Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son égard et l’avait harcelée en raison de ses affiliations religieuses, en violation de la convention collective pertinente – selon les doctrines de sa foi, elle ne célèbre pas Noël ou la Saint-Valentin – sa gestionnaire lui a demandé si elle participerait au dîner de Noël avec ses collègues s’ils le changeaient en un dîner des Fêtes et ne discutaient pas de Noël – elle a dit à la gestionnaire qu’elle se sentirait mal à l’aise puisqu’il s’agirait toujours d’une célébration de Noël – elle a prétendu qu’on avait tout de même fait pression sur elle pour qu’elle participe, ce qui constituait du harcèlement – il s’est avéré que la fonctionnaire s’estimant lésée n’était pas censée travailler le jour du dîner, mais elle était préoccupée par le fait que les participants au dîner soient autorisés à rentrer directement chez eux depuis le restaurant, ce qui constituait essentiellement une heure et 45 minutes de congé payé, un congé dont elle n’a pas bénéficié – la fonctionnaire s’estimant lésée a aussi refusé de participer à une célébration de la Journée d’appréciation des employés en février, dont la nature était liée à la Saint-Valentin – elle s’est absentée de son bureau une heure pendant la durée de la célébration, en combinant ses pauses du dîner, du matin et de l’après midi, et en se rendant à un centre commercial des environs – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas établi une différence de traitement préjudiciable fondée sur la religion – les employés participant à des événements en milieu de travail parrainés par l’employeur, pendant les heures de travail, sont considérés comme effectuant du travail – par conséquent, la fonctionnaire s’estimant lésée devait rendre compte de son temps si elle n’était pas au travail, comme tous les autres, quelle que soit la raison de sa non participation – en ce qui concerne le dîner de Noël, aucun élément de preuve n’a établi que les fonctionnaires avaient bénéficié d’un congé en vertu de la disposition de la convention collective prévoyant un congé « pour d’autres motifs », ni que quiconque avait reçu un congé non comptabilisé – la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas été traitée de façon différente et préjudiciable – en ce qui concerne la célébration de la Journée d’appréciation des employés, la fonctionnaire s’estimant lésée a repris l’heure durant laquelle elle s’est absentée du travail, conformément à la disposition de la convention collective prévoyant les demandes de mesures d’adaptation pour des fêtes religieuses, dont les parties ont convenu – par conséquent, la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas droit au congé « pour d’autres motifs », qui doit s’appliquer dans des circonstances telles que des tempêtes de neige ou des tremblements de terre – enfin, la Commission a conclu que les tentatives d’inclure la fonctionnaire s’estimant lésée dans le cadre du dîner de Noël et la situation concernant la célébration de la Journée d’appréciation des employés ne constituaient pas du harcèlement.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20200107

Dossier: 566-02-11529

Référence: 2020 CRTESPF 2

 

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les

relations de travail dans le

secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Amanda Bitar

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Statistique Canada)

 

employeur

Répertorié

Bitar c. Conseil du Trésor (Statistique Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant :  Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Douglas Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur :  Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse),

les 26 et 27 novembre 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION  (TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.   Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1]  Amanda Bitar, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a allégué que l’employeur, Statistique Canada, avait fait preuve de discrimination à son égard et l’avait harcelée en raison de ses affiliations religieuses, en violation de l’article 19 de la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») pour le groupe Services des programmes et de l’administration (tous les employés), qui est venue à échéance le 20 juin 2014 (la « convention collective »). Elle a déposé une formule 24, « Avis à la Commission canadienne des droits de la personne » (CCDP), qui en réponse a déposé une formule 25 avisant la Commission de son intention de ne pas assister ou participer à l’audience. En plus d’être indemnisée intégralement en vertu des modalités de la convention collective, la fonctionnaire a demandé une indemnité pour préjudice moral et une indemnité spéciale en vertu des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP).

II.  Résumé de la preuve

[2]  La fonctionnaire est un fervent témoin de Jéhovah. Selon les doctrines de sa foi, elle ne célèbre pas Noël ou la Saint-Valentin. Elle a expliqué que les deux fêtes sont issues de célébrations païennes que le christianisme a adoptées. Par le passé, les célébrations de ses collègues sur le lieu de travail ne lui posaient pas de problèmes pendant qu’elle travaillait comme assistante du chef de district, George Singer, car il lui permettait d’être absente lors de ces célébrations. Cependant, le départ à la retraite de son chef en juin 2014 a changé sa situation.

[3]  En décembre 2014, lors d’une réunion du personnel, la remplaçante de M. Singer, Eileen Wilson, a demandé à la fonctionnaire si elle participerait au dîner de Noël avec ses collègues s’ils le changeaient en un dîner des Fêtes et acceptaient de ne pas discuter de Noël pendant qu’elle y était. Cela l’a mise très mal à l’aise, selon son témoignage. Même s’ils renommaient le dîner et qu’il n’y avait pas de discussions au sujet de Noël, il devait toujours avoir lieu pendant la période de Noël, et à son avis, c’était toujours pour célébrer Noël. Elle estimait que les tentatives de Mme Wilson de la faire participer à la fonction en milieu de travail constituaient du harcèlement.

[4]  La fonctionnaire a déclaré lors de son témoignage qu’elle avait ressenti que Mme Wilson faisait pression sur elle pour qu’elle participe devant ses collègues. Selon elle, si elle était allée dîner comme le proposait Mme Wilson, toute la situation aurait été très gênante et cela aurait empêché les autres de célébrer quelque chose en quoi ils croient, ce qu’elle ne voulait pas. Elle a informé Mme Wilson qu’elle ne participerait pas. Mme Wilson a répondu que, si elle ne se présentait pas, elle devait rester à son poste de travail et travailler pendant que les autres y participaient, ou sinon, elle devrait utiliser ses crédits de congé pour prendre du temps libre.

[5]  Il s’est avéré que la fonctionnaire n’était pas censée travailler le jour où le dîner a eu lieu, il n’était donc pas nécessaire qu’elle reste à son poste de travail pendant le repas. Cependant, ce jour-là, elle n’était pas d’accord avec le fait que les participants au dîner soient autorisés à rentrer directement chez eux depuis le restaurant, ce qui signifie qu’ils ont essentiellement bénéficié d’une heure et 45 minutes de congé payé qu’ils n’ont pas eu à déduire de leurs soldes de congé. Elle considérait cela comme de la discrimination, car, n’eût été le fait d’être témoin de Jéhovah, elle aurait bénéficié du même avantage. Elle a indiqué dans son témoignage qu’elle y avait droit indépendamment du fait qu’elle ne travaillait pas le jour du dîner.

[6]  Un autre incident de discrimination à l’égard de la fonctionnaire et lié à Mme Wilson est survenu dans le cadre des célébrations de la « Journée d’appréciation des employés » (JAE) de l’employeur en février 2015. En 2006, la fonctionnaire avait participé à des événements de la JAE au sein du comité de planification, à la demande de M. Singer. À cette époque, elle en faisait partie depuis cinq mois lorsqu’elle a lu un bulletin expliquant pourquoi l’employeur avait choisi la Saint-Valentin comme date pour les célébrations de la JAE. Lorsqu’elle a appris que les célébrations de la JAE
étaient liées à la Saint-Valentin, elle a dit à M. Singer qu’elle devait démissionner du comité en raison de ses convictions religieuses. Pendant les huit années suivantes, elle a tenu à ne pas travailler le jour où les célébrations de la JAE étaient planifiées.

[7]  Les événements de la JAE étaient prévus pour le vendredi 13 février 2015, jour où la fonctionnaire n’aurait normalement pas été au travail. Cependant, en raison d’une tempête qui devrait frapper la région de Halifax, en Nouvelle-Écosse, ce jour-là, l’employeur a décidé de tenir les événements le jeudi 12 février, jour où elle devait travailler. Elle n’a été au courant de ce changement soudain qu’à son arrivée au travail le 12 février; elle ne pouvait donc pas avoir prévu de prendre congé ce jour-là, pour éviter les célébrations. De plus, vers midi ce jour-là, on lui a dit que son bureau devait être utilisé pour l’une des activités de la JAE entre 13 h 30 et 14 h 30.

