Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésées ont affirmé que l’employeur n’avait pas pris de mesures d’adaptation à leur égard durant leur grossesse – le médecin de Mme Sill avait recommandé qu’elle n’ait aucun contact avec les détenues, qu’elle ait aisément accès aux toilettes, et de limiter le stress à un niveau minimal – les recommandations du médecin de Mme Douglas comprenaient, entre autres choses, qu’elle n’ait aucun contact physique ou visuel avec les détenues et qu’elle travaille dans un secteur exempt de stress – l’employeur a offert une affectation de rechange aux fonctionnaires s’estimant lésées et les a réinstallées dans un bureau situé derrière l’aire d’accueil, où les détenues n’avaient pas accès – la Commission a déterminé que les fonctionnaires s’estimant lésées avaient subi un effet préjudiciable dans leur situation d’emploi liée à leur grossesse – Mme Douglas avait continué à avoir un contact visuel avec des détenues et avait éprouvé du stress – à certains moments, Mme Sill n’avait pas eu immédiatement accès aux toilettes – cependant, la Commission a conclu qu’elle avait fait l’objet de mesures d’adaptation raisonnables – l’accès aux toilettes avait pu être problématique, mais ce problème aurait pu faire l’objet de discussions et être résolu – Mme Sill n’a pas signalé à l’employeur les problèmes que posait pour elle l’utilisation des toilettes – dans le cas de Mme Douglas, les mesures d’adaptation n’ont pas été raisonnables – les contacts visuels avec les détenues sont demeurés possibles, et même si l’employeur a prétendu qu’il serait impossible d’éviter tous les contacts visuels avec les détenues et qu’un contact visuel à une distance de 30 mètres, à travers des barrières de sécurité, respectait cette recommandation, il n’a pas demandé de renseignements au médecin de la fonctionnaire s’estimant lésée afin de confirmer sa position – en outre, l’employeur n’a pas tenu compte de la condition exigeant aucun stress – même s’il est impossible de garantir l’absence totale de stress, la direction n’avait pas la prérogative de décider quel niveau de stress était acceptable pour la fonctionnaire s’estimant lésée en l’absence de plus amples renseignements médicaux – Mme Douglas a reçu une indemnisation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H 6), et ses crédits de congé de maladie lui ont été remboursés.

Grief de Mme Sill rejeté.
Grief de Mme Douglas accueilli.

Contenu de la décision

Date : 20200513

Dossiers : 566-02-08487

566-02-08488

Référence : 2020 CRTESPF 51

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

enTRE

 

Khristina Douglas et Malinda Sill

 

fonctionnaires s’estimant lésées

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Douglas c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant :  Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les fonctionnaires s’estimant lésées :  Andrew Lequyer, avocat

Pour l’employeur :    Cristina St-Amant-Roy, avocate

Affaire entendue à Moncton (Nouveau‑Brunswick)

les 12 et 13 mars 2020.

(Arguments écrits déposés les 20, 27 et 30 mars 2020.)

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1]  Malinda Sill et Khristina Douglas, les fonctionnaires s’estimant lésées (les « fonctionnaires »), ont déposé chacune un grief (Mme Sill, le 3 janvier 2013, et Mme Douglas, le 6 janvier 2013) contre le Service correctionnel du Canada (SCC), où elles travaillent comme intervenantes de première ligne, parce que le SCC n’a pas pris de mesures d’adaptation à leur égard durant leur grossesse. Les deux griefs ont été renvoyés à l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) le 29 avril 2013.

[2]  Les fonctionnaires font partie d’une unité de négociation représentée par l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO‑SACC‑CSN) (l’« agent négociateur »), qui a signé une convention collective avec l’employeur, soit le Conseil du Trésor (la « convention collective »). Aux fins de la présente décision, le terme « employeur » désigne le SCC, auquel le Conseil du Trésor a délégué son pouvoir.

[3]  Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTEFP) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) afin de remplacer la CRTFP et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

[4]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la LCRTEFP et de la LRTFP pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

II.  Résumé de la preuve

[5]  Mmes Sill et Douglas ont témoigné à l’audience. L’employeur a cité à témoigner Adele MacInnis, qui, à l’époque pertinente, était la directrice de l’Établissement Nova pour femmes (Établissement Nova), où les deux fonctionnaires étaient employées comme intervenantes de première ligne.

[6]  Mme MacInnis a expliqué à l’audience que l’Établissement Nova est l’un des établissements régionaux qui a remplacé la Prison des femmes du SCC située à Kingston, en Ontario, lorsque celle‑ci a fermé ses portes. À l’Établissement Nova, on s’est efforcé de mettre l’accent sur l’aide aux détenues. L’un des moyens utilisés consiste à établir une solide relation de confiance entre les détenues et le personnel. Il n’y a pas d’agents correctionnels à l’Établissement Nova. Les membres du personnel qui occupent des postes classifiés au groupe et au niveau CX-02 ont plutôt le titre d’intervenants de première ligne, et doivent suivre étroitement quelques femmes à titre de modèles et de personnel de soutien général. Aucun employé n’occupe un poste classifié au groupe et au niveau CX-01 à l’Établissement Nova.

A.  Mme Sill

[7]  Mme Sill a été intervenante de première ligne à l’Établissement Nova de 2007 à 2015. Pendant les quatre dernières années, elle y était gestionnaire correctionnelle. Elle a eu trois grossesses. Durant sa deuxième grossesse, en 2006, elle travaillait dans un établissement correctionnel provincial. Au cours de cette période, elle a été victime d’une agression par coup de pied à l’estomac.

[8]  La troisième grossesse de Mme Sill a été confirmée en septembre 2012. Elle a immédiatement demandé des mesures d’adaptation, suivant la forte recommandation de son médecin, qui estimait que la grossesse présentait un risque élevé, notamment en raison de l’âge de Mme Sill (elle avait 38 ans à l’époque). Selon les recommandations du médecin, elle ne devait avoir aucun contact avec les détenues, avoir aisément accès aux toilettes et limiter le stress à un niveau minimal.

[9]  Des mesures d’adaptation à la satisfaction de Mme Sill n’ont pas été prises immédiatement. Elle a utilisé ses crédits de congé de maladie pendant qu’elle attendait des mesures d’adaptation qui, selon elle, seraient appropriées. Mme Sill est finalement retournée au travail le 18 décembre 2012. L’employeur lui avait offert de la réinstaller dans un bureau situé derrière l’aire d’accueil, où les détenues n’avaient pas accès.

[10]  De l’avis de Mme Sill, à maints égards les mesures d’adaptation étaient inadéquates. La seule sortie du bureau donnait sur l’aire d’accueil. Au moment où les mesures d’adaptation ont été prises pour la première fois, en octobre 2012, il n’y avait pas de réfrigérateur où conserver l’insuline dont Mme Sill avait besoin. En décembre 2012, l’employeur a placé un réfrigérateur et un four à micro-ondes dans une pièce voisine des toilettes. L’accès à l’unique salle de toilette  posait un problème, car d’autres personnes l’utilisaient. Il pouvait arriver, et il est arrivé, que Mme Sill n’y ait pas accès immédiatement, ce qui lui a causé un grand inconfort. Enfin, quelques contacts avec les détenues demeuraient possibles, par exemple, lorsque l’une d’elles était introduite dans l’aire d’accueil voisine du bureau, ou lorsque Mme Sill en rencontrait une dans le stationnement.

[11]  Mme Sill avait espéré pouvoir faire du télétravail, ce qui aurait permis de s’assurer que toutes les conditions applicables aux mesures d’adaptation recommandées par son médecin soient réunies. Mme Sill avait vu d’autres personnes faire du télétravail à titre de mesure d’adaptation et pensait que l’employeur pourrait lui trouver suffisamment de travail à effectuer à domicile.

[12]  Mmes Sill et Douglas étaient installées dans le bureau à l’arrière de l’aire d’accueil. Chacune avait accès à un ordinateur. Elles étaient toutes deux frustrées par la toilette partagée et la possibilité de contacts avec les détenues. Le fait que le bureau ne soit doté d’aucune autre sortie que celle donnant sur l’aire d’accueil constituait une autre source de stress.

[13]  Le 3 janvier 2013, Mme Sill a déposé son grief. Dix jours plus tard, l’employeur lui a offert de faire du télétravail quatre jours par semaine; le cinquième jour, elle devait se présenter au travail à l’Établissement Nova. Elle a travaillé en vertu de cet arrangement jusqu’au 3 mars 2013, date du début de son congé de maternité.

B.  Mme Douglas

[14]  Mme Douglas est intervenante de première ligne à l’Établissement Nova depuis 2001. Le grief concerne sa troisième grossesse. Durant la première, en 2009, Mme Douglas avait peu de tâches à effectuer et n’avait aucun lieu de travail précis. Durant sa deuxième grossesse, elle s’est fait beaucoup de souci au sujet des mesures d’adaptation. Le télétravail a été approuvé, mais malheureusement, la grossesse a abouti à une fausse‑couche.

