Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que l’employeur n’avait pas pris des mesures d’adaptation suffisantes pour répondre à son incapacité – sa limite fonctionnelle temporaire consistait à n’avoir aucun contact avec les détenus – une mesure d’adaptation temporaire a été prise en vue d’un retour intégral au travail – au cours de la période où la limite du fonctionnaire s’estimant lésé était considérée comme permanente, la mesure d’adaptation temporaire a pris fin et l’employeur a exploré d’autres mesures d’adaptation – pendant plusieurs mois, aucune mesure d’adaptation n’a été prise à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé au travail – le fonctionnaire s’estimant lésé s’est éventuellement vu offrir un poste d’adaptation, puis sa limite a été supprimée, c’est à dire qu’il a été autorisé à avoir des contacts avec les détenus – il a pu retourner à son poste d’agent correctionnel – il a demandé une mesure corrective pour la période provisoire au cours de laquelle il pouvait travailler, mais l’employeur n’était pas en mesure de prendre une mesure d’adaptation au travail – la Commission a conclu que l’exigence de contact avec les détenus et d’intervention était liée, à juste titre, aux fonctions d’un agent correctionnel – il s’agissait d’une contrainte excessive pour l’employeur de trouver un poste d’agent correctionnel qui ne comprenait pas les fonctions essentielles d’un agent correctionnel – le poste temporaire a été utilisé à des fins temporaires – il n’était pas déraisonnable pour l’employeur de modifier la mesure d’adaptation une fois que de nouveaux renseignements avaient été reçus – le fonctionnaire s’estimant lésé a connu des périodes relativement courtes pendant lesquelles il ne pouvait pas travailler; pendant ces périodes, l’employeur a fait de sérieuses tentatives pour lui trouver un autre travail jusqu’à ce qu’il soit possible de trouver un poste permanent tenant compte de sa limite – l’employeur a pris des mesures d’adaptation raisonnables à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé.

Grief rejeté.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION  (TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1]  Le 14 mars 2016, Michael McCarthy, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a renvoyé un grief à l’arbitrage dans lequel il allègue une discrimination de la part du Service correctionnel du Canada (SCC) pour lequel il travaille en tant qu’agent correctionnel (CX‑01). Il fait partie d’une unité de négociation représentée par le Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur »). L’agent négociateur et le Conseil du Trésor, l’employeur légal, ont signé une convention collective qui est venue à échéance le 31 mai 2018 (la « convention collective »). L’agent négociateur a appuyé le renvoi du grief à l’arbitrage.

[2]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

[3]  Le fonctionnaire allègue que le SCC n’a pas pris des mesures d’adaptation suffisantes pour répondre à son incapacité. Son grief, déposé le 24 novembre 2015, se lit comme suit :

[Traduction]

Je crois que l’employeur fait preuve de discrimination à mon égard fondée sur mon incapacité, appuyé par la jurisprudence et les dispositions législatives pertinentes, en créant un milieu de discrimination, en créant les conditions qui ont donné lieu à mon incapacité et en refusant de prendre des mesures d’adaptation pour répondre à mon incapacité pendant la période provisoire entre les affectations en raison d’une restriction permanente et l’obtention d’un poste permanent. L’employeur a démontré qu’une condition de contrainte excessive n’existe pas vu les mesures qu’il a prises antérieurement pour répondre à mon incapacité lorsque j’occupais un poste doté pour une période indéterminée, à long terme.

[4]  Le fonctionnaire a demandé la mesure corrective suivante : [traduction] « Je demande que des mesures d’adaptation provisoires soient prises à mon égard au travail jusqu’à ce que j’occupe un poste permanent convenable, ainsi que tous les crédits de congé pris entre le 20 octobre 2015 et ce moment‑là soient remis intégralement. »

[5]  Le SCC a répondu au deuxième et au dernier paliers de la procédure de règlement des griefs (la réponse au grief au dernier palier a été fournie le 3 juin 2016, près de trois mois après le renvoi du grief à l’arbitrage).

[6]  Essentiellement, le SCC a déclaré qu’une mesure d’adaptation temporaire avait été prise à l’égard du fonctionnaire jusqu’à ce que Travail sécuritaire NB (TSNB), l’entité provinciale qui s’occupe des accidents du travail, estime que sa limite fonctionnelle consistant à n’avoir aucun contact avec les détenus était permanente. La mesure d’adaptation temporaire avait été mise en œuvre en vue d’un retour intégral au travail. Comme cela n’était plus possible, la mesure d’adaptation a pris fin. Le SCC a ensuite décrit en détail les efforts qu’il a déployés pour lui trouver une mesure d’adaptation convenable. Le congé qu’il a pris ne serait pas remboursé, puisqu’il a choisi de l’utiliser avant de commencer à toucher des prestations de TSNB. Le SCC a rejeté le grief.

[7]  Pour les motifs qui suivent, je rejette le grief.

II.  Résumé de la preuve

[8]  Le fonctionnaire a témoigné à l’audience. L’employeur a cité à témoigner Marla Kavalak, directrice adjointe intérimaire, Opérations (DAO), au Pénitencier de Dorchester (l’« établissement ») pendant la période visée; Jennifer Fillmore, sous‑directrice en janvier 2015, directrice intérimaire en juillet 2016 et directrice de l’établissement à compter de septembre 2016; Chantal Rioux, conseillère régionale du Programme de retour au travail (PRT) de 2015 à 2017.

[9]  Le fonctionnaire a commencé à travailler à titre d’agent correctionnel, classifié aux groupe et niveau CX‑01, en 2005. Il a travaillé d’abord à l’Établissement de l’Atlantique et a ensuite été muté à l’établissement en 2008. Un incident survenu le 26 février 2011 a provoqué une réaction sévère et il a reçu un diagnostic selon lequel il était atteint du trouble de stress post‑traumatique (TSPT).

[10]  Le fonctionnaire a été en congé pour accident au travail pendant plusieurs années. En 2013, il a commencé un retour au travail progressif en tant qu’agent correctionnel. L’idée était de l’exposer graduellement à différentes unités afin qu’il puisse finalement reprendre ses fonctions à temps plein, sans limitation. Le retour au travail a été élaboré avec le psychologue traitant. Le fonctionnaire déterminerait les postes où il travaillerait et en informerait le gestionnaire de service. Pendant cette période, il touchait son salaire complet; ses heures de travail ont été rémunérées et le reste était couvert par le congé payé pour accident du travail.

[11]  Mme Rioux, qui était chargée du retour au travail régional, a tenu un registre du retour au travail du fonctionnaire. Il indique qu’il a suivi un retour au travail très progressif, grâce à une exposition graduelle. Il a commencé à la fin de janvier 2013, deux heures par semaine. En février 2014, il a augmenté ses heures à quatre heures par semaine. En juillet 2014, il travaillait quatre heures, trois fois par semaine, passant à trois quarts de travail de six heures en octobre 2014 et ensuite à trois quarts de travail de huit heures en novembre 2014. Il a été autorisé à participer à un retour au travail complet à compter du 2 janvier 2015.

