Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante avait été en congé de maladie pendant plusieurs mois et était sur le point de retourner au travail – durant son congé, le Ministère avait suspendu son laissez‑passer – elle avait demandé qu’il soit réactivé avant son retour au travail – le Ministère lui avait répondu qu’il le réactiverait seulement lorsqu’elle serait retournée au travail – durant leurs échanges, elle a dit au Ministère qu’elle avait besoin que le laissez‑passer soit réactivé avant son retour au travail afin qu’elle puisse assister à un déjeuner organisé par l’Association professionnelle des agents du service extérieur (APASE) – le Ministère n’a pas réactivé le laissez-passer – l’APASE a déposé une plainte de pratique déloyale de travail en ce qui concerne cette question, mais a plus tard retiré sa représentation – le défendeur a alors soutenu que la plaignante n’avait pas qualité pour se représenter elle‑même dans cette plainte devant la Commission – la formation de la Commission a reconnu qu’elle n’avait pas qualité pour déposer cette plainte de pratique déloyale de travail devant elle et elle a rejeté la plainte pour ce motif – la formation de la Commission a confirmé que seuls les agents négociateurs et les organisations syndicales sont autorisés à déposer une telle plainte de pratique déloyale de travail.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20200507

Dossier : 561-02-39209

 

Référence : 2020 CRTESPF 48

 

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Brigette Walenius

plaignante

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement)

 

défendeur

Répertorié

Walenius c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement)

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant :  David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante :    Elle‑même

Pour le défendeur :  Josh Alcock, avocat

 

 

Décision rendue sur la base d’arguments écrits déposés les 6 novembre 2018,

le 11 septembre, le 7 octobre et le 15 novembre 2019 et le 18 février 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉcision

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Introduction

[1]  La question soulevée dans la présente plainte vise à déterminer si le défendeur s’est livré à une pratique déloyale de travail en omettant de réactiver le laissez‑passer de la plaignante avant un déjeuner parrainé par l’agent négociateur le 11 septembre 2018.

[2]  Le déjeuner était parrainé par l’Association professionnelle des agents du service extérieur (APASE), qui est l’agent négociateur des fonctionnaires faisant partie de l’unité de négociation Service extérieur (FS) au Conseil du Trésor (le « défendeur »). Brigette Walenius (la « plaignante ») est membre de cette unité de négociation. Elle travaille au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, aujourd’hui communément connu sous le nom d’Affaires mondiales Canada (« AMC » ou le « Ministère »). Le déjeuner avait lieu au 125, promenade Sussex, à Ottawa, en Ontario, où se trouve le siège social d’AMC.

[3]  Avant le déjeuner, Mme Walenius avait été en congé de maladie pendant plusieurs mois et était sur le point de retourner au travail. Durant son congé, le Ministère avait suspendu son laissez‑passer. Mme Walenius avait demandé qu’il soit réactivé avant son retour au travail. Le Ministère lui avait répondu qu’il réactiverait le laissez‑passer une fois qu’elle serait réellement retournée au travail seulement. Durant ces échanges, qui ont eu lieu par courriel, Mme Walenius a affirmé qu’elle avait aussi besoin que le laissez‑passer soit réactivé afin d’assister au déjeuner de l’APASE.

[4]  L’APASE, qui aidait Mme Walenius dans le cadre de son retour au travail, a communiqué avec des représentants du Ministère avant le déjeuner de l’APASE et a affirmé qu’elle considèrerait l’omission de réactiver le laissez-passer de Mme Walenius comme étant une pratique déloyale de travail.

[5]  Le Ministère n’a pas réactivé le laissez‑passer de Mme Walenius. Cependant, le défendeur a nié que cette décision empêchait la plaignante d’assister au déjeuner de l’APASE. Il a soutenu que Mme Walenius aurait pu avoir accès au déjeuner en utilisant un laissez‑passer temporaire ou de visiteur.

[6]  L’APASE a initialement déposé la présente plainte le 1er octobre 2018. Les parties et la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») ont échangé de la correspondance pendant plusieurs mois au sujet des arguments soumis à l’égard de la plainte. En juillet 2019, l’APASE a retiré sa représentation et, en même temps, la plaignante a indiqué qu’elle se représenterait elle‑même. Par la suite, la plaignante a également fourni des précisions supplémentaires sur la nature de la plainte, spécifiant qu’elle l’avait présentée à la fois au titre du paragraphe 186(1) et de l’alinéa 186(2)a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, article 2; la « Loi »).

