quelconque stipulée à l’article 20 doit être prise, les samedis, les dimanches et les jours fériés sont exclus. Ainsi, l’employeur aurait dû présenter sa réponse au grief au deuxième palier le mercredi 18 avril 2012 au plus tard.

[37]  Encore une fois, l’employeur n’a pas répondu dans le délai convenu. En conséquence, le fonctionnaire était en droit de porter le grief au dernier palier, ce qu’il a fait le 2 novembre 2012.

[38]  L’employeur a souligné que le renvoi du grief au dernier palier, effectué le 2 novembre 2012, était hors délai. D’après le libellé de la convention collective, l’employeur a raison. Selon la convention collective, une fois que le grief a été renvoyé au deuxième palier le 2 avril 2012, l’employeur avait 10 jours pour répondre. Comme il ne l’a pas fait, et que rien ne démontre ni ne laisse entendre dans les observations des parties qu’il existait un accord visant à prolonger le délai de réponse de l’employeur en vertu de la clause 20.17, le fonctionnaire aurait dû renvoyer le grief au dernier palier dans les 10 jours qui suivaient le quinzième jour suivant le renvoi de son grief au deuxième palier (clause 20.12). Ce quinzième jour tombait le mercredi 25 avril 2012, et le dixième jour tombait le mercredi 9 mai 2012. Le 2 novembre 2012 dépassait de loin le délai prévu à l’article 20.

[39]  Cependant, l’omission du fonctionnaire de transmettre son grief du deuxième au dernier palier dans le délai exigé n’est pas fatale, à moins qu’au dernier palier, l’employeur ne soulève la présente objection relative au respect des délais.

[40]  Une fois que le fonctionnaire a porté son grief au dernier palier, bien que hors délai, l’employeur demeurait tenu d’y répondre dans le délai imparti. S’il voulait s’y opposer au motif qu’il était hors délai, il devait le faire au dernier palier.

[41]  La jurisprudence établie par les prédécesseurs de la Commission traite de cette question dans Lafrance, McWilliams et Sidhu. Dans Lafrance, il a été conclu qu’en vertu de l’article 95 du Règlement, l’employeur ne peut soulever une objection relative au délai de présentation d’un grief (comme convenu dans une convention collective ou prévu par le Règlement) que si le grief a été rejeté pour cette raison dès la première possibilité et à toutes les étapes subséquentes de la procédure applicable aux griefs. Sidhu et McWilliams suivent le raisonnement exposé dans Lafrance.

[42]  La plus récente décision qui traite de l’interprétation d’une objection à la compétence découlant d’un défaut de présenter un grief dans les délais imposés par le Règlement ou par une convention collective est Emard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 66. Cette décision confirme la jurisprudence antérieure.

[43]  Selon les faits, le grief a été présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le ou vers le 2 novembre 2012. Bien que ce ne fût manifestement pas dans les délais convenus par les parties dans la convention collective, l’employeur aurait néanmoins dû y répliquer dans le délai approprié. Ce faisant, il aurait dû aussi s’opposer au non-respect des délais prescrits pour la transmission du grief du deuxième au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Selon le libellé de la convention collective, la date limite pour la réponse de l’employeur aurait été le 17 décembre 2012.

[44]  Bien que l’employeur ait éventuellement présenté une réponse au grief au dernier palier, dans laquelle il a soulevé la question du non-respect des délais prescrits lors de la transmission du grief du deuxième au dernier palier, il ne l’a fait que bien après l’expiration du délai de réponse au dernier palier, et le fonctionnaire avait renvoyé le grief à la CRTFP pour arbitrage. En réalité, la réponse de l’employeur au dernier palier était datée du 11 juillet 2013, ce qui n’était pas seulement bien après l’expiration du délai dans lequel il aurait dû présenter sa réponse, mais aussi après le renvoi du grief à la CRTFP pour arbitrage et après que les faits suivants aient eu lieu :

  • le 18 février 2013, l’employeur a soulevé une objection à la compétence de la Commission pour instruire le grief, au motif que le fonctionnaire ne l’avait pas renvoyé à la CRTFP dans les délais prescrits;

  • l’agent négociateur, au nom du fonctionnaire, a répondu à cette objection le 23 février 2013;

  • l’employeur a répliqué à la réponse de l’agent négociateur le 8 mars 2013.

