Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait l’objet d’un diagnostic de troubles de dépression et d’anxiété générale, et il était susceptible à des crises de panique – s’il en subissait une le matin, il était souvent incapable d’aller au travail ni même d’appeler pour signaler son absence – si une crise de panique se produisait pendant une journée de travail, il quittait souvent le bureau sans en aviser qui que ce soit – le fonctionnaire s’estimant lésé a épuisé ses congés de maladie – ses absences ont été traitées comme des congés non autorisés, et il a reçu une « Lettre d’instructions », qui énonçait ses tâches et ses responsabilités en ce qui concerne les retards et les absences – il a fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir contrevenu aux conditions de la lettre à plusieurs reprises, ce qui a entraîné son licenciement à la suite d’un incident lors duquel, selon le défendeur, le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas expliqué pourquoi il serait en retard et n’avait pas indiqué son heure d’arrivée – le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté son licenciement – il a également fait valoir que la Lettre d’instructions était discriminatoire, parce qu’elle exigeait qu’il téléphone à son employeur en cas de retard ou d’absence du travail, au lieu d’envoyer un message texte ou un courriel, comme ses médecins l’avaient recommandé – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait une explication raisonnable pour ne pas avoir donné de détails sur son retard et qu’il avait avisé le défendeur de son heure d’arrivée – ses actes ne constituaient pas des inconduites justifiant des mesures disciplinaires – la Commission a aussi conclu que compte tenu des circonstances, le licenciement était une réponse excessive – l’employeur n’a pris en compte que les facteurs aggravants lorsqu’il a décidé de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé – de nombreux et importants facteurs atténuants n’ont pas été pris en compte, notamment l’incapacité du fonctionnaire s’estimant lésé – la mise en œuvre des mesures d’adaptation a pris beaucoup de temps et elles n’ont été mises en place qu’après qu’un troisième médecin l’ait demandé – entre temps, le fonctionnaire s’estimant lésé a fait l’objet de mesures disciplinaires à cinq reprises, en partie pour des questions liées à l’envoi d’avis à l’employeur concernant ses absences du travail – comme les mesures disciplinaires progressives constituaient un facteur aggravant dans la décision de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé, la Commission a conclu que l’incapacité du fonctionnaire s’estimant lésé était un facteur de son licenciement – l’employeur n’a pas établi qu’il avait pris des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins du fonctionnaire s’estimant lésé jusqu’au seuil de la contrainte excessive – le licenciement a été annulé.

Griefs accueillis.

Contenu de la décision

Date : 20200424

Dossiers : 566-02-11935

566-02-11936

566-02-11937

566-02-11938

 

Référence : 2020 CRTESPF 43

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 

ENTRE

Jonathan Desjardins
fonctionnaire s’estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Services partagés Canada)

défendeur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Services partagés Canada)
employeur

Répertorié

Desjardins c. Administrateur général (Services partagés Canada) et Conseil du Trésor (Services partagés Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant :  James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Guido Miguel Delgadillo, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur :  Julie Chung, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario)

du 7 au 11 octobre 2019.

(Observations écrites déposées en date du 6 décembre 2019,

et les 9 et 24 janvier et le 28 février 2020).

(Traduction de la CRTESPF)


I.  Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1]  Jonathan Desjardins, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a été décrit comme quelqu’un d’heureux, de sociable et qui aimait s’amuser lorsqu’il était au collège. Le stress lié à des mariages rompus, à des batailles acrimonieuses pour la garde d’enfants, et à une faillite personnelle a eu des répercussions profondes sur lui. Il a commencé une série d’absences non autorisées de son travail. À l’époque, son employeur, le ministère de la Défense nationale (MDN), a commencé à recouvrer systématiquement des montants de son salaire pour ses absences non autorisées.

[2]  Lorsqu’il est arrivé à Services partagés Canada (SPC ou l’« employeur ») en avril 2012, le fonctionnaire a fait l’objet d’une diagnostic de troubles de dépression et d’anxiété générale. Ce diagnostic a été communiqué à l’employeur.

[3]  La dépression du fonctionnaire s’est manifestée de façon très destructrice en ce qui a trait à son assiduité au travail. Il était susceptible à des crises de panique. S’il en subissait une le matin, il était souvent incapable d’aller au travail ni même d’appeler pour signaler son absence. Si une crise de panique se produisait pendant une journée de travail, il quittait souvent le bureau sans en aviser qui que ce soit et retournait chez lui. Il l’a expliqué à son gestionnaire.

[4]  Le fonctionnaire a épuisé ses congés de maladie. Lorsqu’il a essayé d’utiliser des congés annuels pour couvrir ses absences du travail, on lui a indiqué qu’il ne pouvait pas le faire parce qu’il fallait demander les congés annuels à l’avance. Un nombre important de ses absences ont été traitées comme des congés non autorisés et son salaire pour ces jours-là a été recouvré, ce qui a aggravé ses difficultés financières déjà importantes, qui comprenaient alors deux ordres de saisie distincts découlant de sa faillite et de sa rupture conjugale.

[5]  L’employeur a traité ses absences comme des infractions justifiant des mesures disciplinaires. Il a reçu une [traduction] « Lettre d’instructions », qui énonçait ses tâches et ses responsabilités en ce qui concerne les retards et les absences, et il a fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir violé les conditions de la lettre à plusieurs reprises, sous forme de plusieurs suspensions sans solde, ce qui a aggravé ses difficultés financières.

[6]  La dernière version de la Lettre d’instructions obligeait le fonctionnaire à fournir non seulement un préavis pour tout retard imprévu, mais aussi une explication pour le retard. En outre, la lettre indiquait ce qui suit : [traduction] « Pour le retard, vous devez également m’envoyer un courriel à votre arrivée pour indiquer l’heure à laquelle vous êtes arrivé ».

[7]  Le matin du 12 juin 2014, le fonctionnaire et sa conjointe se sont réveillés pour constater que le pare-brise de leur voiture avait été brisé; il s’agissait de vandalisme. Le même matin, il a subi une complication indésirable à la suite d’une opération récente. Il saignait et souffrait d’une grande douleur.

[8]  Il a envoyé un texto à sa superviseure à 7 h 35, ce matin-là, indiquant seulement qu’il rentrerait travailler un peu après 9 h. Son message ne comprenait aucune explication ni aucune preuve. Dès qu’il est arrivé au travail, il a ouvert son ordinateur; à 9 h 23, il a envoyé à sa superviseure un courriel ayant trait au travail.

[9]  Le lendemain, le 13 juin 2014, le fonctionnaire et sa superviseure ont discuté des événements liés à son retard de la veille. Il lui a fait part de l’incident de vandalisme. Lorsqu’il lui a parlé de l’hémorragie résultant de sa récente opération, elle a dit qu’il n’avait pas à entrer dans ce genre de détails.

[10]  Malgré son explication, le 27 juin 2014, le fonctionnaire a été convoqué à une réunion de recherche des faits. On lui a indiqué que l’objectif n’était pas de discuter des événements liés à son retard du 12 juin; il s’agissait plutôt de discuter de son non-respect des conditions de la Lettre d’instructions.

[11]  En fin de compte, lors de la réunion, il n’a jamais été autorisé à discuter des événements qui ont donné lieu à son retard du 12 juin.

[12]  Le fonctionnaire a été licencié quelques semaines plus tard. Sa lettre de licenciement commence par le paragraphe suivant :

[Traduction]

La présente fait suite à la réunion de recherche de faits du 27 juin 2014, au cours de laquelle nous avons discuté des événements concernant votre retard du 12 juin 2014. L’explication que vous avez donnée n’était pas satisfaisante. En outre, vous n’avez pas envoyé de courriel à votre superviseure à votre arrivée pour indiquer l’heure à laquelle vous êtes arrivé (conformément à votre Lettre d’instructions en date du 24 août 2012).

[13]  Le grief contre la discrimination a été déposé le 12 février 2013. Le grief contre le licenciement a été déposé le 8 août 2014. Ces griefs ont été renvoyés à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) le 8 janvier 2016.

[14]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (LRTSPF).

[15]  Pour les motifs qui suivent, les griefs sont accueillis.

II.  Résumé de l’argumentation

A.  Contexte : le lieu de travail du fonctionnaire (SPC)

[16]  L’employeur a appelé les quatre témoins suivants. L’une était Claire Forget, qui, au moment du licenciement du fonctionnaire, était sa superviseure directe. Elle occupait le poste de gestionnaire de la diversité et des langues officielles à la Direction des ressources humaines de SPC. Elle relevait directement de Lyne Gascon, directrice des Ressources humaines et des langues officielles. Peter Hooey était le directeur général intérimaire de la Direction de la gestion des ressources humaines et du milieu de travail. Tout au long de la période pertinente, Elizabeth Tromp était sous-ministre adjointe principale, Services ministériels, ainsi que dirigeante principale des finances, SPC. En fin de compte, Mme Tromp a licencié le fonctionnaire.

[17]  Le fonctionnaire a témoigné pour son propre compte. Sa conjointe, Catherine Maynard, a également témoigné. Tous les témoins travaillaient avec SPC pendant la période pertinente. Mme Maynard et le fonctionnaire travaillaient dans différentes directions de SPC.

[18]  Tous les témoins de l’employeur ont décrit SPC comme un milieu de travail mouvementé. Il a été créé par décret et décrit de façon colorée par Mme Tromp comme suit : [traduction] « L’un des plus grands projets de transformation entrepris par n’importe quel gouvernement, n’importe où, à tout moment. » Le décret a retenu les spécialistes de l’infrastructure de la technologie de l’information de 42 ministères différents et les a placés dans SPC. Environ 6 000 employés se sont réunis au printemps 2012 pour former SPC.

[19]  Il incombait aux 42 ministères de décider qui envoyer à SPC. Les personnes choisies l’ont été en grande partie en fonction du mérite, sans tenir compte de questions telles que la diversité, l’équité en matière d’emploi ou les compétences en matière de langues officielles. Étant donné que bon nombre de ministères avaient leurs propres méthodes (souvent uniques et parfois peu fiables) d’évaluation et de saisie des données sur des sujets tels que la diversité et la capacité en matière de langues officielles (ainsi que toute formation relative à ces sujets), le principal défi de l’Unité de la diversité et des langues officielles (l’« Unité ») de SPC était d’élaborer des systèmes et des processus pour recueillir, mesurer, évaluer et interpréter ces renseignements importants de façon uniforme.

[20]  L’Unité comptait environ six ou sept employés, dont le directeur.

[21]  Mme Forget a commencé à travailler à SPC en octobre 2012, aux côtés du fonctionnaire. Elle a commencé en tant qu’analyste de projets spéciaux avec un portefeuille diversifié, y compris la recherche dans des sources ouvertes (Internet), les questions de santé et de sécurité, les langues officielles et la diversité.

[22]  Outre Mme Forget, environ cinq ou six autres analystes et experts en la matière faisaient partie de l’Unité. Chacun était spécialisé dans les questions concernant la diversité en milieu de travail ou les langues officielles.

[23]  En tant que seul coordonnateur des activités de l’Unité, le rôle du fonctionnaire était d’offrir un soutien aux  autres secteurs d’activités.

[24]  Michael Thomas (qui n’a pas témoigné) était le gestionnaire du fonctionnaire et le directeur de la diversité et des langues officielles à SPC depuis l’arrivée du fonctionnaire dans l’Unité en avril 2012, et ce, jusqu’à ce que Mme Forget reprenne son poste de directeur en janvier 2013.

[25]  Dans une correspondance en date du 14 décembre 2012, M. Thomas a décrit le rôle de soutien du fonctionnaire au sein de l’Unité comme suit :

[Traduction]

[...]

[...] Ce soutien prend la forme de la correction d’entrées de données incorrectes concernant les langues officielles dans les bases de données de Services partagés, en fonction de son analyse des renseignements contenus dans les feuilles de calcul; la surveillance de l’usage continu de la dotation du Ministère en communiquant avec les gestionnaires des employés et en demandant des renseignements sur l’état de la formation linguistique des employés qui ont été nommés à leurs postes à dotation non impérative. De plus, il répond aux demandes des autres fonctionnaires, du chef de l’Unité et du directeur de la Division de la recherche sur Internet, de l’analyse statistique, de la préparation des demandes de données pour les rapports spéciaux ou pour d’autres ministères; la rédaction de textes courts; la vérification de la qualité des textes bilingues courts; ou d’autres demandes similaires.

[...]

[26]  Mme Forget et Mme Gascon ont indiqué dans leurs témoignages qu’en raison du manque de fiabilité des données fournies par les 42 ministères participants, une grande partie du travail d’analyse du fonctionnaire consistait à établir ou à organiser de fréquentes réunions en personne avec les directeurs d’autres ministères de SPC, afin d’en apprendre davantage sur l’équité en matière d’emploi, la diversité et les questions de compétence en matière de langue officielle.

[27]  Le fonctionnaire était tenu d’organiser régulièrement des réunions pour la demi‑douzaine d’autres analystes et experts en la matière au sein de son Unité, de recueillir des données lors des réunions, de remplir des feuilles de calcul avec les données, d’interpréter les données et de les rendre accessibles à tous les membres de l’Unité. Étant donné que les résultats attendus de l’Unité faisaient l’objet d’une surveillance étroite, les gestionnaires (d’abord, M. Thomas; ensuite, Mme Forget) et la directrice (Mme Gascon) devait régulièrement [traduction] « donner de la rétroaction » à la haute direction. Les séances d’information nécessitaient souvent les commentaires et l’aide du fonctionnaire.

[28]  Mme Gascon et Mme Forget ont toutes deux décrit le fonctionnaire comme un membre essentiel de l’Unité jouant un rôle d’appui très important. La présence quotidienne était une nécessité; les dates limites des produits livrables ne changeaient certainement pas selon le fait qu’il travaillait ou non. Si certaines réunions avaient été planifiées, l’information sur les personnes qui devaient être présentes, le moment et l’endroit où elles devaient se tenir et la façon d’utiliser les données qui en découleraient devaient être facilement accessibles. Il était l’intendant de tous les renseignements; Mme Forget l’a décrit comme le [traduction] « bras droit » de l’équipe, avec un rôle essentiel à jouer. Lorsqu’il était absent, d’autres membres de l’Unité devaient le remplacer et faire le travail d’appui.

[29]  Mme Gascon et Mme Forget ont toutes deux souligné que les analystes de l’Unité n’étaient pas satisfaits de devoir intervenir et faire le travail du fonctionnaire lorsqu’il était absent en raison de la pression que chacun ressentait relativement à leur propre charge de travail. Mme Forget a indiqué dans son témoignage que les collègues du fonctionnaire remettaient ouvertement en question ses compétences en gestion en ce qui concerne les problèmes d’assiduité du fonctionnaire.

[30]  Mme Gascon et Mme Forget ont toutes deux indiqué dans leurs témoignages qu’elles subissaient une forte pression, à la fois [traduction] « descendante » (de la haute direction) et [traduction] « ascendante » (des personnes qui relevaient directement d’elles), pour planifier et exécuter le travail de l’Unité et établir des rapports sur les résultats des analyses de l’Unité et de l’incidence sur SPC. Elles ont toutes deux décrit le milieu de travail de l’Unité comme agréable, mais ont indiqué qu’il était caractérisé par une énorme pression non seulement pour s’acquitter de leurs fonctions, mais aussi pour obtenir un bon rendement de manière constante.

B.  Les mesures disciplinaires, y compris les suspensions

[31]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il avait vécu des événements extrêmement stressants dans sa vie personnelle qui ont entraîné des périodes de dépression et d’anxiété profondes, qui parfois donnaient lieu à des comportements autodestructeurs, y compris des pensées suicidaires. Il avait été hospitalisé à l’occasion à cause de ces problèmes.

[32]  Avant d’arriver à SPC, en avril 2012, le fonctionnaire était un employé du MDN, où son état de santé avait commencé à nuire à son rendement et à son assiduité au travail. Au cours de son emploi au MDN, il a fait l’objet d’une évaluation de l’aptitude au travail de la part du Dr Gilles Hébert, à Santé Canada. Le rapport du Dr Hébert n’a jamais été présenté en preuve à l’audience, mais le fonctionnaire y a souvent fait allusion dans son témoignage.

[33]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il avait décrit ses crises de panique au Dr Hébert. Les crises le rendaient souvent incapable de parler. S’il en subissait une au travail, il quittait souvent tout simplement le lieu de travail pour un endroit sûr, habituellement sa résidence.

[34]  Après avoir épuisé ses congés de maladie, bon nombre de ses absences au travail au MDN ont été jugées non autorisées et un programme de remboursement a été mis en place pour recouvrer le salaire de ces jours-là.

[35]  En 2010, alors qu’il travaillait au MDN, il a vécu une rupture maritale acrimonieuse. Sa conjointe était également une employée du MDN. Pour des raisons personnelles, il a donc décidé de passer volontairement du MDN à SPC au printemps 2012, lorsque SPC a été créé.

[36]  Le fonctionnaire avait des problèmes financiers à cette époque. Deux ordres de saisie de salaires étaient en place, l’un découlant de la rupture conjugale, l’autre de sa faillite. Les effets du programme de recouvrement de salaire en raison de son congé non autorisé au MDN, et plus tard à SPC, ont aggravé la situation; il a qualifié sa situation financière de sombre.

[37]  D’avril 2012 à janvier 2013, Mme Forget a travaillé aux côtés du fonctionnaire. Toutefois, elle a indiqué que, dans son rôle à ce moment-là, elle n’avait pas besoin de beaucoup de services de coordination des activités. Elle ne comptait pas beaucoup sur lui pour l’appuyer dans son travail. Leur relation était collégiale, mais elle a remarqué qu’il était souvent absent, ce qui avait un impact sur les autres membres de l’Unité.

