Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé une plainte alléguant que la décision de l’employeur de modifier sa politique sur les promotions alors que la demande d’accréditation de l’agent négociateur était en instance devant la Commission contrevenait au gel prévu par la loi – la Commission a conclu que les modifications ne pouvaient pas être considérées comme un maintien du cours normal des affaires – elle a conclu que les modifications n'étaient pas conformes aux attentes raisonnables des employés, aux pratiques de gestion antérieures ou à ce qu'un employeur raisonnable aurait fait dans la même situation – elle a conclu que l’employeur avait enfreint la disposition sur le gel prévu par la loi – la Commission a précisé que, bien que la Loi permette à l’employeur de demander le consentement de la Commission pour apporter les modifications, l’employeur n’a pas choisi cette option.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION (Traduction de la CRTESPF)

I.  Plainte devant la Commission

[1]  La Fédération de la police nationale (FPN) a déposé cette plainte en vertu de l’alinéa 190(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, article 2; la « Loi »). Elle affirme que le Conseil du Trésor (l’« employeur ») a violé l’article 56, une disposition sur gel prévue par la Loi, qui était à l’époque appelée la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Dans la présente décision, par souci de commodité, la « Loi » renvoie aux deux appellations de cette même loi.

[2]  Le 18 avril 2017, la FPN a présenté une demande d’accréditation à titre d’agent négociateur d’une unité de négociation composée de tous les membres réguliers et réservistes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). À cette époque, l’article 56 de la Loi (appelé simplement l’« article 56 »ailleurs dans cette décision) prévoyait ce qui suit :

56 Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie, l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires de l’unité de négociation proposée et pouvant figurer dans une convention collective, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par la Commission. Cette interdiction s’applique, selon le cas :

a) jusqu’au retrait de la demande par l’organisation syndicale ou au rejet de celle-ci par la Commission;

b) jusqu’à l’expiration du délai de trente jours suivant la date d’accréditation de l’organisation syndicale.

 

[3]  Bien que l’article 56 ait été modifié le 19 juin 2017, la modification n’affecte en rien la question dont je suis saisie.

[4]  Dans la plainte déposée le 15 février 2018, la FPN conteste les modifications apportées par l’employeur à sa politique sur les promotions, qui a été mise en œuvre le 20 novembre 2017. Les modifications obligent les caporaux et les sergents de la GRC à réussir certains programmes de formation pour présenter une demande de promotion aux grades de sergent et de sergent d’état-major, respectivement.

[5]  Le 12 juillet 2019, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a accrédité la FPN à titre  d’agent négociateur d’une unité de négociation composée de l’« ensemble des fonctionnaires qui sont membres de la GRC (hormis les officiers et les membres civils) et des fonctionnaires qui sont des réservistes »; voir Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 74.

[6]  La FPN déclare que les modifications apportées à la politique sur les promotions répondent aux critères de ce qui constitue une violation de l’article 56 et ne correspondent pas au cours normal des affaires ou aux attentes raisonnables des employés. Par conséquent, les modifications allaient à l’encontre de l’interdiction réglementaire d’apporter des modifications pendant une période de gel.

[7]  L’employeur reconnaît qu’il a apporté ces modifications unilatéralement pendant la période de gel et qu’il n’a pas avisé les employés des modifications imminentes. Cependant, il indique que les mécanismes mis en place pour effectuer les modifications avaient été activés plusieurs mois auparavant et qu’il aurait fait la même chose s’il n’y avait eu aucune demande d’accréditation en instance et que, par conséquent, il répond au critère relatif au cours normal des affaires décrit dans Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie WalMart du Canada, 2014 CSC 45 (« Wal-Mart » ou l’« arrêt Wal-Mart »).

[8]  L’employeur soutient qu’il y a eu une [traduction] « hybridation » des critères relatifs au cours normal des affaires et des attentes raisonnables des employés dans la récente jurisprudence de la Commission et que, en conséquence, un employeur ne peut avoir recours à une défense fondée sur le cours normal des affaires si les employés ne pouvaient raisonnablement s’attendre à une modification. Il fait valoir que cela ne va pas dans le sens de l’évolution historique des deux critères ni avec l’arrêt Wal-Mart. Il insiste sur le fait que les deux critères fonctionnent de manière indépendante en tant que moyens de défense dont dispose l’employeur et qu’une évaluation objective des attentes des employés ne prive pas l’employeur d’une défense fondée sur le cours normal des affaires.

[9]  Je conclus que la politique sur les promotions comprenait des conditions d’emploi qui existaient le jour du dépôt de la demande d’accréditation, qu’elles ont été modifiées pendant la période de gel sans le consentement de la Commission, et que les modifications pourraient être intégrées dans une convention collective.

[10]  Je conclus en outre qu’en procédant à ces changements, l’employeur ne gérait pas ses affaires comme d’habitude. Les modifications n’étaient pas conformes aux pratiques de gestion antérieures, à ce qu’un employeur raisonnable aurait fait dans la même situation ou aux attentes raisonnables des employés. De plus, l’employeur aurait pu demander le consentement de la Commission pour apporter ces modifications ou simplement attendre qu’elles puissent être traitées à la table de négociation, après l’accréditation. Pour toutes ces raisons, j’estime que l’employeur a enfreint  la disposition sur le gel énoncée à l’article 56.

II.  Contexte

[11]  Les modifications à la politique sur les promotions ont été apportées le 20 novembre 2017, lorsque l’employeur a modifié le chapitre 4 de son Manuel de Gestion des Carrières (MGC) pour y inclure les nouvelles dispositions suivantes :

[Traduction]

10.1.10 Un membre qui est promu au rang de sergent après le 2018-03-31 doit réussir le Programme de perfectionnement des cadres (PPC) avant de demander une promotion au rang de sergent d’état-major.

10.1.11 Un membre qui est promu au rang de caporal après le 2019-03-31 doit réussir le Programme de perfectionnement des superviseurs (PPS) avant de demander une promotion au rang de sergent.

[12]  Le Programme de perfectionnement des cadres (PPC) et le Programme de perfectionnement des superviseurs (PPS) sont décrits comme des [traduction] « programmes de perfectionnement axés sur les compétences » et ont une durée prévue  de 12 mois. Ils comportent trois étapes : l’apprentissage en ligne avant l’enseignement en classe, l’enseignement en classe et l’application en milieu de travail. L’enseignement en classe dure de 5 à 9 jours et doit être suivi en personne. Auparavant, les employés n’étaient pas obligés de suivre ces programmes de formation avant de demander une promotion à ces rangs.

A.  Quelle a été la décision de modifier la politique sur les promotions et quand a‑t‑elle été prise?

[13]  L’employeur a fait valoir que, bien que les modifications aient été mises en œuvre pendant la période de gel, elles avaient été décidées beaucoup plus tôt, lors d’une réunion du 27 juin 2016 de l’État-major supérieur (EMS), soit le groupe de la haute direction qui inclut le commissaire de la GRC. Selon l’employeur, cette décision, prise environ 10 mois avant le début de la période de gel, a été l’élément déclencheur en ce qui concerne la mise en place des modifications.

[14]  Aucun témoin membre de l’EMS n’a présenté de témoignage, mais l’employeur a produit un document en preuve qui semble être un compte rendu des décisions prises lors de cette réunion. Il ne fait pas clairement état de la décision de rendre obligatoire la réussite des programmes PPC et PPS pour demander une promotion aux grades de sergent et de sergent d’état-major. Il énonce ce qui suit :

[Traduction]

Le Comité convient qu’à compter du 1er avril 2017, tous les caporaux, sergents et officiers nouvellement promus doivent terminer respectivement le Programme de perfectionnement des superviseurs, le Programme de perfectionnement des cadres et le Programme de perfectionnement des cadres supérieurs.

[15]  Elizabeth MacDonald, analyste des politiques et des programmes, Programme national des affectations, a témoigné. Elle a reconnu que le dossier ne faisait pas état de la décision de rendre les formations obligatoires pour demander une promotion, mais a dit qu’il était [traduction] « entendu » que c’était l’intention. Elle ne pouvait pas expliquer comment ils en étaient arrivés à cette compréhension ni pourquoi le dossier ne le précisait pas.

B.  Demande de rétroaction de la direction

[16]  Quoi qu’il en soit, après la prise de la décision alléguée, un courriel a été envoyé à chaque division de la GRC pour demander aux employés de supervision, principalement les surintendants, de fournir des commentaires sur la nouvelle ébauche  de politique. Une ébauche de politique précédemment proposée était également jointe au courriel. Aucune explication n’a été fournie à savoir pourquoi l’employeur avait consulté ses superviseurs au sujet d’un changement de politique qui, selon lui, avait déjà été tranché de manière définitive ni pourquoi l’autre politique proposée était également jointe à la demande de rétroaction.

[17]  La plupart des réponses des superviseurs à la demande de rétroaction soulevaient les mêmes préoccupations que celles soulevées plus tard par les employés à la FPN, une fois qu’ils ont pris connaissance des modifications. Les problèmes liés au nombre de places disponibles et à l’accès inéquitable pour les employés travaillant dans de petites divisions ou des divisions éloignées ont été soulevés à plusieurs reprises. L’accès inéquitable pour les employés occupant certains postes a également été mentionné. Les employés travaillant dans le domaine de la médecine légale, par exemple, n’ont généralement aucune fonction de supervision et se voient donc accorder peu de priorité afin de participer à la formation.

[18]  Les commentaires reçus ont été consignés dans un document déposé en preuve intitulé [traduction] « Consultation avec les bureaux divisionnaires de l’avancement professionnel et renouvellement du personnel concernant le PPC et le PPS dans le processus de promotion des sous-officiers, juillet/août 2016 ». Voici un échantillon représentatif des réponses reçues; chaque entrée provient d’une division différente de la GRC :

[Traduction]

Aucune préoccupation concernant la politique elle-même tant que les divisions ont la capacité de formation pour offrir le PPS à tous les [caporaux] susceptibles d’être promus et le PPC à tous les [sergents] susceptibles d’être promus. Si les membres qui souhaitent une promotion ne peuvent accéder à la formation, ils auront alors un grief recevable [...]

[...]

[...] Il peut être difficile pour les petits détachements de libérer les membres pour qu’ils suivent la formation. Ce n’est pas un problème pour les plus grands, mais cela désavantagerait les plus petits. Plusieurs mois pourraient s’écouler avant de pouvoir suivre une formation [...]

[...]

[...] Il est crucial de garantir du temps et la disponibilité des séances de formation du PPS et du PPC dans les divisions afin qu’un candidat méritant ne soit pas exclu du processus parce que la formation n’est pas disponible en temps opportun [...]

[...]

[...] Faire entrer et sortir des membres du [Nunavut] n’est pas une mince affaire. La plupart de nos [caporaux] sont affectés à 2 ou 3 postes de membres [...] il est coûteux d’envoyer des membres hors du [Nunavut]. La plupart des emplacements supposent deux jours de voyage depuis le poste jusqu’à la destination [...] l’envoi de membres au PPS ou PPC sera difficile et seulement si rien ne tourne mal : aucune annulation de vol, brouillard, tempête de neige, etc. Bien que nous appuyions le principe du développement du leadership dans les rangs de [sous-officiers], le [Nunavut] sera mis au défi de libérer des [sous-officiers] pour le PPS et le PPC si cela devenait une formation obligatoire pour le processus de promotion [...]

[...]

Le seul problème que je vois avec cette politique est d’avoir suffisamment de disponibilité pour que les membres soient réellement inscrits dans le cours [...] vous pourriez avoir un [Caporal de la Section de l’identité judiciaire] qui est un [caporal] depuis 5 ans et il sera presque impossible de les inscrire sans qu’ils ne soient délogés avant la formation [...] Cela mettra certains membres dans une situation très défavorable pour les futures opportunités de promotion s’ils sont tenus de suivre la formation pour demander une promotion, mais qu’ils ne peuvent pas suivre une formation de PPS ou PPC, ce qui ne serait pas de leur faute. S’ils veulent aller de l’avant avec cela, ils doivent donner à tous des chances égales de suivre la formation, ce qui supposera de proposer beaucoup plus de séances de formation.

