Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a reproché aux défendeurs (son agent négociateur et quelques membres de ce dernier, dont la présidente) de s’être livrés à une pratique déloyale de travail, au sens de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (LRTSPF) lorsque ceux-ci ont refusé d’accéder à sa demande pour devenir déléguée syndicale – les défendeurs se sont opposés à la compétence de la Commission et ils ont soutenu que, puisque la plaignante avait parlé d’une sanction pour qualifier la décision des défendeurs, c’était l’alinéa 188c) de la LRTSPF qui devait s’appliquer en l’espèce – reprenant le principe développé dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103, la Commission a conclu qu’elle avait compétence au sens de l’alinéa 188c) de la LRTSPF lorsqu’il s’agit de déterminer si « […] la politique, la règle ou l’article des statuts est discriminatoire en soi ou que son application a des effets discriminatoires » – la Commission a conclu qu’aucun élément de preuve ne démontrait que les défendeurs avaient imposé une mesure disciplinaire ou une sanction quelconque, en appliquant les normes de discipline de façon discriminatoire et que, par conséquent, l’alinéa 188c) de la LRTSPF ne s’appliquait pas en l’espèce.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date:  20200302

Dossier:  561-34-40962

 

Référence:  2020 CRTESPF 24

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Carole Pronovost

plaignante

 

et

 

Institut profesSionnel de la fonction publique DU CANADA, Debi Daviau, Neil harden, Dung Nguyen ET Gail Quinn

 

défendeurs

Répertorié

Pronovost c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant :  Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante :  Elle-même et Carmine Paglia, conseiller en vérification

Pour les défendeurs :  Isabelle Roy, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
le 28 août, le 12 novembre et le 6 décembre 2019.


MOTIF DE DÉCISION

I.  Plainte devant la Commission

[1]  Carole Pronovost, la plaignante, a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») pour pratique déloyale à l’encontre de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (« IPFPC » ou l’« Institut ») et de quelques membres de l’IPFPC. La présidente de l’IPFPC, Debi Daviau, également nommée parmi les défendeurs, a refusé d’accéder à la demande de la plaignante d’être nommée déléguée syndicale. La plaignante soutient que ce refus est arbitraire et discriminatoire, et repose sur de faux motifs. Elle demande l’intervention de la Commission pour redresser la situation.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la Commission est d’avis que la plainte n’est pas fondée en droit. Par conséquent, la plainte est rejetée.

II.  Contexte

[3]  La présente décision fait suite au dépôt des arguments écrits des parties. Les faits allégués par les parties ne sont pas contestés, même si les perspectives des parties diffèrent considérablement. Je présente dans les paragraphes suivants les faits que je tiens pour avérés.

[4]  La plaignante travaille à l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») depuis 1993. Elle a déposé des griefs contre les agissements de son employeur, qui ont finalement été réglés dans le cadre d’une entente conclue en décembre 2018. Elle a dit que cette expérience lui avait donné beaucoup de connaissances en matière de harcèlement en milieu de travail, connaissances dont elle voulait faire profiter les employés. Par conséquent, elle croyait qu’elle était une personne idéale pour être déléguée syndicale.

[5]  La plaignante a d’abord fait une demande pour être déléguée syndicale en novembre 2017. Sa demande a été refusée, apparemment sur recommandation de la gestionnaire de l’IPFPC pour la région du Québec, Valérie Charette. Celle-ci a écrit un long courriel à la plaignante en février 2018 pour expliquer sa recommandation, mais également pour souligner le fait que la décision de nommer un délégué syndical revient à la présidente, Mme Daviau, selon les règlements internes de l’IPFPC.