[38]  Mme Forget s’inquiétait pour le fonctionnaire. Elle a témoigné au sujet d’un incident particulier qui a eu lieu en décembre 2012. Elle l’a vu quitter son bureau pour ce qu’elle pensait être simplement une [traduction] « pause cigarette », mais il n’est jamais revenu. Son travail était étalé sur son bureau d’une manière qui donnait l’impression qu’il ne serait parti que brièvement, mais il n’est jamais revenu ce jour-là. Elle s’inquiétait qu’il lui soit arrivé quelque chose, et elle a indiqué dans son témoignage avoir eu une discussion en privé avec lui le lendemain. Elle lui a indiqué que, s’il faisait ce genre de choses, il devrait au moins dire à quelqu’un qu’il ne reviendrait pas pour que personne ne s’inquiète.

[39]  M. Thomas était le gestionnaire de l’Unité à l’époque et le premier gestionnaire du plaignant à SPC. Il n’a pas témoigné à cette audience.

[40]  M. Thomas a envoyé plusieurs courriels au fonctionnaire, l’avertissant d’éventuelles mesures disciplinaires pour absences non autorisées. Le 16 mai 2012, peu après qu’il ait commencé à travailler à SPC, M. Thomas lui a envoyé un courriel dans lequel il expliquait les heures de travail, la nécessité de lui envoyer un courriel chaque jour à son arrivée et à son départ, l’exigence de faire approuver à l’avance les demandes de congé annuel et la procédure de communication téléphonique en cas de retard au travail.

[41]  Le fonctionnaire a témoigné de ses nombreuses discussions avec M. Thomas au sujet de sa vie personnelle, de son état financier et de son état de santé. Il a également indiqué dans son témoignage qu’il avait partagé l’évaluation de Santé Canada du Dr Hébert à M. Thomas.

[42]  Lorsque la Lettre d’instructions a été envoyée au fonctionnaire le 24 août 2012, il a raconté à M. Thomas comment son anxiété était parfois si intense qu’elle l’empêchait de parler. Il lui a demandé s’il pouvait envoyer des textos ou des courriels au lieu d’être obligé de téléphoner lorsqu’il était en retard ou absent. M. Thomas a refusé la demande; il a dit que cela devait se faire par téléphone. Le fonctionnaire s’est rappelé que son représentant syndical local, qui était présent, avait indiqué à M. Thomas : [traduction] « Vous le vouez à l’échec ».

[43]  La Lettre d’instructions du 24 août 2012, contenait la directive suivante :

[Traduction]

[...]

Si vous êtes absent du bureau pour une raison quelconque, vous devez me contacter à l’avance ou, si cela n’est pas possible, vous m’appellerez entre 8 h 45 et 9 h 15 au [numéro de téléphone omis] le jour où vous serez absent. Si je ne suis pas disponible, vous devez communiquer avec Lyne Gascon au [numéro de téléphone omis]. Si aucun de nous n’est disponible pour vous parler directement, veuillez me laisser un message vocal détaillé au [numéro de téléphone omis], expliquant pourquoi vous ne serez pas au travail, votre date de retour prévue ainsi que l’heure de votre appel.

[...]

[44]  Quant à l’obligation de téléphoner plutôt que d’envoyer des textos ou des courriels, Mme Forget a indiqué que cette obligation avait été imposée délibérément : il était préférable d’obliger le fonctionnaire à téléphoner et à parler directement à un superviseur, parce qu’il était [traduction] « tout simplement trop facile » d’envoyer un texto ou un courriel. Pour la paraphraser, [traduction] « Avoir à donner une raison à quelqu’un à l’autre bout du fil a plus de poids que de simplement écrire un texto. Cela pourrait le faire réfléchir à deux fois sur son absence et lui faire décider de simplement venir travailler à la place. »

[45]  Le 30 août 2012, à la suite d’un incident lié à l’absentéisme, M. Thomas a envoyé par courriel au fonctionnaire un avertissement concernant des mesures disciplinaires [traduction] « [...] pouvant aller jusqu’au licenciement ».

[46]  Le fonctionnaire a témoigné qu’il vivait de plus en plus de désespoir et d’impuissance, tant au travail qu’en dehors. Il avait des pensées suicidaires et, en septembre 2012, il s’est volontairement rendu à l’hôpital pour une évaluation psychiatrique. Il a avisé M. Thomas de tous ces faits. M. Thomas lui a rendu visite à cet endroit.

[47]  Le 23 novembre 2012, M. Thomas a émis au fonctionnaire la réprimande écrite suivante pour ne pas avoir respecté les conditions de la Lettre d’instructions : [traduction] « Premièrement, vous ne m’avez pas informé de votre absence entre 8 h 45 et 9 h 15; de plus, vous avez choisi de m’envoyer un courriel m’informant de votre absence plutôt que de me téléphoner tel qu’il est demandé dans les directives écrites. »

[48]  Le 4 janvier 2013, Mme Gascon, la directrice, a imposé une suspension d’une journée sans solde pour n’avoir pas suivi la Lettre d’instructions en ce qui concerne son retard ou son absentéisme les 6, 7, 12 et 14 décembre 2012.

[49]  Elle a indiqué dans son témoignage que des réunions régulières avaient lieu entre le fonctionnaire et son directeur (d’abord M. Thomas, puis, à compter de janvier 2013, Mme Forget). Mme Gascon a décrit la situation comme déchirante parce que, dans leurs discussions, il lui semblait qu’il voulait vraiment s’y conformer, et ensuite, en quelques jours, il semblait que ses habitudes d’absentéisme se reproduisaient.

[50]  Mme Gascon comprenait les préoccupations de M. Thomas et de Mme Forget, connaissant les pressions auxquelles l’Unité faisait face et à quel point il était essentiel que le fonctionnaire soit présent pour appuyer l’équipe.

[51]  Le 8 janvier 2013, Mme Gascon a imposé au fonctionnaire une suspension de trois jours sans solde pour ne pas avoir suivi la Lettre d’instructions les 24, 27 et 28 décembre 2012.

[52]  Le 29 janvier 2013, Mme Gascon a imposé au fonctionnaire une suspension de cinq jours sans solde pour ne pas avoir suivi la Lettre d’instructions du 16 janvier 2013, lorsqu’il a quitté le lieu de travail en début d’après-midi et qu’il n’est pas revenu ni n’a appelé pour donner une explication. De plus, les 17, 18, 21 et 22 janvier 2013, il n’a pas respecté la Lettre d’instructions. Sa lettre de suspension se lisait notamment comme suit :

[Traduction]

[...]

[...] Votre Lettre d’instructions indique clairement que si vous devez être absent du bureau, vous êtes tenu d’appeler Michael Thomas et, s’il n’est pas disponible, de me contacter par téléphone [...] Vous n’avez pas respecté cette directive, car vous n’avez laissé que des messages vocaux sur la messagerie vocale de Michael Thomas.

[...]

[53]  Le fonctionnaire n’a pas déposé de griefs précis contre ces suspensions, mais il les a mentionnés dans son grief contre la discrimination déposé le 12 février 2013, comme suit :

[Traduction]

Je dépose un grief contre cela parce que je souffre d’un problème de santé et que mon employeur en est au courant. Les représentants m’ont discriminé et intimidé de façon continue, contrevenant ainsi à la Loi canadienne sur les droits de la personne, ainsi qu’aux articles 1.01, 19 et à tous les articles connexes de notre convention collective (du groupe PA)

Je dépose un grief parce que les représentants de mon employeur, Services partagés Canada, exigent que, chaque fois que je quitte mon travail, j’appelle non seulement mon superviseur immédiat, mais maintenant mon directeur. Je considère qu’il s’agit d’un traitement différentiel des autres employés de ce ministère.

Je dépose un grief parce que cela crée un stress supplémentaire pour moi, provoquant ainsi plus d’absences du travail et aggravant mon problème de santé continu. Maintenant,  mon employeur me pénalise en m’imposant des suspensions, ce qui me cause des difficultés financières.

Je dépose un grief en raison du fait que cela pourrait amener mon employeur à me licencier puisqu’on me l’a déjà mentionné; je considère qu’il s’agit d’un abus de pouvoir.

[...]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[54]  Ce grief a été rejeté. Il s’agit de l’un des deux griefs qui font l’objet de la présente audience (le grief contre la discrimination, par opposition au grief contre le licenciement, qui a été déposé plus tard).

[55]  Avant que ces suspensions ne soient imposées, le 14 décembre 2012, M. Thomas a écrit au Dr Louis M. Grondin pour lui demander une évaluation de l’aptitude au travail. M. Thomas a mentionné l’évaluation de Santé Canada par le Dr Hébert en ces termes : [traduction] « [Le fonctionnaire] m’a aussi mentionné qu’il avait déjà fait une évaluation de l’aptitude au travail de Santé Canada, mais je n’y ai pas accès. Il est possible que cette évaluation soit encore disponible à Santé Canada. »

[56]  Dans cette lettre, M. Thomas a décrit la façon dont le fonctionnaire avait été placé sous surveillance étroite en cas de risque de suicide à l’hôpital le 13 septembre 2012. Lorsqu’il est retourné au travail, il a amené une note médicale de l’hôpital mentionnant le diagnostic de dépression.

[57]  La lettre de M. Thomas au Dr Grondin donne beaucoup de détails sur les absences de travail du fonctionnaire. Il a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[...]

[...] Je lui ai expliqué à maintes reprises que son manque de fiabilité avait de graves répercussions sur ses collègues. Cependant, sa tendance à adopter le même comportement de manière continue m’amène à me demander s’il est conscient des conséquences de ses actes.

Je m’inquiète sincèrement du bien-être [du fonctionnaire]. À deux reprises je l’ai invité à communiquer avec le Programme d’aide aux employés, mais il m’a assuré qu’il avait déjà pris des mesures par lui-même pour régler ses problèmes [...]

[...]

Nous faisons appel à vos services d’évaluation de l’aptitude au travail afin de déterminer ce qui suit :

  • · [le fonctionnaire] est-il actuellement apte à travailler?

  • · Quelle est l’étendue de son problème de santé (c’est-à-dire à long terme, à court terme, à durée indéterminée)?

  • · Quelles sont les limitations, le cas échéant, qui l’empêcheraient d’exercer ses fonctions, tel que de travailler 37,5 heures par semaine?

  • · S’il est apte au travail, est-il en mesure de s’acquitter régulièrement des tâches de son poste? Dans la négative, quelles restrictions précises l’empêchent de répondre aux attentes en matière de rendement?

  • · Existe-t-il des stratégies spécifiques que la direction peut utiliser pour aider [le fonctionnaire] à gérer sa situation de travail (c’est-à-dire faire face en milieu de travail aux tensions de sa vie personnelle, la nécessité de respecter les échéances et de se présenter de façon fiable et régulière au travail)?

  • · S’il n’est pas en mesure de reprendre le travail en ce moment, quand vous attendez-vous à ce qu’il puisse travailler?

  • · Veuillez faire part de vos commentaires et de vos observations supplémentaires.

[...]

[58]  Le Dr Grondin a répondu le 28 février 2013. Il a écrit en partie ce qui suit (le texte original est en français) :

 [...]

À votre première question, [le fonctionnaire] est surement capable de retourner au travail. Selon ses dires, depuis le 5 février 2013, il est apte à travailler et il l’a fait à temps plein à raison de 5 jours semaine et il a du s’absenter 3 fois pour des douleurs lombaires.

Quant à sa condition médicale, c’est celle d’une dépression majeure, qui a déjà été sévère, mais qui est plutôt légère à modéré à ce moment-ci, code 296,23 selon la DSM4, sans épisode de psychose. Un autre diagnostic de troubles d’adaptation avec anxiété, le code 309,28 et de l’anxiété générale, le code 300,00. Il est clair que [le fonctionaire] a subi plusieurs agents stresseurs dont des séparations difficiles et le manque de contact avec ses 3 enfants.

Sa condition médicale semble sous contrôle pour l’instant. Toutefois, nous sommes déçus car nous lui avons prescript des antidépresseurs et autres medications qui semblent l’avoir aidé, mais malheureusement, il n’a pas poursuivi ses médications, faute de budget personnel.

Je pense que le pire est derrière lui et sa condition dépressive ne devrait pas devenir chronique.

À votre question 3, il n’y a aucune limitation qui peut empêcher de faire son travail à raison de 37,5 heures par semaine.

À votre question 4, il n’a pas de restriction pour performer àsa position.

À la question 5, [le fonctionnaire] affirme qu’il enverra un courriel et vous avisera de tout retard ou manque au travail, par courriel, dans un délai raisonnable.

 À la question 6, [le fonctionnaire] en date d’aujourd’hui, est sûrement capable de faire son travail et l’était aussi en date du 5 février. Je pense que [le fonctionnaire] veut avoir une atmosphère de travail positive. Il a rencontré d’autres membres de son département. Il semble vouloir partager la vision des choses pour le département et il semble qu’il a été bien reçu. [...]

 

[59]  Le fonctionnaire a témoigné au sujet de ses discussions approfondies avec le Dr Hébert et le Dr Grondin, et ensuite la Dre Tannenbaum, concernant la paralysie qu’il subit parfois lorsqu’il souffre d’une crise de panique et de son incapacité à parler. Selon le fonctionnaire, c’est la raison pour laquelle, dans la lettre, le Dr Grondin a mentionné expressément l’engagement du fonctionnaire à envoyer des courriels pour aviser la direction d’un retard ou d’une absence.

[60]  Le fonctionnaire en avait déjà discuté avec M. Thomas. C’est la raison pour laquelle il a été déçu d’avoir été expressément privé de la possibilité d’envoyer un courriel et contraint de téléphoner et de parler à son directeur concernant une absence. Parfois, il n’était tout simplement pas en mesure de le faire; en conséquence, il estimait que la Lettre d’instructions était inéquitable à cet égard. À son avis, sa paralysie langagière était directement responsable de sa violation des conditions de la lettre, qui a entraîné sa suspension.

[61]  Mme Gascon n’a pas modifié les conditions de la Lettre d’instructions du fonctionnaire à la suite des commentaires du Dr Grondin sur l’envoi de courriels au sujet du retard ou de l’absence du travail. Mme Gascon a fait remarquer que le Dr Grondin n’avait pas mentionné une déficience ni énoncé de mesures d’adaptation nécessaires. Elle a indiqué dans son témoignage que, par conséquent, elle avait l’impression que le fonctionnaire n’avait aucune déficience. Aucune mesure d’adaptation n’était nécessaire.

[62]  Le 20 mars 2013, une suspension de dix jours sans solde a été imposée au fonctionnaire pour ses absences les 28 février et 14 mars 2013. Il a indiqué dans son témoignage qu’il avait été impliqué dans un accident de voiture alors qu’il était en route vers une séance de formation à Asticou, un centre de formation du gouvernement fédéral. Il a indiqué dans son témoignage qu’il avait appelé au centre de formation Asticou pour signaler son absence. Mme Gascon a indiqué qu’il n’y avait aucune trace d’un tel appel.

[63]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que, le 14 mars 2013, il devait se rendre à un bureau d’avocat. Mme Gascon a soutenu qu’une absence de travail pour une telle réunion exigeait l’approbation préalable et a déclaré : [traduction] « Personne ne va voir un avocat à la dernière minute. »

[64]  Avant de reprendre le poste de M. Thomas en tant que directeur, Mme Forget était bien au courant de l’historique des problèmes d’assiduité du fonctionnaire, qui remontait à son époque avec le MDN. Elle était également au courant des problèmes de recouvrement des salaires liés aux congés non autorisés qui l’avaient suivi lorsqu’il était passé du MDN à SPC, ainsi que de la Lettre d’instructions.

[65]  Le 7 mai 2013, Mme Forget a écrit au médecin personnel du fonctionnaire, la Dre Tannenbaum. Elle a mentionné la conclusion du Dr Grondin selon laquelle le fonctionnaire était en mesure de [traduction] « travailler sans restriction ». Dans sa lettre, Mme Forget a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

[...]

Bien que [le fonctionnaire] ait indiqué verbalement à maintes reprises qu’il était en mesure de travailler sans restriction, il a exprimé qu’il est possible qu’il ait besoin d’un certain type de mesures d’adaptation pour l’aider à s’acquitter de ses tâches et a demandé qu’un deuxième avis médical soit demandé à son médecin de famille, et il vous a identifié comme étant son médecin de famille [...]

[...]

[66]  Le 15 mai 2013, la Dre Tannenbaum a répondu, affirmant qu’elle n’était pas d’accord avec l’évaluation du Dr Grondin. Elle a répondu comme suit à une question concernant les capacités fonctionnelles, les limitations ou les restrictions du fonctionnaire :

[Traduction]

[...]

[...] Bien qu’il soit fonctionnel d’une certaine façon, il est parfois incapable de s’acquitter de ses fonctions en raison de problèmes cognitifs liés à la concentration, à l’énergie et à l’humeur. Il n’a aucune restriction physique. Son jugement a été très erroné dans le passé à cause de ces restrictions (en n’informant pas les personnes qu’il fallait informer de ses absences), et je crois que sa vision de son état de santé est limitée.

[...]

[67]  La Dre Tannenbaum a poursuivi ses commentaires sur l’état de santé du fonctionnaire en ce qui a trait au milieu de travail de la façon suivante :

[Traduction]

[...]

