Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, un agent correctionnel, a déposé un grief à l’encontre de son licenciement, car, selon lui, il avait été fait sans motif valable, était excessif et constituait une discrimination parce que son employeur n’avait pris aucune mesure d’adaptation relativement à son trouble de toxicomanie – il a également déposé un grief à l’encontre de la révocation de sa cote de fiabilité parce qu’elle était un subterfuge, un camouflage et une mesure disciplinaire déguisée – la Commission a conclu que le fonctionnaire est allé aux États Unis afin de s’associer avec un membre de gang et des trafiquants de drogues connus, qu’il était associé à d’autres trafiquants connus pour acheter des drogues illicites et qu’il avait consommé de la cocaïne – la Gendarmerie royale du Canada (GRC) l’a interrogé et il n’avait pas reconnu sa consommation de cocaïne et son association à des criminels – même si le fonctionnaire s’estimant lésé avait un trouble de toxicomanie, la preuve a révélé qu’il savait ce qu’il faisait, pouvait prendre des décisions distinguant le bien du mal et connaissait les conséquences de ses actes tant qu’il n’était pas intoxiqué ou en sevrage à l’époque – il n’y avait aucune preuve selon laquelle lorsqu’il a fait preuve de l’inconduite en litige, il ressentait des symptômes de sevrage ou qu’il était dans un état d’intoxication – le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas établi qu’une invalidité était un facteur dans ses actions ou dans la décision de l’employeur de le licencier – en tant qu’agent correctionnel, il était chargé de l’exécution de la loi – la conduite dont il a fait preuve était incompatible avec son statut, a nui à la réputation de l’employeur et a créé un risque de compromission s’il devait être réintégré dans ses fonctions – réintégrer dans ses fonctions un agent correctionnel licencié pour avoir acheté des drogues illicites et pour s’être associé à des criminels à l’extérieur du lieu de travail à des fins d’activités illégales envoie le message qu’un tel comportement est compatible avec les fonctions d’un agent correction, alors que ce n’est fondamentalement pas le cas – le licenciement n’était ni excessif ni déraisonnable – quant à l’entretien de la révision pour motif valable concernant la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé, le processus n’était pas de nature administrative, mais constituait une extension du processus disciplinaire – le processus de révision de la sécurité et le processus disciplinaire se sont déroulés au même rythme depuis le tout début – aucune évaluation de bonne foi n’a été faite après le fait qu’une révision pour motif valable devrait être effectuée – un processus disciplinaire et de révision de la sécurité conjoint a permis de garantir l’issue du processus de révision de la sécurité, soit un subterfuge; dont les résultats ont été révoqués.

Les griefs contre le licenciement et la discrimination ont été rejetés.
Il est fait droit au grief contre la révocation de la cote de fiabilité.

Contenu de la décision


MOTIFS DE LA DÉCISION (Traduction de la CRTESPF)

I.  Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1]  Roop Aujla, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a déposé un grief à l’encontre de son licenciement qui, selon lui, a été fait sans motif valable, était excessif et constituait une discrimination fondée sur un motif de distinction illicite en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP). Il a allégué que son employeur, le Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur »), n’avait pris aucune mesure d’adaptation relativement à  son trouble de toxicomanie. De plus, il a déposé un grief à l’encontre de la révocation par l’employeur de sa cote  de fiabilité parce qu’il a utilisé les mêmes motifs que ceux sur lesquels il s’est appuyé pour justifier son licenciement. Il a allégué que la révocation était un subterfuge, du camouflage et une mesure disciplinaire déguisée. La décision de l’employeur de procéder à la révocation était prétendument injuste et aurait violé les principes de justice naturelle. Le fonctionnaire a également allégué que la révocation était un autre acte de discrimination fondé sur son invalidité.

II.  Résumé de la preuve

[2]  Le fonctionnaire était un agent correctionnel (CX) employé par le SCC à l’Établissement du Pacifique (l’« Établissement ») à Abbotsford, en Colombie‑Britannique. En tant que CX-01, il s’occupait principalement de la garde, du contrôle et de l’influence correctionnelle des détenus de l’Établissement. Il devait se conformer à la « Directive du commissaire 060 – Code de discipline » (« DC-060 »), au « Cadre de la mission, des valeurs et de l’éthique » et aux « Règles de conduite professionnelle » de l’employeur, ainsi qu’au « Code de valeurs et d’éthique du secteur public ». De plus, au cours de son emploi, lorsqu’il y avait des motifs de le faire , sa cote de fiabilité était à un examen en vertu de la « Norme sur le filtrage de sécurité » du Conseil du Trésor.

[3]  Le 24 mars 2017, l’employeur a informé le fonctionnaire qu’il était licencié parce qu’il avait conclu que, sur la base d’un rapport disciplinaire et à la suite d’une réunion disciplinaire, il n’avait pas démontré les valeurs et l’éthique exigées d’un employé du SCC et qu’il avait enfreint la DC-060 et les Règles de conduite professionnelle. En conséquence, l’employeur ne pouvait plus lui faire confiance pour effectuer ses tâches à titre de CX-01.

[4]  Le même jour, il a été informé que la Division de la sécurité et de l’information du SCC avait révisé sa cote de fiabilité après avoir reçu des rapports selon lesquels il avait tenté d’acheter et d’importer de la cocaïne au Canada en provenance des États‑Unis et qu’il avait menti à la Gendarmerie royale du Canada (GRC). De plus, il avait été vu dans la région d’Abbotsford en train d’acheter de la cocaïne à des trafiquants de drogue connus, décrits comme des [traduction] « vendeurs de drogues sur appel », qui répondent aux appels téléphoniques et livrent ensuite leur produit à ceux qui souhaitent l’acheter.

[5]  Selon l’employeur, sa Division de la sécurité et de l’information a examiné la cote de fiabilité du fonctionnaire pour un motif valable sur la base d’un examen de sa description de travail et des informations qu’il avait reçues dans une déclaration de renseignements défavorables. Après l’avoir interrogé, il a été décidé de révoquer sa cote de fiabilité, ce qui était conforme aux normes gouvernementales.

[6]  Selon les renseignements que le directeur et le Comité de révision de la sécurité ont pris en considération en septembre 2015, le fonctionnaire et un autre CX (l’« autre CX ») sont entrés aux États-Unis dans l’intention d’acheter de la drogue. Pendant qu’ils étaient aux États-Unis, ils ont été vus en compagnie de « M. J », un trafiquant de drogue et membre d’un gang connu (certains noms sont anonymisés dans cette décision). Toujours au cours de ce mois, le fonctionnaire a été vu en train d’acheter de la cocaïne à deux reprises alors qu’il faisait l’objet d’une surveillance de la part de la GRC. Le fonctionnaire et l’autre CX, qui s’est suicidé par la suite, étaient soumis à cette surveillance entre septembre 2015 et mai 2016. Cette surveillance a ensuite cessé et la GRC a commencé à interroger ses suspects. L’autre CX s’est suicidé avant que la GRC puisse l’interroger.

[7]  La GRC a interrogé le fonctionnaire le 20 mai 2016, le jour du suicide de l’autre CX. Sur la base du contenu du rapport de cet entretien, qui a été communiqué à l’employeur, une enquête disciplinaire a été ouverte le 22 juin 2016. L’enquête a conclu que le fonctionnaire était associé à des trafiquants de drogue et à des criminels connus qui consommaient de la drogue, qu’il avait donné de faux renseignements à la GRC dans le cadre de l’enquête et qu’il était entré aux États-Unis avec l’intention d’acquérir des stupéfiants.

[8]  Une audience disciplinaire a eu lieu le 22 décembre 2016. En janvier 2017, le fonctionnaire a été interrogé par la Division de la sécurité et de l’information du ministère et il a été conclu qu’il avait reconnu avoir menti à la GRC et à l’enquêteur disciplinaire. La lettre de licenciement pour motif disciplinaire et la lettre de révocation de sa cote de fiabilité lui ont été remises et sont entrées en vigueur le même jour.

[9]  Le gendarme Paul Spencer a produit un rapport écrit sur l’« Opération Peacetime », qui était le résultat de l’enquête sur deux Canadiens soupçonnés d’entrer aux États-Unis pour tenter d’acheter de la cocaïne à M. J, un trafiquant de drogue et membre d’un gang connu. La GRC a reçu un rapport de renseignements du département de la Sécurité intérieure des États-Unis (« Department of Homeland Security ») l’informant de cette activité présumée. Sur la base de ces renseignements, le groupe de travail de l’Opération Peacetime a été mis sur pied pour déterminer si le fonctionnaire et l’autre CX prévoyaient d’acheter et d’importer ce que l’on croyait être 30 kg de cocaïne, d’une valeur de 35 000 $ à 45 000 $ CA par kg.

[10]  Le fonctionnaire et l’autre CX se sont rendus à Seattle (Washington) le 21 juillet 2015, où ils ont rencontré M. J. Le gendarme Spencer et le groupe de travail ont obtenu des ordonnances de communication pour les appels téléphoniques et les SMS de l’autre CX et du fonctionnaire et ont déterminé qui ils ont appelé et les interactions avec la police de ces personnes. Le groupe de travail a surveillé l’autre CX et le fonctionnaire. Puisqu’ils avaient franchi la frontière dans le véhicule du fonctionnaire, il était la principale cible de la surveillance. Lorsque le gendarme Spencer a remarqué que l’autre CX et le fonctionnaire travaillaient pour le SCC, il a informé ce dernier de l’enquête en cours concernant deux de ses employés.

[11]  Selon le gendarme Spencer, au cours de la surveillance, on a remarqué que le fonctionnaire était associé à différents membres de la société, y compris des éléments criminels connus. Il s’est rendu dans des établissements connus de la police, selon le gendarme Spencer, où il est facile d’acheter des drogues. Le fonctionnaire a été vu à l’extérieur de l’un de ces établissements avec « RF », qui était un trafiquant de drogue connu. Par conséquent, le gendarme Spencer a conclu que l’interaction du fonctionnaire avec RF, qu’il a observée, était une transaction de drogue en cours.

[12]  RF était un vendeur de drogues sur appel connu, tout comme « JN ». Les relevés téléphoniques du fonctionnaire ont montré qu’il avait contacté RF 70 fois entre le 1er mai et le 17 novembre 2015, et qu’il avait contacté JN 41 fois pendant cette période. De plus, il était associé à d’autres trafiquants connus, dont « AS », selon le gendarme Spencer. Il avait également des liens avec des membres d’une organisation criminelle impliquée dans l’importation de drogues, et en particulier avec un ancien employé du SCC, M. B, que le SCC a licencié une fois qu’il avait été reconnu coupable de trafic de drogue. Le fonctionnaire a également nié connaître « RR », qui était connu de la police et qui était le partenaire d’affaires du fonctionnaire. Le gendarme Spencer a trouvé cela particulièrement important, car l’épouse de RR travaillait avec le fonctionnaire. En contre-interrogatoire, le gendarme Spencer a admis que RR et sa femme s’étaient séparés.

[13]  Lorsque l’autre CX s’est suicidé le 20 mai 2016, peu de temps après avoir découvert qu’il faisait l’objet d’une enquête par la GRC, le gendarme Spencer craignait que le fonctionnaire n’ait la même réaction lorsqu’il apprendrait qu’il faisait l’objet d’une enquête, alors il a pris des mesures pour arrêter le fonctionnaire au travail. Il a mis le fonctionnaire en détention en vertu de la loi sur la santé mentale de la province, pensant qu’il pourrait être une menace pour lui-même. Il a été désarmé et placé en garde à vue.

[14]  Une fois le fonctionnaire sous sa garde, il lui a demandé pourquoi il était entré aux États-Unis le 21 juillet 2015. Le fonctionnaire lui a dit qu’il était allé avec l’autre CX acheter à quelqu’un là-bas un bateau qu’il avait trouvé sur le site d’annonces Craigslist. Le fonctionnaire a dit qu’il avait accompagné l’autre CX parce qu’il craignait que si ce dernier partait seul, il soit arnaqué. Le fonctionnaire n’a pu fournir aucune information ou description du bateau que l’autre CX avait l’intention d’acheter.

[15]  Lorsque le gendarme Spencer a interrogé le fonctionnaire au sujet de l’achat de drogues auprès de RF, de JN et d’AS, il a nié l’avoir fait et être mêlé de quelque façon que ce soit à la drogue. Il a dit au gendarme Spencer que cela aurait des conséquences néfastes sur son emploi. Le gendarme Spencer a affirmé que le fonctionnaire ne croyait pas que l’autre CX était impliqué dans l’importation ou l’exportation de drogues, mais qu’il aurait pu être un utilisateur occasionnel de drogues à des fins récréatives. Le fonctionnaire a dit au gendarme Spencer qu’il avait entendu dire que l’autre CX était plus fêtard.

[16]  Le gendarme Spencer a déclaré qu’il ne croyait pas à la version des faits du fonctionnaire, qui ne correspondait pas à la chronologie établie par l’enquête ni aux faits de l’affaire, notamment le fait que l’autre CX avait plusieurs accusations de trafic de drogue et d’autres dossiers connexes en cours aux États-Unis. En conséquence, il était hautement improbable que l’autre CX se rende aux États-Unis pour acheter un bateau à un trafiquant de drogue connu qui faisait l’objet d’une surveillance par le département de la sécurité intérieure. Le gendarme Spencer croyait qu’il était possible que le fonctionnaire se soit porté volontaire pour conduire l’autre CX au lieu de rencontre avec M. J parce qu’il craignait que l’autre CX ne soit arnaqué, mais le gendarme Spencer ne croyait pas que la rencontre portait sur l’achat d’un bateau.

[17]  Étant donné le danger inhérent à ce type de situation, où des accords sont conclus pour l’achat et la vente de grandes quantités de drogues illicites, les participants se méfient beaucoup des personnes qui sont présentes aux rencontres, selon le gendarme Spencer. L’autre CX aurait eu à amener quelqu’un qu’il connaissait et en qui il avait confiance. Il était hautement improbable qu’il ait amené un autre agent de la paix à moins que cet agent de la paix ne soit impliqué dans ce trafic, toujours selon le gendarme Spencer. L’autre CX n’aurait pas amené quelqu’un qui n’était pas au courant de la situation et qui aurait pu compromettre la rencontre. Même si c’était le cas, il était clair pour le gendarme Spencer que le fonctionnaire n’était pas l’élément moteur de l’entente.

[18]  L’Opération Peacetime a pris fin avec la mort de l’autre CX et l’entrevue du fonctionnaire. Elle n’a pas donné de résultats. Il n’est pas courant que la GRC informe un employeur lorsque ses employés font l’objet d’une enquête. Mais dans le cas de deux agents de la paix faisant l’objet de l’enquête, la GRC a estimé que le SCC devait en être informé en raison de la nature particulière de l’enquête et de leur emploi. Le gendarme Spencer a rencontré Terry Hackett et Corinne Justason, la sous-directrice et la directrice adjointe des Opérations de l’Établissement à l’époque pour les informer régulièrement de l’avancement de l’enquête.

[19]  Entre le 1er mai et le 17 novembre 2015, rien ne s’est produit qui méritait d’être signalé à l’employeur. Rien dans l’enquête de la GRC sur le fonctionnaire n’a indiqué qu’il disposait de ressources financières suffisantes pour payer la quantité de cocaïne que l’on soupçonnait que lui et l’autre CX tentaient d’importer. Pour faciliter l’achat, plus de personnes étaient nécessaires, et c’est la raison pour laquelle le lien avec l’organisation criminelle intéressait la GRC. En fin de compte, aucun élément de preuve n’a démontré que le fonctionnaire avait l’intention d’importer de la cocaïne ou qu’il faisait le trafic de stupéfiants. Il y avait des preuves qu’il achetait et consommait des drogues qu’on croyait être de la cocaïne, qu’il était associé à des trafiquants de drogue et à des criminels et qu’il avait menti en disant qu’il ne savait pas qu’il avait fait l’objet d’une enquête par la GRC.