[7]  La Commission a ensuite enjoint les parties à présenter des arguments écrits concernant la plainte.

[8]  Dans le cadre de ce processus, le défendeur a soutenu que Mme Walenius n’a pas qualité pour se représenter elle‑même dans la présente plainte devant la Commission. Le défendeur a cité une jurisprudence dans laquelle il avait été conclu que seuls les agents négociateurs ont qualité pour porter plainte en vertu du paragraphe 186(1). En ce qui concerne les allégations faites au titre du paragraphe 186(2), le défendeur a contesté le fait que la plaignante ait ajouté des allégations à la plainte en juillet 2019, soit neuf mois après son dépôt, en se fondant sur des événements survenus en juin 2019.

[9]  La plaignante a eu la possibilité de présenter des arguments écrits en réponse aux objections du défendeur.

[10]  Dans les motifs énoncés ci‑après, j’estime que la question déterminante dans la présente plainte est celle de savoir si Mme Walenius avait qualité pour présenter la présente plainte de pratique déloyale de travail devant la Commission. Pour les motifs énoncés ci‑après, j’estime que les objections du défendeur sont justifiées et je conclus que Mme Walenius n’avait pas cette qualité. Par conséquent, la plainte est rejetée.

[11]  Je souligne que, durant le processus de correspondance et de présentation des arguments, la plaignante et le défendeur ont tous deux fourni beaucoup de précisions à la Commission au sujet de la situation d’emploi de Mme Walenius. Ils ont aussi signalé que celle‑ci a d’autres griefs en cours devant la Commission, ou à l’étape de la procédure interne de règlement des griefs. Je ne suis pas saisi de ces autres affaires. Une bonne partie des renseignements contextuels que les parties ont fournis peuvent chevaucher des questions soulevées dans ces autres procédures. En vue de ne pas compromettre ces autres griefs, je signale uniquement dans les présents motifs les faits que j’estime nécessaires pour rendre la décision relative à la présente plainte.

II.  Plainte devant la Commission et résumé de la preuve

[12]  La plainte, qui a été reçue à la Commission le 1er octobre 2018, est ainsi rédigée : [traduction] « M. Philip Pinnington, directeur général à AMC, a refusé de réactiver mon laissez‑passer afin de me permettre de participer à un évènement syndical au 125, promenade Sussex, le 11 septembre 2018 ». La plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi, qui indique en partie ce qui suit :

Plaintes

 

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

[13]  L’article 185 de la Loi est ainsi rédigé :

Définition de pratiques déloyales

185 Dans la présente section, pratiques déloyales s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[14]  À cette étape, la plainte ne précisait pas quelles dispositions de l’article 185 le défendeur était présumé avoir enfreintes.

[15]  Le défendeur a présenté sa réponse initiale à la plainte le 6 novembre 2018. Il a fourni des précisions contextuelles et factuelles liées à la situation, a soutenu que la plainte était dénuée de contenu, puis a affirmé que la plaignante n’avait pas présenté une cause défendable de pratique déloyale de travail en vertu de la Loi. Il a fait valoir que la plainte était futile et frivole et a demandé à la Commission de la rejeter de façon sommaire, ou bien de trancher l’affaire sans tenir d’audience.

[16]  Conformément à la pratique courante, la Commission a ensuite demandé à la plaignante de répondre aux arguments du défendeur et a fixé une date limite au 23 novembre 2018. Sur une période de plusieurs mois, soit de novembre 2018 à juin 2019, la plaignante a présenté cinq demandes de prorogation de ce délai. Chacune des demandes indiquait que la plaignante attendait des documents qui avaient été demandés dans le cadre du processus d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (AIPRP). Les deux premières demandes ont été présentées par un représentant du personnel de l’APASE; la plaignante a présenté les trois dernières.

[17]  La Commission a accordé les quatre premières demandes de prorogation. Toutefois, en réponse à la cinquième, le 24 juin 2019, la Commission a ordonné à Mme Walenius ou à l’APASE de répondre à quelques questions au sujet de la plainte. La première question visait à déterminer si l’APASE représentait la plaignante et, dans l’affirmative, à confirmer le nom du représentant. La deuxième visait à déterminer les dispositions précises de la Loi que le défendeur était présumé avoir enfreintes. Les troisième et quatrième questions visaient à obtenir des précisions sur les documents que Mme Walenius avait demandés dans le cadre du processus d’AIPRP.

