Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que le choix d’un processus annoncé et de la zone de sélection constituait un abus de pouvoir – il a allégué que cela a permis de nommer une personne précise et non une personne au sein de l’organisme – il a aussi allégué que des erreurs avaient été commises dans la notation de son examen écrit, que le guide de cotation avait été mal appliqué, qu’il a subi des représailles en raison de son activité syndicale et qu’il a été victime de partialité raciale dans le cadre du processus de nomination – la Commission a conclu que le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait – le témoignage concernant le choix du processus, la zone de sélection et le sentiment antisyndical envers lui était un ragot anonyme et a été contredit par d’autres éléments de preuve – la Commission a conclu que la notation de l’examen avait été objective, et qu’il n’y avait aucune preuve que le guide de cotation a été appliqué de façon erronée ou irrégulière entre les candidats – la preuve circonstancielle du plaignant selon laquelle aucun des trois employés du bureau où il cherchait à être nommé n’étaient des personnes racialisées n’était pas suffisante pour établir une preuve prima facie de discrimination.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20200420

Dossier: EMP-2016-10442

 

Référence: 2020 CRTESPF 39

 

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE


Yoginder Gulia

plaignant

 

et

 

AdministratEUr EN Chef DU Service ADMINISTRATIF DES TRIBUNAUX JUDICIAIRES

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Gulia c. Administrateur en chef du Service administratif des tribunaux judiciaires

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant :  Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant :  Lui-même

Pour l’intimé :  Patrick Turcot, avocat

Pour la Commission de la fonction publique :  Claude Zaor (arguments écrits)

Affaire entendue à Toronto (Ontario),

les 11 et 12 septembre 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉcision  (Traduction de la crtespf)

I.  Résumé

[1]  Yoginder Gulia (le « plaignant ») détient plusieurs grades universitaires, dont deux au niveau de la maîtrise. Il a aussi déclaré être membre du Barreau de l’Ontario. Il s’est joint à la fonction publique en 2004, et à l’époque pertinente à la présente affaire, il travaillait au Service administratif des tribunaux judiciaires (SATJ). Il a présenté sa candidature à un poste d’agent principal du greffe (PM-04) à la Cour canadienne de l’impôt dans le cadre de la procédure de sélection portant le numéro 15‑CAJ-IA-0398.

[2]  Le plaignant n’a pas été nommé et a allégué que le choix de la procédure et de la zone de sélection constituait un abus de pouvoir. Il a aussi allégué que des erreurs avaient été commises dans la notation de ses travaux écrits lors de l’évaluation, et que le guide de cotation avait été mal appliqué, ce qui équivaut à un abus de pouvoir dans les deux cas. Le plaignant a allégué que par ce moyen, on avait exercé des représailles contre lui en raison de son activité syndicale. Le plaignant a aussi allégué avoir été victime de partialité raciale dans le cadre du processus de nomination.

[3]  Pour les motifs énoncés dans la présente décision, j’estime que le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait, soit d’établir qu’il y a eu abus de pouvoir. Je rejette la plainte.

II.  Analyse

[4]  Selon les alinéas 77(1)a) et 2a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « Loi »), un candidat qui n’est pas nommé dans la zone de sélection d’un processus de nomination interne annoncé peut présenter à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») une plainte selon laquelle il n’a pas été nommé ni fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir dans l’application des critères de mérite. Selon l’alinéa 77(1)b), la personne qui se trouve dans la zone de recours visée dans la Loi peut présenter à la Commission une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée en raison d’un abus de pouvoir découlant du choix entre un processus annoncé ou non annoncé.

[5]  Le plaignant avait le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé avait abusé de son pouvoir (voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 49 et 55). Selon le paragraphe 30(1) de la Loi, les nominations internes ou externes à la fonction publique doivent être fondées sur le mérite, et selon l’alinéa 30(2)a), la nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne à nommer possède les qualifications essentielles, qui sont établies par l’administrateur général.

