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Date: 20200423

Dossiers: 572-02-3682

572-02-3684

 

Référence: 2020 CRTESPF 41

 

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

CONSEIL DU TRÉSOR

demandeur

 

et

 

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

défenderesse

Répertorié

Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant des demandes de déclaration qu’un poste est un poste de direction ou de confiance, prévues au paragraphe 71(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant :  Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur :  Philippe Giguère, avocat

Pour la défenderesse :  Julie Chiasson et Janson LaBond

 

Affaire entendue à Vancouver (Colombie‑Britannique),

le 9 janvier 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉcision  (Traduction de la crtespf)

I.  Demandes devant la Commission

[1]  Le ministère de la Justice (MJ) a présenté une demande afin qu’il soit déclaré que deux postes AS-03 sont des postes de direction ou de confiance, qu’il faut exclure de l’unité de négociation. À l’époque de la demande, les postes étaient occupés par Sandy Nguyen et Erica Grant. L’agent négociateur qui représente l’unité de négociation qui comprendrait ces deux postes, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « défenderesse »), s’oppose à l’exclusion.

[2]  L’employeur légal en l’espèce est le Conseil du Trésor, qui négocie, au nom des ministères tels que le MJ, les conventions collectives qui régissent les conditions d’emploi des fonctionnaires. Cependant, il est entendu que le MJ a demandé l’exclusion. L’employeur a délégué au MJ le pouvoir de prendre les décisions touchant l’organisation du travail.

II.  Résumé de la preuve

[3]  Le MJ possède un bureau régional du contentieux en Colombie‑Britannique, qui est subdivisé en quatre services : Droit autochtone; Droit des affaires et droit réglementaire; Droit de la sécurité publique, de la défense et de l’immigration; Droit fiscal. Ces services sont structurés de manière similaire et dirigés par un directeur régional, dont relèvent des directeurs adjoints et une quinzaine de conseillers juridiques principaux, ainsi qu’un chef de bureau qui occupe un poste classifié AS‑04, un adjoint administratif qui occupe un poste classifié AS‑01 et le poste en cause en l’espèce, celui de [traduction] « coordonnateur ou coordonnatrice, Soutien juridique », qui est classifié AS‑03. Afin de faciliter la lecture tout au long de la présente décision, j’ai utilisé le terme « coordonnateur du soutien juridique » ou le terme « titulaire » pour faire renvoi au poste AS‑03. Ce poste est connu sous divers noms tels que [traduction] « gestionnaire du soutien administratif et juridique » (bien qu’il s’agisse également du titre du poste AS‑04 dans l’un des organigrammes) et [traduction] « coordonnateur régional ou coordonnatrice régionale, Soutien juridique ». De plus, je ne suis pas certaine que Mmes Nguyen et Grant occupent encore les postes en question. La présente décision s’applique aux postes AS‑03 portant les numéros 21364 et 22246, qui sont directement chargés de la supervision des adjoints juridiques des secteurs du droit de la sécurité publique, de la défense et de l’immigration et du droit fiscal des bureaux régionaux du MJ en C.‑B.

[4]  L’employeur a cité deux témoins : Sandra Weafer, qui est directrice régionale et avocate générale de la pratique du droit de la sécurité publique, de la défense et de l’immigration, et Andrew Majawa, qui est directeur régional et avocat général de la pratique du droit fiscal.

[5]  Mme Grant est coordonnatrice du soutien juridique au bureau de Mme Weafer, et Mme Nguyen joue le même rôle, mais au bureau de M. Majawa. Leurs descriptions de poste sont les mêmes, tout comme leurs rôles et responsabilités.

[6]  Les coordonnateurs du soutien juridique supervisent entre 15 et 20 adjoints juridiques, qui occupent tous un poste classifié CR‑05. Les adjoints juridiques effectuent des tâches administratives pour les conseillers juridiques principaux et les quelque 40 conseillers juridiques d’un service. Le travail des coordonnateurs du soutien juridique consiste à assigner des tâches, à jumeler des conseillers juridiques et des adjoints juridiques, à assurer une bonne relation de travail entre un conseiller juridique et un adjoint, à mener les évaluations du rendement et à s’occuper des questions administratives telles que l’octroi de congés. Entre autres tâches supplémentaires, ces personnes doivent prendre des mesures d’adaptation appropriées (au sens des droits de la personne) à l’intention des adjoints juridiques, le cas échéant, et faciliter le retour au travail d’un fonctionnaire à la suite d’une absence prolongée.

