Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte contre son agent négociateur, alléguant qu’il a commis une pratique déloyale de travail en lui refusant le droit de vote dans le cadre d’un processus de ratification d’une convention collective – la plaignante verse des cotisations à l’agent négociateur, mais n’en est pas membre; elle est ce qu’on appelle couramment une « cotisante Rand » – la Commission a conclu qu’elle n’a pas compétence à l’égard des votes de ratification, puisqu’il s’agit de questions internes au syndicat et qu’elles ne sont pas visées par le devoir de représentation équitable – la Commission a déterminé que, même si elle avait été convaincue que le devoir de représentation équitable s’appliquait aux votes de ratification, la décision de limiter les droits de vote aux membres n’était pas arbitraire – la Commission a aussi établi qu’aucun élément de preuve n’indiquait que la plaignante avait personnellement subi de la discrimination – la Commission a conclu qu’il n’y avait aucune erreur ni aucun préjugé dans le fait de désigner l’employeur de la plaignante en tant que personne susceptible d’être touchée et que la notification large de tous les cotisants Rand à titre de personnes susceptibles d’être touchée n’est pas exigée par le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20200211

Dossier: 561-34-889 

 

Référence:  2020 CRTESPF 11

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

ELIZABETH BERNARD

plaignante

 

et

 

Institut professionnel de la fonction publique du Canada

 

défendeur

 

Répertorié

 Bernard c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte déposée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant :  David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante :  Elle-même

Pour le défendeur :  Martin Ranger, avocat, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 18 janvier et le 5 février 2018, et le 25 juillet et le 17 septembre 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

I.  Introduction

[1]  Elizabeth Bernard (la « plaignante ») a déposé la présente plainte contre son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC ou le « défendeur »), alléguant qu’il a commis une pratique déloyale en lui refusant le droit de vote dans le cadre d’un processus de ratification d’une convention collective.

[2]  Mme Bernard est une employée de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC). Son poste fait partie de l’unité de négociation Vérification, finances et sciences (VFS) de cet organisme. L’IPFPC est l’agent négociateur accrédité de cette unité.

[3]  Bien que Mme Bernard fasse partie de l’unité de négociation VFS, elle est ce qu’on appelle couramment une « cotisante Rand », c’est-à-dire une employée qui verse des cotisations à l’agent négociateur, mais qui n’en est pas membre. En vertu des statuts de l’IPFPC, seuls ses « membres titulaires » ont le droit de participer aux votes de ratification.

[4]  En décembre 2017, Mme Bernard a demandé une « clé de vote » pour participer à un vote de ratification sur une entente provisoire conclue entre l’IPFPC et l’ARC pour l’unité de négociation VFS. L’IPFPC lui a indiqué que, pour recevoir une clé de vote, elle devrait devenir une membre titulaire. Il l’a informée de la façon de modifier son statut. Elle a refusé et a déposé la présente plainte.

[5]  Dans sa réponse à la plainte, l’IPFPC a soutenu que la plainte remettait en question une affaire interne au syndicat, qui n’engage pas le devoir de représentation équitable (DRÉ). À ce titre, il a soutenu que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») n’a pas compétence pour statuer sur la plainte.

[6]  À l’appui de sa position, l’IPFPC a noté que la même question avait été tranchée dans Sturkenboom c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2012 CRTFP 81. Le plaignant dans Sturkenboom était, comme Mme Bernard, un employé de l’ARC dans l’unité de négociation VFS et un cotisant Rand à qui on a refusé une clé de vote. L’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) a rejeté la plainte, ayant conclu qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur une affaire interne au syndicat et que la plainte était sans fondement.

[7]  Je ne trouve rien dans les arguments de Mme Bernard pour me convaincre que je devrais m’écarter de la conclusion de la CRTFP dans Sturkenboom. Pour ce motif, et pour les motifs qui suivent, je rejette sa plainte pour défaut de compétence.

[8]  Au cours du processus de présentation des arguments écrits, Mme Bernard a également soulevé des questions concernant l’identification et la notification d’autres personnes susceptibles d’être touchées par la procédure; ces questions sont également abordées dans les motifs qui suivent.

II.  Plainte devant la Commission

[9]  Mme Bernard a déposé la présente plainte le 19 décembre 2017, en vertu de l’al. 190g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). La plainte et les documents qui l’accompagnaient fournissent les renseignements généraux suivants.

[10]  Le 23 septembre 2017, l’IPFPC et l’ARC ont conclu une entente provisoire concernant le renouvellement de la convention collective VFS. Le 23 novembre 2017, l’IPFPC a annoncé qu’il tiendrait un vote électronique de ratification de ses membres entre le 6 et le 20 décembre 2017.

[11]  Le 7 décembre 2017, Mme Bernard a demandé une clé de vote pour participer au vote de ratification. L’IPFPC lui a indiqué que, pour en recevoir une, elle devrait devenir une membre titulaire et lui a fourni des renseignements sur la façon de modifier son statut. Le 13 décembre 2017, elle a déclaré à l’IPFPC qu’elle ne souhaitait pas devenir une membre titulaire, mais qu’elle croyait tout de même qu’elle devrait être autorisée à voter. À titre subsidiaire, elle a demandé comment interjeter appel de sa décision. Un employé de l’IPFPC a répondu le même jour, répétant que seuls les membres titulaires avaient le droit de voter et déclarant qu’elle pouvait interjeter appel de sa décision auprès de la Commission, tout en attirant également son attention sur la décision de la CRTFP dans Sturkenboom.

[12]  Mme Bernard a procédé au dépôt de la présente plainte. À titre de mesure corrective, elle a demandé à la Commission de [traduction] « […] ordonner à l’IPFPC de modifier sa politique concernant les votes sur la ratification afin de s’assurer qu’elle est conforme à la Loi ».

