Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La Cour d’appel fédérale a enjoint à la Commission de réexaminer le grief conformément aux motifs de la décision Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290 – le fonctionnaire s’estimant lésé avait présenté un grief alléguant que l’employeur n’avait pas facilité sa réintégration à la suite d’un accident de travail – l’employeur avait demandé au fonctionnaire s’estimant lésé de remplir une demande de mutation, puisqu’il ne pouvait réintégrer le travail à son établissement d’attache – bien qu’une recherche de mutation ne soit pas une démarche d’accommodement insuffisante en soi, la Commission a déterminé que l’approche spécifique suivie par l’employeur était insuffisante dans les circonstances pour décharger son obligation d’accommodement à l’égard du fonctionnaire – la Commission a ordonné à l’employeur de verser au fonctionnaire s’estimant lésé une indemnité de 5 000 $ aux termes de l’alinéa 53(2)e de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision

Date:  20200515

Dossier:  566-02-8083

 

Référence:  2020 CRTESPF 53

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Dany Duval

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Duval c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

Devant :  Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : François Ouellette, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur :  Sean F. Kelly et Julie Chung, avocats

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
le 17 février, le 17 mars et le 8 avril 2020.


MOTIFS DE DÉCISION

I.  Introduction

[1]  Dans Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290, la Cour d’appel fédérale (la « Cour ») a annulé la décision que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») avait rendue dans Duval c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 52. La Cour a cependant renvoyé à la Commission, aux fins de réexamen, le grief que Dany Duval (le « fonctionnaire ») avait déposé, le 27 août 2012, contre le Service correctionnel du Canada (« SCC ») pour défaut d’accommodement, « […] car il n’est pas acquis que le grief doit être rejeté […] » (par. 38).

[2]  La Cour a enjoint à la Commission de réexaminer le grief conformément à ses motifs. La Commission a demandé aux parties de présenter des arguments écrits sur le grief en fonction de la décision de la Cour.

[3]  Pour faciliter la lecture de la présente décision, le terme « employeur » est utilisé pour désigner, selon le contexte, soit le Conseil du Trésor, qui est l’employeur légal du fonctionnaire, soit le SCC, à qui les pouvoirs de l’employeur sont délégués.

II.  Résumé des faits

[4]  Le fonctionnaire a commencé à travailler au SCC en 1995 en tant qu’agent correctionnel. Il a été en arrêt de travail à la suite d’un accident de travail, survenu le 31 janvier 2008, qui a entraîné un trouble de stress post‑traumatique. Une première tentative de retour au travail en 2009 a échoué, et en février 2010, un avis médical a indiqué que le fonctionnaire ne pourrait jamais travailler en milieu pénitentiaire. Jusqu’à ce moment, le SCC payait son salaire en vertu d’une entente (l’« entente globale ») conclue le 26 juin 2006 entre le SCC et l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, l’agent négociateur qui représente le fonctionnaire. L’entente globale ne fait cependant pas partie de la convention collective et, selon ses termes, ne peut servir de fondement à un grief.

[5]  À partir du moment où l’invalidité du fonctionnaire devenait permanente, il recevait une indemnité de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST) et, selon les termes de l’entente de globale, il cessait de recevoir son salaire.

[6]  Le fonctionnaire a fait beaucoup de démarches thérapeutiques pour surmonter son invalidité et, finalement, la CSST a confirmé qu’il était apte au travail. La seule restriction, selon l’avis médical, était qu’il ne devait pas retourner travailler dans l’établissement La Macaza, où l’accident de travail avait eu lieu. Par ailleurs, il était jugé apte à reprendre toutes ses fonctions comme agent correctionnel, dans tout autre établissement pénitentiaire.

[7]  Le médecin du fonctionnaire a adressé à la CSST, le 30 janvier 2012, la lettre qui confirmait l’aptitude au travail du fonctionnaire et ayant comme seule restriction l’établissement La Macaza.

[8]  La preuve n’est pas claire sur le moment auquel le SCC considérait le fonctionnaire apte à retourner au travail. D’une part, la conseillère régionale du Programme de retour au travail à l’époque, Suzanne Robitaille, n’a été informée de l’aptitude au travail du fonctionnaire que le 20 février 2012, lorsque le fonctionnaire l’a appelée pour lui demander quand il pourrait retourner au travail. D’autre part, dans ses propres documents préparés pour les rencontres régionales sur le retour au travail, le SCC indique que le fonctionnaire est apte à partir du 1er février 2012. Mme Robitaille a témoigné qu’elle avait reçu le 29 février 2012 une confirmation verbale de la CSST de l’aptitude au travail du fonctionnaire, et une confirmation écrite de la CSST le 13 mars 2012.