[7]  Les coordonnateurs du soutien juridique font également partie de l’équipe de direction, qui se compose du directeur régional, du chef de bureau et des directeurs adjoints. Tous les autres membres de l’équipe de direction occupent des postes exclus. L’équipe de direction se réunit une fois par semaine ou aussi souvent que nécessaire pour discuter de questions administratives, dont les suivantes : la dotation, les ressources, les finances, le budget, la formation, les besoins en matière de déplacements, les questions liées aux ressources humaines et au bien‑être du personnel, ainsi que les ressources matérielles telles que l’équipement et le mobilier.

[8]  La charge de travail des adjoints juridiques fait souvent l’objet de discussions, les tâches étant réattribuées si un adjoint est surchargé par les avocats avec lesquels il est jumelé. Les renseignements personnels des fonctionnaires peuvent faire l’objet de discussions lors de ces réunions, par exemple, dans un cas où un problème personnel ou de santé nuit au rendement d’un fonctionnaire (qu’il s’agisse d’un conseiller juridique ou d’un adjoint juridique). Les nécessités du service peuvent constituer un autre thème de discussion quand il s’agit d’approuver un congé.

[9]  Les coordonnateurs du soutien juridique relèvent directement de leur directeur régional et interagissent quotidiennement avec cette personne, en fonction des besoins liés l’administration et aux ressources humaines du bureau. Les coordonnateurs du soutien juridique sont des intermédiaires importants, qui signalent les problèmes quotidiens et les pommes de discorde au bureau, et le directeur régional doit s’en remettre à cette personne pour assurer la mise en place d’un milieu de travail sain. Cela exige un dialogue franc et ouvert. D’ailleurs, Mme Weafer et M. Majawa ont tous deux témoigné qu’ils comptaient sur les coordonnateurs du soutien juridique pour les renseigner sur les conditions de la convention collective visant le groupe CR, qu’ils connaissent beaucoup moins bien que celle applicable au groupe LP (conseillers juridiques) qui fait partie de l’unité de négociation de l’Association des juristes de justice.

[10]  Lors d’un récent processus visant à embaucher un plus grand nombre d’adjoints juridiques, la question de la classification de leurs postes s’est posée. Dans la région de la C.‑B., les adjoints juridiques étaient embauchés au niveau CR‑04, après quoi leur poste était reclassifié au niveau CR‑05 une fois qu’ils avaient achevé leur formation. Dans d’autres régions, ils étaient embauchés au sein du groupe et niveau CR‑05 dès leur arrivée. Un comité de liaison administrative, composé de tous les titulaires des postes AS‑03 et AS‑04 de la région de la C.‑B., s’est réuni pour discuter de cette question et proposer une stratégie afin de surmonter la disparité (sa solution était d’adopter le modèle des autres régions). Cette situation a été présentée pour illustrer le rôle que joue le titulaire d’un poste AS‑03 lorsqu’il s’agit d’établir les conditions d’emploi des adjoints juridiques.

[11]  Sous le titre [traduction] « Responsabilités », les éléments suivants de la description de poste ont attiré mon attention :

[Traduction]

[…]

Recueillir, résumer et appliquer des renseignements généraux en vue de présenter des recommandations aux gestionnaires, afin qu’ils s’en servent pour régler des questions stratégiques d’ordre administratif ou de procédure.

[…]

Le travail exige la supervision d’une vingtaine ou une trentaine d’adjoints juridiques. Cela consiste à : concevoir des jumelages avec des conseillers juridiques et des plans de travail personnels; assigner des tâches et donner des conseils et une formation en cours d’emploi aux fonctionnaires, aux employés temporaires et aux étudiants au sein de son secteur; surveiller les travaux en cours et effectuer des vérifications ponctuelles des travaux réalisés; participer aux jurys de sélection en tant que membre, en faisant passer des entrevues et en sélectionnant des employés; participer à l’établissement des buts et des priorités, à l’établissement et à la mise en œuvre des procédures, des normes et des pratiques opérationnelles; fixer les horaires de travail et les heures supplémentaires afin de s’assurer que les exigences du service sont remplies; recevoir, examiner, approuver ou refuser les demandes de congé; évaluer le rendement des employés et préparer les évaluations du rendement en collaboration avec les conseillers juridiques et les directeurs régionaux adjoints; relever les lacunes au niveau des compétences, élaborer des plans de formation et recommander des mesures disciplinaires.