[13]  Le 18 janvier 2018, l’IPFPC s’est opposé à la plainte pour des motifs de compétence. Il a pris la position selon laquelle les votes de ratification étaient une question interne, régie uniquement par ses statuts. En vertu de ses statuts, un membre titulaire est une personne qui est membre d’une unité de négociation que l’IPFPC est accrédité à représenter, qui a présenté une demande et a été accepté en tant que membre, et qui a payé les frais requis. Le statut 10.3 prévoit que les membres titulaires ont le droit de participer aux votes de ratification sur les ententes de principe.

[14]  Dans sa réponse, l’IPFPC a adopté la position selon laquelle il est bien établi que la Commission n’a pas compétence pour intervenir dans les affaires internes au syndicat. Il a également soutenu que la Commission n’avait pas compétence parce que la plaignante n’avait pas établi une preuve prima facie de violation de la Loi. En d’autres termes, elle n’a fourni aucune allégation factuelle qui, si elle était avérée, mènerait à la conclusion que la Loi a été violée.

[15]  La plaignante a fourni sa réponse à la position de l’IPFPC le 5 février 2018. Elle a allégué que ses statuts violent l’art. 187 de la Loi. Elle a fait valoir que le devoir de représentation équitable devrait s’étendre à ses règles de ratification des conventions collectives. Elle a allégué également que les statuts violaient les alinéas 188d) et e) de la Loi.

[16]  La Commission a décidé qu’elle entendrait les arguments des parties en matière de compétence au moyen d’arguments écrits, qui ont été reçus du défendeur le 25 juillet 2019 et de la plaignante le 24 septembre 2019.

[17]  La plaignante a également demandé une ordonnance qui exige que l’IPFPC fournisse à la Commission le nom et l’adresse à domicile de chacun des cotisants Rand de l’unité de négociation. Elle a soutenu que cela était nécessaire pour que la Commission soit conforme à l’art. 4 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »), qui précise que la Commission doit envoyer des copies des documents introductifs, tels que la présente plainte, à 
« […] toute personne pouvant être intéressée ».

[18]  Par conséquent, il y a deux questions à trancher :

  • Question 1 : La Commission a-t-elle compétence pour instruire la présente plainte?
  • Question 2 : La Commission est-elle tenue, en vertu du Règlement, d’aviser tous les cotisants Rand de l’unité de négociation pertinente de la présente plainte?

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour le défendeur

[19]  L’IPFPC a soutenu que la Commission et ses prédécesseures ont toujours conclu que le devoir de représentation équitable en vertu de l’art. 187 de la Loi ne s’applique pas aux questions internes au syndicat, en l’absence d’une disposition législative précise. Ce devoir concerne la représentation en ce qui a trait aux relations entre les employés et leur employeur. Il ne s’étend pas aux mécanismes internes d’un agent négociateur. Entre autres, il m’a renvoyé à Bracciale c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Syndicat des employé(e)s de l’impôt, section locale 00048), 2000 CRTFP 88, aux paragraphes 22 à 29; St-James et le Syndicat de l’Emploi et de l’Immigration du Canada (Élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada), dossier de la CRTFP 100-1 (19920331), [1992] C.R.T.F.P.C. no 44 (QL); Kilby et Alliance de la Fonction publique du Canada, dossiers de la CRTFP 161-02-808 et 150-02-44 (19980427), [1998] C.R.T.F.P.C. no 28 (QL), au par. 33.

[20]  Deuxièmement, les commissions des relations de travail partout au Canada ont toujours conclu que la ratification d’une convention collective est une question interne aux syndicats qui n’est pas visée par le devoir de représentation équitable. En l’absence d’une disposition législative exigeant que les agents négociateurs tiennent des votes de ratification sur les ententes provisoires, le devoir de représentation équitable n’est pas applicable. Entre autres, l’IPFPC m’a renvoyé à Connolly (Re) (1998), 107 di 120 au par. 107; Pipeline Contractors Association of Canada (Re) (1984), 57 di 205; Threlfall (Re), [2001] B.C.L.R.B.D. No 37 (QL), au par. 58; deux décisions du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) : Air Canada (Re), 2010 CCRI 539; Air Canada (Re), 2010 CCRI 540, au par. 49. Toutes ces décisions appuient la proposition selon laquelle les commissions des relations de travail n’ont pas compétence pour statuer sur une plainte concernant le devoir de représentation équitable qui allègue qu’un agent négociateur n’a pas respecté ses règlements internes ni tenu des votes de ratification.

[21]  Plus précisément, l’IPFPC a soutenu que la CRTFP avait adopté ce même principe non seulement dans Sturkenboom, mais aussi dans Sahota c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2012 CRTFP 114, qui portait sur la décision de l’IPFPC de ne pas tenir un vote de ratification sur un protocole d’entente touchant une partie d’une unité de négociation. La CRTFP a conclu ce qui suit :

[…]

[44] […] Aucun statut ni disposition législative n’indique que la ratification est obligatoire. De plus, même s’il avait été prescrit par les statuts de l’Institut que la ratification était nécessaire, le défaut de tenir un scrutin de ratification n’aurait pas forcément fait en sorte que l’affaire en instance aurait relevé du cadre de l’article 187 de la Loi.

[…]

[22]  Tout en reconnaissant le fait que la Commission n’est pas liée par les décisions de sa prédécesseure dans Sturkenboom ou dans Sahota, l’IPFPC est d’avis que, dans un certain nombre de ses décisions et celles de ses prédécesseures, la Commission a souligné l’importance de la cohérence et de la prévisibilité dans sa jurisprudence (voir Fehr c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 17, aux paragraphes 7, 72 et 73 (confirmée dans 2018 CAF 159, au par. 7); Mackie c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2003 CRTFP 103, au par. 27; Bazinet c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2011 CRTFP 111, aux paragraphes 24 et 25).