[6]  Mme Charette a expliqué dans son courriel que sa recommandation découlait de la Politique relative aux délégués syndicaux de l’IPFPC (la « Politique »). Elle a cité l’extrait suivant de la Politique :

[…]

Un membre qui présente une demande pour devenir délégué syndical alors qu’il a un différend avec son employeur ou un autre membre pourrait voir sa demande suspendue jusqu’au règlement du différend. C’est le président de l’Institut qui prend la décision de reporter l’examen d’une demande et en informe le membre. On procède à l’examen de la demande quand le membre fait savoir à l’Institut que le différend est réglé. […]

[7]  Mme Charette a ensuite expliqué que cet élément de la Politique est fondé sur l’idée que le délégué syndical doit avoir un certain recul pour représenter les membres efficacement. Elle a ajouté qu’une personne ayant des conflits avec l’employeur et engagée dans diverses procédures aurait moins de temps à consacrer aux problèmes des autres. Elle n’en était pas moins optimiste quant à une nomination éventuelle, comme en témoigne l’extrait suivant :

[…]

Ceci dit, je suis certaine que tout ce que tu as traversé et que tu traverses encore aujourd’hui te sera fort utile dans ton rôle futur de déléguée syndicale et que ton expérience sera profitable pour des membres qui vivent des conflits dans le milieu de travail ou du harcèlement au travail. L’expérience ainsi acquise pourra t’aider en tant que représentante des membres dans tes démarches pour faire changer les choses et améliorer des processus qui sont souvent déficients à bien des égards.

[8]  En décembre 2018, la plaignante a conclu une entente avec l’employeur pour régler les griefs en instance. L’entente est confidentielle, et je n’ai pas l’intention d’en dire plus qu’il ne faut pour comprendre les événements subséquents. Il suffit donc de dire qu’en vertu de cette entente, la plaignante ne se présentera plus à son lieu de travail sauf « si requis », et elle prendra sa retraite avant la fin de 2020.

[9]  Une fois les dossiers réglés avec l’employeur, la plaignante a réitéré sa demande d’être nommée déléguée syndicale.

[10]  La présidente a refusé de la nommer, et elle a donné les motifs suivants dans sa lettre datée du 20 mars 2019 : le fait qu’elle ne sera plus présente sur les lieux de travail et qu’elle prendra sa retraite en 2020.

[11]  La plaignante a eu recours au processus d’appel. Elle a soutenu que l’utilisation de l’entente confidentielle, sans vérification auprès d’elle, était une entorse sérieuse aux principes d’équité procédurale. La présidente, selon elle, n’aurait pas dû utiliser illégalement une entente confidentielle, ou aurait dû à tout le moins la consulter pour l’interpréter. Le caractère arbitraire et discriminatoire de la décision la rend non valide. Elle s’est opposée à l’interprétation de la présidente sur son absence des lieux de travail qu’elle considérait déraisonnable, puisqu’elle pouvait y aller « si requis », ce qui incluait la nécessité de rencontrer un membre ou de l’accompagner. Selon elle, sa retraite ne devait pas non plus être un facteur.

[12]  La plaignante fait partie de l’exécutif de la section locale de l’IPFPC à Montréal. Celui-ci a voté, à l’unanimité, une recommandation pour qu’elle soit nommée déléguée syndicale.

[13]  Le 24 mai 2019, le comité d’appel, composé de Neil Harden, Dung Nguyen et Gail Quinn (également nommés à titre de défendeurs dans la présente plainte), a maintenu la décision de la présidente. Le comité d’appel a précisé qu’en vertu des lignes directrices adoptées par le Conseil d’administration de l’IPFPC, son mandat se limite à vérifier si le refus de la présidente de nommer quelqu’un en tant que délégué syndical est une décision prise de mauvaise foi, de façon arbitraire ou discriminatoire.

[14]  Le comité d’appel a noté que la Politique prévoit qu’en cas d’absence de plus de 90 jours, le statut de délégué est suspendu pour la durée de l’absence. Il peut y avoir des circonstances exceptionnelles qui justifient le maintien du statut pendant l’absence, mais la décision revient à la présidente.