[...] Comme je l’ai déjà mentionné, je n’avais pas vu [le fonctionnaire] depuis quelque temps avant le 7 mai 2013. C’est un homme intéressant qui a eu des défis extrêmes dans sa vie. Pour une autre personne, ces expériences auraient même pu causer un handicap important. Dans [son] cas, il a persisté dans son travail comme une distraction à son humeur, qui est aussi une nécessité financière pour lui. À mon avis, il ferait aussi bien de prendre un certain temps de congé pour s’occuper de son état de santé, mais ce n’est pas sa façon de gérer la situation. Essentiellement, je dois dire qu’il a suffisamment d’incapacité permanente pour nécessiter des mesures d’adaptation au travail qui comprennent la possibilité d’envoyer des courriels (plutôt que d’appeler) s’il n’est pas en mesure d’être présent, et peut-être une plus grande flexibilité en ce qui concerne l’ajustement de son horaire, le cas échéant. Son désir de travailler semble sincère et j’ai passé des contrats avec lui pour qu’il continue ses soins médicaux avec moi jusqu’à ce qu’il soit plus stable.

[...]

[68]  La lettre de la Dre Tannenbaum n’a donné lieu à aucune modification à la Lettre d’instructions. Ni Mme Forget ni Mme Gascon n’ont estimé que la lettre de la Dre Tannenbaum préconisait des mesures d’adaptation précises. Toutes deux connaissaient les évaluations de l’aptitude au travail des différents médecins, mais jusqu’à la lettre du 13 septembre 2013, de la Dre Maureen Baxter de Santé Canada, les évaluations n’imposaient pas d’obligations claires en matière de mesures d’adaptation à l’employeur. Ainsi, jusqu’à ce que la lettre de la Dre Baxter soit reçue, elles ont toutes les deux agi en partant du principe que le fonctionnaire n’avait pas besoin de mesures d’adaptation médicales. La lettre de la Dre Baxter a incité l’employeur à modifier les conditions de la Lettre d’instructions afin de lui permettre d’envoyer un courriel ou un texto plutôt que de téléphoner pour signaler un retard ou une absence.

[69]  Le 6 septembre 2013, le directeur général a imposé au fonctionnaire une suspension sans solde de 15 jours pour son omission de fournir un certificat médical à la suite d’une absence le 18 juillet 2013. L’avis de suspension ajoute ce qui suit :

[Traduction]

[...]

De plus, vous avez confirmé que vous avez appelé votre médecin traitant le jour de l’absence, le 18 juillet 2013, mais qu’elle n’était pas là ce jour-là. Après vérification de ces renseignements, l’employeur a reçu une version différente. En fait, la clinique où votre médecin traitant travaille a confirmé que la Dre Tannenbaum, votre médecin, était à son poste toute la journée le 18 juillet. Par conséquent, je conclus que vous avez menti à votre employeur.

[...]

[70]  La lettre de suspension du 6 septembre 2013 fait allusion à un autre incident, qui a eu lieu le 28 août 2013, alors que le fonctionnaire était absent et n’avait pas fourni d’avertissement de la manière prescrite par la Lettre d’instructions.

[71]  Le 5 novembre 2013, le directeur général a imposé une suspension de 25 jours, encore une fois pour avoir menti au sujet d’une absence de travail. Le 2 octobre 2013, le fonctionnaire a informé Mme Forget que son fils était malade et qu’il devait rester à la maison pour prendre soin de lui. Il n’a présenté aucune preuve de la maladie de son fils. Lors d’une autre réunion de recherche de faits, le fonctionnaire a allégué qu’il avait été malade le 2 octobre 2013, et a fourni la preuve d’un témoin. Mme Forget a indiqué dans son témoignage qu’elle n’aurait pas accordé de poids à la preuve, parce que [traduction] « un ami du fonctionnaire dirait tout ce que le fonctionnaire voudrait qu’il dise ».

[72]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il avait subi une crise de panique le matin du 2 octobre 2013, et qu’il ne pouvait pas se rendre au travail. Il a indiqué que, en réalité, il avait bien son enfant avec lui ce matin-là. Il est allé voir la Dre Tannenbaum le lendemain. Elle a ensuite rédigé une note médicale, en date du 3 octobre 2013, qui se lit comme suit : [traduction] « Par la présente, je vous informe que [le fonctionnaire] est suivi pour des problèmes de santé, y compris la dépression et l’anxiété, et qu’il faut prendre des mesures d’adaptation pour ces troubles, au besoin ».

[73]  Ni Mme Gascon ni Mme Forget n’ont changé la façon dont elles traitaient le fonctionnaire après avoir reçu la note de la Dre Tannenbaum parce que celle-ci ne contenait aucune mesure d’adaptation détaillée. Ni l’employeur ni le fonctionnaire n’ont donné suite à la demande de la Dre Tannenbaum pour en savoir plus sur les mesures d’adaptation possibles.

[74]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que trois réunions de recherche de faits ont eu lieu au sujet de ses absences du travail les 2 et 3 octobre 2013.

[75]  La méfiance du fonctionnaire à l’égard de Mme Forget a atteint un point critique. Il avait l’impression qu’elle déformait ou modifiait les faits pour lui fournir des motifs de renvoi. Par conséquent, il a commencé à enregistrer subrepticement leurs conversations.

C.  Les enregistrements et les transcriptions en preuve

[76]  Le fonctionnaire a cherché à présenter les enregistrements et les transcriptions en tant qu’éléments de preuve dans le cadre de la procédure. L’employeur s’y est opposé, affirmant qu’ils portaient atteinte à la protection des renseignements personnels et sapaient la relation de confiance qui est un élément essentiel des relations de travail.

[77]  L’employeur a présenté deux cas à l’appui de son objection. Dans Baun c. Opérations des enquêtes statistiques, 2014 CRTFP 26, une fonctionnaire avait enregistré une conférence téléphonique et avait demandé à produire l’enregistrement en preuve. Au paragraphe 114, l’arbitre de grief a fait remarquer que l’avocate de l’employeur avait soutenu que « [...] l’on ne peut s’appuyer sur un enregistrement fait subrepticement, comme dans la présente affaire, parce qu’un tel enregistrement réalisé dans de telles circonstances aurait pu être modifié ». En outre, elle a fait valoir qu’il existe de solides motifs de principe de ne pas admettre un enregistrement qui a été fait sans en aviser les autres participants à la conversation. Elle a mentionné qu’il convient de favoriser un climat de franchise dans les discussions  sur les relations syndicales-patronales, et que ce niveau de franchise souhaité aurait peu de chances d’être atteint si les parties à une conversation craignaient un enregistrement possible. Elle a fait valoir que l’enregistrement que la fonctionnaire proposait de produire en preuve s’inscrivait dans une catégorie différente de celle des messages vocaux enregistrés qui ont été produits par l’employeur parce que la personne qui laisse un message vocal s’attend à ce qu’il soit enregistré.

[78]  La décision indique ce qui suit aux paragraphes 115 et 116 :

[115] La fonctionnaire a fait valoir que l’enregistrement d’une conversation ne ferait pas augmenter le degré de méfiance entre les parties. Elle a dit que dans les faits, elle n’avait pas confiance que les autres participants se souviennent de la conversation avec exactitude, et c’est pourquoi elle a ressenti la nécessité de l’enregistrer.

[116] J’ai accepté l’argument invoqué par l’avocate de l’employeur selon lequel outre les préoccupations concernant la fiabilité d’un enregistrement sur bande au sens technique, il existe de solides raisons de principe de ne pas accepter un enregistrement ayant été fait subrepticement par une partie à une conversation. Les réunions du genre de celle qui s’est tenue le 24 juillet revêtent une importance cruciale, tout comme les efforts visant à régler les questions syndicales patronales et à échanger de l’information et des opinions en toute franchise. J’ai refusé d’admettre l’enregistrement.

 

[79]  Dans Tuquabo c. Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 128, au paragraphe 4, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) a indiqué ce qui suit : « De façon générale l’enregistrement de conversations, sur le lieu de travail, à l’insu des gens ne doit pas être encouragé ».

[80]  Le fonctionnaire a présenté une décision d’arbitrage, British Columbia Government and Service Employees’ Union c. British Columbia Public Service Agency, au nom du Ministry of Forests, Lands and Natural Resource Operations, B.C. Wildlife Service, 2016 CanLII 77600, qui a reconnu, au paragraphe 13 [traduction] « [...] l’effet préjudiciable et dissuasif que peut avoir l’admissibilité de tels enregistrements sur la coopération, la collaboration, la discussion ouverte en vue de règlement des litiges et l’échange franc pour régler les problèmes en milieu de travail ».

[81]  Toutefois, la décision indique ce qui suit au paragraphe 14 :

[14] Les exceptions lorsque l’enregistrement subreptice [sic] sont considérés comme étant justifiés et sont admissibles comprennent les circonstances dans lesquelles les personnes dans le cadre de l’emploi ou la relation plus large qui ont effectué et soumis l’enregistrement ont dû avoir recours à l’enregistrement clandestin pour régler un déséquilibre dans une relation de pouvoir afin d’établir de façon objective leur crédibilité face à l’accusation d’être un auteur du méfait ou un menteur, plutôt qu’une victime.

[82]   Le fonctionnaire a soutenu qu’il s’agissait précisément de sa situation. Mme Forget pensait qu’il était un menteur, et il a enregistré leurs conversations pour se protéger. Il a décrit avoir eu le sentiment d’avoir une cible peinte sur lui et que Mme Forget cherchait un moyen de le faire licencier. Il avait l’impression qu’il était [traduction] « piégé » ou « pris au piège » dans leurs réunions. Les enregistrements et les transcriptions des conversations enregistrées sont essentiels à sa position selon laquelle l’employeur n’a pas agi de bonne foi dans ses rapports avec lui.

1.  Décision concernant l’admissibilité des enregistrements et des transcriptions

[83]  L’environnement des relations de travail ne peut fonctionner correctement que s’il est caractérisé par l’ouverture, l’honnêteté et la confiance. L’enregistrement clandestin des conversations privées n’est pas illégal, mais il va à l’encontre de ces principes.

[84]  Cependant, je peux comprendre la situation dans laquelle le fonctionnaire s’est retrouvé lorsqu’il a envisagé l’enregistrement de ses conversations avec Mme Forget. Bien qu’il n’ait pas présenté de grief contre la décision de le suspendre pour avoir menti, il n’a manifestement pas apprécié être traité de menteur. Pour accuser réception de sa suspension de 15 jours, il a écrit sur la lettre de suspension, en lettres majuscules [traduction] « J’accuse réception de cette lettre, mais je réfute puisqu’il n’y a pas de temps pour examiner et avoir une consultation syndicale appropriée. En outre, la mention du mensonge doit être supprimée ».

[85]  Je répugne à faire quoi que ce soit qui puisse être interprété comme un appui à l’enregistrement subreptice des conversations. Toutefois, dans les circonstances, et pour permettre au fonctionnaire de faire pleinement valoir ses arguments et d’être entendu, j’ai admis ces enregistrements en preuve. En fin de compte, le fonctionnaire ainsi que Mme Forget ont tous deux témoigné au sujet des réunions et je conclus que leurs témoignages concordent avec les transcriptions des réunions enregistrées.

[86]  Le fonctionnaire a subrepticement enregistré les trois réunions de recherche des faits avec Mme Forget qui ont eu lieu au sujet de son absence du travail le 2 octobre 2013. Elle lui a ensuite envoyé par courriel un résumé de ce dont ils avaient parlé. Il a relu les enregistrements lorsqu’il a lu le résumé et n’a pas été d’accord avec ses descriptions de certains faits.

[87]  Mme Forget et le fonctionnaire ont échangé des messages sur les détails de leur réunion de recherche de faits du 9 octobre 2013. Elle lui a écrit : [traduction] « Vous avez dit que vous aviez un autre rendez-vous avec la Dre Tannenbaum et qu’elle préciserait certaines mesures d’adaptation et je vous ai dit que c’était maintenant entre elle et Santé Canada ».

[88]  Le fonctionnaire a répondu ce qui suit : [traduction] « Vous n’avez pas dit que c’était maintenant entre mon médecin et Santé Canada ». Elle a répliqué [traduction] « Je maintiens que je l’ai dit ». Il a répondu : [traduction] « Vous avez dit que mon médecin devait dire précisément quelles devaient être les mesures d’adaptation. Vous avez dit qu’il vous suffisait de savoir quelles étaient les mesures d’adaptation nécessaires indépendamment de leur condition. » Elle a répondu [traduction] « C’est vrai ». Il a poursuivi en disant : [traduction] « Je vous ai aussi indiqué que nous parlerions avant mon prochain rendez-vous de ce que vous devez savoir. » Elle a répondu : [traduction] « L’information que j’ai besoin de connaître a été demandée et fournie par Santé Canada, et aucune mesure d’adaptation n’est requise. Il n’est pas nécessaire que vous et moi discutions avant votre prochain rendez-vous médical. » Le fonctionnaire a répondu : [traduction] « Vous avez dit que vous aviez seulement besoin de savoir quelle mesure d’adaptation est nécessaire. Vous avez dit que mon médecin et Santé Canada  “doivent s’entendre” [en français dans la version originale]. Donc, si les relations de travail demandent des éclaircissements, mon médecin les fournira. » Mme Forget a conclu en disant : [traduction] « L’évaluation médicale reçue de Santé Canada, en date de septembre 2013, est claire. »

[89]  Mme Forget croyait qu’il y avait des écarts évidents entre ce qu’ont dit le Dr Grondin et la Dre Tannenbaum concernant l’état de santé du fonctionnaire et ses répercussions sur son travail, elle a donc demandé une autre évaluation de l’aptitude au travail à Santé Canada le 7 juin 2013. Sa demande était longue et détaillée, et elle comprenait des renseignements tirés d’évaluations médicales antérieures ainsi qu’un paragraphe sur le fait qu’il avait été en surveillance étroite en cas de risque de suicide en septembre dernier.

[90]  Mme Forget a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[...]

Étant donné que le deuxième rapport du médecin contredit l’évaluation de médecin initiale, et ne mentionne aucune limitation fonctionnelle, nous faisons maintenant appel à vos services (un troisième avis d’expert) afin de mener une évaluation de l’aptitude au travail pour déterminer ce qui suit :

Questions :

  • 1. L’employé a-t-il une déficience à l’égard de laquelle on doit prendre des mesures d’adaptation dans le milieu de travail?

  • 2. D’après votre évaluation médicale, [le fonctionnaire] est-il en mesure d’exercer toutes les fonctions de son poste d’attache à ce moment-ci, par exemple 37,50 heures par semaine? Ou à temps partiel? Si des heures à temps partiel sont envisagées, quelles sont ces heures?

  • 3. L’employé a-t-il des limitations fonctionnelles à l’égard desquelles on doit prendre des mesures d’adaptation dans le milieu de travail? Dans l’affirmative, veuillez fournir des détails sur toutes les limitations et/ou restrictions fonctionnelles que [il] pourrait avoir.

  • 4. Désignez-vous les limitations et/ou restrictions fonctionnelles comme étant de nature permanente ou temporaire? Si elles sont temporaires, veuillez indiquer les échéanciers [sic].

  • 5. Quelles limitations et/ou restrictions médicales [l’]empêchent d’appeler ou de parler directement par téléphone à son superviseur lorsqu’il ne peut se présenter au travail?

  • 6. S’il ne devait pas travailler actuellement, quand le ministère peut-il s’attendre à ce qu’il retourne au travail et s’acquitte de toutes les fonctions de son poste?

  • 7. Nous demandons des renseignements sur [sa] capacité d’assister au travail, à l’heure, tous les jours, et d’assumer toutes les responsabilités de son poste.

  • 8. D’après votre évaluation médicale, est-ce qu’il a un problème de santé qui l’empêche de prendre des décisions rationnelles?

  • 9. Est-[il] capable de comprendre la gravité de ses actes et les conséquences qui en découlent?

  • 10. Si des limitations fonctionnelles ont été relevées, quelles mesures d’adaptation suggérez-vous, dans le milieu de travail, pour s’assurer qu’il peut travailler (exécuter les fonctions de son poste) au mieux de ses capacités.

[...]

[91]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il a rencontré la Dre Baxter pendant environ 10 minutes.

[92]  La réponse de la Dre Baxter, qui est la suivante, est en date du 13 septembre 2013 et elle est brève :

[...]

J’ai révisé toute la documentation médicale disponible ainsi que le rapport d’un de nos consultants spécialistes. [Le fonctionnaire] poursuit toujours des initiatives thérapeutiques et ses conditions médicales chroniques sont présentement stables. Il est apte à travialler [sic] à temps plein et s’acquitter de toutes ses tâches.

Le consultant spécialiste et le professionnel de la santé traitant recommandent que la gestion permette [au fonctionnaire] d’aviser son superviseur par courriel lors d’un retard ou d’une absence imprévue, et ce, pour des raisons médicales.

Les conditions médicales [du fonctionnaire] ne nuisent pas à ses capacités d’être autonome dans la prise de décisions ni à sa compréhension des conséquences de ses décisions.

[...]

 

[93]  Mme Forget et Mme Gascon ont toutes deux indiqué dans leur témoignage que la lettre de la Dre Baxter leur a servi de guide définitif pour traiter avec le fonctionnaire. Étant donné qu’elle n’a expressément mentionné aucune limitation fonctionnelle, restriction ou mesure d’adaptation, aucune n’a été envisagée, à l’exception de la disposition expresse selon laquelle il serait autorisé à envoyer un texto ou un courriel pour signaler un retard ou une absence, plutôt que de téléphoner.

D.  Le licenciement

[94]  À la suite des réunions de recherche de faits tenues à la mi-octobre 2013, le fonctionnaire s’est senti de plus en plus désespéré dans le milieu de travail et a recommencé à avoir des pensées suicidaires. Il a vu son médecin de famille qui, le 4 novembre 2013, a écrit : [traduction] « Veuillez prendre note que [le fonctionnaire] sera absent du travail du 29 octobre 2013 au 3 mars 2014, car il est dans l’incapacité de travailler pour des raisons médicales pendant cette période ».

