Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; le « Code »), alléguant que l’employeur lui avait envoyé une lettre de réprimande en guise de représailles parce qu’il avait signalé un manquement en matière de sécurité et mené une enquête – il a été réprimandé après avoir formulé des remarques selon lesquelles la direction faisait fi de la sécurité au travail – la Commission a déterminé que toutes les parties avaient agi de bonne foi pour assurer un milieu de travail sécuritaire – la Commission a conclu que la lettre de réprimande ayant découlé des remarques du plaignant ne constituait pas des représailles, car les éléments de preuve ne permettaient pas de conclure que la réprimande était liée aux efforts du plaignant visant à faire respecter son droit à un milieu de travail sécuritaire conféré par le Code – la Commission a conclu que le Code ne protégeait pas les employés qui formulent des commentaires désobligeants à l’endroit de la direction.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20200409

Dossier : 560-02-00125

 

Référence : 2020 CRTESPF 37

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Code canadien du travail

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

JOSEPH PEZZE

plaignant

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Ressources naturelles)

 

défendeur

Répertorié

Pezze c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources naturelles)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail

Devant :  Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant :  Amy Kishek, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur :  Phillippe Giguère, avocat

Affaire entendue à Hamilton (Ontario)

du 4 au 5 mars 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Sommaire

[1]  Joseph Pezze (le « plaignant ») a travaillé dans une installation de Ressources naturelles Canada (l’« employeur ») à Hamilton, en Ontario. Il est un technologue en mécanique hautement qualifié. Il conçoit, construit et exploite des machines et des appareils que l’employeur utilise dans ses laboratoires et ateliers de métallurgie.

[2]  Il a découvert qu’un dispositif de sécurité utilisé sur un quai de chargement de camion avait été intentionnellement désactivé. Il a signalé l’incident, a pris des mesures pour que l’appareil soit remis en bon état de fonctionnement et a pris d’autres mesures, y compris une enquête et une formation en milieu de travail, pour s’assurer qu’un tel problème ne se reproduirait pas dans le milieu de travail.

[3]  L’employeur a fait vérifier l’appareil de sécurité, l’a remis en bon état de fonctionnement et a identifié et parlé à la personne qui, au moins une fois, a désactivé l’appareil. Néanmoins, le plaignant a fait part de ses préoccupations à un niveau supérieur. Comme il en avait le droit, il a plaidé en faveur d’une enquête sur la question et d’une formation en matière de sécurité pour le personnel, qu’il a obtenues. Plus tard, on l’a entendu faire une remarque désobligeante au sujet de la direction qui balaie sous le tapis la sécurité en milieu de travail.

[4]  Après avoir fait ces commentaires, le plaignant a reçu une lettre de réprimande (qui a été dans son dossier personnel pendant deux ans et qui a depuis été détruite). Il a alors déposé la présente plainte en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; le « Code »), alléguant que la lettre de réprimande était des représailles contre lui pour avoir invoqué ses droits prévus par le Code. Il demande une justification morale.

[5]  Après avoir examiné tous les éléments de preuve et écouté les arguments des parties, je constate que les éléments de preuve démontrent que toutes les parties impliquées dans cette affaire ont agi de bonne foi pour exprimer leurs préoccupations et ensuite prendre des mesures pour assurer un milieu de travail sécuritaire. En outre, en ce qui concerne la plainte, je conclus que la lettre de réprimande qui a découlé des observations du plaignant n’était pas des représailles. Je rejette la plainte.

[6]  Les employés de la fonction publique jouissent de vastes droits en vertu du Code afin d’assurer un milieu de travail sécuritaire et de transmettre les questions connexes. Toutefois, le Code ne protège pas les employés qui font des commentaires désobligeants sur la direction. Lorsqu’ils s’adressent à leurs collègues et leurs gestionnaires ou communiquent avec eux, les employés doivent toujours faire preuve de professionnalisme et de respect.