[...]

Ces formations ont toujours été assez difficiles à obtenir. S’ils doivent être obligatoires pour la promotion, ils devront être offerts à tout le monde en temps opportun. De plus [...] ils ne semblent pas considérer que les membres de la [Section de l’identité judiciaire] ont besoin de cette formation, ce qui peut causer des problèmes pour pourvoir des postes lorsque ces politiques entrent en vigueur et ce qui pourrait avoir des conséquences plus grandes sur la [Section de l’identité judiciaire] que sur d’autres postes de la Force.

[...]

Historiquement, les membres ne se voyaient pas toujours proposer de suivre le PPS ou PPC car l’[Apprentissage et le Perfectionnement] n’avait pas la capacité de dispenser la formation où et quand elle était nécessaire. Qu’est-ce qui a changé? De plus, si les membres ne supervisaient pas, ils n’étaient pas autorisés à suivre la formation, est-ce que cela a changé? Le PPS sera-t-il offert à tous les gendarmes au Canada? Les détachements permettront-ils de bon gré à leurs membres de suivre cette formation avec le taux de postes vacants tel qu’il est actuellement?

C.  Si la décision a été prise le 27 juin 2016, était-elle définitive ?

[19]  Un long processus, que Mme MacDonald a qualifié de [traduction] « va‑et‑vient », s’est ensuivi alors que les changements à la politique ont été rédigés et reformulés. Dans certains cas, des questions de fond connexes ont continué d’être discutées et débattues. Par exemple, en octobre 2016, la question de savoir qui approuverait les exceptions lorsqu’un employé ne répond pas aux exigences a été discutée et tranchée.

[20]  Les modifications ont finalement été approuvées (comme l’indique le document) le 24 mars 2017. Elles ont été approuvées par Christine Vaillant, gestionnaire, Programme national des affectations, Nadim Lakhani, directeur par intérim, Programme national des affectations, et Stephen White, commissaire adjoint, Assistant principal des Ressources humaines et directeur général, Programmes et services relatifs à l’effectif. Cependant, par la suite, d’autres modifications ont été apportées; le 18 mai 2017, pendant la période de gel, les mêmes personnes ont approuvé une version révisée.

[21]  L’employeur suggère qu’il ne faut pas confondre cette approbation avec l’approbation de l’EMS, dont le libellé est ambigu et qui a été incorrectement enregistrée le 27 juin 2016, soit 10 mois avant la période de gel. Il indique que le document signé du 18 mai 2017, n’était qu’une approbation du libellé spécifique de la politique. La preuve n’étaye pas cette conclusion.

[22]  Le 22 juin 2017, Mme MacDonald a contacté Jamie Taplin, directeur, Programmes nationaux de rendement, pour voir si les modifications à la politique allaient de l’avant. Elle a été informée que les dates d’entrée en vigueur devaient changer. La politique devait tout d’abord être appliquée aux sergents et, un an plus tard, aux caporaux, plutôt que l’inverse. Il s’agissait d’une autre modification de fond, et une modification assez importante – certainement pour les sergents.

[23]  En contre-interrogatoire, Mme MacDonald a confirmé que la politique pouvait encore être modifiée à ce stade. De toute évidence, elle était toujours en cours de modification deux mois après la mise en œuvre du gel, alors que celui-ci était toujours en cours.

[24]  Le 23 juin 2017, Mme MacDonald a été informée que le nouveau directeur général des programmes nationaux de rendement voulait effectuer une dernière vérification de la politique. Ensuite, elle a été informée que le nouveau directeur général voulait apporter des modifications. Ensuite, elle a été informée [traduction] « que les plans du PPS et du PPC dans le processus de promotion pourraient être modifiés ou retardés » et que [traduction] « nous sommes en attente ». Elle en a informé les autres à son tour.

[25]  En contre-interrogatoire, Mme MacDonald a confirmé qu’il semblait que la décision de mettre en œuvre les modifications était toujours ouverte à ce moment-là, même si elle a dit qu’elle n’avait jamais entendu dire qu’elles ne seraient pas mises en œuvre. Certes, elle a dû s’inquiéter quelque peu que les modifications n’aillent pas de l’avant. Dans des courriels du 22 juin et du 17 août 2017, elle a essayé de vérifier le statut et a suggéré que si les modifications apportées à la politique sur les promotions n’allaient pas de l’avant, qu’elles devraient être supprimées de l’ébauche afin que les autres modifications puissent être faites.

[26]  Finalement, les modifications ont été approuvées le 23 octobre 2017, après quoi la nouvelle version du chapitre 4 du MGC a été publiée sur le site « Infoweb » de l’employeur, le 20 novembre 2017.

[27]  On ne sait pas clairement si une décision définitive quelconque a été prise le 27 juin 2016. Selon les éléments de preuve, ce n’est qu’à partir du 23 octobre 2017, que l’on peut de façon crédible dire que l’employeur a pris une décision définitive sur le contenu de fond de ces modifications à la politique ou même sur la question de savoir s’il procéderait à ces modifications. C’était six mois après le début de la période gel, alors que celle-ci était toujours en cours.

D.  Annonce tardive aux employés après publication

[28]  Le 11 novembre 2016 (un an avant la finalisation et la publication des modifications à la politique), Mme MacDonald a écrit ce qui suit à Louise Roy, gestionnaire du Programme national, Programmes nationaux de rendement [traduction] : « Pouvez-vous me dire si l’[Apprentissage et le perfectionnement] prévoit une communication nationale sur les changements à venir du PPS et PPC? » Mme Roy a répondu en déclarant, entre autres, [traduction] : « Selon [Daniel Fitzpatrick, directeur des programmes nationaux de rendement], la communication pourrait être prête pour janvier. »

[29]  Le 8 décembre 2016, Mme MacDonald a effectué un suivi auprès de Mme Roy, comme suit :

[Traduction]

 

[...] Le projet de la section sur le PPS et PPC du chapitre 4 du MGC a été envoyé aux Directives pour leur information et nous prévoyons de l’inclure avec d’autres modifications au chapitre 4 du MGC pour publication au cours des prochains mois, au plus tard le 1er avril. C’est la raison pour laquelle je posais des questions sur le document de communication. Il est important de communiquer les renseignements avant qu’ils n’apparaissent dans la politique afin que cela ne surprenne pas les membres. Je prévois d’ajouter une question à notre FAQ et de demander au Groupe des promotions nationales d’inclure un message sur le site Promo avec un lien vers le communiqué.

[Je mets en évidence]

 

[30]  Le 30 janvier 2017, Mme MacDonald a de nouveau fait un suivi, demandant à Stéphane Rainville, gestionnaire du Programme national, Programmes nationaux de rendement, une mise à jour sur le plan de communication. Il a répondu comme suit : [traduction] « Nous avons un plan de communication. J’attendais de finaliser le tout avant d’aller de l’avant. » Le 14 septembre 2017, Jamie Taplin a demandé à être tenu au courant de la date de publication, afin que la communication puisse être synchronisée avec la publication des modifications à la politique.

[31]  Un an plus tard, le 8 janvier 2018, M. Rainville a envoyé le message approuvé à la Direction des communications pour distribution. Cependant, la date à laquelle le message a été envoyé pour informer les employés des modifications n’a pas été présentée en preuve. Mme MacDonald a seulement été en mesure de déclarer qu’il avait été envoyé au cours du mois de février 2018. Elle a également confirmé que rien n’avait été envoyé avant, pas même un courriel rapide, pour avertir les employés des modifications. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi les employés n’avaient été informés que quelques mois après la publication des modifications sur Infoweb, Mme MacDonald a répondu que les modifications n’étaient entrées en vigueur qu’en avril 2018; par conséquent, personne n’a été touchée avant cette date.

[32]  J’ai été frappée par le contraste entre cette réponse et le courriel du 8 décembre 2016, de Mme MacDonald à Mme Roy. Ses premiers mots méritent d’être répétés [traduction] : « C’est la raison pour laquelle je posais des questions sur le document de communication. Il est important de communiquer les renseignements avant qu’ils n’apparaissent dans la politique afin que cela ne surprenne pas les membres. » Son indifférence apparente dans son témoignage quant au fait qu’une annonce tardive aurait pu avoir des conséquences négatives sur les employés était surprenante à la lumière de sa préoccupation exprimée plus tôt, en décembre 2016.

E.  La réaction des employés et de la FPN aux modifications

[33]  Lorsque les employés ont finalement été informés des modifications, la FPN a commencé à recevoir des commentaires de leur part, lesquels portaient principalement sur les préoccupations qu’ils pourraient se voir refuser l’accès à ces programmes, dans un certain nombre de circonstances, ce qui pourrait poser de sérieux problèmes pour les parcours professionnels de ces employés, étant donné que l’achèvement des cours était désormais obligatoire pour la promotion au sein de la hiérarchie.

[34]  Dans son témoignage, Brian Sauvé, coprésident de la FPN, a clairement indiqué que la FPN appuie entièrement l’employeur dans ses efforts pour s’assurer que les employés de supervision soient bien formés. Les préoccupations de la FPN portent uniquement sur la manière de mettre en œuvre efficacement et équitablement un tel changement, en abordant les obstacles qui affectent l’accès aux programmes de formation.

[35]  Les employés étaient préoccupés par le fait que l’accès puisse être refusé ou considérablement retardé en raison du manque de soutien de leurs superviseurs en ce qui concerne leur participation, que ce soit pour des motifs opérationnels ou tout autre motif. Ils étaient préoccupés par le nombre de places disponibles et le manque d’espaces. Les employés des petits détachements éloignés savaient que le besoin de plus de temps pour les déplacements et le manque de personnel pour les remplacer pendant leurs absences feraient en sorte qu’il serait plus difficile pour eux de participer à la formation.

[36]  M. Rainville a indiqué dans son témoignage que, à son avis, la disponibilité des formations est suffisante pour tous les employés; je ne doute pas qu’il fasse de son mieux pour s’en assurer. Cependant, son évaluation de la situation, en tant que fournisseur de la formation, a été minée par la mesure dans laquelle les préoccupations des employés reflétaient les commentaires des surintendants. Bien qu’aucun des surintendants n’ait témoigné, l’employeur a produit en preuve le document de consultation, daté de juillet/août 2016, dans lequel étaient consignés leurs commentaires écrits. Étant donné la similitude frappante entre ces commentaires et les préoccupations des employés, je reconnais que les deux donnent une image fidèle de la situation sur le terrain.

[37]  De toute évidence, le fait que ces formations soient obligatoires en vue d’avoir une promotion, sans d’abord éliminer les obstacles à leur accès, pourrait rendre la promotion au sein de la hiérarchie dépendante de facteurs tels que la taille, l’emplacement et les exigences opérationnelles du détachement d’un candidat, plutôt que de son mérite.

[38]  Après avoir examiné ces questions, il est important de noter que le gel statutaire est une disposition de responsabilité stricte. Peu importe les raisons pour lesquelles l’employeur a apporté les modifications, les préoccupations des employés concernant la mise en œuvre des modifications ou le bien-fondé objectif des modifications, la disposition doit être appliquée.

III.  La question en litige

[39]  La principale question à trancher peut être énoncée simplement. Les modifications unilatérales apportées à la politique sur les promotions de la GRC pendant la période de gel découlant de la demande d’accréditation peuvent-elles être considérées comme faisant partie du cours normal des affaires, uniquement sur la base de discussions internes avec la direction, sans préavis aux employés?

IV.  Motifs

[40]  Les dispositions législatives sur le gel remplissent une fonction vitale. De nombreuses décisions de la Commission et d’autres autres organismes de relations de travail renvoient à l’objectif des interdictions et au rôle crucial que celles-ci jouent dans nos régimes de relations de travail.

[41]  La Loi prévoit deux périodes de gel statutaire. Le gel en vertu de l’article 56 s’applique à la période suivant le dépôt d’une demande d’accréditation. Le gel en vertu de l’article 107 s’applique à la période suivant la signification d’un avis de négociation collective et est en vigueur depuis le début de la négociation collective dans le secteur public fédéral en 1967. Le gel en vertu de l’article 56 a été ajouté plus tard, lors de la refonte législative de 2005, qui a donné lieu à la création de la Loi.