[20]  William Thompson occupait le poste de sous-commissaire adjoint, Opérations, région du Pacifique, SCC, pendant la période de l’enquête. Il a reçu un appel téléphonique du sous-commissaire Peter German en mai 2015, que la GRC avait contacté, pour l’informer de l’enquête sur l’autre CX et le fonctionnaire. M. Thompson a avisé le directeur de l’établissement où travaillaient les agents. M. Hackett et Mme Justason ont été chargés de surveiller la situation et de fournir à M. Thompson des séances d’information de suivi après avoir rencontré le gendarme Spencer aux fins de mise à jour. Le nombre de personnes au courant de l’enquête et de son processus était limité, car M. Thompson ne voulait pas compromettre l’enquête de la GRC. L’autre CX et le fonctionnaire ont été maintenus en poste pour la même raison.

[21]  Une fois qu’il a reçu le rapport de la GRC en mai 2016, il en a discuté avec M. German, M. Hackett et Mme Justason. Ils étaient les seuls au courant de l’enquête, en plus de quatre autres personnes de l’administration centrale du SCC. Sur la base de ses discussions, il a décidé de convoquer une enquête disciplinaire sur les comportements et les actions que la GRC avait signalés au SCC. Il a élaboré quatre allégations sur lesquelles enquêter, en consultation avec M. German, M. Hackett, Mme Justason et le conseiller local en relations de travail. Il a été décidé que Bill Ard, un ancien avocat et agent de la GRC à la retraite qui avait mené des enquêtes pour la région du Pacifique du SCC par le passé, serait engagé  par contrat pour mener l’enquête disciplinaire. Il a été choisi en raison de son expérience avec la GRC et, selon M. Thompson, en raison de [traduction] « sa capacité à supprimer les obstacles avec la GRC ».

[22]  Dès la première communication de la GRC avec l’Établissement, la présence de l’autre CX et du fonctionnaire a été gérée en fonction des risques, selon M. Thompson. Il connaissait l’autre CX, car il avait travaillé avec lui à l’établissement de Kent du SCC. Il ne connaissait pas le fonctionnaire et ne savait pas qu’il avait une quelconque invalidité. Il n’était au courant d’aucune tentative des détenus de viser ou de compromettre le fonctionnaire au cours de l’enquête de la GRC. Si une telle chose s’était produite, M. Thompson était certain qu’il en aurait été informé, compte tenu des circonstances.

[23]  Entre avril 2015 et mai 2016, il n’y avait aucune preuve que l’autre CX ou le fonctionnaire avait amené des drogues dans l’établissement ou que le fonctionnaire avait empêché que des drogues y pénètrent. M. Thompson n’a jamais rencontré personnellement le fonctionnaire, mais selon tous les rapports, il était un employé ordinaire. Aucun élément de preuve n’a établi que le fonctionnaire n’a pas accompli son travail pendant cette période. M. Thompson savait que le fonctionnaire avait pris congé après le suicide de l’autre CX.

[24]  En février 2016, M. Thompson a rencontré le commissaire du SCC; Fraser Macaulay, commissaire adjoint, Opérations et programmes correctionnels; et Nick Fabiano, directeur général, Sécurité et renseignement, et chef de la sécurité ministérielle du SCC. Ils se sont rencontrés pour discuter de la voie à suivre, du processus disciplinaire et du processus d’examen de la sécurité. M. Thompson a communiqué les relevés téléphoniques du fonctionnaire et les tableaux de ces appels et a expliqué ce qu’il savait à l’époque. Il a dit à M. MacAulay et à M. Fabiano qu’il savait que la GRC enquêtait sur le fonctionnaire en raison des tentatives de ce dernier d’importer des stupéfiants au Canada. M. Thompson estimait qu’il était essentiel de connaître ces renseignements afin d’effectuer un examen approfondi de la cote de fiabilité du fonctionnaire.

[25]  M. Ard a été chargé d’enquêter sur quatre allégations, à savoir que le fonctionnaire était associé à des membres de gangs, des trafiquants de drogue et des criminels; qu’il a acheté et utilisé des stupéfiants; qu’il a fourni un faux témoignage à la GRC (M. Ard a plus tard changé l’allégation de faux témoignage en une allégation de fausses déclarations; et qu’il a tenté d’acquérir des stupéfiants aux États-Unis. M. Ard a lancé son enquête le 22 juin 2016, et a déposé son rapport le 24 octobre 2016. Au cours de l’entrevue, il a parlé au fonctionnaire, à M. Hackett, à « ML » (un autre CX ayant fait l’objet d’une enquête par la GRC), au gendarme Spencer et à un enquêteur du département de la sécurité intérieure.

[26]  M. Ard a demandé au fonctionnaire de raconter sa version de son voyage avec l’autre CX. Selon le fonctionnaire, lui et l’autre CX se sont rendus à Seattle parce que l’autre CX achetait un bateau de pêche en aluminium de 10 à 12 pieds à quelqu’un. L’autre CX avait besoin d’un camion avec attelage pour remorquer le bateau. Étant donné que le fonctionnaire avait un tel camion et ne travaillait pas ce jour-là, il a accepté d’accompagner l’autre CX.

[27]  Selon M. Ard, le récit du fonctionnaire n’avait aucun sens. Il a demandé au fonctionnaire pourquoi l’autre CX lui permettrait de faire un tel voyage sans en connaître le véritable but. Cela n’avait pas non plus de sens pour M. Ard puisque les relevés téléphoniques de l’autre CX montraient que 14 appels avaient été passés entre le téléphone de l’autre CX et le téléphone de M. J pendant les trajets aller-retour entre Surrey et Seattle.

[28]  Le fonctionnaire a expliqué que les appels avaient été faits parce que l’autre CX cherchait à obtenir des instructions pour se rendre au lieu de rencontre. Cependant, selon M. Ard, il était illogique que l’autre CX continue de demander des instructions pour se rendre vers ce lieu après que la rencontre ait eu lieu. De plus, selon M. Ard, il était absurde de se rendre à Seattle pour acheter un bateau qui n’était pas unique, peu coûteux et facilement disponible dans les basses-terres continentales de la Colombie‑Britannique.

[29]  Compte tenu de toutes ces incohérences, que le fonctionnaire n’a pas pu expliquer adéquatement, M. Ard a conclu que le fonctionnaire savait que le but du voyage de l’autre CX était d’acheter de la cocaïne. Selon M. Ard, le fonctionnaire a reconnu que l’autre CX s’était rendu à Seattle pour acheter de la drogue lorsqu’il a été confronté à tous les faits, y compris les relevés téléphoniques et le rapport de la GRC. Le fonctionnaire l’a reconnu, même s’il continuait d’affirmer qu’il ne savait pas, pendant le voyage, que tel était le but du voyage.

[30]  Par conséquent, M. Ard a conclu que l’allégation selon laquelle le fonctionnaire avait tenté d’acquérir des stupéfiants aux États-Unis avait été prouvée, de même que l’allégation qu’il était associé à des criminels connus. Il avait admis qu’il aurait pu acheter et utiliser de la cocaïne à la seule occasion mentionnée dans le rapport de la GRC. Selon M. Ard, le fonctionnaire a reconnu en toute franchise qu’il avait acheté et consommé de la cocaïne au cours de l’été 2015 pendant ce qu’il a décrit comme [traduction] « quelques mois ». Il a également dit à M. Ard qu’il avait beaucoup bu, mais qu’il avait cessé de boire et de consommer de la drogue 8 à 10 mois plus tôt. Il n’a jamais mentionné à M. Ard qu’il avait une invalidité. Il a qualifié sa consommation de cocaïne de récréative et a déclaré que ni sa consommation d’alcool ni sa consommation de cocaïne n’avaient jamais nui à son travail.

[31]  Le fonctionnaire aurait menti à la GRC quant au fait qu’il avait été informé de l’enquête. ML, un autre CX nommé dans l’ordre de convocation et faisant l’objet d’une enquête, a dit au fonctionnaire que la GRC enquêtait sur lui et l’autre CX. Lorsque M. Ard a confronté le fonctionnaire à cette déclaration, le fonctionnaire l’a niée. Cependant, le rapport de la GRC indique clairement que ML a signalé à la GRC qu’il avait informé le fonctionnaire et l’autre CX de l’enquête. Étant donné que ML a reconnu l’avoir fait et, de l’avis de M. Ard, la GRC n’inventerait rien de ce genre, M. Ard a conclu que le fonctionnaire avait menti à la GRC lorsqu’il a nié que ML l’avait informé de l’enquête. Même s’il a conclu que le fonctionnaire avait menti à la GRC, M. Ard n’a pas conclu que le fonctionnaire avait fait un faux témoignage puisqu’il n’avait pas prêté serment. En conséquence, il a remplacé la présentation d’un faux témoignage, comme indiqué dans l’ordre de convocation, par la présentation d’une fausse déclaration et de fausses informations.

[32]  Le fonctionnaire a reconnu avoir eu des contacts avec un seul trafiquant de drogue, RF. Lorsque M. Ard lui a demandé de décrire la personne qu’il a rencontrée, la description du fonctionnaire ne correspondait pas à celle de RF, alors M. Ard a conclu qu’il avait rencontré quelqu’un d’autre que RF. Lorsqu’on a demandé au fonctionnaire s’il savait que des personnes avec qui il s’était associé avaient été identifiées comme des criminels connus, il a nié les connaître alors qu’en réalité, lui et RR étaient administrateurs de la même entreprise et des partenaires commerciaux.

[33]  Alors que le fonctionnaire a dit à la GRC qu’il n’avait jamais consommé de drogues, il a dit à M. Ard qu’il en avait consommé pendant une période à l’été 2015. Il a nié avoir appelé le trafiquant de drogue JN, mais ses relevés téléphoniques ont établi que le fonctionnaire l’avait appelé 41 fois. De même, il a nié avoir appelé RF, mais ses relevés téléphoniques ont établi qu’il l’avait appelé 70 fois. Selon M. Ard, le fonctionnaire était évasif lors de l’entrevue. Par exemple, lorsqu’on lui a posé des questions sur le type du bateau qu’ils allaient acheter, le fonctionnaire a répondu que puisqu’il n’y avait pas de bateau, il n’en avait aucune idée. En conséquence, M. Ard a déterminé que le fonctionnaire n’était pas crédible et que toutes les allégations étaient fondées.

[34]  Au cours de l’entrevue, le fonctionnaire n’a jamais mentionné à M. Ard qu’il était toxicomane ou alcoolique. Il a mentionné avoir beaucoup bu après la mort de l’autre CX. Il n’a pas non plus mentionné à M. Ard qu’il était stressé ou déprimé. Cependant, il a mentionné avoir vu des choses lorsqu’il travaillait à l’Établissement de Kent. Il a mentionné avoir été stressé après sa discussion avec la GRC, en mai 2016, après le suicide de l’autre CX, après quoi il a parlé au sous-directeur, Claude Demers. M. Ard n’a pas parlé à M. Demers parce que le stress du fonctionnaire n’était pas l’objet de l’enquête, qui portait sur une inconduite; son stress n’était pas pertinent.

[35]  Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait bu une bouteille d’alcool tous les jours au cours de l’été 2015. Il n’a jamais défini la taille de la bouteille. De l’avis de M. Ard, il s’agissait d’une ruse. Le fonctionnaire a déclaré avoir subi des pertes de mémoire en raison de sa consommation d’alcool pour justifier son incapacité à se souvenir de choses; M. Ard était certain que le fonctionnaire se souvenait de ces choses, notamment le fait que ML l’avait informé de l’enquête.

[36]  Shawn Huish a déclaré qu’il était directeur de l’établissement en octobre 2016. À ce titre, il était responsable, entre autres, des questions de relations de travail, y compris de la discipline des employés. Il a décrit ses attentes à l’égard d’un CX-01, comme le fonctionnaire, en disant qu’il s’agissait d’assurer la sécurité statique dans l’établissement, de contrôler les portes et de surveiller les postes de l’établissement. En tant que CX, le fonctionnaire avait le statut d’agent de la paix et avait une autorité sur les délinquants incarcérés dans l’établissement, y compris les pouvoirs de perquisition et de saisie et de détention en vertu du Code criminel (L.R.C., 1985, ch. C-46). Il est attendu qu’un CX soit un bon modèle pour les détenus.

[37]  Lors de son entrée au SCC, chaque CX, y compris le fonctionnaire, signe un engagement selon lequel ils sont liés par les Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada. La Règle no 2 énonce ce que l’employeur attend de ses employés en ce qui concerne leur conduite en service et hors service. Un CX qui commet des actes criminels ou d’autres violations de la loi, particulièrement de manière répétée, ne démontre pas le type de comportement personnel ou éthique jugé nécessaire par l’employeur. Si un employé éprouve des problèmes personnels susceptibles d’affecter l’exécution de ses fonctions, l’employeur a la responsabilité d’offrir de l’aide à cet employé, mais cela ne signifie pas que l’employeur ignorera le mauvais rendement ou comportement. On s’attend à ce qu’un employé éprouvant de tels problèmes avise l’employeur ou consulte son Programme d’aide aux employés pour obtenir de l’aide.

[38]  M. Huish ne savait rien du fonctionnaire jusqu’à ce que le rapport d’enquête disciplinaire soit finalisé. À ce moment-là, il a appelé le fonctionnaire, s’est présenté et a informé le fonctionnaire que le rapport était terminé et qu’il en recevrait bientôt une copie approuvée. Une audience disciplinaire a eu lieu le 22 décembre 2016, à laquelle ont assisté M. Huish, Sue Langer du bureau régional des relations de travail, le fonctionnaire et deux représentants syndicaux. Le but était de permettre au fonctionnaire de communiquer à M. Huish des renseignements qu’il jugeait nécessaires pour aider M. Huish à prendre une décision équitable.

[39]  Le fonctionnaire a eu l’occasion de répondre aux questions soulevées dans le rapport d’enquête disciplinaire. Selon M. Huish, le fonctionnaire a parlé de son voyage aux États-Unis, mais a nié toutes les allégations contenues dans le rapport. Il a parlé de sa consommation de drogue et a indiqué à quel point le processus disciplinaire avait été dur pour lui.

[40]  Le fonctionnaire n’a jamais soulevé ni utilisé le mot « invalidité » avec M. Huish. Au cours d’une conversation téléphonique concernant la planification de l’audience disciplinaire, il a mentionné qu’il recevait du counseling et qu’il avait reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique (« TSPT »). M. Huish a transmis cette information au conseiller en relations de travail, mais n’a pas demandé une autre évaluation médicale, comme une évaluation de l’aptitude au travail, qui aurait été théorique puisque le fonctionnaire n’était pas au travail à ce moment-là. Chaque lettre qui lui était envoyée lui proposait le soutien du Programme d’aide aux employés. Il lui incombait d’accepter l’offre qui lui était faite.

[41]  Selon M. Huish, le fonctionnaire a admis avoir acheté et consommé de la cocaïne pendant une brève période en 2015, mais a nié l’allégation beaucoup plus large d’avoir eu l’intention de l’importer. À aucun moment il n’a mentionné l’abus de drogues lors de ses rencontres avec M. Huish, et il a nié que sa consommation de drogues et d’alcool ait affecté son travail. D’après l’évaluation de M. Huish, le fonctionnaire n’avait pas de remords; à aucun moment il n’a exprimé de remords ni déclaré qu’il était désolé pour ses actes. Il était contrarié et regrettait d’être dans cette situation, mais ne ressentait aucun remords pour ses actes. À aucun moment, il n’a été mentionné que le fonctionnaire avait une invalidité, bien que M. Huish ait reçu une note médicale indiquant que le fonctionnaire avait reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique et qu’il avait été traité de mai 2015 à décembre 2016. Selon le fonctionnaire, il a abordé son problème de toxicomanie et a informé le directeur qu’il suivait des séances de counseling depuis août 2016. Le psychologue du fonctionnaire a écrit en décembre 2016 que le fonctionnaire n’avait plus de problème de toxicomanie.