II.  Contexte

[7]  Les parties ont fait valoir conjointement que, comme je l’ai conclu dans Stiermann c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2019 CRTESPF 52, je dois examiner trois questions pour déterminer si l’article 147 du Code a été enfreint. Les questions ont été formulées par l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) dans Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52, au par. 64, et sont paraphrasés comme suit :

  1. Le plaignant a-t-il exercé ses droits en vertu du Code (article 147)?
  2. A-t-il subi des représailles?
  3. Les représailles étaient-elles de nature disciplinaire, conformément au sens de l’article 147 du Code?
  • D. Existe-t-il un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures qu’il a subies?

[8]  Étant donné que le deuxième et le quatrième volet du critère sont étroitement liés, je les aborderai ensemble dans mon analyse.

[9]  Les articles pertinents du Code sont les suivants :

[...]

133 (1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

[...]

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

[...]

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

III.  Analyse

A.  Le plaignant a-t-il exercé ses droits en vertu du Code (article 147)?

[10]  L’avocat de l’employeur a déclaré qu’il ne contesterait pas ce point.

B.  Le plaignant a-t-il subi des représailles de nature disciplinaire, conformément au sens de l’article 147 du Code?

[11]  L’avocat de l’employeur a déclaré que ce volet du critère ne serait pas contesté, mais que la mesure disciplinaire (la lettre de réprimande) n’était aucunement liée à l’exercice des droits prévus par le Code.

C.  Le plaignant a-t-il subi des représailles directement liées à l’exercice de ses droits en vertu du Code?

[12]  La représentante du plaignant a fait valoir habilement que si le plaignant a réellement déclaré que ses gestionnaires [traduction] « balaient sous le tapis la sécurité », cette affirmation a été retirée de son contexte et que, plus important encore, son commentaire faisait partie de l’exercice de ses droits et d’une partie de son obligation en vertu du Code de prendre des mesures pour assurer la sécurité au travail et de la promouvoir. Elle a ajouté que les éléments de preuve ont démontré que la décision de remettre une lettre de réprimande était entachée par l’animosité de la direction à l’égard des efforts du plaignant et de son syndicat pour défendre la sécurité au travail.

[13]  L’avocat de l’employeur a fait valoir que la lettre de réprimande n’aurait pas été délivrée sans l’énoncé du plaignant et qu’elle n’avait aucun lien avec ses actions protégées en vertu du Code. Il a ajouté que la lettre constituait une mesure corrective raisonnable pour ce qui était un comportement non professionnel inacceptable et irrespectueux. Il a déclaré que la lettre n’était aucunement entachée par les problèmes de sécurité que le plaignant avait soulevés.

[14]  Le plaignant a témoigné de ses efforts très sincères pour promouvoir la sécurité au travail. Il a été consterné lorsqu’il a découvert que le dispositif de sécurité utilisé pour charger et décharger les camions sur le quai de chargement avait été désactivé. Non seulement cela rendait le quai de chargement non sécuritaire , mais le plaignant était également préoccupé par les nombreuses autres machines dangereuses dans le milieu de travail advenant que des collègues de travail désactivent les dispositifs de sécurité. Il a expliqué qu’il voulait s’assurer que l’appareil ne soit pas à nouveau désactivé et que l’employeur ferait davantage d’efforts pour éduquer le personnel et veiller à ce qu’un tel problème ne se reproduise nulle part ailleurs.

[15]  Stuart Amey, le superviseur du plaignant et le seul autre témoin à comparaître à l’audience, a convenu que les connaissances du plaignant en matière de santé et de sécurité au travail étaient bien connues et qu’il s’en préoccupait sincèrement. Il a ajouté que le plaignant était également très respecté en raison de sa grande compétence dans ses domaines d’expertise.

