Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait l’objet d’une enquête par suite d’une plainte de harcèlement – il a pris sa retraite avant que l’employeur ne donne suite aux conclusions de l’enquête – il a déposé un grief contre les conclusions – le grief a été accueilli en partie; le rapport d’enquête sur le harcèlement a été rejeté et aucune autre mesure n’a été prise contre le fonctionnaire s’estimant lésé – l’employeur a soulevé des objections relatives à la compétence de la Commission pour instruire la présente affaire parce que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été congédié – l’employeur a soutenu que, même si la Commission avait compétence, l’affaire est théorique – le fonctionnaire s’estimant lésé a soulevé un congédiement déguisé à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs – selon Elliot c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 4, la Commission peut être saisie d’un congédiement déguisé; il suffit de disposer d’un ensemble de faits approprié – le fonctionnaire s’estimant lésé a signé son Avis de démission et a invoqué le départ à la retraite comme motif de sa démission – le départ à la retraite est un acte volontaire, envisagé en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, sur lequel la Commission n’a pas compétence – la Commission a conclu qu’il avait volontairement pris sa retraite et donc qu’elle n’avait pas compétence – même si elle avait compétence, l’affaire était théorique – le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé qu’une plainte de harcèlement déposée contre lui soit rejetée, ce qui a été le cas, et aucune autre mesure n’a été prise – la Commission a conclu qu’une deuxième enquête au sujet de la plainte ne servirait à rien; elle aurait coûté très cher, demandé beaucoup de temps et n’aurait pas constitué une bonne utilisation du temps ou des ressources gouvernementales.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date : 20200303

Dossier : 566-02-14761

 

Référence : 2020 CRTESPF 25

 

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Andrew Tulk

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de la Défense nationale)

 

défendeur

Répertorié

 Tulk c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant :  Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Harold Doherty et Jennifer Davis, avocats

Pour le défendeur : Christine Langill et Cristina St-Amant-Roy, avocates

Affaire entendue à Fredericton (Nouveau‑Brunswick),

du 14 au 17 mai et du 17 au 19 décembre 2019, et du 7 au 10 janvier 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉcision

(TRADUCTION DE LA cRTESPF)

I.  Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1]   Andrew Tulk, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était l’un des trois employés de la Base des Forces canadiennes (BFC) Gagetown, au Nouveau‑Brunswick, qui ont fait l’objet d’une enquête par suite d’une plainte de harcèlement déposée par un collègue de la BFC Gagetown. Le fonctionnaire a pris sa retraite avant que l’employeur, le ministère de la Défense nationale, ne donne suite aux conclusions de l’enquête. Le fonctionnaire a déposé un grief contre ces conclusions. L’employeur a partiellement fait droit à son grief et rejeté les conclusions de l’enquête sur la plainte de harcèlement, en raison de vices de procédure. Le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») sans avoir obtenu le consentement de son agent négociateur.

[2]  Selon l’employeur, durant la procédure de règlement des griefs et au fil du temps, la nature du grief de M. Tulk a changé. Au départ, M. Tulk a demandé  que l’enquête sur la plainte de harcèlement soit refaite puis, en 2015,  il a finalement allégué que l’employeur l’avait congédié de façon déguisée.

II.  Objection préliminaire

[3]  L’employeur a soulevé des objections relatives à la compétence de la Commission pour instruire la présente affaire en raison de son caractère théorique, et parce que le fonctionnaire n’a pas été congédié; il a pris sa retraite. L’employeur a soutenu qu’étant donné que l’enquête sur la plainte de harcèlement n’avait pas été refaite et qu’aucune mesure disciplinaire n’avait été prise, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») n’a pas compétence sous le régime de la Loi. L’employeur a soutenu en outre que le départ à la retraite est une cessation d’emploi volontaire en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13), sur laquelle la Commission n’a pas compétence. Même si elle avait compétence, l’affaire est théorique, puisque le grief a été partiellement accueilli, que le rapport de l’enquête sur la plainte de harcèlement a été rejeté, et qu’aucune autre mesure n’a été prise contre le fonctionnaire.

[4]  Pour sa part, le fonctionnaire a soutenu que le congédiement déguisé est un recours dont la Commission peut se prévaloir, mais que les faits appropriés sont requis. La question du congédiement déguisé a été soulevée après la mise en suspens du grief pendant une période prolongée, ce qui s’avérait nécessaire, selon le fonctionnaire, pour déterminer ce qu’il devrait affronter. Il a soulevé cette allégation au premier palier de la procédure de règlement des griefs et l’a fait valoir à chacun des paliers suivants. Selon Elliot c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 4, la Commission peut être saisie d’un congédiement déguisé; il suffit de disposer d’un ensemble de faits approprié.

III.  Résumé de la preuve

[5]  Le fonctionnaire avait plus de 30 ans de service à la BFC Gagetown au moment de son départ à la retraite. Selon lui, l’employeur l’a désigné comme un employé à congédier, objectif qu’il a concrétisé en prenant des mesures extrêmes. Le fonctionnaire travaillait en qualité de surintendant de la production dans les ateliers de production, soit une section des opérations d’infrastructure à la BFC Gagetown. Il relevait directement du Major Tyler MacLeod qui, en 2012 et 2013, était l’officier responsable des opérations d’infrastructure du 3e Groupe de soutien de secteur Génie à la BFC Gagetown.

[6]  Selon le maj MacLeod, le fonctionnaire devait, dans le cadre de son rôle de surintendant de la production, surveiller divers ateliers placés sous sa direction, notamment les ateliers de montage, d’électricité, de plomberie et de chauffage. Il assignait les demandes d’entretien dès leur réception et surveillait leur traitement. Au fil du temps, le fonctionnaire est entré en conflit avec Marcel McLaughlin, l’un des employés de l’atelier de peinture, qui ne relevait pas de lui. Toutefois, leur relation a été la source d’un grand conflit au travail.