[42]  Le fait que le fonctionnaire ait divulgué son abus d’alcool à M. Demers en 2016 (il a dit que c’était le cas pendant une certaine période en 2015), ce que M. Ard a reconnu dans son rapport, n’a pas été discuté lors de l’audience disciplinaire. La réunion n’avait pas pour but de discuter de la consommation d’alcool du fonctionnaire, mais de traiter des allégations disciplinaires, selon M. Huish. Il n’a pris aucune mesure pour corroborer les discussions entre le fonctionnaire et M. Demers, car elles n’étaient pas pertinentes au sujet de la réunion. Les médicaments contre l’anxiété et la dépression du fonctionnaire alors prescrits par son médecin n’étaient pas non plus pertinents.

[43]  Pour déterminer la sanction appropriée, M. Huish a pris en considération les conclusions du rapport d’enquête disciplinaire, les déclarations du fonctionnaire à l’audience disciplinaire, le moment de la divulgation de sa toxicomanie, les déclarations contradictoires qu’il a faites au sujet de l’achat des drogues par rapport à l’achat du bateau, ses années de service, son dossier disciplinaire, sa sincérité auprès de la GRC et la question de savoir si on pouvait lui faire confiance en tant que fonctionnaire. Le facteur atténuant était son dossier disciplinaire vierge depuis 18 ans, tandis que le facteur aggravant était que, compte tenu de ses 18 années de service, il aurait dû être plus avisé. Lors de son entrevue avec la GRC, il a admis qu’il était conscient des répercussions que les allégations auraient sur son travail.

[44]  Le fonctionnaire s’est excusé et a exprimé ses regrets quant à la façon dont ses actions ont affecté sa réputation, et non la réputation de ses collègues, de ses pairs, du SCC et des agents de la paix en général. Même avec deux représentants syndicaux avec lui pour l’aider à répondre aux questions, le mieux qu’il pouvait faire était de  lustrer son expression de remords. Selon M. Huish, ce n’était pas une expression authentique de remords ou de regret et il n’exprimait pas une véritable compréhension du préjudice qu’il avait causé.

[45]  L’une des plus grandes préoccupations de M. Huish était de maintenir la réputation d’un CX en tant qu’agent de la paix, même si le gendarme Spencer avait déclaré qu’il n’avait observé aucune incidence sur la réputation du SCC au sein de la GRC. Lorsqu’un CX ment à un organisme de maintien de la paix partenaire, cela crée un risque très important pour la réputation du SCC. De plus, étant donné que les détenus qu’il devait surveiller étaient incarcérés pour avoir pris de mauvaises décisions semblables aux siennes, quel genre de modèle le fonctionnaire peut-il être? En tant que CX, il devait agir en tant que modèle et non en tant que détenu. Une partie de la mission du SCC est de respecter la loi, ce que le fonctionnaire a démontré qu’il ne pouvait pas faire. À ce moment-là, il s’était montré plus assimilable aux détenus qu’aux autres CX.

[46]  Lorsqu’on lui a demandé deux ans plus tard s’il s’en tenait à sa décision, M. Huish a répondu par l’affirmative. La justification du fonctionnaire au sujet de sa présence à Seattle ce jour-là n’avait aucun sens. Il a délibérément communiqué avec des trafiquants de drogue et a violé la loi. Comme on ne savait pas s’il avait été compromis, son retour dans l’établissement représentait un risque inacceptable. L’employeur ne saurait jamais quand l’un de ses trafiquants deviendrait un détenu ou quand le fonctionnaire pourrait faire face à l’un d’eux pendant l’exercice de ses fonctions, s’il était renvoyé  à l’établissement. Il était impossible de savoir quand un détenu au courant de la consommation de drogues du fonctionnaire pourrait essayer de le compromettre au sein de l’établissement.

[47]  M. Huish a collaboré avec ses experts-conseils en relations de travail aux niveaux régional et national. La décision de licencier le fonctionnaire a été mise en suspens en attendant la révision pour motif valable de sa cote de fiabilité, mais M. Huish n’a pas participé à ce processus. Finalement, M. Huish a remis au fonctionnaire sa lettre de licenciement le 24 mars 2017, en même temps que la lettre de révocation de sa cote de fiabilité.

[48]  Dorothy Sicard est responsable du filtrage de sécurité des CX au sein du SCC. Le programme de filtrage du SCC est pangouvernemental et, dans certaines circonstances, prévoit une révision pour motif valable. Une révision pour motif valable est une réévaluation d’une cote de sécurité accordée en raison de renseignements défavorables révélés. Il s’agit d’un processus formel qui est engagé lorsque de tels renseignements défavorables remettent en question la capacité d’une personne à protéger des renseignements de nature délicate. Une telle révision peut comprendre une enquête de sécurité et une entrevue, qui ont toutes deux été effectuées dans ce cas-ci.

[49]  Un renseignement défavorable est tout renseignement qui remet en question la capacité d’une personne à protéger les renseignements gouvernementaux. Il peut s’agir d’allégations de vol, de fraude, de consommation d’alcool ou de drogues, d’activités criminelles ou de malhonnêteté. Le processus de révision pour motif valable est décrit à l’annexe D de la Norme sur le filtrage de sécurité du Conseil du Trésor. Les renseignements défavorables sont évalués en fonction des critères énoncés à la section 2 de l’annexe D, y compris la gravité des renseignements et si ces derniers sont récents, les circonstances et la probabilité qu’ils affectent la fiabilité du particulier. Selon les résultats de l’évaluation, le particulier peut être appelé à une entrevue.

[50]  Au cours de l’entrevue, l’ouverture et l’honnêteté de la personne sont évaluées. Selon Mme Sicard, l’honnêteté est le fondement de la cote de fiabilité, qui était le niveau d’habilitation que détenait le fonctionnaire, puisque cela mesure l’honnêteté, l’intégrité et la fiabilité. L’entrevue est menée pour permettre au particulier de réfuter ou de clarifier les renseignements défavorables et de combler les lacunes. Elle se fait par vidéoconférence et est enregistrée. La personne peut être accompagnée d’un représentant syndical et on lui demande d’être honnête et sincère avec les enquêteurs.

[51]  La révision pour motif valable de la cote du fonctionnaire s’est déroulée parallèlement à l’enquête disciplinaire. Il détenait une cote de fiabilité approfondie, laquelle évaluait son honnêteté et sa fiabilité. Son entrevue a été sollicitée lorsque la Division de la sécurité et du renseignement du ministère a reçu une copie du rapport d’enquête disciplinaire du bureau régional des relations de travail, sous la direction de M. Thompson. Mme Sicard a lu le rapport. Elle a relevé des problèmes de sécurité liés au fait que le fonctionnaire n’avait pas été honnête avec la GRC, avait caché des renseignements au cours de l’enquête disciplinaire et celle de la GRC, avait acheté de la drogue et avait été malhonnête au sujet de ses associations avec des criminels. Elle a transmis cette information à M. Fabiano, son directeur général, qui lui a demandé de procéder à une révision pour motif valable.

[52]  Mme Sicard a ensuite recueilli tous les renseignements du dossier du fonctionnaire, en plus des rapports de la GRC et disciplinaires. L’entrevue de la révision pour motif valable a eu lieu le 17 janvier 2017. Le but était de discuter des renseignements qu’elle avait recueillis et de permettre au fonctionnaire de discuter des conclusions tirées par Mme Sicard. Selon elle, le fonctionnaire n’a pas répondu honnêtement et les réponses de ce dernier étaient limitées. En conséquence, il a reconnu ne pas avoir dit la vérité à la GRC et lors des enquêtes lorsqu’il a dit qu’il n’était pas au courant de l’enquête de la GRC, alors qu’il l’était, lorsqu’il a dit à la GRC qu’il n’avait jamais consommé ou acheté de drogues, et quand il a nié connaître RR, alors qu’ils étaient des partenaires d’affaires.

[53]  Selon l’évaluation globale faite par Mme Sicard,  le fonctionnaire n’était pas honnête, il avait menti aux forces de l’ordre et il avait été jugé non fiable. Le comité d’entrevue a intégré l’évaluation dans son rapport et a recommandé que la cote de fiabilité du fonctionnaire soit révoquée. La recommandation a été envoyée au Comité sur la résolution des doutes. Elle a participé à sa réunion. Le Comité a accepté la recommandation et l’a envoyée à M. MacAulay. Le fonctionnaire a eu 10 jours pour contester la recommandation du Comité, mais il ne l’a pas fait.

[54]  En contre-interrogatoire, Mme Sicard n’a pu signaler aucune question particulière posée par le comité d’entrevue à laquelle le fonctionnaire n’a pas répondu honnêtement. Elle a admis qu’elle ne savait pas si ses réponses étaient véridiques, car le comité n’a fait aucun effort pour vérifier leur véracité a posteriori. Il a répondu à toutes les questions concernant son mariage, sa consommation de drogue et d’alcool et ses finances. Mme Sicard a témoigné qu’elle avait accepté ses réponses sans réserve et qu’elle n’avait pu signaler aucune malhonnêteté dans son entrevue. Ses aveux selon lesquels il avait été malhonnête avec la GRC et M. Ard préoccupaient les membres du comité.

[55]  Mme Sicard n’a pas pu préciser pourquoi les autres employés impliqués dans l’Opération Peacetime (ML et un gestionnaire correctionnel [GC]), qui faisaient également l’objet de mesures disciplinaires, sans toutefois être renvoyés, n’ont pas fait l’objet d’une révision pour motif valable. On lui a fait remarquer qu’au moment de la révision pour motif valable, le fonctionnaire n’avait pas fait l’objet de mesures disciplinaires, ni n’avait été renvoyé. Elle a fait remarquer que l’employeur ne peut pas révoquer la cote de fiabilité d’une personne qui n’est plus employée, selon la directive du Conseil du Trésor; pour cette raison, le service de la sécurité et du renseignement et M. Langer des relations de travail ont décidé de procéder au licenciement et à la révocation en même temps. Le rapport d’enquête disciplinaire a été utilisé comme renseignement défavorable requis pour amorcer la révision pour motif valable.

[56]  En 2017, M. MacAulay était l’administrateur général délégué responsable du SCC en vertu de la Norme sur le filtrage de sécurité du Conseil du Trésor. Selon lui, le Comité sur la résolution des doutes, qui lui a fait parvenir la recommandation de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire, faisait partie de la procédure régulière et de l’équité procédurale, et était indépendant de tout processus disciplinaire. Il a été informé du résultat des délibérations du Comité, qui ont été transmises à M. Fabiano. Dans ce cas-ci, les renseignements défavorables provenaient initialement du département de la sécurité intérieure et ont été transmis par la GRC à l’employeur.

[57]  Selon M. MacAulay, lors de l’entrevue de sécurité, le fonctionnaire savait très bien que tout était à risque, y compris son travail, mais il n’a toujours pas admis des choses qui avaient été prouvées. L’employeur ne peut pas travailler avec des personnes qui ne sont pas ouvertes et directes. Selon M. MacAulay, son explication au sujet de son voyage à Seattle pour acheter un bateau qui n’a jamais été vu et sa déclaration selon laquelle il n’est jamais sorti du véhicule n’avaient aucun sens. Les comportements du fonctionnaire pendant ce voyage étaient incompatibles avec son récit. Il a dit qu’il ne se sentait pas bien, mais il s’est arrêté pour déjeuner et a bu une bière. Il a établi 70 contacts avec un soi-disant trafiquant de drogue, mais n’a pas pu l’identifier. La consommation d’alcool et de drogues est un énorme problème pour le SCC, puisque 70 % de la population carcérale a une dépendance à l’alcool, aux drogues ou aux deux. Le style de vie du fonctionnaire a fait de lui une cible de choix pour le chantage ou le retournement; il s’agissait d’un trop gros risque pour l’employeur, l’établissement, les détenus et le personnel. Compte tenu de ce degré de risque, le fonctionnaire n’a pas satisfait au critère de la Norme sur le filtrage de sécurité pour se voir accorder ou maintenir sa cote de fiabilité.

[58]  Chaque fois que le fonctionnaire était interrogé sur sa consommation de cocaïne, il parlait de sa consommation d’alcool et niait consommer des drogues. Selon MacAulay, rien de tout cela ne tenait debout.

[59]  M. Langer était le gestionnaire intérimaire des relations de travail pour la région du Pacifique du SCC au moment du licenciement du fonctionnaire. Il conseillait la haute direction sur les processus disciplinaires et de sécurité. Il tenait M. Huish au courant de l’avancement du processus de sécurité parallèle, tandis que la direction a mis en suspens la réalisation du processus disciplinaire en attendant l’achèvement du processus de sécurité. Il a communiqué tous les renseignements disciplinaires au groupe de sécurité, y compris le rapport de l’enquête disciplinaire utilisé pour licencier le fonctionnaire. Il a informé la direction de l’effet d’un licenciement prématuré sur la capacité de l’employeur d’examiner et de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire en vertu de la norme du Conseil du Trésor. À la suite de sa recommandation et de ses conseils, le processus disciplinaire a été suspendu en attendant l’achèvement du processus de révision de sécurité. Il a ensuite coordonné la délivrance des deux lettres ensemble. Il a assisté à des réunions auxquelles Mme Sicard a participé et au cours desquelles les résultats escomptés du processus disciplinaire ont été discutés. À aucun moment, l’employeur n’a envisagé d’autres solutions que de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire, compte tenu des circonstances.

[60]  Selon M. Langer, en plus du fonctionnaire, trois CX et un GC ont tous fait l’objet d’une enquête pour avoir fourni de faux renseignements à la GRC. Dans le cas de ML et du GC, M. Ard a conclu qu’ils avaient également fourni de faux témoignages à la GRC, mais aucun des deux n’a été licencié. Ils ont plutôt reçu ce que M. Langer a décrit comme des pénalités financières mineures. Ni ML ni le GC n’ont été soumis à une révision pour motif valable; seuls le fonctionnaire et un autre CX l’ont été. Seule la cote de fiabilité du fonctionnaire a été révoquée. Selon M. Langer, au cours de sa carrière, il n’a été témoin que d’une seule révocation de la cote de fiabilité, soit celle de la cote du fonctionnaire.

[61]  Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait commencé sa carrière comme CX-01 à l’Établissement de Kent en 1997. Il a rejoint l’Établissement en 2007, où il est resté jusqu’à sa suspension en juin 2016, en attendant l’issu de l’enquête disciplinaire. Entre 2015, lorsque la GRC a commencé son enquête et la date de sa suspension, rien n’a changé pour lui au travail. La rotation de son poste est restée la même; il a effectué des rotations dans toutes les unités et les équipes, mais surtout, il a effectué des escortes pour raisons médicales.

[62]  Le 20 mai 2016, le fonctionnaire effectuait une escorte pour raisons médicales à l’hôpital régional d’Abbotsford lorsqu’il a pris connaissance de l’enquête de la GRC. Trois agents correctionnels en uniforme se sont approchés de lui, un GC et deux CX‑02, ainsi qu’un agent de la GRC et le CX-01 qui travaillait avec lui. On lui a dit de lever les mains. L’agent de la GRC l’a désarmé et l’a menotté, et lui a dit que l’autre CX s’était suicidé avec un fusil de chasse. Le GC présent lui a dit de suivre l’agent de la GRC, qui a ensuite emmené le fonctionnaire dans le couloir, toujours menotté.