[95]  En mars 2014, le fonctionnaire est retourné au travail. Toutefois, il n’était pas autorisé à se présenter au travail parce qu’il était tenu de respecter les conditions de sa suspension de 25 jours.

[96]  Après avoir purgé sa suspension, il a été placé dans un programme de retour au travail progressif. Il a commencé par travailler quelques heures par semaine; après quelques semaines, il a progressivement augmenté ses heures jusqu’à 37,5 heures par semaine.

[97]  Le 24 mai 2014, Mme Forget a documenté les absences du fonctionnaire dans le milieu de travail les 3 et 17 mai, pour lesquelles il a demandé un congé annuel. Conformément à la Lettre d’instructions, les congés annuels devaient être approuvés au préalable. Elle n’a donc pas approuvé la demande de congé annuel pour ces deux absences et les a traitées comme des absences non autorisées. Comme c’était le cas pour le MDN, SPC a déduit la rémunération pour ces jours-là de son salaire.

[98]  Le lundi 9 juin 2014, à 8 h 1, le fonctionnaire a envoyé un texto à Mme Forget : « Claire, je dois prendre un [congé familial] pour un membre de ma famille, merci ». Elle a répondu à 9 h comme suit : « Avant de l’approuver j’aimerais savoir pour quel genre de circonstances et pour quelle membre de ta famille? Merci ». Le fonctionnaire a répondu à 10 h 34, comme suit : « Ma conjointe de fait Catherine Mayrand, qui vit avec moi sous le même toit à la même adresse est malade et a besoin d’un aidant familial merci as tu besoin d autres informations personnelles merci. » [sic pour l’ensemble de la citation]. À 11 h 42, Mme Forget a répondu : « Merci pour les informations. À l’avenir, il faudrait mentionner les raisons au moment de la demande. Le congé pour raisons de famille est accordé pour des motifs spécifiques. Bonne journée. »

[99]  Plus tard dans la semaine, le matin du 12 juin 2014, le fonctionnaire a découvert son pare-brise brisé. Il a indiqué dans son témoignage qu’il craignait que ce fût l’œuvre d’un ancien client à qui l’hébergement et le repas avaient été offerts, et qui était parti très en colère. Le fonctionnaire ainsi que sa conjointe étaient bouleversés, et ils se sont demandé s’ils devaient appeler la police. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’ils avaient décidé d’aller au travail, de réfléchir davantage à la question et de discuter avec des voisins après le travail avant d’appeler la police.

[100]  Le même matin, le fonctionnaire a subi une hémorragie soudaine, ce qui était un effet indésirable de l’opération qu’il avait subie deux mois auparavant. Il a envoyé un texto à Mme Forget, « Claire, je vais être au bureau juste un peu après 9 :00 ce matin merci ».

[101]  Ensuite, sa conjointe et lui sont partis au travail. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il a noté l’heure à l’horloge dans le foyer de l’immeuble de son bureau; il était 9 h 10. Dès qu’il est arrivé à son bureau et à son ordinateur, il a envoyé un courriel ayant trait au travail à Mme Forget. L’horodatage sur le courriel indiquait 9 h 23.

[102]  Mme Forget a indiqué dans son témoignage qu’elle était en réunion ce matin-là et, à 12 h 3, elle lui a envoyé un courriel lui demandant : « [À] quelle heure es-tu arrivé auj? [sic] Merci ». À 12 h 5, soit deux minutes plus tard, il a répondu : « [À] 9h10 [sic]  et je planifie partir à 17h10 [sic]. » À 16 h 38, cet après-midi-là, elle lui a envoyé le message suivant :

[...]

Nous devrons réviser ta lettre d’instructions car il y a des dispositions à suivre pour les situations de retard. Les retards, et les absences pour imprévus, doivent être clairement expliqués et justifiés et une preuve doit être fournie. Tu dois aussi m’envoyer un courriel à ton arrivée. Nous allons en discuter à ton bi-lat [sic].  

[...]

 

[103]  Le fonctionnaire et Mme Forget ont tous deux témoigné au sujet de ce qui s’est passé lors de cette « réunion bilatérale » le lendemain. En plus de leurs témoignages, une transcription a été déposée en preuve de l’enregistrement subreptice de leur réunion le 13 juin 2014.

[104]  La réunion a débuté par une discussion sur des questions liées au travail. Ensuite, à un moment donné, le fonctionnaire a demandé : « Tu veux savoir pourquoi on est arrivé en retard? » Mme Forget a répondu : « Non puis… quand tu modifies des heures de même, il faut que tu les justifies, hein? » Il a répondu en expliquant que, en réalité, des enfants du quartier avaient accidentellement cassé son pare‑brise, ce qu’elle pourrait confirmer auprès de Mme Maynard. Mme Forget a répondu qu’elle ne le ferait pas parce que Mme Maynard était également employée de SPC.

[105]  Le fonctionnaire a ensuite expliqué à Mme Forget les complications postopératoires qui avaient fait en sorte que sa literie soit couverte de sang. Elle lui a indiqué : [traduction ]« Pas besoin de donner les détails de la condition médicale, mais en ce qui concerne les retards et les absences imprévues, ils doivent être valides et ensuite justifiés. » Elle lui a ensuite indiqué qu’il devait fournir des renseignements suffisants pour justifier son absence au moment où il demande un congé.

[106]  Le fonctionnaire a fait allusion à l’incident précédent, qui a eu lieu le 9 juin 2014, lorsqu’il a envoyé un texto demandant un jour de congé pour des raisons familiales. À cette occasion, Mme Forget a répondu en demandant plus de détails, qu’il a fournis, et la demande de congé a été approuvée. Il lui a demandé pourquoi elle n’avait tout simplement pas fait de même la veille, si elle avait besoin de plus de détails au sujet de la raison pour laquelle il serait en retard au travail.

[107]  Mme Forget a ensuite mentionné la modification de la Lettre d’instructions en vue de refléter un changement dans les heures de travail et a indiqué : « [traduction] [...] venez travailler tous les jours; on fera beaucoup de choses, alors tout ira bien. »

[108]  Pour le reste de la réunion du 13 juin 2014, les événements du 12 juin n’ont pas été discutés.

[109]  Ensuite, le 26 juin 2014, Mme Forget a convoqué le fonctionnaire à une réunion de recherche de faits concernant son retard du 12 juin 2014. Le message se lit en partie comme suit : [traduction] « La présente fait suite à notre conversation du 13 juin 2014. L’objectif de la réunion de recherche de faits est de recueillir plus de renseignements sur votre retard du 12 juin » [Le passage en évidence l’est dans l’original].

[110]  Le fonctionnaire a répondu comme suit :

[Traduction]

Puis-je demander quels sont les faits à établir et quels autres renseignements supplémentaires doivent être fournis? Je n’ai rien à ajouter.

Lors de notre réunion bilatérale du 13 juin, nous en avons discuté et notre pare-brise de voiture a été vandalisé et j’ai dit que vous pouviez vérifier avec ma conjointe puisqu’elle avait le même problème et elle en est témoin et vous avez indiqué que vous ne le vérifieriez pas avec un autre employé.

Cette employée, ma conjointe, est témoin de cet événement. Comment puis-je prouver quoi que ce soit si mes témoins ne sont pas reconnus ou contactés? Je crois me rappeler que les Relations de travail ont déjà appelé la clinique de mon médecin pour vérifier des renseignements. Je devrais avoir la même liberté de fournir un témoin pour confirmer un fait. Si ce n’est pas le cas, je ne peux pas bénéficier d’un traitement équitable.

[...]

Nous avons ensuite revu la Lettre d’instructions et nous avons signé et vous avez dit : On signe les deux, puis nous passons à autre chose!

Aucune preuve ou exigence supplémentaire n’a été requise de votre part après cette réunion. Ainsi, selon notre réunion du 13 juin, vous avez accepté l’explication et vous n’aviez pas besoin de preuve supplémentaire après cette réunion jusqu’à ce matin.

[...]

J’ai indiqué également qu’en raison de mon état de santé, j’ai souvent des complications le matin à cause de l’opération. Vous avez indiqué que je n’avais pas à entrer dans les détails si c’était le cas. Il s’agit ici de deux poids, deux mesures.

[...]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[111]  Plus tard dans la journée, Mme Forget a répondu, en partie, comme suit : [traduction] « La réunion de recherche de faits aura lieu pour discuter de la Lettre d’instructions, et plus précisément de ses mesures pour régler les cas de retard, et non les raisons elles-mêmes du retard en question ici. »

[112]  Le fonctionnaire, Mme Forget, un représentant de la Direction des ressources humaines de SPC, et un représentant des relations de travail ont assisté à la réunion.

[113]  Le fonctionnaire a subrepticement enregistré la réunion. Une transcription de la discussion a été déposée en preuve. Pour commencer la réunion, Mme Forget a indiqué, en partie, ce qui suit : « [traduction] Nous sommes ici pour discuter de votre retard le 12 juin, et parce que les instructions contenues dans votre Lettre d’instructions n’ont pas été suivies ce jour-là pour signaler votre retard une fois au bureau, c’est ce dont j’aimerais discuter. »

[114]  Le fonctionnaire était confus par cette déclaration. Il a rappelé à Mme Forget le long échange de courriels de la veille, ce qui lui avait clairement fait comprendre que le but de la réunion n’était pas de discuter des raisons de son retard le 12 juin 2014.

[115]  Mme Forget lui a rappelé que son texto, envoyé à 7 h 35, le 12 juin, ne contenait aucune preuve, justification ou explication quant à la raison pour laquelle il serait en retard.

[116]  Le fonctionnaire a indiqué qu’il était perplexe en raison de ces messages contradictoires et a souligné que le 13 juin 2014, lorsqu’il a tenté de décrire l’hémorragie qui s’était produite à cause d’une complication liée à sa récente opération, Mme Forget lui avait indiqué que ce genre de détails était inutile. Il a ajouté que, lorsqu’il avait demandé un congé familial plus tôt cette même semaine, le lundi 9 juin, elle avait demandé des précisions supplémentaires. Il les a fournies et elle a accordé le congé. Pourquoi, a-t-il insisté, n’aurait-on pas pu faire de même le 12 juin? Si elle estimait avoir besoin de renseignements supplémentaires, elle n’avait qu’à les demander.

[117]  Mme Forget a répondu que cet échange n’était pas conforme à l’énoncé de la Lettre d’instructions. Elle a indiqué que la lettre était claire en ce sens que son avis initial de retard devait fournir les raisons, la preuve et la justification. La réunion n’avait pas pour but de discuter de la raison pour laquelle il avait été en retard le 12 juin 2014, mais de discuter des raisons pour lesquelles il n’avait pas obéi à la Lettre d’instructions.

[118]  La Lettre d’instructions a été modifiée le 15 octobre 2013, afin de permettre au fonctionnaire de communiquer par courriel ou par texto un retard ou une absence, et il devait fournir des motifs. En outre, la phrase suivante a été ajoutée : [traduction] « Pour le retard, vous devez également m’envoyer un courriel à votre arrivée pour indiquer l’heure à laquelle vous êtes arrivé » [Le passage en évidence l’est dans l’original].

[119]  Le fonctionnaire a de nouveau exprimé sa frustration et sa confusion à l’égard de la situation et a indiqué qu’il avait l’impression d’être harcelé. Il se sentait visé et piégé. Il n’avait pas eu l’occasion de réexaminer les modifications les plus récentes apportées à la Lettre d’instructions depuis sa signature en octobre dernier. Après l’échange du 9 juin 2014, il a estimé que la même latitude pouvait s’étendre au 12 juin.

[120]  Le fonctionnaire a indiqué qu’en raison de l’urgence des événements du matin du 12 juin, il n’avait pas été immédiatement en mesure de fournir plus de détails. Ses priorités étaient sa sûreté, sa sécurité et sa santé. Tout ce qu’il avait voulu faire, c’était de prévenir qu’il serait un peu en retard ce matin-là.

[121]  Mme Forget et le fonctionnaire ont ensuite discuté de la question de savoir s’il avait consciemment décidé d’ignorer les conditions de la Lettre d’instructions. Il a réitéré qu’il n’avait tout simplement pas été en mesure de fournir des détails à l’époque et que, lorsqu’il a tenté de fournir des détails le lendemain lors de leur réunion du 13 juin 2014, elle lui a dit qu’elle n’avait pas besoin de connaître les détails.

[122]  La réunion a ensuite porté sur le fonctionnaire et non sur la gestion du courriel à son arrivée, sous la forme de quelque chose comme : [traduction] « Je suis arrivé au bureau à tel moment ». Il a répondu à Mme Forget que, dès qu’il est arrivé ce matin-là, il s’est connecté à son ordinateur et lui a envoyé un courriel lié au travail. Elle lui a alors demandé : « [traduction] Donc, vous pensez que, lorsque vous arrivez en retard, vous n’avez pas à m’en aviser, contrairement à ce qui est indiqué dans la Lettre d’instructions? »

[123]  Le fonctionnaire a répondu que ce n’était pas du tout ce qu’il voulait dire ou pensait et que l’inquisition était une forme de harcèlement. Il estimait que le courriel qu’il avait envoyé à Mme Forget à 9 h 23, le 12 juin 2014, satisfaisait aux conditions de sa Lettre d’instructions. Il estimait que l’horodatage du courriel avait confirmé son heure d’arrivée.

[124]  Le représentant de l’agent négociateur, qui était également présent à la réunion du 27 juin 2014, a ensuite demandé la permission de prendre la parole. Il a suggéré que le fonctionnaire avait respecté l’esprit de la Lettre d’instructions lorsqu’il a avisé Mme Forget de son absence imprévue, puis a envoyé un courriel dès son arrivée au bureau.

[125]  La Lettre d’instructions a ensuite été examinée, et la réunion du 27 juin 2014 a pris fin.

[126]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il se sentait plus déprimé, confus et frustré que jamais à cause de la réunion. Il est allé directement voir la Dre Tannenbaum pour une consultation.

[127]  Le 2 juillet 2014, la Dre Tannenbaum a écrit ce qui suit à l’employeur :

[Traduction]

[...]

Après de nombreuses visites médicales et un traitement optimal avec une bonne réponse, il a été déterminé que [le fonctionnaire] souffre de symptômes médicaux découlant d’un milieu de travail toxique. Même en continuant de suivre des traitements et avec des mesures d’adaptation, je crains que [il] ne continue d’avoir des difficultés en milieu de travail dans son poste actuel, étant directement supervisé par Claire Forget et Lyne Gascon. C’est la raison pour laquelle je recommande qu’il soit directement supervisé par un autre gestionnaire. Il sera en congé jusqu’à ce que ces mesures d’adaptation puissent être prises. Il continuera d’être sous surveillance médicale pendant la transition et les mesures d’adaptation seront discutées et déterminées au moment du retour au travail.

[...]

[128]  Mme Forget et Mme Gascon ont toutes deux indiqué dans leurs témoignages qu’elles étaient au courant de la lettre de la Dre Tannenbaum, mais ni l’une ni l’autre n’avait aucune intention d’y donner suite.

[129]  Tout au long de la période pertinente, Mme Tromp était sous-ministre adjointe principale, Services ministériels, ainsi que dirigeante principale des finances, SPC. Elle détenait le niveau de pouvoir approprié pour licencier le fonctionnaire. Elle n’a pas rédigé la lettre de licenciement, mais a indiqué dans son témoignage qu’elle avait été informée par la Direction des ressources humaines de SPC en ce qui concerne le dossier du fonctionnaire avant de signer la lettre.

[130]  Le fonctionnaire a personnellement reçu la lettre de licenciement le 22 juillet 2014. Elle se lit comme suit :

[Traduction]

[...]

La présente fait suite à la réunion de recherche de faits du 27 juin 2014, au cours de laquelle nous avons discuté des événements concernant votre retard du 12 juin 2014. L’explication que vous avez donnée n’était pas satisfaisante. En outre, vous n’avez pas envoyé de courriel à votre superviseure à votre arrivée pour indiquer l’heure à laquelle vous êtes arrivé (conformément à votre Lettre d’instructions en date du 24 août 2012).

Il y a eu de nombreuses tentatives pour que vous rectifiiez votre comportement en ce qui a trait à votre omission de suivre des directives selon votre Lettre d’instructions. Plus récemment, vous avez reçu une suspension de 25 jours pour défaut de suivre la directive en ce qui concerne les absences imprévues. La lettre de suspension en date du 5 mars 2014, vous a averti que le fait de ne pas corriger votre comportement pouvait vous rendre passible de mesures disciplinaires plus sévères pouvant aller jusqu’à votre licenciement pour cause.

J’ai soigneusement examiné les documents à l’appui qui démontrent que les mesures prises pour corriger votre comportement n’ont pas été un succès. La direction a tenté de corriger votre conduite en mettant en place des procédures administratives que vous devez suivre pour déclarer et justifier vos absences du bureau. Toutefois, vous avez continué d’ignorer la procédure mise en place, bien qu’elle ait été communiquée à de nombreuses reprises et que toutes les parties étaient d’accord sur la procédure. La direction a donc dû imposer des mesures disciplinaires à sept (7) occasions différentes dans l’espoir de corriger votre conduite.

Conformément à l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, par la présente je mets fin à votre emploi, et ce, à compter de l’heure de fermeture des bureaux le 21 juillet 2014. Si vous estimez cette mesure injustifiée, vous avez le droit de déposer un grief.

Si vous avez besoin de soutien personnel, vous pouvez communiquer avec le Programme d’aide aux employés [...]