[8]  Étant donné qu’il était impossible pour la fonctionnaire de rester à son bureau et de travailler discrètement, compte tenu des circonstances, elle a demandé à Mme Wilson si elle pouvait se rendre au centre commercial Scotia Square entre 13 h 30 et 14 h 30, selon son témoignage. Elle a expliqué à Mme Wilson le lien entre la JAE et la Saint-Valentin et comment, en tant que témoin de Jéhovah, il était contraire à sa religion de célébrer la Saint-Valentin. Selon elle, Mme Wilson ne comprenait pas pourquoi elle voulait partir durant cette heure; Mme Wilson ne comprenait pas non plus le lien entre la JAE et la Saint-Valentin, même si la fonctionnaire avait clairement établi que la JAE avait toujours lieu vers le 14 février de chaque année et que des cœurs en chocolat étaient toujours distribués. Malgré cela, selon la fonctionnaire, Mme Wilson a commencé à être agacée et n’a pas voulu discuter de la question.

[9]  La rencontre avec Mme Wilson a eu lieu vers midi le 12 février, après son discours au personnel dans le cadre de la JAE. La fonctionnaire a indiqué qu’elle était ensuite retournée à son bureau et avait travaillé jusqu’à 13 h 30, heure à laquelle elle a quitté les lieux et combiné ses deux pauses de 15 minutes et son dîner de 30 minutes pour compenser l’heure durant laquelle elle devait s’absenter de son bureau pour éviter les activités de la JAE. Elle est retournée à son bureau une fois l’activité terminée.

[10]  En contre-interrogatoire, la fonctionnaire a admis qu’elle n’avait pas demandé à Mme Wilson la permission de combiner ses pauses pour qu’elle puisse s’éloigner de son bureau pendant qu’il était utilisé; elle n’a pas non plus demandé à être autorisée à travailler ailleurs. Elle a demandé le même congé auquel les autres avaient droit pour participer aux événements, qui se déroulaient entre 12 h et 16 h. Lorsque ce congé lui a été refusé, elle a ensuite combiné sa pause-dîner avec ses pauses du matin et de l’après-midi pour compenser l’heure durant laquelle elle était sortie du bureau.

[11]  À la suite de cet incident, la fonctionnaire a envoyé un courriel le 26 mars 2015, accompagné d’un bulletin d’information, qui, selon elle, établissait clairement le lien entre la Saint-Valentin et les célébrations de la JAE (pièce 2, onglet 2). Mme Wilson a répondu d’une manière qui, selon la fonctionnaire, manquait de respect envers elle et elle a eu le sentiment d’être victime de discrimination. Selon son témoignage, elle a simplement tenté d’expliquer la vérité à Mme Wilson, qui n’était pas disposée à écouter. Malgré la réticence de Mme Wilson à accepter la vérité, les nombreux bulletins d’information de l’employeur ont clairement prouvé le lien entre la JAE et la Saint-Valentin, en raison des dates des célébrations de la JAE au fil des ans, et des photos des décorations de la Saint-Valentin et des références aux cœurs en chocolat distribués  
(pièce 2, onglets 3 à 18 inclusivement).

[12]  Dans son courriel (pièce 2, onglet 2), la fonctionnaire a également profité de l’occasion pour préciser que Mme Wilson avait fait erreur quant à ce que la fonctionnaire avait demandé le 12 février. Même si Mme Wilson avait apparemment compris que la fonctionnaire avait l’intention de partir toute la journée lorsqu’elle a parlé à Mme Wilson le 12 février, son intention était de s’éloigner du bureau uniquement durant l’heure au cours de laquelle son bureau était utilisé pour
les activités de la JAE.

[13]  La fois suivante où la fonctionnaire a entendu parler de ses demandes de ne pas être incluses dans les célébrations de Noël et de la JAE au bureau a été lors de son évaluation annuelle du rendement, lorsque sa superviseure, Linda Ritchie, lui a dit que Mme Wilson voulait qu’elle sache que sa demande de rentrer à la maison le jour des célébrations de la JAE était inappropriée. De plus, selon la fonctionnaire, Mme Ritchie devait inscrire cela dans le document d’évaluation du rendement de la fonctionnaire, ce que Mme Ritchie a refusé de faire, malgré les consignes de Mme Wilson. Quoi qu’il en soit, Mme Ritchie a dit à la fonctionnaire que ses demandes d’être exclues des situations en milieu de travail pour des raisons religieuses étaient une préoccupation pour Mme Wilson. La fonctionnaire a considéré que cela constituait une violation de sa convention collective et des droits de la personne, alors le 12 avril 2015, elle a déposé son grief.

[14]  Selon la fonctionnaire, à la rencontre d’évaluation du rendement, Mme Ritchie lui a dit qu’à l’avenir, lorsque des événements en milieu de travail ont lieu les jours où elle doit travailler et qu’elle ne souhaite pas y participer, elle devrait soit prendre des congés accumulés soit rester à son bureau et travailler. Elle n’avait pas le droit de simplement quitter le lieu de travail. La fonctionnaire a déclaré lors de son témoignage avoir indiqué à Mme Ritchie qu’elle n’avait aucun problème à rester à son bureau et à travailler. Toutefois, le jour de la Saint-Valentin, cela avait été impossible, car son poste de travail était utilisé dans le cadre de l’événement, et on lui avait dit de vider son bureau pour les activités qui devaient commencer à 13 h 30, ce jour-là.

[15]  La fonctionnaire a demandé à Mme Ritchie de demander à Mme Wilson de consulter le bulletin d’information qu’elle avait envoyé par courriel et qui établissait le lien entre la JAE et la Saint-Valentin, mais elle a refusé de le faire. La fonctionnaire a déclaré lors de son témoignage avoir été traitée comme une employée difficile qui a utilisé sa religion pour essayer de ne pas travailler. L’évaluation du rendement s’est achevée après cette discussion, et elle a été très contrariée par ce qu’elle a perçu comme une mauvaise évaluation. En contre-interrogatoire, on lui a demandé de se reporter au document d’évaluation du rendement (pièce 3, onglet 6), dans lequel il était indiqué qu’elle avait réussi à satisfaire à toutes les attentes pour l’année en question. Elle a indiqué dans son témoignage que, d’après la conversation avec Mme Ritchie au sujet de sa participation à des événements en milieu de travail, elle n’avait pas satisfait aux attentes de l’employeur, même si cela n’était pas mentionné dans le document d’évaluation du rendement.

[16]  Après l’évaluation du rendement et les mauvais traitements que lui aurait fait subir Mme Wilson, la fonctionnaire, qui avait des antécédents d’anxiété et de dépression, a commencé à ressentir de l’angoisse lorsqu’elle devait aller au travail. Elle est devenue irritable et anxieuse par rapport à son travail. Elle ne pouvait pas comprendre pourquoi Mme Wilson ne l’appréciait pas. Cela, combiné au stress du processus de règlement des griefs, a finalement entraîné une rechute de son anxiété et de sa dépression. Son médecin l’a mise en congé de maladie du 31 mars 2015 au 1er juin 2015.

[17]  La fonctionnaire n’a pu retourner au travail que grâce à une mesure d’adaptation en milieu de travail qui l’a retirée de la structure hiérarchique de Mme Wilson. Elle est revenue en septembre 2015 et a été affectée au Centre régional du recensement de Halifax, où elle est restée jusqu’à ce que Mme Wilson prenne sa retraite en juin 2016. Elle est retournée au bureau régional de Halifax, son lieu de travail habituel, en septembre 2016, et y est restée jusqu’en juin 2018, lorsqu’elle a de nouveau quitté le travail en raison d’une maladie liée au stress due à d’importants problèmes familiaux (pièce 5).

[18]  La Dre Elena Swift est le médecin de famille de la fonctionnaire depuis plus de 10 ans, y compris durant la période pertinente au présent grief. Elle avait déterminé en mars 2015 que la fonctionnaire devait prendre un congé de maladie en raison de sa santé psychologique et avait recommandé que la fonctionnaire ne retourne pas au travail si elle relevait de Mme Wilson.

[19]  La Dre Swift a fondé cette conclusion sur le fait que la fonctionnaire avait déclaré se sentir harcelée par Mme Wilson et sur le fait que, selon l’évaluation de la Dre Swift, ce sentiment affectait la santé mentale de la fonctionnaire. Elle souffrait d’une concentration et d’une attention diminuées et d’une anxiété accrue. Elle a indiqué qu’elle ne pensait pas que l’environnement de travail était sécuritaire pour elle. Selon le témoignage de la Dre Swift, et compte tenu des antécédents d’anxiété et de troubles obsessionnels compulsifs de la fonctionnaire, qui avaient été exacerbés pendant plusieurs mois avant que la fonctionnaire ne la consulte en mars 2015, elle a conclu que l’interaction de la fonctionnaire avec Mme Wilson causait à la fonctionnaire des symptômes d’anxiété graves et qu’il valait mieux qu’elle n’ait aucun contact avec Mme Wilson.