[15]  Selon le comité d’appel, cela signifie que le délégué syndical doit normalement être présent sur le lieu de travail. De prime abord, donc, la présidente avait une bonne raison de refuser la demande de la plaignante. Devant le comité d’appel, il revenait à la plaignante de démontrer que le refus avait en fait été décidé de mauvaise foi ou de façon arbitraire ou discriminatoire.

[16]  Selon le comité d’appel, l’utilisation du protocole d’entente n’enfreignait aucune règle de confidentialité, puisque l’IPFPC, à titre de représentant de la plaignante dans les discussions avec l’employeur, était également une partie à l’entente. Il était donc normal que la présidente connaisse les termes de l’entente.

[17]  Le comité d’appel était sensible au fait que de créer une obligation pour la plaignante de se rendre au lieu de travail pour rencontrer des membres contournait quelque peu l’entente avec l’employeur qu’elle ne se présente pas sur les lieux de travail.

[18]  Le comité d’appel a écarté expressément la résolution de l’exécutif de la section locale de Montréal qui appuyait la candidature de la plaignante comme déléguée syndicale, car il a dit ne pouvoir considérer que les arguments des parties.

[19]  Enfin, le comité d’appel a conclu que la décision de la présidente était raisonnable, compte tenu des circonstances, et qu’elle n’était pas entachée de mauvaise foi et n’avait pas un caractère arbitraire ou discriminatoire. L’appel a donc été rejeté.

[20]  Dans sa plainte, la plaignante écrit ce qui suit :

Debi Daviau et le comité d’appel (Neil Harden, Dung Nguyen et Gail Quinn) m’ont fait subir une sanction par le refus et le maintien du refus injustifié discrétionnaire abusif et discriminatoire de devenir déléguée syndicale.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[21]  Elle demande ce qui suit à titre de mesures de redressement : être nommée déléguée syndicale et recevoir des dommages exemplaires et punitifs pour les manquements à l’équité procédurale et à la justice naturelle, et pour les préjudices causés par un refus discriminatoire, discrétionnaire, injustifié et abusif.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour les défendeurs

[22]  D’après les défendeurs, la Commission n’a pas la compétence législative pour traiter la plainte. Ils soulignent que la plaignante n’a pas précisé la disposition législative qui s’applique en l’espèce. La plaignante a simplement déposé une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi »), pour pratique déloyale. Parce que la plaignante parle de sanction pour qualifier la décision de la présidente, il convient de considérer l’application de l’alinéa 188c) de la Loi, dont le libellé est le suivant :

188 Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte :

[…]

c) de prendre des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ou de lui imposer une sanction quelconque en appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline de l’organisation syndicale; […]

[23]  Or, la décision de ne pas nommer la plaignante déléguée syndicale ne constitue pas une sanction. Les défendeurs citent Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 64, au par. 32, pour la définition de « sanction », dans le contexte de l’alinéa 188c) de la Loi, qui se lit comme suit : « une peine établie ou infligée par une loi ou une autorité quelconque pour réprimer un acte défendu ». Selon les défendeurs, une sanction signifie la perte d’un avantage, ou l’imposition d’un désavantage. Telle n’est pas la situation de la plaignante. Elle n’a pas un droit inhérent d’être nommée déléguée syndicale.

[24]  Par ailleurs, les défendeurs soutiennent que même si la Commission devait juger que le fait de ne pas nommer la plaignante déléguée syndicale constitue une sanction, elle devrait aussi établir que la sanction a été appliquée de façon discriminatoire. Or, la décision n’était pas discriminatoire. Il n’y a rien qui indique que le règlement et les politiques ont été appliqués à la demande de la plaignante autrement qu’ils ne l’auraient été pour d’autres membres. La Politique définit comme suit le rôle du délégué syndical :

À titre de représentant de l’Institut, le délégué syndical doit s’assurer que l’information circule entre les membres et le syndicat. Il agit comme représentant des employés au lieu de travail en facilitant le traitement de leurs plaintes et de leurs griefs. Il représente l’Institut aux séances de consultation officielles et informelles avec l’employeur. Il joue également le rôle de guide et d’agent d’orientation auprès des membres qui ont besoin des services syndicaux.

