Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a allégué une discrimination fondée sur la situation familiale (obligations en matière de garde d’enfants) lorsque l’employeur a reporté l’approbation de sa mutation de son lieu de travail, le port d’entrée à Coutts, en Alberta, à son lieu de travail voulu, soit l’Aéroport international d’Edmonton, en Alberta, afin qu’elle puisse élever sa fille dans un endroit plus près de sa famille élargie – entre autres, la fonctionnaire s’estimant lésée devait établir que ses obligations familiales comportaient des obligations légales (plutôt qu’un choix personnel) et qu’elle avait déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ces obligations en explorant des solutions de rechange raisonnables qui se sont avérées ne pas être raisonnablement réalisables – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas établi une preuve prima facie de discrimination – elle a déménagé à Edmonton avant la naissance de sa fille en vue de ne jamais retourner à Coutts – elle n’a jamais envisagé sérieusement les options de garde d’enfants à Coutts et avait imposé des restrictions inhabituelles quant à savoir si elles étaient convenables – l’employeur lui a également offert une mesure d’adaptation raisonnable en proposant une modification à des quarts de jour à temps plein aussi longtemps qu’elle devait recourir aux services de garde d’enfants – il n’y avait aucune preuve concrète qu’elle n’était pas en mesure de s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants tout en continuant à travailler à Coutts et qu’un service de garde d’enfants ou tout autre arrangement disponible qui répondait à ses besoins de travail ne lui était pas raisonnablement accessible – la décision d’élever son enfant à Edmonton et non à Coutts découlait du choix de la fonctionnaire s’estimant lésée et non d’une obligation légale – elle n’avait pas le droit de demander une mutation au motif qu’il s’agissait de l’endroit où elle préférait vivre.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1]  Angela Bzdel, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a allégué que son employeur, l’Agence des services frontaliers du Canada, avait omis de prendre des mesures d’adaptation à son égard et qu’il avait fait preuve de discrimination fondée sur sa situation familiale, contrevenant à l’article 19 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services frontaliers (tous les employés), qui est venue à échéance le 20 juin 2014 (la « convention collective »). À son avis, l’employeur a fait preuve de discrimination à son égard lorsqu’il a reporté l’approbation de sa mutation de son lieu de travail au port d’entrée à Coutts, en Alberta, à son lieu de travail voulu, soit l’Aéroport international d’Edmonton (AIE) à Edmonton, en Alberta, afin qu’elle puisse élever sa fille dans un endroit plus près de sa famille élargie.

II.  Résumé de la preuve

[2]  La fonctionnaire a commencé à travailler pour l’employeur en 2008 et a été affectée au port d’entrée de Coutts. En 2012, alors qu’elle était enceinte, elle a présenté une demande de mutation en vertu de la Politique sur la mutation de l’employeur. Elle a demandé une mutation à l’AIE en raison du changement imminent à sa situation personnelle. Elle était sur le point de devenir une mère seule et prévoyait n’obtenir aucune aide du père de l’enfant. Elle n’avait aucun système de soutien dans la région de Coutts, où elle vivait. Elle avait l’intention de se réinstaller à Edmonton et élever son enfant dans cette région, où se trouvaient ses parents et le reste de sa famille.

[3]  La fonctionnaire a pris congé à la fin de 2012 et s’est réinstallée à Edmonton, où elle a passé son congé de maternité, y a établi son enfant et a été en mesure de trouver une garderie convenable. Pendant qu’elle était en congé de maternité, elle a de nouveau présenté une demande de mutation à l’AIE en vertu de la Politique sur la mutation qui, selon son témoignage, a été refusée de nouveau.

[4]  À la suite de son congé de maternité, la fonctionnaire a pris un congé parental pour le soin et l’éducation d’un enfant jusqu’en janvier 2015, qui était entièrement sans solde. Afin d’être mutée à l’AIE, elle devait suivre avec succès le cours de formation sur les armes à feu de service (CFAFS). En janvier 2015, elle ne l’avait pas encore suivi. Une partie de ce cours a été suivie dans un bureau ou dans une salle de classe, que l’employeur lui a autorisé de suivre à Edmonton, en attendant qu’un cours de formation soit offert plus tard au printemps.

[5]  Au moyen d’une lettre datée du 18 décembre 2012, la fonctionnaire a été informée que, dès son retour de  congé de maternité, elle devait retourner à son poste d’attache à Coutts. Elle a également été informée que sa demande de mutation était valide pendant un an et que si elle demandait des mesures d’adaptation, elle devait les demander en vertu des dispositions de la Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur.

[6]  Elle n’a pas présenté une demande de mesures d’adaptation en vertu de cette politique, mais, entre‑temps, elle a renouvelé sa demande de mutation. Le 23 mars 2015, la fonctionnaire a envoyé un courriel à Marlene St. Onge, qui était la chef des opérations par intérim à Coutts, en vue de demander une mesure d’adaptation fondée sur la situation familiale. La demande de mesures d’adaptation consistait en une mutation à l’AIE parce que, selon la fonctionnaire, elle aurait accès là-bas au soutien médical et familial dont elle avait besoin. Elle était une mère seule et n’était pas en mesure de trouver une garderie agréée et accréditée convenable dans la région de Coutts. Elle n’avait pas non plus de ressources pour l’aider à élever son enfant.

[7]  Mme St. Onge a répondu à la demande de la fonctionnaire en la renvoyant à la Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation et en lui fournissant les formulaires nécessaires. Elle a demandé à la fonctionnaire de remplir les formulaires et de lui les retourner. La fonctionnaire a retourné à Mme St. Onge le formulaire de demande de mesures d’adaptation, le formulaire de renseignements sur la situation familiale et 16 pages de documents justificatifs dans un courriel de renvoi daté du 14 avril 2015. Mme St. Onge les a acheminés à la coordonnatrice des mesures d’adaptation du Ministère, mais elle avait besoin de renseignements supplémentaires. Elle souhaitait que la fonctionnaire clarifie le rôle, le cas échéant, qu’assumerait le père de l’enfant et savoir si la fonctionnaire avait envisagé des garderies en milieu familial et des gardiennes ou seulement des garderies autorisées.