[42]  Il s’agit de la première fois que la Commission examine une allégation de violation de la disposition relative au gel en vertu de l’article 56.

[43]  L’objet du gel après l’avis de négociation collective (article 107) est de
fournir aux parties une plateforme stable de négociation, et vise
ce qui suit (voir Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2016 CRTEFP 26, au paragraphe 47, citant Canadian Union of Public Employees v. Scarborough Centenary Hospital Association, [1978] OLRB Rep. July 679, au paragraphe 8) :

[Traduction]

 [...] maintenir le statu quo de la relation de travail de sorte que le syndicat ait la possibilité d’entamer des négociations et de négocier pour une convention collective à partir d’un point de départ fixe et dans une ambiance de relations industrielles sécuritaires qui n’est pas perturbée par des modifications aux conditions de travail [...]

 

[44]  Le gel suivant une demande d’accréditation vise également à maintenir un point de départ fixe pour la négociation collective. Cependant, il a tout d’abord pour objectif de favoriser l’exercice du droit d’association et de faciliter l’accréditation elle-même. Il limite l’influence de l’employeur et apaise les préoccupations des employés qui exercent activement leurs droits en limitant le pouvoir de gestion de l’employeur pendant une période critique (voir l’arrêt Wal-Mart, aux paragraphes 34 à 36).

[45]  Les deux types de gels figurent  dans la législation sur les relations de travail de chaque juridiction provinciale ainsi qu’au niveau fédéral dans la Loi et dans le Code canadien du travail (L.R.C., 1985, ch. L-2; le « Code »). La jurisprudence des commissions du travail de toutes les juridictions a largement appliqué les mêmes approches analytiques aux deux types de gel, et les deux parties ont suggéré que la Commission fasse de même. Je propose de le faire, tout en gardant à l’esprit le fait que, bien que les deux types de gel soient d’une importance cruciale pour notre régime de relations de travail, je suis d’avis que le gel en vertu de l’article 56 sert l’objectif quelque peu accru de faciliter l’accréditation elle-même, qui est la base même de la relation de négociation collective.

[46]  Je souligne également une autre différence. Le gel en vertu de l’article 56 offre à l’employeur une option qui n’est pas disponible en vertu de l’article 107, en ce qu’il peut demander à la Commission d’accorder des modifications pendant la période de gel.

A.  Éléments du gel statutaire prévu à l’article 56

[47]  Une organisation d’employés qui conteste une violation alléguée de l’article 56 doit démontrer qu’une condition d’emploi existait le jour du dépôt de la demande d’accréditation, qu’elle a été modifiée pendant la période de gel sans le consentement de la Commission, et qu’elle pouvait être incluse dans une convention collective.

[48]  Il n’est pas contesté que la condition d’emploi (admissibilité à demander à être promu aux grades de sergent et de sergent d’état-major, sans obligation de suivre les cours du PPS ou du PPC) existant le 18 avril 2017, soit la date à laquelle la FPN a présenté sa demande d’accréditation. Il n’est pas contesté que l’employeur les a modifiées sans le consentement de la Commission, et qu’il l’a fait le 20 novembre 2017, soit pendant la période de gel. Enfin, il n’est pas contesté que cette condition d’emploi pourrait être incluse dans une convention collective.

[49]  Cependant, il est admis depuis longtemps dans la jurisprudence de la Commission et d’autres commissions des relations de travail que, même si ces éléments sont établis, un gel statutaire n’oblige pas l’employeur à maintenir un environnement de travail complètement statique. Par conséquent, certaines modifications peuvent être apportées sans violer l’interdiction, si elles s’inscrivent dans le cours normal des affaires de l’employeur ou si elles répondent aux attentes raisonnables des employés, ou les deux.

[50]  L’employeur fait valoir que les deux critères sont distincts et que les attentes des employés ne peuvent pas être prises en compte dans une analyse concernant le cours normal des affaires. Il ajoute que de mélanger les deux critères va non seulement à l’encontre de leur évolution historique, mais qu’il a été confirmé par l’approche de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wal-Mart qu’il s’agissait d’une erreur d’agir ainsi.

[51]  Je suis en désaccord avec l’employeur sur les deux points. La jurisprudence qui applique ces deux approches analytiques de manière complémentaire et interreliée est entièrement conforme à la façon dont ces critères ont évolué historiquement. En outre, je ne vois rien dans l’arrêt Wal-Mart qui change cela ou qui suggère même qu’une évaluation des attentes des employés ne devrait pas faire partie d’une analyse relative au cours normal des affaires.

B.  L’approche des attentes raisonnables des employés

1.  Évolution historique

[52]  Le critère relatif au cours normal des affaires a commencé comme un moyen d’aborder le libellé littéral des dispositions relatives au gel avec plus de souplesse. Ces dispositions pourraient être interprétées comme signifiant qu’aucune modification n’est autorisée – qu’elles nécessitent un gel [traduction] « statique » ou [traduction] « profond ». C’est également ce qui a été conclu dans certaines décisions. Cependant, dans la plupart des affaires, les commissions des relations du travail n’ont pas voulu interpréter les dispositions de gel de cette façon. La jurisprudence a reconnu que les employeurs doivent continuer de gérer leurs activités, en particulier compte tenu du délai parfois long entre la demande d’accréditation et l’accréditation en soi, et entre l’avis de négocier collectivement et la finalisation d’une convention collective.

[53]  L’approche relative au cours normal des affaires vise à veiller à ce que les employeurs n’apportent pas de modifications inattendues qui pourraient avoir une incidence sur l’accréditation ou la négociation collective, tout en n’étant pas coincés dans une situation de gel importante. Cependant, la question de savoir si une modification enfreint une disposition de gel n’est pas une science exacte, et le critère relatif au cours normal des affaires ne s’est pas avéré utile dans toutes les situations. Par exemple, il pourrait parfois être difficile d’appliquer ce critère dans un contexte ultérieur à la demande d’accréditation. La demande elle-même crée une modification très importante qui doit avoir une incidence sur ce qui peut être considéré comme le cours normal des affaires. Il a été reconnu que le cours normal des affaires ne signifie pas qu’un employeur peut continuer à prendre des décisions unilatérales comme il le faisait dans son environnement antérieur, non syndiqué, simplement parce que c’est ce qu’il faisait auparavant.

[54]  Lorsqu’une analyse relative au cours normal des affaires ne se prêtait pas bien à une situation ou était difficile à appliquer, les commissions des relations de travail ont commencé à poser la question suivante : [traduction] « Quelles sont les attentes raisonnables des employés? » Si les employés pouvaient raisonnablement s’attendre à un changement (parce qu’il y avait une tendance antérieure concernant de tels changements ou parce qu’ils avaient été informés que ceux-ci allaient arriver), il devenait alors plus probable que l’on tire la conclusion qu’il s’agit d’un changement relatif au cours normal des affaires qui ne va pas à l’encontre de la disposition relative au gel.

[55]  Il ne s’agit pas d’une nouvelle question. L’approche fondée sur les attentes raisonnables des employés pour déterminer si une modification constitue le cours normal des affaires est apparue il y a des décennies et, dès le début, n’a pas été appliquée comme un critère distinct, mais plutôt comme une approche analytique complémentaire.  

[56]  Dans Milk and Bread Drivers, Dairy Employees, Caterers and Allied Employees, Local Union 647, affiliated with the International Brotherhood of Teamsters v. Canada Bread Company Limited, 2016 CanLII 25094 (ON LRB) (« Canada Bread »), la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) a retracé cet historique au paragraphe 224, citant les paragraphes 30 à 34 de Canadian Union of United Brewery, Flour, Cereal, Soft Drink & Distillery Workers v. Simpsons Limited, [1985] OLRB Rep. April 594 (« Simpsons Limited »), et a fait remarquer que cette affaire donnait un [traduction] « [...] exposé et une application utiles du critère des "attentes raisonnables" » :

[Traduction]

30. Les dispositions sur le gel visent deux catégories d’événements. Il y a les changements qui peuvent être comparés à une tendance (aussi difficile qu’elle soit à préciser), et l’historique précis des activités de cet employeur , qui sont pertinents lors de l’évaluation de l’incidence du gel. Il y a aussi les événements survenant pour la première fois, catégorie pour laquelle le principe relatif au cours normal des activités n’est pas toujours utile pour mesurer la portée des privilèges des employés. Certains événements survenant pour la première fois ont été rapidement rejetés par la [CRTO] [...] D’un autre côté, la [CRTO] a maintenu le droit d’un employeur de mettre en disponibilité des employés pendant le gel (en supposant qu’il n’y ait pas d’antisyndicalisme dans la décision) [citations omises] [...]

31Au lieu de se concentrer sur le cours normal des affaires, la [CRTO] juge appropriée d’évaluer les privilèges des employés qui sont gelés en vertu de la loi et, par conséquent, de délimiter les droits autrement illimités de l’employeur, en se concentrant sur les attentes raisonnables des employés. L’approche fondée sur les attentes raisonnables, de l’avis de la [CRTO], répond aux deux catégories d’événements visés par le gel, intègre la jurisprudence de la [CRTO] et établit un équilibre approprié entre les droits des employeurs et les privilèges des employés dans le contexte de la disposition législative. 

32Le langage relatif aux attentes raisonnables est apparu dans un certain nombre de décisions portant sur la disposition sur le gel. Voir, par exemple, Corporation of the Town of Petrolia, précité; Scarborough Centenary Hospital, précité; Oshawa General Hospital, York-Finch Hospital, précité; St. Mary’s Hospital, 1119791 OLRB Rep. Aug. 795 (Décision omise de [1979] OLRB Rep. March); AES Data Limited [1979] OLRB Rep. May 368 [...] Ainsi, de l’avis de la [CRTO], les attentes raisonnables des employés en tant que mesure appropriée des privilèges accordés aux employés qui sont protégés par le gel constituent un fil conducteur commun aux décisions antérieures. En l’espèce, la [CRTO] formule expressément le critère.

33. L’approche des attentes raisonnables intègre clairement la pratique de l’employeur dans la gestion de ses activités. La norme est objective : quels privilèges (ou « avantages », pour reprendre un terme souvent utilisé dans la jurisprudence) un employé raisonnable considère-t-il comme acquis dans les circonstances propres à cet employeur [...]

34. L’approche des attentes raisonnables inclut également les affaires qui confirment le droit de l’employeur de mettre en œuvre des programmes pendant le gel, lorsque de tels programmes ont été adoptés avant le gel et communiqués (expressément ou implicitement) aux employés avant le début du gel : Le Patro d’Ottawa, [1983] OLRB Rep. Feb. 244 [...]

[57]  La Commission, alors nommée Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, a abordé cette question dans Association canadienne des employés professionnels c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (Services publics et Approvisionnements Canada), 2016 CRTEFP 68, citant Alliance de la Fonction publique du canada c. Conseil du trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 19, quant au fait que le critère relatif au cours normal des affaires ne serait pas contredit par le critère relatif aux attentes raisonnables des employés. Les employés s’attendraient à ce que le cours normal des affaires soit maintenu pendant une période de gel. La Commission a mentionné ce qui suit : « L’approche de la poursuite des activités normales n’est pas exclusive à l’approche de l’attente raisonnable. La poursuite des activités normales de l’employeur dans la détermination des heures de travail inclut les attentes des traducteurs parlementaires. »

[58]  La récente décision dans Syndicat international des employées et employés professionnels(les) et de bureau c. Hélicoptères Canadiens limitée (Hélicoptères Canadiens Offshore), 2018 CCRI 891, a conclu que l’introduction d’une structure de rémunération et d’un calendrier de travail différents pour les nouveaux employés violait le paragraphe 24(4), soit la disposition du Code canadien du travail sur le gel après la présentation de la demande d’accréditation. Le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a suivi la jurisprudence antérieure et a clairement mélangé les deux critères, comme suit :

[...]