[9]  Le fonctionnaire a finalement réintégré ses fonctions le 19 juin 2012. Jusqu’à cette date, il continuait de recevoir ses prestations de la CSST, malgré des demandes répétées de recevoir son salaire, puisqu’il était apte à travailler.

[10]  Dans sa démarche pour réintégrer le fonctionnaire, le SCC a cherché un poste permanent. La démarche a consisté à demander au fonctionnaire de faire une demande de mutation, puisqu’il ne pouvait plus travailler à l’établissement La Macaza, son établissement d’attache. La mutation a rencontré des obstacles. Il y avait une exigence de bilinguisme pour les postes disponibles, l’ex-conjointe du fonctionnaire (avec qui il avait eu des moments difficiles) travaillait dans l’un des établissements qu’il avait choisis, le détenu qui avait provoqué l’accident de travail se trouvait dans un autre établissement choisi ; enfin, il y avait apparemment une certaine résistance syndicale à l’accueillir dans ce même établissement.

[11]  Pendant cette période, l’établissement Leclerc a fermé, en avril 2012, et le SCC a pu réaffecter les quelques 200 agents correctionnels qui y travaillaient. Pourtant, le SCC n’a réintégré le fonctionnaire que le 19 juin.

III.  Les décisions

A.  Décision de la Commission (2018 CRTESPF 52)

[12]  La Commission a déterminé que la seule question qui se posait dans ce dossier était l’adéquation de l’accommodement. Elle a jugé que l’accommodement avait été inadéquat, parce que le SCC n’avait pas pris toutes les mesures qu’il aurait pu prendre dans le cadre d’une démarche d’accommodement. En considérant la situation du fonctionnaire comme étant un cas de mutation, le SCC n’a rien fait pour accélérer le retour au travail du fonctionnaire et, surtout, il l’a privé du salaire qu’il aurait dû recevoir, puisqu’il était apte à travailler.

[13]  L’employeur avait soutenu que, si la Commission faisait droit au grief, elle ne pouvait accorder un redressement qui remonterait à plus de 25 jours avant le dépôt du grief, puisqu’il s’agissait, selon l’employeur, d’un grief continu, que le fonctionnaire avait déposé longtemps après le début de la présumée atteinte aux droits du fonctionnaire.

[14]  La Commission a jugé que le raisonnement de l’arrêt Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. 813 (QL), sur lequel l’employeur fondait son raisonnement, ne s’appliquait pas en l’occurrence, puisque le grief avait été déposé après le retour au travail, étant sous-entendu que la notion de grief continu ne s’appliquait pas.

[15]  Parce que le SCC n’avait pas traité le cas du fonctionnaire comme un cas d’accommodement, mais comme une simple mutation, la Commission a jugé que l’employeur avait commis une faute, et elle a accordé 5 000 $ en indemnité en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP)), ainsi que le salaire du fonctionnaire à partir du 1er février 2012, date à laquelle il était apte à retourner au travail.

B.  Décision de la Cour (2019 CAF 290)

[16]  La Cour a jugé que la décision de la Commission était déraisonnable à trois égards : le fonctionnaire n’avait pas doit à son salaire et avantages sociaux simplement parce qu’il était apte à retourner au travail ; la procédure retenue par le SCC pour réintégrer le fonctionnaire ne pouvait, en soi, constituer un manquement à l’obligation de prendre des mesures d’accommodement ; le raisonnement sur l’application de l’arrêt Coallier était défectueux, puisqu’il s’agissait d’un manquement continu.

[17]  Cela dit, la Cour a déclaré qu’il n’était pas acquis que le grief devait être rejeté, et a renvoyé l’affaire à la même formation de la Commission, avec des instructions précises que je reproduis ici :

[40] Il n’est pas loisible à la Commission, lors du réexamen, de remettre en question les conclusions tirées dans la décision initiale quant au caractère raisonnable de la décision du SCC de concentrer sa recherche d’emploi uniquement sur les affectations permanentes, ni quant au caractère raisonnable des préoccupations du SCC concernant le bilinguisme, la présence de l’ex-épouse à Cowansville et la présence du détenu qui avait agressé le défendeur à Donnaconna. Ces questions ont été tranchées de façon définitive et rien ne permet de conclure que ces conclusions sont déraisonnables. Le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée exclut par conséquent leur remise en cause.

[41] Lors du réexamen, la CRTESPF ne doit pas oublier que la jurisprudence reconnaît que l’accommodement en milieu de travail appelle la coopération de toutes les parties du lieu de travail – l’employeur, l’employé et, s’il y en a un, l’agent de négociation – qui doivent dialoguer raisonnablement en vue de trouver un travail que l’employé atteint d’une invalidité est capable de faire : Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, aux pages 989 à 991, 141 N.R. 185 (C.S.C.) [Renaud]. Ainsi, comme le défendeur l’a admis devant nous, il était tout à fait convenable pour le SCC de demander au défendeur d’indiquer ses préférences de lieu de travail et d’essayer de lui trouver un poste dans l’un des établissements qu’il avait désignés.