[16]  Le plaignant a abordé les éléments suivants dans son témoignage :

  • Il a commencé sa carrière auprès de l’employeur en 1999 et possède au total 41 ans d’expérience en tant que technologue en mécanique.
  • Il a une formation spécialisée en santé et sécurité au travail.
  • Lorsqu’il a constaté que le mécanisme de sécurité sur le quai de chargement était désactivé, il l’a immédiatement remis en état de marche et a signalé l’affaire à son gestionnaire, M. Amey, et à son coordonnateur en santé et sécurité.
  • Malgré sa demande, la question du mécanisme de sécurité du quai de chargement n’était pas à l’ordre du jour suivant du comité de santé et de sécurité au travail (SST) de son groupe.
  • Il a dit à son coordonnateur en SST qu’il était bon d’en discuter au sein de son groupe, mais que tout le personnel de l’immeuble devait être inclus dans la discussion.
  • Il n’a rien entendu de la part de la direction à ce sujet malgré ses efforts répétés pour que ce point soit soulevé au comité de SST.
  • Enfin, après avoir signalé le problème en août, une séance de formation a eu lieu en novembre pour s’assurer que les membres du personnel soient conscients de l’importance du mécanisme de sécurité sur le quai de chargement.
  • Chaque semaine, on lui disait que la direction s’occupait de la question, mais il ne savait pas si la question était réglée.
  • Il a dit à son coordonnateur en SST qu’il était bon de discuter de la question au sein de leur groupe, mais qu’il voulait que la question soit portée à l’attention de tout le personnel de l’ensemble des opérations à Hamilton pour s’assurer que personne ne trafique ou ne désactive les dispositifs de sécurité, pas seulement le dispositif au quai de chargement.
  • Il a demandé que la question soit inscrite à l’ordre du jour du CSST, mais elle ne l’a pas été, et, de plus, elle a disparu de la liste de suivi des mesures en matière de sécurité en octobre.
  • Il a envoyé un courriel au président du comité de SST le 21 octobre 2015, pour lui faire part de ses préoccupations. Il a déclaré expressément : [traduction] « J’envoie ce courriel pour savoir comment de telles situations doivent être traitées et m’assurer que je n’agis pas de façon inappropriée ».
  • L’affaire a été portée à l’attention du directeur général, qui a envoyé un courriel au plaignant le 28 octobre 2015. Entre autres choses, il a déclaré que la question de la sécurité au quai de chargement avait été placée sur la liste de suivi des mesures le 6 août 2015, et que le 13 août 2015, la direction avait identifié la personne qui avait désactivé le dispositif au quai de chargement. De concert avec le plaignant, elle a discuté de l’importance de la sécurité et de ne pas désactiver le dispositif de sécurité. Le directeur général a également indiqué que, le 20 août, la question avait fait l’objet d’une discussion lors de la réunion de groupe et que le 8 septembre, M. Amey avait parlé à la personne qui avait désactivé l’appareil. Le 16 septembre, le propriétaire de l’immeuble a fait inspecter le dispositif. Il a été jugé en bon état de fonctionnement. Ce résultat de test a été communiqué au groupe de travail lors de la réunion hebdomadaire du 21 septembre. Le point a ensuite été fermé sur la liste de suivi des mesures. Le directeur général a ensuite poursuivi en déclarant que le plaignant avait été consulté et qu’on lui avait demandé s’il était satisfait des résultats de l’enquête et de son aboutissement. Il aurait répondu qu’il l’était. Le directeur général a ensuite indiqué qu’il était un peu perplexe quant à la raison pour laquelle, par la suite, le plaignant a communiqué avec les coprésidents du comité de SST et envoyé une copie conforme au conseiller syndical, puisqu’il semble que la question a été examinée en profondeur.
  • Paradoxalement, le plaignant a témoigné qu’il avait assisté à ses réunions hebdomadaires sur la SST et qu’il n’avait rien entendu au sujet de la question de la sécurité. En réalité, la question a effectivement fait l’objet d’une discussion lors de la réunion du comité du 21 septembre, au cours de laquelle on a signalé que le dispositif de sécurité avait été inspecté et jugé en bon état de fonctionnement.
  • Le plaignant a également indiqué que le directeur général l’avait assuré que l’affaire avait été réglée, mais qu’il n’avait pas été tenu au courant et qu’il n’était pas certain qu’elle avait réellement été traitée correctement.
  • Bien qu’on lui ait assuré que le problème du quai de chargement avait été réglé, le plaignant était toujours préoccupé par le besoin de formation en matière de sécurité pour le personnel de l’ensemble de l’immeuble.
  • Le plaignant a souligné que ses efforts ont également donné lieu à une enquête et à un Rapport d’enquête sur les situations comportant des risques (RESCR) (qui, le 19 novembre 2015, ont déterminé que le sabotage du dispositif de sécurité au quai de chargement [traduction] « n’était pas un événement isolé ») et à une enquête et un rapport du comité de SST, qui recommandaient tous que l’ensemble des membres du personnel reçoivent une formation en SST.
  • Le plaignant a ajouté que la SST est une affaire de vie et de mort dans son lieu de travail et que si un accident survenait, il pourrait être mortel. Il a exprimé son opinion qu’après l’incident d’août, le rapport de septembre au comité de SST a été présenté beaucoup trop tard. Il a souligné que le Code exige une mesure immédiate lorsqu’un incident dangereux en milieu de travail est signalé.
  • · Le plaignant a déclaré qu’il ne se souvenait pas d’avoir eu des réunions ou des discussions avec son superviseur, M. Amey, au cours des événements en cause.