[12]  Le fonctionnaire a déposé en preuve des courriels pour indiquer à quel point le SCC n’appuyait pas ses efforts de retour au travail. Les courriels du 9 juillet 2014 indiquent que la direction ne souscrivait pas au retour au travail progressif qu’il avait élaboré avec son psychologue. La conseillère du retour au travail a rédigé ce qui suit :

[Traduction]

Comme vous le savez, M. McCarthy a commencé son exposition graduelle en janvier 2013 selon une fréquence de deux heures par semaine. Depuis, il est passé à quatre heures par semaine et il est maintenant à quatre heures, deux fois par semaine.

Du point de vue de l’employeur, ce processus est en cours depuis très longtemps et nous devons savoir si cet employé est en mesure ou non de reprendre ses fonctions à temps plein et, dans l’affirmative, quand. Comme nous l’avons discuté hier, l’employeur demande un plan d’EG/RGT [exposition graduelle/retour progressif au travail] indiquant des étapes et des dates claires pour la progression de M. McCarthy afin nous puissions mieux gérer son retour au travail.

[13]   Le même jour, Sam Johnston, directeur intérimaire, a répondu comme suit :

[Traduction]

Nous éprouvons des difficultés à maintenir ce type d’arrangement avec la durée demandée. La direction à l’Établissement de Dorchester n’estime pas que cet arrangement est raisonnable ou positif, pour l’une ou l’autre des parties, et que nous avons besoin des dates précises pour réintégrer rapidement cet employé à l’effectif.

[14]  Dans un courriel du 6 août 2014, le superviseur du fonctionnaire a rédigé ce qui suit à l’intention du gestionnaire correctionnel chargé de l’horaire, qui coordonnait le retour au travail du fonctionnaire : [traduction] « M. M. a appelé. Il a dit qu’il ne pouvait rentrer au travail aujourd’hui. La vie est dure. »

[15]  Le fonctionnaire a découvert le courriel à l’aide d’une demande d’accès à l’information (AIPRP). Il a trouvé cela extrêmement décourageant et un signe que la direction ne comprenait pas du tout à quel point il est difficile de retourner au travail lorsqu’on est atteint d’un TSPT. Il a témoigné quant au fait que la direction a résisté à ses tentatives d’organiser un horaire qui lui convenait; son psychologue a dû intervenir.

[16]  À la fin de janvier 2015, le fonctionnaire travaillait à temps plein, soit 40 heures par semaine. Trois incidents sont alors survenus, lesquels ont entraîné un revers majeur. Il s’est rendu compte qu’il ne serait pas en mesure d’intervenir convenablement si un autre incident survenait. L’agent négociateur a suggéré qu’il s’adresse à la direction pour déterminer s’il pouvait encore travailler 40 heures par semaine, mais pas dans un poste de sécurité.

[17]  Dans une lettre du 2 février 2015, un gestionnaire de cas de TSNB a déclaré que des fonctions non liées au groupe CX devraient être envisagées pour le fonctionnaire. Toutefois, il bénéficierait d’une exposition continue à l’établissement correctionnel. De plus, son professionnel traitant estimait qu’il ne devrait pas être contraint de prendre un congé annuel, étant donné que son retrait du milieu correctionnel nuirait à son rétablissement. La direction se souciait du fait que le fonctionnaire avait accumulé trop de crédits de congé annuel.

[18]  Au cours d’une réunion tenue en vue de discuter de mesures d’adaptation et de l’endroit où il devrait travailler, ainsi que de la nécessité qu’il utilise un certain montant de ses crédits de congé annuel accumulés, le fonctionnaire a eu l’impression que la direction ne l’écoutait tout simplement pas et ne se souciait pas de son bien‑être. La direction a suggéré qu’il travaille à l’extérieur de l’établissement et qu’il prenne un congé. Il estimait que ni l’un ni l’autre ne convenait à son état. Il pensait qu’il devrait être à l’intérieur de l’établissement, de façon constante, afin de surmonter son TSPT à l’aide de la désensibilisation.

[19]  La réunion s’est terminée de façon abrupte; le fonctionnaire a claqué la porte lorsqu’il est parti. Le panneau de la fenêtre est tombé de la porte en raison de l’impact. Il a témoigné qu’il s’était immédiatement grandement excusé. Le lendemain, le SCC a demandé une évaluation médicale indépendante.

[20]  L’évaluation a été effectuée à la fin de février 2015. Elle a permis de confirmer ce que le psychologue traitant avait indiqué – le fonctionnaire ne devrait pas intervenir en cas d’incidents, mais il pouvait travailler dans l’établissement. L’évaluation a également permis de confirmer qu’il pouvait retourner au travail à temps plein.

[21]  Le fonctionnaire est retourné au travail à la mi‑mars. Le SCC a compris, d’après l’évaluation, qu’il ne devrait pas être en contact direct avec les détenus. Il a été affecté à l’horaire de formation, une tâche normalement effectuée par un CX‑ 02; il s’agissait d’un poste bilingue. Aux fins de l’affectation, le SCC a modifié le poste et a renoncé à l’exigence de bilinguisme. La question relative aux congés a été réglée en demandant au fonctionnaire de prendre ses congés annuels excédentaires par tranches de demi‑journées.

[22]  Le SCC a envisagé d’imposer une mesure disciplinaire pour les événements survenus lors de la réunion de février au cours de laquelle le fonctionnaire a perdu son sang‑froid à l’égard de la DAO et a cassé le panneau de fenêtre de la porte. En fin de compte, la direction a tout simplement laissé tomber. Le 30 avril 2015, le superviseur du fonctionnaire a écrit ce qui suit à Mme Fillmore : [traduction] « J’ai eu une réunion avec M. McCarthy la semaine dernière. Pendant cette période, il a exprimé des remords et m’a informé que cela ne se reproduirait jamais. Je l’ai informé que la situation était considérée comme réglée. »

[23]  Le fonctionnaire travaillait à l’horaire de formation dans un bâtiment adjacent au stationnement, à l’extérieur de l’établissement. Il ne portait pas l’uniforme. Il n’était pas satisfait du fait qu’il se trouvait à l’extérieur de l’établissement, car cela ne l’aidait pas à réaliser des progrès dans son retour au travail.

[24]  Une évaluation de suivi a été faite en août 2015, dont le fonctionnaire espérait qu’elle l’autorise à retourner travailler à l’intérieur de l’établissement. Le résultat était le contraire, car l’évaluation indiquait qu’il avait une limitation permanente selon laquelle il ne devait avoir aucun contact avec les détenus.

[25]  Dans une lettre du 1er octobre 2015, la TSNB a informé le SCC de la limitation et lui a rappelé de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire, comme suit :

[Traduction]

[…]

Travail sécuritaire NB a déterminé qu’il avait une restriction de travail relative à tout type de travail qui concerne un contact direct avec les détenus, empêchant donc un retour aux fonctions avant son accident.

[…]

Maintenant qu’il a été établi que MICHAEL MCCARTHY ne peut pas exécuter son travail tel qu’il est, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation exige que vous, en tant qu’employeur, participiez sérieusement et consciencieusement à un processus en deux étapes en vue de :

1) déterminer si MICHAEL MCCARTHY peut effectuer son travail actuel sous une forme modifiée;

2) dans la négative, vous devez donc déterminer s’il peut effectuer un autre travail dans sa forme actuelle ou modifiée.