[63]  Lorsque l’agent de la GRC est arrivé à la voiture de patrouille, il a enlevé les menottes et a placé le fonctionnaire sur le siège arrière de la voiture de patrouille. Il a demandé au fonctionnaire s’il avait l’intention de se faire du mal; le fonctionnaire a répondu qu’il n’avait aucune raison de le faire. L’agent a alors informé le fonctionnaire que leur conversation était enregistrée et qu’il pouvait partir s’il le voulait. L’agent a ensuite interrogé le fonctionnaire sur sa consommation de drogues, son voyage à Seattle et sa relation avec l’autre CX. Lorsqu’on a demandé au fonctionnaire s’il était au courant de l’enquête en cours, il a d’abord nié en avoir été informé par ML, qui avait également informé l’autre CX. M. Loewen avait informé le fonctionnaire de la réaction de l’autre CX – il l’a entendu dire qu’il était [traduction] « dans la merde ».

[64]  Lorsque le gendarme Spencer a demandé au fonctionnaire s’il consommait de la drogue ou connaissait une personne qui en consommait, selon le témoignage du fonctionnaire, il a répondu négativement et qu’il n’avait jamais consommé de drogues, même s’il connaissait des collègues qui en consommaient. Lorsque sa représentante a demandé au fonctionnaire au cours de son témoignage pourquoi il avait nié avoir consommé de la drogue, il a répondu qu’il avait honte et peur de perdre son travail et que si on lui avait donné 10 minutes pour absorber la nouvelle concernant l’autre CX au lieu de l’interroger immédiatement, il aurait possiblement répondu différemment. Il savait également que l’achat et la consommation de drogues étaient un crime et que s’il était pris, cela aurait des conséquences importantes sur son travail. Selon le fonctionnaire, avec le recul, il aurait souhaité être honnête.

[65]  Le gendarme Spencer a ensuite conduit le fonctionnaire jusqu’à l’établissement. Pendant le trajet, ils ont parlé de pêche. À leur arrivée, il était évident pour le fonctionnaire que tout le monde savait ce qui s’était passé avec l’autre CX. Il est entré et a rencontré Mike Page, son représentant syndical, et M. Demers, le sous-directeur. Selon le fonctionnaire, il avait communiqué avec M. Page pour l’aider. M. Page lui a dit de tout dire à la direction, alors il a dit à M. Demers qu’il avait déjà souffert de dépendance à l’alcool et aux drogues et qu’il avait besoin d’aide. Selon le fonctionnaire, M. Demers a semblé empathique, mais n’a demandé aucun renseignement médical. M. Demers lui a dit de prendre quelques jours de congé à cause de tout ce qui s’était passé. Après cela, il a été suspendu en raison de l’enquête disciplinaire.

[66]  Selon le fonctionnaire, il avait admis qu’il était associé à des trafiquants de drogue et à des criminels et qu’il avait acheté des stupéfiants. Initialement, il a nié avoir fourni de faux témoignages à la GRC, mais il a été franc lorsqu’il a parlé à M. Ard. Il n’avait pas l’intention de mentir au sujet du fait qu’il était au courant à l’avance de l’enquête de la GRC. Nier ce fait était une [traduction] « erreur due au stress », selon son témoignage. Lors de son témoignage, il a également affirmé qu’il n’avait pas menti à la question de savoir s’il connaissait RR; il le connaissait sous le nom de Robin et non par son nom légal. Lorsque l’enquêteur de la GRC lui a fait remarquer qu’il était en affaires avec l’homme en question et qu’il devait le connaître, selon le fonctionnaire, sa réponse a été : [Traduction] « Oh! Vous voulez dire Robin! » Ils avaient brièvement pris part à une petite entreprise à domicile.

[67]  Quant aux 144 appels téléphoniques passés à des trafiquants de drogue, le fonctionnaire ne les a pas contestés, dans la mesure où c’est effectivement ce que montraient les relevés téléphoniques, mais il n’a pas tardé à souligner que cela ne signifie pas qu’il a rencontré ces trafiquants de drogue 144 fois. Selon lui, 10 appels étaient parfois nécessaires pour mettre en place 1 achat.

[68]  Quant à la tentative d’importation de stupéfiants en provenance des États-Unis, le fonctionnaire a soutenu qu’il n’en savait rien. L’autre CX lui parlait de la pêche depuis un certain temps et lui avait dit qu’il voulait acheter un bateau à Seattle. Le fonctionnaire avait accompagné l’autre CX aux États-Unis à plusieurs reprises lorsqu’il achetait des véhicules à importer, il n’a donc pas mis en doute l’intérêt de l’autre CX à ramener un bateau. De l’avis du fonctionnaire, quel que soit l’âge ou la taille du bateau, l’autre CX économiserait de l’argent en allant aux États-Unis, car les Américains étaient impatients de vendre leurs jouets. Selon le fonctionnaire, M. Ard ne saurait rien à ce sujet puisqu’il n’est jamais allé aux États-Unis pour acheter un véhicule récréatif ou un bateau.

[69]  Comme le véhicule du fonctionnaire était équipé pour le remorquage, ils ont décidé de le prendre à la place du véhicule de l’autre CX. Le fonctionnaire a conduit et l’autre CX a relayé les instructions qu’il recevait de la personne à qui il parlait au téléphone. Le fonctionnaire était certain que si l’autre CX avait conclu un échange de drogue alors qu’il était assis à côté de lui, il l’aurait entendu et aurait fait demi-tour et serait rentré chez lui. Sur la route vers Seattle, le fonctionnaire ne se sentait pas bien, alors ils se sont arrêtés et ont pris un repas avec de la bière. Le trajet vers Seattle a été très calme. Si le fonctionnaire avait soupçonné que l’autre CX se livrait au trafic de drogue, il l’aurait confronté à ce sujet.

[70]  Depuis juillet 2015, le fonctionnaire a traversé la frontière à plusieurs reprises sans incident et sans être obligé de se soumettre à une inspection secondaire ce qui, selon lui, aurait été impossible si les agents des services frontaliers de chaque côté de la frontière avaient eu des soupçons à son sujet.

[71]  Lors de l’audience disciplinaire tenue devant M. Huish, selon le fonctionnaire, il lui a été clairement indiqué que M. Huish ne croyait pas que le fonctionnaire avait des remords quant à l’incidence de ses actes sur le SCC. Il a indiqué avoir dit à M. Huish que ce n’était pas vrai et qu’il était très désolé. Il n’a jamais eu l’occasion d’exprimer ses remords. L’audience disciplinaire a été la première occasion de parler à l’employeur, car après que M. Ard l’a interrogé, il n’a eu aucune communication avec l’employeur.

[72]  La seule occasion où le fonctionnaire a parlé à M. Huish, autre que lors de l’audience disciplinaire, c’était au téléphone lorsque M. Huish a appelé pour prévoir l’audience disciplinaire. Lors de cet appel, il a mentionné à M. Huish qu’il n’avait pas pu obtenir les prestations de la Sun Life pour du counseling en raison de l’enquête criminelle en cours. Apparemment, Mme Justason avait informé son gestionnaire de cas de la Sun Life qu’il faisait l’objet d’une enquête criminelle.

[73]  Lors de son témoignage, le fonctionnaire a admis avoir consommé de la cocaïne, mais a déclaré ne l’avoir fait que pendant une période de quatre mois en 2015. Il a déclaré que la cocaïne n’était pas son problème. Il n’aimait pas l’effet que cela avait sur lui et c’était trop cher. En revanche, l’alcool était un problème, mais cela n’interférait pas avec son travail et n’y avait jamais nui. Il a admis qu’il aurait pu occasionnellement aller travailler avec la gueule de bois, mais il n’a jamais permis que sa consommation d’alcool gêne l’exercice de ses fonctions. L’alcool est socialement acceptable. Une fois le fonctionnaire suspendu, sa consommation d’alcool a augmenté jusqu’au 16 novembre 2018, date à laquelle il a pris son dernier verre. Il a fait deux tentatives de traitement en 2018. La première fois, il est resté sobre pendant six semaines avant de faire une rechute.

[74]  Il a suivi le programme de traitement du Edgewood Health Network et a passé six semaines au centre de traitement Maple Ridge. Maintenant, il assiste aux réunions des Alcooliques anonymes tous les vendredis et prend du Naltrexone pour surmonter ses envies d’alcool. On lui a également prescrit des médicaments contre l’anxiété et la dépression différents de ceux qu’il prenait en 2015, qui sont beaucoup plus efficaces, et il consulte régulièrement un psychiatre. Il a proposé de permettre à l’employeur de parler à son psychiatre lors de la réunion disciplinaire, mais M. Huish n’a jamais donné suite à cette offre.

[75]  Malgré les affirmations de M. Huish, le fonctionnaire a soutenu s’être excusé auprès de lui. Il a reconnu ses erreurs; il savait qu’il avait discrédité le SCC. Il savait qu’en achetant et en consommant de la drogue, il manquait à ses devoirs d’agent de la paix. Il n’a pas nié l’avoir fait, mais a déclaré qu’il ne l’avait fait que pendant une brève période de quatre mois. Il a également admis qu’il avait acheté de la cocaïne à des vendeurs de drogues sur appel qui étaient des criminels connus et que le fait de s’associer à des criminels constituait une violation des Règles de conduite professionnelle. Quant à l’entretien de la révision pour motif valable, il a répondu honnêtement à toutes les questions.

[76]  Le 24 mai 2016, M. Page, le président local de l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, a assisté à une réunion avec le fonctionnaire et M. Demers. Au cours de cette réunion, le fonctionnaire a dit à M. Demers qu’il avait une dépendance, qu’il avait besoin d’aide et qu’il souhaitait en avoir. Selon M. Page, M. Demers a semblé empathique. Le fonctionnaire n’a pas mentionné le type de dépendance dont il souffrait, selon M. Page. À ce moment-là, le fonctionnaire était en congé de maladie payé. Après la réunion, l’employeur a lancé l’enquête disciplinaire au cours de laquelle le fonctionnaire a été mis en congé de maladie non payé.

[77]  Lorsque le fonctionnaire a tenté d’obtenir des prestations d’invalidité de longue durée dans le cadre de son assurance de la Financière Sun Life, elles lui ont été refusées parce que Mme Justason avait informé la Sun Life qu’il faisait l’objet d’une enquête policière en cours. Cette question a dû être clarifiée par M. Huish et les Relations de travail afin que le fonctionnaire obtienne la protection à laquelle il avait droit. M. Huish a demandé à Mme Justason d’appeler la Sun Life pour corriger les renseignements qu’elle avait fournis.

[78]  M. Page était présent lors de l’audience disciplinaire et des réunions de la révision pour motif valable. L’enquête disciplinaire a été suspendue en raison de la révision de la cote de sécurité. Lorsque M. Page a demandé à M. Huish pourquoi il y avait un retard, M. Huish lui a dit que le processus disciplinaire faisait partie du processus d’examen de la sécurité. Lors de la réunion d’examen de la sécurité, le fonctionnaire a répondu honnêtement, selon M. Page, bien qu’il ait ajouté qu’il ne se souvenait pas bien de ce qui avait été discuté lors de la réunion.

[79]  M. Page n’anticipait aucun problème avec les détenus si le fonctionnaire était réintégré dans ses fonctions. Ils supposeraient simplement qu’il avait été transféré d’un autre établissement. Il ne s’attendait pas non plus à ce que ceux qui travaillaient à l’Établissement aient un problème avec la réintégration du fonctionnaire dans ses fonctions.

[80]  La Dre Lindsay Jack est une psychologue agréée spécialisée en psychologie judiciaire et dans le traitement des personnes du système de justice pénale ayant des troubles concomitants de toxicomanie. Selon elle, ces troubles sont basés sur des traumatismes et sont rarement signalés. Les premiers intervenants, y compris les agents de la paix, ont un taux élevé de toxicomanie et ils utilisent des drogues et de l’alcool en guise d’autotraitement.

[81]  Le fonctionnaire a été renvoyé à la Dre Jack, le 25 février 2019, par sa représentante pour une évaluation de sa santé mentale et de sa toxicomanie. La Dre Jack a été interrogée plus particulièrement sur ses diagnostics et sur la question de savoir si ces diagnostics répondaient à la définition de la toxicomanie ou d’un trouble de toxicomanie, sur les pronostics des troubles diagnostiqués et sur le rôle que ces troubles ont joué dans sa capacité de rationaliser et d’être franc dans des situations stressantes.

[82]  La Dre Jack a effectué une entrevue clinique de 1,75 heure avec le fonctionnaire, suivie de 45 minutes de tests psychologiques et d’une entrevue de suivi de 30 minutes pour obtenir des renseignements supplémentaires. Elle a noté qu’elle disposait de peu de renseignements du dossier de la période des enquêtes (juillet 2015 à décembre 2016). Le fonctionnaire lui a dit qu’il ne parlait pas de ses difficultés ou de ses symptômes avec des professionnels de la santé à ce moment-là, et il a nié avoir des problèmes de toxicomanie. En conséquence, selon les propres termes de  la Dre Jack, elle était [traduction] « trop dépendante des rapports actuels de M. Aujla sur ses symptômes et son fonctionnement avant et pendant la période 2016-2017 ». Par [traduction] « actuels », elle entendait mars 2019, lorsque le fonctionnaire se préparait à l’audience de ses griefs.

[83]  La Dre Jack est parvenue à la conclusion diagnostique que le fonctionnaire satisfaisait aux critères de trouble d’abus d’alcool et qu’il était en rémission partielle. Il répondait également aux critères du trouble d’abus de stimulants et était en rémission complète, puisqu’il a déclaré ne pas en avoir consommé pendant plus d’un an. Elle ne pouvait pas offrir de diagnostic sur sa dépression et son anxiété à ce moment-là, puisqu’elle l’avait examiné de façon rétrospective. Le pronostic d’une personne comme lui était optimiste, compte tenu de sa période d’abstinence, mais il risquait de rechuter dans certaines circonstances.

[84]  Pour être diagnostiqué avec un trouble de toxicomanie, un patient est évalué afin de déterminer la présence de symptômes; il  est évalué sur une échelle de 5. Une période de 12 mois est le critère de diagnostic. Les symptômes doivent être apparus au cours d’une période de 12 mois, mais pas nécessairement pendant toute la période. Les symptômes doivent entraîner une altération du fonctionnement et il doit y avoir des critères pharmacologiques, tels que la tolérance ou le sevrage. Puisqu’il n’y avait aucun document médical sur lequel s’appuyer pour corroborer la déclaration du fonctionnaire sur sa consommation d’alcool et de drogues, la Dre Jack a indiqué dans son témoignage qu’elle était trop dépendante de l’auto-déclaration du fonctionnaire lors de l’entrevue. Aucun rapport contemporain précis ne corroborait sa version des événements, et la Dre Jack n’a pas jugé approprié d’interroger son ex-femme, étant donné la nature de leur relation à l’époque.

[85]  Le fonctionnaire a déclaré à plusieurs reprises que la consommation d’alcool n’avait pas affecté son rendement au travail. C’était sa déficience prédominante, et elle a persisté jusqu’en 2018. Sa consommation de stimulants a duré trois ou quatre mois. Il a indiqué à la Dre Jack qu’il n’avait pas signalé sa consommation de substances parce qu’il ne voulait pas avoir d’ennuis. Il savait que la consommation de drogues était illégale et qu’elle pouvait entraîner la fin de son emploi.