[97] Dans l’optique de cette vérification du « statu quo », le [CCRI] se demande si les changements apportés faisaient partie des pratiques normales de l’employeur (voir Québec Aviation Limitée (1985), 62 di 41 [...]). À cette fin, le [CCRI] étudie les circonstances générales de l’exploitation de l’employeur [...] et il examine si le changement est une pratique courante ou établie telle qu’elle constitue elle-même une condition d’emploi [...] Si c’est le cas, il sera permis à l’employeur de modifier les conditions de travail sans que l’approbation du syndicat ou du [CCRI] soit nécessaire.

[98] Dans le cadre de cette vérification, le [CCRI] sera influencé par le fait qu’un employeur ait cherché à aviser, à consulter ou à informer le syndicat du processus qu’il entreprenait pour mettre en œuvre un changement [...] Lorsque les actions d’un employeur sont planifiées ou formulées, décidées et communiquées aux employés, et qu’elles sont effectivement mises en application avant le dépôt de la demande d’accréditation, la disposition du Code sur le gel ne s’applique pas à ces actions, même si la date réelle de commencement est postérieure au dépôt de la demande [...]

[...]

[59]  Le CCRI n’a trouvé aucune preuve d’une pratique habituelle de mise en œuvre de différentes structures de rémunération et de différents calendriers de travail pour différents employés ni aucune indication que l’employeur avait informé les employés. Lors du contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du CCRI, qui a conclu que la disposition sur le gel avait été violée (voir Canadian Helicopters Limited c. Syndicat international des employées et employés professionnels(les) et de bureau, 2020 CAF 37).

[60]  Une autre décision récente de la Cour d’appel fédérale, Association des pilotes fédéraux du Canada c. Procureur général du Canada, 2020 CAF 52, a adopté le même point de vue dans son analyse de ces deux approches interconnectées, comme suit :

[Traduction]

[...]

[12] [...] Il n’était pas nécessaire que la Commission [...] ait articulé le « critère des attentes raisonnables des employés », qui aurait probablement abouti à un résultat similaire sur ces faits, de toute façon. En effet, comme l’a souligné la Commission au paragraphe 76 dans Alliance de la Fonction publique du canada c. Conseil du trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 19 [...] le critère de la "pratique antérieure" [...] ne serait pas contredit par le critère relatif aux "attentes raisonnables" ». Dans l’une ou l’autre formulation, ce qui est pertinent est de savoir si les modifications contestées ont commencé avant le début du gel ou si elles faisaient partie de la façon dont l’employeur fonctionnait auparavant ou dont on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il fonctionne [...]

[...]

[61]  De toute évidence, le critère des attentes raisonnables des employés s’est développé historiquement comme une approche alternative, mais complémentaire, pour déterminer si une modification constituait le cours normal des affaires ou si elle violait un gel statutaire en posant la question, [traduction] « quelles seraient les attentes d’un employé raisonnable quant à ses conditions d’emploi ou ses avantages sociaux dans les circonstances particulières de son employeur? » Un examen de la jurisprudence ne révèle aucune différence dans la façon dont ces approches analytiques ont été appliquées depuis leurs tout débuts, il y a une quarantaine d’années, jusqu’à aujourd’hui.  

2.  L’importance de l’interprétation téléologique

[62]  La jurisprudence révèle qu’il a toujours été primordial, et à juste titre, de veiller à ce que l’objectif des dispositions sur le gel soit atteint, quelle que soit la voie d’analyse particulière adoptée. Par exemple, dans la récente décision rendue dans Public Service Alliance of Canada v. Anishinabek Police Service, 2018 CanLII 81987 (ON LRB) (« Anishinabek »), la CRTO a présenté comme suit un examen de l’ancienne jurisprudence en soulignant l’importance primordiale accordée à une application téléologique de ces critères :

[Traduction]

[...]

37. Avant d’examiner la jurisprudence spécifique de la [CRTO] concernant le licenciement pendant la période de gel, il convient de passer brièvement en revue la jurisprudence générale de la [CRTO] sur ce qu’est actuellement l’article 86. Sur une période d’au moins 40 ans, la [CRTO] s’est concentrée sur divers critères évolutifs tels que le critère des « pratiques antérieures » ou le critère du « cours normal des affaires », ou le critère des « attentes raisonnables des employés », ou l’examen de la relation entre la conduite reprochée et le processus de négociation. Cependant, en décrivant et en appliquant ces critères, la [CRTO] s’est montrée sensible et a accordé une importance primordiale à l’objectif de la disposition.

[...]

[63]  Au paragraphe 38 de Anishinabek, la CRTO poursuit en citant Forintek Canada Corp., [1986] OLRB Rep. Apr. 453, aux paragraphes 38 et 39 de cette affaire :

[Traduction]

[...]

38. [...] Le « gel statutaire » [...] a pour but de maintenir la tendance antérieure de la relation d’emploi dans son ensemble pendant que les parties négocient une convention collective. Cela garantit qu’ils auront une base fixe à partir de laquelle commencer les négociations et empêchera les modifications unilatérales du statu quo qui pourraient conférer à une partie un avantage injuste, soit du point de vue de la négociation, soit de la propagande [...]

39. [...] Des difficultés concernant le sens littéral des termes de cet article ont conduit la [CRTO] à adopter une interprétation téléologique des « pratiques antérieures » [...] qui exige qu’un employeur continue de gérer ses activités selon le modèle établi avant que les circonstances ayant donné lieu au gel ne se produisent : Spar Aerospace Products Limited, [1978] OLRB Rep. Sept. 859 [...] L’importance du point de vue des employés dans une analyse téléologique de l’article 79 sous-tend l’évolution récente de l’approche du « cours normal des affaires » dans le critère des « attentes raisonnables des employés » appliqué dans Simpsons Limited, [1985] OLRB Rep. April 594 [...]

3.  L’approche dans l’arrêt Wal-Mart signifie-t-elle que les deux critères sont séparés et distincts?

[64]  L’employeur déclare qu’en plus de leur évolution historique, les deux critères ont été confirmés comme étant séparés et distincts par l’approche adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wal-Mart. Je ne vois rien de tel dans leur évolution historique ni dans l’arrêt Wal-Mart.

[65]  Premièrement, les circonstances factuelles de tout cas détermineront l’orientation et l’approche ou les approches analytiques qui seront appliquées. La situation factuelle dans l’arrêt Wal-Mart était la suivante : une semaine après que le syndicat ait demandé l’arbitrage de la première convention, et le jour même de la nomination de l’arbitre, Walmart a annoncé qu’il fermerait son magasin rentable nouvellement syndiqué à Jonquière (Québec) et qu’il mettrait en disponibilité l’ensemble de son effectif de près de 200 employés. Un cas extrême et inhabituel, c’est le moins qu’on puisse dire.

[66]  La question principale dont était saisie la Cour suprême du Canada était de déterminer si la cessation d’emploi dans le contexte d’une fermeture d’entreprise constituait une modification des conditions d’emploi auxquelles l’interdiction de la période de gel (l’article 59 du Code du travail du Québec (RLRQ, ch. C-27)) s’appliquerait, ou si la notion de violation du gel ne s’appliquait tout simplement pas étant donné qu’un employeur a le droit de fermer son exploitation pour une raison quelconque.

[67]  Ayant conclu que la disposition relative au gel s’appliquait, la majorité de la Cour suprême du Canada a suivi la jurisprudence et s’est demandé si les licenciements se déroulaient conformément au cours normal des affaires. Pour déterminer cela, la Cour a examiné les pratiques de gestion antérieures et s’est demandé si un employeur raisonnable aurait fait la même chose dans la même situation. Sa tâche était de déterminer si la Cour d’appel du Québec avait eu raison d’annuler la décision de la Cour supérieure du Québec, qui avait confirmé la décision d’un arbitre selon laquelle Walmart avait violé la disposition sur le gel.

[68]  La Cour suprême du Canada a conclu que l’arbitre s’était raisonnablement appuyé sur des éléments de preuve démontrant que les actions de Walmart ne correspondaient pas aux pratiques de gestion antérieures. Elle a également conclu que Walmart n’avait pas agi comme l’aurait fait un employeur raisonnable dans la même situation. Cela reposait en partie sur des preuves relatives aux attentes des employés découlant de renseignements que Walmart avait communiqués et qui détaillaient la bonne performance financière du magasin et la possibilité de recevoir des bonis. Au paragraphe 95, la Cour a déclaré ce qui suit :

95 Dans ses commentaires sur la règle des « pratiques habituelles de gestion » et sur son application en l’espèce, l’arbitre Ménard n’a pas imposé à l’employeur un fardeau de preuve inapproprié. En effet, à l’examen de la décision, il ressort clairement de son analyse de la preuve présentée par le Syndicat que celui-ci avait démontré que le magasin n’était pas dans une situation laissant présager sa fermeture. À titre d’exemple, au tout début de ses motifs, Me Ménard indique qu’il retient notamment ce qui suit de « compléments de preuve » :

[L]’employeur n’a jamais révélé à quiconque qu’il entendait cesser ses activités ou encore qu’il rencontrait des difficultés financières. Au contraire, il laissait savoir que, dans une perspective de cinq (5) ans, le magasin évoluait très bien et que les objectifs étaient rencontrés. [par. 2]

Un peu plus loin, il cite un extrait du témoignage de Gaétan Plourde, dans lequel ce dernier révèle que le directeur de l’établissement lui avait laissé entendre que des bonis seraient versés pour l’année 2003 (par. 2).

 

[69]  Au paragraphe 96, la Cour a conclu qu’il était raisonnable pour l’arbitre de conclure qu’un « [...] employeur raisonnable n’aurait pas fermé les portes d’un établissement qui "évoluait très bien" et où "les objectifs étaient rencontrés", à tel point que des bonis étaient promis. » Pour ce motif, la Cour a rétabli la décision de l’arbitre.

[70]  Le concept relatif aux attentes des employés est un aspect intrinsèquement logique d’une analyse relative au cours normal des affaires. Si les employés s’attendent raisonnablement à ce que quelque chose se produise, en l’absence d’une preuve du contraire, on peut supposer qu’ils ont cette attente parce que cela s’est déjà produit, parce que cela se produit généralement ou parce qu’on leur a dit que cela se produirait. Leurs attentes ne sont pas créées de toutes pièces, mais sont basées sur leurs expériences de travail ou sur ce qu’on leur a dit. C’est une simple question de logique et de probabilité.

[71]  Rien dans l’arrêt Wal-Mart ne suggère que les commissions des relations du travail ne devraient plus appliquer ce critère. Les employés de Walmart avaient une attente raisonnable que le magasin reste ouvert et que leurs emplois continuent d’exister, car on leur avait dit que le magasin atteignait ses objectifs financiers et que des bonis seraient versés (voir l’arrêt Wal-Mart, au paragraphe 95). Ils savaient que des employeurs raisonnables ne ferment pas soudainement des entreprises qui font de l’argent. Le concept relatif aux attentes des employés et l’idée de ce qu’aurait fait un employeur raisonnable dans la même situation sont inextricablement liés.

[72]  Le fait que la Cour suprême du Canada ait principalement mis l’accent sur les pratiques de gestion antérieures, selon le critère de l’employeur raisonnable dans la même situation, dans le contexte de la situation factuelle de l’arrêt Wal-Mart, ne signifie pas que les attentes raisonnables des employés n’étaient pas pertinentes à la prise en considération de toute défense fondée sur le cours normal des affaires ni que ces critères doivent d’une manière ou d’une autre être séparés et distincts.

[73]  La position que l’employeur m’a présentée ne tient pas compte du fait que les attentes raisonnables des employés ont en partie éclairé l’analyse fondée sur un « employeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances » (voir l’arrêt Wal‑Mart, aux paragraphes 95 et 96). Cette position ignore également le passage suivant de l’arrêt Wal-Mart, qui considère expressément l’attente raisonnable des employés que leur employeur ne mette fin à leur emploi, sauf si tel est prévu par  la loi :

[...]