[20]  Selon la Dre Swift, la fonctionnaire se plaignait du stress au travail depuis quelques années avant cet incident. Mais à ce moment-là, elle était très anxieuse, excessivement inquiète et ne pouvait pas se concentrer, et la Dre Swift l’a décrite comme n’étant [traduction] « tout simplement pas elle-même ». Le diagnostic de la Dre Swift était qu’en mars 2015, la fonctionnaire souffrait de symptômes d’anxiété et de dépression importants en raison de la mauvaise évaluation du rendement qu’elle jugeait injustifiée et parce qu’elle se sentait harcelée par Mme Wilson. La Dre Swift savait que la fonctionnaire ressentait que sa rechute se renforçait depuis un certain temps et qu’elle avait mentionné quelque chose au sujet d’un incident qui s’était produit vers Noël.

[21]  La Dre Swift a indiqué que son rôle de médecin était de protéger la fonctionnaire et de la garder en sécurité; et tenir la fonctionnaire loin de quelqu’un avec qui elle ne se sentait pas en sécurité faisait partie du champ de pratique de la Dre Swift. La Dre Swift a admis que lors du traitement d’un patient atteint d’une maladie mentale, toute visite est très unilatérale; le médecin n’obtient pas de rapport objectif sur le fonctionnement en milieu de travail. Quoi qu’il en soit, le rôle du médecin est de défendre le patient. Selon la Dre Swift, la validation des informations reçues d’un patient est incompatible avec ce rôle.

[22]  La Dre Swift essaie toujours de déterminer si ses patients contribuent à la toxicité au travail, car cela peut avoir une incidence sur l’exactitude de son diagnostic. Elle a déclaré lors de son témoignage qu’elle possède une certaine expertise de type formation continue en ressources humaines, discrimination et harcèlement, mais qu’elle n’est pas experte. Elle ne suppose pas toujours que l’information fournie par ses patients est exacte. Dans le cas de la fonctionnaire, elle n’a pas accepté la version des événements en milieu de travail de la fonctionnaire comme étant exacte dès le départ, mais la fonctionnaire a apporté des courriels que Mme Wilson lui avait envoyés comme preuve qu’elle était harcelée. Les courriels n’ont pas été conservés dans le dossier médical. Lorsqu’on lui a montré le courriel dans lequel les attentes de l’employeur étaient exprimées (pièce 2, onglet 2), elle a pris note du commentaire concernant un malentendu et a convenu qu’il ne s’agissait pas de harcèlement. Lorsqu’on lui a montré le document d’évaluation du rendement, elle a reconnu qu’il était positif. La fonctionnaire ne lui avait jamais montré ces documents.

[23]  La Dre Swift ne savait pas que la fonctionnaire ne relevait pas directement de Mme Wilson ou que deux niveaux de supervision les séparaient. La Dre Swift ne se souvenait pas si elle avait demandé à la fonctionnaire à quelle fréquence elle interagissait avec Mme Wilson. Malgré cela, et compte tenu du fait que la fonctionnaire souhaitait retourner au travail, la Dre Swift a rédigé la note médicale précisant le besoin d’une mesure d’adaptation.

[24]  Mme Wilson a pris la relève à titre de chef de district de l’employeur, collecte de données, Canada atlantique, à l’automne 2014, lorsque M. Singer a pris sa retraite. Elle était responsable de trois secteurs de travail, l’un étant la section de bureau où travaillait la fonctionnaire. Chaque section avait un directeur et un superviseur responsables de ses employés, lesquels relevaient de Mme Wilson. Lorsqu’elle a succédé à M. Singer, on ne lui a fourni aucune information sur une mesure d’adaptation pour des raisons religieuses en place pour la fonctionnaire.

[25]  À la fin de 2014, la fonctionnaire a appelé Mme Wilson et s’est plainte que Mme Ritchie lui avait manqué de respect au téléphone. Mme Wilson avait entendu d’autres plaintes concernant cette section de bureau, en ce sens que les gens manquaient de respect et qu’il y avait des problèmes. En conséquence, pendant un certain temps à la fin de 2014 et au début de 2015, elle a joué un rôle beaucoup plus actif dans sa gestion.

[26]  Mme Wilson a tenu des réunions du personnel toutes les deux semaines pour aborder la question des comportements que la fonctionnaire avait mentionnés lors de son appel. À l’une de ces réunions, le groupe a discuté des dates du dîner de Noël. Mme Wilson a indiqué dans son témoignage qu’elle avait soulevé la question de l’appeler sous un autre nom parce que sinon, le groupe excluait la fonctionnaire. Son intention était d’être inclusive. Elle a déclaré qu’elle avait suggéré qu’ils appellent cela un dîner des Fêtes et qu’ils acceptent de ne pas discuter de Noël. Le groupe a accepté et a encouragé la fonctionnaire à y participer. Elle a accepté d’y songer, mais a refusé le lendemain.

[27]  Le dîner a eu lieu un jour où la fonctionnaire n’était pas censée travailler. Selon Mme Wilson, la fonctionnaire ou qui que ce soit d’autre ne lui a jamais dit quelle était la pratique lorsque M. Singer occupait le poste. À sa connaissance, les pratiques pangouvernementales normales s’appliquaient.

[28]  La JAE était prévue pour le 13 février 2015, un jour où la fonctionnaire n’était pas censée travailler. En raison de la forte tempête hivernale prévue, la date des célébrations a été changée au 12 février, qui était une journée de travail normalement prévue de la fonctionnaire (elle travaillait deux jours par semaine).

[29]  La première fois que Mme Wilson a appris que la fonctionnaire ne célébrait pas la Saint-Valentin était le 12 février, lorsque la fonctionnaire s’est présentée à sa porte pour lui parler. La fonctionnaire lui a dit qu’elle partait pour la journée. Normalement, la fonctionnaire aurait parlé à Mme Ritchie, mais comme elle était absente ce jour-là, elle a parlé à Mme Wilson. Au départ, Mme Wilson pensait que la fonctionnaire était malade, mais la fonctionnaire a répondu que la JAE était une célébration de la Saint‑Valentin, que sa religion ne célébrait pas, alors elle partait pour la journée. Mme Wilson a déclaré lors de son témoignage qu’elle avait répondu en affirmant le contraire, lui indiquant que la JAE était pour tout le monde, ce que la fonctionnaire a refusé d’accepter.

[30]  La fonctionnaire a affirmé catégoriquement qu’il s’agissait d’une célébration de la Saint-Valentin qu’elle ne célébrait pas en tant que témoin de Jéhovah. Elle a insisté sur le fait que l’administration centrale de l’employeur à Ottawa, en Ontario, avait fait le lien entre la JAE et la Saint-Valentin. Mme Wilson a répondu que ce lien n’avait pas été fait à Halifax, même si cela était le cas à Ottawa. À titre de preuve, elle a rappelé à la fonctionnaire le discours qu’elle venait de prononcer et que la fonctionnaire venait d’entendre. Il ne faisait pas référence à la Saint-Valentin. S’il y avait un lien, Mme Wilson a assuré à la fonctionnaire qu’elle aurait souhaité à tous une bonne Saint‑Valentin, ce qu’elle n’avait pas fait.

[31]  Mme Wilson a indiqué qu’elle avait signalé à la fonctionnaire qu’il n’y avait aucune décoration ni aucun bonbon de quelque sorte que ce soit qui indiquerait à quiconque que son lieu de travail célébrait la Saint-Valentin. La fonctionnaire a dit à Mme Wilson qu’elle avait déjà fait partie du comité de collecte de fonds de la JAE et qu’elle avait démissionné en raison de son lien avec la Saint-Valentin, de sorte que Mme Wilson avait tort. Il était clair pour Mme Wilson que la discussion ne donnerait lieu à aucun dénouement. Selon les souvenirs de Mme Wilson, l’interaction a duré moins de cinq minutes. Comme elle avait l’habitude de le faire lorsqu’elle pensait que les choses pourraient dégénérer, elle a écrit une note au dossier concernant l’incident (pièce 3, onglet 7).