[23]  Quant à l’accusation de la plaignante selon laquelle les actes de l’IPFPC ont violé les alinéas 188d) et e) de la Loi, il a soutenu que sa décision selon laquelle les cotisants Rand n’ont pas le droit de participer aux votes de ratification ne constitue pas une mesure disciplinaire, une sanction, une discrimination, une intimidation ou une contrainte. Mme Bernard n’a en aucune façon été traitée différemment par l’IPFPC; son refus de lui accorder une clé de vote n’était aucunement lié au fait qu’elle a exercé ses droits en vertu des parties 1 ou 2 de la Loi. Elle n’a fourni aucun élément de preuve établissant qu’il y avait eu violation prima facie de la Loi.

[24]  Le défendeur n’a présenté aucune observation en ce qui concerne la demande de la plaignante que la Commission lui ordonne de produire les noms et les adresses de ses cotisants Rand de sorte que la Commission puisse les aviser à titre d’autres personnes susceptibles d’être intéressées par la présente instance.

B.  Pour la plaignante

[25]  La plaignante a souligné que, depuis que sa plainte a été déposée en décembre 2017, l’IPFPC a tenu un autre vote de ratification pour son unité de négociation, en juillet 2019, dont elle a de nouveau été exclue.

[26]  Elle a soutenu que l’art. 187 s’applique à toutes les questions relatives à la représentation des employés dans une unité de négociation, et pas seulement à la représentation en cas de griefs. Tout en reconnaissant le fait que la Loi n’exige pas qu’un agent négociateur tienne un vote de ratification, elle a soutenu que, lorsqu’il le décide, il doit procéder au vote d’une manière qui est conforme à la Loi, y compris les articles 187 et 188. Elle a soutenu que c’est semblable au devoir de représentation équitable en ce qui concerne les griefs. La Loi n’exige pas que chaque grief soit présenté, mais elle exige que le processus décisionnel d’un syndicat au sujet d’un grief soit exempt d’arbitraire, de discrimination et de mauvaise foi.

[27]  La plaignante a soutenu que toute affaire concernant les votes de ratification déterminée en vertu du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; le « Code ») n’est pas applicable en vertu de la Loi parce que la disposition concernant le DRÉ est plus étroite que celle de la Loi.

[28]  La disposition en vertu du Code, l’art. 37, se lit comme suit :

Devoir de représentation équitable

37 Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[Je mets en évidence]

[29]  La disposition de la Loi, l’art. 187, se lit comme suit :

Représentation inéquitable par l’agent négociateur

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

[Je mets en évidence]

[30]  L’argument de la plaignante est que le libellé plus vaste de l’art. 187 de la Loi précise clairement que le législateur avait l’intention de l’appliquer à toutes les questions relatives à la représentation des employés dans une unité de négociation, tandis que la disposition du Code est axée sur la représentation en ce qui concerne les droits en vertu de la convention collective (c’est-à-dire les griefs).

[31]  Elle a soutenu que les statuts de l’IPFPC sont arbitraires, discriminatoires et construits de mauvaise foi et qu’ils violent donc l’art. 187. À ce titre, la Commission devrait avoir compétence de statuer sur sa plainte.

[32]  Pour ce qui est de la proposition selon laquelle le règlement de l’IPFPC est arbitraire, Mme Bernard a soutenu que tous les employés sont assujettis à la convention collective, mais seuls certains ont le droit de voter. L’IPFPC n’a fourni aucun objectif de relations de travail pour exclure les non-membres du vote sur l’entente. La Commission devrait examiner le processus décisionnel de l’IPFPC en utilisant les mêmes critères pour évaluer le devoir de représentation équitable dans un contexte de griefs. Citant Lamolinaire c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, 2009 CCRI 463, les questions à trancher seraient, entre autres, de savoir si l’IPFPC a mené une enquête superficielle ou approfondie et s’il a obtenu suffisamment de renseignements pour en arriver à une décision avisée. Ce devoir s’étend à tous les non-membres de l’unité de négociation (voir McRaeJackson c. TCA-Canada, 2004 CCRI 290).

[33]  Elle a fait remarquer que la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) avait compétence pour statuer sur une question de la structure de vote d’un organisme de négociation patronal dans Sarnia Construction Assn. v. Operating Engineers Employer Bargaining Agency, 2004 CanLII 27271 (ON LRB). Elle a soutenu que, si une commission des relations de travail pouvait avoir compétence sur la façon dont un organisme négociateur patronal ratifie une convention collective, une commission des relations de travail devrait également avoir compétence sur la question du fonctionnement du processus de ratification d’un syndicat.

[34]  En ce qui concerne l’allégation de discrimination, Mme Bernard a fait remarquer que certains employés n’adhèrent pas à leurs syndicats pour des raisons de religion ou de conscience. Parmi de nombreux cas cités, voir par exemple A.R.R. v. Saskatchewan Government and General Employees’ Union, 2011 CanLII 8557 (SK LRB); La Roy v. Alberta Teachers’ Association, 2015 CanLII 8699 (AB LRB). Dans l’unité de négociation de la plaignante, un tel employé serait assujetti à la clause 26.04 de la convention collective entre l’IPFPC et l’ARC, qui lui permet de faire un don de bienfaisance égal aux cotisations syndicales. Toutefois, un tel employé n’est pas considéré comme un membre titulaire et n’aurait pas le droit de voter dans le cadre d’un processus de ratification.

[35]  Selon la plaignante, cela démontre que les statuts de l’IPFPC établissent une discrimination fondée sur la religion, qui est un motif interdit. Il n’est pas nécessaire d’établir l’intention afin d’établir la discrimination — il suffit d’examiner uniquement l’effet d’une pratique; voir, par exemple, Reeves c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2019 CRTESPF 61, au par. 179; Edwards c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 62, au par. 36. Par conséquent, la question n’est pas de savoir si l’IPFPC avait l’intention de commettre un acte discriminatoire au motif de la religion. L’effet est que certains employés sont exclus du vote au motif de leur religion.