[42] La condition du maintien du lien d’emploi est intégrée de manière implicite au contrat de travail, sans qu’il soit nécessaire de la stipuler expressément [...] Jusqu’à ce que survienne un de ces cas, l’employeur se trouve lié par une obligation de maintenir le salarié dans son emploi. D’ailleurs, ce principe est d’autant plus fondamental, dans notre société moderne, que l’importance systémique du travail rend la grande majorité des salariés totalement dépendants de leur emploi [...] Dans ce contexte, on peut affirmer qu’il existe chez ces salariés une attente raisonnable que l’employeur ne remette pas en cause leur emploi, sauf dans la mesure et les circonstances prévues par la loi.

[...]

[74]  En outre, il ne s’agit tout simplement pas d’une inférence logique. Même en l’absence d’analyse tenant compte des attentes raisonnables des employés, je ne conclurais pas que la Cour suprême du Canada avait l’intention de tracer une frontière artificielle entre deux approches analytiques utilisables, mais imparfaites, qui se sont incontestablement révélées plus utiles dans la plupart des situations lorsqu’elles sont appliquées ensemble. Rien dans la décision ne le suggère. Interpréter l’arrêt Wal‑Mart de cette façon signifierait ignorer des décennies de jurisprudence des commissions des relations du travail, dont la grande majorité a utilisé les deux critères de façon complémentaire. Une telle interprétation signifierait également de le faire en l’absence de toute suggestion de la Cour suprême du Canada que telle était son intention.

[75]  Cette interprétation contredirait également directement les déclarations fermes de la Cour concernant le rôle critique des dispositions sur le gel et l’importance de leur interprétation téléologique. Examinez ces commentaires que la Cour a formulés aux paragraphes 34 à 37, 49 et 51 :

[34] À mon avis, en encadrant les pouvoirs de l’employeur, l’art. 59 ne vise pas seulement à créer un équilibre ni à assurer le statu quo, mais plus exactement à faciliter l’accréditation et à favoriser entre les parties la négociation de bonne foi de la convention collective [...]

[35] En effet, le « gel » des conditions de travail que codifie cette disposition législative limite l’utilisation du moyen principal dont disposerait autrement l’employeur pour influencer les choix de ses employés : son pouvoir de gestion au cours d’une période critique. [...] Or, en limitant ainsi le pouvoir de décision unilatérale de l’employeur, le « gel » restreint l’influence potentielle de celui-ci sur le processus associatif, diminue les craintes des employés qui exercent activement leurs droits et facilite le développement de ce qui deviendra éventuellement le cadre des relations de travail au sein de l’entreprise.

[36] Dans ce contexte, il importe de reconnaître la fonction véritable de l’art. 59, qui consiste à favoriser l’exercice du droit d’association [...]

[37] En codifiant un mécanisme destiné à faciliter la mise en œuvre du droit d’association, l’art. 59 crée donc plus qu’une simple garantie de nature procédurale. Pour ainsi dire, en imposant à l’employeur le devoir de ne pas modifier le cadre normatif existant dans l’entreprise au moment de l’arrivée du syndicat, cette disposition reconnaît aux employés un droit substantiel au maintien de leurs conditions de travail durant la période prévue par la loi. Ceci étant dit, puisque les employés sont titulaires de ce droit, il leur appartient de veiller à sa mise en œuvre.

[...]

[49] [...] Sur ce point, je tiens à souligner que le fait d’accepter la thèse contraire — à savoir que l’employeur peut toujours modifier ses normes de gestion, parce qu’il jouissait de ce pouvoir avant l’arrivée du syndicat — priverait l’art. 59 [le gel prévu par la Loi] de tout effet. Cette disposition, je le rappelle, a été édictée dans le but précis d’empêcher l’employeur d’« utiliser in extremis sa grande liberté de manœuvre pour être particulièrement généreux ou exercer quelque autre moyen de pression » (Morin et autres, p. 1122). Or, lui permettre de continuer à utiliser ses pouvoirs de gestion comme si rien n’avait changé reviendrait en définitive à lui permettre de faire ce que la loi vise pourtant à prohiber.

[...]

[51] Une interprétation laissant à l’employeur toute la latitude qu’il possédait avant le dépôt de la requête en accréditation violerait les prescriptions de l’art. 41 de la Loi d’interprétation, RLRQ, ch. I-16, lesquelles privilégient une interprétation large et téléologique de la disposition.  Il m’apparaît que cette interprétation ferait aussi abstraction du fait que, après l’arrivée du syndicat, l’employeur ne contrôle désormais plus seul les relations de travail dans son entreprise [...]

 

[76]  Je précise également que l’employeur ne prétend pas que les attentes des employés ne sont absolument pas pertinentes. Il déclare simplement qu’elles ne sont pertinentes que pour le critère des attentes raisonnables d’un employé et qu’elles ne peuvent pas être utilisées dans le cadre d’une analyse relative au cours normal des affaires. Tel qu’il a été mentionné, je considère cet argument sans mérite; il est même difficile de conceptualiser une application complètement distincte de ces approches. Cependant, même si j’acceptais le fait que les attentes raisonnables des employés ne peuvent être appliquées qu’à titre de critère séparé et distinct, à mon avis, cela conduirait à la même conclusion.

[77]  L’employeur a soutenu que, bien que la Commission puisse appliquer le critère des attentes raisonnables des employés (quoique séparément), celui-ci ne l’emporterait pas sur le critère relatif au cours normal des affaires. En faisant cet argument, l’employeur suggère implicitement que le cours normal des affaires devrait l’emporter sur les attentes raisonnables des employés. Le fondement de cette proposition n’est pas clair, mais, en tout état de cause, à mon avis, cet argument est également sans fondement. Ni l’une ni l’autre de ces approches analytiques complémentaires ne l’emporte sur l’autre; ce n’est tout simplement pas ainsi qu’elles fonctionnent.

4.  Appliquer le critère des attentes raisonnables des employés

[78]  De nombreuses décisions de la Commission et d’autres commissions des relations du travail ont jugé que des modifications pouvaient être apportées pendant une période de gel sans violer la disposition sur le gel, dans la mesure où elles respectent les attentes raisonnables des employés. Pour être conforme aux attentes raisonnables des employés, un changement doit faire partie d’une tendance établie de telle sorte que les employés s’y attendraient raisonnablement, ou il doit y avoir eu une décision ferme d’apporter le changement qui a été communiquée aux employés avant le début de la période de gel (voir Canadian Union of Public Employees v. Scarborough Centenary Hospital Association, 1978 OLRB Rep. July 679, Canadian Union of Public Employees, Local 2664 v. Le Patro d’Ottawa, [1983] OLRB Rep. Feb. 244, Carleton Roman Catholic Separate School Board Employees’ Association v. Carleton Roman Catholic Separate School Board, [1984] OLRB Feb. Rep. 205, Association professionnelle des Agents du Service extérieur c. Canada (Conseil du Trésor), 2003 CRTFP 4, Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2016 CRTEFP 26, Association canadienne des employés professionnels c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (Services publics et Approvisionnements Canada), 2016 CRTEFP 68, Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 107, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 6, Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 16, Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 11, et beaucoup d’autres).

[79]  Dans bon nombre de ces affaires, les employés disposent généralement de certains renseignements, mais pas tous, quant aux changements à venir. Il importe de déterminer ce qu’ils savaient au début de la période de gel statutaire (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 107, au paragraphe 50). S’ils en savaient suffisamment pour s’attendre raisonnablement à ce qu’une condition d’emploi change, alors, dans certains cas, les employeurs ont été autorisés à mettre en œuvre de tels changements.

[80]  En l’espèce, les employés ne savaient rien.

[81]  Ce qui est important, selon l’employeur, est le fait que [traduction] « la machine avait été mise en marche » avant le gel. À mon avis, l’idée de [traduction] « machine mise en marche » intègre nécessairement et logiquement les attentes raisonnables des employés. En l’absence de tout avis aux employés, aucune décision n’est ferme et ne peut être modifiée à tout moment sans obligation de rendre des comptes, dénuant ainsi de tout sens  le concept et l’objectif d’une disposition sur le gel, tel qu’il a été démontré dans la preuve. Il a été clairement démontré au moyen de la preuve présentée que de nouvelles modifications étaient apportées à la politique, qui était déjà en train de changer, depuis plus d’un an. Même la décision de mettre en œuvre ou non les modifications était sujette à changement, jusqu’à la dernière minute.

[82]  Pour avoir une quelconque crédibilité, le concept de [traduction] « machine mise en marche » doit signifier un travail effectué pour mettre en œuvre une décision définitive dont les employés sont au courant. Une machine en marche silencieusement à la connaissance d’un groupe exclusif seulement ne signifie rien.

C.  Une autre approche analytique : s’agit-il du genre de changements qui pourraient être négociés collectivement?

[83]  Ni la loi ni la jurisprudence, y compris l’arrêt Wal-Mart, ne restreignent l’examen par la Commission de l’approche relative au cours normal des affaires ou celle relative aux attentes raisonnables des employés, ou les deux. Il existe d’autres façons de réfléchir aux types de changements qui devraient être considérés comme violant un gel. D’autres approches sont utilisées depuis longtemps dans la jurisprudence, et d’autres pourraient bien être créées à l’avenir.

[84]  Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. BHP Billiton Diamonds Inc., 2006 CCRI 353, le CCRI a conclu que l’employeur dans cette affaire avait violé la disposition sur le gel suivant l’avis de négocier collectivement prévue au Code, en transformant unilatéralement son régime de pension à prestations déterminées en un régime de pension à cotisations déterminées sans consulter le syndicat ni obtenir son consentement. Le CCRI a conclu ce qui suit aux paragraphes 52 et 53 :

[52] [...] le changement apporté au régime de pension constituait un changement important modifiant sans contredit les droits ou avantages des employés [...] sans consultation auprès de l’Association ou de l’AFPC, même après qu’il est apparu clairement que cette dernière était l’agent négociateur des employés syndiqués de la mine. [...]

[53] [...] le [CCRI] accepte les explications des témoins du syndicat selon lesquelles il était naturel que les employés se questionnent sur le rôle d’agent négociateur de l’AFPC lorsqu’ils ont appris que l’employeur avait unilatéralement modifié leur régime de pension, étant donné que le syndicat représentait un groupe important d’employés de la mine. La disposition sur le gel vise à éliminer l’effet négatif que la modification d’un avantage attendu, tel que le régime de pension, pourrait avoir sur la représentation des employés par un syndicat. Or, le [CCRI] conclut que, dans les circonstances, l’AFPC a été placée, à titre d’agent négociateur, dans une position défavorable à la table de négociation en ayant à négocier des droits ou avantages dont ses membres jouissaient auparavant.

[85]  Le même problème est évident en l’espèce. Que ce soit délibérément ou non, l’employeur est allé de l’avant et a apporté des modifications importantes à la politique sur les promotions pendant que la demande d’accréditation était en attente. En conséquence, la FPN, une fois accréditée, a dû initier auprès de l’employeur des démarches de négociation collective, ou d’autres types de négociation ou de discussion, pour recouvrer les droits que les employés avaient autrefois ou même simplement pour que leurs préoccupations concernant la mise en œuvre soient prises en compte. Cela ne peut que nuire à la réputation de la FPN aux yeux des employés.

[86]  Une analyse similaire, axée sur la négociation collective, a été élaborée dans la décision de la CRTO qui fait autorité dans Ontario Public Service Employees Union v. Royal Ottawa Health Care Group Institute of Mental Health Research, 1999 CanLII 20151 (ON LRB) (« Royal Ottawa »). Cette approche reposait sur la simple question de savoir si une modification apportée pendant un gel était [traduction] « [...] le genre de chose que l’employeur aurait normalement à négocier [...] ». La CRTO a jugé plus utile de se concentrer sur la relation entre la modification contestée et le processus de négociation collective, plutôt que sur le cours normal des affaires ou les attentes raisonnables des employés.

[87]  Royal Ottawa portait sur un gel postérieur à l’avis de négocier collectivement. Cependant, l’approche peut être appliquée à chaque type de gel, à mon avis, car en fin de compte, une violation de l’un ou l’autre type est susceptible d’avoir une incidence sur la négociation collective. L’incidence peut être directe, en plaçant le syndicat dans la position d’avoir à négocier ce que les employés avaient déjà, ou indirecte, en érodant simplement la confiance des employés envers le syndicat.