[17]  Lorsqu’on l’a interrogé précisément au sujet de l’incident allégué qui a donné lieu à la lettre de réprimande, le plaignant a déclaré qu’il ne se souvenait pas de l’incident et qu’il ne pouvait pas dire catégoriquement qu’il n’avait pas prononcé la phrase alléguée.

[18]  La représentante du plaignant a demandé à déposer comme pièce un rapport de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de 2019, impliquant le plaignant et M. Amey. L’avocat de l’employeur s’y est opposé au motif de la pertinence. Il a dit que le rapport traitait de questions qui ont été soulevés après les incidents qui ont mené aux questions dont je suis saisi. La représentante du plaignant a expliqué que le rapport citait des témoins dans l’enquête qui ont déclaré que M. Amey avait harcelé le plaignant, qu’il était injuste et avait fait de fausses déclarations à son égard.

[19]  J’ai jugé le document irrecevable, puisque les événements qui y sont mentionnés se sont produits assez longtemps après les incidents en cause dont je suis saisi et que de tels éléments de preuve pourraient effectivement influencer l’affaire contre l’employeur en raison du préjudice important découlant du ouï-dire.

[20]  J’ai déclaré qu’il était préférable que les personnes qui auraient fait les commentaires contenus dans le rapport soient citées à témoigner à cette audience afin que je puisse observer leur témoignage accablant au sujet de M. Amey et leur permettre d’être contre-interrogées par l’avocat du défendeur. J’ai informé la représentante du plaignant que j’accorderais une suspension de l’audience si elle voulait communiquer avec les personnes et leur demander de comparaître ou si elle voulait que je les contraigne à se présenter. Elle a refusé mon offre.

[21]  En contre-interrogatoire, le plaignant a confirmé que, en réalité,  il se souvenait que plusieurs conversations avaient eu lieu à la suite de son rapport initial sur l’affaire du quai de chargement au cours desquelles les représentants de l’employeur l’ont informé des mesures de suivi qu’ils avaient prises pour enquêter sur l’affaire et agir afin de s’assurer que le dispositif était en bon état de fonctionnement.