[15]  Après la fausse‑couche, Mme Douglas a discuté des conditions de travail avec l’employeur, parce qu’elle craignait que le niveau de stress auquel elle était exposée puisse compromettre de futures grossesses. Elle a déclaré qu’à ce moment‑là, l’employeur avait convenu que le télétravail serait une solution viable pour assurer la réduction du stress.

[16]  La troisième grossesse de Mme Douglas a été confirmée le 9 octobre 2012. Elle a avisé l’employeur, a proposé un plan de télétravail consistant à rédiger un manuel destiné aux nouveaux employés, puis a suggéré plusieurs tâches qu’elle pourrait effectuer à domicile, afin d’aider diverses sections de l’Établissement Nova. L’employeur a répondu qu’il n’y avait pas suffisamment de travail pour soutenir sa demande de télétravail. Mme Douglas a présenté une note de son médecin datée du 29 novembre 2012, qui spécifiait les restrictions médicales recommandées.

[17]  Mme Douglas est partie en congé de maladie, puis est retournée au travail le 18 décembre 2012, dans le même bureau que Mme Sill. En plus des préoccupations mentionnées par Mme Sill, un stress supplémentaire s’ajoutait dans le cas de Mme Douglas. Une intervenante de première ligne avec laquelle elle avait eu un différend dans le passé était parfois la seule personne qui travaillait au comptoir d’accueil. Compte tenu de la configuration du bureau attenant à l’aire d’accueil, Mme Douglas estimait que la proximité à l’autre intervenante de première ligne était extrêmement stressante.

[18]  Mme Douglas a en outre expliqué qu’il était facile de voir les détenues depuis la porte du bureau où elle travaillait, même si des portes séparaient les détenues de l’aire d’accueil.

[19]  À partir de la mi‑janvier 2013, Mme Douglas a fait du télétravail. Elle n’avait pas le même horaire que Mme Sill, qui occupait un poste régulier du lundi au vendredi. Mme Douglas travaillait par quarts. Son entente de télétravail a été établie selon les mêmes conditions que celle de Mme Sill — quatre quarts de télétravail et un quart à l’Établissement Nova. Mme Douglas a travaillé jusqu’au 3 mai 2013, date à laquelle son médecin lui a ordonné le repos au lit en prévision de l’accouchement prévu pour le début de juin.

[20]  Mme Douglas a témoigné qu’elle avait demandé activement qu’on lui assigne des tâches afin de demeurer occupée.

C.  Mme MacInnis

[21]  Mme MacInnis a été la directrice de l’Établissement Nova de 2007 à 2015. Elle a été avisée des besoins des deux fonctionnaires en matière de mesures d’adaptation et a accepté de les rencontrer le 7 décembre 2012, afin de mieux comprendre les exigences à cet égard. La direction avait déjà offert des mesures d’adaptation convenables à son avis, c’est‑à‑dire du travail de bureau, dans le bureau situé derrière le comptoir d’accueil. Cependant, les deux fonctionnaires étaient demeurées en congé de maladie et avaient refusé de retourner au travail.

[22]  Le 14 décembre 2012, Mme MacInnis a envoyé une lettre à chacune des fonctionnaires afin de répondre à leurs préoccupations. Au moment de la rencontre, les deux fonctionnaires avaient demandé à faire du télétravail. Dans les lettres en date du 14 décembre, Mme MacInnis a expliqué qu’il n’y avait pas suffisamment de travail pour justifier leur télétravail. Les lettres expliquent en détail les efforts déployés par la direction afin de répondre aux besoins des deux fonctionnaires en matière d’adaptation, et le témoignage que Mme MacInnis a livré à l’audience reprenait essentiellement les points indiqués dans les lettres. Pour ce motif, je pense qu’il est utile de reproduire intégralement les deux lettres.

[23]  La lettre adressée à Mme Douglas était ainsi rédigée :

[Traduction]

La présente lettre a pour but de répondre à votre position selon laquelle les mesures d’adaptation que nous avons prises ne respectent pas vos restrictions, telles que définies par votre médecin. J’ai établi que les mesures d’adaptation prises respectent vos restrictions et que l’offre est raisonnable.

Les restrictions énoncées dans la note de votre médecin sont les suivantes :

•Aucun contact, physique ou visuel, avec les délinquantes

•Aucun contact avec des agents chimiques

•Aucun contact avec des scènes de violence

•Ne pas se trouver dans un espace clos

•Se trouver dans des secteurs exempts de stress

Il vous a été offert de travailler au bureau de l’entrée principale, ce qui, je crois, satisfait aux quatre premières restrictions. J’ai examiné l’ensemble des renseignements disponibles concernant l’accès des détenues à ce secteur au cours des quatre dernières semaines. Je crois qu’il est important de mentionner que lorsqu’aucun membre du personnel ne fait l’objet de mesures d’adaptation prévoyant l’absence de contact avec les détenues, il est tout à fait acceptable que celles‑ci soient introduites dans ce secteur. De plus, l’accès au secteur est autorisé par l’intervenant de première ligne en poste. Je suis sûre que l’intervenant de première ligne qui contrôle les entrées des personnes dans le secteur y appliquerait l’interdiction visant la présence des détenues. Dans l’un des cas mentionnés durant la rencontre le vendredi 7 décembre 2012, une gestionnaire correctionnelle revenait avec une détenue d’un placement à l’extérieur. Sachant qu’aucune intervenante de première ligne ne faisait l’objet de mesures d’adaptation dans le secteur, la gestionnaire correctionnelle a décidé de faire passer la détenue par l’entrée principale. Comme vous travailleriez par quarts, au lieu de demander au personnel de vérifier si vous ou un autre membre du personnel faites l’objet de mesures d’adaptation dans le secteur au cours de la période où vous en bénéficieriez, nous mettrions en œuvre un processus selon lequel aucune détenue ne passerait par l’entrée principale. Je suis certaine que la circulation ou la présence des détenues dans le secteur serait complètement supprimée.

Durant la rencontre, vous avez parlé ouvertement de l’effet préjudiciable que toute source de stress pourrait avoir sur votre grossesse. J’ai aussi lu votre lettre qui donne des précisions au sujet d’une certaine collègue. La note de votre médecin indique que vous devez travailler dans des secteurs exempts de stress. Premièrement, comme il a été mentionné lors de la rencontre, il serait impossible dans n’importe quel emploi d’éliminer complètement toute forme de stress, et comme vous l’avez indiqué à juste titre, le stress diffère d’une personne à l’autre et est de nature subjective. Récemment, vous avez évoqué que le travail avec une certaine collègue vous stressait. Nous avons offert d’organiser un processus de médiation, mais vous n’avez pas voulu y prendre part. Nous avons offert de modifier votre roulement de quarts de façon à ce que vous n’ayez rarement, voire jamais, à travailler avec elle. Vous n’avez pas accepté cette proposition. Il a été mentionné qu’il n’y avait pas eu d’autre différend, alors il semble que l’intervention de la gestionnaire ait donné de bons résultats.

Si vous acceptez les mesures d’adaptation proposées, nous nous engageons à collaborer avec vous dans les cas particuliers et/ou à l’égard des tâches que vous identifiez comme des facteurs de stress.

Durant la rencontre, vous avez demandé à faire du télétravail en guise de mesure d’adaptation. Comme on vous l’a expliqué, et cela demeure le cas en ce moment, Nova n’a pas suffisamment de travail que vous pourriez effectuer entièrement à domicile.

J’ai entendu votre argument selon lequel tout travail qui pourrait être effectué au bureau pourrait l’être à domicile. En ce moment, en vous ayant au bureau, nous pourrons y tenir diverses réunions dont vous pourrez rédiger les procès‑verbaux. À mesure que vous acquerrez diverses habiletés, nous serons en mesure d’assigner des tâches quotidiennes du bureau de la gestionnaire correctionnelle, y compris, mais sans s’y limiter, les attributions des lits dans le Système de gestion des délinquants (SGD) et la préparation des documents de procédure.

Comme la présence de détenues dans l’immeuble principal est pratiquement nulle entre 21 h et minuit, et que vous travaillez des quarts qui comprennent cette période, je pourrais prendre des dispositions afin que vous soyez chargée du travail qu’il y a à faire dans la salle des dossiers, ce qui serait très utile pour l’Établissement.

Le télétravail et les mesures d’adaptation n’obligent pas l’organisme à créer du travail. Dans le cas du télétravail, la compilation des travaux à effectuer à votre domicile demanderait en ce moment autant sinon plus de temps que de les faire exécuter par d’autres personnes sur place.

En résumé, je suis d’avis que nous pouvons prendre des mesures d’adaptation à l’égard de vos restrictions et je n’approuve pas le congé payé.