[36]  Pour ce qui est de la mauvaise foi, Mme Bernard a soutenu que l’IPFPC et d’autres agents négociateurs ont expulsé certaines personnes de l’adhésion et, par conséquent, les ont exclues de la participation aux votes de ratification (voir Lampron c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2011 CRTFP 29; Johnson c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2011 CRTFP 85 (« Johnson 1 »); Johnson c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2011 CRTFP 86 (« Johnson 2 »); Hunter c. Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, 2017 CRTESPF 4). La plaignante a soutenu que ces membres ont été expulsés pour faire avancer les intérêts de l’agent négociateur et pour punir les employés qui exercent leurs droits en vertu de la Loi d’adhérer à l’organisation syndicale de leur choix. Une fois expulsés, ils se voient alors refuser le droit de participer aux votes de ratification, ce qui est hostile et constitue de la mauvaise foi, selon Mme Bernard.

[37]  La plaignante a soutenu que le CCRI a adopté une approche différente, statuant que les syndicats n’ont pas le droit de punir les employés pour l’exercice de leurs libertés fondamentales (voir Section locale 847 de la Fraternité internationale des Teamsters c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2011 CCRI 605 (confirmée dans 2012 CAF 210)).

[38]  La plaignante a également contesté l’idée selon laquelle la Commission n’a pas compétence en matière d’affaires internes aux syndicats. À titre de preuve, elle a cité Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 58 (« Veillette 1 »); Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 64 (« Veillette 2 »). Dans les deux cas, la CRTFP a examiné les plaintes relatives à la discipline interne aux syndicats, malgré les arguments de l’agent négociateur au sujet de la compétence de la CRTFP en ce qui a trait aux « affaires internes ». Dans le dernier cas, la CRTFP a conclu qu’elle pouvait examiner un règlement ou une politique si le règlement ou la politique violait la Loi, et elle est parvenue à la même conclusion dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103, au par. 62.

[39]  Mme Bernard a soutenu qu’il est bien de la compétence de la Commission de s’assurer que le processus utilisé par l’IPFPC pour conclure une convention collective respecte le devoir de représentation équitable et la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6). Par exemple, elle a demandé : si l’IPFPC décidait de tenir un vote de ratification ouvert uniquement aux employés de sexe masculin d’une unité de négociation, la Commission n’interviendrait-elle pas? Et si l’IPFPC décidait de ne consulter que les employés de la Saskatchewan pour déterminer sa stratégie nationale de négociation, refusera-t-elle de se prononcer sur une plainte déposée par des employés de la Nouvelle-Écosse?

[40]  Si la Commission refuse la compétence, la question ne disparaît pas, a soutenu Mme Bernard. Il faudrait alors que le Tribunal canadien des droits de la personne ou la Cour fédérale se prononce sur la question, ce qui porterait atteinte au régime législatif établi par le législateur selon lequel la Commission doit trancher toutes les questions de relations de travail dans le secteur public (voir St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. SCTP, [1986] 1 R.C.S. 704, au par. 16).

IV.  Motifs

A. Question 1 : La Commission a-t-elle compétence pour instruire cette plainte?

[41]  La plaignante a été exclue de la participation à un vote de ratification d’une convention collective pour son unité de négociation parce que les statuts de l’agent négociateur ne permettent qu’à ses « membres titulaires » de voter. Elle a allégué que ces statuts violent l’art. 187 de la Loi.

[42]  La Commission examinera les questions de savoir si un agent négociateur a agi de façon conforme à ses obligations en vertu de la Loi. Le droit exclusif de représenter les employés d’une unité de négociation comporte l’obligation correspondante de sa part de s’abstenir d’agir d’une manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi, comme le prévoit l’art. 187 de la Loi.

[43]  Pour aborder cette question, j’examinerai la compétence de la Commission en ce qui concerne les votes de ratification, l’applicabilité du devoir de représentation équitable à ces votes et les allégations de mauvaise foi et de discrimination de la plaignante.

1.  La compétence de la Commission en ce qui concerne les votes de ratification

[44]  La première question qu’il faut examiner est celle de savoir si la plaignante a établi que la décision de l’exclure de la participation à un vote de ratification au motif de l’adhésion suscite la question du devoir de représentation équitable.

[45]  La jurisprudence de la Commission établit clairement que les votes de ratification sont des questions internes aux syndicats et ne sont pas visés par le devoir de représentation équitable.

[46]  Mme Bernard a soutenu que la suggestion que je suive la décision rendue par la CRTFP dans Sturkenboom n’a pas de fondement et que la Commission est tenue de rendre sa décision en se fondant sur les faits et les arguments dont elle est saisie. Elle a ajouté ce qui suit : [traduction] « Les faits et les arguments que j’ai présentés sont différents de ceux de M. Sturkenboom. »

[47]  Je conviens que je ne suis pas lié par la décision de la prédécesseure de la Commission et que je dois tenir compte des faits et des arguments de la plaignante.

[48]  Toutefois, les faits essentiels fournis dans la plainte de Mme Bernard sont identiques à ceux de M. Sturkenboom. Tous deux étaient des employés de l’ARC, tous deux faisaient partie de l’unité de négociation VFS, et tous deux avaient refusé de devenir des membres titulaires de l’IPFPC [traduction] « […] pour des motifs qui ne sont pas consignés au dossier public […] », comme l’a indiqué la plaignante dans ses arguments. Par conséquent, ils se sont vu refuser l’accès à une clé de vote lors d’un vote de ratification après avoir eu la possibilité de modifier leur statut.

[49]  Mme Bernard n’a fourni aucune information pour suggérer qu’elle avait personnellement des faits distincts de ceux de Sturkenboom. Dans ses deux arguments écrits, le défendeur a soutenu que Mme Bernard n’a pas fourni de preuve prima facie d’une violation de ses droits. On lui a donné la possibilité de répondre aux deux arguments.