[7]  Il était très difficile pour le maj MacLeod de collaborer avec M. Tulk. Le fonctionnaire a déclaré que [traduction] « il disait [au maj McLeod] quelque chose de différent chaque jour ». Lorsque le fonctionnaire a accroché une affiche indiquant son taux de rémunération dans son cubicule durant un processus de réaménagement des effectifs, cela a irrité ses collègues. Le maj McLeod lui a ordonné de la décrocher, parce que c’était offensant, et le fonctionnaire en a été contrarié. Il a alors fait confectionner des t-shirts sur lesquels étaient imprimés les renseignements indiqués sur l’affiche, et il les a portés tous les jours durant des mois. Le maj McLeod a déclaré que le fonctionnaire lui avait dit qu’il avait accroché l’affiche afin d’exprimer ce qui suit : [traduction] « Voici ce que tu me paies pour être assis ici à ne rien faire », parce que son emploi était touché par le réaménagement des effectifs, la suppression d’autres postes et fonctions, ainsi que les réorganisations au sein de l’armée. L‘affiche était offensante pour les employés dont les postes avaient été supprimés, mais, selon le maj McLeod, le fonctionnaire ne s’en est pas soucié, puisque quand on lui a dit de décrocher l’affiche, il s’est contenté de rire et a commencé à porter les t-shirts.

[8]  Le maj McLeod a aussi relevé des problèmes liés à l’utilisation des congés de la part du fonctionnaire. De l’avis du maj McLeod, M. Tulk a estompé la ligne qui séparait son rôle de superviseur et ses activités syndicales. Le maj McLeod a aussi dû parler à M. Tulk de son manque de respect envers la chaîne de commandement. De façon générale, le fonctionnaire était difficile à gérer. Une série d’accords de séparation en milieu de travail se sont avérés nécessaires afin de séparer le fonctionnaire et M. McLaughlin, en raison d’allégations de violence en milieu de travail persistantes. Le fonctionnaire a contrevenu à ces accords de façon répétée.

[9]  M. McLaughlin était peintre; il relevait d’un des autres employés nommés dans la plainte de harcèlement. Le maj McLeod a parlé de M. McLaughlin avec M. Tulk à de nombreuses reprises. MM. Tulk et McLaughlin avaient de longs antécédents de conflit, et de nombreuses plaintes ont été déposées au fil du temps. En juin 2012, il y a eu un affrontement entre MM. Tulk et McLaughlin qui a été signalé à la police militaire (PM) pour enquête. Les deux employés ont fait l’objet d’une enquête pour avoir proféré des menaces. Aucune accusation n’a été portée.

[10]  En septembre 2012, M. Tulk a transmis au maj McLeod un document dans lequel il affirmait craindre pour sa vie en raison de menaces proférées par M. McLaughlin. Le maj McLeod a déclaré qu’il l’avait signalé à la PM, qui a de nouveau enquêté sur M. McLaughlin, cette fois pour harcèlement criminel. Encore une fois, aucune accusation n’a été portée.

[11]  Selon le maj McLeod, dans le milieu de travail, M. Tulk était la personne qui éprouvait le plus de difficultés avec M. McLaughlin, en comparaison avec les autres. Le maj McLeod a dû rappeler maintes fois à M. Tulk que M. McLaughlin et lui devaient être séparés dans le milieu de travail, mais M. Tulk se rendait quand même à l’atelier de peinture où M. McLaughlin travaillait. À chaque fois que le maj McLeod et M. Tulk ont abordé la question de la séparation au travail, M. Tulk a accepté de ne pas aller à l’atelier de peinture. Il disait ensuite au maj McLeod qu’il s’y rendait. Bien qu’il ait dit au maj McLeod qu’il craignait pour sa vie, M. Tulk a maintes fois été vu en train d’échanger avec M. McLaughlin. Selon le maj McLeod, bien souvent M. Tulk ne joignait pas le geste à la parole.

[12]  En de très rares occasions, M. Tulk devait se rendre à l’atelier de peinture. Le maj McLeod se souvenait d’une fois où, après qu’on eut dit à M. Tulk que M. McLaughlin s’y trouverait, lui‑même a vu M. Tulk entrer dans l’atelier de peinture afin de voir un collègue, et ce,  à deux reprises au cours d’une période de 30 à 45 minutes. M. Tulk savait aussi que M. McLaughlin serait à l’atelier de peinture tous les jeudis afin d’assister aux réunions de sécurité, et il a insisté pour être là quand M. McLaughlin assistait aux réunions.

[13]  Parallèlement, une enquête sur la violence en milieu de travail était en cours; elle a été mise en suspens pendant que la PM menait son enquête, puisque l’employeur avait lancé une enquête sur la plainte de harcèlement qui visait le fonctionnaire. En décembre 2011, M. McLaughlin a déposé un grief de harcèlement, alléguant que l’employeur ne l’avait pas protégé contre le harcèlement en milieu de travail, dans la mesure où il n’avait pas répondu à ses besoins. L’employeur a établi que cette affaire devait faire l’objet d’une enquête, puisqu’il était allégué dans une plainte déposée contre M. Tulk et deux de ses collègues qu’ils s’étaient livrés à de l’intimidation et à de la violence psychologique. Charron Human Resources Inc. (« Charron »), une entreprise externe, a enquêté sur les plaintes de harcèlement à partir de juin 2012. Une fois l’enquête terminée, un rapport a été présenté à l’employeur en janvier 2013 (le « rapport Charron »).

[14]  Le lieutenant‑colonel (lcol) Peter Madic était l’officier responsable qui a reçu le rapport Charron. Il savait que l’entreprise Charron avait été créée afin d’offrir des services professionnels d’enquête sur les ressources humaines à l’armée. C’est pour cette raison que l’entreprise avait été sélectionnée pour mener l’enquête visant le fonctionnaire. En qualité d’officier responsable, le lcol Madic pouvait accepter ou rejeter les conclusions du rapport Charron, après quoi il devait aviser les défendeurs de ses conclusions. Il a examiné le rapport, l’a jugé complet, puis a estimé qu’il rendait compte ave précision des actes des personnes concernées à l’époque pertinente. Sur ce fondement, le lcol Madic a conclu que les allégations formulées contre le fonctionnaire étaient fondées.