[6]  L’« abus de pouvoir » n’est pas défini dans la Loi; cependant, le paragr. 2(4) fournit les directives suivantes : « Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel ». Comme la présidente Ebbs l’a souligné dans Ross c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2017 CRTEFP 48, au par. 14, le par. 2(4) de la Loi doit être interprété de façon générale. Cela veut dire que le terme « abus de pouvoir » ne doit pas se limiter à la mauvaise foi et au favoritisme personnel.

[7]  Dans Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, aux paragraphes 21 et 38, la Cour fédérale a confirmé que la définition de l’« abus de pouvoir » prévue au par. 2(4) de la Loi n’est pas exhaustive et peut comprendre d’autres formes de conduite inappropriée.

[8]  Comme il est souligné dans Tibbs, aux paragraphes 66 et 71, et confirmé dans Agnew c. Sous-ministre des Pêches et des Océans, 2018 CRTESPF 2, au par. 95, un abus de pouvoir peut comprendre un acte, une omission ou une erreur que le législateur n’aurait pas pu envisager dans le cadre de la discrétion accordée aux personnes avec pouvoirs délégués de dotation. L’abus de pouvoir est une question de degrés. Pour qu’une telle conclusion soit faite, l’erreur ou l’omission doit être si énorme qu’elle ne peut faire partie de la discrétion accordée au gestionnaire délégué.

III.  Questions à trancher

A.  Y a‑t‑il eu abus de pouvoir dans le choix de la procédure et de la zone de sélection?

[9]  Le plaignant a allégué que le poste offert à la Cour de l’impôt aurait dû être ouvert aux employés existants du SATJ, plutôt qu’à toutes les personnes employées dans la fonction publique qui occupaient un poste dans la région du Grand Toronto (RGT).

[10]  Le plaignant a cité Jenna Russell, agente du greffe à la Cour fédérale à Toronto. Mme Russell est également présidente de son syndicat local. Selon son témoignage, de nombreux agents du greffe convoitaient un poste au greffe de la Cour de l’impôt. Elle a expliqué que ces personnes cherchaient aussi à obtenir un transfert d’apprentissage afin d’acquérir les compétences liées aux aspects techniques des fonctions du greffe de la Cour de l’impôt. Elle a témoigné que beaucoup d’agents du greffe ont été déçus que le poste ait été ouvert à tous les fonctionnaires, et que selon les rumeurs qui circulaient au bureau, la zone de sélection avait été choisie afin de permettre le recrutement d’une personne précise. Mme Russell a déclaré que depuis 2010, le greffe de la Cour de l’impôt a sélectionné uniquement des membres du greffe possédant au plus cinq ans d’expérience pour doter ses postes vacants.

[11]  Pendant le contre‑interrogatoire de Mme Russell, j’ai refusé les questions posées par l’avocat de l’intimé qui visaient à savoir si d’autres plaintes ou des griefs avaient été déposés en réaction aux nominations de la Cour de l’impôt, parce que de telles questions n’étaient pas pertinentes à l’affaire dont j’étais saisi.

[12]  Le plaignant a ensuite cité à témoigner Sandy Wilson. À l’époque pertinente, Mme Wilson était également agente du greffe à la Cour fédérale à Toronto. Elle a déclaré qu’elle aussi avait posé sa candidature au poste PM-04, mais qu’elle avait décidé de se retirer du processus. Mme Wilson a témoigné qu’à son avis, au greffe de la Cour de l’impôt on ne croit pas que le personnel du greffe de la Cour fédérale soit apte à s’acquitter de ses tâches. Elle a ajouté qu’une personne siégeant au comité de sélection du processus de nomination en cause lui avait dit que le comité ne souhaitait pas nommer une personne du greffe de la Cour fédérale.