[50]  Les arguments principaux de Mme Bernard sont identiques à ceux dans Sturkenboom. Elle a allégué que les statuts de l’IPFPC violent l’art. 187 parce qu’ils limitent les droits de vote à ceux qui sont des membres titulaires. L’art. 187 de la Loi se lit comme suit :

Représentation inéquitable par l’agent négociateur

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

[51]  Dans Sturkenboom, la CRTFP a conclu qu’elle n’avait pas compétence sur l’affaire interne au syndicat concernant le fait d’étendre ou non aux cotisants Rand le droit de vote sur une entente de principe, indiquant ce qui suit (au paragraphe 31) :

 […]

31 La procédure régissant la tenue des scrutins de ratification, y compris le fait d’accorder ou non le droit de vote aux non-membres du syndicat, relève de l’IPFPC, et non de la Loi. Par conséquent, il s’agit d’une affaire interne au syndicat dans laquelle la Commission n’a pas à intervenir. La jurisprudence a maintes fois réitéré, notamment dans White et dans Bracciale et al., que la Commission n’a pas compétence à l’égard des affaires internes d’un syndicat, sauf disposition contraire dans la Loi.

[…]

[52]  Pour en arriver à cette conclusion, la CRTFP a jugé important que la Loi précise expressément que tous les employés d’une unité de négociation ont le droit de voter dans les circonstances prescrites suivantes : les votes sur l’accréditation (art. 65), la révocation de l’accréditation (art. 95), les offres finales de l’employeur (art. 183), et les votes de grève (art. 184). La CRTFP a conclu que le fait que la Loi est restée muette en ce qui concerne les votes de ratification normaux les rendait purement internes. Elle a indiqué ce qui suit : « Le législateur, en réglementant la tenue de certains scrutins tout en demeurant muet à l’égard d’autres types de scrutin, s’est en réalité exprimé à cet égard », (au paragraphe 27).

[53]  Toujours dans Sturkenboom, la CRTFP a conclu à plusieurs reprises que la décision de restreindre le vote aux membres titulaires ne constituait pas une pratique déloyale du travail. En particulier, elle a indiqué ce qui suit :

[…]

20 […] Je ne peux conclure que la politique du syndicat à cet égard ou la communication de cette politique par les défendeurs puissent être de quelque manière considérées comme étant de l’intimidation ou des mesures coercitives. Je conclus également que les actions reprochées ne visaient aucunement « à obliger » le plaignant à adhérer au syndicat. Il a été invité à y adhérer et on l’a avisé qu’il devait adhérer au syndicat s’il souhaitait participer au vote; le fait d’aviser une personne qu’elle doit adhérer à une organisation afin de pouvoir bénéficier de certains privilèges ne constitue pas une conduite telle qu’elle puisse être considérée comme « obligeant » cette personne à adhérer à cette organisation. La Loi ne garantit pas aux fonctionnaires choisissant de ne pas adhérer au syndicat qu’ils jouiront des mêmes droits et privilèges découlant de leur adhésion à un syndicat.

[…]

32 Le plaignant a allégué que les défendeurs avaient manqué à leur devoir de représentation équitable prévu à l’article 187 de la Loi. Afin d’étayer une telle plainte, le plaignant doit établir que les défendeurs ont agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Le plaignant a soutenu que la politique du syndicat en la matière était arbitraire, discriminatoire et empreinte de mauvaise foi, en ce qu’elle « favorise les membres de l’IPFPC ». Or, il n’y a aucune preuve établissant que les défendeurs aient agi de manière discriminatoire envers le plaignant, aucune preuve n’ayant été présentée établissant que la politique en cause n’avait pas été appliquée de manière uniforme ou qu’elle prenait en compte des considérations inopportunes. Qui plus est, la politique en cause est fondée sur des principes existant de longue date et entérinées par les lois, et sa teneur ne peut être interprétée comme constituant une violation de l’article 187 de la Loi.

[…]

[54]  Toujours dans Sturkenboom, la CRTFP a passé en revue l’historique de la formule Rand et la façon dont elle a été adoptée à l’époque de l’après-guerre en tant que moyen de régler la question de l’« exclusivité syndicale » ou des « ateliers syndicaux » qui était au centre de nombreux conflits de travail à l’époque. À la suite d’une situation de grève difficile, dans Ford Motor Co. of Canada v. International Union United Automobile, Aircraft and Agricultural Implement Workers of America (U.A.W.‑C.I.O.), [1946] O.L.A.A. No. 1 (QL), le juge Rand a proposé la solution selon laquelle tous les employés faisant partie d’une unité de négociation payent leurs cotisations, mais ne sont pas obligés d’adhérer au syndicat. Cela a permis de trouver un équilibre entre les intérêts opposés qui avaient entraîné la grève. La solution a survécu et est devenue une caractéristique de nombreux milieux de travail syndiqués dans l’ensemble du pays, y compris le gouvernement fédéral. La CRTFP a ensuite conclu comme suit :

[…]

30  Lorsqu’un syndicat obtient son accréditation à titre d’agent négociateur, il acquiert de ce fait le droit exclusif et la responsabilité de négocier les conditions de travail des employés faisant partie de l’unité de négociation. Dans le cadre du processus de négociation, le syndicat peut consulter les employés, de manière informelle ou formelle par la tenue d’un scrutin, sur les propositions faites dans le cadre des négociations, les priorités des négociations, et l’acceptation de l’accord préliminaire à laquelle il est parvenu avec l’employeur, le cas échéant. Il n’y est cependant pas obligé de le faire. Si le syndicat décide de consulter officiellement les fonctionnaires qu’il représente au moyen d’un scrutin, il est maître de ce processus et peut décider, comme dans le présent cas, de restreindre la participation au scrutin à ses membres, et de refuser ce droit aux fonctionnaires qui ont choisi de ne pas adhérer au syndicat. Il ne s’agit pas là d’une pratique déloyale de travail.

[…]

[55]  Mme Bernard n’a fourni aucun argument convaincant quant à la raison pour laquelle je devrais tirer une conclusion différente, et je souscris à la conclusion de la CRTFP dans Sturkenboom.