[8]  Selon la fonctionnaire, l’employeur était tout à fait au courant de sa situation et des exigences qui devaient être en place afin qu’elle puisse travailler et élever son enfant. La fonctionnaire a eu plusieurs conversations avec Mme St. Onge au sujet des mesures qui pourraient être prises afin de veiller à ce qu’elle bénéficie du soutien nécessaire. Elles ont discuté souvent de ce que l’employeur pouvait faire et de la façon dont il pouvait harmoniser ses exigences et ses besoins relatifs à la garderie et au fait d’élever son enfant. L’employeur était disposé à modifier ses heures de travail afin qu’elle travaille un quart régulier du lundi au vendredi et faire en sorte que sa rotation de quart ne comprendrait pas une inspection secondaire où elle serait le plus susceptible de rester au‑delà de son quart si elle découvrait quelque chose pendant la fouille d’un voyageur.

[9]  La fonctionnaire n’était pas disposée à envisager ces options. Elle a cherché une garderie dans les environs, y compris jusqu’à Lethbridge. Les garderies n’offraient aucune protection d’urgence dans l’éventualité où elle serait prise au travail et ne pourrait pas se rendre à la garderie avant sa fermeture. Elle a témoigné que les garderies avec lesquelles elle a communiqué imposaient des sanctions de 10 $ par minute, un montant qu’elle ne pouvait pas se permettre. Elle était également au courant que les garderies sont tenues de le signaler si un enfant reste après les heures trop souvent. Si elle demeurait à Coutts, elle prévoyait que son enfant serait à la garderie plus longtemps que ce qui est recommandé, soit 9,5 heures par jour. Elle a trouvé ce chiffre dans Internet. Toutefois, selon son témoignage, elle ne connaissait pas la source ni la justification derrière ce chiffre.

[10]  Les suggestions de l’employeur quant à la façon de modifier ses conditions de travail ne tenaient pas compte du fait qu’elle devrait travailler un quart de 10 heures dans un lieu imprévisible, qu’il n’y avait aucune garderie à Coutts et qu’elle n’avait aucun autre système de soutien autre qu’une garderie, car elle n’avait pas les moyens de se permettre une gardienne ou une bonne d’enfants et qu’il n’y avait aucune garderie de nuit pour ses quarts de nuit.

[11]  En février 2015, la fonctionnaire a suivi le CFAFS. La veille du dernier jour de formation, elle s’est blessée; en conséquence, elle n’a pas été en mesure de terminer le cours. Elle a été en congé pour accident de travail jusqu’en juin 2015, date à laquelle elle a été autorisée à retourner au travail pour y remplir des fonctions sédentaires et légères à Coutts. Elle a interjeté appel de la décision et a réussi à retarder son retour au travail jusqu’en juillet 2015, date à laquelle elle a été autorisée à assister au prochain CFAFS. Grâce à ce cours et en raison de sa demande de mutation, elle a obtenu un poste à l’AIE.

[12]  Selon le témoignage de la fonctionnaire, elle a cherché avec diligence des possibilités de mutation. Elle s’est conformée à toutes les demandes de l’employeur en lui fournissant les renseignements demandés relatifs à sa demande de mesures d’adaptation. Elle lui a fourni les renseignements sur sa recherche de garderie dans la région de Coutts. Sa recherche était, pour reprendre les mots de la fonctionnaire, [traduction] « massive ». Les paramètres comprenaient le fait que la garderie devait avoir une place pour un enfant de deux ans, être accréditée et autorisée et lui offrir l’admissibilité à une subvention provinciale pour garde d’enfants.

[13]  Malgré tous les renseignements que la fonctionnaire a fournis, elle a conclu que l’employeur n’était pas disposé à prendre des mesures d’adaptation à son égard. Elle a reçu un résumé des interactions et des renseignements qu’elle a fournis à Mme St. Onge par courriel, ainsi que la décision de l’employeur selon laquelle elle devait retourner à son lieu de travail qui lui a été affecté à Coutts une fois que le responsable de la commission des accidents du travail l’autoriserait à retourner au travail (pièce 2, onglet 8). Selon la fonctionnaire, il  était évident que l’employeur la comparait à ses collègues qui avaient également des enfants. Cependant,  elle a insisté sur le fait qu’elle n’était pas comme eux puisqu’elle était une mère seule. Elle a reconnu qu’une mesure d’adaptation temporaire lui avait été offerte, mais que ses obligations parentales n’étaient pas temporaires.

[14]  La fonctionnaire a refusé l’offre de travailler 7,5 heures par jour, du lundi au vendredi. Elle s’était réinstallée à Edmonton à ce moment‑là et y avait établi son domicile. Sa fille y était à la garderie. Il était déraisonnable pour l’employeur de s’attendre à ce qu’elle se déplace d’Edmonton à Coutts chaque semaine. Il était également déraisonnable que l’employeur s’attende à ce qu’elle se réinstalle d’Edmonton à Coutts. Elle n’avait aucun système de soutien à Coutts et aucune garderie n’était disponible. À ce moment‑là, la fonctionnaire vivait à Edmonton depuis trois ans et elle n’était pas disposée à retourner à Coutts, même si son poste y était situé. Elle savait au moment de déménager à Edmonton que son poste était toujours à Coutts, mais elle avait espéré être mutée à l’AIE avant de devoir retourner au travail.

[15]  En contre‑interrogatoire, le représentant de l’employeur a consacré beaucoup de temps à interroger la fonctionnaire au sujet de ses connaissances de la Directive sur l’aide au transport quotidien du Conseil national mixte, qui reconnaît que, pour les employés affectés à un poste à Coutts pour l’employeur, les agents négociateurs et l’employeur avaient convenu qu’il serait raisonnable qu’ils se déplacent à Lethbridge depuis Coutts aux fins de garde d’enfants. Étant donné que la fonctionnaire vivait à Coutts et non à Lethbridge, elle aurait dû se rendre à Lethbridge et retourner à Coutts avant et après chaque quart.