[22]  Le plaignant a d’abord déclaré qu’il ne se rappelait pas avoir dit que la direction avait balayé sous le tapis les préoccupations de SST. Cependant, lorsqu’on lui a montré son courriel du 21 octobre, il a reconnu qu’il avait écrit que les incidents, comme la désactivation du dispositif du quai de chargement, devraient être signalés et communiqués aux autres le plus tôt possible, afin que tout le monde puisse sentir que de telles choses ne passent pas inaperçues ou ne sont pas balayées sous le tapis.

[23]  Lors du contre-interrogatoire, il a été interrogé au sujet de sa déclaration alléguée devant M. Amey, selon laquelle ses gestionnaires avaient balayé sous le tapis les préoccupations de SST. Il a répondu qu’en effet, les gens du milieu de travail pouvaient avoir cette impression, et qu’il était juste qu’il l’écrive dans son courriel.

[24]  L’avocat de l’employeur a cité M. Amey à témoigner. Il est machiniste de métier. Il a déclaré ce qui suit :

  • Après que le plaignant a signalé que le dispositif de sécurité au quai de chargement avait été trafiqué et désactivé, M. Amey a communiqué avec l’autre mécanicien-monteur qui travaillait avec le plaignant, qui a rapidement admis l’avoir désactivé.
  • Il a dit au mécanicien-monteur de ne pas le refaire.
  • Il a dit au plaignant (en août) qu’il avait trouvé la personne responsable de la désactivation du dispositif et qu’il avait dit à la personne de ne pas le refaire.
  • Il a fait en sorte que le propriétaire de l’immeuble, qui était responsable du dispositif de sécurité, l’inspecte pour s’assurer qu’il fonctionnait toujours correctement. L’inspection a eu lieu et le dispositif a été jugé en bon état de fonctionnement. Il a ensuite communiqué ce renseignement au plaignant et à d’autres membres du personnel lors d’une réunion bihebdomadaire en septembre.
  • Le 20 septembre, il a demandé au plaignant s’il était satisfait des résultats de l’enquête et du test. Il a témoigné que le plaignant avait répondu qu’il était satisfait. Ensuite, il a fait retirer le problème de la liste de suivi des mesures en matière de SST au moment où il a considéré que l’affaire était réglée.
  • Le 2 novembre, il a entendu le plaignant déclarer à trois ou quatre collègues au travail que Roger et Stuart (les gestionnaires) balayaient sous le tapis les préoccupations en matière de sécurité au travail. Il a rencontré le plaignant à ce sujet le 18 novembre.
  • Après avoir entendu les observations du plaignant, il a consulté la direction et les Ressources humaines et a remis une lettre de réprimande officielle au plaignant le 26 novembre 2015, qui comprenait les éléments suivants :

[Traduction]

La présente lettre fait référence à notre réunion du 18 novembre 2015, concernant l’énoncé selon lequel les préoccupations en matière de santé et de sécurité sont balayées sous le tapis, que l’on vous a entendu dire le 2 novembre 2015.

À la réunion que nous avons tenue le 18 novembre 2015, vous avez déclaré ce qui suit :

Je ne reconnais toujours pas que j’ai montré deux autres personnes du doigt. J’ai effectivement parlé de santé et de sécurité, et j’ai peut-être mentionné que les problèmes étaient balayés sous le tapis, mais je n’ai jamais nommé personne.

Même si vous n’avez nommé personne en référence à cette déclaration, je trouve cette déclaration inacceptable. D’abord, de votre propre aveu, vous faisiez référence à l’incident de santé et de sécurité concernant le loquet de camion au quai de chargement, qui a été résolu le 21 septembre 2015. À cette date, vous avez eu l’occasion d’informer votre superviseur que vous n’aviez pas l’impression que le problème avait été réglé et vous avez choisi de ne pas le faire. Si vous croyez qu’il s’agit encore d’un problème, les mesures appropriées consisteraient à le signaler à votre superviseur, ou à défaut de cela, à le présenter au comité de SST. Parler à d’autres employés de « problèmes de santé et de sécurité balayés sous le tapis » mine non seulement l’autorité de la direction, mais contribue également à créer un environnement de travail toxique.