[...]

[131]   Mme Tromp a indiqué dans son témoignage qu’elle avait examiné plusieurs versions de la Lettre d’instructions, mais elle a admis qu’elle ignorait que la version initiale, en date du 24 août 2012, ne contenait aucune disposition relative à l’avertissement des absences par courriel et que la modification correspondante avait été apportée beaucoup plus tard.

[132]  Mme Tromp a indiqué dans son témoignage qu’elle avait examiné le dossier du fonctionnaire avant de signer la lettre de licenciement, mais elle ne se souvenait d’aucune information sur son état de santé. Elle a indiqué qu’elle n’avait pas tenu compte de son état de santé lorsqu’elle a mis fin à son emploi. Lorsqu’on lui a demandé s’il y avait d’autres facteurs atténuants qui auraient pu être pris en compte, elle n’a pu en fournir aucun.

[133]  Lorsque Mme Tromp a été interrogée au sujet des facteurs aggravants, elle a fait référence au vaste historique disciplinaire du fonctionnaire, qui n’a pas entraîné de changement dans son comportement. Elle estimait que, compte tenu des circonstances de l’affaire, le licenciement était approprié.

[134]  Mme Tromp a été interrogée au sujet de son expérience dans les cas de licenciement. Elle a indiqué que, dans sa carrière dans la fonction publique, il s’agissait du seul licenciement qu’elle avait eu à traiter.

III.  Observations

A.  Pour l’employeur - grief contestant le licenciement

[135]  Le témoignage des témoins a accaparé les cinq jours d’audience et, par conséquent, les observations orales n’ont pas pu avoir lieu faute de temps. Des observations écrites ont été ordonnées et, le 5 décembre 2019, l’employeur a présenté ses observations sur le grief contre le licenciement.

[136]  Selon l’employeur, l’absentéisme et le retard répétés du fonctionnaire constituaient de l’insubordination. Selon Cavanagh c. Agence du revenu du Canada, 2015 CRTFP 7, et dans Brown and Beatty, Canadian Labour Arbitration (5e éd.), chapitre 7:3612, une conclusion d’insubordination exige la preuve des quatre éléments suivants :

  • 1) qu’une directive ait été donnée par l’employeur;

  • 2) que cette directive soit communiquée clairement à l’employé;

  • 3) que la personne ayant donné la directive ait l’autorité requise pour le faire;

  • 4) que le fonctionnaire ne se soit pas conformé.

 

[137]  L’employeur a soutenu que les quatre éléments ont été respectés en l’espèce. Un protocole sur les absences et les retards, sous la forme de la Lettre d’instructions et énoncé lors de nombreuses réunions en personne, indiquait très clairement les attentes de l’employeur. Le fonctionnaire devait aviser ses gestionnaires de ses absences ou de son retard par courriel, par texto ou par messagerie vocale. Il devait inclure des détails expliquant l’absence ou le retard et indiquer sa date de retour prévue ou l’heure d’arrivée prévue. Pour les retards, il devait envoyer un courriel à son arrivée au travail, pour indiquer quand il est arrivé.

[138]  Le fonctionnaire a reconnu à maintes reprises qu’il était au courant des conditions de la Lettre d’instructions.

[139]  La surveillance des absences du travail est une exigence professionnelle justifiée. Le fait qu’un employé ne fournisse pas de préavis quant à ses absences ou ne demande pas l’autorisation donne à l’employeur un motif juste et raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire (voir Desrochers c. Conseil du Trésor (solliciteur général du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-26340 (19980116), [1998] C.R.T.F.P. No 4 (QL); confirmée [2000] A.C.F. no 505 (QL).

[140]  Dans Samson c. Administrateur général (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 40, il a été conclu que l’exigence voulant que la fonctionnaire signale ses arrivées et départs à un gestionnaire donné était raisonnable. Dans la négative, l’employeur aurait des motifs justes et raisonnables d’imposer des mesures disciplinaires.

[141]  Les conditions pour signaler les absences et retards étaient imposées de bonne foi, selon l’employeur, et n’étaient ni déraisonnables, ni sévères, ni difficiles à satisfaire non plus.

[142]  L’employeur a soutenu que le fonctionnaire manquait de crédibilité en ce qui concerne son témoignage sur la façon dont il était tenu de signaler ses arrivées au bureau lorsqu’il était en retard. Le 12 juin 2014, il a envoyé un courriel concernant un problème lié au travail à 9 h 23, mais n’a pas envoyé de courriel indiquant son heure d’arrivée. L’employeur a soutenu qu’il avait fourni des versions contradictoires des raisons pour lesquelles il ne s’était pas conformé à la Lettre d’instructions; lors de la réunion de recherche de faits du 27 juin 2014, il a indiqué qu’il avait tout simplement oublié, tandis qu’à la barre des témoins, il a indiqué qu’il croyait que le courriel qu’il avait envoyé à 9 h 23, satisfaisait aux conditions de la lettre.

[143]  Les éléments de preuve contenaient de nombreux exemples du fonctionnaire envoyant des courriels à M. Thomas pour l’informer précisément de son heure d’arrivée, à une époque où il était tenu de le faire. Selon l’employeur, cela prouve qu’il a agi consciemment en violation de la Lettre d’instructions, ce qui constituait une insubordination.

[144]  L’employeur a soutenu que le licenciement représentait la mesure disciplinaire appropriée compte tenu de l’ensemble des circonstances. Les retards du fonctionnaire et le fait de ne pas avoir signalé son arrivée au travail, le 12 juin 2014, ne peuvent être considérés de manière isolée et doivent être considérés comme l’incident déterminant qui a suivi une longue série d’inconduites semblables.

[145]  La décision dans Reid-Moncrieffe c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CRTFP 25, appuie la proposition selon laquelle le principe des mesures disciplinaires progressives justifie le licenciement pour un incident déterminant après une série de sanctions graduellement plus sévères pour des inconduites semblables, même si l’incident déterminant, lorsqu’il est examiné seul, ne constitue pas un motif suffisant pour licencier un employé. Dans cette affaire, la fonctionnaire a été licenciée pour avoir fait des appels interurbains non autorisés à partir de son téléphone du bureau, ainsi que des absences du travail. La validité du licenciement dépend de l’ensemble des antécédents disciplinaires de l’employé et non seulement de la gravité de l’incident déterminant.

[146]  L’employeur a en outre présenté les affaires suivantes à l’appui de cette argumentation :

  • Charinos c. Administrateur général (Statistique Canada), 2016 CRTEFP 74;
  • Samson;
  • Philips c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 67;
  • Desrochers;
  • Westroc Industries Ltd. c. Teamsters Local Union No. 213, [2001] B.C.C.A.A.A. no 112 (QL);
  • Syndicat canadien de la fonction publique (Syndicat des employés de Vidéotron ltée, section locale 2815) c. Vidéotron ltée, [2008] D.A.T.C. No 193 (QL).

 

[147]  L’employeur a présenté à titre de facteur aggravant le dossier disciplinaire du fonctionnaire, qui indiquait une série d’insubordinations et un mépris continu et délibéré de la Lettre d’instructions.

[148]  Selon l’employeur, un autre facteur aggravant était que, trois jours avant l’incident déterminant, on a rappelé au fonctionnaire l’obligation de fournir suffisamment de renseignements pour justifier ses absences et d’aviser la direction. Malgré ce rappel, fait quelques jours avant le 12 juin 2014, il a tout de même désobéi à la Lettre d’instructions.

[149]  Pour ces motifs, l’employeur a soutenu que les griefs devraient être rejetés.

B.  Pour le fonctionnaire - grief contestant le licenciement et concernant la discrimination

[150]  Le fonctionnaire a soutenu que ses actes du 12 juin 2014 ne constituaient pas de l’insubordination. En cas de conclusion contraire, le licenciement est disproportionnellement sévère et une sanction moindre devrait y être substituée.

[151]   L’incapacité du fonctionnaire n’a pas été prise en considération en tant que facteur atténuant lors de son licenciement. Selon lui, il s’agit de la preuve la plus évidente que son incapacité était un facteur du traitement préjudiciable dont il faisait l’objet.

[152]  Les affaires suivantes ont été soumises à l’examen à l’appui de l’affirmation du fonctionnaire selon laquelle son comportement ne constituait pas de l’insubordination. S’il est conclu qu’il a fait preuve d’insubordination, le licenciement était une mesure disproportionnellement sévère :

  • William Scott & Co Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 C.L.R.B.R. 1 (« William Scott »);
  • Ford Motor Co. of Canada Ltd. c. U.A.W., Local 707, 1974 CarswellOnt 1367 (1974) 5 L.A.C. (2d) 5;
  • MacNaughton c. Sears Canada Inc., 1997 CanLII 9530;
  • Kinsey c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 30;
  • Doucette c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2003 CRTFP 66;
  • Wentges c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2010 CRTFP 24.

 

[153]  À l’appui de l’argument du fonctionnaire selon lequel il a été victime de discrimination en raison de sa déficience et que celle-ci était un facteur dans le traitement préjudiciable qu’il a reçu, les affaires suivantes ont été soumises :

·  Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536;

·  Cyr c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 35;

·  Boehringer Ingelheim (Canada) Ltd. v. Kerr, 2011 BCCA 266;

  • · Nicol c. Conseil du Trésor (Service Canada), 2014 CRTEFP 3.

[154]  Mme Gascon a indiqué dans son témoignage que, bien que le fonctionnaire ait été diagnostiqué comme souffrant d’une dépression et d’un trouble de déplacement avec anxiété généralisée, elle ne le considérait pas comme étant invalide parce que l’évaluation de Santé Canada ne précisait aucune limitation fonctionnelle. Lorsqu’on a modifié sa Lettre d’instructions afin de lui permettre d’envoyer un texto ou un courriel pour signaler ses absences, elle n’a pris aucune mesure pour réexaminer les mesures disciplinaires précédentes à la lumière des nouvelles mesures d’adaptation.

[155]  La suspension de 25 jours a eu une incidence négative sur la santé mentale du fonctionnaire. Il a consulté son médecin, qui a émis une note médicale pour une période d’absence du travail. Il a été en congé du 29 octobre 2013 au 3 mars 2014. Pendant cette période, il a de nouveau tenté de se suicider.

[156]  Lorsqu’il est retourné au travail, les modalités de sa Lettre d’instructions ont été réexaminées. Cependant, il a soutenu que l’approche de Mme Forget, au début de juin, durant la semaine qui a mené à l’événement déterminant qui a abouti à son licenciement, l’avait amené à croire qu’une approche raisonnable était adoptée relativement à son obligation de fournir les raisons de ses retards ou de ses absences. Plus précisément, le lundi 9 juin 2014, il a envoyé un texto concernant son besoin de prendre un jour de congé pour des raisons familiales. Mme Forget a répondu par texto en demandant plus de renseignements sur les circonstances et le membre de la famille en cause. Il a immédiatement fourni les renseignements, et le congé a été approuvé.

[157]  Selon le fonctionnaire, cela l’a amené à croire que Mme Forget adoptait une approche raisonnablement souple. Le 12 juin, lorsqu’il a signalé son retard imminent, il n’a fourni aucun détail. Le lendemain, il a donné des renseignements sur l’hémorragie soudaine qu’il avait subie et on lui a dit que ce niveau de détail était inutile. Il avait l’impression que l’incident avait été pardonné lorsque Mme Forget a indiqué [traduction] « nous signons l’entente et nous passons à autre chose ».

[158]  Lors de la réunion de recherche de faits du 27 juin 2014, qui a pris le fonctionnaire par surprise, il n’a pas été autorisé à fournir un motif à l’appui de son retard.

[159]  Le fonctionnaire a soutenu qu’il n’a pas fait preuve d’insubordination le 12 juin 2014. La caractéristique essentielle de l’insubordination est la notion de contestation de l’autorité. Cavanagh c. Agence du revenu du Canada, 2015 CRTFP 7, indique au paragraphe 235 : « Le pouvoir d’un employeur peut être contesté de différentes façons. Le refus d’obéir à un ordre direct qui est clairement compris, sans raison valable, constitue clairement une telle contestation ».

[160]  Le fonctionnaire a reconnu qu’il n’avait pas fourni de détails, le 12 juin 2014, concernant les raisons de son retard. Il avait une très bonne raison de ne pas fournir de détails à l’époque. De plus, il s’attendait à une approche souple, puisque trois jours auparavant, lorsque Mme Forget avait besoin de plus d’information, elle l’avait demandée et obtenue. C’était raisonnable, et l’attente du fonctionnaire que l’approche raisonnable se poursuive était légitime.

[161]  En outre, le fonctionnaire a reconnu qu’il n’avait pas envoyé de courriel distinct et précis lorsqu’il est arrivé au travail le 12 juin 2014, dont l’unique but était de signaler l’heure de son arrivée, mais il estime qu’il s’était conformé à la Lettre de réprimande, qui exigeait qu’il [traduction] « [...] envoie [...] un courriel à son arrivée pour indiquer l’heure à laquelle [il] est arrivé ».

[162]  Pour ce motif, le fonctionnaire a soutenu que son licenciement n’était pas justifié.

[163]  Dans le cas contraire, le fonctionnaire a soutenu que, si on conclut qu’il a fait preuve d’insubordination, les circonstances connexes doivent être considérées comme étant des circonstances atténuantes importantes, et que le licenciement était une mesure disciplinaire disproportionnée.

[164]  Le fonctionnaire a soutenu qu’il avait fait l’objet de discrimination au motif de son incapacité.

[165]  Les évaluations médicales du Dr Grondin et de la Dre Tannenbaum attestent de l’état de santé du fonctionnaire. Ils ont diagnostiqué la dépression, les troubles d’ajustement et l’anxiété généralisée, qui sont reconnus comme des troubles mentaux dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition (communément connu sous le nom « DSM 5 »). Le fonctionnaire a discuté de son problème médical avec plusieurs gestionnaires, dont Mme Forget, qui, dans son témoignage, a reconnu qu’il avait une déficience.

[166]  Le fonctionnaire a soutenu qu’il avait fait l’objet d’un traitement préjudiciable de la part de l’employeur et que sa déficience constituait un facteur de ce traitement. Mme Gascon a indiqué dans son témoignage que l’obligation de téléphoner au superviseur en cas de retard ou d’absence du travail avait été délibérément imposée parce qu’il était [traduction] « trop facile » de simplement envoyer des textos ou des courriels. Il a soutenu qu’il est courant que les employés écrivent ou envoient un courriel à leurs superviseurs concernant la plupart des questions, y compris les retards ou les absences.

[167]  Dès le 28 février 2013, l’employeur a été informé du caractère inapproprié de cette exigence par l’évaluation du Dr Grondin. Toutefois, il était plus intéressé à surtout décourager le fonctionnaire de prendre un congé qu’à tenter de trouver une entente appropriée et raisonnable. Par conséquent, le fonctionnaire a fait l’objet de nombreuses mesures disciplinaires, ce qui, selon lui, constituait un traitement préjudiciable qui était directement attribuable à sa déficience.

[168]  En outre, Mme Forget a imposé des règles arbitraires et déraisonnables quant à la façon dont les absences devaient être justifiées. Elle exigeait un billet distinct du médecin pour chaque jour que le fonctionnaire était absent du travail pour des raisons médicales. Un billet de médecin unique couvrant une absence de deux jours serait rejeté.

[169]  Mme Forget a révélé sa partialité à l’égard du fonctionnaire dans son refus d’accepter la corroboration d’un témoin quant aux raisons de son absence au travail. Lorsqu’il s’est absenté le 3 octobre 2013, il a fourni les coordonnées de quelqu’un qui pouvait attester qu’il était malade ce jour-là. Toutefois, elle l’a rejetée parce qu’elle ne pouvait faire confiance ni au fonctionnaire ni à la personne qui parlait en son nom.

[170]  Selon le fonctionnaire, cet aspect particulier de la méfiance de l’employeur a été mis en évidence en ce qui concerne les événements du 12 juin 2014. L’employeur n’avait pas l’intention de communiquer avec Mme Maynard pour confirmer son explication de son retard, ce qui a entraîné son licenciement.

[171]  Le fonctionnaire a soutenu que l’attitude négative de Mme Forget à son égard a été révélée dans son approche à l’égard des évaluations médicales et de la question des mesures d’adaptation. Dans sa note du 3 octobre 2013, la Dre Tannenbaum a clairement indiqué qu’il avait besoin d’une mesure d’adaptation, mais Mme Forget n’a pris aucune mesure pour en apprendre davantage sur ce que cela pouvait signifier.

[172]  Le fonctionnaire m’a renvoyé à Cyr, dans laquelle la CRTFP a conclu que les employeurs doivent examiner la façon dont les mesures d’adaptation peuvent être prises. On y indique ce qui suit au paragraphe 46 :

[46] L’obligation d’accommoder comporte aussi des aspects procéduraux en ce sens que l’employeur doit étudier sérieusement la façon dont il peut accommoder un employé. Pour ce faire, l’employeur doit tout d’abord obtenir tous les renseignements pertinents sur l’incapacité de l’employé. Puis, il doit voir avec l’employé comment ce dernier peut être accommodé. Comme l’arbitre de grief l’a écrit dans Panacci, le fait de ne pas réfléchir à la question de l’adaptation ou de ne pas prendre cette question en considération revient à manquer à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation.

C.  Les arguments de l’employeur en ce qui concerne la discrimination

[173]  L’employeur a répondu aux arguments du fonctionnaire en ce qui concerne la discrimination dans des observations écrites déposées le 24 janvier 2020. Il n’a pas accepté que le fonctionnaire avait présenté une preuve prima facie de discrimination.