[…]

Régler les problèmes de rendement du personnel subalterne et imposer des mesures disciplinaires; procéder à une médiation et trancher des différends en consultation avec la direction et les spécialistes des RH.

[…]

Fournir des directives et de l’aide aux conseillers juridiques chargés de la supervision, aux autres superviseurs et aux gestionnaires en matière de rôles, de responsabilités et de rendement au travail des employés.

Approuver les congés et la formation des subordonnés directs et recommander l’approbation des heures supplémentaires.

Participer aux processus de recrutement et de dotation applicables au personnel administratif. Rédiger divers documents de dotation, notamment des questions d’entrevue, des énoncés de critères de mérite et des descriptions de poste, participer à des jurys de sélection et vérifier les références.

Le travail comprend la prestation de conseils et de directives sur les besoins en ressources au directeur régional et aux directeurs régionaux adjoints.

Le travail comprend la présentation de recommandations en matière d’affectation des fonds à l’intention des directeurs régionaux adjoints, pour ce qui est de la formation, des déplacements et des heures supplémentaires des adjoints juridiques.

[…]

[12]  Dans sa justification des exclusions, le MJ indique qu’en tant que membres de l’équipe de direction, les titulaires [traduction] « […] participent aux discussions portant sur les dossiers de gestion tels que ceux de la dotation, des relations de travail, de la gestion du rendement, de la formation et de l’attribution des tâches ».

[13]  De plus, les titulaires ont le pouvoir de prendre des décisions qui peuvent avoir une incidence considérable sur les conditions d’emploi des fonctionnaires représentés, par exemple les décisions concernant l’approbation des congés, l’attribution des tâches, les horaires de travail, les heures supplémentaires, les mesures d’adaptation et les évaluations du rendement. Les titulaires ont accès aux dossiers des adjoints juridiques, donc à des renseignements confidentiels de nature délicate.

[14]  Les décisions des coordonnateurs du soutien juridique peuvent faire l’objet de griefs. En pareil cas, le titulaire serait la personne chargée de préparer les renseignements généraux visant à aviser l’équipe de direction et le directeur des problèmes donnant lieu au grief.

[15]  Bref, les responsabilités des titulaires peuvent les mettre en conflit d’intérêts. Les titulaires participent aux décisions de gestion et [traduction] « […] possèdent des pouvoirs qui peuvent créer des conflits avec des employés syndiqués ».

[16]  Les deux autres services du secteur du contentieux de la C.‑B., Droit autochtone et Droit des affaires et droit réglementaire, emploient aussi des coordonnateurs du soutien juridique, qui ont les mêmes fonctions et responsabilités que les titulaires des postes en cause. Ces postes sont exclus de l’unité de négociation. Aucune preuve n’a été produite à l’audience quant aux raisons pour lesquelles ces exclusions n’ont fait l’objet d’aucune opposition.

[17]  L’agent négociateur n’a cité aucun témoin.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour le demandeur

[18]  Le demandeur demande l’exclusion des deux postes sur le fondement de l’alinéa 59(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi »). La Commission est saisie de la présente affaire parce que la défenderesse, qui est également l’agent négociateur, s’est opposée aux exclusions. Les dispositions de la Loi qui s’appliquent à la présente affaire se lisent comme suit :

 (1) Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie ou la section 1 de la partie 2.1, l’employeur peut présenter une demande à la Commission pour qu’elle déclare, par ordonnance, que l’un ou l’autre des postes visés par la demande d’accréditation est un poste de direction ou de confiance pour le motif qu’il correspond à l’un des postes suivants :

a) poste de confiance occupé auprès du gouverneur général, d’un ministre fédéral, d’un juge de la Cour suprême du Canada, de la Cour d’appel fédérale, de la Cour fédérale ou de la Cour canadienne de l’impôt, ou d’un administrateur général;

b) poste classé par l’employeur dans le groupe de la direction, quelle qu’en soit la dénomination;

c) poste dont le titulaire dispense des avis sur les relations de travail, la dotation en personnel ou la classification;

d) poste dont le titulaire a des attributions l’amenant à participer, dans une proportion notable, à l’élaboration d’orientations ou de programmes du gouvernement du Canada;

e) poste dont le titulaire exerce, dans une proportion notable, des attributions de gestion à l’égard de fonctionnaires ou des attributions l’amenant à s’occuper officiellement, pour le compte de l’employeur, de griefs présentés selon la procédure établie en application de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1;

f) poste dont le titulaire participe directement aux négociations collectives pour le compte de l’employeur;

g) poste dont le titulaire, bien que ses attributions ne soient pas mentionnées au présent paragraphe, ne doit pas faire partie d’une unité de négociation pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur;

h) poste de confiance occupé, en matière de relations de travail, auprès des titulaires des postes visés aux alinéas b), c), d) et f).