[15]  Le fonctionnaire est alors parti en congé; c’était en mai 2013. Des efforts ont été consacrés afin d’assurer un milieu de travail sécuritaire et exempt de conflits pour tout le monde, afin que tous puissent venir au travail et être productifs, en attendant la décision du lcol Madic au sujet des mesures appropriées qu’il fallait prendre en fonction des conclusions présentées dans le rapport Charron. On a mis en place des règles de base que le fonctionnaire et M. McLaughlin devaient respecter en attendant l’issue de l’enquête. Selon le lcol Madic, on espérait qu’un semblant de normalité serait rétabli et que le travail quotidien reprendrait. M. Tulk a signé l’accord et a pris congé sans tarder.

[16]  Aucune autre mesure n’a été prise contre M. Tulk avant son retour. En réalité, il n’a jamais fait l’objet de mesures disciplinaires, bien qu’il ait été reconnu coupable de harcèlement envers M. McLaughlin. En effet, il a présenté sa démission avant qu’une mesure disciplinaire ne puisse  être imposée. À la question de savoir pourquoi il n’avait jamais pris de mesures disciplinaires contre le fonctionnaire, le lcol Madic a répondu qu’il avait établi que cela ne servait à rien, puisque le fonctionnaire était parti à la retraite. Le fonctionnaire a présenté son « Avis de démission » sans préavis et sans discussion préalable. Rien n’indiquait à l’employeur que le fonctionnaire envisageait le départ à la retraite.

[17]  Le lcol David Burbridge détenait le grade de major à l’époque où il était l’officier responsable de la construction à la BFC Gagetown, soit de juin 2012 à juillet 2015. Le contrat avec Charron a été l’un des premiers documents qu’il a signés à son arrivée à Gagetown. Les services de Charron ont été retenus en raison du degré d’expertise nécessaire dans les enquêtes sur le harcèlement et du volume de renseignements en cause. L’employeur a établi qu’un expert‑conseil externe était requis, et Charron a été sélectionnée.

[18]  Après le début de l’enquête sur le harcèlement, diverses enquêtes collatérales visant le fonctionnaire et M. McLaughlin ont aussi été lancées dans le cadre des allégations de violence en milieu de travail, sur lesquelles la PM enquêtait. Lorsque la PM mène une enquête quelconque, les autres enquêtes administratives sont mises en suspens. Une fois les enquêtes de la PM achevées, aucune accusation n’a été portée en vertu du Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46). Il a été établi que M. McLaughlin avait commis des actes de violence en milieu de travail, même si ces actes n’avaient pas donné lieu à des accusations criminelles, ce qui ne signifie pas qu’aucune mesure disciplinaire n’a été imposée ni qu’aucune autre mesure administrative n’a été prise. Une distinction très nette existait entre les enquêtes sur la violence en milieu travail et les enquêtes sur la plainte de harcèlement. Les parties, les actes, les dates et les heures, les politiques et les lois pertinentes visées dans les enquêtes différaient.

[19]  MM. Tulk et McLaughlin ont conclu des accords de séparation en milieu de travail dans le but de protéger le fonctionnaire, ce qui exigeait que tous deux répondent à certaines attentes lorsqu’ils étaient dans le milieu de travail. Divers accords ont été signés au cours de la période qui a mené au départ à la retraite du fonctionnaire. Des limites ont été imposées à MM. Tulk et McLaughlin, afin de s’assurer qu’ils n’interagiraient pas dans le milieu de travail. Cette mesure a été prise en réponse à l’affirmation du fonctionnaire selon laquelle il se sentait menacé par M. McLaughlin.

[20]  Le lcol Burbridge savait que le fonctionnaire était parti à la retraite. Il se souvenait que le lcol Madic lui avait dit au cours de l’été 2012 que M. Tulk partirait à la retraite. Il n’a jamais vu ni entendu qui que ce soit exercer des pressions sur le fonctionnaire afin qu’il parte à la retraite.

[21]  En 2015, le maj Nathan Price a repris le commandement du Génie de construction à la BFC Gagetown, succédant au lcol Burbridge qui était major à l’époque. Il a assisté aux réunions de grief au premier palier qui ont été tenues devant la lcol Cynthia MacEachern. Cette dernière a informé le maj Price des difficultés que lui posait l’enquête et du manque d’équité procédurale qu’elle constatait dans l’enquête et le rapport Charron. Elle l’a aussi informé des motifs pour lesquels elle rejetait les conclusions du lcol Madic sur la plainte de harcèlement.

[22]  Le maj Price était présent lorsque la lcol MacEachern a présenté publiquement ses excuses au fonctionnaire et à ses collègues lors d’une réunion du personnel qui avait été convoquée à cette fin. La lcol MacEachern a expliqué aux personnes rassemblées qu’elle avait rejeté les conclusions du rapport Charron, et qu’elle s’excusait d’avoir fait subir cette enquête au fonctionnaire et à ses collègues. Dans sa lettre de réponse au premier palier, la lcol MacEachern s’est engagée à réévaluer les allégations initiales.

[23]  Selon le maj Price, il n’était pas possible de procéder à une réévaluation compte tenu du temps qui s’était écoulé, comme l’a confirmé la réponse de l’employeur au deuxième palier qui a été présentée par le lcol D.A. Orr, qui a conclu qu’il n’était pas possible de mener une nouvelle enquête assurant l’équité procédurale envers les parties. La réponse au dernier palier allait dans le même sens et elle a conclu qu’il était raisonnable que le lcol MacEachern rejette les conclusions du rapport Charron. Pour ces motifs, l’employeur a estimé que l’affaire était close, et il a avisé le fonctionnaire en conséquence.

[24]  Après le dépôt de la plainte de harcèlement, l’enquête a été différée en raison des deux enquêtes criminelles menées par la PM sur les allégations de violence en milieu de travail mettant en cause M. McLaughlin et le fonctionnaire. Les conclusions de ces enquêtes ont été diffusées le lendemain de la fermeture du dossier par la PM.  