[…]

La présente lettre constitue une lettre écrite de réprimande et est un avis formel que vous ne devez pas répandre des rumeurs ou traiter quiconque de façon irrespectueuse. […]

[25]  M. Amey a également témoigné que, quelques semaines seulement avant que les propos répréhensibles ne soient prononcés, il a parlé au plaignant d’un problème lié aux heures de travail, puisque le plaignant prenait fréquemment des pauses-cigarette pendant les heures de travail. Il a rappelé au plaignant que ce temps devait être rattrapé pour s’assurer qu’il travaillait une journée complète. M. Amey a témoigné que le plaignant était devenu verbalement agressif, qu’il était très contrarié à ce sujet et que cette agression verbale s’était soldée par une réprimande verbale au plaignant.

[26]  M. Amey a également témoigné que le renvoi de la question de la sécurité du quai de chargement au RESCR et au Comité de santé et de sécurité au travail (CSST) était une partie acceptable du processus de santé et de sécurité au travail.

[27]  En contre-interrogatoire, M. Amey a confirmé que le plaignant avait porté l’affaire du dispositif de sécurité au quai de chargement, et le fait que ces dispositifs étaient désactivés, à l’attention du CSST le 21 octobre 2015. Il a également reconnu qu’un autre représentant de l’équipe de gestion avait rédigé un courriel daté du 23 octobre 2015, qui indiquait en partie que [traduction] « Stuart [Amey] et moi n’avions pas considéré que ce [dispositif de sécurité au quai de chargement] était un élément majeur [...] La lettre de Joe [le plaignant] contient plusieurs déclarations inexactes et j’ai l’intention d’en faire le suivi auprès de lui [...] ».

[28]  Dans son argumentation finale, la représentante du plaignant a renvoyé à la conclusion dans Chaney c. Auto Haulaway Inc., [2000] D.C.C.R.I. No 1 (QL) dans laquelle le Conseil canadien des relations industrielles déclare que même si l’exercice des droits prévus par le Code constitue une cause immédiate de mesures disciplinaires imposées,  l’employeur devrait alors être considéré comme ayant enfreint le Code. Dans Chaney, les mesures disciplinaires contestées de l’employeur ont en fait commencé immédiatement après que l’employé eut dénoncé la situation. Les gestionnaires ont soutenu avec véhémence que leurs mesures disciplinaires n’avaient aucunement été influencées par les efforts consacrés par M. Chaney pour invoquer ses droits aux termes du Code.

[29]  La représentante du plaignant a résumé les éléments de preuve pertinents. Elle a soutenu que l’affirmation de M. Amey selon laquelle le plaignant répandait des rumeurs était fausse, puisque ce dernier cherchait à communiquer avec ses collègues au sujet de la nécessité d’une formation plus poussée en matière de sécurité. Elle a également déclaré qu’il a témoigné qu’il n’était pas satisfait du rapport de septembre selon lequel le dispositif était en bon état de fonctionnement, puisqu’il craignait qu’une plus grande sensibilisation à la sécurité à l’échelle du bureau soit nécessaire pour éviter d’autres problèmes de ce genre. Elle a soutenu que la lettre disciplinaire reposait sur une fausse prémisse selon laquelle le plaignant était dans l’erreur, dans la mesure où elle indiquait que la question du dispositif de sécurité au quai de chargement avait été fermée le 21 septembre. Elle a fait valoir que l’affaire n’était pas close à l’époque et qu’elle nécessitait une formation à l’échelle du bureau pour la traiter correctement.

[30]  Elle a fait remarquer que son premier effort pour que l’affaire soit portée à l’attention du CSST n’a pas été couronné de succès. De plus, les communications notées entre les membres de la direction ont montré qu’ils ne se préoccupaient pas de la question et qu’ils n’étaient pas heureux que le plaignant transmette l’affaire à un échelon supérieur et la renvoie à son représentant syndical.