[32]  Mme Wilson a répondu à la demande de la fonctionnaire de rentrer chez elle ce jour-là uniquement parce que Mme Ritchie n’était pas au bureau. Si cela avait été le cas, la fonctionnaire aurait présenté sa demande à Mme Ritchie. En son absence, Mme Wilson était au palier de supervision hiérarchique suivant. Lorsque Mme Ritchie est revenue, Mme Wilson lui a demandé de rencontrer la fonctionnaire et d’obtenir une liste des jours où elle se sentait mal à l’aise d’être au travail pour des raisons religieuses. Mme Wilson savait que Noël était l’un de ces jours, mais voulait être pleinement informée des jours où la fonctionnaire demanderait une mesure d’adaptation pour des raisons religieuses. Mme Ritchie devait parler à la fonctionnaire et l’informer des attentes de l’employeur les jours où elle ne voulait pas participer à des événements en milieu de travail; elle devait soit prendre un congé soit se présenter au travail et y rester. La fonctionnaire n’avait pas le droit de simplement rentrer chez elle; elle était tenue de respecter les mêmes règles que celles établies pour tous les fonctionnaires.

[33]  Environ une semaine après la JAE, Mme Wilson a demandé à Mme Ritchie si elle avait parlé à la fonctionnaire. Elle a répondu qu’elle ne l’avait pas fait. Elle a indiqué qu’elle avait l’intention de le faire lorsqu’elles se rencontreraient pour réaliser l’évaluation annuelle du rendement de la fonctionnaire. Selon le témoignage de Mme Wilson, elle a donné des instructions explicites à Mme Ritchie lui indiquant qu’elle pouvait faire cela, mais que Mme Ritchie devait préciser que cela ne faisait pas partie de l’évaluation du rendement et que cela ne devait pas être inclus dans le document de l’évaluation.

[34]  Mme Wilson ne savait pas que la fonctionnaire avait déposé des plaintes à son sujet. Elle ne savait pas que la fonctionnaire était en colère contre elle ou mécontente de la façon dont elle avait traité la demande de la fonctionnaire de s’absenter pour des raisons religieuses. La fonctionnaire ne lui a jamais parlé, selon le témoignage. Si elle avait su qu’elle causait de la douleur à la fonctionnaire, elle aurait travaillé avec diligence pour résoudre la situation.

[35]  Mme Wilson a indiqué que les employés qui ont assisté au dîner de Noël en décembre 2014 ont eu droit à 1 heure et 45 minutes de congé qu’ils n’ont pas dû déduire de leur banque de congés. La raison en était qu’il n’était pas possible pour eux d’aller au restaurant, d’être servis et de manger pendant leur temps de pause-repas limité. Noël est l’exception à la règle, selon Mme Wilson, en ce sens que les employés qui participent à un événement n’ont pas à prendre de congé, mais sont rémunérés pour leur temps. Lorsqu’on lui a demandé si les employés devaient prendre un congé payé pour d’autres raisons en vertu de la clause 52.01 de la convention collective, Mme Wilson a répondu qu’elle ne savait pas. En tout état de cause, elle ne pouvait pas approuver un tel congé; elle ne pouvait que recommander son approbation, ce qu’elle aurait fait, si les employés l’avaient demandé, mais cela n’a pas été le cas.

[36]  Cette exception à la règle ne s’applique pas aux employés qui ne participent pas à un dîner de Noël, selon Mme Wilson. Ils doivent soit être au travail toute la journée, soit prendre un congé pour toute partie de la journée durant laquelle ils ne sont pas au travail. Il en a été ainsi durant ses 35 années d’emploi dans la fonction publique.

[37]  Mme Wilson a déclaré lors de son témoignage qu’elle a été prise de court par l’insistance de la fonctionnaire quant au fait que la JAE était une célébration de la Saint-Valentin. Mme Wilson n’avait jamais entendu personne établir ce lien lors des téléconférences de la direction organisées pour discuter de la planification de la JAE. Il n’y avait aucune décoration sur le lieu de travail indiquant que la JAE était une célébration de la Saint-Valentin. Malgré les bulletins d’information que la fonctionnaire lui avait envoyés, Mme Wilson était convaincue que le thème de la JAE à Halifax n’était pas la Saint-Valentin. La haute direction de Statistique Canada avait choisi une date importante pour honorer ses employés, mais cela n’en faisait pas une célébration de la Saint-Valentin. Les régions de l’employeur choisissent la date de la JAE.

[38]  Étant donné que la fonctionnaire n’a pas participé aux événements de la JAE du 12 février 2015, elle n’avait droit qu’à son dîner habituel et à deux pauses. Si elle avait voulu plus de temps libre, elle aurait dû prendre congé. Elle n’avait pas le droit de prendre quatre heures de congé, soit la durée des événements de la JAE, sans présenter de demande de congé. Si elle avait dit à Mme Wilson que son espace de travail était utilisé pour les activités de la JAE, Mme Wilson lui aurait trouvé un autre espace de travail loin des célébrations de la JAE, où elle aurait pu travailler sans être dérangée et où d’autres employés ne participant pas aux activités travaillaient. La fonctionnaire ne l’a pas fait, selon Mme Wilson. Elle a dit à Mme Wilson qu’elle voulait rentrer chez elle en raison du lien entre la JAE et la Saint-Valentin.

[39]  Mme Wilson a nié avoir demandé à Mme Ritchie de parler de la présence de la fonctionnaire à des événements en milieu de travail dans le cadre de son évaluation annuelle du rendement. En revanche, à la suite de l’incident au sujet de la JAE, elle a demandé à Mme Ritchie de demander à la fonctionnaire une liste de jours fériés en conflit avec la religion de la fonctionnaire ou d’autres dates auxquelles elle demanderait une mesure d’adaptation pour des raisons religieuses. Mme Wilson a également demandé à Mme Ritchie d’aviser la fonctionnaire que si un événement en conflit avec ses croyances religieuses devait se produire un jour où elle devait travailler, à l’avenir, elle serait tenue de reporter sa journée, de faire une demande de congé pour la journée ou de rester au travail pendant que d’autres participent à des activités.

[40]  Le problème était que Mme Ritchie n’a pas fait ce que Mme Wilson a demandé  
lorsqu’elle l’a demandé. L’occasion suivante de le faire a été lors de l’évaluation du rendement de la fonctionnaire. Mme Wilson a indiqué qu’elle était d’accord que cela soit fait à ce moment-là à condition que la discussion ne soit pas consignée dans le cadre de l’évaluation. Une telle évaluation porte sur l’exécution des tâches et non sur la nécessité d’être accommodé.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[41]  La fonctionnaire, dans son grief, a allégué que l’article 19 (intitulé « élimination de la discrimination ») de la convention collective et tous les articles connexes avaient été violés. L’employeur a déclaré que l’article 31 (intitulé « Obligations religieuses ») s’appliquait. Elle a invoqué également l’article 52 (intitulé « Congés payés ou non payés pour d’autres motifs »), qui s’appliquait lorsque des circonstances qui ne lui étaient pas directement imputables, comme la JAE, l’empêchaient de travailler. Le refus déraisonnable de l’employeur d’accorder un congé en vertu de la clause 52.01 était une discrimination fondée sur la religion.

[42]  La réponse de l’employeur au courriel de la fonctionnaire (pièce 2, onglet 2) concernant sa présence au travail alors qu’elle s’absentait de certaines célébrations en milieu de travail pour des raisons religieuses lui offrait les deux options suivantes : elle pouvait prendre un congé ou rester au travail pendant que d’autres autour d’elle participaient à la célébration. Répondant au nom de l’employeur, Mme Wilson a complètement ignoré la troisième option, la possibilité d’un congé en vertu de l’article 52. Cela était arbitraire et déraisonnable.

[43]  Le courriel est arrivé dans la foulée des célébrations de la JAE en février 2015, lorsque la date de la célébration a été modifiée sans préavis en raison du mauvais temps imminent. La fonctionnaire n’aurait pas pu demander son congé à l’avance, car elle ne savait pas jusqu’à son arrivée au travail que les célébrations étaient prévues le jour où elle devait travailler. Elle n’aurait pas pu éviter la JAE, et appliquer l’article 52 aurait été approprié.

[44]  Mme Wilson a dit aux employés participant aux célébrations de la JAE que c’était une occasion de s’éloigner de leurs fonctions habituelles. Les événements de cette journée ont duré 4 heures, ce qui incluait la pause-dîner de 30 minutes et la pause de l’après-midi de 15 minutes auxquelles chaque employé avait droit. Cela signifiait que ceux qui y participaient ne travaillaient pas pendant 3,25 heures, tandis que la fonctionnaire était censée travailler parce que sa religion lui interdisait de participer.