[16]  Selon la fonctionnaire, elle a fait preuve d’une grande diligence dans sa recherche de garderie. Elle a cherché à Coutts et dans les communautés voisines des deux côtés de la frontière entre le Canada et les États‑Unis. Bien que des options aient pu être offertes, les garderies n’étaient pas autorisées, accréditées ou qualifiées. Si elle avait accepté la proposition de l’employeur d’une garderie à Lethbridge, elle aurait dû se déplacer jusqu’à six heures par jour dans tous les types de conditions météorologiques, ce qui n’était pas du tout raisonnable. Elle a témoigné que si elle avait été mutée à l’AIE, elle aurait été en mesure de travailler des quarts complets prévus en raison du soutien de sa famille.

[17]  La fonctionnaire a admis que, lorsqu’elle a effectué sa recherche de garderies, elle n’avait pas encore accouché. Elle n’a pas inscrit son nom sur les listes d’attente des garderies dans sa région parce qu’elles exigeaient un dépôt. Les places vacantes dans les garderies surviennent de façon aléatoire et elle n’avait aucun moyen de connaître l’état des places vacantes d’un mois à l’autre, à moins qu’elle vérifie chaque mois, ce qu’elle n’a pas fait. Elle n’était pas en mesure d’envisager des gardiennes puisque sa subvention pour garde d’enfants ne s’appliquait qu’aux garderies en milieu familial et aux garderies. Elle avait ce dont elle avait besoin à Edmonton; elle y avait besoin d’un emploi.

[18]  Mme St. Onge a témoigné que, pendant qu’elle était la chef des opérations par intérim au port d’entrée de Coutts, elle a travaillé avec la fonctionnaire concernant sa demande de mesures d’adaptation, son congé pour accident du travail et son retour au travail à Coutts. Comme la fonctionnaire en a témoigné, Mme St. Onge avait été en mesure de lui obtenir une place au CFAFS en février 2015. La fonctionnaire avait été en mesure de suivre la formation requise en ligne à Edmonton plutôt que de retourner à Coutts.

[19]  Durant le CFAFS, la fonctionnaire s’est blessée et a dû se retirer pour des raisons médicales. Elle a touché une indemnité d’accident du travail pour le temps perdu jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de retourner au travail, qui était prévu à l’origine en juin 2015, mais a été retardé jusqu’en juillet 2015.

[20]  Le 23 mars 2015, la fonctionnaire a envoyé un courriel à Mme St. Onge lui demandant une mesure d’adaptation fondée sur sa situation familiale sous la forme d’une mutation à l’AIE. Elle a déclaré dans sa demande qu’il n’y avait aucune garderie autorisée ou accréditée à Coutts ou dans les environs. Elle a également déclaré qu’elle avait activement cherché à obtenir une mutation à l’AIE depuis trois ans (depuis 2012). En réponse, Mme St. Onge a décrit le processus pour demander et obtenir une mesure d’adaptation en milieu de travail et a envoyé les formulaires appropriés à la fonctionnaire afin qu’elle les remplisse. Mme St. Onge lui a également indiqué que les mesures d’adaptation étaient fondées sur la nécessité et non sur une préférence personnelle.

[21]  Il s’agissait de la première fois que la fonctionnaire mentionnait la nécessité d’une mesure d’adaptation fondée sur sa situation familiale. Le 14 avril 2015, elle a retourné la feuille d’information sur sa situation familiale dûment remplie, avec 16 pages de documents à l’appui, que Mme St. Onge a ensuite acheminés à la coordonnatrice des mesures d’adaptation du Ministère. Quelques questions ont été posées à la fonctionnaire au sujet des garderies, des garderies en milieu familial et des gardiennes qu’elle avait envisagées, puisque Mme St. Onge savait qu’il existait nombreuses options dans la région du sud de l’Alberta voisine de Coutts et dans les environs de Milk River, de Warner, de McGrath, de Raymond et de Lethbridge.

[22]  Milk River se trouve à 10 ou 15 minutes de route de Coutts, Warner à 20 minutes de route, New Drayton à 30 minutes de route  et McGrath et Raymond à 45 minutes de route. Dans toutes ces régions, y compris Lethbridge et ses environs, il existait des garderies convenables qui avaient des places pour une enfant de deux ans. Malgré ce fait, la fonctionnaire a continué de dire à l’employeur qu’il n’existait aucune garderie autorisée et accréditée convenable dans la région de Coutts qui répondait à ses besoins.

[23]  Après avoir examiné la demande de mesures d’adaptation de la fonctionnaire, la coordonnatrice des demandes de mesures d’adaptation a demandé des précisions quant à l’ampleur de la recherche de garderies de la fonctionnaire. La fonctionnaire a répondu le 27 avril 2015, en indiquant qu’elle avait envisagé des garderies en milieu familial et des gardiennes, mais que leurs qualifications,, licence et accréditation lui posaient un problème. Elle n’a pas indiqué à l’employeur celles qu’elle a envisagées ni leur emplacement ni les ressources qu’elle a utilisées pour effectuer sa recherche, mais selon Mme St. Onge, la recherche se limitait au village de Coutts.

[24]  L’employeur a demandé à la fonctionnaire d’expliquer davantage sa réponse; il a déclaré que bon nombre d’employés avaient réussi à trouver une garderie appropriée dans la région de Coutts. Elle a répondu [traduction] « Je ne suis pas bon nombre d’employés […] » Elle n’a pas répondu aux questions de l’employeur et, à la suite d’un examen approfondi des renseignements disponibles et des formulaires qu’elle a fournis, Mme St. Onge a conclu que la fonctionnaire n’avait pas déployé tous les efforts diligents pour trouver une garderie dans la région de Coutts.