[56]  Je me pencherai sur les arguments de la plaignante en ce qui concerne Sarnia Construction Assn., dans laquelle la CRTO a bien eu compétence sur une question de la structure de vote utilisée pour procéder à la ratification d’une convention collective dans le cadre d’un différend qui est survenu entre deux parties : un organisme négociateur patronal et l’un des employeurs membres de cet organisme. La question en litige portait sur une disposition de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario (L.O. 1995, ch. 1, Ann. A; la « LRTO ») qui imposait un devoir de représentation équitable à l’organisme négociateur patronal. Bien que la conclusion de la CRTO selon laquelle elle avait compétence puisse sembler différente de celle de la jurisprudence concernant les votes de ratification aux syndicats, en fait, l’analyse de la CRTO de la loi en question était que [traduction] « [l]e pouvoir conféré ainsi que les activités réelles des organismes négociateurs patronaux sont tout à fait différentes de ceux des organismes négociateurs syndicaux » (au paragraphe 67). Le devoir de représentation équitable imposé à l’organisme négociateur patronal était directement lié à un processus de ratification énoncé à l’art. 156 de la LRTO. L’organisme négociateur patronal ne disposait d’aucune structure organisationnelle et n’avait aucune responsabilité de l’administration de la convention collective dans cette affaire. Son objectif principal était de faciliter la négociation et la ratification dans un groupe d’employeurs. C’est pour cette raison que la CRTO avait compétence d’instruire la plainte, et non parce qu’elle a interprété que les votes de ratification sont inclus dans la notion de « représentation ».

[57]  Fait significatif, après avoir décidé qu’elle avait compétence, la CRTO n’a pas conclu que la structure de vote était arbitraire ou discriminatoire à l’égard d’un groupe particulier d’employeurs, concluant que [traduction] « [u]ne structure ne sera arbitraire ou discriminatoire à l’égard d’un groupe donné que si la structure de vote est si disproportionnée par rapport à la participation dans les relations de travail d’un groupe donné qu’elle n’a aucun rapport raisonnable avec l’intérêt du groupe dans le cadre de la négociation » (au paragraphe 158).

[58]  En conclusion, selon mon interprétation, Sarnia Construction Assn. n’étaye pas la proposition selon laquelle les commissions des relations de travail devraient avoir compétence en ce qui concerne la question des votes de ratification menés par les syndicats.

[59]  De même, bien que la plaignante ait souligné à juste titre que le devoir de représentation équitable s’étend aux non-membres, aucun des cas qu’elle a cités, y compris Lamolinaire et McRaeJackson, n’a établi que ce devoir s’étend aux questions qui n’ont pas trait à la représentation vis-à-vis d’un employeur.

[60]  Bien que j’apprécie l’attention que la plaignante a portée aux différences qui distinguent l’art. 37 du Code et l’art. 187 de la Loi, la question sous-jacente soulevée par la présente plainte est la même que celle qui a été soulevée dans des cas semblables en vertu du Code, à savoir : Les votes de ratifications constituent‑ils une affaire interne au syndicat et, le cas échéant, y a-t-il un motif législatif valable qui justifie l’intervention de la Commission? J’ai conclu qu’il n’y en a pas.

2.  Devoir de représentation équitable dans les votes de ratification

[61]  Même si j’avais été convaincu par l’argument de la plaignante selon lequel le devoir de représentation équitable s’étend à la façon dont l’agent négociateur procède à ses votes, la question dont je suis saisi serait la suivante : La plaignante a-t-elle établi que la décision de l’exclure de participer au vote de ratification, au motif de l’adhésion, était arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi?

[62]  Il faut reconnaître, à titre de point de départ, que le législateur a prévu la négociation collective dans le secteur public fédéral. Dans le préambule de la Loi, le législateur a reconnu l’importance de la négociation collective pour l’efficacité des relations patronales-syndicales et le rôle des agents négociateurs de « […] représente[r] les intérêts des fonctionnaires lors des négociations collectives et [leur] rôle […] dans la résolution des problèmes en milieu de travail et des conflits de droits […] ». Le processus de négociation collective commence par un organisme syndical qui demande l’accréditation à titre d’agent négociateur. Pour qu’il l’obtienne, la Commission doit être convaincue qu’il a l’appui de la majorité des employés de cette unité de négociation. Dès le début de la relation de négociation collective, un processus démocratique est en jeu.

[63]  Pour participer à la vie et aux affaires de l’agent négociateur, ses statuts précisent qu’un employé doit choisir de participer et prendre les mesures nécessaires pour en devenir membre. Cela est conforme à l’équilibre que le juge Rand a établi dans Ford Motor Co. of Canada. La Cour suprême du Canada a reconnu aussi cette approche récemment, indiquant ce qui suit dans Bernard c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 13, au par. 21 :

[21] […] [l’agent négociateur] a le droit exclusif de négocier au nom de tous les employés d’une unité de négociation donnée, y compris ceux assujettis à la formule Rand.  Le syndicat est l’agent exclusif de ces employés en ce qui concerne les droits que leur confère la convention collective.  Un employé est certes libre de ne pas adhérer au syndicat et de devenir ainsi un employé assujetti à la formule Rand; il ne dispose toutefois d’aucun droit de retrait en ce qui concerne la relation de négociation exclusive ainsi que les obligations de représentation du syndicat.

[Je mets en évidence]

[64]  Si un employé choisit de participer à la vie de l’agent négociateur en devenant membre, les statuts de l’IPFPC prévoient que le membre peut alors participer à la sélection des représentants. Par extension, par l’intermédiaire de ses représentants élus, les membres participent à la détermination du mandat de la négociation collective. Par conséquent, lorsque l’IPFPC arrive à la table de négociation, il le fait avec un mandat qui a l’appui de ses membres. À la suite de négociations, il pourrait y avoir une entente provisoire. Sauf dans certaines situations qui ne s’appliquent pas en l’espèce, l’IPFPC n’est pas tenu par la Loi de tenir un vote de ratification. Il peut choisir de ramener ou non la proposition pour la soumettre à un vote. Si un vote de ratification est tenu, la plaignante est d’avis qu’étant donné qu’elle est touchée par la convention collective, elle devrait être autorisée à participer au processus de ratification. Toutefois, l’agent négociateur a déterminé que seuls ses membres ont le droit de voter sur une proposition; c’est-à-dire que seuls ceux qui ont manifesté leur désir de participer au processus de négociation collective en devenant membres ont le droit de voter.