[25]  Le rapport de l’enquête sur la plainte de harcèlement fait mention du népotisme au sein du milieu de travail de la BFC Gagetown. Selon le maj Price, les majors Burbridge et Parlee partageaient son avis là‑dessus, tout comme d’autres personnes. Les choses ont changé à la suite de cette enquête. Les processus de nomination ont été administrés adéquatement, de même que les congés. Le personnel de supervision avait des pouvoirs de gestion limités, et la délégation de pouvoirs a été revue à l’égard de tout le personnel civil. La direction devait s’assurer que les politiques de l’employeur étaient respectées, et que les employés qui les avaient enfreintes seraient visés par des mesures disciplinaires.

[26]  Le fonctionnaire a été mêlé à deux incidents de violence en milieu de travail et a été désigné comme un défendeur dans la plainte de harcèlement de M. McLaughlin. Ce dernier était employé à temps plein à l’atelier de peinture. Son poste a été touché par le réaménagement des effectifs qui a été effectué à la base en 2011‑2012. Le fonctionnaire a souvent été amené traiter avec M. McLaughlin, car les autres superviseurs n’arrivaient pas à gérer ses [traduction] « crises de colère », pour reprendre les mots du fonctionnaire.

[27]  Une fois, le 8 juin 2012, après le départ de M. McLaughlin du travail dans une camionnette du travail, laissant une équipe en plan, on a demandé à M. Tulk de lui parler et de l’aviser que la camionnette était sous les soins et la garde de l’homme de métier qui était sur place, et que, s’il souhaitait l’utiliser, il devait demander l’autorisation de cette personne. Cette conversation a donné lieu à l’un des nombreux emportements de M. McLaughlin, que le fonctionnaire et son superviseur, Bob Powell, ont été appelés à gérer.

[28]  Lors de cet incident, M. McLaughlin a foncé sur le fonctionnaire, qui lui a dit : [traduction] « Vas‑y. Laisse‑toi aller. » M. McLaughlin a foncé à nouveau sur le fonctionnaire, mais s’est arrêté net. Selon le fonctionnaire, il savait que M. McLaughlin ne l’attaquerait pas. Tout cela n’était qu’une comédie; il n’était pas vraiment enragé, mais essayait de le provoquer. Le fonctionnaire a admis que M. Powell l’avait prié de quitter les lieux, mais que, comme il craignait pour la sécurité de M. Powell, il était resté.

[29]  À la suite de l’incident, le fonctionnaire est allé directement au bureau du commandant, qui l’a renvoyé au commandant adjoint. Le fonctionnaire a écrit sa déclaration et a quitté le bureau. Aucune enquête n’a été lancée. Le lendemain, les activités se sont déroulées normalement, et M. McLaughlin était sur le lieu de travail. Lorsque le fonctionnaire a fait le suivi de sa plainte, on lui a dit que les enquêtes sur la violence en milieu de travail avaient été annulées par une personne d’un grade supérieur à celui du commandant adjoint.

[30]  Le 25 juin 2012, le major McLeod a déposé un rapport auprès de la PM au sujet d’un incident qui était survenu ce jour‑là entre le fonctionnaire et M. McLaughlin. Le lendemain, le fonctionnaire a été avisé que sa plainte de violence en milieu de travail était en suspens en attendant l’issue de l’enquête de la PM. Puis, le 19 septembre 2012, il a été avisé que la plainte avait été rejetée. Selon son témoignage, lorsque le fonctionnaire est passé à l’étape suivante, soit celle du dépôt de la plainte auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, le commandant adjoint a piqué une grande colère contre lui et l’a menacé de rejeter sa plainte. En conséquence, il a déposé un grief relatif au traitement de sa plainte de violence en milieu de travail par le personnel militaire. Il n’a déposé aucun grief ayant trait aux divers accords de séparation, même s’il estimait qu’ils étaient de nature disciplinaire.

[31]  Au milieu de tout cela, une réorganisation était en cours. Le fonctionnaire a perdu tous ses pouvoirs de gestion, a été expulsé de son bureau, et le véhicule qui lui était assigné lui a été enlevé et a été retourné au parc de véhicules. La direction a jugé ses actions comme étant une confrontation. Mais selon son témoignage, le fonctionnaire s’est efforcé d’aider les gestionnaires à traiter avec les civils. Par suite des changements dans la délégation des pouvoirs, le fonctionnaire s’est trouvé avec moins de pouvoirs de surveillance que ses gestionnaires subalternes (pièce 54).

[32]  Entre‑temps, au second plan, l’armée continuait à enquêter sur le fonctionnaire, par l’intermédiaire de la PM, pour une inconduite liée aux allégations persistantes de violence en milieu de travail. Lorsque le fonctionnaire a porté plainte contre M. McLaughlin pour s’être trouvé debout à le dévisager alors qu’ils étaient assujettis à un accord de séparation, le maj Burbridge lui a dit que ses plaintes étaient futiles.

[33]  Lorsque la lcol MacEachern s’est engagée à effectuer une deuxième évaluation de l’allégation initiale de harcèlement, le fonctionnaire s’attendait à ce que la plainte soit rejetée. Cela ne s’est jamais produit parce que, selon le fonctionnaire, le maj Price a décidé qu’il n’était pas raisonnablement possible de refaire l’évaluation. Le fonctionnaire a concédé que, lors de l’assemblée publique, il avait reçu des excuses de la lcol MacEachern pour tout ce qu’il avait subi, mais qu’il souhaitait recevoir plus.