[174]  Tout d’abord, l’employeur a soutenu que le fonctionnaire n’avait pas établi qu’il avait une déficience. Aucun témoignage d’expert n’a été reçu justifiant son incapacité à se conformer à la Lettre d’instructions en raison d’une déficience. Au contraire, l’employeur a soutenu que, selon l’évaluation de Santé Canada du 13 septembre 2013, le fonctionnaire était apte au travail et que ses problèmes de santé étaient stables et n’avaient pas d’incidence sur sa prise de décision ni sur sa compréhension des conséquences de ses décisions.

[175]  Il doit y avoir des preuves au-delà de la simple affirmation du fonctionnaire selon laquelle l’inconduite en question était attribuable à une déficience. Chatfield c. Administrateur général (Service correctionnel Canada), 2017 CRTEFP 2, a conclu comme suit que les déficiences de la fonctionnaire dans cette affaire (la dépression et l’alcoolisme) étaient des facteurs dans les circonstances qui ont mené à son licenciement :

[56] [...] Outre la simple affirmation de la fonctionnaire que ses déficiences étaient telles qu’elle a inventé une histoire à propos du décès de son père pour tromper l’employeur et obtenir un congé payé pendant qu’elle était en vacances au Mexique, aucun autre élément de preuve n’a été présenté par quiconque. Ni le Dr Sommers ni aucun autre de ses professionnels de la santé traitants n’ont témoigné à l’audience. Outre l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle ses déficiences ont fait en sorte qu’elle a cessé de [traduction] « penser clairement », il n’y a aucune preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle sa déficience l’a menée à mentir à son employeur, voire à continuer à inventer des histoires, même après avoir prétendu qu’elle avait cessé de boire et, à la lumière de la preuve claire qu’elle s’était fait prendre en train de mentir. Les lettres du médecin n’indiquent aucunement que ses déficiences ont eu une incidence sur sa décision de tromper l’employeur.

[176]  L’employeur a soutenu qu’il n’a pas fait preuve de discrimination à l’égard du fonctionnaire en demandant des clarifications concernant les évaluations médicales d’aptitude au travail. Le Dr Grondin a déclaré que le fonctionnaire enverrait un courriel pour l’aviser d’un retard ou d’une absence du travail. En réalité, le Dr Grondin n’a pas fait cette recommandation; par conséquent, la Lettre d’instructions n’a pas été modifiée à ce moment-là.

[177]  Selon l’employeur, l’évaluation de la Dre Tannenbaum, présentée seulement deux mois après celle du Dr Grondin, contredisait suffisamment l’évaluation du Dr Grondin pour l’amener à demander une troisième évaluation, qui a été effectuée et été reçue le 13 septembre 2013.

[178]  La troisième évaluation recommandait que le fonctionnaire soit autorisé à envoyer un courriel pour aviser l’employeur d’un retard ou d’une absence, et la Lettre d’instructions a été modifiée en conséquence le 15 octobre 2013. L’employeur a cité Halfacree c. Canada (Procureur général), 2014 CF 360, à l’appui de la proposition selon laquelle il était raisonnable que l’employeur s’attende à des précisions supplémentaires sur l’étendue des limitations du fonctionnaire avant de mettre en œuvre des mesures d’adaptation. Selon l’employeur, c’est conforme aussi au principe selon lequel un fonctionnaire n’a pas droit à une mesure d’adaptation immédiate ou parfaite, uniquement à une mesure d’adaptation raisonnable, tel qu’il est énoncé dans Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 97.

[179]  L’employeur a affirmé que le fonctionnaire n’avait pas subi de traitement préjudiciable. La Lettre d’instructions et ses modifications ont toutes été clairement expliquées et ont fait l’objet de nombreuses discussions. À l’exception des problèmes d’assiduité, ses relations avec ses superviseurs étaient cordiales et professionnelles.

[180]  En outre, l’employeur a soutenu qu’il n’y avait aucune obligation (et qu’aucune demande n’a été présentée à cet égard) de réévaluer les conditions de suspension antérieures après la modification de la Lettre d’instructions pour permettre au fonctionnaire d’envoyer par courriel un avis de retard. Aucune des mesures disciplinaires précédentes n’avait été contestée ou renvoyée à l’arbitrage.

[181]  L’employeur a affirmé que la Commission n’avait pas compétence pour évaluer la validité des mesures disciplinaires antérieures qui n’ont pas été renvoyées à l’arbitrage de façon appropriée.

[182]  Si une preuve prima facie de discrimination devait être établie, l’employeur a affirmé qu’il avait pris des mesures pour accommoder le fonctionnaire jusqu’au seuil de la contrainte excessive.

[183]  En règle générale, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation s’applique aux problèmes qui échappent au contrôle de l’employé, et les employeurs ne sont pas tenus de prendre des mesures d’adaptation à l’égard des problèmes qu’un employé est en mesure de contrôler. La seule mesure d’adaptation recommandée par un professionnel de la santé portait sur la façon dont le fonctionnaire pouvait aviser la direction d’un retard ou d’une absence, et l’employeur a élargi les moyens de signaler les absences en conséquence.

[184]  Lors d’une réunion qui a eu lieu le 9 octobre 2013, Mme Forget et le fonctionnaire ont discuté de la lettre de la Dre Tannenbaum. Le fonctionnaire a informé Mme Forget qu’il avait un rendez-vous prochainement avec la Dre Tannenbaum et qu’il demanderait des précisions sur les mesures d’adaptation requises. Les éléments de preuve indiquent qu’aucune clarification de ce type n’a été obtenue. Il devait coopérer dans le processus de mesures d’adaptation, mais il ne l’a pas fait. L’employeur a soutenu qu’il ne pouvait être tenu responsable de son manque de coopération.

D.  La réplique de l’employeur concernant le licenciement

[185]  Contrairement à l’affirmation du fonctionnaire, l’employeur a soutenu que les quatre éléments qui permettent une conclusion d’insubordination ont été respectés en l’espèce. On lui a donné une directive, qui lui a été clairement expliquée, à laquelle il ne s’est pas conformé. Son défaut de se conformer à la Lettre d’instructions constituait de l’insubordination. La lettre indiquait clairement qu’il devait fournir des raisons pour justifier ses absences et qu’il devait envoyer un courriel à la direction indiquant ses heures d’arrivée. Il n’a respecté aucune de ces deux dispositions et n’a pas expliqué pourquoi il n’était pas en mesure de le faire.

[186]  L’employeur a soutenu qu’aucune circonstance atténuante ne justifiait l’annulation du licenciement. Il a soutenu que la déficience alléguée du fonctionnaire n’était pas un facteur atténuant parce qu’il n’y avait aucune preuve que son défaut de se conformer à la Lettre d’instructions était attribuable à une déficience.

[187]  Le fonctionnaire défie depuis longtemps l’autorité de la direction. À maintes reprises, il n’a pas respecté les conditions de la Lettre d’instructions, malgré de nombreuses tentatives pour s’assurer qu’il était en mesure de s’y conformer, notamment en lui fournissant un téléphone de travail, en lui rappelant à maintes reprises les dispositions de la lettre et en lui permettant d’aviser la direction par téléphone, par courriel ou par texto. Il a été averti à plusieurs reprises que le défaut de se conformer pourrait entraîner son licenciement. À aucun moment, il na exprimé des remords. Au contraire, lors de la réunion de recherche de faits du 27 juin 2014, il a exigé que la Lettre d’instructions soit retirée, a déclaré que la réunion était une perte de temps et a accusé la direction de le harceler.

[188]  Pour tous les motifs mentionnés ci-dessus, l’employeur a soutenu que les griefs doivent être rejetés.

E.  La réponse du fonctionnaire en ce qui concerne la question de la discrimination

[189]  Le fonctionnaire a soutenu que sa déficience, ses absences et la Lettre d’instructions étaient liées. L’argument de l’employeur selon lequel il a été licencié parce qu’il n’a pas respecté les directives de la Lettre d’instructions, et non en raison de la fréquence de ses absences de travail, est une distinction artificielle. La Lettre d’instructions a été mise en place en raison de ses problèmes d’assiduité, qui étaient causés par sa déficience. Il n’y aurait pas de Lettre d’instructions s’il n’avait pas eu de difficultés à se présenter au travail en raison de ses problèmes de santé.

[190]  En outre, les éléments de preuve indiquent un lien entre la déficience du fonctionnaire et son incapacité à se conformer de façon uniforme à la Lettre d’instructions. L’employeur a soutenu qu’il était censé étayer son témoignage par des preuves médicales, qu’il a fournies, sous la forme de nombreux billets du médecin. Le billet de la Dre Tannenbaum, en date du 15 mai 2013, précise que l’état de santé du fonctionnaire a eu une influence sur son jugement et  l’a empêché d’informer les personnes appropriées de ses absences. Sa déficience a eu une incidence sur sa capacité à se conformer à la Lettre d’instructions parce qu’il ne connaissait pas son état de santé et qu’il avait un jugement affaibli et, en conséquence, il n’a pas informé les personnes appropriées de ses absences. De même, les affaires sur lesquelles l’employeur s’est fondé se distinguent de l’affaire en l’espèce parce que, dans ces affaires, la preuve médicale n’établissait pas de lien entre l’inconduite et la déficience.

[191]  Pour que la mesure disciplinaire soit exempte de discrimination, l’employeur aurait dû tenir compte de la déficience du fonctionnaire et de la façon dont elle pourrait être liée à son inconduite lorsqu’il a déterminé s’il devait imposer une mesure disciplinaire. Le fait qu’il n’ait pas pris de mesure d’adaptation entre le moment où il a été informé de la demande de modifier la Lettre d’instructions pour lui permettre de signaler ses absences à l’employeur par courriel en mars 2013 et le moment de la mise en œuvre de cette mesure en octobre 2013, est inexcusable et équivaut à un traitement préjudiciable.

[192]  Le fonctionnaire a soutenu qu’au cours de cette période, le fait que l’employeur lui impose une mesure disciplinaire pendant qu’il attendait les renseignements médicaux demandés était discriminatoire. L’ensemble de la procédure disciplinaire était discriminatoire, car l’employeur n’a pas tenu compte du rôle des conséquences de sa déficience sur ses actions avant de lui imposer une mesure disciplinaire et, surtout, de le licencier.

[193]  Le fonctionnaire n’était pas d’accord avec l’argument de l’employeur selon lequel il avait pris des mesures d’adaptation jusqu’au seuil de la contrainte excessive. Il a ignoré les références à d’autres mesures d’adaptation possibles, y compris la recommandation de la Dre Tannenbaum de faire preuve d’indulgence en ce qui a trait à un changement d’horaire, lorsque c’est approprié. En outre, immédiatement avant de licencier le fonctionnaire, l’employeur n’a pas tenu compte de la note de la Dre Tannenbaum indiquant qu’il ne travaillerait pas jusqu’à ce que des mesures d’adaptation soient prises. En ignorant ces allusions à des mesures d’adaptation supplémentaires, l’employeur n’a pas accommodé le fonctionnaire jusqu’au seuil de la contrainte excessive. Il n’aurait pas dû le licencier sans avoir reçu tous les renseignements médicaux pertinents, et il a décidé de le licencier sans même tenir compte du rôle de sa déficience.

IV.  Décision et motifs

[194]  Je suis chargé de rendre des décisions sur deux griefs, l’un sur le licenciement pour des motifs disciplinaires et l’autre sur l’allégation de discrimination fondée sur la déficience. Les circonstances et les faits qui sous-tendent les deux griefs sont étroitement liés.

[195]  L’employeur a soutenu que je ne peux pas examiner le bien-fondé des décisions disciplinaires qui n’ont jamais fait l’objet d’un grief ou qui n’ont jamais été renvoyées à l’arbitrage. Toutefois, je crois comprendre que le fonctionnaire ne cherche pas à revenir sur le bien-fondé des sanctions disciplinaires individuelles imposées avant son licenciement. Il n’a pas demandé que ces sanctions soient annulées ou remplacées. Au contraire, il a affirmé que les sanctions faisaient partie d’une campagne disciplinaire progressive, qui a été prise en compte comme un puissant facteur aggravant dans la décision finale de le licencier. Il a soutenu qu’il s’agissait d’une pratique discriminatoire. Dans ce contexte, les décisions disciplinaires antérieures doivent faire partie de mon analyse des griefs.

A.  Le grief portant sur le licenciement

[196]  Le fonctionnaire m’a renvoyé à juste titre à William Scott, qui établit les paramètres de l’examen d’une décision disciplinaire d’un employeur. Les paragraphes ne sont pas numérotés, mais les paramètres sont bien connus, et ils apparaissent comme suit à la page 4 de l’exemplaire du recueil de jurisprudence de l’employeur :

[Traduction]

[...] [L]es arbitres de grief devraient poser trois questions distinctes dans un grief typique de licenciement. Premièrement, l’employé a‑t-il donné à l’employé un motif juste et raisonnable de prendre une mesure disciplinaire? Le cas échéant, la décision de l’employeur de congédier l’employé était-elle excessive dans l’ensemble des circonstances de l’affaire? Enfin, si l’arbitre de grief est d’avis que le renvoi est excessif, quelle autre mesure juste et équitable peut-on y substituer?

 

[197]  Conformément à William Scott, la première étape de cette analyse consiste à déterminer si les circonstances du 12 juin 2014 constituent un motif juste et raisonnable de prendre une mesure disciplinaire.

[198]  Le 12 juin 2014, et quelques années auparavant, le fonctionnaire était très conscient que sa présence au travail était sous surveillance. Il était également bien au courant de son obligation d’aviser la direction lorsqu’il serait en retard ou absent et d’aviser la direction de son heure d’arrivée s’il était en retard.

[199]  L’employeur a remis en question la crédibilité du fonctionnaire en raison de ce qu’on a appelé des [traduction] « explications changeantes ». Le fonctionnaire a laissé entendre qu’il ne s’était pas conformé à son obligation de fournir un avis conformément à la Lettre d’instructions parce qu’il n’avait pas examiné la lettre après sa modification le 15 octobre 2013. Ensuite, lors de la réunion de recherche de faits du 27 juin 2014, il a indiqué à Mme Forget qu’il avait tout simplement oublié. Enfin, en contre-interrogatoire, il a admis savoir que, par le passé, M. Thomas lui avait demandé d’envoyer un courriel spécifique dont le seul but était de préciser son heure d’arrivée au travail. De nombreux exemples de ses messages à M. Thomas ont été produits en preuve pour démontrer qu’il s’était acquitté de cette obligation.

[200]  Toutefois, je conclus que les explications du fonctionnaire dans son témoignage étaient compatibles avec les éléments de preuve documentaires et n’étaient pas nécessairement contradictoires. L’obligation d’envoyer un courriel pour signaler son heure d’arrivée a été ajoutée à la Lettre d’instructions du 15 octobre 2013, soit environ huit mois avant les événements du 12 juin 2014, la seule fois où il avait dû envoyer une telle notification selon les conditions de la Lettre d’instructions. Il est vrai qu’il avait eu une obligation semblable avec M. Thomas, mais elle avait cessé au moment où Mme Forget était devenue la superviseure du fonctionnaire.

[201]  Je suis bien conscient du cadre dont disposent les décideurs pour analyser la crédibilité des témoins, et l’employeur a cité à juste titre l’extrait suivant de Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (B.C.C.A.) : « [d]isons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnables dans telle situation et telles circonstances ».

[202]  Je ne crois pas que le fonctionnaire manquait de crédibilité à cet égard ni dans tout autre aspect de son témoignage. À la barre des témoins, il était sincère, direct et prêt à admettre ses erreurs et ses faiblesses. Il n’était ni défensif ni argumentatif dans ses réponses, et il a volontairement partagé des informations dont il savait qu’elles le montreraient sous un jour peu favorable. Il savait que son dossier de présence était affreux parce qu’il en payait le prix, tant en ce qui concerne les suspensions sans solde que le recouvrement de son salaire pour de nombreuses absences non autorisées. Il savait que sa présence était sous surveillance, au point qu’il estimait que la direction cherchait un moyen de le licencier pour des raisons liées à l’assiduité.

[203]  L’enjeu en ce qui concerne l’incident du 12 juin 2014, porte sur la manière dont il a informé l’employeur de son retard. Selon l’employeur, il a enfreint à deux reprises la Lettre d’instructions, d’abord en ne fournissant pas d’explication détaillée dans l’avis de retard, puis en n’envoyant pas de courriel indiquant son heure d’arrivée. Je traiterai de chacune de ces infractions alléguées séparément.

1.  Aucun détail expliquant pourquoi le fonctionnaire serait en retard le 12 juin 2014

[204]  Sachant ce que le fonctionnaire savait de sa situation précaire en ce qui a trait aux absences et aux retards, qu’est-ce qu’une personne pragmatique et informée aurait pu attendre de lui lorsqu’il s’est réveillé avec des douleurs et une hémorragie en raison des complications d’une récente opération chirurgicale? Lorsque ce même matin, il a vu que le pare-brise de sa voiture avait été brisé, et que lui et sa conjointe ont craint que ce soit un acte de vengeance violente de la part d’un ancien client à qui l’hébergement et le repas avaient été offerts et qui avait récemment quitté la résidence dans un accès de colère?

[205]  La première chose que la personne raisonnable s’attendrait à ce qu’il fasse, une fois la sécurité immédiate de sa famille vérifiée, serait d’envoyer un message qu’il serait en retard. C’est ce qu’il a fait à 7 h 35, ce matin-là. Le message était bref et ne contenait pas d’explication, mais indiquait seulement qu’il serait là un peu après 9 h.