[13]  En contre‑interrogatoire, Mme Wilson a témoigné qu’en réalité elle n’était pas personnellement au courant des deux nominations qui constituaient des cas de partialité à l’endroit du greffe de la Cour fédérale, au sujet desquelles elle s’était prononcée durant son interrogatoire principal.

[14]  L’avocat de l’intimé a cité à témoigner Donald MacNeil, greffier à la Cour canadienne de l’impôt. M. MacNeil a expliqué qu’il avait eu vent de la rumeur qui circulait au sein du personnel selon laquelle les employés du greffe de la Cour fédérale n’étaient pas les bienvenus à la Cour de l’impôt. Il a affirmé que ce n’était pas vrai. Il a plutôt déclaré qu’il connaissait plusieurs employés du greffe de la Cour fédérale qui avaient été embauchés afin de travailler à la Cour de l’impôt.

[15]  M. MacNeil a aussi témoigné qu’en réalité la nomination en cause avait effectivement été accordée à un employé du greffe de la Cour fédérale.

[16]  Lorsqu’il a été questionné au sujet de la zone de sélection, M. MacNeil a témoigné qu’il avait voulu s’assurer que le plus grand nombre possible de candidats demanderaient la nomination. Par conséquent, il avait décidé de l’ouvrir à tous les fonctionnaires employés dans la RGT.

[17]  Étant donné que le témoignage sur lequel s’est fondé le plaignant pour laisser entendre que le choix de la zone de sélection constituait un abus de pouvoir était un ragot anonyme, que M. MacNeil a démenti, et, plus important encore, que la personne nommée a été sélectionnée à la Cour fédérale, je conclus que le plaignant n’a pas produit la preuve qui me permettrait de conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix de la procédure.

[18]  L’avocat de l’intimé s’est opposé à ce que j’entende la preuve relative à l’allégation selon laquelle il y avait eu abus de pouvoir dans le choix de la zone de sélection. Le plaignant a cherché à s’appuyer sur la correspondance échangée entre sa direction et son syndicat, afin de démontrer la réticence de la direction à consulter le syndicat et à favoriser l’avancement professionnel et les promotions au sein de l’organisme. Le plaignant a aussi allégué que l’intimé avait fait un choix partial en raison d’un sentiment antisyndical envers lui, par suite de son activité syndicale. Le plaignant a cherché à démontrer que l’intimé n’avait pas respecté les politiques de la Commission de la fonction publique comme il convenait.

[19]  L’avocat de l’intimé a fait valoir que la Loi ne donne pas compétence à la Commission en vue de permettre à un plaignant de contester une zone de sélection. L’avocat m’a renvoyé à Baragar c. Président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2016 CRTEFP 50, à titre de décision faisant autorité en ce qui concerne l’argument selon lequel le législateur ne m’a pas donné compétence pour entendre des plaintes portant sur les zones de sélection. La conclusion énoncée dans Baragar indique ce qui suit :

[…]

43. […] Dans Umar-Khitab c. l’administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 5, le Tribunal a jugé qu’il ne lui incombait pas de se prononcer sur la question de savoir si la zone de sélection d’un processus de nomination était raisonnable ou si elle répondait aux critères et considérations énoncés dans les [traduction] « Politique sur la zone de sélection » ou la [traduction] « lignes directrices » de la CFP. Le pouvoir de définir une zone de sélection est prescrit par l’article 34 de la LEFP. L’article 77 de la LEFP, qui prévoit le recours à la Commission pour les processus de nomination, ne renvoie pas à l’article 34. Conformément au paragraphe 88(2) de la LEFP, le mandat de la Commission est d’examiner et d’instruire les plaintes présentées en vertu du paragraphe 65(1) et des articles 74, 77 et 83. Aucune de ces dispositions n’autorise les plaintes au sujet d’une zone de sélection.

 […]

[20]  Je suis d’accord avec cet extrait, qui prend note d’Umar-Khitab en l’approuvant. Je n’ai pas compétence pour me pencher sur l’allégation concernant la zone de sélection.