[25]  Les défendeurs ajoutent que lorsqu’un délégué syndical est absent pour une période de temps prolongée, il perd normalement son statut pendant cette absence. La Politique prévoit ce qui suit :

Un délégué syndical en congé pendant plus de 90 jours consécutifs perd son statut de délégué syndical pendant cette période. Comme il pourrait vouloir conserver son statut dans des circonstances exceptionnelles, il doit envoyer une demande écrite, en y mentionnant ses motifs, au coordonnateur des délégués syndicaux de l’IPFPC, qui la présentera au président.

[26]  Selon les défendeurs, la décision de la présidente représente une interprétation cohérente de la Politique, compte tenu des circonstances particulières de la plaignante. On ne peut y voir de la discrimination. De plus, la plaignante a pu avoir recours à la procédure d’appel. Enfin, la plaignante n’est pas la seule dont la demande a été refusée. La présidente doit avoir en tête les intérêts de l’IPFPC et ceux des membres; elle a appliqué la Politique de bonne foi.

B.  Pour la plaignante

[27]  La plaignante souligne d’abord le retard dans le dépôt de la réponse de l’IPFPC et demande à la Commission de rejeter la réponse pour ce motif. Si toutefois la Commission accepte la réponse, la plaignante fait valoir les arguments suivants.

[28]  La plaignante précise que sa plainte est portée en vertu de l’alinéa 188c) de la Loi. Elle énonce les questions en litige dans les termes suivants :

[…]

8. Est-ce que les décisions rendues [celle de la présidente refusant de la nommer déléguée syndicale, et celle du comité d’appel maintenant la décision de la présidente] sont déraisonnables en soi et en violation des principes d’équité procédurale et de justice naturelle, notamment du fait que les répondants ont délibérément utilisés des motifs en vue d’exclure la plaignante comme délégué syndical, ce qui constitue donc un traitement discriminatoire permettant ainsi de renverser lesdites décisions et permettre à la plaignante de devenir délégué syndical?

9. Est-ce que les décisions rendues sont déraisonnables en comparaison aux autres membres constituant ainsi un traitement discriminatoire permettant renverser lesdites décisions pour permettre à la plaignante de devenir délégué syndical?

10. Est-ce que les décisions de refuser et maintenir le refus pour la candidature de la plaignante comme déléguée syndicale ont été entachées d’une erreur de droit ou fondée sur une conclusion de faits erronée, tirée de façon abusive, arbitraire, discriminatoire ou empreint de mauvaise foi, sans tenir compte des éléments dont elle disposait et sans respecter l’équité procédurale? Dans cette éventualité, est-ce que la décision arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi constitue une sanction ou mesure disciplinaire (déguisée) qui a portée préjudice à la plaignante?

11. Est-ce que Debi Daviau, en refusant la candidature de la plaignante pour devenir syndicale a exercé son pouvoir discrétionnaire de mauvaise foi, en fonction de critères discriminatoires, de mauvaise foi ou de façon arbitraire?

12. Est-ce que Madame Debi Daviau peut valablement agir à titre de présidente de l’IPFPC alors qu’elle n’occupe plus un poste dans la fonction publique fédérale, poste nécessaire pour agir à titre de présidente de l’IPFPC? Dans l’éventualité où elle ne peut agir valablement comme présidente de l’IPFPC, toutes décisions prises par Madame Debi Daviau sont nulles et sans avenue.

13. Est-ce que les répondants du comité d’appel ont agi de mauvaise foi et en violation des principes d’équité procédurale et de justice naturelle par le maintien du refus de la candidature de la plaignante?

14. Est-ce que les répondants du comité d’appel ont agi de mauvaise foi et en violation des principes d’équité procédurale en ajoutant des motifs pour maintenir le refus?