[…]

[24]  La lettre adressée à Mme Sill était ainsi rédigée :

[Traduction]

La lettre qui suit a pour but de présenter une décision concernant les renseignements et la présentation fournis durant notre rencontre du vendredi 7 décembre 2012. De façon générale, vous avez demandé qu’il soit décidé que les mesures d’adaptation que nous étions disposés à prendre ne respectaient pas les restrictions exposées par votre médecin, et que j’octroie un congé payé ou approuve le télétravail. Pour prendre cette décision, j’ai examiné les renseignements présentés durant la rencontre, les notes de votre médecin, la lettre qui a été fournie le 12 décembre et les renseignements que j’ai pu recueillir sur la déclaration du SACC selon laquelle des erreurs étaient apparues récemment au sujet de la présence de détenues dans le secteur de l’entrée principale.

Je confirme que nous sommes en mesure de respecter les restrictions énoncées par votre médecin en vous faisant travailler dans le secteur de l’entrée principale, et je reconfirmerai notre justification pour chaque restriction.

Note du médecin en date du 1er oct. 2012

  1. Aucun contact avec les détenues ou le gaz poivré à quelque moment que ce soit. Comme il s’avère nécessaire qu’une intervenante de première ligne autorise l’accès à l’entrée principale depuis le stationnement et l’intérieur de l’établissement, les possibilités d’erreurs sont minimes. Lorsque nous avons pris des mesures d’adaptation pour une intervenante de première ligne à cet endroit précis récemment, aucune erreur n’a été portée à mon attention. J’ai recueilli des renseignements concernant la présence de détenues qui avait été signalée dans l’entrée principale au cours des quatre dernières semaines, et j’ai pu constater qu’une GC qui était allée chercher une détenue après un placement à l’extérieur avait décidé de faire entrer la détenue par l’entrée principale, ce qui est une pratique acceptable si aucune intervenante de première ligne ne fait l’objet de mesures d’adaptation dans le secteur. Je ne doute pas que si on le lui rappelle, le personnel n’introduira pas une détenue dans le secteur de l’entrée principale. En l’absence de détenues dans le secteur, l’utilisation du gaz poivré ne serait jamais requise.

  2. Ne devrait pas se trouver dans un secteur qui présente pour elle un risque de contagion (c’est‑à‑dire la tuberculose, le VIH et l’hépatite) – la contagion devrait aussi être envisagée à l’égard des maladies infantiles lors de rencontres avec des visiteurs accompagnés de leurs enfants. Comme le poste offert à titre de mesure d’adaptation n’exige aucun contact étroit avec des visiteurs ou leurs enfants, cette restriction est respectée. Notre personnel et les visiteurs officiels ne sont pas réputés avoir des taux de maladies contagieuses plus élevés que ceux du grand public ou de n’importe quel lieu de travail.

  3. Être réaffectée à des quarts de jour de huit heures et ne pas travailler plus de cinq jours d’affilée. On vous a offert un quart de huit heures du lundi au vendredi.

  4. Devrait avoir aisément accès aux toilettes en tout temps. Il y a des toilettes dans le secteur immédiat.

  5. Ne devrait pas se trouver dans un secteur clos. Le bureau est spacieux et doté de grandes fenêtres.

  6. Devrait travailler dans des secteurs à faible niveau de stress, n’avoir aucun contact visuel avec des scènes de violence. Comme il a été discuté lors de la rencontre, il est impossible d’éliminer toutes les formes de stress dans un environnement, et l’on croit que le secteur du bureau est tranquille et que le débit de la circulation devrait y être faible, surtout si la porte est fermée. La gestionnaire veillera à tenir compte des demandes relatives à la charge de travail et au type de travail attribué de façon à minimiser le stress.

Conditions prescrites dans la note du médecin en date du 30 octobre

  1. Doit être en mesure de surélever ses pieds au besoin. Cette condition peut être remplie en s’assurant qu’il y a une chaise supplémentaire. De plus, si un meuble différent est requis ou souhaitable, nous serions en mesure de le fournir.

  2. Être affectée à un quart de travail de jour n’excédant pas une journée de huit heures, cinq jours par semaine (cela comprend les pauses, les dîners, etc.). Cette condition a été remplie, compte tenu du quart de jour qui a été offert du lundi au vendredi.

  3. La conduite automobile doit se limiter aux parcours nécessaires, toutes les précautions nécessaires étant prises (c’est‑à‑dire ne pas conduire par mauvais temps, entre autres choses) La conduite ne sera pas assignée à titre de tâche. Les déplacements à destination et au retour du travail incombent aux employés. Comme dans le cas de tous les employés, si vous ne vous sentez pas en sécurité ou à l’aise pour conduire, il vous suffit de téléphoner au gestionnaire afin de l’aviser que vous ne venez pas au travail et de préciser le type de congé (vacances, congé non payé ou, dans un cas exceptionnel, autre congé payé (699)) que vous demandez.

Autres considérations examinées

  1. Besoin d’un réfrigérateur et d’un four à micro-ondes. Bien que ce besoin n’ait pas été mentionné à titre de restriction, une discussion a porté sur votre besoin d’avoir un réfrigérateur et un four à micro-ondes dans le secteur. Aucune exigence générale en matière de santé et sécurité ne prévoit qu’une cuisine du personnel doit en être dotée, mais nous devrions être en mesure d’obtenir l’un ou l’autre ou les deux pour la période au cours de laquelle vous bénéficierez de mesures d’adaptation.

  2. Télétravail Comme il a été expliqué, et c’est toujours le cas à l’heure actuelle, Nova n’a pas suffisamment de travail que vous pouvez effectuer à domicile en ce moment J’ai entendu votre argument selon lequel tout travail qui peut être effectué au bureau peut l’être à domicile. En ce moment, en vous ayant au bureau, nous pourrons y tenir diverses réunions pour lesquelles vous pourrez rédiger les procès‑verbaux. À mesure que vous acquerrez diverses habiletés, nous serons en mesure d’assigner des tâches quotidiennes du bureau de la gestionnaire correctionnelle, y compris, mais sans s’y limiter, les attributions des lits dans le Système de gestion des délinquants (SGD), la préparation des documents de procédure et l’examen de l’analyse des rondes. De plus, il est possible de livrer à l’entrée principale les dossiers des détenues. Le télétravail et les mesures d’adaptation n’obligent pas l’organisme à créer du travail. Dans le cas du télétravail, la compilation des travaux à effectuer à votre domicile demanderait autant sinon plus de temps que de les faire exécuter par d’autres personnes sur place.

En résumé, nous sommes en mesure de respecter les restrictions énoncées. Je n’approuve pas le congé payé.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[25]  À la mi‑janvier, la direction avait décidé qu’il y avait suffisamment de télétravail pour tenir les fonctionnaires occupées. Cependant, elles devaient se présenter au travail une fois par semaine, afin de venir chercher du travail. Le seul jour passé au bureau pouvait aussi être utilisé aux fins des tâches qu’il était plus facile d’effectuer à l’Établissement Nova, comme la participation aux réunions.

[26]  Les griefs ont été déposés juste avant que le télétravail ne soit autorisé, et ils ont été entendus aux premier et deuxième paliers. Certaines questions n’ont pas été réglées à la satisfaction des fonctionnaires. En plus du fait que le télétravail n’avait pas été autorisé intégralement, plusieurs questions demeuraient non résolues, notamment le contact visuel avec les détenues, le travail dans un espace clos, le stress en milieu de travail, l’accès aux toilettes et la recommandation du médecin de surélever les pieds.

[27]  Dans sa note précisant les restrictions au travail, le médecin de Mme Douglas a indiqué ce qui suit : [traduction] « Aucun contact, physique ou visuel, avec les délinquantes ». Mme MacInnis a expliqué qu’il est impossible, dans un pénitencier, de ne jamais voir une ou un détenu. La direction a interprété cette restriction sous l’angle de la distance. Mme MacInnis a expliqué que si une détenue était introduite dans l’aire d’accueil, ce que la direction essayait d’éviter lorsque les fonctionnaires se trouvaient dans l’arrière‑bureau, la détenue en question était sous la responsabilité d’un autre intervenant de première ligne, et les fonctionnaires pouvaient fermer la porte du bureau. Mme MacInnis a ajouté que les détenues pouvaient être vues à distance, par une ou deux portes, lorsqu’elles allaient voir leur famille. Un tel contact visuel était inévitable, mais encore là, selon l’estimation de Mme MacInnis, la distance le rendait acceptable.

[28]  Sur la recommandation des médecins, les deux fonctionnaires devaient éviter de travailler dans un espace clos. Toutes deux pensaient que le bureau situé derrière le comptoir d’accueil, dont la seule sortie était la porte donnant sur l’aire d’accueil, constituait un espace clos.

[29]  À l’audience, on m’a remis un plan d’étage et des photographies montrant l’aire d’accueil et le bureau dans lequel les deux fonctionnaires travaillaient durant la période visée par les mesures d’adaptation. On m’a dit que deux gestionnaires correctionnelles utilisaient maintenant ce bureau.

[30]  Le bureau mesure environ 12 pieds par 12 pieds et est doté de grandes fenêtres qui donnent sur l’extérieur. Il y a suffisamment d’espace pour deux bureaux, un canapé (qui figure maintenant sur l’image, quoique apparemment, il n’y était pas à l’époque pertinente) et des chaises. Les fonctionnaires estimaient qu’il s’agissait d’un espace clos, parce qu’il n’avait qu’une seule porte d’entrée et de sortie.