[45]  De même, à la suite de la célébration de Noël en décembre 2014, les employés participants ont bénéficié de 1,75 heure de temps libre qu’ils n’ont pas dû déclarer. La fonctionnaire, qui n’a pas participé à l’événement en raison de ses convictions religieuses, aurait dû avoir droit à une considération similaire. Étant donné que seuls les employés qui ont assisté à l’événement se sont vu accorder du temps libre, cela était discriminatoire.

[46]  Par la suite, la pratique établie par Mme Wilson, qui consistait soit à prendre des congés accumulés soit à rester au travail, a causé beaucoup de stress à la fonctionnaire. Le rejet par Mme Wilson de sa conviction que la JAE était une célébration de la Saint-Valentin était un comportement inacceptable. Mme Wilson aurait pu accepter son point de vue, mais a choisi d’imposer le sien à une personne dont elle savait qu’elle se sentait mal à l’aise, violant ainsi ses croyances religieuses, sur la base d’événements antérieurs.

[47]  Permettre à Mme Ritchie de discuter de la présence de la fonctionnaire à des événements en milieu de travail et lui demander d’expliquer à la fonctionnaire les attentes de l’employeur lorsqu’elle choisissait de ne pas assister à de tels événements était un autre exemple de la mauvaise foi avec laquelle Mme Wilson a traité la fonctionnaire. C’était un acte de harcèlement et de discrimination déguisé. Mme Wilson a utilisé Mme Ritchie pour commettre ses actes de harcèlement et de discrimination. Le fait de donner à Mme Ritchie la consigne de ne pas mettre la discussion par écrit n’a pas changé le fait que la question a été soulevée lors de l’évaluation du rendement et que cela était clairement perçu négativement, par rapport au rendement global de la fonctionnaire. Le fait que la fonctionnaire n’a pas demandé de congé avant de quitter le bureau pour éviter les célébrations de la JAE a été soulevé lors de l’évaluation du rendement de la fonctionnaire comme un sujet de préoccupation.

[48]  Pris ensemble, le refus d’accorder un congé à Noël qui aurait été conforme à ce que ses collègues ont reçu, le refus de reconnaître que la JAE et la Saint-Valentin étaient liés, et les événements qui ont suivi et les discussions liées à la participation à des événements en milieu de travail pendant l’évaluation du rendement de la fonctionnaire l’ont fortement touchée. Tout cela a aggravé son état préexistant au point qu’elle ne pouvait plus faire face à l’idée d’aller au travail. Elle a souffert d’une augmentation des symptômes d’anxiété et de dépression, au point que la Dre Swift l’a mise en congé de maladie de mars à septembre 2015. Finalement, elle est retournée au travail, mais seulement dans un poste adapté et à condition qu’elle n’ait plus de contact avec Mme Wilson.

[49]  Selon la Dre Swift, l’état préexistant de la fonctionnaire a été exacerbé par le traitement qu’elle a reçu en milieu de travail. Selon la prépondérance des probabilités, les événements de mars 2015 constituaient une discrimination fondée sur la politique de l’employeur concernant le congé à prendre par les employés. Cette politique, comme l’a expliqué Mme Wilson, était discriminatoire. L’incident de la JAE était discriminatoire parce que la fonctionnaire s’est vu refuser un congé payé en vertu de l’article 52.

[50]  Mme Wilson s’est comportée de façon imprudente lorsqu’elle a ignoré les avantages de la convention collective dont disposait la fonctionnaire. Elle a agi de façon insouciante et inconsidérée en ne prenant pas le temps d’examiner le bulletin que la fonctionnaire lui avait envoyé et d’examiner correctement l’argument de la fonctionnaire selon lequel la JAE était une célébration de la Saint-Valentin. En contre-interrogatoire, elle a reconnu le lien établi dans tous les bulletins, mais refusait toujours l’existence d’un tel lien à Halifax. Si elle n’en avait pas connaissance, elle aurait dû en avoir connaissance.

[51]  Enfin, organiser la rencontre d’évaluation du rendement pour soulever ses préoccupations concernant l’utilisation par la fonctionnaire des congés liés à ses convictions religieuses constituait du harcèlement. Mme Wilson savait qu’il ne fallait pas mettre cela par écrit et a pu le cacher, mais cela ne l’excuse pas et n’annule pas les répercussions de ses actes.

[52]  Le témoignage de Mme Wilson était convaincant lorsqu’elle a déclaré qu’elle ne savait pas que les témoins de Jéhovah ne célèbrent pas la Saint-Valentin et qu’elle n’a appris cela que lorsque la fonctionnaire a demandé à partir plutôt que de participer à la JAE. En revanche, son affirmation selon laquelle il n’y avait aucun lien entre la JAE et la Saint-Valentin n’était pas crédible. Quoi qu’il en soit, l’intention d’établir une distinction n’est pas pertinente (voir LaBranche c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2010 CRTFP 65).

[53]  Pour établir l’existence de discrimination, la fonctionnaire devait d’abord établir qu’elle possède une caractéristique protégée par la LCDP. En l’espèce, elle l’a fait; il s’agissait de la religion. La deuxième exigence est un lien entre l’action de l’employeur et le motif de distinction illicite. Mme Wilson a refusé à la fonctionnaire le droit de respecter ses convictions religieuses à propos de la Saint-Valentin et a refusé de la dédommager au taux de congé équivalent à celui de ses collègues en raison de ses convictions à l’égard de Noël. L’effet préjudiciable a été le congé de maladie que la fonctionnaire a pris à la suite de ses relations avec Mme Wilson.

[54]  Étant donné que la violation de la LCDP a été établie selon la prépondérance des probabilités, la fonctionnaire a droit à des dommages au titre des catégories de la LCDP. À moins que l’employeur n’ait fait preuve de diligence raisonnable pour empêcher les actes de son employé, ces actes sont réputés être les actes de l’employeur en vertu de l’art. 65 de la LCDP. L’employeur devait établir selon la prépondérance des probabilités qu’il n’avait pas consenti aux actes et qu’il avait agi avec la diligence requise, ainsi que les mesures qu’il a prises pour atténuer les actes de ses employés (voir Doro c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 6).

[55]  En l’espèce, la fonctionnaire a demandé à être retirée des célébrations de la JAE; elle a demandé à être autorisée à partir pendant que son bureau était utilisé pour les festivités. Elle n’avait pas le choix; les activités de la JAE lui ont été imposées. Sa demande aurait dû être accordée comme congé payé, ce qui n’aurait pas été déraisonnable puisque tous ceux qui ont participé aux activités se sont vu accorder le droit de s’absenter de leurs fonctions.

[56]  Mme Wilson n’a fait preuve d’aucune diligence raisonnable en examinant la demande de la fonctionnaire à être autorisée à partir pendant les activités de la JAE. Elle aurait pu facilement vérifier le lien entre la JAE et la Saint-Valentin en consultant le bulletin. Elle aurait pu poser la question à d’autres gestionnaires. Elle aurait pu faire confiance à la fonctionnaire. Elle n’était pas dans l’obligation d’accepter le point de vue de la fonctionnaire, mais aurait pu tenir compte de l’effet sur la fonctionnaire en ignorant son opinion. Elle n’a pas tenu compte de l’opinion de la fonctionnaire ou de ses convictions, ce qui remettait en cause la conscience religieuse de la fonctionnaire.

[57]  Rien n’a été fait pour atténuer les répercussions des actes de Mme Wilson. Aucune mesure raisonnable n’a été prise pour atténuer le préjudice. Au contraire, elle a encouragé Mme Ritchie à discuter de la question lors de l’évaluation annuelle du rendement de la fonctionnaire, ce qui a tout exacerbé. Le courriel que Mme Wilson a envoyé pour expliquer son opinion sur les circonstances de la JAE (pièce 2, onglet 2) imposait son opinion à la fonctionnaire. Lorsque la fonctionnaire a déposé son grief, l’employeur n’a rien fait pour essayer de le régler. Finalement, elle a pris un congé de maladie. Compte tenu de cette approche insouciante et du mépris à l’égard de ses convictions religieuses, elle a droit à un maximum de dommages.