[86]  La Dre Jack a déclaré qu’elle s’attend à ce que les personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie nient ou minimisent leur consommation en raison de la honte qu’elles ressentent et parce qu’elles ne sont pas prêtes à mettre fin à la toxicomanie. Il n’a pas été possible pour elle d’évaluer la situation du fonctionnaire en 2015, car le dossier médical qui lui avait été remis portait une date postérieure à la période pour laquelle elle avait été invitée à effectuer l’évaluation. Le dossier datait de 2018, alors que la période qu’elle devait évaluer se situait entre 2015 et 2016.

[87]  Selon la Dre Jack, les toxicomanes ont tendance à minimiser leur consommation d’alcool ou de drogues pour éviter la honte et les conséquences de la consommation de ces substances. Lorsqu’un toxicomane consomme activement de la drogue ou de l’alcool, sa mémoire des événements peut être affectée; un toxicomane n’est pas un historien fiable. Lors d’une forte consommation, un toxicomane n’est pas fiable lorsqu’il parle d’événements ayant eu lieu pendant cette période de consommation. De façon générale, la toxicomanie porte atteinte au jugement. Le degré de déficience varie d’une personne à l’autre, selon la Dre Jack. Lorsqu’il est intoxiqué, un toxicomane peut souffrir de troubles du jugement et de l’attention, et son état émotionnel peut être affecté. Une personne qui a été diagnostiquée avec un trouble de toxicomanie a besoin de temps pour traiter l’information si elle est dans un état aigu d’intoxication ou de sevrage.

[88]   Le fonctionnaire n’a pas minimisé ni nié sa consommation en 2016 et 2017, mais il n’en a pas non plus parlé à quelqu’un. Selon le témoignage de la Dre Jack, les résultats du fonctionnaire aux tests et son résultat sur l’échelle de validité étaient conformes à ce que la Dre Jack avait entendu dans ses entretiens avec lui. Son état émotionnel était conforme à ce dont il avait discuté; par exemple, il était en larmes lorsqu’il parlait de la perte de son ami.

[89]  Selon la Dre Jack, le fait que le fonctionnaire n’ait pas signalé sa consommation d’alcool ou de drogues à l’employeur n’était pas inhabituel. La plupart des premiers intervenants et des agents d’application de la loi hésitent à signaler de telles choses en raison des conséquences pour leurs emplois de nature délicate sur le plan de la sécurité. Selon elle, le fonctionnaire avait tendance à minimiser sa consommation par honte et pour éviter les conséquences de la consommation de drogues et d’alcool. Quoi qu’il en soit, le fonctionnaire savait ce qu’il faisait, pouvait prendre des décisions distinguant le bien du mal et connaissait les conséquences de ses actes tant qu’il n’était pas intoxiqué ou en sevrage à l’époque.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour l’employeur

[90]  L’employeur a licencié le fonctionnaire pour des motifs disciplinaires à compter du 24 mars 2017, conformément au pouvoir que lui confère l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C., 1985, ch. F-11). Sur la base du rapport d’enquête disciplinaire de M. Ard et des renseignements reçus à l’audience disciplinaire, et compte tenu des facteurs aggravants et atténuants, l’employeur a conclu que le fonctionnaire n’avait pas démontré les valeurs et l’éthique exigées d’un employé du SCC. Il a perdu confiance en ses capacités à effectuer ses fonctions de CX‑01. Le fonctionnaire a présenté un grief contestant le fait que la discipline qui lui a été imposée était injustifiée et excessive ainsi que discriminatoire.

[91]  En ce qui concerne la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire, la Division de la sécurité et du renseignement du ministère a été invitée à réviser cette cote en vertu de l’annexe D de la Norme sur le filtrage de sécurité du Conseil du Trésor. Après avoir évalué le niveau de sensibilité des renseignements auxquels son poste a accès et le contenu du rapport de renseignements défavorables, la décision a été prise de révoquer sa cote de fiabilité en vertu de l’article 19 de l’annexe D. Le fonctionnaire a allégué que l’employeur avait violé la convention collective pertinente en faisant cela. Il a également allégué que la révocation était un subterfuge, du camouflage et une mesure disciplinaire déguisée.

[92]  Plusieurs dates sont essentielles dans la présente affaire. En juillet 2015, le fonctionnaire et l’autre CX se sont rendus à Seattle pour acheter manifestement un bateau selon la preuve. En septembre 2015, la GRC a lancé son enquête sur le fonctionnaire, l’autre CX et d’autres personnes après avoir reçu un rapport du département de la sécurité intérieure selon lequel deux employés du SCC, soit le fonctionnaire et l’autre CX, s’étaient rendus aux États-Unis et avaient rencontré un membre de gang et trafiquant de drogue connu, M. J, que le département de la sécurité intérieure surveillait. Le département de la sécurité intérieure a déclaré soupçonner que les deux employés du SCC avaient tenté d’acheter de la cocaïne dans l’intention de l’importer au Canada.

[93]  Les 9 et 10 septembre, le gendarme Spencer a observé le fonctionnaire acheter de la cocaïne et afficher un comportement démontrant l’intention de la consommer. Le 20 mai 2016, après le suicide de l’autre CX, la GRC a interrogé le fonctionnaire. Il n’a jamais été inculpé à la suite de l’enquête de la GRC.

[94]  Le 22 juin 2016, M. Ard a lancé son enquête disciplinaire relativement aux quatre allégations contre le fonctionnaire. M. Ard a conclu que le fonctionnaire était associé à des trafiquants de drogue et à des criminels, qu’il consommait de la drogue et des stupéfiants et qu’il s’était rendu aux États-Unis dans l’intention d’acheter et d’importer de la drogue. Le 22 décembre 2016, M. Huish a tenu l’audience disciplinaire, après quoi il a conclu que le fonctionnaire avait enfreint le DC-060 et les Règles de conduite professionnelle. Il a donc décidé qu’il était approprié de licencier le fonctionnaire.

[95]  En janvier 2017, lors d’une entrevue sur les renseignements défavorables, le fonctionnaire a admis avoir menti à la GRC et à M. Ard. Après avoir examiné les préoccupations en matière de sécurité, l’employeur a décidé de révoquer sa cote de fiabilité. Les lettres de licenciement et de révocation de sa cote de fiabilité lui ont été remises en même temps.

[96]  Dans le contexte d’un renvoi, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») doit examiner si l’employeur avait un motif valable d’imposer une mesure disciplinaire et si sa décision de licencier l’employé était excessive dans les circonstances et, dans l’affirmative, quelle mesure aurait-il pu imposer en guise d’alternative. En l’espèce, le fonctionnaire a été licencié sur la base de quatre allégations, dont trois portait sur une conduite hors du lieu de travail. Les fausses déclarations se sont produites pendant son service alors qu’il gardait un prisonnier à l’hôpital régional d’Abbotsford et pendant l’entrevue disciplinaire.

[97]  Conformément à Millhaven Fibres Ltd v. Oil, Chemical & Atomic Workers International Union, Local 9-570, [1967] O.L.A.A. No. 4 (QL) (« Millhaven »), pour avoir un motif de licenciement d’un employé pour une conduite hors du lieu de travail, l’employeur a le fardeau de démontrer ce qui suit (« les cinq facteurs Millhaven ») :

  [Traduction]

[…]

(1) la conduite de l’employé est préjudiciable à la réputation de l’entreprise ou envers ses produits

(2) la conduite de l’employé le rend inapte à remplir ses fonctions de manière satisfaisante

(3) la conduite de l’employé amène ses compagnons de travail à refuser de travailler avec lui ou les rend réticents à le faire ou incapables de le faire

(4) l’employé a été reconnu coupable d’une grave infraction au Code criminel portant atteinte à la réputation de l’entreprise et à celle de ses employés

(5) la conduite de l’employé nuit à la gestion efficace des opérations et du personnel de l’entreprise.

[…]

 

[98]  Selon le gendarme Spencer, le principal enquêteur de l’opération, l’Opération Peacetime découlait d’un rapport du département de la sécurité intérieure indiquant que deux Canadiens étaient entrés aux États-Unis pour acheter 10 kg de cocaïne. Ils ont été identifiés comme des employés du SCC. L’Opération Peacetime a duré 9 mois, au cours desquels la surveillance et l’examen des relevés téléphoniques du fonctionnaire ont permis de constater que le fonctionnaire était associé à des trafiquants de drogue et à des criminels en dehors de son emploi. Il s’est également associé à des membres de gangs connus, lesquels sont tous identifiés dans le rapport de la GRC. Il a menti au sujet de ces contacts lors de son entrevue avec le gendarme Spencer, le 20 mai 2016, et à nouveau à l’audience disciplinaire.

[99]  Le fonctionnaire n’a jamais nié être allé à Seattle avec l’autre CX ni avoir rencontré M. J, bien qu’il a affirmé qu’il ne connaissait pas le nom de M. J. Aucun des enquêteurs n’a cru l’histoire du bateau. Selon le gendarme Spencer, le rapport du département de la sécurité intérieure était véridique. Lorsque l’on fait des arrangements pour rencontrer quelqu’un dans le but présumé d’acheter de grandes quantités de cocaïne, les préoccupations liées à la confiance sont importantes; en conséquence, l’autre CX n’aurait pas rencontré M. J en compagnie d’une personne en qui il n’avait pas confiance. La question est de savoir si la Commission est d’avis que le fonctionnaire ne savait pas ce qui se passait.

[100]  Le fonctionnaire a donné sa version à la Commission. Le gendarme Spencer a témoigné et a fourni son interprétation, basée sur son expérience. M. Ard a interrogé le fonctionnaire au sujet du voyage et a conclu que son récit n’avait pas de sens. Le bateau en aluminium de 10 à 12 pieds qui devait  être acheté aurait pu être acheté n’importe où dans les basses-terres continentales de la Colombie-Britannique. Il n’était pas unique ni cher, cela n’avait donc aucun sens que les deux hommes déploient tous ces efforts pour aller à Seattle et l’importer.

[101]  M. Ard a analysé les appels téléphoniques entre l’autre CX et M. J Quatorze appels ont été passés entre 11 h 17 et 16 h 17 et ont duré au total 13 minutes. Trois appels ont eu lieu après la rencontre sur les quais de Seattle. Le fonctionnaire était alors avec l’autre CX et aurait entendu les conversations. Selon le fonctionnaire, les appels ont été passés pour obtenir un itinéraire vers les quais. Si tel était le cas, pourquoi auraient-ils eu besoin de directives après avoir quitté le quai sans le bateau? Il n’est pas logique que les appels qui ont eu lieu après le départ des quais du  fonctionnaire et de l’autre CX aient eu pour but d’obtenir un itinéraire. M. Ard a conclu qu’il ne croyait pas à l’histoire du fonctionnaire.

[102]  M. Ard a également conclu que le fonctionnaire s’était associé à des trafiquants de drogue et à des criminels, mais pas à des gangs. Le fonctionnaire a admis avoir acheté des stupéfiants en 2015. En niant ce fait auprès de la GRC, il lui a fourni de faux témoignages. Il a également nié à plusieurs reprises avoir eu des contacts avec des trafiquants de drogue lorsqu’on lui a présenté certains de ses relevés téléphoniques qui montraient qu’il avait contacté l’un d’eux 41 fois et un autre 70 fois pendant la période de surveillance. M. Ard avait des réserves au sujet de la crédibilité du fonctionnaire. Le récit qu’il a donné concernant le bateau n’avait aucun sens. Sa version indiquant qu’il était inquiet que l’autre CX se fasse arnaquer était sans fondement.

[103]  M. Huish a expliqué que chaque CX est un agent de la paix et un modèle pour les détenus. À titre d’employé du SCC, le fonctionnaire était assujetti à la DC-060 et aux Règles de conduite professionnelle. Lors de l’audience disciplinaire du 22 décembre 2016, il a eu l’occasion de discuter de la façon dont ses actions ne l’avaient pas rendu inapte à être un agent de la paix et un modèle. Au lieu de cela, il a profité de l’occasion pour dire à M. Huish à quel point le processus avait été difficile pour lui. Il a dit à M. Huish qu’il regrettait ses actions, mais selon M. Huish, il n’avait pas de remords. Le fonctionnaire a menti à la GRC et, par conséquent, il  a discrédité le SCC et est allé à l’encontre de  la mission du SCC. Ses agissements ont terni sa réputation. Lorsqu’il a été interrogé sur ses relations avec les trafiquants de drogue et les criminels, il a tenté de minimiser ses relations avec eux et est même allé jusqu’à nier qu’il connaissait leurs noms.

[104]  Les actions du fonctionnaire l’ont rendu inapte à être un CX. Elles étaient incompatibles avec la mission du SCC et son statut d’agent de la paix. Le licenciement était approprié. Le lien de confiance a été rompu. Il s’est mis en danger et a mis en danger d’autres personnes. Le fait qu’il soit compromis donne lieu à un risque réel et substantiel s’il reprend son poste dans l’établissement.

[105]  Lors de son témoignage, le fonctionnaire a reconnu avoir acheté de la drogue. Il se souvient avoir signé le serment lorsqu’il est devenu CX. Il a admis qu’il avait consommé des drogues illicites et qu’en les achetant et en les consommant, il savait qu’il violait la DC-060. Il a seulement affirmé qu’il n’y avait pas d’atteinte à son travail, et non qu’il ne consommait ni n’achetait de drogues. Il a simplement nié le but du voyage à Seattle, non pas le fait qu’il y soit allé avec l’autre CX et qu’il ait rencontré M. J. Les relevés téléphoniques sont concluants. Ils montrent qu’il a communiqué avec des trafiquants de drogue, ce qu’il n’a pas contesté. Il a seulement contesté qu’il connaissait leurs noms.

[106]  L’employeur a établi au cours d’une enquête officielle que le fonctionnaire avait acheté et consommé de la cocaïne, qu’il s’était associé à des criminels et des trafiquants de drogue, qu’il avait fourni de faux renseignements à la GRC et qu’il s’était rendu à Seattle pour acheter de la cocaïne avec l’autre CX. Ces actes graves constituaient une infraction aux Règles de conduite professionnelle et à la DC-060. Il a discrédité le SCC, compte tenu de sa mission. Il a terni la réputation de l’organisation en plaçant ses propres besoins au-dessus de ceux de l’organisation.

[107]  Le fonctionnaire a admis qu’il savait qu’il violait la DC-060. À ce jour, il nie être allé à Seattle pour acheter de la drogue, malgré des preuves logiques à l’effet contraire. M. Page, son représentant syndical, a dit qu’il fallait croire le fonctionnaire parce qu’il n’y a aucune raison de ne pas le croire. Le témoignage de la Dre Jack ne concerne que les allégations de mensonge. Son diagnostic était rétroactif à la période de l’infraction et ne devrait pas être pris en considération, car il n’était pas disponible pour l’employeur à l’époque. Il n’est pas non plus utile, car il s’appuyait beaucoup sur l’autodéclaration du fonctionnaire. Le fait que les personnes souffrant d’un trouble de toxicomanie ne soient pas franches n’est pas vrai pour tout le monde. Le fonctionnaire savait discerner le bien du mal et a admis qu’il savait que ce qu’il faisait était mal. Il savait que ses actions mettaient son emploi en danger.

[108]  La possession de cocaïne, même en petite quantité, est une forme d’inconduite (voir Dionne c. Conseil du Trésor (solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 69). La DC-060 et les Règles de conduite professionnelle sont claires quant aux attentes d’un CX. L’employeur n’était pas tenu de rappeler au fonctionnaire que la consommation de drogues illégales va à l’encontre de ces attentes et porte atteinte à sa réputation (voir Nicolas c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2014 CRTFP 40).