[…]

 (1) Si l’organisation syndicale dépose un avis d’opposition à l’égard d’un poste donné, la Commission est tenue, après avoir donné à l’employeur et à l’organisation syndicale l’occasion de présenter des observations, de décider s’il s’agit d’un poste visé à l’un des alinéas 59(1)a) à h). Le cas échéant, la Commission rend une ordonnance dans laquelle elle déclare qu’il s’agit d’un poste de direction ou de confiance.

[…]

(3) Il revient à l’employeur d’établir qu’un poste est visé à l’un ou l’autre des alinéas 59(1)d) à h).

[…]

[19]  Le demandeur fait valoir qu’il s’est acquitté du fardeau qui lui incombait.

[20]  L’idée principale de l’alinéa 59(1)g) est la notion de conflit d’intérêts. Les intérêts des fonctionnaires ne coïncident pas toujours avec ceux de l’employeur. L’une des principales tâches associées aux postes en cause consiste à donner des conseils à l’employeur, suivant ses intérêts.

[21]  Le seul facteur pertinent dont il faut tenir compte au moment de décider s’il faut exclure un poste est la description de ses fonctions et responsabilités. L’employeur cite plusieurs décisions de la Commission qui ont tenu compte du sens précis de l’alinéa 59(1)g). J’y reviendrai dans mon analyse. En gros, selon la jurisprudence, lorsque la Commission applique l’alinéa 59(1)g) elle doit considérer « […] les relations globales entre le poste et les intérêts du demandeur » (voir Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2012 CRTFP 46, au paragraphe 70).

[22]  Les points suivants étayent la position du demandeur :

  • Les titulaires des postes AS-03 font partie de l’équipe de direction et, par conséquent, participent activement à l’échange de renseignements confidentiels et aux discussions relatives à la prise de décisions.
  • Ces titulaires doivent donner des conseils en matière opérationnelle, de ressources humaines, de relations de travail et de dotation.
  • Les directeurs régionaux comptent sur les titulaires pour obtenir des conseils sur l’application des conditions de la convention collective qui s’applique aux adjoints juridiques (qui s’appliquerait aussi à eux).
  • · Il est important pour la direction de savoir que les personnes qui donnent ces conseils ont à cœur les intérêts de l’employeur. Ce rôle entraîne clairement un conflit d’intérêts pour les titulaires des postes AS-03.

[23]  Le demandeur fait aussi ressortir le rôle des titulaires dans les évaluations du rendement des fonctionnaires qui occupent des postes CR-05, ce qui, à ses dires, est incompatible avec l’appartenance à la même unité de négociation.

[24]  En dernier lieu, le demandeur soutient qu’il serait contradictoire de rejeter la présente demande, puisque des postes identiques sont déjà exclus au sein du bureau régional du MJ en C.‑B.

B.  Pour la défenderesse

[25]  Il incombe au demandeur de démontrer qu’il existe vraiment un conflit d’intérêts. Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2016 CRTEFP 80, affaire dans laquelle la Commission a conclu que les enquêteurs principaux devaient être exclus en vertu de l’alinéa 59(1)g), il existait vraiment un conflit d’intérêts, selon la défenderesse,  puisque l’employeur citait les enquêteurs principaux à témoigner dans les causes visant des fonctionnaires sur qui on avait fait enquête.

[26]  Le fait que les titulaires de certains postes AS-03 soient déjà exclus est sans pertinence. Les postes en cause ont été créés récemment. De plus, dans Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 174-02-378 (19820831), [1982] C.R.T.F.P.C. no 148 (QL), la Commission a déclaré que les précédents ne s’appliquent pas.

[27]  Les titulaires en cause dans la présente affaire ne jouent aucun rôle dans la prise de mesures disciplinaires ou à l’égard des griefs. Ils peuvent fournir des renseignements à la direction, mais ne sont pas des décideurs.