[31]  Elle a fait valoir que les commentaires de la direction et la lettre disciplinaire, puisqu’elle faisait référence à ce que le plaignant aurait dû faire pour poursuivre la question de la sécurité, sont la preuve d’une décision entachée de la direction d’imposer une mesure disciplinaire, du moins en partie, en représailles de ses efforts légitimes pour exercer ses droits en vertu du Code.

[32]  Le plaignant s’appuie sur la décision de la Commission dans Babb c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 38, où la Commission a noté, comme je le remarque pour le plaignant en l’espèce, que le plaignant était une personne honnête et très dévouée à la cause de la santé et sécurité au travail, et qui a agi en raison d’une préoccupation légitime concernant l’exactitude du procès-verbal du comité de santé et de sécurité (au paragraphe 56).

[33]  Le plaignant s’est également appuyé sur la décision de la CRTFP dans Martin Ivie c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 40, dans laquelle le ton et la teneur des communications de la direction ont été jugés comme démontrant un animus antisyndical, de même qu’une intention de faire obstacle à l’exercice par l’employée de ses droits prévus par le Code. La CRTFP a noté que le gestionnaire était frustré par ses efforts. Entre autres, un courriel indiquait qu’elle n’aurait pas dû chercher des problèmes de santé et de sécurité et que la direction devrait chercher des communications potentielles qu’elle envoyait à son syndicat, au cas où des renseignements protégés auraient été transmis sans autorisation. La CRTFP a conclu que l’enquête sur les normes professionnelles avait été lancée, au moins en partie, en raison de ses efforts pour faire valoir ses droits en vertu du Code.

[34]  J’établis une distinction entre l’affaire dont je suis saisi et Martin Ivie, en raison des faits dans cette dernière décision, puisque la preuve dont je dispose ne démontre en aucun cas une hostilité ou une aversion à l’égard du plaignant ou de ses actes semblables à celles démontrées dans Martin-Ivie. Selon la preuve dont je dispose, un cadre supérieur a écrit que la direction n’avait pas considéré le problème au quai de chargement comme un problème majeur et que le directeur général était perplexe quant à la raison pour laquelle les coprésidents du CSST et le syndicat avaient été contactés, puisqu’il croyait que la question avait été examinée de façon assez approfondie.

[35]  Il me faudrait ajouter beaucoup de vernis à ces déclarations pour en arriver à la conclusion qu’elles constituent une preuve d’animosité antisyndicale ou de mauvaise volonté à l’égard du plaignant, de manière à justifier une conclusion selon laquelle la lettre de réprimande a été entachée, comme l’a soutenu la représentante du plaignant.

[36]  Le plaignant s’est également appuyé sur Grundie c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada), 2015 CRTEFP 95, dans laquelle il a été déterminé que le fonctionnaire dans cette affaire, qui avait exercé ses fonctions dans le cadre d’une enquête sur un problème de santé et de sécurité, avait fait l’objet d’une enquête pendant 19 mois. Par conséquent, il a travaillé sous la menace d’une mesure disciplinaire pendant une période indûment longue. De plus, d’anciennes affaires ont été remises sur la table pour être utilisées de façon inéquitable à titre de discipline. Je ne trouve pas les faits dans Grundie suffisamment semblables pour que cette affaire soit utile.

[37]  Enfin, la représentante du plaignant a fait valoir que, en réalité, il s’était acquitté de son devoir en vertu de l’alinéa 126(1)c) du Code de communiquer avec d’autres employés pour assurer la santé et la sécurité des employés susceptibles d’être touchés par les actes ou omissions de l’employeur. Elle a également soutenu que même si ses commentaires sur les préoccupations générales balayées sous le tapis sont des hyperboles, il s’agissait d’une communication protégée en vertu du Code.