15. Est-ce que la mauvaise foi et les préjudices peuvent donner lieu à des dommages moraux, punitifs et exemplaires?

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[29]  À titre de mesures de redressement, la plaignante demande d’être nommée sans tarder déléguée syndicale et de recevoir des dommages moraux, exemplaires et punitifs pour les préjudices subis.

[30]  La plaignante soulève nombre de défauts dans les décisions contestées. Par exemple, malgré l’appui dont la plaignante jouit au sein de l’IPFPC et de l’exécutif de la section locale, la présidente a refusé de la nommer déléguée syndicale, contrairement à son obligation de procéder à des consultations de manière honnête.

[31]  Selon la plaignante, les motifs invoqués par la présidente et le comité d’appel sont faux et injustifiés. Elle continue d’avoir accès au bureau des services fiscaux de Montréal. Ni la présidente ni le comité d’appel n’ont écouté ses arguments démontrant selon elle qu’elle pouvait représenter pleinement les membres à titre de déléguée syndicale.

[32]  La plaignante répète à plusieurs reprises que la décision est discriminatoire, sans préciser le motif de discrimination. La seule explication qu’elle donne est la suivante : « Le terme "discriminatoire" signifie arbitraire ou de mauvaise foi. »

[33]  L’argumentaire de la plaignante est long et détaillé, et elle y reprend les thèmes des questions en litige en cherchant à démontrer que la présidente et le comité d’appel ont agi de mauvaise foi et de façon arbitraire, et ont enfreint les règles de l’équité procédurale et de la justice naturelle. La plaignante reproche notamment au comité d’appel d’avoir ajouté aux motifs de la présidente un autre motif pour rejeter sa candidature, à savoir que de lui permettre l’accès sans restriction aux lieux de travail contournerait en quelque sorte l’entente conclue avec l’employeur.

[34]  Je cite l’extrait suivant des arguments de la plaignante :

[…]

86. […] la plaignante nie que son seul recours est de prouver qu’il y a eu sanction appliquée de manière discriminatoire. Les répondants ne peuvent légalement placer la plaignante en déni de justice comme ils tentent de le faire, surtout lorsque les décisions ont été rendues de mauvaise foi en fonction de critères discriminatoire ou arbitraires et ce à l’encontre du bénéfice des membres.

IV.  Analyse

[35]  Pour les fins de l’analyse, le terme « Commission » désigne non seulement la Commission actuelle, mais également celles qui l’ont précédée.

[36]  L’IPFPC a déposé sa réponse le 12 novembre 2019, alors que la plainte avait été déposée le 28 août 2019. La plaignante avait d’abord déposé une plainte le 26 juillet 2019, mais la Commission lui a demandé de la présenter sous la forme requise, ce qui a été fait le 28 août 2019.

[37]  Le 25 septembre 2019, la Commission a transmis la plainte à l’IPFPC, en demandant une réponse dans les 15 jours, la date d’échéance étant le 10 octobre 2019. La réponse de l’IPFPC a été signifiée ce jour-là à la plaignante. Par inadvertance, l’IPFPC a oublié de déposer la réponse à la Commission. Compte tenu de la date de la réponse, je suis d’avis que l’IPFPC répondait effectivement à la demande de la Commission, et j’accepte l’explication d’inadvertance. Puisque la plaignante a reçu la réponse le jour prescrit, elle n’a subi aucun préjudice de l’oubli de l’IPFPC. La réponse est donc acceptée, même si elle est a été déposée en retard, à la suite d’une demande de la part de la Commission.