[18]  Le 15 juillet 2019, la plaignante a écrit qu’elle se représenterait elle‑même. À cette même date, l’APASE a écrit à la Commission et a confirmé qu’elle retirait sa représentation à l’égard de la plainte.

[19]  Parallèlement, Mme Walenius a fourni des précisions supplémentaires au sujet de sa plainte et a cité les deux dispositions particulières de la Loi que le défendeur avait enfreintes, selon ses allégations. La première disposition était le paragraphe 186(1), qui interdit à l’employeur de participer à l’administration d’une organisation syndicale, ce que l’employeur a fait compte tenu de l’impossibilité de la plaignante d’assister au déjeuner‑causerie de l’APASE le 11 septembre 2018. La deuxième disposition citée était l’alinéa 186(2)a), qui interdit la prise de mesures disciplinaires à l’égard d’un fonctionnaire pour avoir adhéré à une organisation syndicale ou la prise d’autres mesures en vertu de la Loi. La plaignante a fait la deuxième allégation en s’appuyant sur une suspension disciplinaire de cinq jours que son employeur lui avait imposée en juin 2019.

[20]  Dans cette même correspondance, la plaignante donnait aussi des précisions sur les documents qu’elle avait demandés dans le cadre de la demande d’AIPRP. En se fondant sur ses réponses, la Commission a conclu que les demandes d’AIPRP de la plaignante allaient bien au‑delà de ce qu’il était permis d’estimer pertinent à la plainte. La Commission a accordé à la plaignante  jusqu’au 11 septembre 2019, afin de préparer sa réponse à la lettre du défendeur datée du 6 novembre 2018.

[21]  Après avoir reçu la réponse de la plaignante, le défendeur a présenté une autre réplique, en date du 7 octobre 2019.

[22]  Sur la base de ces arguments, les faits pertinents énoncés ci‑après ne semblent pas contestés :

  • a) Mme Walenius est à l’emploi d’AMC en qualité de gestionnaire dans la catégorie FS.

  • b) En janvier 2018, elle a entamé un congé pour des raisons médicales.

  • c) En juin 2018, son laissez‑passer a été suspendu. En guise de justification, le Ministère a déclaré que Mme Walenius était entrée dans le bureau après les heures de travail. Elle a été avisée que, si elle avait besoin d’entrer dans le bureau, elle pouvait prendre les dispositions nécessaires pour obtenir un laissez‑passer de visiteur.

  • d) Mme Walenius devait retourner au travail le 4 septembre 2018.

  • e) À la fin août, elle a demandé au Ministère de réactiver son laissez‑passer. Le Ministère a répondu que son accès serait réactivé une fois qu’elle serait revenue au travail. Mme Walenius n’est pas retournée au travail le 4 septembre, parce qu’elle était en pourparlers avec le Ministère au sujet des dispositions de retour au travail.

  • f) Mme Walenius s’est rendue au 125, promenade Sussex, le 11 septembre 2018, et son laissez‑passer n’a pas fonctionné, après quoi elle a quitté les lieux et a communiqué avec son représentant de l’APASE.

  • g) Mme Walenius est retournée au travail vers le milieu ou la fin d’octobre 2018.

[23]  La plaignante a fait valoir qu’elle avait présenté de multiples demandes sur plusieurs jours afin que son laissez‑passer soit réactivé et qu’elle puisse assister au déjeuner de l’APASE. Elle a maintenu que le Ministère aurait pu lui envoyer un courriel afin qu’elle prenne les dispositions nécessaires pour obtenir un laissez‑passer de visiteur ou faire réactiver son laissez‑passer.

[24]   Le défendeur a soutenu que Mme Walenius n’avait pas présenté [traduction] « de multiples demandes cinq jours à l’avance ». Il a aussi soutenu que la question du déjeuner de l’APASE n’avait été soulevée auprès de lui que le vendredi 7 septembre 2018, dans le contexte d’un échange au sujet du retour au travail. Le défendeur a maintenu qu’AMC avait présenté à Mme Walenius diverses options pour avoir accès à des évènements tels que le déjeuner de l’APASE, notamment demander  un laissez‑passer temporaire de visiteur au bureau des commissionnaires au 125, promenade Sussex.