[31]  Mme MacInnis voyait d’un tout autre œil ce qu’on entend par « espace clos ». Dans son témoignage, elle m’a renvoyée au Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (DORS/86-304; RCSST), qui définit en ces termes les « espaces clos » à la partie XI :

[…] Espace totalement ou partiellement fermé qui à la fois :

  • a) n’est ni conçu pour être occupé par des personnes, ni destiné à l’être, sauf pour l’exécution d’un travail;

  • b) a des voies d’entrée et de sortie restreintes;

  • c) peut présenter des risques pour toute personne qui y pénètre, en raison :

  • (i) soit de sa conception, de sa construction, de son emplacement ou de son atmosphère,

  • (ii) soit des matières ou des substances qu’il contient,

  • (iii) soit d’autres conditions qui s’y rapportent […]

 

[32]  Autrement dit, Mme MacInnis a interprété la définition d’« espace clos » comme étant un lieu physique où les mouvements sont restreints et où l’on entre strictement pour exécuter une tâche. Le reste de la partie XI du RCSST semblerait confirmer ce point de vue, puisqu’il définit des règles strictes qui doivent être appliquées chaque fois qu’une personne travaille dans un espace clos, comme une conduite ou un regard.

[33]  Selon la recommandation qui lui avait été faite, Mme Douglas ne devait subir [traduction] « aucun stress », et dans le cas de Mme Sill, celle‑ci devait travailler dans des secteurs [traduction] « à faible niveau de stress ». Mme MacInnis a déclaré qu’un certain stress est inévitable dans la vie et qu’il n’était pas réaliste pour l’employeur de garantir qu’il n’y aurait aucun stress. Elle a aussi ajouté que le stress peut être favorable, puisque tous les moments de la vie comportent un certain stress, à la fois favorable et défavorable.

[34]  Les fonctionnaires estimaient que leur accès aux toilettes était inadéquat parce que celles‑ci n’étaient pas réservées à leur usage exclusif. Mme MacInnis a expliqué que quelques personnes seulement les utilisaient, mais que si l’accès aux toilettes avait posé un problème, il aurait été possible de les réserver exclusivement à l’usage des fonctionnaires, puisque d’autres toilettes étaient accessibles à proximité.

[35]  Le médecin de Mme Sill avait recommandé qu’elle puisse surélever ses pieds. L’employeur a fourni une chaise à cette fin. À l’audience, Mme Sill a déclaré que l’environnement de bureau n’était pas l’endroit idéal pour avoir les pieds surélevés, car cela projetait une image négative. Mme MacInnis a déclaré qu’elle n’était pas de cet avis, si cela découlait d’un besoin médical.

[36]  Dans les lettres du 14 décembre qui ont suivi la rencontre avec les fonctionnaires, Mme MacInnis a suggéré du travail de classement. Dans le cas de Mme Douglas, il a été suggéré qu’elle puisse avoir accès à la salle des dossiers la nuit, lorsque les détenues n’étaient pas dans les environs. Mme Douglas a déclaré que même si elle travaillait par quarts, elle n’avait jamais travaillé de nuit durant la période visée par les mesures d’adaptation. Dans la lettre adressée à Mme Sill, le travail de classement a été suggéré, et les dossiers devaient être apportés au bureau qu’occupaient les fonctionnaires. Les dossiers des détenues ne se prêtaient pas au télétravail, parce qu’ils doivent demeurer sur place.

[37]  En contre‑interrogatoire, on a demandé à Mme MacInnis ce qui avait changé entre décembre 2012 et janvier 2013 pour que les fonctionnaires soient soudainement autorisées à faire du télétravail quatre jours (ou quarts) sur cinq, alors que le motif invoqué en décembre était qu’il n’y avait pas suffisamment de travail à faire par télétravail. Mme MacInnis a répondu qu’il avait fallu trouver du travail et qu’une formation devait être suivie. Cependant, les deux fonctionnaires ont affirmé qu’elles avaient dû chercher du travail et qu’on ne leur en avait pas offert.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour les fonctionnaires s’estimant lésées

[38]  Les fonctionnaires soutiennent que l’employeur a manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation, enfreignant ainsi à la fois la convention collective et la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP). L’employeur a fait le minimum et a refusé de tenir compte des points de vue des fonctionnaires.

[39]  L’employeur a l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, sans toutefois en subir une contrainte excessive. Rien n’indiquait clairement en quoi le télétravail constituait une contrainte excessive en décembre, mais pas en janvier. Mme Douglas a témoigné que le travail qu’elle avait effectué, qui consistait principalement à travailler sur le manuel, avait été disponible en décembre.

[40]  Les fonctionnaires font valoir qu’en vertu de la clause 45.07 de la convention collective, l’employeur aurait dû leur octroyer un congé payé si le télétravail n’était pas disponible. La clause 45.07 est ainsi rédigée :

45.07 Nonobstant le paragraphe 45.05, dans le cas d’une employée qui travaille dans un établissement où elle a un contact direct et régulier avec les détenus, lorsque l’Employeur conclut qu’il est difficilement réalisable de modifier les tâches de l’employée ou de la réaffecter de façon à éviter les activités ou les conditions mentionnées dans le certificat médical, l’Employeur en informe l’employée par écrit et lui octroie un congé payé pendant la période du risque mentionnée au certificat médical. Toutefois, ce congé doit se terminer au plus tard à la date du début du congé de maternité non payé ou à la date de fin de la grossesse, selon la première de ces éventualités.

 

[41]  L’employeur n’était pas en mesure de s’assurer que Mme Douglas n’ait aucun contact visuel avec les détenues, mais il a rejeté cette préoccupation au lieu d’octroyer un congé payé à la fonctionnaire en vertu de la clause 45.07.

[42]  L’employeur a également fait fi du besoin très concret de Mme Sill d’avoir aisément accès aux toilettes, comme l’avait prescrit son médecin. Sa préoccupation selon laquelle l’unique salle de toilette qu’elle était censée utiliser pouvaient être occupée, et l’était effectivement à certains moments quand elle en avait besoin, a été complètement ignorée.

[43]  Les deux fonctionnaires ont dû déposer un grief pour amener l’employeur à changer d’idée au sujet du télétravail. Cependant, le travail avait été tout aussi disponible en décembre qu’en janvier.

[44]  Les fonctionnaires citent Marois c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2004 CRTFP 150, une affaire dans laquelle l’arbitre de grief a conclu que les fonctionnaires avaient droit à un congé payé en vertu de la clause 45.07, puisque l’employeur n’avait pas pu respecter les exigences du médecin en matière d’adaptation.

[45]  Dans Turmel c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 122, une rémunération a été payée à Mme Turmel parce que les conditions applicables aux mesures d’adaptation n’avaient pas été respectées. C’était également le cas en l’espèce, puisque Mme Douglas avait été exposée à un contact visuel avec des détenues, et que Mme Sill n’avait pas eu librement accès aux toilettes.

[46]  Les deux fonctionnaires devaient éviter le stress, selon leur médecin, mais les actes de l’employeur leur ont causé un stress excessif. Mme MacInnis a témoigné qu’elle s’était fondée sur les notes du médecin pour déterminer les mesures d’adaptation nécessaires. Cependant, pour les deux fonctionnaires, les mesures d’adaptation devaient être envisagées dans le contexte de leur réalité, de leurs craintes et de leurs préoccupations. Mme Sill avait été agressée durant sa deuxième grossesse; longtemps avant sa troisième grossesse, Mme Douglas avait demandé que la pénible situation de travail qu’elle avait vécue durant sa première grossesse ne se répète pas.

[47]  L’employeur n’a pas tenu compte de la situation personnelle des fonctionnaires et a ignoré leurs préoccupations. Pour ce motif, elles devraient toucher l’indemnité maximale en vertu de la LCDP, à la fois pour préjudice moral (en vertu de l’al. 53(2)e)) et pour un acte délibéré ou inconsidéré de la part de l’employeur (en vertu du par. 53(3)).

[48]  Dans sa réponse au deuxième palier au grief de Mme Douglas, l’employeur a déclaré que si les mesures d’adaptation s’avéraient insuffisantes, la fonctionnaire devrait prendre un congé de maladie ou un congé non payé. Cette réponse était inappropriée et discriminatoire.

[49]  Les fonctionnaires ont demandé une ordonnance de mise sous scellés à l’égard des notes des médecins qui ont été présentées à l’employeur et qui exposent en détail les mesures d’adaptation nécessaires à leurs grossesses respectives.