[38]  En conclusion de son argumentation finale, la représentante du plaignant a fait un discours surchargé digne d’un public beaucoup plus large que les quelques personnes réunies pour l’audience de cette plainte. Elle a soutenu passionnément que si l’injustice alléguée de la lettre de réprimande (qui a depuis longtemps été retirée du dossier personnel du plaignant) devait être maintenue, cela servirait à freiner tous les efforts futurs des travailleurs pour défendre leurs droits durement acquis à un milieu de travail sécuritaire en vertu du Code.

[39]  Je ne peux pas être d’accord avec l’évaluation du plaignant de ce qui est en jeu en l’espèce.

[40]  Les faits invoqués dans l’argumentation dont je suis saisi qui correspondent le mieux aux faits en l’espèce ont été soulevée dans Sousa-Dias c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2017 CRTEFP 62, et Dias c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 126. Dans cette affaire, le plaignant a exercé son droit, en vertu du Code, de refuser de travailler pour des raisons de sécurité et il a ensuite été convoqué à une réunion avec son gestionnaire, malgré l’indisponibilité de son représentant syndical. Il a refusé d’assister à la réunion et s’est adressé à son gestionnaire de façon agressive et irrespectueuse, attitude pour laquelle il a fait l’objet de mesures disciplinaires.

[41]  La CRTEFP a conclu que le manque de respect et de professionnalisme du plaignant envers la direction était la cause de la mesure disciplinaire dont il a fait l’objet. En rejetant la demande de contrôle judiciaire de la décision présentée par le plaignant, la Cour d’appel fédérale a noté les conclusions de la CRTEFP selon lesquelles le plaignant s’était montré belliqueux à l’endroit de sa gestionnaire et qu’il s’était vu imposer une mesure disciplinaire en raison de son manque de respect envers la direction (au paragraphe 10).

[42]  Je remarque également que la coïncidence temporelle ou la proximité immédiate, dans le temps, de l’exercice par un employé de ses droits en vertu du Code et du moment où la mesure disciplinaire aurait pu être imposée à l’employé n’est pas, à elle seule, une preuve de quoi que ce soit, comme l’a noté Aker c. United Parcel Service du Canada ltée, 2009 CCRI 474, au paragraphe 38, et Walker c. Administrateur général (ministère de l’Environnement et du Changement climatique), 2018 CRTESPF 78, au paragraphe 621.

IV.  Conclusion

[43]  La preuve dont je dispose me mène à la même conclusion que dans Sousa-Dias.

[44]  La lettre disciplinaire a été envoyée au plaignant uniquement pour ses commentaires non professionnels et irrespectueux au sujet de la direction. Il n’y avait aucun lien avec ses efforts légitimes pour exercer ses droits en vertu du Code d’avoir un milieu de travail sécuritaire. Les commentaires acheminés par courriel, dans lesquels la direction a déclaré qu’elle estimait que la question du dispositif de sécurité du quai de chargement avait été rectifiée et fermée et a demandé de façon rhétorique pourquoi le plaignant avait présenté le problème à un échelon supérieur en envoyant une copie conforme de ses courriels à son syndicat, ne suffisaient pas pour que je constate une animosité ou une hostilité antisyndicale discernable envers le plaignant qui aurait entaché la décision de lui imposer des mesures disciplinaires la deuxième fois où il a communiqué de façon non professionnelle et irrespectueuse envers son gestionnaire.

[45]  Les employés de la fonction publique jouissent de vastes droits en vertu du Code afin d’assurer un milieu de travail sécuritaire et de transmettre les questions connexes. Toutefois, le Code ne protège pas les employés qui font des commentaires désobligeants sur la direction. Lorsqu’ils s’adressent à leurs collègues et leurs gestionnaires ou communiquent avec eux, les employés doivent toujours faire preuve de professionnalisme et de respect.

[46]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[47]  J’ordonne le rejet de la plainte.

Le 9 avril 2020.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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