[28]  La Commission a appliqué étroitement les dispositions de l’article 59, afin d’éviter de priver les fonctionnaires de leur droit à la négociation collective. Une véritable démonstration doit se fonder sur l’incompatibilité fondamentale entre un poste et son inclusion au sein d’une unité de négociation.

[29]  La défenderesse a mentionné plusieurs décisions dans son argumentation. Dans mon analyse, je reviendrai sur celles qui m’ont semblé les plus pertinentes pour la présente décision.

[30]  L’essentiel était que les coordonnateurs du soutien juridique n’ont aucun pouvoir décisionnel. Ils peuvent faire des recommandations, mais ne sont pas les décideurs en dernier ressort. Les directeurs régionaux qui ont témoigné ont fortement souligné l’importance des conseils prodigués par les coordonnateurs. Cependant, ces conseils constituent des recommandations, et non des décisions en tant que telles. Il est normal pour des fonctionnaires de leur niveau que les réunions hebdomadaires soient de nature confidentielle. En vertu de leur serment d’office, ils sont tenus de respecter cette confidentialité, mais l’appartenance à l’unité de négociation n’entraîne aucun conflit en soi.

[31]  Les fonctions des coordonnateurs du soutien juridique ne justifient pas leur exclusion. Ils ne se trouvent pas à un échelon élevé dans la hiérarchie de leur ministère, ils ne font pas partie intégrante de la direction, et la confidentialité qu’ils assurent est habituelle. Ils n’interviennent pas dans la procédure de règlement des griefs, sauf pour recueillir des renseignements et informer le directeur régional de la teneur de la convention collective, ce qui ne constitue pas une tâche de nature confidentielle en soi. Enfin, les coordonnateurs du soutien juridique n’ont aucun pouvoir délégué. Ils n’ont qu’un pouvoir de surveillance, qualité que la Commission a déjà jugée insuffisante pour permettre de conclure qu’un poste est un poste de direction ou de confiance.

[32]  Par conséquent, aucune preuve convaincante ne justifie de priver les titulaires du droit à la négociation collective.

IV.  Analyse

[33]  Dans l’analyse exposée ci‑dessous, le terme « Commission » comprend les prédécesseurs de la présente Commission.

[34]  La conclusion qu’une personne occupe un poste de direction ou de confiance entraîne que cette personne n’est pas considérée comme un « fonctionnaire » en vertu du paragraphe 2(1) de la Loi et qu’elle est par conséquent exclue de l’unité de négociation.

[35]  Le libellé de l’alinéa 59(1)g), au titre duquel le demandeur demande les deux exclusions en cause, ne fait pas expressément état des fonctions liées à la gestion et aux relations de travail dont traitaient certaines décisions présentées par les parties. L’exclusion du poste en vertu de l’alinéa 59(1)g) est plutôt faite en raison d’un « conflit d’intérêts » ou « […] de ses fonctions auprès de l’employeur […] ».

[36]  Dans son interprétation de ces mots, la Commission s’est montrée très prudente et consciente du fait qu’elle ne devait pas priver à la légère un fonctionnaire de son droit à la négociation collective.

[37]  J’ai lu l’ensemble de la jurisprudence présentée par les parties, mais au moment de prendre ma décision, j’ai trouvé les décisions ci‑dessous particulièrement pertinentes. Le libellé de l’alinéa 59(1)g) est curieux, créant en quelque sorte une expression passe‑partout. Par conséquent, je me suis inspirée de l’interprétation donnée par la Commission de cette expression particulière.

[38]  Dans Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), le Conseil du Trésor demandait l’exclusion de l’agent de renseignements de sécurité au sein d’un établissement correctionnel. Le rôle de l’agent consistait à recueillir des renseignements sur les risques pour la sécurité de l’établissement et à conseiller la direction sur les meilleures mesures à prendre pour atténuer ces risques.

[39]  Après avoir examiné la jurisprudence plutôt rare qui traite des exclusions faites en vertu de l’alinéa 59(1)g) et des dispositions législatives qui l’ont précédé, la Commission a conclu que le poste devait être exclu. Selon la Commission, l’alinéa 59(1)g) prévoit un motif supplémentaire à la disposition de l’employeur pour exclure un poste qui n’est pas clairement un poste de direction, ni un poste qui joue un rôle dans les relations de travail, mais qui entraîne un conflit d’intérêts insoutenable ou est indéfendable dans le cadre de l’unité de négociation, de par sa nature même. Comme le déclare la Commission, « […] dans certaines circonstances, inclure un employé dans une unité de négociation peut compromettre l’efficacité de cet employé dans l’exercice de fonctions essentielles pour le demandeur ».