[…]

[26]  En octobre 2015, après avoir reçu la conclusion de TSNB selon laquelle le fonctionnaire avait une limitation permanente, le SCC a mis fin à son affectation à l’horaire. Étant donné que la limitation était permanente, l’employeur a déclaré qu’il fallait trouver un poste permanent correspondant à la limitation. Il fallait trouver un poste vacant.

[27]  À l’audience, Mme Kavalak a expliqué que le poste relatif à l’horaire de formation n’était pas financé; cela veut dire qu’il ne s’agissait pas d’un poste régulièrement financé comportant un salaire. Au contraire, les tâches étaient prises d’un poste CX‑ 02 et regroupées en vue d’offrir une mesure d’adaptation temporaire, au besoin. Le salaire provenait directement du budget de l’établissement et non du budget salarial. Le regroupement des tâches était effectué régulièrement aux fins de mesures d’adaptation temporaires pour les agents correctionnels qui ne pouvaient pas travailler avec les détenus; par exemple, en raison d’une grossesse ou d’une chirurgie. Il s’agissait d’une solution à court terme, car du point de vue budgétaire, l’établissement ne pouvait pas justifier de payer indéfiniment pour un poste qui n’existait pas vraiment en tant que poste financé.

[28]  Lorsque le fonctionnaire a cessé d’exécuter le travail en octobre 2015, il a été remplacé par un autre agent correctionnel qui avait besoin d’une mesure d’adaptation temporaire. Le poste en tant que tel n’était pas permanent, et c’est pourquoi, une fois que la limitation a été confirmée comme permanente, le SCC ne souhaitait pas poursuivre cette mesure d’adaptation.

[29]  À ce moment‑là, on a offert au fonctionnaire le choix de recevoir des prestations de TSNB ou d’utiliser ses crédits de congé accumulés pour toucher son salaire complet en attendant une autre mesure d’adaptation. D’octobre 2015 à la mi‑janvier 2016, date à laquelle il a commencé à occuper un poste d’AIPRP, le fonctionnaire a touché son salaire en utilisant son congé de maladie. L’employeur lui a également accordé un congé administratif payé pour les deux dernières semaines d’octobre 2015.

[30]  Mme Kavalak a expliqué le processus suivi par l’établissement pour tenter de trouver un poste permanent pour le fonctionnaire, en tenant compte de sa limitation consistant à n’avoir aucun contact avec les détenus. La direction a conclu qu’il n’y avait aucun poste convenable et a cherché du travail à l’extérieur de l’établissement pour assurer l’emploi du fonctionnaire. Mme Kavalak a donné l’exemple d’un courriel qu’elle a envoyé aux gestionnaires de la région de l’Atlantique du SCC le 22 octobre 2015, à la recherche d’un autre poste.

[31]  À la fin de novembre 2015, la direction a envisagé des postes à l’intérieur de l’établissement, notamment, à l’entrée principale, à la patrouille mobile et dans la tour. On a demandé à TSNB de fournir des renseignements quant à savoir si ces postes permettraient de répondre à l’exigence qu’il n’ait aucun contact avec les détenus. Le courriel demandant les commentaires de TSNB expliquait ce qui suit :

[Traduction]

Même s’il y a un certain contact avec les détenus dans le cadre de ces postes, ce contact n’est certainement pas à la même fréquence et il ne s’agit pas du même contact continu en tant qu’agent correctionnel ou d’autres postes comme les agents de libération conditionnelle, les agents de programme ou même les personnes de métier qui supervisent les détenus dans le cadre de leur travail quotidien.

[32]  Avant de demander des renseignements à TSNB, Mme Kavalak a exprimé comme suit un doute à la direction quant à savoir si ces postes seraient compatibles avec les limitations du fonctionnaire :

[Traduction]

Comme nous en avons discuté, vous trouverez ci‑joint les consignes de poste pour le poste 431 (entrée principale), le poste 433 Patrouille mobile et 434 Tour

En ce qui concerne le poste à l’entrée principale, le paragraphe 27 porte sur la supervision du détenu nettoyeur; le paragraphe 28 porte sur la nécessité de vérifier les délinquants qui entrent et qui sortent de l’établissement, le paragraphe 30 porte sur la nécessité de fouiller les délinquants et les paragraphes 43 et 44 portent ensuite sur la surveillance des délinquants assujettis à une surveillance minime qui entrent dans l’établissement. Le paragraphe 47 renvoie au modèle de gestion de la situation, c’est‑à‑dire la façon dont nous évaluons le niveau de réponse ou d’intervention auprès des délinquants en cas d’incident ou de situation.

En ce qui concerne le poste 433 Mobile – il s’agit d’un poste de réponse en ce sens que, si un délinquant s’évade, l’agent correctionnel doit réagir, surtout par l’utilisation d’une arme à feu, tel que cela est décrit ci‑dessous :

Encore une fois, le MGS [modèle de gestion de la situation] est consulté puisque ce poste est considéré comme un poste d’intervention.

Cet agent est également chargé de la surveillance des délinquants ayant la permission de travailler hors‑clôture s’ils sortent pour sortir les poubelles, entre autres, et il peut être tenu d’intervenir.

Enfin, en ce qui concerne le poste à la Tour, il s’agit encore là d’un poste d’intervention avec une arme à feu en cas d’évasion.

Comme nous en avons discuté au téléphone, je crois que le fait d’affecter une personne à ces postes qui doivent intervenir en cas possible de recours à la force létale à l’égard d’un délinquant, surtout lorsqu’elle a une limitation selon laquelle elle n’est pas censée interagir avec un délinquant, constitue une question de responsabilité pour le SCC. Même si les évasions sont rares, elles peuvent se produire, surtout parce que le secteur de sécurité minimale se situe juste à côté et qu’il n’y a aucune clôture. Encore une fois, je suggérerais que cet agent ayant cette limitation soit mieux placé pour occuper un poste à l’Administration régionale où il n’y a aucun risque qu’il doive intervenir auprès d’un délinquant, conformément à sa limitation.

[33]  Après avoir examiné les consignes de poste de chacun des postes, TSNB a déclaré que le poste à la Tour 3 (le « poste pour contrer le lancement d’objets» pourrait être acceptable. Sa principale obligation est de veiller à ce qu’aucune contrebande ne soit jetée par‑dessus la clôture et à l’intérieur du périmètre de l’établissement. Toutefois, les directives du poste comprennent l’intervention en cas de tentatives d’évasion, y compris l’utilisation d’armes à feu.

[34]  Comme Mme Rioux l’a expliqué à l’audience, le poste à la tour faisait partie d’une rotation des agents correctionnels et non d’un poste autonome. La direction ne considérait pas qu’il s’agissait d’une mesure d’adaptation convenable parce qu’il pouvait comporter l’utilisation d’une arme à feu, conformément à ce qui est déclaré dans les consignes de poste et parce qu’il s’agirait d’un travail intolérable s’il était effectué de façon permanente, sans répit. Mme Rioux a également déclaré que d’autres agents correctionnels pourraient éprouver du ressentiment de ne pas avoir leur tour à occuper ce poste. Il s’agit d’un poste tranquille, qui offre du temps seul et qui constitue une pause agréable vu stress de l’établissement. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’un poste idéal pour une personne qui revient d’un accident au travail consistant en un TSPT.