[25]  Mme St. Onge a proposé un autre horaire à Coutts, qui aurait permis de répondre aux besoins de garde d’enfants de la fonctionnaire jusqu’à ce que sa situation familiale change ou jusqu’à ce qu’elle n’ait plus besoin de garderie. Le nombre d’heures travaillées serait fondé sur ce dont elle avait besoin pour répondre à ses besoins de garde d’enfants et s’échelonnerait du lundi au vendredi, pendant le jour. Mme St. Onge a également laissé la porte ouverte au fait d’accepter d’autres renseignements à l’appui de la demande de la fonctionnaire si elle était disposée à les fournir. Une mesure d’adaptation temporaire proposée sous forme d’un quart de jour de huit heures du lundi au vendredi (pièce 2, onglet 6) a été présenté à la fonctionnaire. Les heures supplémentaires n’étaient pas obligatoires; elles étaient facultatives pour les agents. La fonctionnaire a jugé cette mesure d’adaptation inacceptable; elle ne s’intéressait qu’à une mutation à l’AIE.

[26]  Une fois que la fonctionnaire a été autorisée à retourner au travail à la suite de son accident de travail, la demande de mesures d’adaptation était, selon elle, toujours en suspens. L’employeur lui avait offert différentes options relatives à son horaire de travail à Coutts, mais elle a insisté  à être autorisée à aller en congé non payé pour des raisons familiales pendant qu’elle interjetait appel concernant sa demande d’indemnité pour accident de travail. Elle a obtenu gain de cause et son retour au travail à Coutts a été retardé jusqu’en juillet 2015.

[27]  En fin de compte, le retour au travail de la fonctionnaire a été approuvé à temps afin qu’elle puisse suivre le prochain CFAFS, qui a été offert en juillet 2015. Après avoir suivi le cours, elle répondait aux conditions d’emploi d’un poste à l’AIE. Sa mutation a ensuite été approuvée et, en conséquence, elle n’est jamais retournée travailler à Coutts.

[28]  Steven Singer a également témoigné pour l’employeur. Il est actuellement le chef des opérations et réside dans le village de Coutts. Il y réside depuis 2009, date à laquelle il est devenu le surintendant au port d’entrée. Il a expliqué la différence entre les processus de mutation et de mesures d’adaptation. Le processus de mutation est amorcé par un employé qui cherche volontairement un changement de lieu de travail. Le lieu de résidence ne mute pas l’employé à un nouvel endroit. Le nouvel endroit appelle l’employé et l’amène à cet endroit. Le nouvel endroit n’est pas tenu de doter ses postes vacants à l’aide du processus de mutation, mais s’il choisit de le faire, la sélection d’un candidat retenu est habituellement fondée sur le caractère de la bonne personne pour l’endroit, en fonction des compétences. Le groupe de gestion de l’endroit détermine ses besoins en dotation et consulte la liste de mutation pour trouver une personne qui a exprimé un intérêt relatif à l’endroit et qui répond à ses besoins.

[29]  Le processus de mesures d’adaptation, quant à lui, est amorcé lorsqu’un employé informe l’employeur qu’il est confronté à des obstacles dans le cadre de ses conditions de travail fondés sur l’un des motifs énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. 1985, ch. H‑6; LCDP), qui, malgré des efforts raisonnables, ne peuvent être surmontés pour répondre aux besoins de l’employé. Il existe une différence entre les besoins et les souhaits. Le processus de mesures d’adaptation répond aux besoins et non aux souhaits. Les obligations de l’employeur dans le cadre de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation sont distinctes de celles du processus de mutation.

[30]  En tant que résident du village de Coutts, M. Singer a dû trouver une garderie. Selon son témoignage, dans un village comptant environ 300 habitants, la disponibilité est limitée, mais elle existe. Au sein du village, les services de garderie sont principalement disponibles dans des maisons privées. À l’extérieur de Coutts, mais à proximité du village, il y a des garderies en milieu familial à Milk River et il y a un service de garde ainsi que des garderies en milieu familial à Warner. Des gardiennes privées sont également disponibles. Les gens le font savoir lorsqu’ils sont disponibles. Des possibilités de garde d’enfant peuvent être trouvées grâce au bouche à oreille, par l’intermédiaire d’amis, de collègues, d’autres parents, d’autres aidants, d’annonces locales affichées, d’annonces électroniques, entre autres. La recherche d’une garderie exige un effort soutenu et il faut s’y adapter. Parfois, les parents collaborent pour remédier aux lacunes et élaborer des plans d’urgence.

[31]  Les responsables des services de garde d’enfants dans la région de Coutts appuient fortement les travailleurs de quarts. Les gens dans la collectivité comprennent que des événements peuvent survenir à la frontière qui exigeraient que les travailleurs restent au‑delà de la fin de leur quart. On s’attend à ce que les parents informent les responsables des services de garde d’enfants s’ils seront en retard. M. Singer a témoigné qu’il a dû parfois prendre des dispositions afin que quelqu’un récupère son enfant lorsqu’il ne pouvait pas quitter le travail à temps.

[32]  Selon le témoignage de M. Singer, la représentante syndicale de la fonctionnaire (cette dernière n’a pas assisté à la réunion), à l’audience du grief au premier palier,  qu’elle considérait seulement les membres de la famille et les garderies autorisées et accréditées comme convenables pour répondre à ses besoins de garde d’enfants. Elle estimait que ni les garderies en milieu familial ni aucune autre option en matière de garde d’enfants n’étaient convenables. Elle ne considérait pas non plus que vivre à Lethbridge et se rendre à Coutts était une option viable, même si ses quarts avaient été modifiés pour des quarts de jour seulement. Selon elle, la seule option acceptable était une mutation à l’AIE. À la question de savoir quand elle a effectué sa dernière recherche de garderies à Coutts, elle a répondu, par l’entremise de sa représentante syndicale, qu’elle avait cherché en mai 2015.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[33]  La Commission doit déterminer si l’employeur a contrevenu à l’article 19 de la convention collective lorsqu’il a retardé la mutation de la fonctionnaire au lieu de travail à l’AIE et si le retard était raisonnable.