[206]  Je conclus que l’explication qu’a présentée le fonctionnaire quant aux motifs pour lesquels il n’a pas fourni un ensemble complet de raisons à 7 h 35, ce matin-là, était tout à fait crédible. Il a indiqué dans son témoignage qu’il était pris de panique. Dans ces circonstances, toute personne raisonnable pourrait certainement comprendre pourquoi. Après avoir discuté avec sa conjointe pendant un certain temps, la panique s’est dissipée, et il a décidé d’aller travailler, ce qu’il a dit avoir fait avec une aide considérable de la part de sa conjointe.

[207]  Cet après-midi-là, le fonctionnaire a tenté d’expliquer à Mme Forget pourquoi il était en retard, mais elle lui a dit d’attendre la réunion prévue le lendemain.

[208]  Le lendemain, le fonctionnaire a commencé à fournir une explication, mais lorsqu’il a atteint la partie concernant l’hémorragie, Mme Forget a indiqué clairement qu’il s’agissait de trop d’information. Elle a indiqué qu’elle n’avait pas besoin des détails.

[209]  Cette approche était conforme à celle adoptée par  Mme Forget relativement à l’absence du fonctionnaire le 9 juin 2014. Quelques jours plus tôt, le lundi de la même semaine, il a demandé un jour de congé pour des raisons familiales, et elle a répondu en demandant de plus amples renseignements sur le membre de la famille en question. Il a fourni les renseignements dont elle avait besoin et la demande a été immédiatement approuvée. Toutefois, elle lui a rappelé la nécessité de fournir une explication dans sa demande initiale de congé. Aucune mesure disciplinaire n’a été prise en raison de son incapacité à fournir suffisamment de détails le 9 juin 2014.

[210]  Le 13 juin 2014, le fonctionnaire a tenté de donner des détails et on lui a indiqué qu’il s’agissait de trop de renseignements. Quelle quantité de renseignements en constitue trop? Il est vrai que, le matin du 12 juin, il n’a fourni aucun renseignement, mais il a fourni une explication satisfaisante. Son explication aurait dû être prise en compte lorsque la décision d’imposer une mesure disciplinaire a été prise. Il n’en était rien.

[211]  En fait, aucune explication n’a été demandée afin de justifier le retard du fonctionnaire le 12 juin 2014. La [traduction] « réunion de recherche de faits » du 27 juin 2014 a été mal nommée parce qu’il n’y a eu aucune tentative de rechercher des faits.

[212]  Lors de cette réunion, le fonctionnaire a fait référence à la notion de « force majeure » [en français dans le texte original] en droit civil, au moyen de laquelle, comme il l’a expliqué dans son témoignage, il a voulu communiquer que des circonstances imprévues, indépendantes de sa volonté, l’empêchaient de fournir l’explication requise dans son courriel à 7 h 35. Il n’est pas important de savoir s’il a utilisé avec précision le terme de « force majeure ». L’essentiel, c’est qu’il a essayé d’expliquer pourquoi son courriel du 12 juin 2014, à 7 h 35, ne contenait aucun détail.

[213]  Le message de Mme Forget indique, en caractères gras, que [traduction] « L’objectif de la réunion de recherche de faits est de recueillir plus de renseignements sur votre retard du 12 juin ». Son courriel est intitulé [traduction] « Réunion de recherche de faits - Retard du 12 juin 2014 ». Comment concilier son invitation avec le refus d’entendre son explication lors de la réunion de recherche de faits?

[214]  On a dit au fonctionnaire : [traduction] « Non; nous ne sommes pas ici pour discuter de la raison pour laquelle vous étiez en retard au travail. Nous sommes ici pour discuter des raisons pour lesquelles vous n’avez pas respecté les conditions de votre Lettre d’instructions. » Je ne peux imaginer comment on aurait pu s’attendre à ce qu’il le fasse sans parler de la raison pour laquelle il était en retard.

[215]  La logique est difficile à suivre. L’ouverture de la lettre de licenciement du fonctionnaire se lit comme suit : [traduction] « La présente fait suite à la réunion de recherche de faits du 27 juin 2014 au cours de laquelle nous avons discuté des événements concernant votre retard du 12 juin 2014. L’explication que vous avez donnée n’était pas satisfaisante ». Ce n’est pas vrai; les événements relatifs au retard du fonctionnaire n’ont jamais été discutés le 27 juin 2014, et on ne lui a jamais autorisé à donner une explication.

[216]  La Lettre d’instructions précisait clairement que l’avis devait être accompagné d’une explication du retard. Aucune n’a été fournie dans le courriel du fonctionnaire de 7 h 35, ce qui était contraire à la Lettre d’instructions. Cependant, je conclus qu’il avait une explication raisonnable pour ne pas avoir donné de détails sur son retard dans son avis. Après avoir examiné son explication et toutes les circonstances connexes, je conclus que ses actes à cet égard ne constituaient pas une inconduite justifiant une mesure disciplinaire. Par conséquent, la décision d’imposer des mesures disciplinaires n’était pas raisonnable.

2.  Le fonctionnaire n’a pas avisé de son heure d’arrivée

[217]  Le deuxième aspect de la décision de l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire est le fait que le fonctionnaire n’a pas envoyé de courriel pour signaler son heure d’arrivée. Lorsque j’examine les circonstances de l’espèce, je conclus qu’il l’a fait.

[218]  Lorsqu’il est arrivé au bureau et qu’il a mis son ordinateur en marche le matin du 12 juin 2014, la première chose qu’il a faite était d’envoyer à Mme Forget un courriel lié au travail, à 9 h 23. Ce fait n’a jamais été contesté.

[219]  La Lettre d’instructions indique ce qui suit : [traduction] « Pour le retard, vous devez également m’envoyer un courriel à votre arrivée pour indiquer l’heure à laquelle vous êtes arrivé ». Le libellé exact du courriel n’est pas précisé. Chaque courriel a un horodatage, le sien a été envoyé à 9 h 23. C’était peu après 9 h, comme promis dans son avis initial à 7 h 35. Il n’aurait pas pu arriver au bureau plus tard qu’à 9 h 23, le matin du 12 juin 2014.

[220]  Lors de l’audience, on a déployé beaucoup d’efforts pour établir une distinction entre le courriel de 9 h 23, du 12 juin 2014, et les nombreux autres courriels que le fonctionnaire a envoyés, plusieurs années auparavant, à M. Thomas. M. Thomas avait apparemment précisé que, pendant une certaine période, le fonctionnaire était tenu d’envoyer un courriel distinct contenant un message du type [traduction] « Il est maintenant 8 h [ou quelle que soit l’heure d’arrivée] et je suis maintenant au bureau. » Cette pratique semble s’être arrêtée à un moment donné mais, de toute évidence, elle n’était certainement plus en vogue lorsque Mme Forget a pris la relève en tant que superviseure du fonctionnaire.

[221]  Si l’intention sous-jacente de la Lettre d’instructions était d’obliger le fonctionnaire à rédiger un courriel avec un libellé précis du type de [traduction] « l’époque de M. Thomas », qui serait tout à fait distinct de tout courriel ordinaire lié au travail, la Lettre d’instructions aurait dû l’indiquer. C’est particulièrement vrai si le travail du fonctionnaire était en jeu.

[222]  L’imposition juste et équitable d’une mesure disciplinaire pour ne pas avoir obéi à un ordre exige que l’ordre lui-même soit clair. En l’espèce, les termes de la Lettre d’instructions semblaient clairs pour l’employeur, mais apparemment, l’interprétation de ce terme particulier par le fonctionnaire n’était pas précisément ce que l’employeur avait à l’esprit, ce qui ne peut être la faute du fonctionnaire.

[223]  Je conclus que le fonctionnaire a satisfait aux conditions de la Lettre d’instructions par son courriel de 9 h 23, le 12 juin 2014, et que cette mesure disciplinaire n’était pas justifiée.

3.  Le licenciement était excessif

[224]  Si je me trompe à ce sujet, et si des mesures disciplinaires étaient en fait justifiées pour l’un ou l’autre de ces incidents, je conclus que la sanction imposée était excessive. Pour parvenir à une sanction juste et équitable, toutes les circonstances doivent être prises en compte, en particulier les facteurs aggravants et atténuants. Selon la proposition de William Scott, les facteurs servant à évaluer la sanction disciplinaire incluent la gravité de l’infraction, le caractère prémédité ou spontané de l’infraction, si l’employé comptait de longs et bons états de service, et si une mesure disciplinaire progressive a d’abord été mise en place.

[225]  Les événements du 12 juin 2014 n’étaient pas prémédités. Ils sont survenus à la suite d’un certain nombre de circonstances désastreuses.

[226]  L’employeur reconnaît que les événements du 12 juin 2014 n’étaient pas graves et qu’ils n’auraient pas constitué un motif de licenciement suffisant en l’absence de facteurs aggravants très forts.

[227]  J’admets que, dès le moment où le fonctionnaire a mis le pied au SPC, il a été soumis à un programme intense de gestion des présences. Je reconnais également qu’il a des antécédents de mesures disciplinaires liées à l’assiduité qui n’ont jamais fait l’objet de grief ou été renvoyées à l’arbitrage. Je suis d’accord avec l’employeur qu’il s’agit de facteurs aggravants, et ils ont été dûment pris en compte lorsqu’on a décidé de le licencier.

[228]  Toutefois, il n’était pas équitable de ne tenir compte que des facteurs aggravants. La lettre de licenciement ne fait aucune mention de facteurs atténuants, et Mme Tromp a indiqué clairement dans son témoignage qu’aucun facteur atténuant n’avait été pris en considération dans la décision de le licencier. Si les transgressions méritaient effectivement une certaine mesure disciplinaire, alors les facteurs atténuants, nombreux et importants, auraient dû être pris en compte.

[229]  Les facteurs atténuants les plus évidents concernent les raisons qui sous‑tendent le retard du fonctionnaire le matin du 12 juin 2014. Il était en détresse, en raison de son hémorragie. Il s’inquiétait aussi de la sécurité de sa famille, en raison du vandalisme. Ce matin-là avait été très mouvementé pour lui, aucun des évènements qui sont survenus n’était favorable et, si l’on ne peut lui pardonner de ne pas avoir inclus ces détails dans son courriel de 7 h 35, ils auraient certainement dû être pris en considération après coup en tant que facteurs atténuants pour expliquer pourquoi il était en retard. Jusqu’à ce que cette audience ait lieu, on ne lui a jamais donné l’occasion de le faire.

[230]  Si l’on ne pouvait pardonner au fonctionnaire de ne pas avoir pu lire dans les pensées de l’employeur pour s’assurer du libellé précis de son courriel à l’heure d’arrivée (ou pour savoir s’il fallait un courriel distinct), il aurait certainement fallu tenir compte de certains facteurs atténuants si une mesure disciplinaire était imposée pour cette transgression.

[231]  Le facteur atténuant le plus évident était le même que celui déjà mentionné. Moins de deux heures s’étaient écoulées de 7 h 35 à 9 h 23. Le fonctionnaire était toujours au milieu d’une matinée très difficile et il est facile de comprendre quelle aurait pu être l’incidence sur son jugement et son rendement. Un autre facteur atténuant est qu’il s’agissait de la seule fois où il s’est retrouvé visé par la portée de cet aspect particulier de sa Lettre d’instructions. Le fait de ne pas s’acquitter de la tâche précisément de la manière dont l’employeur l’aurait voulu aurait été l’occasion idéale de clarifier les choses. Au lieu de le faire, l’employeur l’a licencié.

[232]  Les facteurs atténuants les plus importants n’ont pas encore fait l’objet d’une discussion, car ils ont trait à la déficience du fonctionnaire, dont l’employeur était parfaitement conscient. À la barre des témoins, Mme Tromp a indiqué sans équivoque que sa déficience n’a pas été prise en compte lorsque la décision de le licencier a été prise. Je conclus que c’était fatal à la décision de l’employeur de le licencier, pour les motifs qui suivent.

B.  Le grief contre la discrimination

[233]  Selon le témoignage non contesté du fonctionnaire, celui-ci a discuté avec M. Thomas des effets de ses crises de panique. Il lui arrivait d’être incapable de parler. Sachant cela tout en  l’obligeant à parler au téléphone pour signaler ses retards ou ses absences constitue une approche insensible à la gestion des présences, laquelle l’a véritablement [traduction] « voué à l’échec ». J’utilise délibérément des guillemets pour cette expression parce que des mots dans ce sens ont été adressés à M. Thomas lorsque cette condition a été imposée; à savoir, l’obligation que le fonctionnaire téléphone pour aviser de ses absences plutôt que d’envoyer simplement un texto ou un courriel.

[234]  Dans sa lettre au Dr Grondin, en date du 14 décembre 2012, M. Thomas a mentionné les problèmes de santé mentale du fonctionnaire et leur incidence sur sa présence au travail. M. Thomas a indiqué au Dr Grondin que le fonctionnaire avait été sous surveillance étroite en cas de risque de suicide lorsqu’il avait été hospitalisé le 13 septembre 2012, et que, à son retour au travail quelques jours plus tard, il avait apporté une note de médecin évaluant son état comme étant [traduction] « dû à la dépression ». Lorsqu’il a raconté au Dr Grondin les longs antécédents de problèmes d’assiduité du fonctionnaire, M. Thomas a indiqué qu’il se demandait [traduction] « [...] si [le fonctionnaire] est conscient des conséquences de ses actes ». La phrase suivante de cette lettre se lisait comme suit : [traduction] « Je m’inquiète sincèrement du bien‑être [du fonctionnaire] ».

[235]  Il me semble difficile de concilier la préoccupation apparente de M. Thomas quant au bien-être du fonctionnaire et l’imposition d’une mesure disciplinaire pour des problèmes liés à l’assiduité qui, comme lui a indiqué le fonctionnaire, étaient liés à un problème de santé.

[236]  Dans sa réponse du 28 février 2013, le Dr Grondin a fourni les codes DSM-5 avec les diagnostics du Dr Grondin relatifs à un trouble dépressif majeur, un trouble d’adaptation et à de l’anxiété généralisée. Dans sa lettre à Mme Forget en date du 15 mai 2013, la Dre Tannenbaum a indiqué ce qui suit au sujet du fonctionnaire :

[Traduction]

[...]

[...] [Il] est, à mon avis, encore très affecté par son état. Bien qu’il soit fonctionnel d’une certaine façon, il est parfois incapable de s’acquitter de ses fonctions en raison de problèmes cognitifs liés à la concentration, à l’énergie et à l’humeur. Il n’a aucune restriction physique. Son jugement a été très erroné dans le passé à cause de ces restrictions (en n’informant pas les personnes qu’il fallait informer de ses absences), et je crois que sa vision de son état de santé est limitée.

[...]

[237]  Par cet énoncé, la Dre Tannenbaum a clairement indiqué à l’employeur que le fonctionnaire souffrait d’une déficience qui pourrait être un facteur dans ses problèmes de présence.

[238]  Après plusieurs évaluations médicales, le fonctionnaire a finalement été autorisé à signaler ses retards ou ses absences par texto ou par courriel. On pourrait croire que cela aurait donné à l’employeur un motif pour réexaminer les mesures disciplinaires qui avaient été imposées, du moins en partie, du fait de ne pas l’autoriser à envoyer des messages par texto ou par courriel. Tout au moins, la connaissance que l’employeur avait de la déficience du fonctionnaire et du rôle qu’elle aurait pu jouer dans certains des cas précédents de mesures disciplinaires aurait dû être prise en considération avant de le licencier.

[239]  Pour être clair, l’historique disciplinaire du fonctionnaire, dans lequel les appels téléphoniques plutôt que le texto étaient au moins partiellement en cause, comprend ce qui suit :

  • l’avertissement officiel en date du 30 août 2012;
  • la réprimande écrite en date du 23 novembre 2012;
  • la suspension d’un jour en date du 4 janvier 2013;
  • la suspension de trois jours en date du 8 janvier 2013;
  • la suspension de cinq jours du 29 janvier 2013.

 

[240]  En février 2013, le Dr Grondin a d’abord souligné l’importance de permettre au fonctionnaire de signaler par texto ou par courriel ses avis de présence plutôt que de l’obliger à téléphoner. L’employeur a ignoré le Dr Grondin parce que, selon Mme Forget et Mme Gascon, le Dr Grondin n’avait pas précisé officiellement cette mesure d’adaptation.

[241]  Quelques mois plus tard, le 15 mai 2013, la Dre Tannenbaum a réitéré cette exigence de mesure d’adaptation en termes plus concrets : [traduction] « [...] je dois dire qu’il a suffisamment d’incapacité permanente pour nécessiter des mesures d’adaptation au travail qui comprennent la possibilité d’envoyer des courriels (plutôt que d’appeler) s’il n’est pas en mesure d’être présent [...] ».

[242]  Tout d’abord, j’ai du mal à imaginer comment Mme Gascon a refusé de reconnaître que le fonctionnaire souffrait d’une déficience. Il est également difficile de voir ce que l’employeur n’a pas compris des instructions de la Dre Tannenbaum, mais pour une raison quelconque, aucune modification à la Lettre d’instructions n’a été apportée avant la lettre de la Dre Baxter du 13 septembre 2013.

[243]  Je trouve cela très étrange, parce que la Dre Baxter n’a rien dit de nouveau. Elle a simplement répété la recommandation antérieure du Dr Grondin et de la Dre Tannenbaum, comme suit : [traduction] « le consultant spécialiste et le professionnel de la santé concerné recommandent que la direction autorise [le fonctionnaire] à aviser son superviseur par courriel de tout retard ou absence [...] ». La troisième fois a été la bonne, je suppose, puisque la Lettre d’instructions a finalement été modifiée après la réception de la lettre de la Dre Baxter.