[65]  On peut établir un parallèle entre les exigences de l’agent négociateur en la matière, telles qu’elles sont énoncées dans ses statuts, et les exigences de vote lors d’une élection fédérale, telles qu’elles sont énoncées à l’article 3 de la Loi électorale du Canada (L.C. 2000, ch. 9). Toutes les personnes qui habitent au Canada seront touchées par les lois adoptées par le Parlement. Cependant, il ne suffit pas de vivre dans ce pays pour pouvoir voter; il faut en être citoyen. Tous ceux qui vivent dans ce pays qui ne sont pas citoyens mais qui souhaitent voter doivent prendre les mesures nécessaires pour devenir citoyens.

[66]  La décision de l’agent négociateur de restreindre les droits de vote à ses membres n’est pas arbitraire; en fait, elle est liée logiquement à sa capacité de jouer son rôle d’agent négociateur dans le processus de négociation collective.

3.  Allégations de discrimination et de mauvaise foi

[67]  Je passe maintenant aux arguments de la plaignante en ce qui concerne la discrimination et la mauvaise foi. Ce faisant, je constate que ces arguments n’ont pas été abordés dans Sturkenboom.

[68]  La plaignante a soutenu que les statuts de l’IPFPC établissent une discrimination au motif de la religion. Certains employés d’une unité de négociation n’adhèrent pas à l’IPFPC en raison de leur religion, et la convention collective prévoit qu’ils peuvent acheminer un montant équivalent aux cotisations à un organisme de bienfaisance de leur choix. Par conséquent, ils ne sont pas des membres titulaires en vertu des statuts de l’IPFPC et ne peuvent pas participer à un vote de ratification. Par conséquent, les statuts constituent une discrimination, a-t-elle soutenu.

[69]  Le problème avec cette argumentation est que Mme Bernard n’a fourni aucune information indiquant que sa religion était un facteur dans sa décision de ne pas devenir membre du défendeur. En fait, dans ses arguments, elle s’est distinguée comme quelqu’un qui a choisi de ne pas y adhérer pour d’autres raisons.

[70]  En résumé, elle n’a fourni aucune information prima facie indiquant qu’elle était victime de discrimination.

[71]  De même, elle a soutenu que les statuts de l’IPFPC représentent une violation de l’art. 188, mais n’a fourni aucune information prima facie qui suggère que ses droits personnels étaient touchés par l’art. 188. Cet article de la Loi se lit en partie comme suit :

Pratiques déloyales par les organisations syndicales

188 Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte :

[…]

d) d’expulser un fonctionnaire de l’organisation syndicale, de le suspendre, de prendre contre lui des mesures disciplinaires ou de lui imposer une sanction quelconque parce qu’il a exercé un droit prévu par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1 ou qu’il a refusé d’accomplir un acte contraire à la présente partie ou à la section 1 de la partie 2.1;

e) de faire des distinctions illicites à l’égard d’une personne en matière d’adhésion à une organisation syndicale, d’user de menaces ou de coercition à son égard ou de lui imposer une sanction, pécuniaire ou autre, pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1, ou pourrait le faire,

(ii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie ou de la section 1 de la partie 2.1, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1,

(iii) elle a exercé un droit prévu par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1.

[72]  Les interdictions énoncées à l’art. 188 doivent avoir trait à une personne qui a exercé un droit en vertu de la partie 1 ou 2 de la Loi; autrement dit, il ou elle a déposé une plainte ou un grief.

[73]  La plaignante n’a établi aucun lien explicite quant à la façon dont les actes de l’IPFPC ont violé l’art. 188. Dans ses arguments, elle a renvoyé à des cas dans lesquels l’IPFPC avait expulsé une personne (voir ses citations de Lampron, Johnson 1, Johnson 2, Veillette 1, Veillette 2 et Bremsak). Elle a indiqué que ces expulsions avaient été faites de mauvaise foi et a suggéré qu’étant donné que les membres expulsés n’ont pas le droit de voter, il existe des preuves à l’appui de l’idée que les statuts de l’IPFPC prévoient une représentation différentielle d’un membre au motif de la mauvaise foi.

[74]  Toutefois, la CRTFP a rejeté les plaintes dans Lampron, Johnson 1 et Johnson 2 au motif du non-respect des délais, et l’avis de Mme Bernard selon lequel ces expulsions étaient de mauvaise foi n’est qu’une opinion, et non une conclusion.

[75]  En ce qui concerne les plaintes dans Veillette 1, Veillette 2 et Bremsak, je constate qu’elles ont été déposées relativement aux dispositions de l’art. 188, et qu’elles étaient toutes bien fondées. Cela sape l’argument de la plaignante selon lequel la Commission adopte une approche différente de celle du CCRI. Cependant, l’art. 188 est distinct de l’art. 187. En tout état de cause, l’adhésion des plaignants dans ces cas avait été rétablie.

[76]  Le point faible de son argumentation est rendu fatal par le fait que sa plainte ne fournit aucune preuve prima facie qu’elle-même a été expulsée, suspendue, ou qu’elle a été victime de discrimination, d’intimidation ou de coercition pour avoir présenté une demande ou une plainte en vertu d’une partie quelconque de la Loi.

[77]  En l’absence de toute preuve prima facie concernant l’argument de religion ou l’allégation que l’IPFPC a violé l’art. 188, je ne peux que conclure que Mme Bernard avance des arguments hypothétiques au nom d’autres personnes sans nom. À la suite des conclusions de la Cour d’appel fédérale dans Bernard c. Close, 2017 CAF 52, au par. 9, et dans Bernard c. Canada (Institut professionnel de la fonction publique), 2019 CAF 236, au par. 15, je conclus que la plaignante n’a aucun motif d’avancer cet aspect de sa plainte au nom d’autres personnes.