[58]  La politique énoncée par Mme Wilson dans son courriel, selon laquelle la fonctionnaire devait travailler ou prendre un congé lorsqu’elle souhaitait s’absenter pour des motifs religieux, avait un effet discriminatoire. La politique ne couvre pas tout le contexte ni ne reconnaît que les autres employés qui n’ont pas soulevé d’objections religieuses se sont vu accorder un congé à la discrétion de l’employeur. Seule la fonctionnaire s’est vu refuser le congé, car elle a choisi de ne pas participer en raison de ses convictions religieuses.

[59]  Selon la prépondérance des probabilités, la fonctionnaire a établi une discrimination fondée sur la religion. Elle demande une déclaration l’indemnisant intégralement, ainsi qu’une indemnité pour préjudice moral et une indemnité spéciale en raison du comportement insouciant et volontaire de Mme Wilson, conformément à la LCDP. La fonctionnaire étant en congé de maladie non payé depuis juin 2018 en raison de l’effet de la politique discriminatoire de l’employeur (pièce 3, onglet 21), elle demande que son congé soit changé pour un congé payé rétroactivement depuis la date du début de ce congé.

B.  Pour l’employeur

[60]  L’article déterminant et pertinent au présent grief est l’article 31 (Obligations religieuses). L’employeur et l’agent négociateur se sont tournés vers le fait que les employés peuvent avoir besoin d’un congé pour assister à des célébrations religieuses. L’article 6 (intitulé « Droits de la direction ») a été limité dans cette mesure, mais il ne peut autrement être ignoré. La direction conserve le pouvoir discrétionnaire de gérer son lieu de travail, sauf disposition contraire, y compris le droit d’ordonner à ses employés de se conformer aux exigences en matière de congés établies dans la convention collective.

[61]  En décembre 2014, Mme Wilson a tenu une réunion au cours de laquelle les membres du personnel ont discuté des dates de leur dîner de groupe. À l’origine, ce dîner était prévu un vendredi, jour où la fonctionnaire ne travaillait pas. Mme Wilson a suggéré de modifier le plan dans l’espoir d’en faire un événement plus inclusif auquel la fonctionnaire serait disposée à assister. Le groupe a accepté, mais la fonctionnaire a refusé de participer et le plan initial a été conservé.

[62]  Le jour du dîner, la fonctionnaire n’a pas travaillé. Les participants ont été autorisés à rester une heure et 45 minutes supplémentaires après leur pause-dîner habituelle d’une demi-heure, car il était impossible pour tout le monde d’être servi et de manger dans ce laps de temps limité. L’agent négociateur n’a pas établi que les personnes présentes avaient obtenu un congé payé en vertu de l’article 52. Aucun dossier de congé n’a été soumis comme preuve. Aucun témoignage de vive voix n’a appuyé cette allégation.

[63]  Rien n’appuie l’allégation de la fonctionnaire concernant une différence de traitement. En fait, elle n’était pas au travail le jour en cause, il lui est donc impossible d’avoir été traitée différemment. Permettre aux employés ayant participé au dîner de partir sans retourner au bureau était un exercice de pouvoir discrétionnaire de la direction en vertu de l’article 6, qui n’est pas sujet à révision par la Commission.

[64]  Le fait que la fonctionnaire ait été invitée à assister au dîner et que ses collègues étaient disposés à apporter des changements pour l’accommoder n’appuie pas une plainte de harcèlement. Le fait qu’elle se sentait obligée de participer non plus. On ne lui a pas ordonné d’y participer et quand elle a refusé, rien de plus n’a été dit.

[65]  Les parties n’ont pas contesté que les événements de la JAE étaient initialement prévus pour le 13 février 2015, un vendredi où il n’était pas prévu que la fonctionnaire travaille. Les 10 et 11 février, des avis ont été envoyés aux personnes présentes au bureau indiquant que la date avait été changée, mais la fonctionnaire ne travaillait que les lundis et jeudis, il était donc trop tard pour modifier son horaire. Le point saillant est de déterminer les communications effectuées ce jour-là.

[66]  La fonctionnaire a déclaré lors de son témoignage qu’elle avait demandé une heure pour pouvoir se rendre au centre commercial Scotia Square. Mme Wilson a indiqué dans son témoignage que la fonctionnaire avait dit qu’elle rentrait chez elle pour la journée parce qu’elle ne célébrait pas la Saint-Valentin. Le lien entre la JAE et la Saint-Valentin n’est pas pertinent; le point saillant est plutôt la question qui a été posée. La version de Mme Wilson est conforme aux documents présentés en preuve. La version de la fonctionnaire était fondée sur ce que M. Singer lui permettait de faire.

[67]  Dans son courriel (pièce 2, onglet 2), la fonctionnaire a admis que Mme Wilson avait mal compris sa demande ce jour-là. De toute évidence, elle a demandé à rentrer chez elle pour le reste de la journée; ce n’était pas une demande de congé d’une heure. Le représentant de la fonctionnaire a reproché à Mme Wilson de ne pas avoir examiné le bulletin qu’elle avait fourni pour prouver que la JAE était une célébration de la Saint‑Valentin, mais la seule preuve, y compris le témoignage de la fonctionnaire, était que le lien vers les bulletins d’information avait été envoyé par courriel le 26 mars 2015, et non le 12 février 2015, comme cela a été affirmé.

[68]  Mme Wilson a admis avoir demandé à Mme Ritchie de parler à la fonctionnaire après les événements de la JAE des attentes de l’employeur lorsqu’elle s’absentait pour des raisons religieuses et de demander une liste des dates des célébrations religieuses des témoins de Jéhovah. Mme Wilson a présumé que cela avait été fait, mais lorsqu’elle a appris que ce n’était pas le cas, Mme Ritchie lui a dit qu’elle avait l’intention de le faire lors de la rencontre d’évaluation du rendement, qui était pour elle la prochaine occasion de rencontrer la fonctionnaire.

[69]  Ce n’est que du ouï-dire que Mme Ritchie a reçu l’ordre d’inclure la discussion dans le document d’évaluation du rendement comme problème de rendement et que Mme Ritchie a choisi de l’ignorer. Mme Wilson a expliqué pourquoi cela est inexact. Il n’y a aucune preuve claire, solide ou convaincante que Mme Wilson a ordonné à Mme Ritchie de mettre cette information dans le document d’évaluation du rendement. Il n’existe aucune preuve de mauvaise foi. Il existe des preuves claires de ce que Mme Wilson a demandé à Mme Ritchie de communiquer à la fonctionnaire et de la façon dont la pièce 2, onglet 2, contient une explication de la politique de l’employeur à l’avenir.

[70]  La réponse de Mme Wilson au courriel de la fonctionnaire consistait essentiellement à préciser que ce qui s’était passé sous la direction de M. Singer ne serait plus accepté, ce qui était conforme à l’article 31. La fonctionnaire pouvait utiliser un congé annuel, un congé compensatoire ou un congé non payé ou elle pouvait échanger son quart de travail pour répondre à ses obligations religieuses.
Elle aurait également pu bénéficier d’un congé payé à la discrétion de l’employeur, qui aurait été plafonné à six heures, et elle aurait dû rattraper ces heures dans un délai de six mois.

[71]  L’agent négociateur avait le fardeau de la preuve de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, ce qui était allégué s’était effectivement produit. Il n’appartient pas à l’arbitre de grief de spéculer (voir Arsenault c. Agence Parcs Canada, 2008 CRTFP 17; et F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53). Le fardeau est le fardeau de preuve civil. Il faut répondre à la question selon la prépondérance des probabilités sur la base de preuves claires, solides et convaincantes.  

[72]  Pour déterminer les événements entourant la rencontre d’évaluation du rendement, on note une preuve claire de Mme Wilson par rapport au ouï-dire de la fonctionnaire. La fonctionnaire aurait pu appeler Mme Ritchie, mais elle ne l’a pas fait. Elle aurait pu présenter un courriel qu’elle a envoyé à Mme Wilson documentant sa demande refusée de partir pendant une heure pour aller au centre d’achat Scotia Square, mais elle ne l’a pas fait. Elle a présenté un courriel dans lequel elle a déclaré que Mme Wilson l’avait mal comprise.