[88]  Royal Ottawa n’a pas rejeté l’approche relative au cours normal des affaires ni celle des attentes raisonnables des employés. Elle a simplement ajouté à la jurisprudence une autre façon pragmatique et utile de réfléchir aux mêmes questions. Cette décision montre que les deux critères les plus couramment utilisés, le cours normal des affaires et les attentes raisonnables des employés, qu’ils soient appliqués séparément ou ensemble, ne sont ni légiférés ni immuables. Ils peuvent être utilisés dans la mesure où ils facilitent l’analyse et peuvent être complétés par d’autres façons de réfléchir à ce qui devrait ou ne devrait pas être gelé avant une accréditation ou une négociation collective.

[89]  La récente décision Anishinabek met en lumière l’analyse de Royal Ottawa sur les limites pratiques des critères relatifs au cours normal des affaires et aux attentes raisonnables des employés. Elle cite et s’appuie sur les passages suivants de Royal Ottawa :

[Traduction]

[...]

85. Il convient également de mentionner (au risque d’énoncer une évidence) que le paragraphe 86(1) ne dit rien au sujet des « attentes des employés » [...] et n’utilise pas l’expression « cours normal des affaires ». Il ne s’agit là que de la manière dont la [CRTO] décrit certains des intérêts qui pourraient devoir être pris en considération lors de l’interprétation d’un langage flexible (et, dans la pratique, la façon dont la [CRTO] soulage les employeurs du « gel total » qu’une lecture superficielle de la loi pourrait autrement imposer – le gel des « fonctions » des employés par exemple). Ce sont des phrases qui éclairent l’exercice d’interprétation et lui insufflent un contenu politique – reconnaissant la nécessité d’équilibrer les intérêts d’une manière conforme aux « droits » et aux « prérogatives » des parties, ainsi qu’au régime législatif général. Il s’agit d’une aide à l’interprétation, pas une prescription juridique de résultat – comme les nombreuses affaires l’illustrent amplement.

86. Cela ne veut pas dire qu’il faut larguer ces approches, car chacune d’elles contient un élément de vérité – une lentille à travers laquelle on peut examiner les faits d’une affaire particulière. Elles aident à cadrer le problème et fournissent un point de départ pour l’analyse [...]

87. Mais, comme le révèle tout examen de la jurisprudence de la [CRTO], dans le monde actuel, aucune de ces approches ne fournit un critère décisif pour prédire les résultats dans des cas particuliers; et l’expression « cours normal des affaires » est carrément trompeuse – en particulier dans les situations de première convention. Il est donc nécessaire d’affiner et de complémenter l’arsenal d’interprétation de la [CRTO] – non pas pour écarter les approches établies, mais plutôt pour en ajouter une supplémentaire.

88. À mon avis, et compte tenu des expériences, ces perspectives traditionnelles doivent être accompagnées d’une autre perspective qui s’harmonise davantage avec le rôle précis que le paragraphe 86(1) doit jouer dans le cadre réglementaire, une fois que la négociation a commencé. Le libellé de l’article 86 doit être lu de la même manière que l’a fait la [CRTO] dans Ottawa Public Library, précité, en gardant à l’esprit ces objectifs statutaires : renforcer le processus de négociation; renforcer le statut du syndicat en tant qu’agent négociateur des employés [...] et fournir un point de départ ferme (même temporaire) à partir duquel la négociation prendra son envol.

89. De ce point de vue, il est nécessaire d’accorder une attention particulière à la manière dont le changement proposé aux conditions d’emploi est lié à la négociation. Est-ce le genre de chose qui ferait généralement l’objet de négociations collectives? Est-ce que des modifications de ce type, si elles étaient mises en œuvre unilatéralement dans ces circonstances, perturberaient, entacheraient ou fausseraient indûment ce processus de négociation (ce que le gel a pour but d’éviter [...])? Est-ce le genre de chose que l’employeur devrait normalement négocier en vertu de l’article 17? Parce que si la réponse à ces questions est « oui », il s’agit du genre de chose qui relève probablement du champ d’application du paragraphe 86(1) [...]

[...]

[Je mets en évidence]

[90]  Est-ce que les modifications à la politique sur les promotions, selon lesquelles il faut suivre des séances de formation en vue de demander une promotion, constituent le genre de question que l’employeur devrait normalement négocier collectivement? Certes, ce n’est pas le genre de chose que l’on retrouve traditionnellement dans les conventions collectives du secteur public fédéral. Cependant, la Loi n’interdit pas son inclusion dans une convention collective. Par conséquent, à mon avis, si un agent négociateur proposait cette question aux fins de négociation collective, l’employeur devrait certainement l’aborder à la table de négociation.

[91]  Ces modifications étaient d’une importance considérable pour les employés et ces derniers se seraient attendus à ce que la FPN, si elle était accréditée comme agent négociateur, puisse en discuter avec l’employeur avant leur entrée en vigueur. Apporter des modifications unilatérales, sans préavis aux employés, au lieu d’attendre d’en discuter avec la FPN (si elle est accréditée comme agent négociateur), a une incidence négative sur les droits de représentation de l’agent négociateur. De plus, tel qu’il est énoncé dans Royal Ottawa, cela peut [traduction] « perturber, entacher ou fausser indûment » la négociation collective. Par conséquent, ces modifications violent l’interdiction liée au gel.

D.  La défense fondée sur les pratiques habituelles de l’employeur

[92]  L’employeur se fonde sur le critère relatif au cours normal des affaires tel qu’il est décrit et appliqué par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wal-Mart, aux paragraphes 55 à 57 :

[55] [...] une modification des conditions de travail au sens de l’art. 59 du Code, l’arbitre devra être convaincu qu’elle a été prise en conformité avec ses pratiques antérieures de gestion.  Pour reprendre l’expression du juge Auclair, il devra être en mesure de conclure que la décision patronale a été prise « selon les paramètres qu’il s’est lui-même imposés avant la venue du syndicat chez lui » [...]

[56] Dans un deuxième temps, la jurisprudence reconnaît que l’entreprise doit rester en mesure de s’adapter au contexte variable de l’environnement commercial dans lequel elle évolue. Par exemple, dans certains scénarios où il est difficile ou impossible de déterminer si une pratique de gestion donnée existait avant le dépôt de la requête en accréditation, la jurisprudence pertinente admet qu’il est possible de considérer qu’une décision « raisonnable », de « saine gestion », conforme à ce qu’aurait fait un « employeur raisonnable placé dans la même situation », relève des pratiques habituelles de gestion [...]

[57] Un changement pourra donc être déclaré conforme à la « politique habituelle de gestion » de l’employeur (1) s’il est cohérent avec ses pratiques antérieures de gestion ou, à défaut, (2) s’il est conforme à la décision qu’aurait prise un employeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances. En d’autres mots, la modification « qui aurait été administrée de la même façon, en dehors d’un processus de syndicalisation ou de renouvellement de convention collective, ne doit pas être considérée comme un changement dans les conditions de travail visé par l’article 59 du Code du travail » : [...] Club coopératif de consommation d’Amos, p. 12.

1.  Pratiques de gestion antérieures

[93]  L’arrêt Wal-Mart mentionne qu’une disposition sur le gel n’exige pas un gel total des conditions de travail, mais laisse plutôt à l’employeur son pouvoir général de gestion. Toutefois, ce pouvoir doit être exercé « à l’intérieur des normes qui s’imposaient antérieurement et selon les pratiques qui avaient cours dans l’entreprise » (au paragraphe 47).

[94]  Avant le changement, les caporaux et les sergents de la GRC pouvaient demander à être promus aux grades de sergent et de sergent d’état-major, respectivement, sans avoir suivi les programmes de formation du PPS ou du PPC. De toute évidence, rendre obligatoire la réussite des formations avant de demander une promotion n’est pas conforme aux règles qui s’appliquaient antérieurement.

[95]  Ce changement n’était pas non plus conforme aux pratiques de l’employeur qui avaient cours avant le gel. L’employeur soutient que les modifications apportées au manuel de gestion des carrières, en particulier le chapitre sur les promotions, ainsi que le témoignage de Mme MacDonald, démontrent que des changements de cette nature étaient apportés [traduction] « constamment » avant le gel. À titre d’exemple de ces changements constants, l’employeur a mentionné que la mise à jour de certaines compétences opérationnelles était devenue obligatoire pour la promotion. Certes, il s’agissait d’un changement de même nature que ceux contestés. Cependant, il ne s’agissait pas d’un exemple de changements constants, mais plutôt du seul autre changement de cette nature auquel l’employeur pouvait faire référence.

[96]  Mme MacDonald n’a pas non plus indiqué que des modifications de ce type étaient apportées constamment. Elle a plutôt dit qu’il fallait tellement de temps pour apporter des modifications que la pratique consistait à [traduction] « en apporter beaucoup » en même temps (se référant aux nombreuses modifications mineures qui ont accompagné le changement à la politique sur les promotions). Elle a dit que des changements pouvaient être apportés plusieurs fois par an, mais a précisé qu’elle ne parlait pas de changements de fond. Il ressortait clairement de son témoignage et de la preuve documentaire que toutes les autres modifications apportées au chapitre 4 du MGC ne consistaient qu’à apporter des modifications mineures. En réalité, les modifications étaient si mineures, que lorsque l’employeur lui a demandé quelles étaient les autres modifications, elle ne pouvait même pas s’en souvenir d’une.

[97]  Je précise également que la discussion interne sur l’élaboration d’un message de communication ne concernait que l’annonce du changement à la politique sur les promotions. Il n’y avait aucune intention d’aviser les employés de toute autre modification mineure au manuel.

[98]  Par conséquent, la preuve ne me convainc pas que des modifications de fond de cette nature ont été apportées de façon constante. Une modification antérieure ne révèle pas une tendance établie de pratiques de gestion antérieures en ce qui concerne les modifications de fond aux politiques.

[99]  La preuve suggère également que les communications en l’espèce n’ont pas été traitées conformément aux pratiques de gestion antérieures. Les courriels de trois employés différents révèlent qu’ils tenaient tous pour acquis qu’avoir un message de communication prêt avant la publication était important, qu’il s’agissait de la procédure habituelle et que ce serait également fait cette fois-là. Deux de ces employés ont témoigné, mais n’ont pas expliqué pourquoi l’annonce des modifications avait été retardée de plusieurs mois après la publication ni qui l’avait retardée.

[100]  Compte tenu de la preuve, je ne peux conclure que ces modifications ont été apportées conformément aux pratiques de gestion antérieure.

2.  Ces actions correspondent-elles à celles d’un employeur raisonnable qui aurait été placé dans la même situation?

[101]  Dans son argumentation finale, l’employeur a déclaré qu’il ne s’appuyait que sur le premier volet du critère relatif au cours normal des affaires décrit dans l’arrêt Wal‑Mart (pratiques antérieures de gestion) et non sur le second (un employeur raisonnable placé dans la même situation). L’employeur a cependant soutenu que le processus était enclenché depuis des mois afin de démontrer qu’il aurait agi de la même manière en l’absence d’une demande d’accréditation. Selon mon interprétation de l’arrêt Wal‑Mart, cette dernière notion n’est qu’une autre façon d’analyser si l’employeur a géré son entreprise comme il l’aurait fait normalement :

[57] Un changement pourra donc être déclaré conforme à la « politique habituelle de gestion » de l’employeur (1) s’il est cohérent avec ses pratiques antérieures de gestion ou, à défaut, (2) s’il est conforme à la décision qu’aurait prise un employeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances. En d’autres mots, la modification « qui aurait été administrée de la même façon, en dehors d’un processus de syndicalisation ou de renouvellement de convention collective, ne doit pas être considérée comme un changement dans les conditions de travail visé par l’article 59 du Code du travail » : Club coopératif de consommation d’Amos, p. 12.

[Je mets en évidence]

[102]  Malgré la position de l’employeur selon laquelle il ne se fonde pas sur le critère de l’employeur raisonnable placé dans la même situation, j’aborderai brièvement cet aspect.