[40]  Les paragraphes qui suivent exposent en détail le raisonnement de la Commission qui justifie l’exclusion :

[…]

76 L’alinéa 59(1)g) de la LRTFP m’accorde un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer si un poste devrait être exclu. Bien entendu, je ne peux tout bonnement retirer le poste de l’unité de négociation sans justification. Je partage l’avis de l’avocat du demandeur à savoir que la jurisprudence invoquant cet alinéa ou les dispositions qui l’ont précédé n’a pas apporté de définition claire de l’éventail de circonstances dans lesquelles il peut s’appliquer. Le but manifeste de cet alinéa est de permettre à la CRTFP de prendre en compte des situations qui ne correspondent à aucune des justifications habituelles pour exclure un poste d’une unité de négociation. Par conséquent, il n’est pas surprenant qu’aucune description précise des circonstances visées par cet alinéa n’ait été produite. Normalement, le recours à cette disposition législative devrait être restreint, et elle ne devrait être jugée applicable que dans des situations inhabituelles.

77 J’ai conclu que la situation présentée dans l’affaire qui nous occupe commandait l’application de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP. Bien que les caractéristiques justifiant habituellement l’exclusion — l’exercice de fonctions de direction, le pouvoir décisionnel étendu et la participation aux dossiers relatifs aux relations de travail — ne sont pas associées au poste d’ARS, il apparaît évident, même dans la description présentée par M. Cossette, que les fonctions de l’ARS sont fortement liées au processus de prise de décisions en matière de sécurité aux échelons supérieurs de l’établissement. En dépit des efforts déployés par le représentant de l’agent négociateur pour montrer que les responsabilités de l’ARS de transmettre des renseignements et d’être à l’affût des menaces pour la sécurité ne diffèrent pas de façon marquée de celles de tous les employés, il est clair que l’ARS occupe un rôle unique. L’ARS n’est pas qu’un simple agent de transmission de renseignements aléatoires sur les risques, il est chargé d’apprécier la valeur de ces renseignements et de les structurer de manière à ce que la haute direction de l’établissement puisse les utiliser en toute confiance. Un ARS a la lourde responsabilité de s’assurer que les produits de renseignement fournis sont fondés sur une appréciation et un classement de priorités corrects, que toutes les recommandations représentent une évaluation fiable de la nature et de l’ampleur d’une menace et que la haute direction peut prendre avec confiance les décisions qui s’imposent. Ces décisions doivent souvent être prises dans des conditions difficiles où le facteur temps importe, et il est primordial que les gestionnaires et l’ARS aient une relation de confiance mutuelle.

78 Je suis consciente des mises en garde formulées dans un certain nombre de décisions antérieures auxquelles on m’a renvoyée, selon lesquelles les droits d’un employé à la représentation collective ne devraient pas être retirés inconsidérément. En prenant cette décision, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’accepter les spéculations de l’avocat du demandeur à l’appui de son argumentation au sujet des difficultés qu’un ARS peut rencontrer dans le contexte d’un conflit de travail, sur un piquet de grève ou à titre de titulaire d’un poste d’élu au sein de l’agent négociateur. Il y a de nombreuses circonstances dans lesquelles le statut d’un employé ayant accès à des renseignements importants doit être rééquilibré en faveur de la poursuite de son appartenance à une unité de négociation. Un employeur devrait alors accepter de subir un certain nombre d’inconvénients. Toutefois, dans le présent cas, il est crucial que la haute direction d’un établissement correctionnel puisse accéder en tout temps à l’aide que seul l’ARS peut fournir. Elle doit être en mesure de discuter de renseignements de nature délicate et d’analyser des options opérationnelles dans une atmosphère de confiance absolue. À mon avis, cette situation créée une incompatibilité fondamentale entre le rôle de l’ARS et son appartenance à une unité de négociation.