B.  Pour l’employeur

[50]  L’employeur a pris des mesures d’adaptation appropriées en fournissant un endroit tranquille et sécuritaire aux fonctionnaires, afin de répondre à leurs besoins durant leur grossesse respective. L’employeur s’est efforcé de respecter toutes les exigences spécifiées par leur médecin. Les fonctionnaires ont utilisé des congés de maladie et des vacances, non pas parce que l’employeur n’avait pris aucune mesure d’adaptation pour elles, mais parce qu’il ne s’agissait pas des mesures d’adaptation de leur choix. D’emblée, toutes deux souhaitaient faire du télétravail et y voyaient la seule solution viable. Si aucun télétravail n’était disponible, elles auraient dû, selon elles, recevoir un congé payé.

[51]  La Commission doit trancher les trois questions énoncées ci‑après :

• Les fonctionnaires se sont-elles acquittées du fardeau de la preuve prima facie concernant l’existence de discrimination fondée sur le sexe (grossesse)? Dans l’affirmative,

• Les efforts de l’employeur visant à répondre aux besoins des fonctionnaires satisfaisaient-ils à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation?

• Les fonctionnaires avaient-elles le droit d’effectuer du télétravail à temps plein à domicile?

[52]  L’employeur soutient que les fonctionnaires n’ont pas démontré un cas prima facie de discrimination, puisqu’elles n’ont subi aucun préjudice lié à leur grossesse. En premier lieu, le télétravail leur a été refusé; ensuite, il leur a été offert pour la plus grande partie de leurs quarts. Cependant, la situation relative au télétravail était sans rapport avec leur grossesse.

[53]  Si la Commission décide que les fonctionnaires ont démontré une preuve prima facie de discrimination, alors l’employeur soutient qu’il a honoré son obligation de prendre des mesures d’adaptation. Il invoque la défense prévue au par. 15(2) de la LCDP, selon lequel il n’est pas discriminatoire de la part de l’employeur d’imposer des exigences professionnelles justifiées, à condition qu’il ait pris des mesures d’adaptation, sans toutefois en subir une contrainte excessive.

[54]  Dans le cas des fonctionnaires, l’exigence justifiée était le contact avec les détenues, puisqu’il s’agit d’une fonction de base de leur poste. Selon l’exigence du médecin, elles devaient éviter tout contact avec les détenues. En guise de mesures d’adaptation, l’employeur a offert un espace de travail isolé, loin des détenues, et éventuellement, du télétravail pour la plus grande partie du temps. Il n’aurait pas pu faire plus dans le contexte de la réalité entourant un pénitencier.

[55]  L’employeur est le mieux placé lorsqu’il s’agit de déterminer des mesures d’adaptation convenables; voir Georgoulas c. Canada (Procureur général), 2018 CF 652. Il doit suivre les recommandations d’un médecin, mais demeure responsable des mesures d’adaptation; voir Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 97.

[56]  Lorsque des employés ne peuvent pas exercer les fonctions essentielles de leur poste, comme c’était le cas pour les fonctionnaires, l’employeur dispose de solutions limitées en matière de mesure d’adaptation : voir Magee c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 1. M. Magee était agent correctionnel qui avait été blessé dans l’exercice de ses fonctions. À la suite d’une période de réadaptation, il est retourné au travail à condition de n’avoir aucun contact avec les détenus. Il a éventuellement été muté à un autre poste classifié à un niveau inférieur. Il a déposé un grief alléguant qu’il aurait dû être muté à un poste différent, classifié à un niveau supérieur, ou se voir attribuer des tâches d’agent correctionnel modifiées, mais en évitant quand même tout contact avec les détenus.

[57]  L’arbitre de grief a rejeté le grief, déclarant que les mesures d’adaptation raisonnables ne signifiaient pas celles que l’employé préférait.

[58]  Les médecins des fonctionnaires n’ont pas recommandé que celles‑ci soient retirées de leur milieu de travail, comme c’était le cas dans Turmel.

[59]  L’employeur a cité Spooner c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 60, pour illustrer l’application adéquate de la clause 45.07. Dans cette affaire, malheureusement, la grossesse a abouti à une fausse‑couche. Cependant, l’employeur avait remédié aux mesures d’adaptation insuffisantes en octroyant un congé payé pour une durée d’un mois avant de mettre au point des mesures d’adaptation convenables pour Mme Spooner. L’employeur a aussi octroyé un congé payé après la fin de la grossesse, afin de régler une situation de harcèlement allégué.

[60]  L’employeur fait valoir que les fonctionnaires n’ont pas collaboré pleinement aux efforts relatifs aux mesures d’adaptation, comme elles en avaient l’obligation; il cite Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970.

[61]  Les fonctionnaires n’avaient pas droit au télétravail. Comme il est mentionné dans Georgoulas, l’employé ne peut pas dicter les conditions des mesures d’adaptation. L’Établissement Nova devait trouver un travail utile pour offrir du télétravail aux fonctionnaires.

[62]  L’employeur soutient que les fonctionnaires n’ont pas droit à des dommages ni à une indemnité compensatoire, parce qu’il n’y a pas eu de discrimination. De plus, elles n’ont pas droit au remboursement des congés qu’elles ont utilisés, parce que, en tout temps, l’employeur leur a offert des mesures d’adaptation afin de leur permettre de continuer à travailler.

IV.  Ordonnance de mise sous scellés

[63]  L’employeur a demandé que les photographies et le plan d’étage de l’Établissement Nova soient mis sous scellés. Ces éléments ont été présentés à l’audience afin d’illustrer la configuration physique prévue pour les fonctionnaires durant la période visée par les mesures d’adaptation. L’employeur a invoqué des raisons de sécurité pour justifier l’ordonnance de mise sous scellés.

[64]  La Commission adhère au principe de transparence judiciaire dans ses audiences et sa prise de décisions. Ses dossiers sont accessibles au public. Cependant, certaines situations justifient une ordonnance de confidentialité. La Commission applique le critère « Dagenais/Mentuck » (voir Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835, et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76), qui a été énoncé très clairement dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41. Le critère peut être résumé ainsi : les effets bénéfiques du maintien de la confidentialité de certains renseignements l’emportent sur les effets préjudiciables de la prévention de l’accès du public aux procédures judiciaires, qui est un droit protégé en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée en tant qu’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.

[65]  Le maintien de la sécurité d’un pénitencier constitue une préoccupation valable qui l’emporte sur l’intérêt du public pour les procédures. Les motifs de la présente décision peuvent être compris sans qu’il soit nécessaire de produire des photographies ou des plans d’étage détaillés. Rendre ces documents publics pourrait engendrer un risque pour l’Établissement Nova. Les photographies et le plan d’étage constituent la pièce E-2, qui doit être mise sous scellés.

[66]  Les fonctionnaires ont aussi demandé une ordonnance de mise sous scellés à l’égard des notes médicales qui exposent en détail leurs exigences en matière de mesures d’adaptation. L’employeur ne s’est pas opposé à la demande.

[67]  Les notes médicales ont été commentées exhaustivement dans le cadre de la présente décision. Je ne vois pas quel intérêt serait protégé en les mettant sous scellés. Cette situation ne se compare pas à la mise sous scellés de dossiers médicaux afin de protéger le droit à la vie privée. Les dossiers médicaux contiennent habituellement beaucoup de renseignements peu pertinents à la question à trancher. En l’espèce, au contraire, les notes médicales sont au cœur de la présente décision. Je dois décider si l’employeur s’est acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation en respectant les conditions établies par les médecins des fonctionnaires. Les notes contiennent uniquement des recommandations en matière de mesures d’adaptation, et à l’exception du commentaire qui porte sur la grossesse à risque élevé de Mme Sill, sur laquelle elle a témoigné, les notes ne referment pas de renseignements médicaux. On ne m’a fourni aucune autorité qui appuie  la mise sous scellés d’une recommandation médicale traitant des mesures d’adaptation en milieu de travail.

[68]  Les notes médicales ne seront pas mises sous scellés.

V.  Analyse

[69]  La seule question à trancher dans la présente affaire est celle de savoir si les fonctionnaires ont été victimes de discrimination pour des motifs illicites fondés sur le sexe, puisque la situation qu’elles ont jugée discriminatoire découlait de leur grossesse. Pour trancher cette question, je dois décider si l’employeur a enfreint les dispositions de la convention collective en refusant d’octroyer un congé payé aux fonctionnaires en vertu de la clause 45.07.

[70]  La convention collective et la LCDP interdisent la discrimination dans le contexte de l’emploi. La clause pertinente de la convention collective est ainsi rédigée :

37.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un-e employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion au Syndicat ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle il a été gracié.

[71]  Les dispositions législatives pertinentes de la LCDP sont ainsi rédigées :

[…]

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

 

(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l’accouchement est réputée être fondée sur le sexe.