[103]  Il s’agissait de modifications importantes, mais manifestement pas urgentes. L’employeur déclare que la décision de l’EMS du 27 juin 2016, a déclenché les modifications qui ont été apportées par la suite pendant la période de gel. Même si j’acceptais cette allégation, les modifications n’ont été apportées que le 20 novembre 2017, date à laquelle elles ont été publiées sur Infoweb, et les employés n’en ont été informés qu’en février 2018. De plus, selon la preuve, ces modifications avaient été suspendues pour des raisons inconnues et, pendant un certain temps, on ne savait pas avec certitude si elles seraient mises en œuvre. De toute évidence, il n’y avait aucune urgence à apporter les modifications et il n’était pas nécessaire d’insister et de les apporter pendant la période de gel, une fois la demande d’accréditation déposée.

[104]  En plus du manque d’urgence, il aurait été raisonnable d’attendre, compte tenu des commentaires que l’employeur avait reçus de ses surintendants. L’employeur savait que certains problèmes graves devaient être résolus. Des discussions avec la FPN à cet égard, dans l’éventualité où la Commission l’aurait accréditée comme agent négociateur des employés, auraient pu fournir un moyen collaboratif et efficace de résoudre ces problèmes avant qu’ils ne deviennent des problèmes actifs en milieu de travail. L’employeur aurait pu simplement attendre la décision de la Commission au sujet de la demande d’accréditation et, à mon avis, c’est ce qu’aurait fait un employeur raisonnable placé dans la même situation.

[105]   Le CCRI a mentionné ce qui suit dans BHP Billiton Diamonds Inc. :

[...]

[...] Le changement a été fait sans consultation auprès de l’Association ou de l’AFPC, même après qu’il est apparu clairement que cette dernière était l’agent négociateur des employés syndiqués de la mine. Il est difficile de conclure que BHP a fait de son mieux, dans les circonstances, pour agir en collaboration et en consultation avec l’agent négociateur [...]

[...]

[106]  En l’espèce, il est également difficile de conclure que l’employeur a fait de son mieux pour agir raisonnablement dans les circonstances.

[107]  Enfin, l’employeur disposait d’une autre option : demander le consentement de la Commission, comme le prévoit l’article 56. À mon avis, lorsque la loi offre une solution de rechange claire à une modification unilatérale pendant une période de gel, un employeur raisonnable adopterait cette approche. Le CCRI a souligné ce qui suit dans Syndicat des enseignantes et enseignants de la communauté Innue de Pessamit‑CSN c. Conseil des Innus de Pessamit, 2016 CCRI 831, au paragraphe 99 :

[99] L’employeur reconnaît qu’il a modifié les conditions de travail de ses enseignants alors que le [CCRI] était saisi d’une demande d’accréditation. Il importe de préciser qu’il aurait dû obtenir le consentement du [CCRI] comme le prévoit le Code, ce qu’il n’a pas fait.

[108]  Je précise que l’employeur a fait usage de cette option dans Syndicat canadien de la fonction publique c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2018 CRTESPF 3. La même approche aurait également pu raisonnablement être adoptée dans cette affaire.

3.  L’employeur aurait-il agi de la même façon s’il n’y avait pas eu de demande d’accréditation?

[109]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, en lisant l’arrêt Wal-Mart, cette notion n’est qu’une autre façon d’examiner si l’employeur a géré son entreprise comme il l’aurait fait normalement. La Cour suprême du Canada n’a pas déclaré qu’il s’agissait d’un nouveau critère ou d’une question supplémentaire qui devait être posée dans chaque affaire. Au contraire, en le faisant précéder de l’expression « [e]n d’autres mots » au paragraphe 57, la Cour a clairement indiqué qu’il s’agissait simplement d’une autre façon d’examiner la question de savoir si l’employeur a agi comme il le fait habituellement.

[110]  À mon avis, il existe autant de façons d’aborder la question de savoir si les actions de l’employeur constituent le cours normal des affaires qu’il y a de situations factuelles. S’interroger à savoir si l’employeur aurait fait la même chose s’il n’y avait pas eu de syndicat constitue l’une des façons dont l’arbitre a abordé la situation factuelle dans l’arrêt Wal‑Mart, et la Cour suprême du Canada a déterminé que cette approche était raisonnable, dans ce contexte. Ce faisant, la Cour n’a pas laissé entendre qu’il s’agissait de la seule façon d’aborder la situation ou qu’un employeur pouvait satisfaire au critère relatif au cours normal des affaires simplement en démontrant qu’il aurait agi de la même façon en l’absence d’une demande d’accréditation. Si on interprétait cela de cette façon, cela reviendrait à importer la suggestion d’une exigence de sentiment antisyndical pour prouver une violation de la disposition sur le gel.

[111]  La jurisprudence du travail dans toutes les administrations du pays a toujours explicitement rejeté une telle notion, comme l’a fait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wal-Mart, lorsqu’elle a dit clairement au paragraphe 38 que ce n’était pas l’intention :

[38] Comme l’art. 59 ne vise pas directement à punir un comportement antisyndical, je tiens d’abord à souligner qu’une preuve indiquant que la décision de l’employeur est motivée par un quelconque animus antisyndical n’est pas nécessaire pour que s’applique la prohibition édictée par cet article [...] (citations omises) En effet, la question essentielle dans la mise en œuvre de l’art. 59 consiste à décider si l’employeur a modifié unilatéralement les conditions de travail de ses employés durant la période prohibée.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[112]  L’employeur l’a également reconnu et n’a pas suggéré qu’une quelconque notion de sentiment antisyndical pourrait être requise. Pourtant, si son argument était accepté, on pourrait logiquement en arriver là. (Je note que les deux témoins de l’employeur ont déclaré qu’ils n’avaient pas la demande d’accréditation en tête lorsqu’ils ont travaillé sur les modifications. Je n’accorde aucun poids à leur témoignage, car ni l’un ni l’autre ne se trouvait dans une position où l’on s’y serait  nécessairement attendu. Je n’ai rien entendu de tel de la part du commissaire de la GRC ni d’aucun membre de la haute direction.)

[113]  La décision de la Commission dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 110 (« Bureau fiscal de Sudbury ») portait sur une période de gel en vertu de l’article 107, pendant laquelle l’Agence du revenu du Canada a modifié sa politique concernant l’horaire de travail. Comme en l’espèce, la Commission a déterminé que le changement à la politique n’était pas conforme aux pratiques antérieures de gestion et que, en conséquence, il ne s’agissait pas d’un changement conforme au cours normal des affaires.

[114]  Cependant, dans une remarque incidente, la Commission a également examiné le deuxième volet du critère relatif au cours normal des affaires, tel qu’il est décrit dans l’arrêt Wal‑Mart. La Commission a conclu que le deuxième volet n’entrerait en jeu que lorsque la condition préalable énoncée au paragraphe 56 de l’arrêt Wal-Mart s’appliquerait; c’est-à-dire lorsqu’il était difficile, voire impossible, de déterminer les pratiques de gestion antérieures. S’il entrait en jeu, il faudrait alors démontrer qu’un employeur raisonnable placé dans la même situation aurait modifié les conditions d’emploi. Je souscris à cette analyse.

[115]  Dans Bureau fiscal de Sudbury, la Commission a également examiné si, en cas d’entrée en jeu du deuxième volet, la preuve devrait également démontrer que l’employeur n’aurait pas agi de la même façon si aucun avis de négocier collectivement n’avait été signifié. La Commission a conclu qu’une telle exigence finirait par constituer « [...] une solide mise en garde contre le contournement d’un gel prévu par la loi en vigueur ». Conformément à l’objectif téléologique de l’arrêt Wal-Mart, la Commission a indiqué que l’objectif législatif devait être la principale préoccupation. Elle a indiqué la conclusion de la Cour suprême du Canada selon laquelle cet objectif est de garantir qu’« [...] après l’arrivée du syndicat, l’employeur ne contrôle désormais plus seul les relations de travail dans son entreprise [...] » (au paragraphe 168, citant l’arrêt Wal‑Mart, au paragraphe 51).

[116]  La preuve présentée dans Bureau fiscal de Sudbury a amené la Commission à conclure que les répercussions de l’article 107 n’étaient pas au premier plan des préoccupations de l’employeur lorsqu’il a modifié la politique sur l’horaire de travail. L’employeur réagissait plutôt à un mandat de « renouvellement des services » reçu de l’administration centrale, qu’il était obligé de mettre en œuvre. Par conséquent, selon cette preuve, l’ARC aurait fort bien pu agir de la même façon s’il n’y avait eu aucun avis de négocier collectivement. Cela signifie-t-il que les actions de l’employeur étaient conformes au cours normal des affaires, conformément au paragraphe 57 de l’arrêt Wal‑Mart et que, par conséquent, sa défense devrait être accueillie? Dans sa réponse, la Commission a fait les remarques suivantes :

[...]

[169] Selon mon approche de l’application de l’art. 107 de la Loi, la défenderesse ne peut pas jouir d’une liberté d’action absolue; dans le même ordre d’idées, je dois attribuer au gel prévu par la loi son sens et sa force véritables. Assurément, sous l’angle de la compétence de la Commission, l’art. 12 de la Loi d’interprétation (L.R.C. 1985, ch. I21) impose précisément lexigence que jattribue à lart. 107 de la Loi, cestàdire, aux termes de lart. 12, quil : « [...] sinterprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».

[170] [...] Laisser entendre que M. Bouchard pouvait continuer à exercer ses pouvoirs et modifier passablement la pratique de gestion antérieure après la signification d’un avis de négocier, comme si rien n’avait changé, reviendrait à dire exactement ce qui ne doit pas arriver selon Walmart : « Or, lui permettre de continuer à utiliser ses pouvoirs de gestion comme si rien n’avait changé reviendrait en définitive à lui permettre de faire ce que la loi vise pourtant à prohiber » [je souligne]. La conclusion selon laquelle la défenderesse aurait pu procéder au réaménagement de l’horaire de travail comme elle l’a fait si la plaignante n’avait pas signifié d’avis de négocier — conclusion qui peut même n’être ni nécessaire ni appropriée compte tenu de la prémisse indiquée au paragraphe 56 de Walmart — est, à mon avis, loin d’être un motif impérieux de ne pas appliquer l’art. 107 de la Loi de façon large et libérale, comme il se doit.

[171] Si le régime de négociation collective qui est au cœur de la Loi doit effectivement s’appliquer conformément à l’objet énoncé dans le préambule de la Loi, il est essentiel qu’un employeur respecte l’injonction à l’égard des modifications unilatérales des conditions d’emploi durant la période de gel prévue à l’art. 107.  Les motifs justifiant l’exception aux habitudes doivent être interprétés sans exagérations, à mon avis, afin de ne pas aller à l’encontre de l’objet impérieux de l’art. 107 [...]

[172] [...] La défenderesse a modifié une condition d’emploi qui aurait pu être intégrée à la convention collective après la signification d’un avis de négocier, sans le consentement de l’agent négociateur. Le changement n’était pas conforme à la pratique de gestion antérieure. D’après la preuve, on ne peut conclure avec certitude qu’un employeur raisonnable aurait agi de la même façon dans des circonstances identiques ou analogues. Même si on peut admettre que M. Bouchard et son équipe auraient mis en œuvre les mêmes changements en l’absence de l’avis de négocier, maintenir que, par conséquent, la défenderesse était libre d’exercer ses pouvoirs comme elle l’a fait comme si rien ne s’était passé, risquerait de vider de son sens l’art. 107 de la Loi.

[...]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[117]  Bien que l’affaire Bureau fiscal de Sudbury portait sur une plainte liée au gel en vertu de l’article 107, ces commentaires sont encore plus pertinents pour une plainte fondée sur l’article 56. Cette affaire indiquait que « le monde a changé » au sein de l’Agence du revenu du Canada lorsqu’un avis de négociation collective a été signifié, et ce, dans le contexte d’une relation de négociation collective établie de longue date. Peut-on dire encore plus que le monde de la GRC a changé lorsque la FPN a déposé sa demande d’accréditation? Conclure que l’employeur pouvait essentiellement apporter les modifications qu’il souhaitait simplement parce qu’il aurait pu les apporter en l’absence d’une demande d’accréditation aurait pour effet de dévaloriser l’article 56 et le rendrait dénué de sens.