[109]  Les CX devraient agir dans le respect de la loi. En tant qu’agent de la paix, le fonctionnaire était chargé de l’exécution de la loi. La conduite dont il a fait preuve était incompatible avec son statut d’agent de la paix. Réintégrer dans ses fonctions un CX licencié pour possession de drogue envoie le message que la possession de drogue est compatible avec les fonctions d’un CX alors que ce n’est fondamentalement pas le cas. En tant qu’agent de la paix, un CX doit agir dans le respect de la loi et servir de modèle aux détenus pour les aider à se réinsérer dans la société. Par ses actions, le fonctionnaire a perdu la confiance de l’employeur et est considéré comme une menace pour la sécurité de l’établissement.

[110]  Un arbitre de grief ne devrait pas tenter de remettre en question la position de l’employeur à cet égard. La Commission doit non seulement soupeser les intérêts de l’employeur et du fonctionnaire, mais aussi ceux des autres employés, des détenus et du grand public (voir Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 10). Les CX sont tenus de respecter des normes plus élevées. Chaque fois qu’on découvre qu’un employé du SCC s’est associée  avec des criminels, la réputation de l’employeur, aux yeux des organismes d’application de la loi partenaires et du public, en souffre considérablement (voir Braich c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 47, au paragraphe 211).

[111]  Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait une invalidité et a allégué que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son égard. Il lui incombait initialement d’établir une preuve prima facie de discrimination en prouvant qu’il avait une caractéristique protégée contre la discrimination, qu’il a subi un effet préjudiciable et que la caractéristique était un facteur de cet effet préjudiciable. Des preuves sont requises pour étayer l’existence de l’invalidité, et l’employeur doit en être informé au moment de la décision, ce qui pourrait avoir un effet préjudiciable sur cette invalidité (voir Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3; et Moore c. ColombieBritannique (Éducation), [2012] 3 RCS 360).

[112]  Dans Stewart c. Elk Valley Coal Corp., [2017] 1 RCS 591(« Elk Valley »), le non-respect de la politique de la société en matière de drogues a entraîné le licenciement de l’employé. La Cour suprême du Canada a rejeté l’argument selon lequel la dépendance de l’employé était un facteur de licenciement. Au paragraphe 39, la Cour a conclu que l’on ne pouvait pas présumer qu’une dépendance réduit la capacité d’un employé à se conformer aux règles du lieu de travail. Cette affaire alourdit le fardeau imposé à un employé qui cherche à établir un lien entre son invalidité et l’effet préjudiciable allégué.

[113]  On ne peut pas présumer que, parce que le fonctionnaire souffre d’un trouble de toxicomanie, le lien est automatique. Il n’existe aucune preuve que l’employeur était même au courant de son invalidité. L’employeur n’a jamais été informé qu’il avait ce trouble. En réalité, il a nié à plusieurs reprises qu’il consommait de la cocaïne. De plus, même s’il souffre d’un tel trouble, rien ne permet d’établir un lien avec son licenciement. Rien ne prouve qu’il n’avait pas la capacité de faire des choix rationnels ou qu’il n’avait pas la capacité de suivre la politique de l’employeur. La Dre Jack a affirmé qu’il savait faire la distinction entre le bien et le mal. Il a déclaré qu’il savait que la consommation de cocaïne était une erreur. Il a dit à la Dre Jack qu’il craignait pour son travail. Par conséquent, il n’y a aucune preuve prima facie de discrimination.

[114]  Quant à la question de la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire, d’après la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Heyser, 2017 CAF 113, il est clair que la Commission a compétence pour examiner le processus de révocation et déterminer s’il existe un motif de procéder à la révision. En l’espèce, il existait un motif. Le processus de révocation était indépendant du processus disciplinaire. M. Huish n’a rien à voir avec le processus de révocation.

[115]  La révision de la révocation et le processus disciplinaire n’étaient pas liés. Les personnes ayant pris part au processus de révocation n’avaient pas le pouvoir d’imposer une mesure disciplinaire à l’égard du  fonctionnaire. Les entretiens étaient distincts du processus disciplinaire et les conclusions du comité étaient les siennes. La décision de l’agent de sécurité et de renseignement du Ministère découle des mêmes faits, mais d’un processus complètement distinct. Le processus disciplinaire était en cours lorsque le processus de révocation a débuté. La révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire n’a pas entraîné son licenciement. Les motifs de son licenciement représentaient un risque légitime pour la sécurité de l’employeur. Pour ces raisons et parce que le fondement de la confiance avait été rompu, sa cote de fiabilité a été révoquée.

B.  Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[116]  Le fonctionnaire demande un jugement en sa faveur pour les trois griefs, soit le grief concernant son licenciement, dans lequel il a allégué qu’il avait été licencié sans motif valable; le grief pour discrimination, dans lequel il a allégué que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de son invalidité; et son troisième grief, dans lequel il a allégué que la révocation de sa cote de fiabilité violait la convention collective pertinente et était un subterfuge, un camouflage, de la discrimination et une mesure disciplinaire déguisée.

[117]  L’employeur avait le fardeau d’établir, au moyen preuves claires, solides et convaincantes, que le fonctionnaire avait commis tous les actes pour lesquels il avait été licencié. En l’espèce, l’employeur a invoqué quatre allégations pour le licencier. Au cours de l’enquête disciplinaire, le fonctionnaire a admis s’être associé à des criminels et avoir acheté de la drogue. Il n’existe aucun fondement factuel permettant d’établir qu’il a été impliqué dans des activités criminelles ou qu’il a porté atteinte à la réputation de l’employeur. Selon la Cour d’appel fédérale dans Lloyd c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 115, l’employeur doit prouver chaque allégation sur laquelle il entend s’appuyer pour prendre des mesures disciplinaires contre un employé. En l’espèce, aucun élément de preuve n’a établi que le fonctionnaire avait menti à la GRC ou que la réputation de l’employeur avait été lésée.

[118]  Le 24 juin 2016, lorsque le fonctionnaire a été informé qu’il faisait l’objet d’une enquête disciplinaire, il a révélé qu’il avait commencé à prendre des antidépresseurs après avoir appris le décès de son ami proche, l’autre CX, en mai. Le gendarme Spencer a déclaré dans son témoignage qu’il n’est pas surprenant que certains agents de la paix soient aux prises avec une dépendance; ce problème existe au sein de la GRC. Lorsqu’il a été interrogé sur l’effet que cette affaire aurait, selon lui, sur la réputation de l’employeur au sein de la GRC, il a répondu qu’il n’en voyait aucun. Dans son témoignage, M. Huish a choisi de limiter ses commentaires sur la réputation auprès des partenaires de la justice pénale du SCC. Au cours de l’enquête, M. Ard a remplacé l’allégation de faux témoignages par une allégation de faux renseignements, sans demander l’approbation de l’autorité déléguée.

[119]  Le fonctionnaire n’a pas menti à la GRC. Il était dans le déni, ce qui faisait partie de son trouble de toxicomanie. Il n’a pas menti pendant la révision pour motif valable, malgré les propos de M. MacAulay. Le fonctionnaire a nié avoir tenté d’acquérir des stupéfiants aux États-Unis. Le gendarme Spencer n’avait aucune preuve, directe ou autre, pour établir ses allégations. Il est impossible de connaître les intentions de l’autre CX. La preuve de l’employeur est du ouï-dire et n’est pas fiable. L’employeur n’a pas vérifié si M. J avait un bateau ou un casier judiciaire. M. J et le fonctionnaire ne se sont passé aucun appel téléphonique.

[120]  Le SCC s’est fortement appuyé sur l’impression inexacte du gendarme Spencer. Il ne savait rien de sa source au département de la sécurité intérieure. Il était impossible pour le fonctionnaire de contester ses renseignements. M. Ard s’est appuyé sur des spéculations au sujet de la nature des appels entre l’autre CX et M. J, pour déduire ce que le fonctionnaire savait ou ne savait pas, même si l’appel le plus long était de 1 minute et 40 secondes.

[121]  Le département de la sécurité intérieure n’est pas une source fiable de renseignements. Le gendarme Spencer a admis avoir créé de faux liens dans son rapport. Par exemple, il a noté que RR, l’homme que le fonctionnaire connaissait sous le nom de Robin, avait une femme qui était une employée du SCC, alors que, en réalité, ils s’étaient séparés.

[122]  Le fonctionnaire n’a acheté de la cocaïne qu’en raison de sa dépendance à cette drogue; par conséquent, son licenciement était excessif. Son invalidité lui a causé des ennuis au travail et a nui à ses relations, ce qui est couvert par la LCDP. La preuve d’expert de la Dre Jack ne peut être contestée. Le fonctionnaire n’avait aucune façon légale de procurer de la cocaïne, il a donc dû s’associer à des criminels, ce qui a créé le lien entre sa dépendance et les motifs de son licenciement. Il n’a téléphoné aux trafiquants de drogue qu’en raison de sa dépendance.

[123]  Le fonctionnaire se trouve dans la même situation que le CX dans Nadeau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 28, dans laquelle l’arbitre de grief a conclu que le CX était associé à des criminels et leur achetait de la drogue uniquement en raison de son invalidité. Dans Nadeau, le CX a reçu des soins médicaux beaucoup plus près de l’incident. Si le fonctionnaire en l’espèce l’avait fait, cela aurait été beaucoup mieux; toutefois, on dispose de l’évaluation de la Dre Jack. L’employeur ne s’est pas opposé en 2019 lorsqu’il a reçu une copie de la lettre de recommandation. Il était au courant de la dépendance du fonctionnaire et du fait qu’on l’avait envoyé subir une évaluation psychologique avant de rendre sa réponse au dernier palier. Il aurait pu attendre la fin de l’évaluation; il n’y avait aucune contrainte excessive.

[124]  Il incombait à l’employeur de se renseigner sur la consommation de drogues du fonctionnaire lorsqu’il a commencé à devenir apparent que ce dernier pouvait avoir besoin de mesure d’adaptation (voir Rio Tinto Alcan Primary Metal v. CAW-Canada, Local 2301 (2008), 180 L.A.C. (4 th) 1). Lorsque l’employeur a lancé l’audience disciplinaire, il savait que le fonctionnaire consommait de la cocaïne. Il a demandé le rapport de la GRC, qui le décrivait comme manifestant un comportement de consommation de drogues, comme le fait d’aller souvent aux toilettes. Lors de ses réunions avec M. Demers en mai 2016, il a expliqué qu’il éprouvait des difficultés. Il a demandé de l’aide et son congé a été approuvé. L’employeur aurait dû conclure que ses problèmes étaient le résultat de sa consommation d’alcool.

[125]  Cette situation s’apparente à  Nadeau en ce qu’elle comporte une combinaison de comportements coupables et non coupables. L’enquête de la GRC était un signe de changement dans le comportement du fonctionnaire. Il est possible qu’en conséquence, l’employeur ait conclu que le fonctionnaire était [traduction] « sale » et qu’il ne voulait tout simplement pas qu’il revienne au travail. L’employeur a choisi d’ignorer les signes de son invalidité. Son trouble de toxicomanie l’a affecté négativement, ce qui en a fait une invalidité. L’employeur était tenu d’entamer le processus de mesures d’adaptation, même si le fonctionnaire n’avait pas demandé de mesure d’adaptation.

[126]  Le fait de nier consommer de la drogue  est une des caractéristiques d’un trouble de toxicomanie. Le fonctionnaire a divulgué des symptômes de consommation de drogues à l’employeur, mais ce dernier a choisi de les ignorer. Il en a discuté lors de l’audience disciplinaire. M. Huish a accepté que le fonctionnaire ait communiqué avec des trafiquants de drogue et des criminels en raison de sa dépendance. Le fonctionnaire a discuté de sa consommation d’alcool pendant l’entrevue de sécurité. Il a établi une preuve prima facie de l’existence de son invalidité, mais l’employeur n’a pas démontré qu’il avait une exigence professionnelle justifiée pour refuser de lui offrir des mesures d’adaptation.

[127]  Le rapport de M. Ard est critique, partial et préjudiciable envers le fonctionnaire. Le licenciement était excessif, car il était fondé sur un comportement non coupable et sur des motifs non prouvés. Le fonctionnaire demande sa réintégration, mais l’employeur a déclaré que cela serait trop risqué et inapproprié. Il n’existe aucune preuve à l’appui des préoccupations de l’employeur selon lesquelles le fonctionnaire est compromis ou met en danger la réputation de l’employeur ou la sécurité de l’établissement. De toute évidence, il n’y a aucun risque, puisque lui et l’autre CX ont été maintenus dans leurs fonctions pendant l’enquête de la GRC.

[128]  Selon les preuves incontestées de la Dre Jack, le pronostic du fonctionnaire est bon. Il a éprouvé des remords et s’est excusé lors de la révision de sa cote de fiabilité et au cours de l’enquête disciplinaire. L’employeur n’a jamais tenu compte de tous les facteurs atténuants et n’a pas évalué son potentiel de réhabilitation. Son licenciement était une conclusion connue d’avance. Il demande sa réintégration et acceptera de se soumettre à des tests de dépistage de drogues et d’alcool, dans la mesure où sa vie privée soit protégée.

[129]  La révision de la cote de fiabilité était le scénario parfait pour un subterfuge. Il est impossible de croire que les processus d’examen disciplinaire et de sécurité étaient indépendants les uns des autres. Le processus d’examen de la sécurité n’a pas été déclenché lorsque l’agent de sécurité et de renseignement du ministère a reçu l’allégation selon laquelle le fonctionnaire avait fourni de faux renseignements à la GRC. Le rapport d’enquête disciplinaire a été à l’origine des allégations. Personne n’a jamais pris la peine de vérifier la véracité des réponses du fonctionnaire lors de son entrevue. Rien n’était faux dans les renseignements qu’il a fournis. Rien ne prouve qu’il ait communiqué ou utilisé à mauvais escient des renseignements gouvernementaux ou qu’il représentait un risque pour la sécurité. Les autres personnes faisant l’objet d’une enquête dans le cadre de l’Opération Peacetime, à l’exception d’une personne, n’ont pas été soumises à des révisions de sécurité. Le fonctionnaire et cette autre personne sont des sikhs.

[130]  Mme Sicard a participé à une conférence téléphonique qui a eu lieu pour discuter de la possibilité de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire. Durant l’appel, il a été décidé que la mesure disciplinaire devrait être reportée en attendant la conclusion de la révision de sécurité de la part de l’employeur; elles étaient clairement liées. Le Conseil du Trésor a ordonné au SCC d’envoyer simultanément les lettres de licenciement et de révocation de la cote de fiabilité; autrement, le SCC ne pourrait pas révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire. Le calendrier de l’ensemble du processus est douteux.

[131]  M. Huish était au courant des deux processus, selon M. Langer, qui l’a tenu informé de l’avancement des deux processus. Mme Sicard a admis avoir utilisé le rapport d’enquête disciplinaire pour effectuer sa révision de sécurité, ce qui a contrevenu aux principes de justice naturelle en ce sens que le fonctionnaire n’a pas eu le droit de faire des observations. Un seul processus était en cours – le processus disciplinaire. Au cours du processus de révision de sécurité, l’employeur était tenu d’agir de bonne foi (voir Dhaliwal c. Conseil du trésor (Solliciteur général du Canada – Services correctionnels), 2004 CRTFP 109). Il a adopté des mesures disciplinaires sans motif valable sous la forme de la révocation de la cote de fiabilité, qui a été orchestrée uniquement pour soutenir le licenciement. L’ensemble du processus a été chorégraphié. Si le licenciement du fonctionnaire pour des raisons disciplinaires était annulé lors de l’arbitrage, il serait toujours licencié, car il ne respecterait plus ses conditions d’emploi, étant donné que la révocation de sa cote de fiabilité serait toujours maintenue.