[…]

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[…]

10 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

[…]

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

[…]

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[…]

53 (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[…]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

 

[72]  Le processus consistant à déterminer s’il y a eu discrimination comprend deux étapes. En premier lieu, les fonctionnaires doivent établir une discrimination prima facie, soit la preuve qui, en l’absence d’une réponse de l’employeur, établit qu’une caractéristique protégée contre la discrimination est liée à l’effet préjudiciable qu’elles ont subi (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536 et Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61). En deuxième lieu, l’employeur peut éviter une conclusion défavorable s’il produit des éléments de preuve fournissant une explication raisonnable selon laquelle ses actes n’étaient pas discriminatoires, qu’il avait une exigence justifiée dans le contexte de l’emploi, comme il est prévu à l’art. 15 de la LCDP, et qu’il a cherché des mesures d’adaptation pour la personne qui allègue la discrimination, sans toutefois en subir une contrainte excessive (voir Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3). Si les fonctionnaires produisent une preuve prima facie, mais que l’employeur y répond avec succès, alors il n’y a pas eu discrimination et, par conséquent, les fonctionnaires n’ont pas droit à une indemnisation en vertu de la LCDP.

[73]  Dans la présente affaire, je suis d’avis qu’une apparence de discrimination a été démontrée. Les deux fonctionnaires étaient enceintes, ce qui veut dire qu’elles présentaient une caractéristique protégée contre la discrimination fondée sur le sexe. Les deux ont subi un effet préjudiciable, puisqu’elles se trouvaient dans une situation d’emploi qu’elles jugeaient contraignante. J’admets à première vue que Mme Douglas a continué à avoir un contact visuel avec des détenues et a éprouvé du stress, et que Mme Sill a expliqué en quoi les moments où elle n’a pas eu immédiatement accès aux toilettes lui avaient causé un grand inconfort. Cette situation déplaisante était directement liée à la grossesse des fonctionnaires.

[74]  L’employeur prétend que le travail avec les détenues est une exigence justifiée, et qu’il s’est acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation en vertu du par. 15(2) de la LCDP, sans toutefois en subir une contrainte excessive.

[75]  En l’espèce, la question de déterminer si l’employeur a pris des mesures d’adaptation adéquates à l’égard des fonctionnaires doit être envisagée dans l’optique de l’article pertinent de la convention collective. L’agent négociateur et le Conseil du Trésor ont négocié des conditions en vertu desquelles les employées enceintes seraient affectées à d’autres fonctions ou bénéficieraient d’un congé payé durant leur grossesse, suivant les recommandations de leur médecin.

[76]  L’article 45 s’intitule « Réaffectation ou congé liés à la maternité ». Ses dispositions pertinentes en l’espèce sont ainsi rédigées :

45.01 L’employée enceinte ou allaitant un enfant peut, pendant la période qui va du début de la grossesse à la fin de la vingt-quatrième (24e) semaine qui suit l’accouchement, demander à l’Employeur de modifier ses tâches ou de la réaffecter à un autre poste si, en raison de sa grossesse ou de l’allaitement, la poursuite de ses activités professionnelles courantes peut constituer un risque pour sa santé, celle du fœtus ou celle de l’enfant.

45.02 La demande dont il est question au paragraphe 45.01 est accompagnée d’un certificat médical ou est suivie d’un certificat médical aussitôt que possible faisant état de la durée prévue du risque possible et des activités ou conditions à éviter pour l’éliminer. Selon les circonstances particulières de la demande, l’Employeur peut obtenir un avis médical indépendant.

[…]

45.04 L’Employeur, dans la mesure du possible, modifie les tâches de l’employée ou la réaffecte.

[…]

45.07 Nonobstant le paragraphe 45.05, dans le cas d’une employée qui travaille dans un établissement où elle a un contact direct et régulier avec les détenus, lorsque l’Employeur conclut qu’il est difficilement réalisable de modifier les tâches de l’employée ou de la réaffecter de façon à éviter les activités ou les conditions mentionnées dans le certificat médical, l’Employeur en informe l’employée par écrit et lui octroie un congé payé pendant la période du risque mentionnée au certificat médical. Toutefois, ce congé doit se terminer au plus tard à la date du début du congé de maternité non payé ou à la date de fin de la grossesse, selon la première de ces éventualités […]

[77]  Par conséquent, la question est celle de savoir si l’employeur a pris des mesures d’adaptation raisonnables à l’égard des fonctionnaires. S’il était « difficilement réalisable » de prendre des mesures d’adaptation à leur égard, alors la clause 45.07 indique que celles‑ci avaient droit à un congé payé.

[78]  Les seuls renseignements médicaux produits en preuve à l’audience sont les notes médicales des médecins des fonctionnaires. L’employeur n’a pas demandé d’avis médical indépendant (clause 45.02) ni des instructions plus précises de la part des médecins des fonctionnaires. Ces dernières font valoir que la clause 45.07 aurait dû s’appliquer, puisque l’employeur n’a pas pu prendre des mesures d’adaptation adéquates, et qu’elles auraient dû se voir accorder un congé payé débutant en octobre 2012 (pour Mme Sill) et en novembre 2012 (Mme Douglas), dates auxquelles elles ont respectivement informé l’employeur de leur grossesse et fourni les documents médicaux nécessaires.

[79]  L’employeur fait valoir que les mesures d’adaptation raisonnables ne sont pas nécessairement celles que préfèrent les employés, et cite à cet égard Magee et Leclair, qui traitent de situations où un employé était atteint d’une invalidité permanente à l’égard de laquelle l’employeur avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. L’employeur a aussi fait renvoi à Georgoulas, une affaire de retour au travail qui appuie la proposition selon laquelle les mesures d’adaptation sont une voie à deux sens, dans la mesure où il s’agit d’un processus auquel les deux parties doivent participer.

[80]  Les fonctionnaires m’ont renvoyé à deux décisions, soit Marois et Turmel, qui traitent expressément de la disposition de la convention collective qui s’applique à la présente affaire. Dans les deux décisions, les arbitres de grief ont conclu que l’employeur n’avait pas rempli les exigences d’un certificat médical et que, par conséquent, ces fonctionnaires avaient droit à un congé payé.

[81]  Dans Marois, deux agentes correctionnelles enceintes, Mmes Marois et Hubert, avaient d’abord été affectées à des tâches de bureau à effectuer dans un immeuble situé à l’extérieur de l’établissement en cause dans cette affaire, auquel les détenus n’avaient pas accès. Aux dires de Mmes Marois et Hubert, cela satisfaisait à l’exigence médicale interdisant tout contact avec les détenus.

[82]  L’employeur a décidé de muter Mmes Marois et Hubert à un immeuble administratif situé à l’intérieur du périmètre de l’établissement, où travaillaient deux détenus — un commis aux finances et un nettoyeur, qui avaient tous deux étés habilités parce qu’ils constituaient un faible risque pour la sécurité. Mmes Hubert et Marois se sont opposées à la mutation, parce que leurs certificats médicaux interdisaient tout contact avec les détenus, et elles ont demandé un congé payé puisque l’employeur ne pouvait pas satisfaire leurs exigences médicales. L’employeur a demandé l’avis de Santé Canada à l’appui de son point de vue selon lequel les postes d’employé de bureau se trouvant dans l’immeuble administratif ne présentaient aucun risque pour les femmes ou leurs enfants à naître.

[83]  L’arbitre de grief a conclu que l’avis de Santé Canada n’était pas un « avis médical indépendant » en vertu de la clause 45.02 (numérotée différemment à l’époque). Selon l’arbitre de grief dans cette affaire, l’employeur n’avait pas satisfait aux exigences relatives aux mesures d’adaptation prescrites par les médecins traitants, parce qu’il avait exposé les deux femmes à la présence de détenus.

[84]  Dans le même ordre d’idées, l’arbitre de grief dans Turmel a conclu que l’employeur n’avait pas respecté les restrictions énoncées dans le certificat de Mme Turmel, en laissant celle‑ci être exposée plusieurs fois à un détenu qui était nettoyeur. Mme Turmel a finalement été mise en congé non payé avant le début de son congé de maternité. L’arbitre de grief a statué qu’elle avait droit à un congé payé en en vertu de la clause 45.07 de la convention collective. Cependant, Mme Turmel aurait pu éviter les contacts avec le détenu nettoyeur jusqu’à un certain point. Par conséquent, l’arbitre de grief a accordé le congé payé en partie, mais pas intégralement.

[85]  L’employeur a cité Spooner à titre de décision traitant de l’article 45 de la convention collective. Dans cette décision, l’arbitre de grief a défini comme suit l’obligation de prendre des mesures d’adaptation qui incombe à l’employeur, sans toutefois en subir une contrainte excessive :

[139] […] La conclusion qui se dégage de ces observations [c’est‑à‑dire les observations de la Cour suprême du Canada concernant le concept de contrainte excessive] est que l’obligation imposée à l’employeur est contraignante et que celui-ci doit faire des efforts diligents et vigoureux pour trouver des mesures qui permettront à l’employé de continuer de fournir sa prestation de travail, compte tenu de ses restrictions. Cela ne veut pas dire, cependant, que l’obligation qui est faite à l’employeur de composer avec les besoins de l’employé est illimitée.