[38]  La Commission n’a qu’une compétence limitée pour intervenir dans les affaires internes des organisations syndicales. Cette réalité a été soulignée dans l’une des premières décisions à interpréter l’alinéa 188c) de la Loi, soit Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103, où la Commission a écrit ce qui suit au paragraphe 62 :

[62] Ces dispositions [alinéas 188c) et 188e) de la Loi] soulèvent des questions particulières sous le régime de la Loi; une chose est sûre, elles n’autorisent pas la Commission à se faire l’arbitre final de tous les conflits internes entre des membres de l’agent négociateur. Par exemple, la Commission ne peut pas décider de la portée des délits pour lesquels un syndicat peut prendre des mesures disciplinaires à l’égard de ses membres ou leur refuser l’adhésion […]. Autrement dit, la Commission n’a pas le droit de se prononcer sur la légitimité d’une politique ou d’une règle interne ou d’un article des statuts de l’agent négociateur, sauf dans des cas très particuliers, en l’occurrence lorsque la politique, la règle ou l’article des statuts est discriminatoire en soi ou que son application a des effets discriminatoires.

[39]  Cela dit, je ne suis pas d’accord pour dire que la Commission n’a pas compétence. La plainte est validement devant la Commission; il s’agit de décider si les faits avérés pourraient mener à une conclusion que l’IPFPC a contrevenu à l’interdiction énoncée à l’alinéa 188c) de la Loi.

[40]  Ici, pour donner raison à la plaignante, il faudrait que je détermine qu’il y a eu une mesure disciplinaire ou une sanction, et que l’application des normes de discipline était discriminatoire. Je devrais donc conclure à une action disciplinaire quelconque.

[41]  Avec égard, je ne peux souscrire aux questions en litige proposées par la plaignante. L’objet d’une plainte en vertu de l’alinéa 188c) de la Loi n’est pas de savoir si la décision était déraisonnable, prise de mauvais foi ou de façon arbitraire, ni si elle enfreint les règles d’équité procédurale. Encore une fois, la seule façon pour la Commission d’analyser la plainte est de déterminer s’il peut y avoir eu application discriminatoire des normes de discipline. Je pense que la plaignante fait erreur en niant que « son seul recours est de prouver qu’il y a eu sanction appliquée de façon discriminatoire ». C’est effectivement le seul recours que lui offre la Loi. La Commission, ne peut, par exemple, répondre à la question posée par la plaignante, à savoir si la présidente est encore valablement en poste. La Commission n’a pas compétence pour se prononcer sur la légalité des élections au sein de l’organisation syndicale.

[42]  De plus, comme le souligne la Commission dans la décision Bremsak, l’intervention de la Commission en vertu de l’alinéa 188c) de la Loi ne s’apparente pas à celle qui peut être faite en vertu de l’article 187 de la Loi, où la Commission détermine si l’agent négociateur a fait défaut dans sa représentation d’un employé parce qu’il a agi de manière arbitraire ou discriminatoire, ou de mauvaise foi.

[43]  En l’espèce, la plaignante croit qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire déguisée, puisque qu’elle considère le refus de la nommer comme une sanction imposée par la présidente de l’IPFPC.

[44]  Dans la décision Veillette, la Commission, citant le Dictionnaire canadien des relations du travail, deuxième édition (1986), a défini le terme sanction de la façon suivante : « une peine établie ou infligée par une loi ou une autorité quelconque pour réprimer un acte défendu ». Dans cette affaire, le plaignant avait été suspendu de ses fonctions syndicales parce qu’il avait déposé une plainte auprès de la Commission contre le syndicat. La Commission pouvait donc conclure ce qui suit au paragraphe 32 : « […] En le privant ainsi de l’exercice de ses fonctions syndicales, les défendeurs ont imposé une sanction au plaignant, la peine étant la suspension et l’acte défendu, le dépôt d’une plainte. »

[45]  Rien de tel en l’espèce. Le fait que la plaignante se sente lésée ne transforme pas les décisions de la présidente et du comité d’appel en sanction ni en application des normes de discipline. Dans toute la correspondance présentée, je ne vois rien qui s’assimile à une volonté de punir ou de corriger un comportement, condition pour conclure à une sanction. Dans la décision Myles c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2017 CRTESPF 30, la Commission écrit ce qui suit :

[101] Pour être en mesure d’établir le fondement d’une plainte déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi contre une organisation syndicale ou ses dirigeants ou représentants au sens de l’alinéa 188c) de la Loi, l’organisation ou ses dirigeants ou représentants doivent avoir pris des mesures disciplinaires contre un membre ou lui avoir imposé une sanction. Aucun élément de preuve n’a été présenté à cet égard. Comme il n’y a pas d’éléments de preuve d’une mesure disciplinaire ou d’une forme de sanction, la plainte ne peut être accueillie.