[34]  En août 2012, la fonctionnaire a demandé à être mutée à l’AIE. Elle était enceinte à l’époque et était sur le point de devenir une mère seule. Elle avait l’intention de se réinstaller dans la région d’Edmonton pour élever son enfant parmi sa famille élargie. En novembre 2012, elle a pris un congé de maladie et a déménagé à Edmonton, où elle a finalement accouché. Elle y est demeurée pendant tout son congé de maternité, son congé parental et son congé pour le soin et l’éducation d’un enfant. Pendant cette période, elle a renouvelé ses demandes de mutation, puisque chacune d’elles n’était valide que pour un an.

[35]  En janvier 2015, après l’expiration de tous les congés de la fonctionnaire et le fait que sa demande de mutation n’avait pas été acceptée, sa seule option était de retourner à Coutts. Avant son retour, elle a obtenu une affectation à Edmonton qui lui a permis de terminer la partie en ligne du CFAFS, qu’elle devait terminer avant qu’elle ne puisse terminer la formation pratique. L’achèvement du cours constituait une condition d’emploi à l’AIE. Elle a commencé le CFAFS en février 2015, mais n’a pas été en mesure de le terminer en raison d’un accident du travail; elle est restée en congé jusqu’en juin 2015 en raison de cet accident.

[36]  Entre‑temps, le 14 avril 2015, la fonctionnaire a présenté à Mme St. Onge une demande de mesures d’adaptation fondée sur la situation familiale. Lorsqu’elle a été autorisée à retourner au travail le 1er juin 2015, elle n’était toujours pas en mesure de retourner à Coutts en raison de sa situation de garde d’enfant. Elle n’a trouvé aucune garderie convenable à Coutts ni dans l’une des collectivités à proximité. La garderie la plus proche était à Lethbridge,  à une heure de route de Coutts. Avec son horaire régulier de travail, cela aurait signifié que son enfant aurait été à la garderie 12 heures par jour, sous réserve de toute circonstance imprévue.

[37]  L’employeur a proposé une mesure d’adaptation temporaire consistant à modifier l’horaire de la fonctionnaire en un quart de jour régulier de 7,5 heures, ce qui aurait quand même exigé que son enfant soit à la garderie 10 heures par jour, soit davantage que les 9,5 heures par jour recommandées. Quoi qu’il en soit, elle ne pouvait pas trouver une garderie dans la région de Coutts.

[38]  La fonctionnaire n’est pas retournée au travail en juin 2015 puisque sa demande d’indemnisation pour accident du travail a été prolongée jusqu’en juillet, ce qui coïncidait avec le début du prochain CFAFS. Elle l’a suivi, l’a terminé et a été mutée à l’AIE. Le délai entre sa première demande de mutation en août 2012 et la date de sa mutation en 2015 était déraisonnable et constitue une preuve prima facie de discrimination. Même si elle s’est prévalue du processus de mutation pour réaliser son objectif, l’employeur savait qu’elle demandait une mesure d’adaptation fondée sur la situation familiale.

[39]  Le critère permettant de déterminer si une preuve prima facie de discrimination a été établie est énoncé dans Johnstone c. l’Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TCDP 20, que la Commission a adopté dans Havard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 36. La fonctionnaire a établi les trois critères énoncés dans ces décisions, à savoir : elle avait un enfant à sa charge, son obligation en matière de garde d’enfants comportait des obligations légales envers cet enfant et ne résultait pas simplement d’un choix personnel, et elle a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables.

[40]  La preuve démontre qu’elle a tenté de trouver une garderie. Elle a cherché dans la collectivité et n’en a trouvé aucune à Coutts ni à Lethbridge qui était convenable. Toute garderie disponible aurait signifié que son enfant aurait été à la garderie 10 heures par jour, alors que la période maximale qu’un enfant devrait passer à la garderie est de 9,5 heures. Les options de garde d’enfants disponibles n’auraient pas permis de répondre à ses besoins en cas d’urgence ou lorsqu’elle devait travailler plus tard. L’employeur a soutenu qu’il existait d’autres options dans la région de Coutts, mais il n’a communiqué avec aucun des responsables des services de garde afin de déterminer s’il y avait des places disponibles. Il ne lui a pas non plus trouvé une garderie qui répondait à ses besoins.

[41]  M. Singer a décrit son expérience  de recherche de garderie. Il a témoigné que les services de garde d’enfants sont limités dans la région de Coutts et qu’ils correspondent à des garderies en milieu familial qui sont principalement complétées par d’autres services, comme des gardiennes ou des bonnes d’enfants. La fonctionnaire a témoigné qu’elle n’avait pas les moyens de se permettre une bonne d’enfants. Même si elle avait pu trouver une garderie, son problème relatif à l’absence d’un soutien familial dans la région de Coutts n’aurait pas été réglé.

[42]  L’employeur doit évaluer chaque cas de manière individuelle, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce. La fonctionnaire était confrontée à une réalité différente en tant que mère seule, ce qui a été aggravé par le fait qu’elle n’avait aucun réseau de soutien externe. Le fait de devoir tenir compte des quarts en rotation a aggravé sa recherche de garderies. La mesure d’adaptation temporaire proposée a donné lieu au même problème en raison de l’absence d’un soutien familial et des heures de transport. Si son appel concernant ses indemnités pour accident du travail avait été rejetée, elle aurait été obligée de se déplacer entre Edmonton et Coutts chaque semaine, ce qui aurait eu une incidence négative sur ses obligations parentales. Le fait que l’employeur s’attendait à ce qu’elle retourne à Coutts en juillet 2015, après la présentation de sa demande en avril 2015, démontre clairement qu’il n’a pas tenu compte de sa demande de mesures d’adaptation.

[43]  Les griefs devraient être accueillis et des dommages en vertu des motifs énoncés par la Commission canadienne des droits de la personne devraient être accordés rétroactivement à la première demande de la fonctionnaire présentée en août 2012.