[244]  L’employeur aurait dû considérer la déficience du fonctionnaire comme un facteur atténuant dans la décision de le licencier. Cela aurait signifié de revoir les sanctions qui lui avaient été imposées avant que les mesures d’adaptation ne soient prises. Au contraire, les sanctions initiales liées à l’assiduité faisaient partie de ce qui a été appelé des [traduction] « mesures disciplinaires positives et progressives », qui donnaient à l’employeur l’autorisation d’augmenter la sanction chaque fois qu’un problème d’assiduité était en jeu.

[245]  Comme il a été mentionné, je ne reviendrai pas sur le bien-fondé des suspensions disciplinaires, mais étant donné qu’elles ont constitué collectivement un facteur aggravant important, il faut mentionner la façon dont certaines ont été imposées.

[246]  Le 4 janvier 2013, une suspension d’une journée a été imposée au fonctionnaire pour ses absences non autorisées les 6, 7, 12 et 14 décembre 2012. Quatre jours plus tard, une suspension de trois jours lui a été imposée pour d’autres absences qui se sont également produites en décembre 2012, à savoir les 24, 27 et 28 décembre. Ensuite, le 29 janvier 2013, une suspension de cinq jours lui a été imposée pour des absences qui ont eu lieu les 17, 18, 21 et 22 janvier 2013.

[247]  Pendant environ trois semaines, le fonctionnaire a fait l’objet de trois mesures disciplinaires, les sanctions augmentant chaque fois. Les deux premières suspensions étaient pour deux périodes d’absence au cours du mois précédent. Les témoins de l’employeur ont qualifié cette mesure disciplinaire de positive et progressive. Je ne suis pas contre ce principe, mais pour être efficace, la personne qui reçoit la mesure disciplinaire doit être au courant de ce qu’il a fait de mal avant qu’il ne commette la même infraction de nouveau.

[248]  Le 4 janvier 2013, le fonctionnaire a été appelé à rendre compte de ses absences non autorisées au cours du mois précédent. La raison d’être d’une mesure disciplinaire positive et progressive est que les transgresseurs sachent désormais exactement ce qu’ils ont fait de mal et qu’ils sachent qu’ils seront sanctionnés plus sévèrement si cela se reproduit. À peine quatre jours plus tard, le fonctionnaire a reçu une sanction plus sévère pour les absences non autorisées qui ont eu lieu avant la suspension du 4 janvier! Le 4 janvier, l’employeur était au courant des absences des 24, 27 et 28 décembre, mais il a délibérément choisi de ne pas le sanctionner pour ces absences jusqu’à ce qu’une première sanction soit déjà en place. Il ne s’agit pas d’une discipline positive et progressive, mais d’un type d’accumulation.

[249]  Le caractère dysfonctionnel de la relation entre l’employeur et l’employé est le dernier facteur atténuant lié à la déficience du fonctionnaire qui aurait dû être pris en compte. Je fais allusion à la relation du fonctionnaire avec Mme Forget et Mme Gascon.

[250]  En comparant la déclaration des absences des 9 et 12 juin 2014, je conclus que Mme Forget a envoyé des signaux contradictoires au fonctionnaire en ce qui concerne la nécessité de fournir des détails au moment de signaler des problèmes de présence et les conséquences de ne pas le faire. Je conclus qu’elle semblait lui pardonner les événements du 12 juin lorsqu’elle a indiqué, lors de leur réunion du 13 juin : [traduction] « Nous signons simplement la lettre et passons à autre chose ». Ils ne sont pas passés à autre chose. Le fonctionnaire a été licencié.

[251]  La Dre Tannenbaum a pris des mesures à l’égard de l’effet négatif de l’environnement de travail dysfonctionnel sur la santé mentale du fonctionnaire. Quelques jours seulement après la [traduction] « réunion de recherche de faits » du 27 juin 2014, la Dre Tannenbaum a émis la directive suivante concernant une mesure d’adaptation, que l’employeur a complètement et totalement ignorée :

[Traduction]

[...]

Après de nombreuses visites médicales et un traitement optimal avec une bonne réponse, il a été déterminé que [le fonctionnaire] souffre de symptômes médicaux découlant d’un milieu de travail toxique. Même en continuant de suivre des traitements et avec des mesures d’adaptation, je crains que [il] continue d’avoir des difficultés en milieu de travail dans son poste actuel, étant directement supervisé par Claire Forget et Lyne Gascon. C’est la raison pour laquelle je recommande qu’il soit directement supervisé par un autre gestionnaire. Il sera en congé jusqu’à ce que ces mesures d’adaptation puissent être prises. Il continuera d’être sous surveillance médicale pendant la transition et les mesures d’adaptation seront discutées et déterminées au moment du retour au travail.

[...]

[252]  Le fonctionnaire n’est pas retourné au travail. L’employeur n’a pris aucune mesure à l’égard des recommandations concernant les mesures d’adaptation et l’a plutôt licencié. Je reviendrai sur la note de la Dre Tannenbaum du 2 juillet 2014, lorsque j’examinerai les questions de discrimination. Toutefois, dans le but d’évaluer si le licenciement était justifié, je conclus que le milieu de travail toxique est un autre facteur atténuant lié à sa déficience qui n’a pas été pris en compte et qui aurait dû l’être.

[253]  Pour tous les motifs mentionnés ci-dessus, je conclus qu’aucune mesure disciplinaire n’était justifiée pour les événements du 12 juin 2014, et que, par conséquent, le licenciement du fonctionnaire était déraisonnable et inapproprié. Même si la mesure disciplinaire était justifiée, le licenciement était alors une sanction excessive parce que seuls les facteurs aggravants ont été pris en compte, et aucun facteur atténuant ne l’a été.

[254]  Les parties m’ont renvoyé à juste titre au cadre d’analyse approprié établi par la Cour suprême du Canada pour examiner la question de la discrimination. Le fonctionnaire devait établir une preuve prima facie de discrimination comme suit :

  • 1) qu’il avait une déficience;

  • 2) qu’il ait fait l’objet d’un traitement préjudiciable;

  • 3) que sa déficience constituait un facteur de ce traitement préjudiciable.

 

[255]  L’employeur a soutenu que le fonctionnaire n’avait pas établi de preuve prima facie de discrimination et qu’il n’avait produit aucune preuve démontrant que sa déficience avait été prise en compte dans les mesures prises par la direction pour régler ses problèmes d’assiduité. Je ne suis pas d’accord, pour les motifs que j’ai déjà mentionnés.

[256]  L’alinéa 226(2)a) de la LRTSPF prévoit qu’un arbitre de grief ou la Commission peut, relativement à toute affaire renvoyée à l’arbitrage, interpréter et appliquer la Loi canadienne des droits de la personne (L.R.C., 1985, ch. H-6, LCDP). La définition de « déficience » à l’article 25 de la LCDP comprend toute déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée. Je conclus que le fonctionnaire souffre de ce type de déficience. Dans sa lettre du 14 décembre 2012, M. Thomas a longuement abordé  l’incidence des problèmes de santé mentale du fonctionnaire sur son travail. Le Dr Grondin a fourni un diagnostic explicite dans sa lettre du 28 février 2013. Dans sa lettre du 15 mai 2013, la Dre Tannenbaum a précisé plus clairement l’incidence de la déficience du fonctionnaire sur sa capacité fonctionnelle. La Dre Baxter n’a pas employé le mot « déficience » dans sa lettre du 13 septembre 2013, mais elle a recommandé une mesure d’adaptation spécifique pour des raisons médicales.

[257]  Le 3 octobre 2013, la Dre Tannenbaum a indiqué que [traduction] « [...] [le fonctionnaire] est suivi pour des troubles de santé, y compris la dépression et l’anxiété, et [...] il faut prendre des mesures d’adaptation pour ces troubles, au besoin ». Son billet de médecin indiquait clairement que le fonctionnaire souffrait d’une déficience qui nécessitait des mesures d’adaptation.

[258]  Je trouve intéressant que, bien que la Dre Tannenbaum ait fait allusion à la déficience du fonctionnaire et qu’elle ait recommandé des mesures d’adaptation non précisées, l’employeur n’ait fait aucune tentative d’apprendre ce que les mesures d’adaptation pourraient comporter. J’apprécie que le fonctionnaire ait dit qu’il en discuterait avec la Dre Tannenbaum, mais aucun renseignement nouveau n’a été porté à l’attention de l’employeur. La responsabilité de recueillir plus de renseignements sur les mesures d’adaptation n’incombe pas entièrement au fonctionnaire. L’employeur n’avait aucun scrupule à demander des éclaircissements plus tôt, alors pourquoi ne l’a‑t-il pas fait cette fois-ci?

[259]  Je conclus également que le fonctionnaire a fait l’objet d’un traitement préjudiciable de la part de l’employeur et que sa déficience constituait un facteur de ce traitement. Pour des raisons directement liées à sa déficience, il avait besoin de mesures d’adaptation sous la forme d’une autorisation de signaler ses absences ou retards par texto ou par courriel. La mise en œuvre des mesures d’adaptation a pris beaucoup de temps; elles n’ont été mises en place qu’après qu’un troisième médecin consécutif l’ait demandé. Entre-temps, le fonctionnaire a fait l’objet de mesures disciplinaires à cinq reprises, en partie pour des questions concernant l’envoi d’avis à l’employeur concernant ses absences du travail.

[260]  Peu après l’arrivée du fonctionnaire à SPC, l’employeur a entamé un dialogue continu avec les professionnels de la santé au sujet de son problème de santé et de l’incidence de ce dernier sur son rendement au travail. Dans l’attente de précisions sur les mesures d’adaptation, l’employeur a imposé des mesures disciplinaires à de nombreuses reprises pour des questions liées à l’assiduité au travail.

[261]  Comme je l’ai indiqué, la lettre de M. Thomas au Dr Grondin et la lettre de Mme Forget à la Dre Tannenbaum reconnaissent ouvertement les préoccupations de l’employeur au sujet de la santé mentale du fonctionnaire et l’incidence de sa déficience sur son travail. Le fait d’imposer des mesures disciplinaires pour des questions liées à l’assiduité, sachant qu’elles pouvaient en partie être liées à sa déficience, constituait un traitement préjudiciable et de la discrimination pour un motif interdit.

[262]  Le licenciement du fonctionnaire est l’exemple le plus évident de traitement préjudiciable. Le licenciement a eu lieu moins de deux semaines après que la Dre Tannenbaum ait indiqué explicitement que ses symptômes médicaux provenaient d’un milieu de travail toxique et qu’elle ait recommandé des mesures d’adaptation sous la forme d’un changement à la structure hiérarchique du fonctionnaire. Mme Forget et Mme Gascon ont toutes deux accusé réception de cette lettre. Il n’y a aucune preuve que la directive de la Dre Tannenbaum concernant des mesures d’adaptation ait même été prise en considération.

[263]  Pour aggraver la situation, le fonctionnaire a été licencié alors qu’il était en congé de maladie en raison de sa déficience, laquelle a été aggravée par ce que la Dre Tannenbaum a qualifié de milieu de travail toxique.

[264]  Je conclus que le fonctionnaire a établi une preuve prima facie selon laquelle il a fait l’objet de discrimination au motif interdit de sa déficience. Puisqu’une preuve prima facie de discrimination a été établie, il incombe à l’employeur de démontrer qu’il a pris des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire jusqu’au seuil de la contrainte excessive.

[265]  Comme l’a soutenu l’employeur, et le fonctionnaire ne s’y est pas opposé, se présenter au travail ou expliquer pourquoi cela n’est pas possible est une obligation d’emploi fondamentale. Le fonctionnaire n’a pas non plus contesté le droit de l’employeur d’établir et d’appliquer les règles concernant la présence au travail, y compris la mise en œuvre de la Lettre d’instructions. Toutefois, pour que les actes de l’employeur soient fondés sur une exigence professionnelle justifiée comme il le revendique, le paragraphe 15(2) de la LCDP prévoit qu’il devait établir que les mesures d’adaptation destinées à répondre aux besoins du fonctionnaire lui auraient imposé une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[266]  À la suite d’appels répétés, l’employeur a fini par répondre au besoin du fonctionnaire d’avoir la permission d’envoyer des textos ou des courriels pour signaler ses retards ou ses absences, plutôt que de téléphoner à un superviseur. Il s’agit de la seule mesure d’adaptation qui a été fournie, et je la trouve insuffisante pour établir que tous les moyens raisonnables de prendre des mesures d’adaptation ont été épuisés, et qu’il ne restait plus que des mesures d’adaptation déraisonnables ou impossibles.

[267]  Après que la note de la Dre Tannenbaum, le 3 octobre 2013, selon laquelle [traduction] « [...] [le fonctionnaire] est suivi pour des problèmes de santé, y compris la dépression et l’anxiété, et qu’il faut prendre des mesures d’adaptation pour ces troubles, au besoin », l’employeur n’a fait aucun effort pour se renseigner sur ce que ces mesures d’adaptation pourraient comporter. Il a compté exclusivement sur le fonctionnaire pour préciser les mesures d’adaptation. Lorsque ce dernier n’a pas donné de précision, l’employeur n’a plus soulevé la question. Aucune explication n’a été donnée à savoir de quelle façon un suivi auprès du médecin aurait constitué une contrainte excessive. Il n’y avait certainement aucune preuve du refus du fonctionnaire de participer à ce type de discussions.

[268]  L’employeur a l’obligation de faire des efforts raisonnables pour déterminer l’étendue d’une mesure d’adaptation nécessaire, tel qu’il est énoncé aux paragraphes 45 et 46 de Cyr :

[45] La Cour suprême a établi dans Simpsons-Sears que l’employeur a l’obligation de prendre des mesures raisonnables afin d’accommoder les limitations fonctionnelles d’un employé en autant que ces mesures ne lui causent pas de contraintes excessives. La Cour a aussi spécifié dans Meiorin que l’employeur doit faire des efforts soutenus et prolongés pour trouver une solution qui permette à l’employé de demeurer au travail malgré ses contraintes médicales.

[46] L’obligation d’accommoder comporte aussi des aspects procéduraux en ce sens que l’employeur doit étudier sérieusement la façon dont il peut accommoder un employé. Pour ce faire, l’employeur doit tout d’abord obtenir tous les renseignements pertinents sur l’incapacité de l’employé.  Puis, il doit voir avec l’employé comment ce dernier peut être accommodé. Comme l’arbitre de grief l’a écrit dans Panacci, le fait de ne pas réfléchir à la question de l’adaptation ou de ne pas prendre cette question en considération revient à manquer à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[269]  L’employeur a au moins reconnu les mesures d’adaptation prescrites par la Dre Tannenbaum en date du 3 octobre 2013, mais je conclus qu’il n’a pas fait des efforts raisonnables pour obtenir tous les renseignements pertinents concernant les mesures d’adaptation. Par conséquent, l’employeur n’a pas établi qu’il a pris des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins du fonctionnaire jusqu’au seuil de la contrainte excessive.

[270]  Il est très significatif que l’employeur n’ait même pas tenu compte des mesures d’adaptation prescrites par la Dre Tannenbaum, le 2 juillet 2014. Elle les a prescrites immédiatement après la soi-disant [traduction] « réunion de recherche de faits » du 21 juin 2014. Je conclus que la réunion était l’indication la plus tangible de ce que la Dre Tannenbaum a qualifié de [traduction] « milieu de travail toxique ». Le fonctionnaire était naturellement frustré et confus par la réunion, ce qui a aggravé sa dépression et son anxiété au point que la Dre Tannenbaum a une fois de plus prescrit une absence prolongée du travail. Les mesures d’adaptation prescrites le 2 juillet 2014 n’auraient pas pu être mieux expliquées, mais l’employeur les a complètement ignorées.

[271]  Par conséquent, le grief concernant la discrimination au motif de la déficience est accueilli.

V.  Réparation

[272]  Dans l’éventualité où les griefs étaient accueillis, l’employeur a demandé d’avoir la possibilité de présenter d’autres arguments au sujet de la réparation.

[273]  Pour sa part, le fonctionnaire a soutenu que le licenciement devrait être annulé et qu’il n’aurait pas dû faire l’objet de mesures disciplinaires. Subsidiairement, il a demandé que le licenciement soit remplacé par une réprimande écrite ou, tout au plus, par une suspension de 30 jours, compte tenu de toutes les circonstances atténuantes. Il a demandé que la Commission se réserve compétence sur tout montant à adjuger en ce qui concerne la discrimination et qu’elle laisse aux parties le soin de régler la question de sa capacité de retourner sur le lieu de travail.

[274]  Étant donné ma conclusion selon laquelle aucune mesure disciplinaire n’était justifiée pour les actions qui ont mené au licenciement du fonctionnaire, j’ordonne que son licenciement soit annulé. Je me réserverai compétence sur toute autre ordonnance de mesures de réparation pour permettre aux parties de tenter de régler ces questions et, si elles ne sont pas en mesure de parvenir à un règlement, de revenir à la Commission pour qu’elle statue sur toute mesure de réparation en suspens.

[275]  Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI.  Ordonnance

[276]  Les griefs sont accueillis.

[277]  Le licenciement du fonctionnaire est annulé.

[278]  Dans des circonstances normales, la Commission a pour pratique de fournir aux parties un délai de 90 jours pour tenter de résoudre les questions ayant trait à la réparation. Dans la situation actuelle, nous nous retrouvons au cœur d’une pandémie mondiale, avec les conditions de travail normales gravement compromises et, dans certains cas, complètement interrompues.

[279]  Par conséquent, une période de 90 jours n’est pas réaliste. Je demeurerai saisi de cette question pour une année à compter de la date de la présente décision, dans l’éventualité où les parties ne sont pas en mesure de parvenir à un règlement.

Le 24 avril 2020.

Traduction de la CRTESPF

James R. Knopp,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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