[34]  Selon le fonctionnaire, la lcol MacEachern avait convenu de se pencher sur les actes des militaires et des civils en cause dans les nombreuses enquêtes dont il faisait partie. Elle avait aussi accepté une longue liste d’autres demandes qui lui avait été présentée, notamment que les civils qui avaient appuyé M. McLaughlin, ainsi que ce dernier, fassent l’objet de mesures disciplinaires, que le fonctionnaire soit indemnisé pour ses problèmes médicaux, qu’on lui rembourse ses frais juridiques et ses frais de rachat de service, et qu’on lui verse des dommages afin de reconnaître la fin de son mariage et le préjudice moral. L’enquête sur la plainte de harcèlement a plutôt été fermé, le 26 juillet 2016, sans explication. Depuis le jour des excuses exprimées en public, le fonctionnaire n’a eu aucun contact avec la lcol MacEachern. Le 15 avril 2016, dans une lettre adressée à l’agent négociateur (pièce 2, onglet 12), la lcol MacEachern a expliqué sa décision et déclaré que les mesures correctives supplémentaires spécifiques que demandait le fonctionnaire ne pouvaient pas être envisagées avant que les allégations formulées contre certaines personnes aient fait l’objet d’une enquête, ce qui était devenu impossible, puisqu’une deuxième enquête n’aurait pas lieu.

[35]  Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait pris sa retraite en août 2013 parce qu’il ne pouvait pas retourner au travail. Il l’a fait de son plein gré. Il faisait face à une enquête et à la possibilité de se voir imposer une mesure disciplinaire. L’employeur lui avait retiré toutes ses responsabilités, son bureau et son véhicule. Il aurait été obligé de travailler dans un cubicule et d’obtenir un véhicule auprès du parc de véhicules, ou de se faire déposer, ce qu’il ne pouvait pas affronter.

[36]  En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a reconnu que la mesure corrective qu’il avait demandée dans son grief était un examen indépendant du rapport Charron. Nulle part il n’a mentionné un congédiement déguisé. Dans la réponse au premier palier et les excuses exprimées en public, le rapport Charron et ses conclusions sont mis de côté, tout comme les conclusions du lcol Madic. Le fonctionnaire a exprimé son désaccord avec les souvenirs de la lcol MacEachern selon lesquels elle n’avait pas accepté les réparations supplémentaires demandées lors de l’audience du grief au premier palier.

IV.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour l’employeur

[37]  Le fonctionnaire a pris sa retraite en 2013. Au cours de la période qui a mené à sa démission, il s’est passé beaucoup de choses. Le fonctionnaire savait qu’il faisait l’objet d’une enquête relative à des allégations de harcèlement en rapport avec un incident de violence en milieu de travail auquel il avait été mêlé avec M. McLaughlin, qui était le plaignant dans la plainte de harcèlement. Il avait consenti à trois accords de séparation qu’il avait conclus volontairement, ce qu’il ne contestait pas, même s’il alléguait qu’il avait fait l’objet de mesures disciplinaires. Il a déclaré qu’il n’avait été ni forcé ni contraint de prendre sa retraite, ce qui a été confirmé par le lcol Burbridge. Le fonctionnaire a contesté les conclusions du rapport Charron, que la lcol MacEachern a rejetées au premier palier, ce qui correspond exactement à ce que le fonctionnaire a demandé dans son grief.

[38]  La lcol MacEachern l’a confirmé dans sa réponse au premier palier, qui a été transmise au représentant de l’agent négociateur du fonctionnaire le 15 août 2016 (pièce 2, onglet 12C). Au deuxième palier, le lcol Orr a déterminé qu’il n’y aurait pas de deuxième enquête, et il a confirmé que les conclusions de l’enquête sur la plainte de harcèlement avaient été rejetées (pièce 2, onglet 11). Ces conclusions ont été confirmées de nouveau au troisième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Malgré le fait qu’il avait reçu exactement ce qu’il avait demandé, le fonctionnaire a continué à insister pour qu’une autre enquête sur les mêmes allégations soit menée, ainsi qu’à affirmer qu’il avait droit à toute une liste de réparations supplémentaires qui avait été présentée durant la procédure de règlement des griefs, ce que la direction n’a jamais accepté.

[39]  Il est important de souligner qu’il est allégué dans le présent grief que le fonctionnaire a fait l’objet de mesures disciplinaires et que le grief a été renvoyé à la Commission en vertu de l’al. 209(1)b) de la Loi. Cette disposition est rédigée en ces termes :

Renvoi d’un grief à l’arbitrage

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire qui n’est pas un membre, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur:

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […]

[Je souligne (à l’alinéa b)]

[40]  Cette disposition indique essentiellement que le fonctionnaire doit avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire; en l’espèce, il n’y en a eu aucune. Si le grief ne porte pas sur une mesure disciplinaire, la Commission n’a pas compétence (voir Wercberger c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 41). Le fonctionnaire n’a jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Pour que la Commission soit saisie adéquatement de cette affaire, il fallait que son grief soit appuyé par son agent négociateur. Comme il n’y a aucun appui de l’agent négociateur et qu’aucune mesure disciplinaire n’a été prise, la Commission n’a pas compétence pour entendre le grief et doit le rejeter sans autre considération.

[41]  Il incombait au fonctionnaire de prouver, sur le fondement d’une preuve claire, solide et convaincante, que son licenciement reposait sur des motifs disciplinaires. Il devait établir, selon la prépondérance des probabilités, que les actes de l’employeur constituaient un licenciement, et que ce licenciement reposait sur des motifs disciplinaires (voir Nadeau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 31). Le départ à la retraite est de facto une séparation volontaire (voir Mutart c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 90 et Mutart c. Canada (Procureur général), 2014 CF 540). Par conséquent, la Commission n’a pas compétence.

[42]  Dans la présente affaire, le fonctionnaire n’a pas allégué le congédiement déguisé dans son grief; il ne pouvait donc pas le renvoyer à la Commission en vertu de l’al. 209(1)b) de la Loi.

[43]  Le fonctionnaire a contesté les conclusions du rapport Charron qui sont invoquées dans les allégations de harcèlement soulevées par M. McLaughlin. Les mesures correctives demandées dans le grief ont été accordées en grande partie. La seule mesure corrective qu’il reste à accorder consiste à refaire une enquête, ce qui n’est plus possible compte tenu du temps qui s’est écoulé et des règles d’équité procédurale. Il ne reste aucune question en litige à trancher. Le grief est théorique. Le fonctionnaire n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’employeur de ne pas refaire l’enquête sur la plainte de harcèlement. Il ne reste aucun motif à trancher.