[21]  Si je tire cette conclusion à tort, j’ai déjà souligné le témoignage constituant un ragot anonyme qui traite de la partialité des décisions de l’intimé, et je conclurais ici, dans le même ordre d’idées, que le plaignant n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour me permettre de conclure ce qu’il fait valoir dans cette allégation.

B.  L’évaluation a‑t‑elle été effectuée de manière erronée et partiale?

[22]  Le plaignant a allégué qu’il avait reçu à tort une note d’échec à son examen écrit obligatoire. Il a aussi allégué que le candidat choisi avait inéquitablement reçu des points de bonification, ce qui constituait un abus de pouvoir. Le plaignant a en outre allégué que tout cela était contraire au guide de cotation, ce qui constituait un abus de pouvoir.

[23]  La preuve non contredite a établi que le plaignant avait passé l’examen écrit et que sa réponse à la question d’évaluation de la [traduction] « Capacité à planifier, à fixer et assigner des priorités et à prendre des décisions » avait reçu une note de 6.5. Par suite de cette note, sa candidature a été éliminée du processus de nomination, puisque la note de passage était de 8.

[24]  Le plaignant a témoigné qu’à son avis, sa réponse méritait une note plus élevée, et qu’il croyait que le guide de cotation avait été appliqué d’une manière inappropriée.

[25]  Pendant son interrogatoire principal et à nouveau en contre‑interrogatoire, M. McNeil a expliqué dans les moindres détails chacune des notes qu’il avait attribuées ou décidé de ne pas attribuer lorsqu’il avait comparé les travaux et les notes du plaignant à ceux de la personne nommée. Un grand nombre de questions mettaient l’accent sur le fait que M. McNeil avait attribué des points de bonification à la personne nommée.

[26]  J’estime que le témoignage de M. MacNeil a démontré que la notation avait été objective. Son témoignage et l’utilisation des documents en cause ont été convaincants, dans la mesure où il a démontré que les notes avaient été établies au regard du guide et que la même méthode de notation avait été appliquée uniformément dans l’ensemble des évaluations qui ont été présentées comme pièces.

[27]  En contre‑preuve, j’ai autorisé le plaignant à citer Nathalie Debonville, du bureau principal de l’intimé à Ottawa. Le plaignant a posé à Mme Debonville des questions sur le rôle qu’elle et d’autres membres du jury avaient joué dans la rédaction et la notation de l’examen écrit. Le plaignant a soutenu que les réponses de Mme Debonville lui avaient permis d’établir que les dépositions des autres témoins étaient mensongères en ce qui avait trait à leur véritable rôle dans le processus. Après avoir examiné minutieusement les témoignages et l’argumentation sur ce point, j’estime que cette question n’a aucune valeur probante. M. MacNeil a assuré l’administration de l’examen, et rien n’indique que les deux autres membres y aient participé, l’aient administré ou même seulement examiné.

[28]  Je ne constate pas non plus la moindre preuve que le guide ait été appliqué de façon erronée ou de façon irrégulière entre les candidats. Il m’est impossible de conclure que le jury de sélection a agi de manière partiale en vue d’en arriver à une issue prédéterminée, puisque les éléments de preuve dont je suis saisi sont insuffisants pour tirer une pareille conclusion, compte tenu de l’examen détaillé de la notation et des renvois au guide de cotation qui ont été faits en preuve.

[29]  La Commission a régulièrement posé en principe qu’il n’est pas sage de tenter de noter à nouveau des évaluations par la voie des audiences, et qu’en l’absence d’erreurs flagrantes dans la notation, il faut respecter le travail des comités d’évaluation.

[30]  Voir, par exemple, Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11, aux paragraphes 25 à 27, où il est précisé que l’administrateur général est autorisé à utiliser toute méthode d’évaluation qu’il estime indiquée (voir la Loi, à l’art. 36) pour décider si une personne possède les qualifications énoncées.