B.  Pour l’employeur

[44]  La fonctionnaire a insisté sur le fait que ses griefs étaient fondés sur sa demande de mutation en août 2012. Ce n’est pas exact. Elle n’a pas demandé de mesures d’adaptation avant avril 2015. La Commission n’a pas compétence pour traiter une mutation avec consentement, ce qui aurait été le cas de la mutation en l’espèce, puisqu’elle avait lancé le processus. M. Singer a expliqué que les processus relatifs à une demande de mutation et une demande de mesures d’adaptation sont distincts; cela est évident. Cette distinction a été expliquée à la fonctionnaire en 2012, lorsqu’elle a présenté sa demande de mutation. On lui a dit ce qu’elle devait faire et comment le faire, mais elle n’a rien fait avant avril 2015.

[45]  L’employeur ne peut être tenu responsable d’une omission de prendre des mesures d’adaptation avant qu’une demande de mesures d’adaptation ne soit présentée. La fonctionnaire a déposé son grief le 1er juin 2015. Elle a allégué qu’elle avait été victime de discrimination à compter de 2012. Dans le cas d’un grief continu, l’omission d’agir à la première occasion ne rend pas le grief non admissible à l’arbitrage, mais elle limite l’octroi de dommages (voir Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290).

[46]  La fonctionnaire n’a pas établi une preuve prima facie. À titre de parent, elle était tenue de prendre soin de son enfant. La façon dont elle s’acquittait de cette obligation relevait de son choix. Des options lui ont été présentées et quelques‑unes étaient disponibles dans la région de Coutts, où se trouvait son poste. Comme dans Board of Education of Regina School Division No. 4 of Saskatchewan v. Canadian Union of Public Employees, Local 3766, 2018 CanLII 122658 (« Regina School Division »), dans laquelle la fonctionnaire a choisi le type de garderie qu’elle privilégiait pour son enfant, la preuve a établi une préférence et non les options raisonnables qui étaient disponibles dans la région où se trouvait le poste de la fonctionnaire.

[47]  La fonctionnaire aurait pu s’acquitter de ses responsabilités en matière de garde d’enfants pendant qu’elle travaillait à Coutts grâce aux ressources disponibles dans la région et aux modifications proposées par l’employeur à son horaire. Le problème était qu’elle n’était pas disposée à envisager le fait qu’on pouvait répondre à ses besoins n’importe où, ou de toute autre façon que celle qu’elle prévoyait en déménageant à Edmonton.

[48]  Aucun élément de preuve n’a établi la raison pour laquelle Edmonton était le seul endroit où les besoins de l’enfant pourraient être comblés et pourquoi la responsabilité légale de la fonctionnaire de prendre soin de son enfant pendant qu’elle travaillait ne pouvait être acquittée ailleurs qu’à Edmonton. Elle souhaitait avoir le soutien émotionnel de sa famille, ce qui constitue un choix personnel, et non une responsabilité légale. En conséquence, elle ne répondait pas au troisième facteur du critère énoncé dans Johnstone. Elle n’a pas épuisé ou étudié raisonnablement les options à Coutts ou dans les régions à proximité. Elle a maintenu solidement sa demande de mutation à l’AIE.

[49]  Selon la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110, au par. 88 (« Johnstone (CAF) »), une obligation relative à la garde d’enfants fait en sorte qu’un employé n’est pas en mesure de s’acquitter de ses obligations professionnelles si aucune autre solution de rechange raisonnable n’est disponible pour l’employé : « Ce n’est que lorsque l’employé a cherché sans succès une solution de rechange raisonnable pour s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants et qu’il demeure incapable de remplir ses obligations parentales qu’une preuve de discrimination est établie de prime abord. » Des solutions de rechange raisonnables en matière de garde d’enfants devraient être interprétées de manière générale et pourraient bien être autre chose que l’option privilégiée par un fonctionnaire s’estimant lésé.

[50]  Le fardeau ne consiste pas à épuiser toutes les solutions de rechange, mais à épuiser toutes celles qui sont raisonnables et accessibles, ce que la fonctionnaire n’a pas fait. Ses efforts étaient minimes, étroits, réactionnaires et limités. La diligence dont elle a fait preuve dans le cadre de ses demandes de mutation n’a pas été démontrée dans sa recherche d’options en matière de garde d’enfants. Si elle avait fait preuve de diligence, elle aurait trouvé une garderie à Coutts ou dans les collectivités voisines.

[51]  Elle a appliqué des critères très étroits pour limiter sa recherche, ce qui était déraisonnable et contrevenait aux principes énoncés dans Johnstone, selon lesquels elle doit épuiser toutes les solutions de rechange raisonnables. L’employeur n’a aucune idée, la Commission non plus, de la façon dont elle a effectué sa recherche, des ressources qu’elle a utilisées ni des demandes de renseignements qu’elle a présentées et la fréquence de ces dernières. Il y a une liste de garderies avec qui elle soutient avoir communiqué, mais rien n’indique qu’elle a réellement eu une conversation avec qui que ce soit dans ces garderies. Lorsque Mme St. Onge l’a interrogée au sujet de ses communications avec les garderies et les garderies en milieu familial, la fonctionnaire était sur la défensive et très réticente à répondre. Elle n’a fourni aucune preuve des listes d’attente ou des frais administratifs.

[52]  La fonctionnaire a soutenu que les gardiennes et les bonnes d’enfants sont trop coûteuses, mais la jurisprudence précise que  ces solutions de rechange ne sont pas déraisonnables pour autant (voir Regina School Division, au par. 107). Elle n’a fourni aucune preuve des coûts d’un service quelconque, encore moins du fait que les frais de gardiennes ou de bonnes d’enfants étaient tellement disproportionnés qu’ils auraient une incidence négative sur sa capacité à prendre soin de son enfant (voir Flatt c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2014 CRTEFP 2 et Flatt c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 250).