[86]  L’arbitre de grief a poursuivi en déclarant que l’employeur a le droit de tenir compte de ses besoins organisationnels et n’est pas tenu de créer du travail. L’employé doit aussi participer aux efforts d’adaptation et présenter les renseignements médicaux nécessaires à l’appui de sa demande de mesures d’adaptation. Dans Spooner, l’employeur a pris des mesures d’adaptation raisonnables à l’égard de la fonctionnaire, qui comprenaient l’octroi d’un congé payé à un moment donné. Les irrégularités des mesures d’adaptation étaient davantage attribuables au manque de renseignements médicaux qu’à une irrégularité du côté de l’employeur.

[87]  Je vais analyser la situation de chacune des fonctionnaires à tour de rôle.

A.  Mme Sill

[88]  Mme Sill a présenté deux notes du médecin à l’appui de sa demande de mesures d’adaptation durant sa grossesse. La première note, en date du 1er octobre 2012, indiquait les conditions suivantes :

[Traduction]

 

1) n’avoir aucun contact, à quelque moment que ce soit, avec des détenues ou du gaz poivré (OC);

2) ne pas se trouver dans un secteur présentant un risque de contagion, notamment à des maladies infantiles lors des rencontres avec des visiteurs accompagnés de leurs enfants;

3) travailler des quarts de jour de huit heures, pas plus de cinq jours d’affilée;

4) jouir d’un accès immédiat aux toilettes, et ce, en tout temps;

5) ne pas se trouver dans un espace clos;

6) se trouver à un endroit où le niveau de stress est faible et ne pas être visuellement exposée à des scènes de violence.

[89]  La deuxième note, en date du 30 octobre 2012, ajoutait deux conditions : la possibilité de se surélever ses pieds au besoin et la limitation de la conduite automobile, notamment par mauvais temps.

[90]  Dans son témoignage, Mme Sill n’a pas signalé que les trois premières conditions, ainsi que la dernière, qui sont précisées dans la première note n’avaient pas été remplies. Mme Sill a témoigné qu’il était arrivé qu’elle n’ait pas aisément accès aux toilettes, parce que celles‑ci étaient occupées lorsqu’elle avait tenté de les utiliser à quelques reprises. Mme Sill estimait par ailleurs que le bureau situé derrière le comptoir d’accueil où elle était logée était un espace clos, puisqu’il n’y avait qu’une seule sortie.

[91]  Quant aux deux autres conditions, Mme Sill était d’avis qu’il serait bizarre de surélever ses pieds au travail, en raison de quoi elle avait préféré un arrangement de télétravail. Selon son témoignage, la conduite automobile limitée semblait liée au fait que l’employeur avait laissé entendre qu’elle pourrait se rendre en voiture chez elle pour dîner si elle souhaitait accéder à un réfrigérateur et à un four à micro-ondes.

[92]  Il était clair que d’entrée de jeu, Mme Sill aurait préféré faire du télétravail. Elle a utilisé des congés de maladie pour ne pas se présenter au travail et y est retourné avec réticence le 18 décembre, après que l’employeur lui ait donné accès à un réfrigérateur et à un four à micro-ondes. Comme l’employeur l’a souligné à l’audience, le réfrigérateur et le four à micro-ondes n’étaient pas des exigences spécifiées par le médecin de Mme Sill. Elle a déclaré qu’elle avait besoin du réfrigérateur pour y ranger son insuline, et du four à micro-ondes afin de s’assurer qu’elle se nourrissait sainement. Il se peut qu’il en soit ainsi, mais il ne s’agissait pas de conditions spécifiées dans son certificat médical à l’égard de sa grossesse, et en fin de compte, ces articles lui ont été fournis.

[93]  L’accès aux toilettes peut avoir posé un problème, mais cette question aurait pu être réglée après de plus amples discussions, comme l’a indiqué Mme MacInnis dans son témoignage. Les autres personnes auraient pu utiliser les autres toilettes situées à proximité, et la salle de  toilette aurait pu être réservée à l’usage exclusif des fonctionnaires. D’après la preuve, les fonctionnaires n’ont jamais demandé cet usage exclusif et Mme Sill n’a pas non plus signalé à l’employeur les problèmes que posait pour elle l’utilisation des toilettes. La recherche de mesures d’adaptation nécessite l’intervention de plusieurs parties, et le plaignant a l’obligation d’aider à trouver une mesure d’adaptation convenable. La mesure d’adaptation prise par l’employeur à l’égard des toilettes était raisonnable, et aucun problème n’a été soulevé auprès de lui avant ou durant la mise en œuvre des mesures d’adaptation. Après avoir pris connaissance du problème que posait l’accès aux toilettes, Mme Sill aurait dû rapporter les faits en question, afin de faciliter la prise d’autres mesures d’adaptation (voir Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970, aux p. 994-995).

[94]  Manifestement, les définitions d’« espace clos » qu’ont fournies les fonctionnaires et la direction ne concordaient pas. Tout comme dans Spooner, en l’espèce, l’exigence médicale était plutôt vague et difficile à comprendre. Dans la description de travail de Mme Sill, rien n’exigeait de travailler dans un espace clos, au sens du RCSST. Les preuves sont insuffisantes pour soutenir les allégations des fonctionnaires selon lesquelles le bureau était un espace clos, qu’il allait à l’encontre de leurs restrictions médicales, ou que les fonctionnaires avaient par ailleurs subi un effet préjudiciable à cet égard. En l’état actuel des choses, après avoir vu le plan d’étage et les photographies du bureau, il m’est impossible de conclure qu’il s’agissait d’un espace clos. Il est vrai qu’il n’y avait qu’une seule porte de sortie, mais c’est le cas pour la plupart des bureaux.

[95]  Si Mme Sill éprouvait le besoin de surélever ses pieds, je ne vois pas comment cela aurait pu être mal vu, étant donné qu’il s’agissait d’une exigence médicale. Mme Sill n’aimait pas l’image que cela projetait, mais rien ne l’empêchait de travailler à quelque chose pendant qu’elle maintenait ses pieds surélevés.

[96]  Enfin, à partir de la mi‑janvier, Mme Sill a fait du télétravail quatre jours par semaine et a travaillé au bureau un jour par semaine. Mme MacInnis a expliqué qu’il fallait que les fonctionnaires se présentent au bureau un jour par semaine, afin de rendre compte, de venir chercher du travail et d’effectuer les tâches que l’employeur leur attribuait. Lorsqu’il offre des mesures d’adaptation, l’employeur a le droit de tenir compte de ses besoins opérationnels.

[97]  Comme l’installation dans l’arrière‑bureau était acceptable, j’estime que les mesures d’adaptation fournies ont été raisonnables. Par conséquent, la clause 45.07 ne s’applique pas, puisque les conditions indiquées dans le certificat médical ont été respectées de façon raisonnable.

B.  Mme Douglas

[98]  Les conditions médicales applicables aux mesures d’adaptation prises pour Mme Douglas durant sa grossesse étaient précisées en ces termes dans la note en date du 29 novembre 2012 :

[Traduction]

 

1) n’avoir aucun contact, physique ou visuel, avec les détenues;

2) n’avoir aucun contact avec des agents chimiques;

3) n’avoir aucun contact avec des scènes de violence;

4) ne pas se trouver dans un espace clos;

5) se trouver dans un secteur exempt de stress.

[99]  Il n’était pas question d’agents chimiques et de scènes de violence dans l’arrière‑bureau. Je me suis déjà penchée sur la question de l’espace clos. Cependant, les deux dernières conditions sont plutôt problématiques : l’absence de contact, physique ou visuel, avec les détenues, et l’absence de stress.

[100]  La question des contacts physiques avec les détenues n’était également pas problématique. Mme Douglas, tout comme Mme Sill, était relevée de ses fonctions d’intervenante de première ligne consistant à gérer les détenues et à intervenir dans une situation quelconque. Il restait la question des contacts visuels avec les détenues, ce que Mme MacInnis n’a pas nié.

[101]  Dans sa réponse au deuxième palier au grief de Mme Douglas, après que cette dernière eut présenté une liste de 35 incidents à l’occasion desquels elle avait vu des détenues entre le 18 décembre 2012 et le 4 février 2013, la direction indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…] Il est évident que d’être en mesure de voir des détenues dans le secteur des visites et de la correspondance ou dans le secteur d’admission et de libération suscite pour vous une préoccupation. Je crois que notre engagement visant à prévenir tout contact direct ou régulier avec des détenues dans votre cas, conformément à votre convention collective, s’est avéré un succès. Je vous fournirai une lettre que vous remettrez à votre médecin, afin de demander des éclaircissements sur cette question précise. Si le fait de vous trouver dans une situation où vous n’avez pas de contacts directs ou réguliers avec des détenues, mais où vous pouvez voir une détenue à travers une porte de sécurité ou une fenêtre, suscite des préoccupations sur le plan médical, je suis d’avis qu’un congé de maladie ou un congé non payé constituent les solutions les plus appropriées.

[102]  Cette réponse était inadéquate. À l’audience, Mme MacInnis a confirmé que l’employeur n’avait jamais demandé d’explication au médecin concernant les contacts visuels avec des détenues. Lorsqu’elle a témoigné, Mme MacInnis a fait fi des préoccupations de la fonctionnaire. Elle a affirmé qu’il serait impossible d’éviter tout contact visuel avec des détenu(e)s dans un établissement.