C.  Le processus de nomination a‑t‑il été préétabli de façon à sélectionner la personne qui a été nommée?

[31]  Le plaignant a allégué que tout le processus de nomination et la zone de sélection avaient été établis pour permettre la nomination d’un candidat choisi à l’avance. Aucune preuve n’a été produite à l’appui de cette allégation. Mme Russell a repris cette allégation dans son interrogatoire principal, en déclarant qu’elle avait entendu dire que le processus de nomination avait été préétabli de façon à nommer une personne précise. Je l’ai priée d’expliquer comment elle l’avait appris. Il est tout à son honneur d’avoir admis franchement qu’elle ne l’avait appris que par les [traduction] « potins du bureau ».

[32]  Compte tenu du fait que l’allégation en cause a été étayée uniquement par un ragot anonyme que je ne tiens pas pour un élément de preuve, je conclus que le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait à l’égard de cet aspect de son affaire. Je n’en traiterai pas davantage.

D.  Allégation de partialité raciale

[33]  Le plaignant a déclaré qu’à plusieurs reprises il avait sollicité un poste au greffe de la Cour de l’impôt, mais qu’il avait essuyé un refus. Il a ajouté que Barbara Tanasychuk, la conseillère en ressources humaines de la Cour de l’impôt, est partiale, et qu’aucune personne d’origine ethnique indienne (comme se définit le plaignant) n’y avait été embauchée. Le plaignant a aussi déclaré que c’est uniquement au cours des deux dernières années qu’une personne de couleur a été embauchée au greffe de la Cour de l’impôt à Toronto, qui n’est pas [traduction] « équilibré racialement ».

[34]  Le plaignant a poursuivi en déclarant que Mme Tanasychuk avait occupé son poste durant toute la période au cours de laquelle il avait tenté d’obtenir une nomination au greffe de la Cour de l’impôt. Il a allégué qu’il avait injustement reçu une note d’échec à l’examen écrit dans le cadre d’un leurre visant à s’assurer qu’il ne pouvait pas être nommé.

[35]  Pendant son contre‑interrogatoire, Mme Tanasychuk a confirmé qu’il n’y avait pas d’employés ayant déclaré faire partie d’une minorité visible au sein du greffe de la Cour de l’impôt à Toronto en 2015.

[36]  En contre‑interrogatoire, le plaignant a demandé à Mme Tanasychuk si des plaintes en milieu de travail avaient été présentées contre elle. L’avocat de l’intimé a soulevé une objection et soutenu que ces questions étaient sans pertinence au processus de nomination à l’étude. Plus tard au cours de l’audience, le plaignant a demandé à citer de nouveau Mme Russell à témoigner sur cette même question. L’avocat de l’intimé s’y est opposé. Afin de faire preuve de la plus grande prudence et de permettre au plaignant d’avoir toutes les chances possibles de produire une preuve pertinente à l’appui de ses allégations, j’ai admis les questions et le rappel du témoin, mais j’ai reporté ma décision quant aux objections.

[37]  Le plaignant a posé à Mme Tanasychuk une série de questions visant à savoir si des employés avaient déjà présenté par écrit des plaintes liées à des griefs déposés contre elle. Il existe un processus en vertu duquel les plaintes de harcèlement doivent être présentées et faire l’objet d’une enquête afin d’être réglées. De plus, l’affaire de harcèlement peut être menée en présentant un grief et en alléguant une violation de la clause de la convention collective qui interdit le harcèlement. Ces questions se sont succédé rapidement, et le plaignant s’est mis à argumenter avec le témoin, qui essayait de répondre. Le témoin a aussi déclaré qu’à différentes reprises au cours de cette séquence, elle n’avait pas pu entendre ou comprendre les questions qui lui étaient posées. Je suis intervenu à plusieurs reprises afin de m’assurer que j’avais entendu distinctement chacune des questions et la réponse qui y était présentée.