[44]  Le fonctionnaire n’est pas autorisé à modifier la nature de son grief de façon à ce qu’il excède la portée de l’enquête, ni à ajouter quoi que ce soit aux mesures correctives demandées (voir Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (C.A.)). La compétence d’un arbitre de grief est déterminée par l’exposé initial du grief (voir Schofield c. Canada (Procureur général), 2004 CF 622). Le fonctionnaire ne pouvait pas modifier fondamentalement la nature de son grief, qui portait sur les conclusions du rapport d’enquête. Il a demandé que ces conclusions soient rejetées et que l’enquête soit refaite (voir Boudreau c. Canada (Procureur général), 2011 CF 868).

[45]  Le fonctionnaire n’a pas satisfait au critère en deux volets visant à établir qu’il y avait eu congédiement déguisé. Il n’a pas démontré qu’il y avait eu une violation d’une condition expresse ou tacite du contrat qui était suffisamment grave pour constituer un congédiement déguisé; il n’a pas démontré non plus que, par sa conduite, l’employeur avait manifesté l’intention de ne plus être lié par le contrat de travail (voir Potter c. Commission des services d’aide juridique du NouveauBrunswick, 2015 CSC 10). Le fonctionnaire n’a présenté aucune preuve à l’appui de la conclusion qu’il y avait eu congédiement déguisé. Il n’a pas été démis de ses fonctions, renvoyé chez lui et ensuite suspendu. Il a volontairement pris sa retraite.

[46]  Il incombait au fonctionnaire de d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait été congédié de façon déguisée et que ce congédiement relevait de la portée de l’al. 209(1)b) de la Loi. L’employeur l’a maintenu à son poste rémunéré, au même groupe et au même niveau, avec le même traitement et la même prime de surveillance. De plus, l’employeur a mis en œuvre une série d’accords de séparation visant à protéger le fonctionnaire contre M. McLaughlin et la violence en milieu travail.

[47]  Dans la présente affaire, aucune violation du contrat de travail ne constituait un congédiement déguisé. Au titre de l’art. 12 de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11), l’employeur a le pouvoir d’assigner et de modifier des fonctions, et de déterminer les besoins en matière d’apprentissage, de formation et de perfectionnement de ses employés. Par conséquent, l’employeur a agi dans le cadre de ses droits prévus par la loi lorsqu’il a apporté des modifications unilatérales aux conditions d’emploi du fonctionnaire. Il a exercé ses droits de gestion équitablement et raisonnablement.

[48]  Le concept de congédiement déguisé vise à protéger les employés contre les employeurs qui modifieraient fondamentalement un contrat de travail afin de priver les employés de leurs recours en cas de congédiement abusif. Un employé qui fait l’objet d’un congédiement déguisé a droit à des dommages tenant lieu d’avis raisonnable (voir Potter). Il n’y a pas de place pour cette pratique dans le secteur public, où les employés jouissent de protections expresses et de recours prévus par la loi.

[49]  Le secteur public est fortement syndiqué. Les arbitres de grief et les tribunaux ont conclu que le congédiement déguisé était incompatible avec le régime de négociation collective. Les conditions d’une convention collective et la procédure de règlement des griefs que celle‑ci prévoit sont mutuellement exclusives aux concepts de la common law, tels que celui de congédiement déguisé. Les employés qui démissionnent selon les modalités prévues dans une convention collective n’ont aucun recours en vertu de la doctrine du congédiement déguisé.

[50]  En dernier lieu, le grief est théorique. L’employeur a accordé la réparation qui y est demandée. La Commission n’a pas compétence pour accorder la mesure corrective que le fonctionnaire a demandée, même compte tenu de ses vastes pouvoirs en vertu du par. 228(2) de la Loi.

B.  Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[51]  Selon l’article 209 de la Loi, les employés qui ont le sentiment que leurs griefs n’ont pas été réglés à leur satisfaction peuvent les renvoyer à la Commission. Il s’agit d’un droit personnel. Il importe peu que, du point de vue de l’employeur, le traitement imposé au fonctionnaire ait été de nature disciplinaire; le fonctionnaire le considère comme tel. La façon dont un employeur choisit de qualifier ses décisions ne peut pas être un facteur déterminant lorsqu’il s’agit d’établir leur véritable nature (voir Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176).

[52]  Dans Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70, la réaffectation du fonctionnaire constituait une rétrogradation, parce qu’il ne supervisait plus d’employés. En l’espèce, le fonctionnaire aurait pu superviser d’autres employés que M. McLaughlin, mais au lieu de cela, en vertu des dispositions révisées en matière de délégation des pouvoirs qui s’appliquaient à tout le monde, et auxquelles des ajouts précis avaient été apportés à son égard, il ne supervisait plus personne. Il s’agissait d’une mesure disciplinaire déguisée. Il n’était pas nécessaire de signifier un avis officiel de mesure disciplinaire. En vertu de l’al. 209(1)b), la Commission a compétence pour se prononcer sur les rétrogradations disciplinaires et les répercussions des actes de l’employeur sur le fonctionnaire.

[53]  La plainte de harcèlement ne peut pas être dissociée de tous les autres événements qui sont survenus dans le milieu de travail à l’époque pertinente. Le fonctionnaire a prétendu avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire qui avait pris la forme d’un congédiement déguisé parce que son emploi avait beaucoup changé, et que rien ne lui avait été communiqué officiellement. L’employeur a pris des mesures par suite de la plainte de harcèlement. Ses actes équivalaient à une rétrogradation, même si le traitement du fonctionnaire demeurait le même malgré la modification apportée à son niveau décisionnel.