[73]  L’employeur a soutenu que la fonctionnaire n’aurait pas eu droit à un congé en vertu de l’article 52, car les parties ont précisé plus tôt dans la convention collective exactement ce à quoi elle avait droit pour les célébrations religieuses. Conformément aux règles d’interprétation des conventions collectives, les parties sont présumées avoir voulu ce qu’elles ont convenu. Les mots qu’elles ont utilisés doivent avoir leur sens ordinaire (voir la 5e édition de l’ouvrage Canadian Labour Arbitration, de Brown et Beatty, par. 4 : 2100 et 4 : 2110). Lorsqu’il n’y a pas d’ambiguïté dans le sens, il faut donner effet au libellé de la convention collective (voir Communications, Energy and Paperworkers, Local 30 v. Irving Pulp & Paper, 2002 NBCA 30).

[74]  L’article 229 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C.2003, ch.22, art. 2) interdit à un arbitre de grief de rendre une décision ayant pour effet de modifier une convention collective (voir Chafe c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112). L’article 31 indique clairement à quel moment la fonctionnaire avait droit à un congé payé pour une célébration religieuse. L’article 52 ne s’applique pas. Dans Andres c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 86, l’arbitre de grief a traité un libellé semblable à celui de l’article 31. L’arbitre de grief a conclu que le fardeau de la preuve incombait à la fonctionnaire dans ce cas et que cette dernière devait donc prouver selon la prépondérance des probabilités que l’employeur avait violé la convention collective.

[75]  L’article 31 déchargeait l’employeur du fardeau de tenir compte des obligations religieuses de la fonctionnaire en fournissant un menu d’options sur la façon dont il pouvait les accommoder, ce qui satisfaisait au critère de la contrainte excessive. C’est le marché que les parties ont conclu (voir Andres, par. 82). Si l’article 31 n’est plus une bonne entente pour les membres de l’agent négociateur, c’est à la table de négociation qu’il convient de modifier cette entente et non à l’arbitrage.

[76]  Mme Wilson a demandé à la fonctionnaire de lui fournir une liste des célébrations religieuses afin qu’elle soit prête à répondre à ses demandes. Étant donné que la fonctionnaire ne travaillait que deux jours par semaine, son horaire pouvait être modifié pour tenir compte de ses pratiques religieuses, ce qui était conforme à l’article 31. Même la Dre Swift a convenu que la communication des attentes de l’employeur ne constituait pas, selon elle, du harcèlement. Le congé de maladie de la fonctionnaire en 2018 était lié à des problèmes familiaux et non, comme l’a fait valoir le représentant de la fonctionnaire, à son traitement en milieu de travail en 2015, selon la note médicale qu’elle a remise à l’employeur.

[77]  Selon la Cour suprême du Canada, la discrimination peut être décrite comme une distinction, qu’elle soit intentionnelle ou non, fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres (voir Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143). Toutes les circonstances dans lesquelles, en raison de ses convictions religieuses, la fonctionnaire ne serait pas en mesure de participer au travail ont été pleinement prises en compte à l’article 31. Son traitement ne satisfaisait pas à la définition de la discrimination telle qu’établie par la Cour suprême du Canada.

[78]  Les mesures d’adaptation relatives aux fêtes religieuses peuvent prendre plusieurs formes. L’obligation de prendre une mesure d’adaptation doit coexister avec les caractéristiques fondamentales de la relation de travail. Les parties à la convention collective ont déterminé une mesure d’adaptation appropriée dans les circonstances, et un arbitre de grief doit respecter ce que les parties ont convenu (voir Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4400, Unité B c. Toronto District School Board, [2008] O.L.A.A. no 692 (QL)). Les congés non rémunérés pour une fête religieuse ne sont pas discriminatoires; et ne constituent pas non plus une contrainte excessive par l’offre d’un menu d’options à un employé. Les employés n’ont pas droit à l’égalité des résultats (voir Casey v. Anishnawbe Health Toronto, 2013 HRTO 1244; Central Okanagan School District No. 23 v. Renaud, [1992] S.C.J. No. 75 (QL); Markovic v. Autocom Manufacturing Ltd., 2008 HRTO 64).

[79]  Le critère applicable en matière de harcèlement est objectif. Une personne raisonnable se sentirait-elle harcelée dans la situation? En l’espèce, la question est de savoir si une personne raisonnable se sentirait harcelée lorsqu’on lui demandait si elle participerait à un dîner avec un groupe de collègues. Mme Wilson a indiqué dans son témoignage qu’elle avait été choquée d’apprendre, alors qu’elle était à la barre à l’audience, que la fonctionnaire avait le sentiment que Mme Wilson l’avait harcelée pendant six mois; la fonctionnaire ne lui avait jamais rien dit. Elle n’aurait pas pu raisonnablement envisager que la fonctionnaire se serait sentie harcelée par ses tentatives d’inclusivité. Si la fonctionnaire se sentait harcelée, la situation a été rapidement résolue lorsqu’elle a refusé de participer et l’affaire a été classée.

[80]  La fonctionnaire n’a pas établi que les employés qui ont participé aux activités de la JAE ont bénéficié de quatre heures de congé payé. En fait, la durée de leur participation aux activités de la JAE dépendait de leur horaire individuel. La JAE était un événement organisé par lemployeur sur le lieu de travail. Ce n’est pas parce que les employés ne s’acquittent pas des tâches qui leur sont régulièrement assignées et qu’ils participent à des activités sanctionnées par l’employeur qu’ils ne sont pas au travail. Ils ne pouvaient pas quitter le lieu de travail et s’ils choisissaient de ne pas participer, ils devaient travailler, comme on s’attendait à ce que la fonctionnaire le fasse.

[81]  L’affaire LaBranche se distingue factuellement du présent cas. L’interaction entre la fonctionnaire et Mme Wilson ne reflète pas celle de LaBranche, dans laquelle un tiers a entravé une mesure d’adaptation existante. Il n’y a aucun témoignage ni aucune preuve de ce que M. Singer a accepté ou de ce qui a été fait. Même si la Commission admet l’existence d’une entente, il n’y a aucune preuve de son étendue ou de sa nature. La préclusion prend fin lorsque l’avis est donné, ce qui s’est produit lors du courriel du 26 mars de Mme Wilson. Il énonçait les exigences de la convention collective.

[82]  Il n’y a aucune preuve d’un comportement insouciant similaire établi dans Doro. En résumé, la fonctionnaire n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités qu’elle a fait l’objet d’une discrimination, en violation de l’article 19.

IV.  Motifs

[83]  Ce grief a été déposé en tant que grief de discrimination alléguant une violation de l’article 19, qui prévoit qu’aucune discrimination ou harcèlement ne sera exercé ou pratiqué à l’égard d’un employé en raison de son appartenance religieuse, entre autres motifs.

[84]  Pour démontrer qu’un employeur a fait preuve de discrimination, telle qu’en violant l’article 19, un fonctionnaire s’estimant lésé doit d’abord produire une preuve prima facie de l’existence de l’acte discriminatoire, c’est-à-dire une preuve qui couvre les allégations faites et qui, si elles devaient être crues, seraient complètes et suffisantes pour justifier une décision donnant gain de cause au fonctionnaire s’estimant lésé en l’absence de réponse du défendeur (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, au par. 28). Un employeur qui doit répondre à une preuve prima facie de discrimination peut éviter une conclusion défavorable en présentant des éléments de preuve démontrant que ses agissements n’étaient pas discriminatoires ou en invoquant un moyen de défense prévu par la loi qui justifie la discrimination (voir A.B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35, au par. 13).

[85]  Je conclus que la fonctionnaire n’a pas établi une différence de traitement préjudiciable fondée sur la religion et, par conséquent, elle n’a pas établi de preuve prima facie de discrimination. Les employés participant à des événements en milieu de travail, parrainés par l’employeur, pendant les heures de travail sont considérés comme travaillant. Par conséquent, la fonctionnaire devait rendre compte de son temps si elle n’était pas au travail comme tous les autres, quelle que soit la raison de sa non-participation.

[86]  En ce qui concerne le dîner de Noël, la fonctionnaire n’était même pas au travail ce jour-là et n’avait pas droit à un salaire. La fonctionnaire n’a pas prouvé que quiconque ayant participé au dîner a bénéficié d’un congé en vertu de l’article 52, la disposition prévoyant un congé payé ou non payé pour d’autres motifs (congé discrétionnaire ou personnel), ni d’aucun article d’ailleurs, ni que quiconque étant resté sur le lieu de travail a reçu ce jour-là un congé non comptabilisé. Par conséquent, la fonctionnaire n’a pas établi, même à première vue, qu’elle avait été traitée de façon différente et défavorable ce jour-là. Son argument concernant cette partie de son grief est entièrement hypothétique.