[38]  Mme Russell a témoigné qu’il y avait eu une ou plusieurs plaintes de harcèlement et au moins un grief liés à Mme Tanasychuk. Le plaignant a soutenu en terminant que Mme Tanasychuk n’avait pas répondu franchement à la question de savoir si une plainte ou un grief avait été déposé contre elle, et si tel était le cas, combien il y en avait eu. Il a déclaré que pendant son nouvel interrogatoire, Mme Russell avait contredit le témoignage de Mme Tanasychuk. Le plaignant a soutenu que Mme Tanasychuk avait été prise en flagrant délit de mensonge et que tout son témoignage manquait de crédibilité.

[39]  Après avoir examiné l’affaire avec soin, je conclus que les questions posées à Mme Tanasychuk au sujet des plaintes déposées contre elle antérieurement étaient sans pertinence pour le processus de nomination en cause dans la présente plainte. Par conséquent, je maintiens l’objection de l’intimé. Je refuse de tirer des conclusions sur la crédibilité du témoin, parce que celle‑ci a été interrompue si souvent que ses réponses qui ont été contredites ultérieurement par Mme Russel découlaient fort probablement d’un malentendu.

[40]  En conséquence de son allégation selon laquelle il a été victime de partialité raciale, le plaignant devait d’abord produire une preuve prima facie.

[41]  Mme Tanasychuk a témoigné qu’elle est autochtone, qu’elle a vu sa mère autochtone subir le racisme et que, partant, elle ne ferait jamais preuve de partialité raciale envers quelqu’un. Elle n’a pas ajouté grand‑chose, si ce n’est pour nier en bloc toute partialité à l’endroit du plaignant. Ce dernier a ensuite soutenu qu’en raison du fait que Mme Tanasychuk avait déclaré en contre‑interrogatoire qu’elle ne se souvenait pas d’avoir déjà dit qu’elle n’embaucherait pas un agent du greffe de la Cour fédérale, en réalité elle avait évité de répondre à la question.

[42]  Pour établir qu’un employeur s’est livré à une pratique discriminatoire, un plaignant doit d’abord produire une preuve à première vue ou prima facie de discrimination, ce qui s’entend au sens d’une preuve portant sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur d’un plaignant, en l’absence de réplique de l’employeur. Un employeur qui doit répondre à une preuve prima facie peut éviter une conclusion défavorable en présentant une explication raisonnable pour démontrer qu’en réalité ses agissements n’étaient pas discriminatoires ou en invoquant un moyen de défense prévu par la loi qui justifie son acte discriminatoire (voir A.B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35, aux paragraphes 11-13).

[43]  L’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) a aussi examiné la discrimination raciale alléguée dans le cadre d’un processus de nomination, et il a tiré les conclusions qui suivent dans Brown c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2012 TDFP 17 :

[…]

45  Lorsqu’il est question des droits de la personne, il revient au plaignant d’établir une preuve prima facie de discrimination. Dans l’arrêt Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 (connue sous le nom de décision O’Malley), la Cour suprême du Canada énonce le critère permettant d’établir une preuve prima facie de discrimination :

28 […] Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé […]

46  Il suffit au plaignant de démontrer que la discrimination dont il affirme avoir été victime était l’un des facteurs – pas le principal ni même l’unique facteur – qui ont mené à la décision d’éliminer sa candidature du processus de nomination. Voir la décision Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), para. 7.

47  Si le plaignant établit que le SCC a appliqué des pratiques discriminatoires, il doit aussi démontrer qu’il existe un lien entre le comportement discriminatoire observé et la preuve – tant directe que circonstancielle – de discrimination à son endroit dans le processus de nomination, de façon à établir une preuve prima facie. Voir la décision Chopra c. Canada (Ministère de la santé nationale et du Bien‑être social), 2001 CanLII 8492 (T.C.D.P), para. 211.