[53]  Selon la  preuve, des options de garde d’enfants raisonnables existaient à l’époque où la fonctionnaire a soutenu qu’il n’en existait pas. Les deux témoins de l’employeur ont témoigné au sujet des ressources à la disposition de la fonctionnaire. Le problème était qu’elle n’était pas intéressée à consacrer de véritables efforts pour trouver des options de garde d’enfants convenables parce que, si elle l’avait fait, elle n’aurait eu aucun motif pour demander des mesures d’adaptation et elle aurait dû se fier à sa demande de mutation afin d’être mutée à l’AIE. L’employeur a tenté de collaborer avec elle pour veiller à ce que son retour au travail à Coutts soit réussi. Il a offert de modifier son horaire de travail afin de répondre à la disponibilité des services de garde d’enfants. Elle a soutenu fermement qu’une mutation à l’AEI constituait la seule solution appropriée. C’était Edmonton ou rien.

[54]  La fonctionnaire n’a pas démontré qu’il existait un véritable problème de garde d’enfants qui exigeait qu’elle soit mutée à Edmonton. Elle avait une préférence personnelle à l’égard de laquelle l’employeur n’était pas tenu de prendre des mesures d’adaptation. Le grief devrait donc être rejeté.

[55]  Subsidiairement, l’employeur lui a offert une mesure d’adaptation raisonnable qu’elle a refusée parce qu’il ne s’agissait pas de son option privilégiée. Elle n’a pas le droit à une mesure d’adaptation privilégiée ou parfaite, mais uniquement à une mesure d’adaptation raisonnable ou appropriée (voir Duval, au par. 42 et Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 97, au par. 134). L’employeur a déployé des efforts de bonne foi pour l’aider à s’acquitter de ses obligations de garde d’enfants et se présenter au travail. Elle a tout rejeté et n’a rien proposé, hormis une mutation à l’AIE.

[56]  La fonctionnaire n’a pas pleinement participé au processus de mesures d’adaptation, tel qu’elle était tenue de le faire, et n’a pas fait preuve de franchise dans la production de renseignements à l’appui de sa demande. Les besoins de garde d’enfants qu’elle a décrits ne découlaient pas d’une obligation légale, mais plutôt d’une préférence personnelle d’élever son enfant près des grands‑parents de celui‑ci. En fin de compte, elle a obtenu ce qu’elle voulait dans le cadre du processus de mutation.

IV.  Motifs

[57]  La fonctionnaire a allégué avoir été victime de discrimination de la part de l’employeur du fait de sa situation familiale, contrevenant à la clause 19.01 de la convention collective, qui stipule qu’il n’y aura aucune discrimination exercée ou appliquée à l’égard d’unemployé du fait de sa situation familiale, entre autres motifs, comme suit :

ARTICLE 19

ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé‑e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle‑ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé‑e a été gracié.

[58]  L’article 7 de la LCDP, qui a été intégré à la clause 19.01, prévoit que, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de défavoriser les employés en cours d’emploi. Afin d’établir que l’employeur a fait preuve de discrimination, un fonctionnaire s’estimant lésé doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination, ce qui englobe les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, sont complètes et suffisantes pour justifier une conclusion en faveur du fonctionnaire en l’absence de réplique de la part de l’employeur. Afin d’établir une preuve prima facie de discrimination, il incombait à la fonctionnaire de démontrer qu’elle a satisfait à l’un des motifs de distinction illicite, en l’occurrence, la situation familiale, qu’elle a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi, et que sa situation familiale était un facteur dans cet effet préjudiciable (voir Harvard, aux par. 111 et 112).

[59]  Afin d’établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation familiale découlant d’obligations de garde d’enfants, un fonctionnaire s’estimant lésé doit démontrer qu’il a à sa charge un membre de la famille, que les obligations familiales en cause entraîne sa responsabilité légale envers cette personne (par opposition à un choix personnel), que le fonctionnaire s’estimant lésé a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations familiales en explorant des solutions de rechange raisonnables qui se sont avérées ne pas être raisonnablement réalisables, et que la règle contestée régissant le milieu de travail entrave d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations (voir Johnstone (CAF) au par. 93 et Flatt, au par. 177).

[60]  La jurisprudence en matière de mesures d’adaptation est assez bien établie. Un employé qui demande une mesure d’adaptation a l’obligation d’aider à en obtenir une appropriée. Je ne crois pas que la fonctionnaire l’a fait. Elle a déménagé à Edmonton avant la naissance de son enfant en vue de ne jamais retourner à Coutts. Il s’agissait d’un choix personnel à l’égard duquel elle a demandé un allégement, à juste titre, en vertu du processus de mutation de l’employeur. La fonctionnaire n’a demandé une mesure d’adaptation que des années plus tard, malgré le fait que l’employeur lui ait indiqué, dans sa réponse à sa première demande de mutation, quels renseignements elle devait lui fournir à cet égard. Elle n’a pas établi non plus que sa situation familiale constituait un facteur dans l’examen de sa demande de mutation pendant cette période.

[61]  Il m’est évident que la fonctionnaire n’a jamais eu l’intention de retourner à Coutts et qu’elle n’a jamais envisagé sérieusement les options de garde d’enfants dans cette région. Sa déclaration selon laquelle son enfant ne pouvait pas être à la garderie plus de 9,5 heures par jour ne comportait aucun renvoi législatif ou scientifique, hormis le fait qu’elle l’a vu dans Internet. La modification de son horaire de quarts et l’engagement de l’employeur selon lequel son affectation serait modifiée afin d’empêcher qu’elle soit tenue de rester au‑delà de la fin de son quart lui auraient permis de répondre à cette exigence. Comme la Cour d’appel fédérale l’a ordonné dans Duval, je suis consciente qu’une mesure d’adaptation raisonnable et non parfaite était requise. La proposition de l’employeur aurait certainement répondu à cette norme, à mon avis, sans muter son poste à l’AIE. Il n’est pas nécessaire qu’une mesure d’adaptation atteigne le seuil de la contrainte excessive si elle peut être réalisée de manière raisonnable avant d’atteindre ce seuil.