[35]  La salle de clés a également été envisagée en tant que possibilité. Les principales responsabilités consistent à délivrer les clés et l’équipement de sécurité au personnel. Il s’agit également d’un poste armé et l’agent correctionnel qui l’occupe pourrait être appelé à intervenir en cas d’incident.

[36]  Le SCC a demandé d’autres précisions à TSNB suite à sa déclaration que le poste pour contrer le lancement d’objets pouvait être acceptable. Le 14 décembre 2015, TSNB a envoyé la note suivante à René Morais, qui remplaçait Mme Rioux :

[Traduction]

[…]

La présente fait suite à votre courriel du 11 décembre 2015 dans lequel vous demandez des éclaircissements écrits sur la limitation au travail permanente qui a été déclarée dans la demande de M. Micheal [sic] McCarthy. Comme nous l’avons expliqué précédemment, M. Micheal [sic] McCarthy n’est pas en mesure de retourner au travail dans un poste qui concerne un travail en contact direct avec les détenus, cela peut être clarifié davantage comme le fait qu’il n’est pas en mesure d’occuper un poste où il aurait la responsabilité directe des détenus qui pourraient nécessiter qu’il intervienne ou réagisse directement.

[…]

[37]  En novembre 2015, le directeur de l’établissement a exprimé sa frustration à l’égard de la situation du fonctionnaire dans un courriel adressé au sous-commissaire adjoint intérimaire de la région de l’Atlantique du SCC. Le courriel se lit comme suit :

[Traduction]

[…] Je pensais que nous avions fini avec ce type. Avec une limitation d’aucun contact avec les détenus et aucune intervention, nos mains sont vraiment liées. Comme vous le savez, lorsque nous l’avons affecté à un poste comme le poste permanent à la porte d’entrée, il ne constituait pas la meilleure personne à accueillir le public. Encore moins lui demander de faire une offre active. Nous l’avons affecté à la tâche de l’horaire de formation des CX. Il a tout gâché et nous étions en situation de difficulté. Nous sommes limités. Salle de clés permanente. Cela touche ensuite les autres postes en rotation avec celui‑là. Il n’existe aucun poste idéal pour lui. Aucune bonne solution. Il a été difficile avec Marla et Jenn aussi parce qu’elles s’occupent de sa situation. Je préférerais de beaucoup qu’il aille ailleurs où on peut prendre des mesures d’adaptation concernant ses limitations. Ces cas de mesures d’adaptation ne sont pas faciles.

[38]  Le courriel a été envoyé après que le fonctionnaire avait déposé son grief, mais selon lui, il indique l’attitude discriminatoire du SCC, en ce sens que la direction ne comprenait pas son état de santé. Il a contesté le fait qu’il avait [traduction] « gâché » la formation. Il avait eu un conflit avec Mme Kavalak concernant la formation, mais à part cet incident, il avait été félicité de son travail.

[39]  La réticence du SCC à trouver un poste dans l’établissement qui répondrait aux besoins du fonctionnaire est illustrée dans un courriel que le sous-commissaire adjoint intérimaire de la région de l’Atlantique a envoyé à M. Morais le 10 décembre 2015. Il se lit en partie comme suit :

[Traduction]

Je comprends notre désir de régler cette affaire, mais dans vos délibérations, il est important que vous teniez compte d’éléments au‑delà de cette affaire. L’orientation que nous adoptons dans ce cas établira le ton pour la région en ce qui concerne les mesures d’adaptation prises à l’égard des CX qui ne peuvent pas avoir de contact avec les détenus. Selon la position que nous avons toujours adoptée dans le passé, lorsqu’une limitation d’aucun contact devient permanente, nos solutions étaient recherchées à l’extérieur des rangs de CX. Nous avons bien réussi jusqu’à présent à assurer cette position et, si nous nous en écartons, nous risquons les débordements de  l’Ontario et de la Colombie‑Britannique qui comptent maintenant un nombre énorme de CX qui n’exécutent pas de véritables tâches de CX tout en touchant leur salaire. Trouvons une solution non CX pour ce monsieur.

[40]  Le fonctionnaire a interjeté appel de la décision de TSNB concernant sa limitation. En fin de compte, l’appel n’a pas été entendu, puisque TSNB avait annulé sa décision après avoir reçu de nouveaux renseignements de la part du psychologue traitant. Dès octobre 2015, Mme Kavalak a posé des questions à Mme Rioux au sujet des conséquences de l’annulation par TSNB de sa décision si le fonctionnaire était déjà affecté à un autre poste de durée indéterminée. Mme Rioux a répondu comme suit : [traduction] « S’il obtient gain de cause dans son appel et que TSNB l’autorise à retourner au travail en tant que CX, oui, nous pourrions envisager son retour en tant que CX. Nous aurions à le faire évaluer afin de déterminer s’il a besoin d’un recyclage ou de suivre un PFC [Programme de formation correctionnelle]. Nous aurions à vérifier auprès de la Dotation pour déterminer comment cela doit être fait. »

[41]  Mme Kavalak a témoigné que c’est ce qui s’est finalement produit, un an plus tard. Le fonctionnaire a été autorisé à reprendre ses fonctions et il l’a fait, à l’aide d’un certain recyclage.

[42]  Le poste d’AIPRP auquel le fonctionnaire avait été affecté en janvier 2016 se trouvait à l’Administration régionale et constituait une affectation temporaire. Ce poste devait durer jusqu’à la fin du mois de mai 2016, mais sa durée aurait pu être prolongée, selon Mme Kavalak. Contrairement au poste de l’horaire de formation, le poste d’AIPRP était financé. Toutefois, il était doté; le fonctionnaire avait simplement remplacé le titulaire pendant une absence prolongée.

[43]  Le fonctionnaire a demandé un congé militaire non payé à compter du début de juin jusqu’à la fin d’août, période pendant laquelle il a offert une formation aux militaires. À la fin de ce congé, il était disposé à retourner au travail; toutefois, la limitation permanente s’appliquait toujours et le SCC n’avait rien à lui offrir. Il a utilisé ses congés annuels en septembre.

[44]  En octobre 2016, grâce à de nouveaux renseignements reçus par le psychologue traitant, TSNB a annulé sa décision et a informé l’employeur qu’à compter d’août 2016, le fonctionnaire était entièrement apte à reprendre ses fonctions d’agent correctionnel, sans aucune limitation, ce qui signifie que le contact avec les détenus était maintenant autorisé. Le fonctionnaire a repris ses fonctions d’agent correctionnel, commençant par un recyclage, le 24 octobre 2016.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[45]  Le fonctionnaire a subi un accident de travail et lorsqu’il a été autorisé à retourner au travail, même s’il avait une limitation, l’employeur avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à son égard au point de lui imposer une contrainte excessive. L’employeur ne s’est pas acquitté de cette obligation.

[46]  Les commentaires discriminatoires faits par plusieurs gestionnaires pendant le retour au travail progressif du fonctionnaire selon lesquels il prenait trop de temps ont démontré un mépris total pour son incapacité. Le TSPT n’est pas surmonté du jour au lendemain. Il faut du temps et il y a des revers. Lorsque le fonctionnaire a déposé son grief, il était au courant de ces commentaires et ils font partie de la discrimination qu’il allègue.

[47]  À compter d’octobre 2015 jusqu’à ce qu’une mesure d’adaptation soit prise à son égard en janvier 2016, le fonctionnaire a dû utiliser ses crédits de congé de maladie. Dans son grief, il a demandé que ces crédits lui soient remis. Ils ont maintenant été remboursés et ne constituent donc plus une question en litige.