48 Le Tribunal doit déterminer si le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination avant de se pencher sur la réponse de l’intimé. Si le plaignant y parvient, le fardeau revient alors à l’intimé, qui doit fournir une explication raisonnable sans caractère discriminatoire au sujet de sa conduite. Voir la décision Lincoln c. Bay Ferries Ltd. [2004] A.C.F. no 941; 2004 CAF 204 (QL).

49 Le plaignant a présenté trois types de preuve à l’appui de son allégation portant les pratiques de discrimination raciale à son endroit : a) un rapport sur les consultations du commissaire auprès des membres des groupes de minorités visibles au SCC; b) des éléments de preuve concernant six nominations effectuées par le SCC dans la région de l’Ontario à l’issue d’un processus non annoncé; et c) d’autres éléments de preuve se rapportant à la représentation des membres des groupes de minorités visibles au SCC.

[…]

72 Comme l’indique la Cour fédérale aux paragraphes 17 à 22 de la décision Canada (Commission canadienne des droits de la personne) cCanada (Ministère de la Santé nationale et du Bien‑être social), 1998 CanLII 7740 (C.F. 1re inst.), s’il n’y a pas de preuve directe de pratiques discriminatoires, il est possible d’en démontrer l’existence par inférence, en ayant recours à des preuves circonstancielles consistant en une série de faits qui, mis ensemble, pourraient la justifier. Au paragraphe 18 de cette même décision, la Cour s’appuie sur l’ouvrage de Beatrice Vizkelety, Proving Discrimination in Canada (Toronto : Carswell, 1987) pour préciser qu’un plaignant peut produire des éléments de preuve liés aux pratiques générales en matière de personnel ou à la composition générale de l’effectif de l’employeur afin d’établir que le comportement de ce dernier s’inscrit dans une tendance ou dans une pratique uniformisée de discrimination. Si la preuve en est établie, le tribunal qui instruit l’affaire devra conclure, à partir de ces circonstances générales et des autres éléments de preuve présentés à l’appui, que le plaignant a probablement lui aussi fait l’objet de discrimination.

73 Toutefois, il faut qu’il y ait un lien entre cette preuve et la preuve, tant directe que circonstancielle, de discrimination individuelle à l’égard du plaignant pour que soit établie une preuve prima facie de discrimination (voir la décision Chopra, para. 211). Le Tribunal canadien des droits de la personne indique, au paragraphe 41 de la décision Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., [2005] D.C.D.P. no 13; 2005 TCDP 32, (QL) – confirmée par [2006] A.C.F. no 1005, 2006 CF 785 (QL), que « […] le fait de croire abstraitement qu’une personne fait l’objet de discrimination, sans qu’il existe un certain fait qui le confirme, n’est pas suffisant ».

[…]

82  Selon le Tribunal, la preuve circonstancielle qu’a présentée le plaignant ne suffit pas à conclure qu’il existe au sein du SCC des obstacles discriminatoires systémiques pour les membres des groupes de minorités visibles. Par ailleurs, même si cette preuve suffisait à démontrer l’existence d’obstacles systémiques au cheminement professionnel de ces employés au SCC, il reste que le plaignant n’a pas établi de lien entre la preuve qu’il a présentée et la preuve relative à la discrimination dont il aurait été victime. En effet, le plaignant n’a déposé aucun élément de preuve permettant d’établir ou de déduire que sa race, sa couleur ou son origine ethnique avait influé sur la conclusion de l’intimé selon laquelle il n’avait pas atteint la note de passage relativement à deux qualifications essentielles. Le plaignant n’a d’ailleurs pas remis en doute la conclusion du comité d’évaluation selon laquelle il ne possédait pas ces deux qualifications essentielles. Aucun des éléments de preuve qu’il a déposés ne se rapporte à des pratiques discriminatoires observées dans le processus de nomination visé par sa plainte.