[54]  Le fonctionnaire a cru que la modification apportée à la délégation des pouvoirs ne s’appliquait qu’à lui. Il était évident qu’il y avait des difficultés organisationnelles à la BFC Gagetown à l’époque pertinente. L’une de ces difficultés résidait dans l’étendue des responsabilités des superviseurs civils ou des pouvoirs qu’ils exerçaient sur les autres civils, ainsi que dans l’étendue des pouvoirs de l’armée à l’égard des employés civils. En raison de la piètre communication entre la chaîne de commandement militaire et les superviseurs et du roulement continu du personnel militaire, le fonctionnaire a dû établir constamment de nouvelles relations. Tous les nouveaux officiers avaient chacun leur style et leurs convictions au sujet de leur rôle et de leurs pouvoirs. Tout cela était aggravé par le réaménagement des effectifs et la réorganisation interne qui étaient en cours. Le fonctionnaire occupait le seul poste de superviseur qui s’est trouvé considérablement modifié par suite du réaménagement des effectifs.

[55]  À la suite des deux enquêtes de la PM sur les allégations de violence en milieu de travail qui n’ont rien donné, l’employeur a continué à traiter la plainte de harcèlement de M. McLaughlin. La deuxième enquête de la PM a été lancée après le dépôt de la plainte du fonctionnaire auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, dans laquelle il alléguait que l’employeur n’enquêtait pas sur sa la plainte contre M. McLaughlin. Manifestement, il y a un lien flagrant entre les enquêtes criminelles et la plainte de harcèlement.

[56]  Tout le processus entourant la plainte de harcèlement était vicié. Il était dépourvu d’équité et ne reflétait pas la justice procédurale. Au cours de la période de décembre 2011 à août 2013, moment du départ à la retraite du fonctionnaire, l’employeur n’a pas respecté ses politiques, au préjudice du fonctionnaire. Par conséquent, le grief de harcèlement a été transformé en une plainte de harcèlement contre l’employeur. Le grief qui a donné lieu à la plainte de harcèlement portait sur l’omission de la part des superviseurs de l’unité de négociation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de M. McLaughlin. Les superviseurs n’avaient ni l’obligation ni le devoir de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de M. McLaughlin; l’employeur avait cette obligation.

[57]  L’employeur a ensuite adopté et appliqué un rapport qui était visiblement partial. En outre, il n’y a jamais eu la moindre tentative de régler l’affaire de manière informelle, comme le prévoyait la politique de l’employeur, avant que la plainte de harcèlement n’ait fait l’objet d’une enquête. Lorsqu’elle a partiellement accueilli le grief au premier palier, la lcol MacEachern a reconnu que le processus d’enquête sur la plainte de harcèlement n’était pas équitable et manquait de transparence, ce qui a ensuite été confirmé à chaque palier subséquent.

[58]  Tout au long du processus, l’employeur a omis de communiquer les renseignements essentiels. Lorsque les pouvoirs délégués ont été retirés de l’étendue des pouvoirs du fonctionnaire, celui‑ci n’a jamais su s’il s’agissait d’une mesure permanente. On ne lui a jamais dit pourquoi ils avaient été retirés. Toutes ces questions font partie du tableau d’ensemble démontrant que l’employeur ne s’est pas acquitté de ses obligations envers le fonctionnaire à titre d’employé.

[59]  Le fonctionnaire demande des dommages, conformément à ce qui a été accordé dans Robitaille, Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158, et Doro c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 6. La Commission a le pouvoir de redresser le tort que le fonctionnaire a subi aux mains de l’employeur. Il n’y a aucune attestation médicale de stress et de souffrance morale, mais il est loisible à la Commission de conclure, d’après la preuve, que les conséquences préjudiciables qu’a subies le fonctionnaire aux mains de l’employeur n’ont pas été réparées par des excuses exprimées en public, puisqu’à ce moment‑là il ne se trouvait plus dans le milieu de travail.

[60]  En outre, l’approche cavalière adoptée par l’employeur pour régler la plainte de harcèlement et tenir compte des sentiments du fonctionnaire exige l’octroi de dommages punitifs. Les employés sont en droit de s’attendre à ce que leur employeur les traite équitablement et impartialement (voir Robitaille). Ce n’est pas parce que l’employeur n’a pas exercé ses pouvoirs disciplinaires qu’il ne doit pas être tenu responsable.

[61]  Le fonctionnaire a soutenu qu’en réalité, l’employeur a exercé ses pouvoirs disciplinaires avant même qu’il n’ait été déclaré coupable de harcèlement envers M. McLaughlin. Le fonctionnaire a été soumis à des changements organisationnels et à un réaménagement des effectifs. On lui a retiré ses pouvoirs bien avant la fin de l’enquête. Au lieu d’attendre que le couperet disciplinaire tombe, il a choisi de prendre sa retraite. Cependant, en l’absence de preuve d’une mesure disciplinaire officielle, son seul recours est l’octroi de dommages (voir Pronovost c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTEFP 43).

[62]  L’employeur a partiellement fait droit au grief au premier palier, a rejeté les conclusions du rapport d’enquête, et s’est engagé à reprendre l’enquête, mais le fonctionnaire ne pouvait pas attendre la conduite d’une deuxième enquête. Si la bonne décision avait été prise en tout premier lieu, le fonctionnaire n’aurait pas passé près de deux ans dans le milieu de travail en ayant le sentiment d’être traité inéquitablement pendant toute cette période. Lorsque la décision d’accorder une mesure corrective, qui avait été rendue au premier palier, a été infirmée au deuxième palier, le fonctionnaire a continué à se prévaloir de son grief. Seule une personne véritablement innocente se réjouirait d’une deuxième enquête.

[63]  La Commission doit exercer sa compétence en fonction de l’énoncé du grief. La souffrance morale et le congédiement déguisé que le fonctionnaire fait valoir relèvent clairement des mots suivants : [traduction] « […] les conclusions du […] rapport […] de harcèlement ». Son seul recours est l’octroi de dommages par suite du défaut de l’employeur de respecter ses politiques en temps opportun.