[78]  En résumé, je conclus qu’il n’y a aucun motif pour tirer une conclusion différente de celle de la CRTFP dans Sturkenboom. Je conclus qu’il n’y a aucun motif non plus d’avoir compétence sur sa plainte au motif de ses arguments concernant la religion ou la mauvaise foi en lien avec l’art. 188. Dans aucun des cas, elle n’a fourni de preuve prima facie qu’elle avait personnellement subi de la discrimination, de la coercition ou un traitement de mauvaise foi de la part du défendeur.

[79]  Par conséquent, la plainte est rejetée.

B. Question 2 : La Commission est-elle tenue, en vertu du Règlement, d’aviser tous les cotisants Rand de l’unité de négociation pertinente de cette plainte?

[80]  Dans ses arguments, Mme Bernard a demandé à la Commission d’ordonner à l’IPFPC de produire (uniquement à la Commission) une liste des noms et adresses des employés de l’ARC de l’unité de négociation VFS qui ne sont pas des membres titulaires de l’IPFPC. Elle a soutenu que cette mesure est nécessaire pour que la Commission puisse s’acquitter de ses obligations en vertu de l’art. 4 du Règlement, qui se lit comme suit :

4 À la réception du document introductif ou, dans le cas où il a été transmis par télécopieur, de son original et d’une copie, la Commission en envoie une copie à l’autre partie et à toute personne pouvant être intéressée.

[81]  Essentiellement, Mme Bernard a soutenu que tout autre cotisant Rand est une personne qui pourrait être touchée par la procédure et que la Commission devrait transmettre à chacun d’entre eux une copie de sa plainte afin qu’ils puissent décider s’ils doivent présenter une demande à la Commission pour le statut d’intervenant.

[82]  En outre, Mme Bernard a contesté le fait de nommer son employeur comme une autre personne susceptible d’être touchée, conformément à l’art. 4 du Règlement. Elle a également soutenu que c’était là une preuve que la Commission avait conclu que sa plainte était plus qu’une affaire interne au syndicat.

[83]  La Commission a désigné l’ARC en tant que personne susceptible d’être touchée lorsqu’elle a reçu la plainte. Le fait de désigner l’employeur en tant que personne susceptible d’être touchée ne signifie pas qu’elle bénéficie du statut d’intervenant. On lui fournit le document introductif et toute correspondance ultérieure. S’il souhaite intervenir, il devra tout de même présenter une demande, qui sera tranchée par la Commission.

[84]  La Commission ne saurait déterminer, dès la réception, si une plainte relative au DRÉ porte sur une affaire interne au syndicat, et elle ne l’a pas fait en l’espèce. Cette décision n’est rendue qu’après avoir entendu les arguments du plaignant et du défendeur.

[85]  Le fait de désigner l’employeur en tant que personne susceptible d’être touchée par les plaintes relatives au DRÉ reflète le fait que parfois, les intérêts de l’employeur peuvent être en jeu (par exemple, dans le contexte d’un grief). Ce fait est conforme au préambule de la Loi, qui vise à favoriser le respect mutuel et des relations harmonieuses entre les employeurs et les agents négociateurs.

[86]  Je ne vois aucune erreur ni aucun préjugé dans le fait de désigner l’employeur de Mme Bernard en tant que personne susceptible d’être touchée, conformément à l’art. 4 du Règlement.

[87]  En ce qui concerne les autres cotisants Rand, ayant conclu que la Commission n’a pas compétence pour statuer sur la plainte de Mme Bernard, la question d’aviser les autres personnes touchées est devenue théorique. Toutefois, j’examinerai également le bien-fondé de la demande.

[88]  Selon la demande de Mme Bernard, la Commission enverrait un avis de sa plainte à l’ensemble de la population de cotisants Rand dans l’unité de négociation VFS. Le cas échéant, il s’agirait bien de plusieurs centaines, voire de plus d’un millier de personnes. Toutes ces personnes auraient ensuite reçu des copies de toute correspondance ultérieure entre les parties et la Commission.

[89]  En outre, si les cotisants Rand dans l’unité de négociation VFS étaient déclarées des personnes potentiellement touchées, la logique suggère que ce statut s’appliquerait également aux autres cotisants Rand dans d’autres unités de négociation de l’IPFPC, voire même ceux dans les unités de négociation d’autres agents négociateurs ayant des règles semblables à celles de l’IPFPC.

[90]  De même, si la Commission adoptait une interprétation aussi vaste de ce que signifie être une personne touchée, tout grief concernant un article particulier d’une convention collective (par exemple, la bonne interprétation d’un article concernant la répartition des heures supplémentaires) pourrait s’étendre à chaque employé visé par cet article (par exemple, tout employé qui travaille des heures supplémentaires).

[91]  Cela ne peut être l’objet de l’art. 4 du Règlement. Donner une interprétation aussi vaste à la notion de parties touchées irait à l’encontre du principe énoncé dans le préambule de la Loi, qui précise « […] que le gouvernement du Canada s’engage à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi […] » (je mets en évidence). Une interprétation plus étroite n’empêche en rien une autre personne de l’unité de négociation de présenter une plainte. Dans la gestion de sa procédure, la Commission demeure attentive à ce que les questions soient réglées de façon efficace et que les ressources soient utilisées judicieusement. À cet égard, je souligne que le Règlement prévoit également à l’art. 13 que la Commission peut ordonner la jonction des procédures afin d’en assurer la résolution expéditive.

[92]  Non seulement le fait de donner effet à l’interprétation proposée par Mme Bernard de l’art. 4 irait à l’encontre de l’objet de la Loi tel qu’énoncé dans le préambule, mais en outre il ne s’agirait pas d’une utilisation judicieuse des ressources judiciaires. La Commission n’est pas tenue d’aviser les autres employés d’une unité de négociation lorsqu’une plainte est déposée contre l’agent négociateur.

 

 

 

 

 

 

V.  Motifs

[93]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI.  Ordonnance

[94]  La plainte est rejetée.

Le 11 février 2020.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

Une formation de la Commission des relations de travail dans le secteur public fédéral

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