[62]  En outre, selon tous les témoignages, y compris celui de la fonctionnaire, qui était fragile, et qui n’a rien apporté de significatif en contre‑interrogatoire, il existait des options de garde d’enfants dans la région de Coutts, mais la fonctionnaire a imposé des restrictions inhabituelles quant à savoir si elles étaient convenables. Lors de son témoignage, elle n’a pas été en mesure de fournir des explications , par exemple, à savoir pourquoi elle a insisté que la garderie soit autorisée et accréditée pour ensuite soutenir que l’une ou l’autre aurait été acceptable. Par la suite, il y avait la question de savoir si la garderie accepterait sa subvention provinciale pour garde d’enfants. Elle a fait valoir qu’elle n’avait pas inscrit son nom sur les listes d’attente en raison du coût. Cependant, selon M. Singer, qui était un témoin très crédible, il a inscrit son nom sur les listes d’attente des garderies dans la région de Coutts et n’a jamais été tenu de verser un dépôt. Essentiellement, le témoignage de la fonctionnaire n’était tout simplement pas crédible. Tel qu’il a été déclaré, elle n’a jamais eu l’intention de retourner à Coutts et n’a rien fait pour collaborer avec l’employeur aux fins de son retour au travail à Coutts.

[63]   Afin de déterminer si l’obligation de prendre des mesures d’adaptation a été remplie, la conduite de la fonctionnaire doit être prise en considération. Même en présence d’une obligation de prendre des mesures d’adaptation, cette obligation ne va pas jusqu’au seuil de la contrainte excessive s’il existe d’autres moyens raisonnables. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’est pas absolue (voir Andres c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 86). Bien qu’il n’aurait pas été raisonnable pour l’employeur de s’attendre à ce que la fonctionnaire se rende à Lethbridge avant et après chaque quart pour obtenir des services de garde d’enfants, comme la proposition absurde qui lui a été suggérée en contre‑interrogatoire l’était, la proposition de mesures d’adaptation de l’employeur était raisonnable; il s’agissait d’une modification à des quarts de jour à temps plein aussi longtemps qu’elle devait recourir aux services de garde d’enfants à son lieu de travail auquel elle était affectée à Coutts. Elle n’avait pas le droit de demander une mutation à l’AIE au motif qu’il s’agissait de l’endroit où elle préférait vivre.

[64]  Tel qu’il a été déclaré dans Regina School Division, ce ne sont pas tous les besoins en matière de garde d’enfant qui découlent d’une obligation légale. Certains de ces besoins, comme le choix de la fonctionnaire d’élever son enfant à Edmonton entourée de sa famille élargie et non à Coutts, découlent de choix personnels. La fonctionnaire devait établir, à l’aide d’une preuve claire, que le fait de ne pas déménager à Edmonton aurait eu une incidence négative sur sa capacité à s’acquitter de ses obligations légales envers son enfant et qu’il n’existait aucune solution de rechange raisonnable dans la région de Coutts. Elle ne l’a pas fait. Dans son argumentation, sa représentante a déclaré que, si l’employeur avait été au courant d’une solution de rechange raisonnable à la garderie qui répondait à ses besoins, il aurait dû assurer la possibilité en son nom. Le rôle ou l’obligation de l’employeur ne consiste pas à trouver des garderies pour la fonctionnaire. Il s’agissait de son obligation légale et, en l’espèce, elle a choisi de s’en acquitter en invoquant une préférence personnelle.

[65]  Pour ces motifs, je conclus que la fonctionnaire n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination puisqu’elle n’a pas réussi à établir qu’elle répondait à la deuxième et à la troisième étape énumérées dans Johnstone (CAF), à savoir qu’elle a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’était raisonnablement réalisable. Son argumentation est fondée sur l’hypothèse que ses besoins en matière de mesure d’adaptation ne pouvaient être satisfaits qu’au moyen de son choix personnel de vivre à Edmonton. Elle n’était pas prête à envisager une autre option de manière significative, ce qui, à mon avis, aurait constitué une option raisonnable dans les circonstances.

[66]  La fonctionnaire s’est fortement appuyée sur Johnstone au niveau du Tribunal canadien des droits de la personne et au niveau de la Cour d’appel fédérale pour étayer son argument. La situation en l’espèce et la situation factuelle dans Johnstone sont diamétralement opposées. Je suis d’accord avec l’avocat de l’employeur que la fonctionnaire n’a fourni aucune preuve concrète qu’elle n’était pas en mesure de s’acquitter de ses obligations exécutoires en matière de garde d’enfants tout en continuant à travailler à Coutts et qu’un service de garde d’enfants ou tout autre arrangement disponible qui répondait à ses besoins de travail ne lui était pas raisonnablement accessible.

[67]  La fonctionnaire a demandé des dommages en vertu de la LCDP remontant à 2012, date à laquelle elle a demandé pour la première fois à être mutée à l’AIE. Elle a utilisé le processus de mutation en 2012, mais n’a demandé une mesure d’adaptation en vertu de la politique de l’employeur sur les mesures d’adaptation que des années plus tard, malgré le fait qu’elle avait eu la possibilité de demander un allégement en vertu de celle‑ci beaucoup plus tôt. Aussi absurde qu’était la proposition concernant le transport à Lethbridge de Coutts aux fins de garde d’enfants, je trouve cette proposition également absurde. L’employeur ne peut être tenu responsable de dommages pour discrimination en vertu de la LCDP lorsque la fonctionnaire n’a même pas tenté d’établir les caractéristiques reconnues aux fins de la protection en vertu de la LCDP à ce stade. L’employeur ne peut être accusé d’avoir fait preuve rétroactivement de discrimination à son égard dans les circonstances de l’espèce. Quoi qu’il en soit, comme la fonctionnaire n’a pas établi qu’il y a eu discrimination, elle n’a droit à aucun dommage.

[68]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[69]  Les griefs sont rejetés.

Le 10 mars 2020.

Traduction de la CRTESPF

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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