[46]  Le raisonnement me paraît applicable en l’espèce. Je n’ai pas à faire le procès de la décision de la présidente, et je ne siège pas en appel de la décision du comité d’appel. Celui-ci avait un mandat plus large que le mien, soit de décider si la décision de la présidente était arbitraire, discriminatoire ou prise de mauvaise foi.

[47]  La plaignante a souligné le fait que la présidente n’a pas tenu compte de la résolution de l’exécutif de la section locale de Montréal qui l’appuyait dans sa démarche pour être nommée. La présidente peut procéder à des consultations, mais en fin de compte, c’est elle qui décide. Les règlements de l’IPFPC sont ainsi faits. La plaignante peut se sentir privée d’une occasion d’offrir ses services aux membres, mais je suis d’accord avec les défendeurs qu’il n’y a aucun droit à être nommé délégué syndical. Les règles d’équité procédurale et de justice naturelle s’appliquent lorsqu’on prive quelqu’un d’un droit. Dans le secteur public fédéral, les droits de l’employé relativement à l’employeur sont protégés par la Loi. Les droits du membre syndical relativement à son syndicat sont également protégés par la Loi, mais de façon beaucoup plus étroite.

[48]  Ce n’est que si l’IPFPC avait imposé une mesure disciplinaire ou une sanction quelconque en appliquant ses normes de discipline de façon discriminatoire que je pourrais intervenir. Encore une fois, il s’agit d’établir, compte tenu des faits allégués, s’il y a eu application des normes de discipline. Je ne vois rien dans les allégations qui mènerait à une conclusion de mesure disciplinaire.

[49]  Je comprends que la plaignante se sente lésée en étant privée de la position convoitée. Elle peut certainement éprouver le sentiment d’être punie, mais je ne vois rien dans les agissements de l’IPFPC ou de la présidente qui ait un motif punitif. La présidente a exprimé des motifs pour ne pas nommer la plaignante qui s’inscrivent dans la logique de la Politique; la présence des délégués syndicaux dans le lieu de travail, au quotidien, est plus que souhaitable, elle est essentielle pour de saines relations de travail et une représentation constante des intérêts des membres de l’unité de négociation. L’investissement dans la formation du délégué syndical justifie qu’on s’attende à ce qu’il exerce ses fonctions pendant un certain temps.

[50]  La plaignante peut être en désaccord avec ces motifs, mais ils me semblent assez sensés pour ne pas être de faux motifs. Quelle que soit la façon dont on interprète l’entente qui a réglé ses différends avec l’employeur, le fait est que les parties ont convenu que la plaignante ne serait pas sur les lieux de travail, sauf si requis. Cela ne peut signifier y être à tout moment, ou être présente pour être témoin des activités quotidiennes au travail. Que la présidente voie dans l’entente conclue un obstacle à la représentation efficace que doit offrir le délégué syndical ne me paraît pas farfelu, et surtout, pour les fins de ma décision, ne me paraît pas une imposition de normes disciplinaires.

[51]  En outre, aucun fait ne soutient une allégation de discrimination. Dans la décision Gilkinson c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 62, où il y avait eu une conséquence disciplinaire en lien avec une plainte fondée de harcèlement, la plainte en vertu de l’alinéa 188c) de la Loi a été rejetée au motif que M. Gilkinson n’avait présenté aucune allégation de discrimination, au sens où ce terme est compris en droit du travail. Le raisonnement est contenu dans les paragraphes suivants :

[16] Le législateur a donné à la Commission une compétence très étroite de s’ingérer dans les affaires internes des organisations syndicales. Les seuls motifs en fonction desquels la Commission peut intervenir dans les mesures disciplinaires d’une organisation syndicale contre ses membres sont la discrimination ou le déni des droits protégés par la Loi. Le plaignant allègue avoir été victime de discrimination. Il doit y avoir une indication, si tous les faits qui sont allégués étaient vrais, que l’organisation syndicale aurait fait preuve de discrimination à son endroit.