79 L’emploi du mot « ou » à l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP donne à penser qu’il y a une distinction entre les circonstances qui seraient considérées comme donnant lieu à un conflit d’intérêts et celles qui justifieraient l’exclusion du poste d’un titulaire « […] en raison de ses fonctions auprès de l’employeur […] ». Il est plutôt difficile d’analyser le genre d’incompatibilité que je perçois entre les fonctions de l’ARS et son appartenance à l’unité de négociation sans la qualifier de conflit d’intérêts, mais je pense que le poste d’ARS pourrait être exclu en vertu de l’une ou l’autre de ces descriptions. Si le poste d’ARS était inclus, la relation de confiance privilégiée entre l’ARS et la haute direction de l’établissement entrerait en conflit avec les obligations de l’ARS envers les autres membres de l’unité de négociation. Justifier l’exclusion sur la base plus générale des « […] fonctions auprès de l’employeur » peut être une autre façon de dire la même chose en l’espèce, quoique je ne souhaite pas exclure la prise en compte des circonstances dans lesquelles le motif relatif aux « fonctions » n’est pas associé à un conflit d’intérêts.

[…]

[41]  Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2017 CRTEFP 11 (« adjoint principal aux ressources humaines »), la Commission devait décider si un poste d’adjoint principal aux ressources humaines devait être exclu en vertu de l’alinéa 59(1)g). La Commission n’a pas conclu que le poste était considéré comme faisant partie « de l’équipe de gestion ou de l’approche de gestion » et a rejeté la demande. L’élément important est que la Commission a perçu le rôle de l’adjoint comme étant principalement administratif, et non consultatif.

[42]  Dans Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), la Commission a affirmé que pour déclarer qu’un poste était un poste de direction ou de confiance, il fallait l’examiner sur le fond. Par conséquent, le fait que des postes analogues – dont les fonctions et responsabilités sont analogues – ont été déclarés postes de direction ou de confiance dans deux autres bureaux du secteur du contentieux du MJ en C.‑B. n’est pas, en soi, un facteur décisif.

[43]  À elles seules les fonctions de surveillance ne justifient pas l’exclusion d’un poste d’une unité de négociation (voir Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 176-02-287 (19791009), [1979] C.R.T.F.P.C. no 9 (QL) (« Sisson »)). S’il s’agissait seulement du fait que les titulaires supervisent les adjoints juridiques et évaluent leur rendement, je n’estimerais pas ce motif suffisant pour justifier l’exclusion.

[44]  Il faut établir une distinction entre les fonctions de supervision et les fonctions de direction. À mon avis, les définitions suivantes citées dans Sisson sont utiles :

[Supervision :]

Fonction et activité qui consistent à veiller à ce que les objectifs de l’organisme soient atteints conformément aux plans et aux lignes directrices qui sont établis par les gestionnaires et communiqués aux échelons inférieurs.

[Direction :]

Collectif qui désigne le système, la fonction, le procédé ou la charge consistant à planifier, à fournir, à coordonner, à diriger, à évaluer et à contrôler la totalité des efforts et des ressources disponibles d’un organisme afin d’atteindre les objectifs et d’appliquer les lignes directrices que la haute direction de cet organisme établit et communique aux échelons inférieurs.

[45]  Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossiers de la CRTFP 172-02-884 A et 172-02-886 A (19971219), [1997] C.R.T.F.P.C. no 143 (QL), la Commission a expliqué comme suit l’essentiel de ce qui constitue maintenant le libellé de l’alinéa 59(1)g) (à l’époque l’alinéa 5.1(1)d)) :

[…]

27 En vertu de l’alinéa 5.1(1)d), la Commission a une certaine latitude pour déterminer si les fonctions et les responsabilités d’un poste rattachent le titulaire de ce poste à l’employeur au point d’en justifier l’exclusion ou s’il y a risque d’un grave conflit d’intérêts entre les fonctions du poste et l’adhésion du titulaire à l’unité de négociation. C’est à cet égard que la notion d’« équipe de gestion » définie par la Commission au fil des années s’applique.

[…]

[46]  Cela dit, je garde aussi à l’esprit l’avertissement exprimé comme suit au paragraphe suivant de cette décision :

[…]

28 Il est particulièrement important, au moment d’interpréter l’alinéa 5.1(1)d), de se rappeler que le droit d’adhésion à une unité de négociation (syndicalisation) ne devrait pas être enlevé à la légère. Dans la mesure du possible, un employeur doit organiser ses affaires de façon à réduire au minimum le besoin de recourir à l’exclusion. Cela est nécessaire pour préserver le cadre législatif régissant les relations du travail dans la fonction publique. Les exclusions aux termes de l’alinéa 5.1(1)d) doivent être étayées d’une preuve forte selon laquelle il y a risque de conflit ou association avec la direction en raison des fonctions du poste.