[48]  Il reste à déterminer si, d’octobre 2015 à octobre 2016, l’employeur s’est acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation. Dans la négative, le fonctionnaire a droit à des dommages en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6; LCDP).

[49]  L’employeur n’avait aucune compassion à l’égard du retour au travail progressif du fonctionnaire. Il a fait preuve d’un profond manque de compréhension du TSPT et de la façon dont il devrait être traité. Ce manque de compréhension était manifeste lorsque le fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure d’adaptation à l’extérieur de l’établissement à compter de mars 2015 à octobre 2015. L’employeur n’a jamais envisagé la possibilité de l’avoir à l’intérieur de l’établissement en vue de poursuivre le processus de désensibilisation. En fait, l’employeur a ajouté une nouvelle limitation lorsqu’il l’a gardé à l’extérieur de l’établissement.

[50]  En octobre 2015, lorsque TSNB a déclaré que le fonctionnaire avait une limitation permanente, l’employeur a tout simplement mis fin à sa mesure d’adaptation, malgré le fait que le poste continuait d’être utilisé en tant que mesure d’adaptation pour d’autres agents correctionnels. Le fait que le poste a été utilisé à des fins de mesures d’adaptation temporaires et ne pouvait pas continuer d’être utilisé une fois que la limitation du fonctionnaire a été jugée permanente était, à première vue, discriminatoire. Aucune politique ni aucune autorisation ne justifiait la position de l’employeur.

[51]  La position du sous‑commissaire adjoint intérimaire, selon laquelle les postes de CX ne pouvaient pas être modifiés afin de tenir compte de la limitation d’aucun contact, était déraisonnable et injustifiée. Rien dans la limitation ne l’empêchait de travailler à l’intérieur de l’établissement, à condition que le fonctionnaire n’ait pas à intervenir dans des incidents impliquant des détenus. Le poste à la salle de clés et le poste pour contrer le lancement d’objets auraient permis de satisfaire aux exigences, mais le SCC a refusé d’envisager de modifier les rotations afin de permettre au fonctionnaire de travailler à l’intérieur.

[52]  Le fonctionnaire s’est vu refuser les postes dans la salle de clés et dans la tour pour contrer le lancement d’objets (qui avaient été approuvés par TSNB) sans une preuve selon laquelle il ne pouvait pas s’acquitter d’une exigence justifiée ou que l’employeur avait atteint le point de la contrainte excessive. Il a invoqué plusieurs décisions de la Commission dans lesquelles, dans des circonstances semblables, l’employeur avait fait preuve de discrimination lorsqu’il avait omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un travailleur handicapé.

[53]  Dans Ross c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 5, la Commission a conclu que Mme Ross avait été victime de discrimination et lui a accordé une indemnité en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP.

[54]  Mme Ross, une agente correctionnelle, s’est blessée au dos dans un accident de travail. À son retour au travail, elle avait besoin d’une veste de protection ajustée. En attendant une telle veste, elle a été affectée à des tâches de bureau. Entre‑temps, il y a eu beaucoup de va‑et‑vient au sujet de la veste, et le médecin traitant avait ajouté que, tant qu’elle n’en avait pas une, elle ne devrait avoir aucun contact direct ou indirect avec les détenus. L’employeur ne voyait pas quelles mesures d’adaptation prendre à l’égard de Mme Ross. À un moment donné, elle a été escortée à l’extérieur de l’établissement où elle travaillait et son accès a désormais été refusé. Elle a également été forcée de prendre un congé de maladie pour couvrir son salaire.

[55]  La Commission a conclu que Mme Ross n’avait pas reçu une mesure d’adaptation convenable. La question relative à la veste n’a pas été réglée avant des mois, sans preuve que l’employeur avait cherché des fournisseurs ou cherché d’autres solutions de rechange afin de lui permettre de retourner au travail. Il n’a pas non plus demandé d’explications supplémentaires au médecin traitant qui a recommandé qu’elle n’ait aucun contact direct ou indirect avec les détenus. Le fait qu’il n’a pas demandé des renseignements supplémentaires l’a empêché de trouver une solution, comme le travail de bureau. Le fait de l’escorter hors du pénitencier était le comble; cela ne se produisait jamais, sauf en cas de faute grave. La Commission a conclu qu’il n’y avait aucune raison de ne pas continuer d’affecter Mme Ross au poste d’adaptation qu’elle avait occupé pendant quatre mois avant d’être expulsée du lieu de travail.

[56]  En fin de compte, Mme Ross est retournée au travail. Entre‑temps, elle avait été humiliée et le processus de retour au travail avait été inutilement prolongé parce que l’employeur n’avait pas communiqué suffisamment avec elle et son agent négociateur. La somme de 10 000 $ en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP et une autre somme de 10 000 $ en vertu du paragraphe 53(3) lui ont été accordées.

[57]  Dans Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 41, la Commission est également parvenue à une conclusion de discrimination. M. Kirby était un chauffeur pour l’établissement au Pénitencier de Kingston du SCC. En 2005, il a subi une blessure au dos au travail. Une mesure d’adaptation a été prise à son égard en lui demandant seulement d’offrir des services d’accompagnement en tant que chauffeur; la description de travail comprenait également des fonctions de transport de marchandises et des services de messagerie, qu’il ne pouvait plus exercer en raison de sa blessure. La mesure d’adaptation a duré de 2006 à 2009, date à laquelle le SCC a mis fin à celle-ci, malgré l’attestation d’un médecin de Santé Canada selon laquelle la mesure d’adaptation convenait bien à son état.

[58]  M. Kirby a été renvoyé chez lui. Il a utilisé tous ces crédits de congé de maladie et a ensuite touché des prestations d’invalidité qui ont pris fin après deux ans. À l’audience en 2014, il n’était toujours pas retourné au travail. L’arbitre de grief a conclu que le fait de mettre fin à sa mesure d’adaptation constituait une décision arbitraire et il lui a accordé la somme de 10 000 $ pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, ainsi que la somme de 2 500 $ pour le comportement inconsidéré du SCC. L’indemnité pour le comportement inconsidéré était au bas de l’échelle parce que le SCC avait activement cherché d’autres emplois pour M. Kirby. Toutefois, entre‑temps, il n’aurait pas dû mettre fin à la mesure d’adaptation dont M. Kirby avait bénéficié pendant trois ans.

[59]  Dans Duval c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 52, M. Duval a dû attendre quatre mois et demi pour retourner au travail. Pendant cette période, même s’il était apte à travailler, il n’a reçu aucun salaire, parce qu’il ne pouvait pas retourner au travail à son établissement d’attache, ce qui constituait la seule mesure d’adaptation à laquelle l’employeur devait se conformer. La Commission a conclu que le fait de le priver de son droit à un salaire, lorsqu’il était apte à travailler, était discriminatoire. Elle a ordonné le versement de son salaire, ainsi qu’une somme de 5 000 $ à titre d’indemnité en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, mais a refusé d’ordonner des dommages spéciaux en vertu du paragraphe 53(3), puisque le SCC n’a fait preuve d’aucune conduite délibérée ou inconsidérée, malgré le fait que les mesures d’adaptation étaient quelque peu déficientes.