[25]  Après avoir examiné cette correspondance, et en vertu de l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, article 365), la Commission a décidé de ne pas tenir d’audience. Elle a offert aux parties la possibilité de présenter des arguments écrits concernant la plainte. Le défendeur a présenté ses arguments finaux le 15 novembre 2019. Après avoir soumis une demande de documents que le défendeur s’est engagé à satisfaire volontairement, Mme Walenius a présenté ses arguments finaux le 18 février 2020.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour le défendeur

[26]  En ce qui concerne l’allégation faite en vertu du paragraphe 186(1) de la Loi, le défendeur a soutenu que seul un agent négociateur ou son représentant autorisé a qualité pour présenter une plainte. Bien que l’agent négociateur ait initialement formulé la plainte en octobre 2018, il s’est retiré de la procédure en juillet 2019. En l’absence de son soutien permanent, la plaignante ne pouvait pas aller de l’avant avec la plainte par elle‑même. À l’appui de cette proposition, le défendeur a cité Bernard c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTEFP 46 (« Bernard 2017 »), aux paragraphes 73 et 78, et Bialy c. Heavens, 2011 CRTFP 101, aux paragraphes 26 à 29.

[27]  Subsidiairement, le défendeur soutient que les allégations concernant le déjeuner-causerie n’atteignent pas le niveau d’une pratique déloyale de travail. La convention collective comprend des dispositions qui traitent des droits d’un agent négociateur à utiliser les installations de l’employeur pour communiquer avec ses membres. L’invocation du paragraphe 186(1) pour conclure à un droit d’assister à un déjeuner-causerie, pendant un congé de maladie, aurait pour effet de rendre théorique la disposition de la convention collective négociée. Le défendeur a soutenu que le paragraphe 186(1) a pour objectif de mettre les parties sur [traduction] « un pied d’égalité » dans le cadre du processus de négociation collective, citant Canada (Procureur général) c. Canada (Alliance de la Fonction publique), 2017 CAF 208, aux paragraphes 13, 14, 16 et 17, et Bernard c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 13, aux paragraphes 24, 25, 27 et 28. Le défendeur a soutenu qu’on ne peut affirmer qu’il était nécessaire de réactiver le laissez‑passer de la plaignante afin qu’elle assiste au déjeuner de l’APASE pour s’assurer que l’agent négociateur était sur un pied d’égalité avec l’employeur.

[28]  En ce qui concerne l’allégation de la plaignante en vertu de l’alinéa 186(2)a) de la Loi, le défendeur a soutenu que la plaignante ne devrait pas être autorisée à ajouter un nouveau motif à la plainte en fonction d’un fait qui est survenu plusieurs mois après le dépôt de la plainte (la suspension disciplinaire de juin 2019). Cela aurait pour effet de modifier fondamentalement la nature même de la plainte, qui portait sur la réactivation d’un laissez‑passer afin d’assister à la réunion de l’agent négociateur. L’ajout de cette nouvelle allégation à la présente étape tardive serait hautement préjudiciable au défendeur. En dernier lieu, le défendeur a soutenu qu’il serait préférable de trancher les allégations concernant cette suspension dans le cadre d’une procédure distincte. Étant donné qu’un grief distinct a déjà été déposé et que les faits ne semblent pas être les mêmes que ceux de la présente plainte, il n’y a aucune raison de combiner ces questions. Le défendeur a soutenu que la plaignante ne subirait aucun préjudice par suite d’une décision d’exclure cette question de la présente procédure, puisqu’elle est en mesure de poursuivre son grief.

B.  Pour la plaignante

[29]  La plaignante a soutenu que la présente plainte avait initialement été présentée par son agent négociateur, l’APASE. Celle‑ci a retiré sa représentation dans le cadre de la présente plainte afin de se concentrer sur d’autres griefs que le comportement du défendeur la forçait à gérer. Le défendeur ne pouvait pas commettre de multiples violations, surcharger l’agent négociateur, puis prétendre que la plaignante n’est pas autorisée à se représenter elle‑même.

[30]  En second lieu, le site Web de la Commission contenait des directives à l’intention des personnes qui se représentent elles‑mêmes, lesquelles indiquaient expressément ce qui suit : « Les plaignants qui souhaitent déposer […] une plainte fondée sur l’article 190 de la LRTSPF peuvent se représenter eux‑mêmes, sans l’aide d’un agent négociateur ni d’un avocat ». La plaignante a soutenu que si le site Web de la Commission comporte une erreur quelconque, [traduction] « la doctrine des attentes » s’appliquerait donc et elle devrait avoir le droit de faire entendre l’affaire sur le fond.