[17] La Loi ne contient pas de définition de la discrimination. Toutefois, la version française de la Loi parle de « distinctions illicites », ou distinctions illégitimes, pour traduire la discrimination. Le Black’s Law Dictionary définit la discrimination comme étant [traduction] « un traitement différentiel »; The Concise Oxford Dictionary définit le verbe « discriminate » comme l’acte de [traduction] « faire une distinction injuste dans le traitement de diverses personnes ».

[18] Dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103, la Commission examinait la signification du terme « discriminatoire » à l’alinéa 188c) comme suit :

85. En ce qui concerne le sujet de la discrimination, j’estime que c’est ce qui caractérise l’interdiction contenue à l’alinéa 188c). En effet, ce ne sont pas toutes les mesures disciplinaires ni toutes les sanctions qui sont interdites par cette disposition; il faut que la mesure ou la sanction soit imposée dans le contexte des normes de discipline de l’agent négociateur et d’« une manière discriminatoire » pour tomber sous le coup de l’interdiction contenue à l’alinéa 188c). […]

[…]

86. Dans le contexte de la justice administrative et des relations de travail, la Commission se doit de retenir une interprétation libérale de la discrimination en respectant les limites de la législation; la Commission doit aussi étudier non seulement « […] les résultats de l’application des normes disciplinaires, mais aussi les raisons qui les ont justifiées et la manière dont elles furent appliquées. » À ce propos, je renvoie à Daniel Joseph McCarthy, [1978] 2 Can LRBR 105; citée dans Beaudet-Fortin, au paragraphe 84, dans laquelle le CCRT dit ceci :

[…]

Nous croyons que dans le présent contexte, le terme « discriminatoire » signifie l’application de règles d’adhésion visant à établir des distinctions entre des personnes ou des groupes, pour des motifs illégaux, arbitraires ou déraisonnables. La distinction est de toute évidence illégale lorsqu’elle se fonde sur des considérations interdites [par la législation sur les droits de la personne], la distinction est arbitraire si elle n’est pas fondée sur aucune règle, aucune politique ni principe d’ordre général; enfin la distinction est jugée déraisonnable si elle n’a aucun rapport juste ou raisonnable avec la décision prise, bien qu’elle ait été établie conformément à une règle ou à une politique générale […]

87. J’estime que ces observations s’appliquent aussi à l’interdiction d’agir d’une manière discriminatoire contenue à l’alinéa 188c) de la Loi. Cette interdiction est de nature inclusive et vise à empêcher les agents négociateurs d’exclure des employés des activités de l’organisation syndicale en se basant sur les aptitudes qu’on leur attribue plutôt que sur leurs aptitudes réelles. La protection consiste essentiellement à éliminer les obstacles qui sont illégaux, arbitraires ou déraisonnables. […]

[…]

[19] La discrimination comporte donc une distinction illégitime fondée sur des motifs non pertinents. Dans ce cas, le plaignant n’a pas jeté de lumière sur la nature de la distinction qu’il allègue. Il n’invoque aucun motif. Une situation conflictuelle a plutôt vu le jour.

[52]  Le même raisonnement s’applique ici. La plaignante n’a mentionné aucun motif de distinction illicite qui aurait mené à l’application discriminatoire des normes de discipline.

[53]  Par conséquent, l’alinéa 188c) de la Loi ne s’applique pas en l’espèce, et la Commission n’interviendra pas pour modifier la décision de la présidente de refuser la nomination de la plaignante à titre de déléguée syndicale.

[54]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[55]  La plainte est rejetée.

Le 2 mars 2020.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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