[103]  Il me semble qu’il s’agit précisément de la raison pour laquelle Mme Douglas a insisté sur le télétravail. Il s’agit aussi du motif qui sous-tend la clause 45.07, qui indique que : « […] lorsque l’Employeur conclut qu’il est difficilement réalisable de modifier les tâches de l’employée ou de la réaffecter de façon à éviter les activités ou les conditions mentionnées dans le certificat médical […] », l’agente correctionnelle a donc droit à un congé payé pendant la période du risque ou jusqu’au début de son congé de maternité.

[104]  L’employeur aurait pu demander de plus amples renseignements auprès du médecin, afin de confirmer son point de vue selon lequel un contact visuel avec des détenues à une distance de 30 mètres, à travers une ou deux barrières de sécurité, respectait la condition indiquée dans la note médicale. Il ne l’a pas fait. L’employeur aurait pu demander un avis médical indépendant sur cette question. Il ne l’a pas fait. Par conséquent, comme dans Marois, l’employeur est lié par les conditions énoncées. Voir des détenues constitue un contact visuel. Les autres paramètres de la distance n’étaient pas indiqués dans la note, et l’employeur ne les a pas demandés. J’estime que l’employeur n’a pas respecté cet aspect des conditions médicales de Mme Douglas.

[105]  Mme MacInnis a aussi passablement fait fi de la condition exigeant [traduction] « aucun stress », qui figurait dans la note médicale. Je conviens avec elle qu’il est impossible de garantir l’absence totale de stress dans n’importe quelle situation. Même le travail à domicile entraînerait un certain stress. Cependant, la direction n’avait pas la prérogative de décider quel niveau de stress était acceptable pour Mme Douglas, en l’absence de plus amples renseignements médicaux.

[106]  Mme Douglas a déclaré que les deux principales sources de stress pour elle consistaient à voir des détenues, comme il a déjà été mentionné, ainsi qu’à devoir traiter avec une certaine intervenante de première ligne qui était parfois affectée à la réception, derrière laquelle se trouvait le bureau des fonctionnaires.

[107]  L’employeur a offert de modifier l’horaire de la fonctionnaire afin qu’elle puisse éviter de rencontrer l’intervenante de première ligne en question. Je n’ai été saisie d’aucun élément de preuve démontrant comment cela aurait pu être fait. Le seul témoignage que j’ai entendu a été celui de Mme Douglas, qui a affirmé qu’il aurait été impossible de concevoir des horaires de quart de jour qui auraient permis à la fonctionnaire d’éviter totalement d’entrer en contact avec l’intervenante de première ligne. L’employeur a aussi offert un processus de résolution de conflits, que la fonctionnaire a refusé. L’employeur était d’avis qu’il avait fait de son mieux et que la fonctionnaire ne collaborait pas.

[108]  Là encore, il me manque des éléments de preuve me permettant de juger si la fonctionnaire aurait pu en faire plus. La directive du médecin exigeant [traduction] « aucun stress » peut s’interpréter au sens d’un « niveau de stress aussi faible que possible ». Si le fait de rencontrer l’autre intervenante de première ligne était véritablement une source de stress, offrir une médiation n’était peut‑être pas une solution. Il semble que l’employeur ait fait fi de toute cette question.

[109]  Je reviens maintenant aux dispositions de la clause 45.07 : si l’employeur ne peut pas offrir des mesures d’adaptation appropriées, il doit octroyer un congé payé. La fonctionnaire souhaitait travailler, mais à domicile.

[110]  L’employeur a fait valoir que les employés ne peuvent pas choisir les mesures d’adaptation qu’ils préfèrent, et je suis d’accord avec cette affirmation de façon générale. Cependant, dans le cas de Mme Douglas, l’option qu’elle préférait semblait être la seule qui réunissait toutes les conditions indiquées dans la note de son médecin. Là encore, l’employeur aurait pu demander plus de précisions auprès du médecin de la fonctionnaire ou obtenir un avis indépendant. Il n’a fait ni l’un ni l’autre; il doit vivre avec la note telle qu’elle a été rédigée.

[111]  Cela dit, Mme Douglas a largement bénéficié de mesures d’adaptation grâce à l’arrangement de télétravail qui a débuté à la mi‑janvier. J’ai conclu que, dans le cas de Mme Sill, compte tenu des conditions médicales énoncées pour elle, se présenter à l’Établissement Nova un jour par semaine demeurait une mesure d’adaptation raisonnable. À mon avis, ce n’était pas le cas pour Mme Douglas, compte tenu du fait que les mesures d’adaptation au bureau ne respectaient pas les conditions énoncées pour elle. D’autres arrangements auraient pu être envisagés dans son cas pour aller chercher du travail ou en rapporter, si cela était effectivement nécessaire. Compte tenu des tâches qu’elle effectuait, il aurait pu être possible de les effectuer toutes par télétravail.

VI.  Réparation

[112]  Je conclus que même si elles n’étaient pas parfaites, les mesures d’adaptation offertes à Mme Sill étaient raisonnables, dans la mesure où elles respectaient ses conditions. L’employeur n’a pas agi de façon discriminatoire envers elle, et j’estime qu’il n’y a aucune réparation à accorder dans son cas.

[113]  Quant à Mme Douglas, elle a demandé l’indemnisation maximale en vertu de la LCDP, ainsi que le remboursement des crédits de congé de maladie qu’elle a utilisés en attendant les mesures d’adaptation.

[114]  J’ai conclu que, compte tenu de la note de son médecin, Mme Douglas aurait dû être accommodée, soit par le biais du télétravail, soit en étant mise en congé payé, puisque l’employeur ne pouvait pas respecter les conditions énoncées par le médecin de Mme Douglas. J’estime approprié de rembourser à Mme Douglas les congés de maladie qu’elle a utilisés durant la période où elle n’a bénéficié d’aucune mesure d’adaptation conforme à la note de son médecin.

[115]  L’employeur a offert la solution du télétravail à partir de la mi‑janvier, ayant ainsi pris des mesures d’adaptation qui permettaient à la fonctionnaire de travailler quatre quarts de travail sur cinq à domicile. Cependant, l’employeur n’avait prévu aucune mesure d’adaptation pour le cinquième quart, ayant par conséquent continué à agir de manière discriminatoire envers Mme Douglas.

[116]  L’établissement d’une indemnisation appropriée en vertu de la LCDP est toujours un exercice d’approximation. Je ne dispose d’aucun précédent pour cette situation particulière dans la jurisprudence de la Commission. Pour décider du montant de l’indemnité à accorder en vertu de l’al. 53(2)e) et du par. 53(3), j’ai tenu compte des facteurs indiqués ci‑après.

[117]  L’employeur s’est efforcé de prendre des mesures d’adaptation pour Mme Douglas. Mme MacInnis l’a rencontrée en décembre pour tenter de comprendre ses besoins. En fin de compte, à la mi‑janvier, l’employeur lui a offert du télétravail pour quatre quarts sur cinq. Il m’est impossible de conclure que l’employeur a complètement fait fi des besoins en matière d’adaptation de Mme Douglas.

[118]  Cependant, l’employeur ne s’est pas efforcé de bien comprendre les limitations fonctionnelles de façon à offrir des mesures d’adaptation appropriées. Il n’a pas demandé de plus amples renseignements au médecin de Mme Douglas en ce qui avait trait au contact visuel avec les détenues, même s’il avait dit qu’il le ferait. Il a décidé unilatéralement ce que signifiaient le « contact visuel » et le « stress » pour Mme Douglas, sans tenir compte du point de vue de celle‑ci. Ce faisant, l’employeur a causé un préjudice moral à Mme Douglas et a agi de façon inconsidérée. Par conséquent, j’accorde une indemnisation au titre des deux dispositions de la LCDP.

[119]  Étant donné que la solution du télétravail, bien qu’imparfaite, respectait en grande partie la situation médicale de Mme Douglas, j’accorderais une indemnité dans la zone inférieure de la fourchette. L’indemnité maximale en vertu des deux dispositions est de 20 000 $. J’accorderais 5 000 $ en vertu de chacune des deux dispositions.

[120]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII.  Ordonnance

[121]  La pièce E-2 est mise sous scellés.

[122]  Le grief de Mme Sill, dossier 566-02-08488, est rejeté.

[123]  Le grief de Mme Douglas, dossier 566-02-08487, est accueilli.

[124]  L’employeur remboursera les crédits de congé de maladie que Mme Douglas a utilisés du 29 novembre 2012 au 14 janvier 2013.

[125]  L’employeur versera une indemnité de 5 000 $ à Mme Douglas pour préjudice moral, en vertu de l’al. 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[126]  L’employeur versera une indemnité de 5 000 $ à Mme Douglas pour s’être livré à une pratique discriminatoire de façon inconsidérée, en vertu du par. 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le 13 mai 2020.

Traduction de la CRTESPF

 

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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