[31]  La plaignante a soutenu que les actes du défendeur avaient été commis dans un contexte où elle avait évoqué à l’interne des problèmes de gestion des ressources humaines au sein du Ministère. En conséquence, elle s’était retrouvée, de manière intermittente, en congé lié au stress entre mai et décembre 2017. En janvier 2018, elle s’était fracturé le poignet et avait entamé un congé de maladie prolongé qui s’était poursuivi pendant la majeure partie de cette même année. En juin 2018, le Ministère a annulé le laissez‑passer de la plaignante, ce qui, selon cette dernière, a été fait à l’initiative d’un agent des relations de travail du Ministère. La plaignante devait retourner au travail le 4 septembre 2018, et son laissez‑passer aurait dû être réactivé ce jour‑là. Même si son retour a été retardé parce que ses tâches faisaient l’objet d’une discussion, le Ministère n’aurait pas dû reporter la réactivation de son laissez‑passer.

[32]  La plaignante a aussi demandé expressément au directeur des Ressources humaines de réactiver son laissez‑passer afin qu’elle puisse assister à la réunion de l’APASE. Un seul courriel adressé au bureau des laissez‑passer aurait suffi pour réactivé son laissez-passer ou lui délivrer proactivement un laissez‑passer de visiteur. Elle n’aurait pas dû être forcée de demander un laissez‑passer de visiteur auprès de son gestionnaire antérieur, duquel elle avait été séparée pour des raisons médicales. Les actes du défendeur, qui lui a refusé la participation à la réunion de l’agent négociateur en omettant de réactivé son laissez‑passer alors qu’il aurait pu le faire, étaient délibérés.

[33]  En ce qui concerne les allégations de la plaignante en vertu de l’alinéa 186(2)a), elles ne pouvaient être ajoutées que par la suite,  puisque les faits sont survenus après le dépôt de la plainte. Le 3 décembre 2018, le directeur des Ressources humaines du défendeur lui a adressé une lettre de cinq pages faisant état de sa conduite répréhensible, qui a été suivie en juin 2019 d’une lettre faisant état de la suspension de cinq jours. La plaignante a souligné que ces actes avaient été commis après le dépôt de la plainte.

[34]  La plaignante n’a présenté aucune réplique précise à la jurisprudence citée par le défendeur concernant le paragraphe 186(1).

[35]  Tout en reconnaissant qu’elle avait déposé un grief relativement à la suspension de cinq jours imposée en juin 2019, la plaignante n’a pas répliqué à l’argument du défendeur selon lequel la procédure de règlement des griefs est le lieu le plus approprié pour contester la suspension.

[36]  La plaignante a aussi soutenu que le défendeur n’avait pas produit tous les documents pertinents à la présente plainte et avait induit la Commission en erreur en indiquant que la plaignante avait déjà reçu les documents pertinents dans le cadre du processus d’AIPRP.

IV.  Motifs

[37]  Durant l’argumentation, la plaignante a allégué que le défendeur s’était livré à des pratiques déloyales de travail en violation de deux articles de la Loi.

A.  L’allégation en vertu du paragraphe 186(1)

[38]  La première allégation a été présentée en vertu du paragraphe 186(1) de la Loi, qui est ainsi rédigé :

Pratiques déloyales par l’employeur

186 (1) Il est interdit à l’employeur ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, à l’officier, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, ou à la personne qui occupe un poste détenu par un tel officier, qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci;

b) de faire des distinctions illicites à l’égard de toute organisation syndicale.

 

[39]  La jurisprudence citée par le défendeur est claire. Dans Bernard 2017, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) a clairement déclaré que l’alinéa 186(1)a) vise à protéger les intérêts des agents négociateurs et qu’« […] une plainte présentée en vertu de cette disposition de la Loi peut uniquement être déposée par l’agent négociateur ou son représentant dûment autorisé » (au paragraphe 73).

[40]  Bien que l’APASE ait présenté la plainte initiale, elle a clairement retiré sa représentation le 15 juillet 2019. À partir de ce moment‑là, Mme Walenius a cherché à se représenter elle‑même.