[…]

[47]  En l’espèce, j’estime que l’exclusion est bien fondée, précisément parce que les fonctions et responsabilités du poste « […] rattachent le titulaire de ce poste à l’employeur au point d’en justifier l’exclusion […] ». Même si les coordonnateurs du soutien juridique n’occupent pas un poste dont la classification est d’un niveau particulièrement élevé, l’organisation de leur milieu de travail mérite d’être prise en compte.

[48]  Le secteur du contentieux du MJ dans la région de la C.‑B. se subdivise en quatre bureaux distincts, qui disposent chacun d’une latitude considérable pour s’acquitter des tâches. Le rôle que jouent les coordonnateurs du soutien juridique dans la gestion des bureaux les met en situation de conflit d’intérêts possible.

[49]  Selon la preuve, les titulaires jouent un rôle important au sein de l’équipe de direction et participent intensément à la prise de décisions qui ont des répercussions sur les postes CR-05 faisant partie du groupe PA, dans lequel les titulaires seraient également inclus. Il me semble qu’il s’agit d’un cas où le rôle de conseiller de la direction, au sein de l’équipe de direction et en lien étroit avec le directeur régional, entre directement en conflit avec l’appartenance à l’unité de négociation.

[50]  Les deux témoins ont déclaré qu’ils comptaient sur les coordonnateurs du soutien juridique pour interpréter la convention collective qui s’applique aux adjoints juridiques et s’appliquerait à eux s’ils étaient inclus dans l’unité de négociation. En soi, cela ne suffit pas pour faire pencher la balance. La prestation de conseils sur la convention collective ne fait pas partie des fonctions des coordonnateurs du soutien juridique d’après leurs descriptions de poste. La direction pourrait demander au service des Ressources humaines des conseils sur les relations de travail et la convention collective.

[51]  Toutefois, d’après la preuve qui a été entendue, les coordonnateurs du soutien juridique sont des membres à part entière de l’équipe de direction. Même s’ils ne prennent pas de décisions de gestion, ils jouent certainement un rôle en donnant leurs points de vue et en participant aux discussions qui mènent à ces décisions. Ils sont au courant du raisonnement de la direction, et il semble qu’il y aurait conflit d’intérêts si les titulaires faisaient aussi partie de l’unité de négociation. Les deux témoins ont déclaré compter sur les conseils des titulaires pour assurer le bon fonctionnement de leur bureau.

[52]  Dans Institut professionnel du Service public du Canada c. Canada (Conseil du Trésor) (Groupe de l’économique, de la sociologie et de la statistique - Catégorie scientifique et professionnelle), dossier de la CRTFP 172-02-31 (19710714), [1971] C.R.T.F.P.C. no 8 (QL), l’employeur demandait l’exclusion de MM. Gestrin et Sunga. Le poste de M. Gestrin était un poste de secrétaire adjoint au Comité du Cabinet chargé des priorités et de la planification, tandis que celui de M. Sunga était un poste de fonctionnaire du Conseil privé au Secrétariat du Cabinet (Opérations) de la Division du développement social. Les deux fonctionnaires faisaient partie du groupe professionnel Économique, sociologie et statistique relevant de la catégorie scientifique et professionnelle, une unité de négociation représentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada. Selon la Commission, la proximité au Cabinet de MM. Gestrin et Sunga rendait insoutenable leur participation à l’unité de négociation, compte tenu de la possibilité qu’ils puissent siéger à la table de négociation de la partie syndicale. Par conséquent, la demande d’exclusion a été accueillie.

[53]  Les titulaires ne sont certainement pas à ce niveau dans la hiérarchie. Néanmoins, j’estime que tout comme dans l’affaire mentionnée ci‑dessus, faire à la fois partie de l’équipe de direction et de l’unité de négociation entraînerait une situation intenable. Les titulaires sont trop étroitement liés à la direction pour faire partie de l’unité de négociation.

[54]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[55]  Le poste no 21364, coordonnateur ou coordonnatrice, Soutien juridique, est déclaré poste de direction ou de confiance en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[56]  Le poste no 22246, coordonnateur ou coordonnatrice, Soutien juridique, est déclaré poste de direction ou de confiance en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

Le 23 avril 2020.

Traduction de la CRTESPF

 

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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