V.  Motifs

[64]  L’employeur a tout à fait raison. La jurisprudence appuie l’argument selon lequel le départ à la retraite est une cessation d’emploi volontaire en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, sur laquelle la présente Commission n’a pas compétence. Le fonctionnaire a signé son Avis de démission. Il a invoqué le départ à la retraite comme motif de sa démission le 28 août 2013, date à laquelle elle prenait effet. Sa démission a été acceptée le même jour à 10 h 35, par le commandant de la 5e Unité des services de génie, à la BFC Gagetown (pièce 2, onglet 16). Pour ce motif, la cessation d’emploi du fonctionnaire était clairement un acte volontaire, envisagé en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, sur lequel je n’ai pas compétence (voir Mutart, à la Commission et à la CF). La formule que le fonctionnaire a signée comprenait un espace pour formuler des commentaires, et le fonctionnaire aurait pu y exprimer ses sentiments ou indiquer que sa démission n’était pas volontaire, mais il n’a rien indiqué dans cet espace. Au vu du document, il s’agissait d’un acte volontaire à l’égard duquel je n’ai pas compétence.

[65]   De plus, le fonctionnaire doit s’en tenir au grief qu’il a déposé, sinon, il irait à l’encontre des principes énoncés dans Burchill. Il ne pouvait pas renvoyer à l’arbitrage un autre grief que celui qu’il a déposé au premier palier. En l’espèce, le grief portait uniquement sur les conclusions de l’enquête sur la plainte de harcèlement présentées dans le rapport Charron. En guise de réparation, il était demandé que tous les documents se rapportant à l’enquête soient examinés par une équipe indépendante qualifiée en matière d’enquête sur le harcèlement, non affiliée à l’employeur.

[66]  Si le fonctionnaire avait le sentiment que le traitement dont il avait fait l’objet dans le cadre du réaménagement des effectifs, des changements apportés à la structure interne de l’armée et des modifications au niveau de la délégation des pouvoirs revêtait beaucoup d’importance pour son emploi, il lui était possible de déposer des griefs portant sur chacune de ces mesures, ou sur leur ensemble. Il ne lui était pas loisible de tenter d’élargir la portée du grief qui avait été déposé afin d’y ajouter toutes les questions visées sous les termes généraux [traduction] « […] les conclusions du […] rapport […] de harcèlement », comme l’ont fait valoir ses avocats, alors qu’aucun lien évident n’avait été établi, sur le fondement d’une preuve claire, solide et convaincante, entre ce qui était contesté et ce qui aurait résulté de ce qui était contesté.

[67]  Le fonctionnaire n’a pas établi l’existence d’un lien entre l’une ou l’autre de ces allégations générales et le fait qu’il s’agissait des conséquences du rapport Charron. À vrai dire, il aurait pu s’agir des conséquences de la réorganisation en cours ou de son comportement au travail, tel que décrit par le maj MacLeod, ou encore de son antipathie envers M. McLaughlin. La preuve a démontré que le fonctionnaire et d’autres employés ont été touchés par le réaménagement des effectifs et une réorganisation de la structure de l’armée, qui ont eu des répercussions sur la délégation des pouvoirs. Le fonctionnaire n’a pas établi qu’il avait été la cible des changements organisationnels.  

[68]  De toute évidence, il a été établi que le fonctionnaire était très difficile à gérer. À mon avis, il était évident à l’audience, d’après ses actes et son témoignage, qu’il avait une prédisposition aux conflits en milieu de travail et qu’il les a recherchés. Il y a eu beaucoup de ce que j’appellerais du « bruit » autour de son emploi, qui n’était pas lié à la plainte de harcèlement, et qui aurait pu faire l’objet d’autres griefs plus adéquatement, mais cela ne peut pas être tranché sous le prétexte du grief qui a été déposé et renvoyé à l’arbitrage et dont je suis saisie.

[69]  L’affaire liée au congédiement déguisé allégué du fonctionnaire n’a pas été portée de manière appropriée devant la Commission en vertu de l’al. 209(1)b) de la Loi. Nulle part dans le libellé du grief il n’est question d’une mesure disciplinaire, déguisée ou autre. Il n’est pas fait mention d’un congédiement déguisé ou de quelque congédiement que ce soit. En réalité, selon le témoignage du fonctionnaire, il était clair que celui‑ci a démissionné volontairement et n’a jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire. S’il souhaitait se prévaloir d’un grief prétendant qu’il avait été congédié de façon déguisée par suite du réaménagement des effectifs, ce grief aurait dû être renvoyé en vertu de l’al. 209(1)a) de la Loi, au moyen de la formule 20, et le fonctionnaire était tenu d’obtenir l’autorisation de l’agent négociateur pour le présenter. (L’Appendice I – Réaménagement des effectifs – de la convention collective du groupe Services de l’exploitation entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada, qui venait à expiration le 4 août 2014 (la « convention collective »), prévoyait explicitement que cela faisait partie de la convention collective (pièce 39).)

[70]  Même si j’ai tort en ce qui concerne les questions de compétence, le grief est théorique. Le fonctionnaire a demandé qu’une plainte de harcèlement déposée contre lui soit rejetée, ce qui a été le cas. L’employeur a décidé qu’il n’entreprendrait pas une autre enquête sur les allégations visant le fonctionnaire, puisqu’au moment où le grief a été entendu, il n’était plus son employé. Je remets en question le pouvoir de l’employeur d’enquêter en pareil cas, et je me demande quelle aurait été l’issue de l’affaire si le fonctionnaire avait été de nouveau reconnu coupable de harcèlement. L’employeur n’aurait pas pu exercer une mesure disciplinaire contre lui. À quoi aurait servi une deuxième enquête? Elle aurait coûté cher, demandé beaucoup de temps, et n’aurait pas constitué une bonne utilisation du temps ou des ressources gouvernementales.

[71]  Les parties m’ont présenté de nombreuses affaires à l’appui de leur argumentation. Bien que j’aie lu chacune d’elles, j’ai fait renvoi uniquement à celles qui revêtaient une importance prépondérante.

[72]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI.   Ordonnance

[73]  Le grief est rejeté.

Le 3 mars 2020.

Traduction de la CRTESPF

 

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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