[41]  Je ne vois aucune raison de déroger aux conclusions énoncées par la CRTEFP dans Bernard 2017, ni à celles que la Commission des relations de travail dans la fonction publique a formulées dans Bialy, où la Commission avait sondé la jurisprudence antérieure et conclu que « […] seuls une organisation syndicale ou un représentant dûment nommé peut déposer une plainte pour violation des interdictions exposées à l’alinéa 186(1)a) de la nouvelle Loi » (au paragraphe 16).

[42]  Je souligne qu’au moment de la rédaction, le site Web de la Commission contenait les renseignements destinés aux fonctionnaires qui se représentent eux‑mêmes qu’a cités la plaignante. Plus particulièrement, en réponse à la question « Puis-je assurer seul ma représentation? », le site fournissait la réponse à laquelle Mme Walenius a fait renvoi : « Les plaignants qui souhaitent déposer devant la CRTESPF une plainte fondée sur l’article 190 de la LRTSPF peuvent se représenter eux-mêmes, sans l’aide d’un agent négociateur ni d’un avocat ».

[43]  Sept catégories de plaintes (alinéas a) à g)) peuvent être déposées en vertu de l’article 190 de la Loi, l’alinéa 190g) renvoyant à son tour à l’article 185, qui énumère cinq pratiques déloyales différentes, notamment « […] tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1) ».

[44]  La grande majorité des plaintes présentées au titre de l’alinéa 190g) qu’a reçues la Commission portent sur les articles 187 (qui prévoit le devoir de représentation équitable) et 188 (qui prévoit diverses interdictions régissant les organisations syndicales). Il est fréquent que des personnes se représentent elles‑mêmes dans ces affaires. Les lignes directrices de la Commission destinées aux personnes qui cherchent à se représenter elles‑mêmes à l’égard d’une plainte présentée au titre de l’article 190 doivent être lues dans ce contexte.

[45]  Les lignes directrices affichées sur le site Web de la Commission ne peuvent pas être invoquées afin de l’emporter sur la jurisprudence bien établie de la Commission concernant le paragraphe 186(1). Cela dit, le site devrait être revu afin de fournir des renseignements plus précis quant aux plaintes déposées en vertu de l’article 190 que les fonctionnaires à titre individuel peuvent porter ou non.

[46]  La plaignante n’a pas précisé son argument selon lequel la [traduction] « doctrine des attentes » devrait s’appliquer, compte tenu du contenu du site Web de la Commission. Je n’ai été saisi d’aucune preuve laissant croire que l’APASE avait retiré sa représentation en raison du texte affiché sur le site Web. Dans sa correspondance adressée à la Commission le 15 juillet 2019, la plaignante expliquait que l’APASE [traduction] « porterait toute son attention » sur ses griefs.

[47]  En résumé, je conclus que Mme Walenius n’avait pas qualité pour présenter une plainte en vertu du paragraphe 186(1) de la Loi.

[48]  Compte tenu de cette conclusion, je ne vois aucune raison d’examiner en détail les spécificités de l’affaire. Cependant, je dirai néanmoins que ni les 12 documents soumis par la plaignante ni l’exposé des faits qu’elle a évoqué dans ses arguments n’établissent une intention de la part du défendeur d’intervenir dans l’administration de l’APASE en omettant de réactiver le laissez‑passer de la plaignante. L’exposé des faits et les documents fournis dévoilent l’existence d’un différend entre Mme Walenius et son employeur à l’égard de plusieurs autres questions, notamment les détails entourant le retour au travail de la plaignante en septembre 2018. L’incapacité de la plaignante d’obtenir la réactivation de son laissez‑passer avant le déjeuner‑causerie du 11 septembre 2018 était clairement liée à ces autres différends. Par conséquent, même si j’avais tort de conclure que la plaignante n’a pas qualité pour se représenter elle‑même dans la présente plainte, j’estimerais que le défendeur ne s’est pas livré à une pratique déloyale de travail.

B.  L’allégation en vertu de l’alinéa 186(2)a)

[49]  Dans sa correspondance adressée à la Commission datée du 15 juillet 2019, ainsi que dans les arguments qu’elle a présentés subséquemment, la plaignante a aussi allégué la violation de l’alinéa 186(2)a) en se fondant sur la suspension sans solde que l’employeur lui a imposée en juin 2019. Ce paragraphe de la Loi est ainsi rédigé :

Pratiques déloyales par l’employeur

186 (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, à l’officier, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ou à la personne qui occupe un poste détenu par un tel officier, qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, de la licencier par mesure d’économie ou d’efficacité à la Gendarmerie royale du Canada ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

(ii) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à toute procédure prévue par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1, ou pourrait le faire,

(iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie ou de la section 1 de la partie 2.1, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1,

(iv)  elle a exercé tout droit prévu par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1 ; […]

 

[50]  La plaignante a soutenu qu’après le dépôt de la présente plainte en octobre 2018, l’employeur a émis en décembre 2018 la lettre de cinq pages l’accusant de conduite répréhensible et que, en juin 2019, il lui a imposé la suspension de cinq jours pour ladite conduite répréhensible.