[132]  Il a été décidé à l’avance que le Comité sur la résolution des doutes se réunirait une fois l’entrevue de révision pour motif valable terminée. L’ensemble du processus a été déterminé à l’avance dès la première rencontre avec M. Thompson, M. MacAulay et M. Fabiano. L’employeur n’a jamais estimé qu’il n’y aurait peut-être aucun motif valable de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire. Tout était fondé sur le rapport d’enquête disciplinaire.

C.  Réplique de l’employeur

[133]  Le fonctionnaire avait le fardeau d’établir sa défense médicale. Le témoignage de la Dre Jack ne l’a pas aidé à établir ses besoins en mesures d’adaptation. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation est une obligation tripartite que l’employeur, le syndicat et l’employé partagent (voir Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970). L’obligation de se renseigner a pris fin lorsque le fonctionnaire a fait valoir qu’il était en mesure de s’acquitter de ses fonctions et que sa consommation de drogue et d’alcool ne nuisait pas à son rendement. En outre, au départ, il a nié avoir consommé de la cocaïne, et une fois qu’il l’a reconnu, il a déclaré que ce n’était que pendant une courte période en 2015. L’employeur n’avait aucune raison de douter de lui et sa preuve étayait cette affirmation. L’affaire Elk Valley indique clairement qu’une personne ayant une invalidité peut faire l’objet d’une mesure disciplinaire et que l’on ne peut pas présumer qu’il existe un lien entre le comportement coupable et l’invalidité.

IV.  Motifs

[134]  Je commencerai par tirer des conclusions de fait qui sont essentielles à ma décision concernant le caractère approprié de la mesure disciplinaire de l’employeur dans cette affaire.

[135]  La question de savoir si le fonctionnaire connaissait ou ne connaissait pas le but de son voyage avec l’autre CX à Seattle en juillet 2015 a suscité beaucoup de spéculations. Comme beaucoup d’autres personnes impliquées, j’ai du mal à croire que le fonctionnaire était suffisamment naïf pour croire l’histoire du bateau, qu’il a présentée à la GRC et à M. Ard. Étant donné sa crainte que l’autre CX puisse être arnaqué, il n’est pas plausible qu’il n’ait pas eu plus de détails sur le lieu de la rencontre et les événements de cette journée, y compris une description plus détaillée du bateau. Il n’est pas non plus plausible qu’il ait fait la route dans le même véhicule que l’autre CX pendant au moins 2,5 heures, que CX ait été au téléphone à plusieurs reprises avec M. J, et qu’il ne se souvienne que d’une discussion au sujet de l’itinéraire pour se rendre au lieu de rencontre, qui était sur un quai. De même, il n’est pas plausible que les appels qui se sont produits après la rencontre concernaient également l’itinéraire vers le lieu de la rencontre.

[136]  À tout le moins, il a été établi que le fonctionnaire s’est rendu aux États-Unis avec l’autre CX dans le but de s’associer avec un membre de gang et trafiquant de drogue connu, soit M. J, qui était sous la surveillance par le département de la sécurité intérieure, ce qui était en soi une violation de la DC-060 et des Règles de conduite professionnelle. Il a également été établi que le fonctionnaire était associé à des criminels dans le but de faire des achats illégaux, c’est-à-dire de la cocaïne, et qu’il avait consommé une drogue illégale, encore une fois de la cocaïne, pendant quatre à cinq mois avant son licenciement. Ces actes allaient aussi à l’encontre de la DC-060 et des Règles de conduite professionnelle.

[137]  La représentante du fonctionnaire a fait valoir que la preuve de l’employeur était du ouï-dire et n’était pas fiable, car l’employeur n’avait pas vérifié si M. J avait un bateau ou s’il avait un casier judiciaire. À mon avis, il était raisonnable pour l’employeur de se fonder sur les renseignements fournis  à la GRC par le département de la sécurité intérieure sur ce qui s’est produit pendant sa surveillance de l’autre CX, du fonctionnaire et de M. J au port de Seattle ce jour-là en juillet, car il était raisonnable de se fonder sur leurs rapports concernant la nature des antécédents criminels de M. J. De plus, le fonctionnaire et M. J ne se sont peut-être pas appelés, mais le fonctionnaire était certainement présent lors des appels entre M. J et l’autre CX. Quant aux intentions de l’autre CX ce jour-là, elles étaient suffisamment sérieuses pour qu’il dise à ML qu’il était [traduction] « dans la merde » lorsqu’il a entendu parler de l’enquête de la GRC. Immédiatement après cela, il s’est suicidé, ce qui ne peut être ignoré.

[138]  Il m’apparaît évident que lors de ses entrevues avec la GRC, le fonctionnaire n’a pas été honnête au sujet de sa consommation de cocaïne et de son implication avec des criminels, et que M. Ard avait raison de conclure que le fonctionnaire n’était pas honnête. Il a reconnu devant moi qu’il n’avait pas été complètement honnête lorsqu’il a nié avoir consommé de la cocaïne, mais il a affirmé qu’il avait délibérément obscurci la vérité en raison de ce que cela signifierait pour sa carrière. Je n’ai aucune preuve selon laquelle, lorsqu’il a raconté des mensonges, il ressentait des symptômes de sevrage ou qu’il était dans un état d’intoxication à un moment quelconque de ces entretiens. À aucun moment, son représentant n’a évoqué cette possibilité lors du contre‑interrogatoire du gendarme Spencer et de M. Ard. Par conséquent, d’après le témoignage de la Dre Jack selon lequel le fonctionnaire savait ce qu’il faisait, qu’il était en mesure de prendre des décisions en sachant faire la distinction entre le bien et le mal et en connaissant les conséquences de ses actes tant qu’il n’était pas intoxiqué ou n’avait pas de symptômes de sevrage, je conclus qu’il savait que ce qu’il avait fait était mal et qu’il avait délibérément menti à son employeur.

[139]  Cela contraste complètement avec la situation dans Nadeau, où le maître-chien a reconnu sa dépendance à la première occasion, a demandé un traitement immédiat, que l’employeur a payé, et a immédiatement ressenti des remords pour ses actes. Je n’ai rien entendu de semblable de la part du fonctionnaire. J’ai entendu que sa consommation n’interférait pas avec son travail. J’ai entendu dire que sa consommation d’alcool avait considérablement augmenté après son licenciement et qu’elle avait entraîné son hospitalisation. J’ai entendu qu’il n’aimait pas les effets de la cocaïne et qu’il ne l’a utilisée que pendant une brève période en 2015. J’ai entendu qu’il a nié à plusieurs reprises qu’il consommait de la cocaïne. Il a également nié avoir rencontré et connaître des criminels connus et s’être associé à eux, leur avoir acheté de la cocaïne, contrairement au fonctionnaire dans Nadeau, qui a lui-même signalé ses activités illégales.

[140]  Les deux affaires, Nadeau et celle dont je suis saisi, n’ont pas la même situation factuelle et se distinguent facilement en fonction de la façon dont les fonctionnaires se sont comportés avant, pendant et après les processus disciplinaires, sans parler des remords manifestés. Je suis d’accord avec la description de M. Huish selon laquelle les remords exprimés par le fonctionnaire découlaient des répercussions que les événements avaient eues sur lui et non de l’effet de ses actions sur sa relation avec son employeur et sur sa réputation.

[141]  Le fonctionnaire a allégué qu’il avait été licencié en raison de son invalidité et que, par conséquent, il avait été victime de discrimination. Pour démontrer qu’un employeur a fait preuve de discrimination, un fonctionnaire s’estimant lésé doit d’abord produire une preuve prima facie de l’existence de l’acte discriminatoire, qui couvre les allégations faites et qui, si elles devaient être crues, seraient complètes et suffisantes pour justifier une décision donnant gain de cause au fonctionnaire en l’absence de réponse du défendeur (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28). Sur la base des arguments du fonctionnaire, il doit y avoir des preuves à l’appui de l’existence d’une invalidité et du fait que cette invalidité a été un facteur de son licenciement (voir Moore au paragraphe 33).

[142]  Un employeur qui doit répondre à une preuve prima facie de discrimination peut éviter une conclusion défavorable en présentant des éléments de preuve démontrant que ses agissements n’étaient pas discriminatoires ou en invoquant un moyen de défense prévu par la loi qui justifie la discrimination (voir A.B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35, au paragraphe 13).

[143]  Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait aucun problème lié à la cocaïne. En réalité, il a nié avoir consommé toute drogue que ce soit, et de la cocaïne en particulier, à l’exception de la période de quatre mois en 2015. Il a admis que la consommation d’alcool était un problème, mais à aucun moment il n’a lié son achat de cocaïne ou d’autres actions aux effets de la consommation d’alcool. Dans l’ensemble, il n’a pas établi le lien entre son invalidité et les motifs de son licenciement.

[144]  La Dre Jack a souligné qu’elle avait eu à s’appuyer fortement sur l’autodéclaration du fonctionnaire en raison des preuves objectives limitées pour la période en cause. Elle a été impliquée dans cette situation pour offrir son évaluation d’expert au sujet de la situation du fonctionnaire en 2019, qu’elle a décrit avec précision sans aucun doute. Mais, elle-même a indiqué qu’elle ne pouvait pas parler de la situation telle qu’elle existait en 2015, lorsque le fonctionnaire a commis les actes pour lesquels il a été licencié. Elle a mis l’accent sur la période commençant en 2016. Dans son témoignage, le fonctionnaire a admis qu’il savait ce qu’il faisait en 2015; pourtant, il a poursuivi sa ligne de conduite et a choisi de mentir à ce sujet plus tard par crainte de perdre son emploi.

[145]  Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait le devoir de se renseigner sur sa consommation de drogues lorsqu’il y avait apparence qu’il pourrait avoir besoin de mesures d’adaptation. Selon sa représentante, l’employeur a lancé l’audience disciplinaire en sachant que le fonctionnaire consommait de la cocaïne. Dans les circonstances de la présente affaire, ce que l’employeur aurait pu savoir au sujet de la consommation de substances du fonctionnaire et la façon dont il a abordé toute obligation de prendre des mesures d’adaptation correspondantes n’aide pas le fonctionnaire à s’acquitter de son fardeau d’établir que son invalidité a été prise en compte dans les actions qui ont mené à son licenciement. Rien dans la preuve ne donne à penser que, comme le plaide le fonctionnaire, l’employeur aurait dû conclure que ses actes étaient le résultat de sa toxicomanie.

[146]  Compte tenu de l’ensemble de la preuve, et selon la décision rendue dans Elk Valley, rien de ce qui m’a été soumis ne l’aurait empêché de se conformer aux règles et politiques de l’employeur et aux lois du Canada. Le fonctionnaire l’a exprimé à plusieurs reprises tout au long de ce processus lorsqu’il a dit au gendarme Spencer, M. Ard, à la Dre Jack et à moi-même qu’il savait que ce qu’il faisait constituait une menace sérieuse pour son emploi.

[147]  Le fonctionnaire a été licencié en raison de ses associations avec des criminels, parce qu’il a acheté de la drogue, qu’il a menti à la GRC et à son employeur et parce qu’il a porté atteinte à la réputation de l’employeur, ce qui a été prouvé selon la prépondérance des probabilités. Il n’a pas établi qu’une invalidité était un facteur dans ses actions ou dans la décision de l’employeur de le licencier.

[148]  La Dre Jack a mentionné l’invalidité du fonctionnaire comme un trouble de toxicomanie. L’arbitre de grief dans McNulty c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 105, au paragraphe 188, a conclu ce qui suit :

188Je ne suis saisi d’aucune preuve médicale indiquant que, comme la Cour d’appel de la Colombie-Britannique l’a déclaré dans Health Employers Association of BC, [traduction] « […] l’inconduite de l’employé a été “causée par des symptômes liés à” la déficience […] ». Pour paraphraser les conclusions indiquées dans Thunder Bay (City), je ne suis saisi d’aucun témoignage d’expert indiquant que la dépendance à l’alcool supprimerait toute inhibition ou tout contrôle que la fonctionnaire aurait par ailleurs eu en ce qui concerne les actions qu’elle a posées […]

 

[149]  Selon le témoignage de la Dre Jack, à moins que le fonctionnaire ait été dans une période de sevrage ou qu’il ait été dans un état d’intoxication extrême aux moments pertinents, il savait que ses actions n’étaient pas appropriées. Je n’ai aucune preuve que son contrôle sur ses actes ait été supprimé ou que sa capacité de suivre la DC-060, les Règles de conduite professionnelle, les règles de l’employeur et le Code criminel ait été entravée.

[150]  De plus, dans McNulty, au paragraphe 170, l’arbitre de grief a souligné qu’il est important de ne pas supposer qu’une dépendance est toujours un facteur causal dans la conduite d’un employé toxicomane. Pour conclure qu’il y a discrimination à première vue, il doit y avoir une preuve que l’inconduite de l’employé était liée aux symptômes découlant la déficience. Sans ce lien, il est difficile à la fois d’imaginer et de comprendre la suggestion du fonctionnaire selon laquelle l’employeur aurait dû lui proposer des mesures d’adaptation.

[151]  Par conséquent, le fonctionnaire n’a pas établi que son inconduite, à savoir acheter de la cocaïne, s’associer à des criminels et mentir pendant deux enquêtes, était liée à un trouble de toxicomanie. En outre, aucun élément de preuve ne permet d’établir qu’il n’était pas en mesure de suivre les règles de l’employeur. Il était capable de faire des choix rationnels et de collaborer avec la police. Il a choisi d’ignorer les règles de l’employeur et les lois du Canada et de mentir à tout moment à la police, en ayant conscience des implications. Il a admis l’avoir fait parce qu’il craignait les implications de ses actions sur son travail. À ce titre, et conformément aux conclusions de la Cour suprême du Canada dans Elk Valley, j’estime que le fonctionnaire n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur le motif illicite qu’est la déficience.

[152]  Millhaven est l’arrêt faisant autorité dans le domaine de la conduite en dehors du milieu de travail. Il établit le critère permettant de déterminer dans quels cas il est justifié pour un employeur de prendre des mesures disciplinaires à l’égard d’un employé en raison de la conduite de ce dernier en dehors du milieu de travail. Les cinq facteurs à considérer sont établis dans cet arrêt. Un employeur n’est pas tenu de les établir tous. Il suffit d’établir un lien entre le comportement contesté et le milieu de travail (voir Unifor, Local 892 v. Mosaic Potash Esterhazy Limited Partnership, 2018 SKQB 68). L’employeur n’a pas à démontrer l’existence de chacun des cinq facteurs de Millhaven (voir Matte c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 57). Il suffit que l’employeur démontre un lien entre les activités illégales du fonctionnaire et son association avec des criminels, y compris le voyage à Seattle, et ses mensonges aux enquêteurs, lesquels allaient  à l’encontre des Règles de conduite professionnelle de l’employeur et de la DC-060 et étaient en conflit avec son statut d’agent de la paix.

[153]  Je n’ai pas besoin de preuves hors de tout doute raisonnable que le but de la rencontre de Seattle était d’acheter de la drogue. Le fardeau de la preuve dans les affaires de relations de travail est le fardeau de la preuve civil, qui est établi selon la prépondérance des probabilités. Compte tenu de tous les faits connus et que l’autre CX et M. J se sont rencontrés et ont eu une discussion, que M. J était un membre de gang et un trafiquant de drogue connu, qu’à aucun moment un bateau n’était présent et que M. J était sous la surveillance du département de la sécurité intérieure, qui a signalé la rencontre à la GRC, il suffit de conclure que l’objet de cette réunion était lié à la drogue et que, selon la prépondérance des probabilités, le fonctionnaire et l’autre CX se sont rendus à Seattle avec l’intention de prendre des dispositions pour acheter et importer de la cocaïne.