[87]  En revanche, en ce qui concerne la question de la JAE, la fonctionnaire était au travail ce jour-là. Je pense qu’elle a demandé à rentrer chez elle après le discours de Mme Wilson, car il s’agit de la version la plus conforme à son courriel du 26 mars 2015 (pièce 2, onglet 2), et cela explique son commentaire au sujet d’un malentendu. Peu importe si Mme Wilson croyait qu’il y avait un lien entre la JAE et la Saint-Valentin, le fait était que la fonctionnaire le croyait et, pour respecter ses convictions religieuses, elle a utilisé son temps pour s’absenter du lieu de travail pendant la tenue des festivités à son bureau. Elle est ensuite retournée à son bureau et a travaillé le reste de sa journée. Cela est tout à fait conforme à l’article 31, qui prévoit à la clause 31.03 que des congés peuvent être accordés à l’employé afin de remplir ses obligations religieuses, mais le nombre d’heures rémunérées ainsi accordées doit être récupéré heure pour heure.

[88]  Le représentant de la fonctionnaire a fait valoir que l’article approprié en vertu duquel elle aurait dû être autorisée était l’article 52, qui couvrait ce qui est communément appelé congé pour d’autres motifs. Cela aurait signifié qu’elle n’aurait pas eu à compenser les heures où elle était absente du travail pour remplir ses obligations religieuses.

[89]  Cependant, l’article 52 était généralement utilisé dans des circonstances telles que des tempêtes de neige, des tremblements de terre ou des volcans actifs. Si un article spécifique traite du sujet en cause, les règles d’interprétation exigent que j’applique cet article en premier. La règle contre le pyramidage m’empêche d’examiner des articles plus généraux. À mon avis, l’article 52 a pour objet de couvrir des situations sur lesquelles les parties ne se sont pas spécifiquement penchées, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Dans la présente affaire, les parties se sont tournées vers la façon dont les employés peuvent remplir leurs obligations religieuses, et ils le font au titre des dispositions de l’article 31.

[90]  L’agent négociateur et l’employeur ont convenu que les demandes de mesures d’adaptation pour des fêtes religieuses devaient être satisfaites en vertu de l’article 31, ce qui est suffisant pour éviter une conclusion défavorable et pour montrer que ses actions n’étaient pas discriminatoires (voir A.B. et Andres).

[91]  La fonctionnaire n’a donc pas établi à première vue qu’elle avait fait l’objet de discrimination au cours de son emploi en raison de son appartenance religieuse.

[92]  Ayant constaté qu’il n’y avait pas de discrimination de la part de l’employeur, il reste à savoir si Mme Wilson a harcelé la fonctionnaire, contrairement à l’article 19, qui englobe le harcèlement fondé sur les motifs illicites qu’il décrit, dont l’appartenance religieuse. Le harcèlement est défini dans la politique du Conseil du Trésor comme un comportement inopportun et offensant d’un individu envers un autre individu en milieu de travail, y compris pendant toute activité ou dans tout lieu associé au travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice (voir la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement).

[93]  Le présent cas requiert un lien entre la conduite inappropriée présumée et la célébration par la fonctionnaire de sa religion, compte tenu de la façon dont le grief a été déposé. La conduite qu’elle a déterminée comme étant du harcèlement comprenait la pression qu’elle a ressentie pour participer au dîner de Noël, le refus de Mme Wilson d’accepter sa déclaration selon laquelle la JAE et la Saint-Valentin étaient liées, et l’évaluation négative du rendement basée sur son choix de ne pas participer à certains événements en milieu de travail, pour des motifs religieux.

[94]  Le témoignage de Mme Wilson a été franc et sincère lorsqu’elle a indiqué qu’elle ne savait pas que la fonctionnaire avait été offensée par sa conduite. À aucun moment la fonctionnaire ne lui a dit que son comportement était inacceptable. La première fois qu’elle a entendu quoi que ce soit au sujet de l’incidence de ses interactions avec la fonctionnaire, tout en gardant à l’esprit que la fonctionnaire ne relevait pas directement d’elle, c’était à l’audience.

[95]  Les tentatives de Mme Wilson d’inclure la fonctionnaire dans le cadre du dîner de Noël visaient l’inclusivité. Lorsque la fonctionnaire a refusé, rien de plus n’a été dit. Mme Wilson a admis qu’elle savait qu’en tant que témoin de Jéhovah, la fonctionnaire ne célébrait pas Noël. C’est pourquoi elle a suggéré que le dîner soit une rencontre de groupe, à laquelle la fonctionnaire pouvait participer. À aucun moment, elle n’a fait pression ou insisté sur le fait que la fonctionnaire devait participer ou faire quoi que ce soit qui aurait pu compromettre ses croyances. Cela n’équivaut pas à du harcèlement, d’autant plus que la fonctionnaire n’a jamais dit à quiconque au travail qu’elle se sentait obligée de participer. Je ne crois pas que Mme Wilson savait ou aurait dû savoir que sa conduite offenserait ou causerait un préjudice à la fonctionnaire.

[96]  De même, la situation relative à la JAE ne correspondait pas à la définition du harcèlement. Premièrement, Mme Wilson ne savait pas que les témoins de Jéhovah ne célèbrent pas la Saint-Valentin. À mon avis, le nœud de cette question est essentiellement une divergence d’opinion quant aux origines de la JAE, qui n’est pas en soi du harcèlement. La fonctionnaire n’a pas été contrainte de participer aux événements de la JAE et a utilisé une option énoncée à l’article 31 pour éviter de participer, ce qui, selon moi, était une méthode convenue pour répondre au besoin d’un employé de pratiquer sa religion.

[97]  J’accepte la version de Mme Wilson des événements entourant la discussion sur l’évaluation du rendement, car elle est conforme au document d’évaluation du rendement et au témoignage verbal. À mon avis, si quelqu’un était responsable de l’incidence négative de cette discussion, c’était Mme Ritchie, qui ne l’a pas tenue lorsqu’on lui avait demandé de le faire. Cela a fait en sorte que la discussion a eu lieu lors de l’évaluation du rendement.

[98]  Une discussion sur les attentes, y compris celles sur la participation, est appropriée lors des rencontres d’évaluation du rendement lorsque la discussion clarifie les attentes pour l’avenir. Mme Wilson ne pouvait raisonnablement prévoir comment la fonctionnaire interpréterait la discussion, à laquelle elle n’avait pas pris part, et ses répercussions présumées.

[99]  Même lorsque la Dre Swift a vu le courriel (pièce 2, onglet 2) et l’évaluation du rendement qui a noté que la fonctionnaire avait satisfait avec succès à ses attentes pour l’année, la Dre Swift n’a rien vu qu’elle considérait comme offensant. Je conclus que la source de l’insatisfaction de la fonctionnaire a été l’incidence du départ à la retraite de M. Singer, qui a entraîné l’imposition de règles pangouvernementales concernant les attentes à l’égard des personnes qui choisissent de ne pas participer à des fonctions en milieu de travail.

[100]  Pour tous ces motifs, le grief est rejeté. L’employeur a demandé que la pièce 4 soit scellée, car elle contient des extraits photocopiés du dossier de traitement médical de la Dre Swift. Comme il est énoncé dans la Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la Commission, le principe de transparence judiciaire est un principe important dans notre système juridique. Conformément à ce principe garanti par la Constitution, la Commission mène ses audiences en public, à moins de circonstances exceptionnelles.

[101]  La Commission pratique une politique d’ouverture qui favorise la transparence de ses procédures, la responsabilisation et l’équité dans la conduite de ses audiences. Dans des circonstances exceptionnelles, elle déroge à son principe de transparence judiciaire pour accéder à des demandes de protection de la confidentialité d’éléments spécifiques de la preuve. Dans ce cas-ci, il serait approprié de sceller la pièce. Je suis convaincue que les droits à la vie privée de la fonctionnaire peuvent être suffisamment protégés en scellant cette pièce, et je n’ai pas entendu d’arguments contraires. Je rendrai une ordonnance à cet effet à la fin de cette décision.

[102]  Les parties ont invoqué de nombreux cas à l’appui de leurs arguments. Même si j’ai lu chacun de ces cas, je n’ai mentionné que ceux qui sont d’une importance primordiale.

[103]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[104]  Le grief est rejeté.

[105]  La pièce 4 sera scellée.

Le 7 janvier 2020.

Traduction de la CRTESPF

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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