[60]  L’affaire Emard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 66, était semblable en ce sens que la Commission a conclu que le retour au travail de Mme Emard avait été indûment retardé, ce qui lui avait causé beaucoup de stress. Toutefois, le retard était moins important que dans le cas de M. Duval et la Commission a ordonné une indemnité en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP de l’ordre de 3 000 $. Encore une fois, elle a refusé d’accorder des dommages spéciaux en vertu du paragraphe 53(3).

[61]  Dans Hotte c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2016 CRTEFP 122, la Commission a conclu que Mme Hotte avait été victime de discrimination puisque le Conseil du Trésor, l’employeur, n’avait pas déployé des efforts suffisants pour lui trouver un autre poste, étant donné que, selon la mesure d’adaptation précise, elle ne devait pas retourner à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), où elle avait travaillé jusqu’à son congé de maladie prolongée. La Commission a conclu que la GRC n’avait pas déployé des efforts suffisants pour aider Mme Hotte à trouver un autre emploi relevant de la compétence de l’employeur. La Commission a accordé la somme de 15 000 $ pour préjudice moral et de 5 000 $ en dommages spéciaux. Elle a tenu compte du fait que Mme Hotte avait finalement pris sa retraite anticipée et avait donc beaucoup souffert dans le cadre de sa carrière; l’employeur, par son indifférence, avait fait preuve de mépris total pour sa situation.

[62]  En l’espèce, l’employeur a manqué à ses obligations envers le fonctionnaire lorsqu’il n’a pas pris une mesure d’adaptation en l’affectant à un poste significatif de CX. Il ressort clairement du courriel du sous‑commissaire adjoint intérimaire, qui mentionne le risque de débordements en offrant certains postes aux CX ayant une limitation d’aucun contact, qu’un poste de CX était tout simplement hors de question. À l’audience, les témoins de l’employeur ont parlé de la façon dont le moral des employés serait touché par la modification des rotations, mais il n’y avait aucune preuve que la question avait été discutée avec l’agent négociateur. La solution consistant à attribuer certains postes en guise de mesures d’adaptation avait manifestement été utilisée en Colombie‑Britannique et en Ontario, mais la direction à la région de l’Atlantique du SCC avait refusé cette solution; elle ne pouvait pas invoquer une contrainte excessive.

[63]  Le fonctionnaire a subi les conséquences de ne pas avoir fait l’objet d’une mesure d’adaptation convenable. La position d’AIPRP ne pouvait pas l’aider à se réintégrer dans ses fonctions au sein de l’établissement. Il avait donc été privé délibérément de tout poste de CX. Par conséquent, il avait droit à une indemnisation en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP.

B.  Pour l’employeur

[64]  Tout au long de la période concernant l’accident de travail, le retour au travail et le processus lié aux mesures d’adaptation du fonctionnaire, l’employeur a cherché à tenir compte des divers renseignements qu’il a reçus.

[65]  De mars 2011 à janvier 2013, le fonctionnaire était en congé, touchant une rémunération pour accident du travail. De janvier 2013 à janvier 2015, il a effectué un retour au travail lent, tout en touchant quand même une rémunération pour accident du travail, à l’exception des heures qu’il a effectuées pour lesquelles il a été rémunéré. En janvier 2015, après avoir indiqué qu’il n’était pas prêt à intervenir dans des incidents, des fonctions modifiées lui ont été affectées. TSNB a déclaré qu’il ne devrait avoir aucun contact avec les détenus et le fonctionnaire a été affecté à un poste temporaire ne comportant pas un tel contact.

[66]  Une fois que TSNB a déclaré une limitation permanente d’aucun contact avec les détenus, l’employeur devait envisager une mesure d’adaptation permanente. La tendance consistait à chercher des postes non CX, puisque le contact avec les détenus (y compris l’intervention) constitue l’une des principales fonctions d’un agent correctionnel.

[67]  L’employeur a convenu que les commentaires désobligeants au sujet de son retour au travail progressif étaient tout à fait inappropriés. Toutefois, ils ne pouvaient pas être considérés comme faisant partie du grief parce qu’ils ont été formulés un an avant le grief, dans le contexte du retour au travail progressif du fonctionnaire et non dans le cadre du processus de mesures d’adaptation. Le grief portait sur le manque de mesures d’adaptation après octobre 2015, date à laquelle une limite permanente avait été définie.

[68]  L’employeur soutient que le fonctionnaire n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination, car il n’a subi aucun effet négatif de son emploi. Son salaire a été maintenu tout au long de la période en litige et ses crédits de congé de maladie ont été rétablis. Cependant, si la Commission conclut qu’il existe une preuve prima facie de discrimination, l’employeur s’est acquitté de son fardeau en matière de mesures d’adaptation prévues par loi.

[69]  Comme il est indiqué dans Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 97, les employés qui ont besoin d’une mesure d’adaptation ont droit non pas à la mesure d’adaptation qu’ils préfèrent, mais à une mesure d’adaptation raisonnable qui répond à leurs besoins, tel que cela a été déterminé par leurs fournisseurs de soins. L’employeur a le droit de tenir compte des besoins organisationnels.

[70]  Dans Magee c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 1, l’arbitre de grief a examiné l’étendue de la responsabilité du SCC de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un agent correctionnel dont la limitation consistait également à n’avoir aucun contact avec les détenus. L’employeur a fini par prendre une mesure d’adaptation consistant à l’affecter à un poste moyennant un taux de salaire moindre. M. Magee a fait valoir que l’employeur aurait dû prendre une mesure d’adaptation consistant à l’affecter à un poste hybride d’agent correctionnel qui lui aurait permis de maintenir son échelle salariale.

[71]  L’arbitre de grief a conclu que l’employeur n’est pas tenu de « […] modifie[r] les fonctions essentielles ou principales d’un poste […] ». Il a également conclu que le poste d’agent correctionnel comporte nécessairement un contact avec les détenus ou le port d’une arme à feu, ou les deux, et que l’élimination de ces exigences professionnelles, créant ainsi une grave préoccupation en matière de sécurité, entraînerait une contrainte excessive pour l’employeur.

[72]  En l’espèce, le contact avec les détenus constituait une exigence justifiée, puisqu’il constitue l’un des principaux éléments de la description de travail des CX. L’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation devait être examinée sous cet angle. Le fait de trouver un poste ne comportant aucun contact avec les détenus causerait‑il une contrainte excessive pour l’employeur?

[73]  Le regroupement de tâches qui avait servi de mesure d’adaptation pour le fonctionnaire de mars à octobre 2015 n’était pas une solution permanente; il s’agissait d’une solution temporaire souvent utilisée à l’égard de CX qui avaient besoin de mesures d’adaptation temporaires. Sa transformation en une solution permanente ou à long terme aurait créé des problèmes pour l’employeur qui auraient constitué une contrainte excessive.