E.  Effet de l’arrêt Wal-Mart sur la jurisprudence relative aux violations du gel des conditions de travail

[118]  Compte tenu des observations de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wal‑Mart, en particulier aux paragraphes 34 à 37, 49 et 51, il est clair que cette décision ne visait pas à modifier le vaste corpus de jurisprudence sur le gel statutaire qui a été élaboré et affiné au fil des décennies par les différentes juridictions. Lorsque la Cour suprême du Canada décide de modifier des décennies de jurisprudence, elle est généralement assez claire à ce sujet. La Cour examine en profondeur la jurisprudence antérieure, signale spécifiquement qu’elle suit une voie différente et en explique les raisons. Rien de tel n’a été fait dans l’arrêt Wal‑Mart; au contraire, elle a expressément cité et accepté la jurisprudence existante représentée par la décision de principe dans Spar Aerospace Products Ltd., [1979] 1 CLRBR 61, ainsi que par plusieurs décisions arbitrales du CCRI et du Québec.

[119]  En conséquence, à mon avis, la Cour n’avait pas l’intention de modifier et n’a pas modifié la jurisprudence de manière substantielle, que ce soit pour retirer toute considération relative aux attentes raisonnables des employés d’une analyse portant sur le cours normal des affaires, ou pour suggérer qu’un employeur pourrait établir une défense fondée sur le cours normal des affaires simplement en démontrant qu’il aurait agi de la même façon s’il n’y avait pas eu de demande d’accréditation.

[120]  Les décisions ultérieures des arbitres, des commissions du travail ou des tribunaux n’ont pas non plus laissé entendre que l’arrêt Wal-Mart devrait être interprété comme ayant modifié de manière importante la façon d’aborder les violations relatives au gel des conditions de travail.

[121]  Un nombre important de décisions ultérieures à l’arrêt Wal-Mart ont appliqué les approches traditionnelles, comme elles l’ont été depuis des décennies. Certaines n’ont pas fait référence à l’arrêt Wal-Mart; d’autres l’ont spécifiquement citée et suivie, ne voyant aucune contradiction apparente avec la jurisprudence développée précédemment. (Voir, par exemple, Syndicat international des employées et employés professionnels(les) et de bureau c. Hélicoptères Canadiens limitée (Hélicoptères Canadiens Offshore), confirmée en contrôle judiciaire dans Association des pilotes fédéraux du Canada c. Ministère des Transports, Bureau de la sécurité des transports et Secrétariat du Conseil du Trésor, 2018 CRTESPF 91, confirmée en contrôle judiciaire dans Association des pilotes fédéraux du Canada, 2020 CAF 52; Anishinabek; Section locale 31 de la Fraternité internationale des Teamsters c. 669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation, 2018 CCRI 894; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 16; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 11; Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 6, Syndicat des agents correctionnels – Union of Canadian Correctional Officers – CSN c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 47; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 107; Canada Bread; Association canadienne des employés professionnels c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (Services publics et Approvisionnements Canada), 2016 CRTEFP 68; Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2016 CRTEFP 26; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 19; Alberta Union of Public Employees v. Shephard’s Care Foundation, 2016 Alta LRBR 33; New Brunswick Board of Management v. CUPE, Local 1840, 2014 N.B.L.E.B.D. 27 (QL)) et d’autres.

[122]  D’autres affaires récentes, comme Bureau fiscal de Sudbury, ont traité spécifiquement des arguments fondés sur l’arrêt Wal-Mart similaires à ceux soulevés dans la présente affaire.

[123]  La décision de l’arbitre dans Corporation de l’École Polytechnique de Montréal c. Association syndicale des salarié-e-s étudiant-e-s de la Polytechnique (ASSEP/Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), 2015 CanLII 13848 (QC SAT) (« École Polytechnique »), portait sur une modification apportée à un régime de retraite lors d’un gel statutaire prévu en vertu de l’article 59 du Code du travail du Québec, la même disposition en cause dans l’arrêt Wal-Mart. L’adhésion au régime de retraite ne serait plus accessible à tous les employés, et certains avaient la possibilité de se retirer et de recevoir une augmentation de salaire de 5 % à la place. La mise en place de ces changements avait été amorcée deux ans avant la demande d’accréditation, mais le changement a été mis en œuvre pendant la période de gel, sans préavis à l’organisation des employés qui avait demandé l’accréditation.

[124]  L’arbitre a examiné l’argument de l’employeur selon lequel l’absence totale d’avis à ses employés n’était pas pertinente pour déterminer sa capacité à établir une défense fondée sur le cours normal des affaires. Il a conclu que l’arrêt Wal-Mart ne déroge pas à la jurisprudence selon laquelle une condition d’emploi – ou, dans le cas dont il est saisi, une modification d’une condition d’emploi – n’existe avant la période de gel que lorsqu’elle est connue des employés. L’arbitre a conclu que la modification d’une condition d’emploi, récemment mise en œuvre, qui demeure inconnue des employés ne pouvait pas exister, car personne ne pouvait demander son application.

[125]  Dans Syndicat des enseignantes et enseignants de la communauté Innue de Pessamit-CSN c. Conseil des Innus de Pessamit, 2016 CCRI 831, le syndicat s’est appuyé sur l’arrêt Wal-Mart pour soutenir sa plainte selon laquelle l’employeur avait violé le paragraphe 24(4) du Code en modifiant les conditions d’emploi des enseignants alors qu’une demande d’accréditation était en instance. Le CCRI a déclaré ce qui suit :

[...]

[90] Le [CCRI] note également que la [Cour suprême du Canada] a précisé les exigences de l’article 59 du Code du travail [...] disposition similaire au paragraphe 24(4) du Code, dans l’arrêt Wal-Mart. La [Cour suprême du Canada] a indiqué que le gel des conditions de travail visait à faciliter l’accréditation et à favoriser la négociation de bonne foi entre les parties [...]

[91] Au-delà des différences entre le libellé de l’article 59 du Code du travail et celui du paragraphe 24(4) du Code, qui établissent quelques distinctions, le [CCRI] est d’avis que la décision de la [Cour suprême du Canada] ne change pas substantiellement la jurisprudence applicable en l’espèce.

[92] L’objectif visé par le paragraphe 24(4) du Code est d’éviter que les rapports employeursemployés ne soient pas perturbés en cas du rejet de la demande daccréditation. En ce sens, il importe donc de maintenir la situation dans l’état dans lequel elle était avant le dépôt de la demande, à moins que le [CCRI] approuve les modifications aux conditions de travail ou que ces modifications soient conformes à une convention collective [...]

[...]

[Je mets en évidence]

 

[126]  Dans cette affaire, le syndicat a demandé un réexamen, faisant valoir que le CCRI avait commis une erreur en ne tenant pas compte des déclarations de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wal-Mart, qui auraient introduit un changement de paradigme juridique qui devrait s’appliquer aux dispositions sur le gel. La décision a été confirmée après réexamen dans Syndicat des enseignantes et enseignants de la communauté Innue de Pessamit-CSN c. Conseil des Innus de Pessamit, 2017 CCRI 861. Le CCRI a déclaré ce qui suit :

[...]

[26] Contrairement à ce que prétend le syndicat dans sa demande de réexamen, il n’est pas faux d’affirmer que l’arrêt de la [Cour suprême du Canada] dans Wal-Mart, précité, ne change pas de façon substantielle la jurisprudence du [CCRI] dans son analyse et l’application qu’il fait de la disposition sur le gel des conditions de travail. S’il est vrai que l’arrêt Wal-Mart, précité, a réaffirmé les objectifs et la fonction de la disposition sur le gel en indiquant que cette disposition ne vise pas seulement à assurer le statu quo, ceci n’a pas eu pour effet de modifier l’analyse qu’entreprend le [CCRI] lorsqu’il est saisi d’une plainte concernant le maintien des conditions d’emploi pendant la période de gel [...]

[27] [...] que le banc a tenu compte des enseignements de la [Cour suprême du Canada]. En effet, en assurant un équilibre entre les parties par le maintien des conditions de travail pendant la période prohibée, la disposition sur le gel vise à promouvoir une négociation de bonne foi afin de donner une vraie signification au droit d’association et de négociation collective. Au-delà de l’objectif visé par la disposition sur le gel, le [CCRI] est d’avis que le banc initial a correctement énoncé les questions à examiner dans le contexte des trois plaintes dont il était saisi [...]

[...]

[29] Pour ces motifs, le [CCRI] est d’avis que le banc initial a correctement énoncé les critères applicables dans le cadre d’une plainte en vertu du paragraphe 24(4) et n’a pas commis d’erreur de droit ou de principe en interprétant l’arrêt Wal-Mart, précité.

[Je mets en évidence]

 

[127]  Enfin, dans Canada Bread, la CRTO a entendu le même genre d’argument selon lequel [traduction] « [...] la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wal-Mart a établi un critère unique applicable sans égard aux critères élaborés par la jurisprudence [de la CRTO] [...] » (voir le paragraphe 215). La CRTO a déterminé que rien ne permettait de conclure que l’employeur en l’espèce n’aurait pas fait de même s’il n’y avait eu aucune demande d’accréditation. Toutefois, la CRTO a également formulé des commentaires qui sont étroitement liés aux commentaires de l’arbitre dans École polytechnique et à ceux du CCRI dans les deux décisions de Conseil des Innus de Pessamit.

[128]  La CRTO a succinctement exprimé son point de vue comme suit :

[Traduction]

[...]

204. En répondant au recours de Canada Bread à l’analyse de l’arrêt Wal-Mart, l’avocat de la demanderesse a fait l’observation tranchante selon laquelle la décision de la Cour suprême du Canada n’a pas [traduction] « supprimé trois décennies de jurisprudence de la Commission », car le critère du « cours normal des affaires » et des « attentes raisonnables » continuait de s’appliquer.

205. Je partage entièrement ce point de vue [...]

[...]

V.   Conclusion

[129]  Il n’a pas été contesté que les conditions d’emploi en cause existaient le jour du dépôt de la demande d’accréditation, qu’elles ont été modifiées pendant la période de gel sans le consentement de la Commission et qu’elles pourraient être incluses dans une convention collective.

[130]  La preuve n’a pas démontré que les modifications étaient conformes aux pratiques de gestion antérieures ou qu’elles auraient été apportées par un employeur raisonnable dans la même situation. Il ne s’agissait pas du cours normal des affaires et elles ne s’inscrivaient parmi les attentes raisonnables des employés. De plus, il s’agissait du genre de modifications pour lesquelles les employés s’attendraient à ce que la FPN, si elle était accréditée, puisse en discuter avec l’employeur ou les négocier à la table de négociation. Les apporter unilatéralement comme l’a fait l’employeur aurait nécessairement une incidence sur le statut de représentation et la négociation collective de la FPN.

[131]  On ne sait pas avec certitude si une décision définitive a été prise, laquelle aurait démarré le processus de mise en œuvre des modifications avant la période de gel. Cependant, même si j’acceptais qu’une telle décision ait été prise, le fait de tenir des discussions  strictement à l’interne avec la direction et de rédiger  les modifications à la politique, sans préavis aux employés, ne font pas de ces modifications une pratique habituelle. L’argument de l’employeur selon lequel le processus avait déjà été initié manque un élément crucial d’un tel argument, à savoir que les employés doivent être au courant des modifications à venir.

[132]  Pour ces motifs, j’estime que l’employeur a violé l’article 56, la disposition relative au gel, en modifiant sa politique sur les promotions pendant la période de gel des conditions de travail et je rends l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI.  Ordonnance

[133]  La Commission déclare que les modifications apportées à la politique sur les promotions de l’employeur pendant la période de gel violaient l’article 56 de la Loi.

[134]  La Commission ordonne à l’employeur de faire ce qui suit :

Le 28 avril 2020.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.