83  Pour ces motifs, le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas établi de preuve prima facie de discrimination. En effet, aucun élément de preuve ne permet de conclure que la race, la couleur ou l’origine ethnique du plaignant a constitué un facteur dans l’élimination de sa candidature du processus de nomination CX‑04.

[…]

[44]  Comme le TDFP l’a tranché dans Brown, j’estime que la preuve produite dans la présente affaire, qui se résume au fait qu’aucun des trois agents du greffe exerçant les fonctions recherchées par le plaignant n’étaient des personnes racialisées, ne me permet pas de conclure que le plaignant s’est acquitté du fardeau de produire, selon la prépondérance des probabilités, une preuve prima facie de discrimination fondée sur la race.

[45]  En soi, cette preuve circonstancielle n’établit pas que la race du plaignant est un facteur ayant contribué à l’élimination de sa candidature du processus de nomination. Je ne suis pas non plus amené à conclure, après avoir examiné l’ensemble de la preuve du plaignant, dont traitent les pages précédentes, que c’est en partie à cause de sa race qu’il n’a pas obtenu la note de passage à une question précise de l’examen écrit.

[46]  Les parties m’ont présenté de nombreux autres cas à l’appui de leur argumentation. Bien que je les aie tous lus, je n’ai renvoyé qu’à ceux qui ont une importance fondamentale.

IV.  Le comportement du plaignant

[47]  Le comportement affiché par le plaignant au cours de l’audience où il s’est représenté lui‑même a dérogé à un point tel de toute norme acceptable et raisonnable que je dois le mentionner.

[48]  À plusieurs reprises durant la procédure, j’ai dû maintes fois prier le plaignant de cesser d’interrompre un témoin ou l’avocat, de l’invectiver et d’argumenter avec lui.

[49]  À plusieurs reprises le plaignant m’a interrompu dans l’exercice de mes fonctions en qualité de président de l’audience. Par trois fois, il s’est opposé lorsque j’ai tenté de recevoir la déclaration solennelle d’un témoin qui participait par téléphone. Le plaignant s’est opposé à ce que je reçoive la déclaration solennelle d’un témoin afin qu’il s’engage à dire la vérité. Le plaignant voulait que les témoins fassent une déclaration solennelle ou soient assermentés en personne.

[50]  Le plus préoccupant a été l’approche grossière des conclusions finales, dans lesquelles le plaignant a attaqué l’intégrité personnelle et professionnelle des témoins de l’intimé, en disant qu’ils avaient menti sous serment, et que le poste de M. MacNeil démontrait que l’organisme et lui avaient manqué de respect envers le système de dotation fondé sur le mérite, puisque ce poste avait été obtenu au moyen d’un processus de nomination non annoncé.

[51]  Ces commentaires étaient déplacés, et ils découlaient d’une question n’ayant aucune valeur probante pour l’issue de l’affaire.

[52]  Il est malséant de la part d’un fonctionnaire de se livrer à de pareilles attaques personnelles contre des membres de la direction de son employeur. Le dépôt d’une plainte en matière de dotation et la comparution devant la Commission ne permettent pas de manquer de respect aux autres.

[53]  À plus forte raison en tant que membre autoproclamé du barreau, M. Gulia aurait dû connaître son code de déontologie et mieux s’y conformer.

[54]  Si M. Gulia comparaît de nouveau devant la présente Commission, il aura avantage à trouver un représentant pour mener l’audience en son nom. S’il se représente lui‑même de nouveau, il devra en tout temps faire preuve de respect envers le commissaire qui présidera, l’avocat de la partie adverse, le représentant de l’intimé et tous les témoins.

V.  Conclusion

[55]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI.  Ordonnance

[56]  J’ordonne le rejet de la plainte.

Le 20 avril 2020.

Traduction de la CRTESPF

 

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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