[154]  Le représentant du fonctionnaire a soutenu que même si les actes du fonctionnaire justifiaient des mesures disciplinaires, ce que j’ai déterminé comme tel, le licenciement était excessif et déraisonnable dans les circonstances. Je ne suis pas d’accord. Tel qu’il est énoncé dans Richer, aux paragraphes 120, 133 et 134, les CX devraient agir dans le respect de la loi. En tant qu’agent de la paix, le fonctionnaire était chargé de l’exécution de la loi. La conduite dont il a fait preuve était incompatible avec son statut d’agent de la paix. Réintégrer dans ses fonctions un CX licencié pour avoir acheté des drogues illégales et avoir des associations avec des criminels en dehors du lieu de travail pour des activités illégales laisserait entendre qu’un tel comportement est compatible avec les fonctions d’un CX, alors que ce n’est fondamentalement pas le cas.

[155]  Je conviens également que, en tant qu’agent de la paix, un CX devrait agir dans le respect de la loi et servir de modèle aux détenus pour les aider dans le cadre de leur réinsertion dans la société. Par ses actions, le fonctionnaire a perdu la confiance de l’employeur et est maintenant considéré comme une menace pour la sécurité de l’établissement. Je conviens également qu’en tant qu’arbitre de grief, ayant conclu que le manque de confiance de l’employeur envers le fonctionnaire est justifié, je ne devrais pas tenter de remettre en question la position de l’employeur au sujet de la sécurité de l’établissement. La Commission doit non seulement soupeser les intérêts de l’employeur et du fonctionnaire, mais aussi les intérêts des autres employés, des détenus et du grand public (voir Richer).

[156]  Le rôle de l’employeur est d’évaluer le degré de menace potentielle ou réelle que le fonctionnaire représente pour l’établissement. L’opinion de M. Page n’est pas primordiale. Le rôle de la Commission est de déterminer si la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire était raisonnable dans les circonstances et, dans le cas contraire, la sanction appropriée. Cette détermination nécessite en partie d’examiner l’évaluation par l’employeur du risque que représente le fonctionnaire pour le lieu de travail. L’évaluation du niveau de menace ou de la sécurité d’un établissement correctionnel ne fait pas partie de ce processus en soi. Ce qui en fait partie est plutôt la question de savoir comment la décision de l’employeur a été prise en compte dans les motifs du licenciement. Les préoccupations de l’employeur selon lesquelles le fonctionnaire pourrait être la cible de chantage ou de retournement, compte tenu de ses antécédents liés à la drogue peuvent être, à mon avis, légitimes et peuvent être considérées comme un facteur valable dans la détermination d’une sanction disciplinaire appropriée.

[157]  Tel qu’il est énoncé, comme suit, dans Peterson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 29, au paragraphe 129 :

129 Le fonctionnaire était bien au courant des implications de ses activités illégales si elles étaient découvertes. Ses tentatives de les cacher le démontrent. Elles remettent non seulement en question son aptitude à être CX, mais indiquent également que la confiance que l’employeur avait en lui n’était pas justifiée, ce qui rend intenable la relation d’emploi continue. Comme cela a été dit dans Bridgen c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 92, au par. 106 :

106. En général, pour ce qui est d’établir ce qui représente une inconduite dans le cas d’un agent correctionnel, il ressort clairement de la jurisprudence que les agents correctionnels sont soumis à des règles de conduite plus rigoureuses que les employés qui assument d’autres fonctions (McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, paragraphe 80). Il en est ainsi parce que [traduction] « les personnes engagées au sein des services correctionnels savent que leur employeur attend davantage de leur part que d’autres types de travailleurs » (Govt. of the Province of British Columbia v. B.C. Government Employees’ Union (Larry Williams Grievance), [1985] B.C.C.A.A.A. No. 26 (Chertkow) (QL); affaire citée dans Government of British Columbia v. British Columbia Government and Service Employees’ Union (Jaye Grievance), [1997] B.C.C.A.A.A. No. 813 (Hope), paragraphe 28 (QL)).

 

[158]  Le fonctionnaire savait que ses actes étaient répréhensibles, en particulier compte tenu du pourcentage extraordinairement élevé de la population de détenus incarcérés pour des crimes similaires, dont il était responsable. J’ai devant moi le fait qu’un agent de la paix chargé de réhabiliter des détenus n’a pas agi dans l’intérêt supérieur des Canadiens et n’a pas agi en tout temps avec intégrité et honnêteté. Il a activement cherché à obtenir de la cocaïne, une drogue illégale, en a acheté et consommé; il s’est associé à des criminels et, sachant que ses actes constituaient une infraction criminelle grave, il a tenté de dissimuler ses activités en mentant à la GRC et à l’enquêteur de l’employeur, même en présence de preuves claires qui le contredisaient, pour préserver son emploi. Une peine moins lourde banaliserait la nature de sa violation des Règles de conduite professionnelle et de la DC-060 ainsi que du Code de valeurs et d’éthique du secteur public. L’employeur a eu raison de licencier le fonctionnaire.

[159]  Je suis d’accord avec l’employeur que l’inconduite du fonctionnaire relevait de la catégorie de la conduite à l’extérieur du travail et que pour justifier l’imposition d’une mesure discipline à un employé pour une faute commise à l’extérieur du travail, un employeur doit démontrer que, selon les circonstances, le comportement en question a nui à sa réputation, a rendu l’employé incapable de s’acquitter correctement de ses obligations professionnelles, a amené d’autres employés à refuser de travailler avec cette personne ou a nui à la capacité de l’employeur de gérer et de diriger efficacement son lieu de travail (les facteurs Millhaven). Je conviens également que les fonctionnaires sont confrontés à des restrictions supplémentaires en ce qui concerne leur conduite à l’extérieur du travail par rapport aux membres ordinaires du public (voir Lapostolle).

[160]  Tous les facteurs Millhaven ne doivent pas être respectés pour justifier un licenciement fondé sur une conduite à l’extérieur du travail. Il suffit d’établir que la conduite  du fonctionnaire à l’extérieur du travail du fonctionnaire a mis l’employeur dans l’embarras et a nui à sa réputation, ce que l’employeur a clairement établi. Cependant, en l’espèce, il s’agit également de bien plus que la réputation de l’employeur; il s’agit de la sécurité du personnel, des détenus et de l’établissement où le fonctionnaire était employé. Il s’agit également de la confiance du public dans le système correctionnel.

[161]  On s’attend à ce que les CX se conduisent d’une manière conforme aux lois du Canada et favorisent la réadaptation des détenus. Le fonctionnaire ne s’est pas conduit de cette façon. J’accepte la preuve des témoins de l’employeur selon laquelle la conduite du fonctionnaire a nui à la réputation de l’employeur, que son comportement l’a empêché d’agir en tant qu’agent de la paix et que son comportement a rendu difficile pour l’employeur de travailler en toute sécurité et efficacement, étant donné le risque de compromission s’il devait être réintégré dans ses fonctions (voir Millhaven).

[162]  Le motif pour lequel le fonctionnaire a été licencié incluait le fait que ses actions étaient inacceptables, qu’elles portaient atteinte à la réputation de l’employeur, et qu’il avait violé les Règles de conduite professionnelle de l’employeur et la DC-060 ainsi que le Code de valeurs et d’éthique du secteur public, ce qui a rompu sa relation de confiance avec l’employeur, établissant un lien entre l’activité reprochée et la relation de travail. Le préjudice causé à sa réputation était suffisant pour établir le lien (voir Peterson; Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 76; et Tobin c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 254). Une preuve directe du préjudice causé à la réputation de l’employeur n’était pas nécessaire. Il faut garder à l’esprit le rôle d’un CX dans le système correctionnel et les répercussions sur l’opinion publique si une personne, qui a commis une infraction pour laquelle d’autres ont été incarcérés, est chargée de surveiller les personnes incarcérées.

[163]  Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation de Lloyd proposée par la représentante du fonctionnaire. La Cour d’appel fédérale n’a pas déclaré, comme elle l’a soutenu, que l’employeur doit prouver chaque allégation sur laquelle il entend s’appuyer pour prendre des mesures disciplinaires contre un employé pour que la mesure disciplinaire prise soit maintenue. L’élément clé de Lloyd est le paragraphe 23, où la Cour a ordonné : « L’arbitre était tenu d’examiner le caractère raisonnable de la durée de la suspension de 40 jours à la lumière des deux actes d’inconduite qui avaient été établis […] Il ne l’a pas fait. »

[164]  Chacun des actes que l’employeur a allégués et établis à ma satisfaction était en soi suffisamment grave pour justifier une sanction disciplinaire grave, pouvant aller jusqu’au licenciement, compte tenu des obligations spéciales d’un CX. De façon regroupée, comme c’est le cas en l’espèce, je conclus que le licenciement n’était ni excessif ni déraisonnable.

[165]  La représentante du fonctionnaire a souligné des vices de procédure au cours de l’enquête disciplinaire de M. Ard, tels que le changement de l’allégation de faux témoignage à faux renseignement. En fin de compte, à mon avis, cela signifie la même chose et équivaut à obscurcir la vérité ou à mentir au cours de l’enquête, ce que j’ai conclu que le fonctionnaire avait fait. Il est bien établi en droit que l’audience d’arbitrage des griefs est une audition de novo et que tout préjudice ou injustice qu’un vice de procédure aurait pu causer est corrigé par l’arbitrage du grief (voir Maas et Turner c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 123, au paragraphe 118; Pajic c. Opérations des enquêtes statistiques, 2012 CRTFP 70; Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. No. 818 (C.A.F.)(QL); et Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291).

[166]  Quant à la question de la révision pour motif valable de la cote de fiabilité du fonctionnaire, je ne suis pas d’accord avec l’avocat de l’employeur que le processus décrit par l’employeur était administratif. Il s’agissait plutôt d’une extension du processus disciplinaire et, à ce titre, il s’agissait d’un subterfuge. Selon moi, il est clair que le processus de révision de la sécurité et le processus disciplinaire se sont déroulés au même rythme depuis le tout début. Il s’agissait en fait d’un processus unique dès le tout début lorsque M. MacAulay et M. Fabiano, qui étaient responsables du processus de révision de la sécurité, ont participé à des séances d’information avec M. Thompson, qui était responsable du processus disciplinaire. À cela s’ajoute la présence de Mme Sicard aux séances d’information sur les relations de travail, comme en témoigne la note d’information préparée par Ken Palmer, agent des relations de travail dans la région du Pacifique, et la coordination des deux processus par M. Langer du bureau régional des relations de travail.

[167]  Contrairement à ce que le représentant de l’employeur a soutenu, l’employeur n’a pas pris sa décision après avoir évalué la vraisemblance de la position du fonctionnaire et des renseignements contenus dans le rapport de renseignements défavorables. Aucune évaluation de bonne foi n’a été faite après le fait qu’une révision pour motif valable devrait être effectuée. À mon avis, il a été décidé dès le départ que la cote de fiabilité du fonctionnaire ferait l’objet d’une révision pour motif valable dès réception de l’avis de la GRC. Si l’employeur avait procédé à une révision pour motif valable en se fondant sur cette seule information, ma décision aurait pu être différente, mais cela n’était pas le cas. Il a choisi de procéder à un processus disciplinaire et de révision de la sécurité conjoint, qui a retardé l’issue du processus disciplinaire, afin de garantir l’issue du processus de révision de la sécurité. Aucune distinction n’a été faite entre le processus disciplinaire et le processus de révision du statut jusqu’à la toute fin, alors que les pouvoirs délégués étaient différents.

[168]  La présence de Mme Sicard tout au long du processus disciplinaire et du processus d’entrevue ainsi qu’au sein du comité de révision a assuré la continuité entre le processus disciplinaire et celui de la révision du statut. Elle était au courant des résultats attendus du processus disciplinaire puisqu’elle a assisté aux séances d’information sur les relations de travail. Bien qu’elle n’ait pas fourni de témoignage en ce sens, sa présence est indiquée dans le procès-verbal des séances d’information, et je n’ai entendu aucun élément de preuve contredisant cela.

[169]  Les rôles joués par M. Langer et Mme Sicard dans les deux processus garantissaient un résultat cohérent et portaient atteinte à l’indépendance des processus et aux règles de justice naturelle. Le fonctionnaire n’a pas bénéficié d’une révision indépendante de sa cote de fiabilité. Ce processus de révision a été entaché de partialité dès le début par la présence de Mme Sicard et par le rôle qu’elle a joué tout au long de la procédure, ce qui a garanti que le résultat serait conforme au résultat du processus disciplinaire. Pour ces motifs, j’estime que la révision pour motif valable était un subterfuge et une mesure disciplinaire déguisée.

V.  Ordonnance de confidentialité

[170]  Après avoir examiné le rapport de l’Opération Peacetime (pièce 2, onglet 3F) et le rapport de la Dre Jack avec ses pièces jointes, la Commission a déterminé que les deux documents devraient être scellés, car ils contiennent des renseignements relatifs à des enquêtes policières secrètes et des renseignements médicaux personnels. Pour déterminer si de telles restrictions devraient être imposées au principe de la publicité des débats judiciaires, une évaluation des circonstances par rapport au critère énoncé dans R. c. Mentuck, 2001 CSC 76 (connu sous le nom de critère « Dagenais/Mentuck ») est requise.

[171]  Le critère Dagenais/Mentuck est généralement cité comme ayant deux parties. Il exige que le décideur détermine d’abord si une ordonnance pour limiter le principe de transparence judiciaire est nécessaire dans le contexte du litige pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important et, en deuxième lieu, de déterminer si les effets bénéfiques de l’ordonnance l’emportent sur ses effets préjudiciables relativement au droit du public à des procédures d’arbitrage de griefs ouvertes et accessibles.

[172]  Le rapport de l’Opération Peacetime (pièce 2, onglet 3F) identifie les personnes qui ne sont pas parties à ces griefs et qui ont droit à la protection de leurs renseignements personnels, de même que les dossiers de surveillance de la police, qui sont confidentiels. Les dossiers médicaux personnels sont des renseignements protégés et ne doivent donc être communiqués que pour une utilisation appropriée, ce qui n’est pas le cas d’une présentation au grand public. Permettre à ces pièces de faire partie du dossier public ne servirait aucun intérêt public ou judiciaire et constituerait un risque grave pour la sécurité et la vie privée. Pour ces motifs, j’ordonne que le rapport de l’Opération Peacetime (pièce 2, onglet 3F) et le rapport médical de la Dre Jack, avec pièces jointes, soient scellés. Pour les mêmes motifs, dans cette décision, j’ai anonymisé les noms de certaines personnes documentés dans le rapport de l’Opération Peacetime.

[173]  Les deux parties ont soumis de la jurisprudence à l’appui de leurs arguments. Je n’ai pas abordé chaque affaire individuellement; au lieu de cela, je n’ai mentionné que celles qui sont d’une importance primordiale.

[174]  Pour tous les motifs précités, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI.  Ordonnance

[175]  Le grief du dossier 566-02-14204 est rejeté.

[176]  Le grief du dossier 566-02-14323 est accueilli. Il est déclaré que l’employeur a violé les principes de justice naturelle dans le cadre de la révision du statut de fiabilité du fonctionnaire et qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire déguisée. Par conséquent, les résultats du processus de révision sont révoqués.

[177]  Le grief du dossier 566-02-14324 est rejeté.

[178]  Le rapport de l’Opération Peacetime (pièce 2, onglet 3F) et le rapport médical de la Dre Jack, y compris tous les dossiers médicaux joints, sont mis sous scellés.

Le 15 avril 2020.

Traduction de la CRTESPF

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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