[74]  L’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’est pas une obligation de modifier les fonctions essentielles d’un poste. L’employeur a invoqué Hydro‑Québec c. Syndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro‑Québec, section locale 2000 (SCFP‑FTQ), 2008 CSC 43 (au paragraphe 16), en déclarant qu’un employeur n’est pas tenu de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé qui n’est pas en mesure d’exercer les fonctions essentielles de son poste. La direction a examiné soigneusement tous les postes disponibles à l’établissement; ils exigeaient tous un contact avec les détenus. Les postes qui pouvaient être envisagés, soit le poste dans la salle de clés et le poste pour contrer le lancement d’objets, étaient des postes de rotation. Les transformer en des postes permanents, compte tenu de l’organisation de l’établissement, aurait créé une contrainte excessive. De plus, même s’ils nécessitent moins de contacts avec les détenus, ces postes comportent toujours la possibilité d’une intervention ou de l’utilisation d’une arme à feu, ce qui, selon le SCC, constituait un risque, étant donné l’état du fonctionnaire.

[75]  L’employeur s’est acquitté de son obligation envers le  fonctionnaire de prendre des mesures d’adaptation en faisant tout son possible pour lui trouver un emploi convenable, tout en tenant compte de ses préoccupations légitimes concernant sa sécurité et celle de l’établissement. La discrimination n’a pas été établie.

C.  Réponse du fonctionnaire s’estimant lésé

[76]  La seule raison pour laquelle le SCC n’a pas envisagé le poste pour contrer le lancement d’objets, que TSNB avait accepté, est que le sous-commissaire adjoint intérimaire ne l’aurait pas permis. Aucun élément de preuve n’a été présenté selon lequel une telle mesure constituait une contrainte excessive ou comportait un risque pour le fonctionnaire ou d’autres personnes.

IV.  Ordonnance de confidentialité

[77]  Le fonctionnaire a demandé que son dossier de TSNB soit scellé. Il contient des renseignements médicaux et personnels. L’employeur ne s’est pas opposé à sa demande.

[78]  La Commission respecte le principe de transparence judiciaire dans le cadre de ses audiences et de ses décisions. Ses dossiers sont accessibles au public. Toutefois, certaines situations justifient une ordonnance de confidentialité. La Commission applique le « critère Dagenais/Mentuck » (voir Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76), qui a été mieux énoncé dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41. Le critère consiste à déterminer s’il existe un intérêt légitime à protéger par une ordonnance de confidentialité et si les effets bénéfiques du maintien de la confidentialité de certains renseignements l’emportent sur les effets préjudiciables de la prévention de l’accès du public aux procédures judiciaires, qui est un droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11.

[79]  En l’espèce, j’estime que les effets bénéfiques de la protection des renseignements personnels et médicaux du fonctionnaire, un intérêt légitime, l’emportent sur tout effet de la prévention de l’accès du public à la procédure. La Commission accorde habituellement des demandes d’ordonnances de confidentialité pour protéger les renseignements médicaux, car la protection de ces renseignements offre un avantage qui l’emporte sur tout inconvénient découlant du fait de les garder confidentiels. Des renseignements suffisants sont fournis dans cette décision pour la rendre transparente et intelligible. Il n’y a aucune raison de porter atteinte aux droits à la vie privée du fonctionnaire. L’ordonnance de mise sous scellés est accordée. Les pages 7 à 42 de la pièce G‑3, registre de TSNB concernant le fonctionnaire, seront scellées.

V.  Analyse

[80]  La discrimination au travail est interdite tant par la convention collective que par la loi, en vertu de la LCDP. Les dispositions législatives pertinentes de la LCDP se lisent comme suit :

[…]

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

[…]

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi

[…]

10 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

[…]

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées […]

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[…]

53 (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[…]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

[…]

[81]  La clause 37.01 de la convention collective se lit comme suit :

37.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé‑e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion au Syndicat ou son activité dans celle‑ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé‑e a été gracié.

[82]  Le fonctionnaire soutient que l’employeur a fait preuve de discrimination contre lui lorsqu’il ne lui a pas offert un emploi convenable au moment où il avait une incapacité, mais en mesure de travailler. L’employeur fait valoir que le fonctionnaire n’a pas établi qu’il a été victime d’une discrimination. Selon le moyen de défense de l’employeur fondé sur l’article 15 de la LCDP, étant donné une exigence professionnelle justifiée, la prise de mesure d’adaptation telle que le fonctionnaire le souhaitait aurait causé une contrainte excessive. L’employeur soutient qu’il a pris des mesures d’adaptation à son égard. Par conséquent, le fonctionnaire n’a droit à aucune indemnisation en vertu de la LCDP, que ce soit pour son préjudice moral ou pour le comportement délibéré et inconsidéré de l’employeur.

[83]  La jurisprudence en matière de discrimination est bien établie. Une conclusion de discrimination se fait en deux étapes. En premier lieu, la personne qui fait l’allégation de discrimination doit établir une preuve prima facie de discrimination; c’est‑à‑dire, la preuve qu’en l’absence d’une réponse de la personne dont on présume qu’elle a fait preuve de discrimination, elle serait suffisante pour permettre de conclure à la discrimination. Une preuve prima facie de discrimination dans le contexte de l’emploi comporte les trois éléments suivants : 1) la personne a une caractéristique protégée contre la discrimination; 2) la personne a subi un effet négatif quant à son emploi; 3) la caractéristique protégée est un facteur (pas nécessairement le seul) de la répercussion négative.

[84]  En réponse à une preuve prima facie, l’employeur peut démontrer que ses actes ne constituaient pas de la discrimination. En l’espèce, comme il a été mentionné plus haut, l’employeur fait valoir que le fonctionnaire n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination puisqu’il n’a subi aucune répercussion négative. Si la Commission conclut qu’il existe une preuve prima facie de discrimination, l’argument de l’employeur est alors qu’il a pris des mesures d’adaptation raisonnables à l’égard du fonctionnaire.

[85]  J’estime que le fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination. Il n’y a aucun doute qu’il a subi un accident de travail, créant ainsi une incapacité, qui est un motif de distinction illicite. Il a subi une répercussion négative sur son emploi, en ce sens que son retour au travail n’était pas simple. D’octobre 2015 à janvier 2016, le fonctionnaire n’était pas autorisé à travailler en tant que CX ou autrement. Même si son salaire a été maintenu pendant cette période et que les crédits de congé de maladie qu’il a utilisés ont été rétablis, cela ne règle pas le fait qu’il n’était pas autorisé à travailler. Lorsqu’il est retourné au travail après cette période, c’était à l’extérieur de l’établissement, ce qui a retardé la capacité du fonctionnaire à surmonter son incapacité et à retourner au travail en tant que CX. Il a de nouveau été maintenu hors du lieu de travail pendant une période en septembre et en octobre 2016. La difficulté qu’éprouvait le fonctionnaire à retourner au travail était liée à la compréhension qu’avait l’employeur de son incapacité.

[86]  Par conséquent, il s’agit de savoir si le fonctionnaire a été victime de discrimination, en ce sens que l’employeur n’a pas établi une exigence professionnelle justifiée et n’a pas pris des mesures d’adaptation à son égard jusqu’au point de la contrainte excessive (voir Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., [1999] 3 R.C.S. 3, au par. 54).

[87]  Les parties ont fourni une jurisprudence considérable à l’appui de leurs positions respectives, telle qu’elle a été présentée antérieurement. Il va sans dire que chaque cas est particulier et il est important de les distinguer en fonction des faits.