[51]  Le défendeur a soutenu que la Commission ne devrait pas permettre à la plaignante d’ajouter des allégations à sa plainte qu’elle a déposée le 1er octobre 2018, en raison d’une suspension de cinq jours qui a été imposée en juin 2019. Le défendeur a fait valoir qu’il n’y avait aucun chevauchement entre les événements mettant en cause le laissez‑passer et ceux qui ont mené à la suspension, et qu’il n’existait aucune raison pratique de combiner ces questions. Le défendeur a soutenu en outre que la proposition de la plaignante de modifier la plainte altérerait fondamentalement sa nature en introduisant un élément entièrement nouveau, celui de la mesure disciplinaire en guise de représailles. Quoi qu’il en soit, étant donné qu’un grief a déjà été présenté contre la suspension, la plaignante ne subirait aucun préjudice par suite de l’exclusion de la suspension du champ d’application de la présente procédure.

[52]  La plaignante a présenté des arguments étoffés au sujet de sa carrière à AMC, de son rôle de gestionnaire et du fait qu’elle avait formulé des allégations sur la piètre gestion des ressources humaines à AMC. Elle s’est décrite comme étant une lanceuse d’alerte et a affirmé que son employeur avait brandi la menace d’une mesure disciplinaire, ce qui l’avait amenée à prendre un congé de maladie. Cependant, la plaignante n’a fait qu’alléguer l’existence d’un lien entre le dépôt de sa plainte en octobre 2018 et la mesure disciplinaire prise en juin 2019. Elle n’a présenté ni la lettre de cinq pages en date de décembre 2018, ni la lettre faisant état de la mesure disciplinaire prise en juin 2019 en guise de documents à l’appui de ses arguments.

[53]  J’estime qu’il n’y a aucune raison d’autoriser la plaignante à modifier sa plainte pour y ajouter des allégations selon lesquelles elle a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir présenté cette plainte, au motif qu’une mesure disciplinaire lui a été imposée huit mois après le dépôt de la plainte. La plaignante n’a produit aucune preuve pouvant confirmer, même en y prêtant foi d’emblée, l’argument selon lequel la mesure disciplinaire prise en juin 2019 était une mesure de représailles pour avoir déposé la présente plainte.

[54]  Je conviens avec le défendeur qu’étant donné que Mme Walenius a déposé un grief contre la suspension de cinq jours, elle ne subira aucun préjudice par suite de la décision de la Commission d’interdire la modification de la présente plainte.

V.  Conclusion

[55]  J’ai conclu que Mme Walenius n’avait pas qualité pour aller de l’avant elle‑même à l’égard d’une plainte présentée en vertu du paragraphe 186(1) de la Loi. Conformément à la jurisprudence de la Commission, j’ai établi que seuls les agents négociateurs et les organisations syndicales sont autorisés à déposer ces plaintes.

[56]  J’ai aussi conclu que Mme Walenius ne peut pas modifier sa plainte de façon à y ajouter des allégations en vertu de l’alinéa 186(2)a) afin d’évoquer des faits qui ont eu lieu en juin 2019.

[57]  Dans sa réplique initiale (le 6 novembre 2018) à la plainte, le défendeur a demandé à la Commission de la rejeter parce qu’elle était futile ou frivole. Je ne crois pas que cette déclaration soit justifiée dans les circonstances. Selon les arguments qu’elle a présentés, je crois que Mme Walenius tentait vraiment de régler les problèmes qu’elle a avec son employeur. Dans ces circonstances, je crois qu’il est plus approprié de reconnaître simplement que Mme Walenius a divers griefs en cours et que ceux‑ci constituent la procédure appropriée pour traiter ce qui semble être les sources de conflit sous-jacentes entre les parties.

  • [58] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI.  Ordonnance

[59]  La plainte est rejetée.

Le 7 mai 2020.

Traduction de la CRTESPF

 

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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