[45]  Dans Lafrance, au paragraphe 23, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur ne peut soulever une objection quant au délai de présentation d’un grief que si le grief a été rejeté pour cette raison dès la première occasion et à toutes les étapes subséquentes de la procédure applicable aux griefs.

[46]  Les délais indiqués dans la convention collective sont simples et clairs. Il incombait à l’employeur de soulever une objection relative au non‑respect des délais prescrits lors de la transmission du grief du deuxième au dernier palier dans sa réponse au fonctionnaire, et ce, dans les délais prescrits par la convention collective et le Règlement. L’absence de réponse de l’employeur à un palier de la procédure de règlement des griefs équivalait à un rejet du grief (voir McWilliams, au par. 22). Par conséquent, comme l’employeur n’a pas répondu, le grief a été considéré comme rejeté, sans qu’une objection relative aux délais n’ait été soulevée. L’employeur ne pouvait pas remédier rétroactivement à ce défaut en présentant une réponse au dernier palier plus de huit mois après la date de son exigibilité.

[47]  Comme l’employeur a contrevenu à l’article 63 du Règlement, son objection à la compétence, fondée sur le défaut du fonctionnaire de porter son grief du deuxième au dernier palier de la procédure de règlement des griefs dans les délais prévus par la convention collective, est rejetée.

[48]  Il reste à trancher la question de savoir si le renvoi du grief du dernier palier à l’arbitrage a été effectué dans le délai approprié, ainsi que l’allégation du fonctionnaire selon laquelle l’objection de l’employeur à la compétence était hors délai.

[49]  La clause 20.13 de la convention collective prévoit que l’employeur doit présenter une réponse au dernier palier dans un délai de 30 jours. La convention collective n’aborde pas la question du délai dans lequel un grief peut être renvoyé à l’arbitrage lorsqu’aucune réponse n’est présentée. Par défaut, en vertu du paragraphe 90(2) du Règlement, le fonctionnaire disposait de 40 jours après la date à laquelle l’employeur devait présenter sa réponse. Il a renvoyé son grief du dernier palier à la CRTFP le 4 janvier 2013, ce qui s’inscrivait dans le délai prévu au paragraphe 90(2). Le grief a donc été renvoyé à l’arbitrage dans les délais prescrits.

[50]  Le fonctionnaire a soutenu que l’objection de l’employeur concernant le renvoi à l’arbitrage n’a pas été soulevée dans le délai prévu à l’article 95 du Règlement. La Commission a reçu l’avis de renvoi à l’arbitrage le 4 janvier 2013, et, selon la documentation, l’avis de ce renvoi avait été transmis aux parties par télécopieur le 17 janvier 2013, à 11 h 21.

[51]  L’article 95 du Règlement prévoit que toute partie peut, au plus tard 30 jours après avoir reçu copie de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage, soulever une objection au motif que le délai prévu par la partie 2 du Règlement ou par une convention collective pour la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable au grief n’a pas été respecté.

[52]  Le trentième jour suivant le 17 janvier 2013, tombait le samedi 16 février 2013. Conformément à l’article 10 du Règlement, le dernier jour où l’employeur aurait pu soulever une objection, afin de respecter le délai indiqué à l’article 95 du Règlement, aurait été le lundi 18 février 2013. Comme l’employeur a soulevé son objection le lundi 18 février 2013, il n’a pas enfreint l’article 95 du Règlement. Par conséquent, son objection a été soulevée dans le délai prévu.

[53]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[54]  Les objections à la compétence fondées sur le respect des délais sont rejetées.

[55]  La Commission instruira le grief à l’audience prévue.

Le 17 janvier 2020.

Traduction de la CRTESPF

John G. Jaworski,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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