[88]  Dans Ross, l’indemnité a été accordée en vertu de la LCDP pour l’humiliation qu’avait subie Mme Ross lorsqu’elle a été exclue de l’établissement sans explication et en raison de la période nécessaire pour mettre en œuvre la mesure d’adaptation. Dans Kirby, l’arbitre de grief a conclu que M. Kirby avait subi un stress considérable et que l’employeur n’avait pas donné une bonne raison pour laquelle la mesure d’adaptation qui avait duré trois ans ne pouvait pas continuer. Encore une fois, une indemnité a été accordée en vertu de la LCDP.

[89]  L’employeur a demandé un contrôle judiciaire de Duval (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290 (« Duval (CAF) ») et a obtenu gain de cause. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il avait été déraisonnable pour la Commission de conclure que M. Duval avait droit à son salaire simplement parce qu’il était apte au travail; l’employeur devait lui trouver un poste avant que son salaire ne soit payé. De plus, il était déraisonnable pour la Commission de conclure que la procédure suivie par l’employeur pour trouver un poste pour M. Duval a constitué un défaut de prendre des mesures d’adaptation. Il n’existe aucune procédure appropriée en tant que telle; la question de savoir si l’employeur a pris des mesures d’adaptation à l’égard d’une personne dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive est une question de fait.

[90]  Dans Hotte, la Commission a conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de Mme Hotte et que, par conséquent, elle avait subi des dommages irréparables lorsqu’elle a été forcée à prendre une retraite anticipée. Cela a justifié l’octroi d’une indemnité pour préjudice moral selon la tranche supérieure.

[91]  Le processus de prise de mesures d’adaptation dépend fortement des faits, comme la Cour d’appel fédérale l’a souligné dans Duval (CAF). En l’espèce, l’employeur avait de sérieuses réserves à adapter un poste d’agent correctionnel pour le fonctionnaire, étant donné la limitation prescrite par TSNB, notamment aucun contact direct avec les détenus, ce qui a été clarifié comme n’étant pas en position d’autorité ou n’ayant pas à intervenir. Cela fait toutefois partie intégrante des fonctions d’un agent correctionnel. Je ne peux reprocher à l’employeur le fait qu’il a été réticent à modifier les rotations afin de permettre au fonctionnaire d’occuper certains postes à faible risque. Je peux comprendre le raisonnement de l’employeur selon lequel ces rotations sont importantes aussi pour les autres agents correctionnels. De plus, dans un milieu carcéral, il est irréaliste de croire qu’il n’y aura jamais besoin d’intervention dans le cadre du poste d’agent correctionnel. Selon la preuve, même les postes qui ont été envisagés, comme le poste dans la salle de clé et le poste pour contrer le lancement d’objets, nécessitent le port d’une arme; en d’autres termes, dans ces postes, un agent correctionnel peut avoir à intervenir dans un incident et se défendre ou défendre d’autres personnes. Je conclus que l’employeur a établi que l’exigence de contact avec les détenus et d’intervention est liée, à juste titre, aux fonctions d’un agent correctionnel. La Commission est parvenue à une conclusion semblable dans Magee et Sioui c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 44.

[92]  Le fonctionnaire a soutenu que l’interaction avec les détenus ne constituait pas une exigence justifiée du poste, étant donné qu’il semble (d’après un courriel) que les agents correctionnels avaient fait l’objet de mesures d’adaptation dans d’autres régions qui consistaient à exécuter seulement une partie de leurs fonctions, afin d’éviter le contact avec les détenus.

[93]  Je n’ai pas reçu suffisamment de renseignements sur la situation dans d’autres établissements pour que cet argument me guide. Je disposais d’éléments de preuve concernant la région de l’Atlantique du SCC, qui indique clairement que la direction était réticente à adapter le poste d’agent correctionnel en fonction d’une limitation d’aucun contact. Il me semble que les motifs de l’employeur n’étaient pas futiles ou arbitraires, mais plutôt fondés sur son organisation du travail. De plus, les préoccupations en matière de sécurité étaient réelles. Si, en raison de son incapacité, le fonctionnaire ne pouvait pas intervenir dans une situation impliquant des détenus, il n’était pas déraisonnable de dire qu’il ne pouvait pas occuper un poste comportant cette possibilité. Je suis d’accord pour dire qu’il s’agissait d’une contrainte excessive pour l’employeur d’essayer de créer un poste d’agent correctionnel qui ne comprenait pas les fonctions essentielles d’un agent correctionnel.

[94]  De plus, et c’est ce qui distingue l’espèce de la jurisprudence dans laquelle la discrimination a été constatée (voir Kirby, Hotte et Ross), le fonctionnaire a connu des périodes relativement courtes pendant lesquelles il ne pouvait pas travailler. De plus, l’employeur a fait des efforts légitimes pour lui trouver un poste approprié.

[95]  À l’audience, le fonctionnaire a déclaré qu’il avait été remboursé de tous les crédits de congé qu’il avait dû utiliser pour couvrir la période pendant laquelle aucun travail ne lui avait été affecté.

[96]  Le fonctionnaire a eu deux périodes, d’octobre 2015 à la mi‑janvier 2016, et encore, en septembre et en octobre 2016, pendant lesquelles il n’a pas travaillé, faute d’un poste en guise de mesure d’adaptation. Il a utilisé ses crédits de congé pendant ces périodes. Ses crédits de congé de maladie lui ont été remboursés.

[97]  En octobre 2015, lorsque l’employeur a appris que la limitation du fonctionnaire était permanente, il a cherché une mesure d’adaptation permanente. Le poste concernant l’horaire de formation constituait une mesure d’adaptation temporaire et était utilisé à des fins temporaires. Je ne conclus pas qu’il était déraisonnable pour l’employeur de modifier la mesure d’adaptation une fois que de nouveaux renseignements ont été reçus; en l’espèce, il estimait que sa limitation était permanente. Le fonctionnaire ne souscrivait pas à cette limitation, mais je ne vois pas comment l’employeur peut être tenu de l’écouter plutôt que TSNB, l’organisme chargé d’assurer la sécurité des travailleurs.

[98]  L’employeur a fait de sérieuses tentatives pour trouver un autre travail pour le fonctionnaire, en respectant les paramètres de sa limitation, et en fait, il lui a trouvé un poste en janvier 2016.

[99]  Une fois confirmé qu’il pouvait retourner au travail sans limitation en octobre 2016, l’employeur a organisé son retour.

[100]  Je conclus que l’employeur s’est acquitté entièrement de son obligation de prendre des mesures d’adaptation lorsqu’il a cherché des postes pour le fonctionnaire et lorsqu’il lui a donné l’affectation d’AIPRP. Je ne doute pas du fait que le fonctionnaire a vécu une période stressante après que l’employeur a appris en octobre 2015 que sa limitation d’aucun contact avec les détenus était permanente. Il n’y souscrivait pas et cette décision a finalement été annulée. Toutefois, son stress ne constitue pas une raison suffisante pour conclure que l’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation à son égard. La norme est une mesure d’adaptation raisonnable et non une mesure d’adaptation parfaite. Dans ces circonstances, je conclus que l’employeur a pris des mesures d’adaptation raisonnables à l’égard du fonctionnaire.

[101]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI.  Ordonnance

[102]  Les pages 7 à 47 de la pièce G‑3 sont mises sous scellés.

[103]  Le grief est rejeté.

Le 29 avril 2020.

Traduction de la CRTESPF

Marie‑Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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