[42] En outre, la CRTESFP ne doit pas oublier que ce qui est exigé de la part d’un employeur est un accommodement raisonnable, mais pas nécessairement parfait, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans les arrêts Renaud, aux pages 994 et 995, et [Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, [2017] 1 R.C.S. 591], au paragraphe 56.

IV.  Résumés des arguments

A.  Pour le fonctionnaire

[18]  D’après le fonctionnaire, les conclusions que la Commission a exprimées dans la décision 2018 CRTESPF 52 n’étaient pas déraisonnables, mais elles faisaient défaut de s’appuyer sur des motifs suffisants. Le fonctionnaire propose donc à la Commission d’étayer ses motifs, sans pour autant contredire les conclusions factuelles exprimées dans la décision 2018 CRTESPF 52. Il revient sur les conclusions de la Cour à l’égard des points qui suivent : le versement du salaire, la procédure adoptée pour l’accommodement, et la portée rétroactive de la mesure de redressement.

[19]  Pour ce qui est du versement du salaire, l’employeur n’a pas démontré en quoi l’application du bulletin 2006-05 (qui mettait en œuvre l’entente globale), qui prévoyait le versement du salaire au fonctionnaire alors qu’il était apte à travailler, constituait une contrainte excessive. En effet, le bulletin prévoit le versement du salaire lorsqu’un agent correctionnel redevient apte à travailler, dans l’attente de lui trouver un poste. Si d’autres agents correctionnels avaient droit à cette mesure, il était discriminatoire de la part de l’employeur de ne pas l’appliquer au fonctionnaire.

[20]  En ce qui concerne l’adéquation de l’accommodement, le fonctionnaire souligne que l’employeur n’a nullement fait la preuve d’une contrainte excessive l’ayant empêché de le réintégrer plus rapidement. L’employeur n’a pas considéré d’autre possibilité que les mutations demandées, alors que le fonctionnaire était prêt à travailler même à Port-Cartier, et alors que d’autres agents correctionnels, qui avaient perdu leur poste à l’établissement Leclerc, étaient rapidement réaffectés dans d’autres établissements du Québec.

[21]  Le fait que la Commission ait jugé dans la décision 2018 CRTESPF 52 que les préoccupations de l’employeur étaient légitimes ne dégageait pas ce dernier de ses obligations. L’employeur considérait le bilinguisme nécessaire à la mutation du fonctionnaire et la présence dans les établissements pénitentiaires choisis par le fonctionnaire de l’ex-conjointe et du détenu impliqué dans l’accident de travail comme étant des facteurs dont il devait tenir compte. Cela n’est pas contredit, mais cela ne suffisait pas pour constituer une contrainte excessive faisant obstacle à la réintégration du fonctionnaire. La décision 2018 CRTESPF 52 laisse entendre que l’employeur, malgré ses préoccupations, avait tout de même l’obligation de considérer d’autres options, par exemple, suspendre temporairement l’exigence de bilinguisme ou vérifier avec l’ex‑conjointe du fonctionnaire si elle avait véritablement des objections.

[22]  La procédure choisie par l’employeur, même si elle n’était pas déraisonnable en soi, était cependant déficiente : « […] ce n’est pas le choix de la procédure retenue par l’employeur pour réintégrer l’employé en soi qui est problématique; c’est plutôt l’absence d’initiative, de soutien et de coopération de l’employeur à travers la procédure choisie qui constitue un manquement à son obligation d’accommodement » (par. 55 des arguments du fonctionnaire).

[23]  Quant à la portée rétroactive de la mesure de redressement, la question n’a été soulevée qu’à la fin des arguments de l’employeur. Aucune preuve n’a été produite à cet égard. Les notes de Mme Robitaille montrent qu’à plusieurs reprises, entre février et juin 2012, le fonctionnaire a demandé de recevoir son salaire en attendant sa réintégration.

[24]  Aucune preuve portant sur la date à laquelle le fonctionnaire a été informé de l’intention du SCC de ne pas lui payer son salaire à compter de février 2012 n’a été présentée à l’audience. Toutefois, le fonctionnaire affirme qu’il n’en a été informé qu’en août 2012. Le grief n’est donc pas tardif. Puisque l’employeur n’a présenté aucune preuve à cet égard, et n’a jamais soulevé d’objection au dépôt du grief, l’argument de l’employeur sur la portée rétroactive de la mesure de redressement devrait être rejeté.

[25]  La Commission devrait maintenir la décision 2018 CRTESPF 52, en étayant davantage ses motifs.

B.  Pour l’employeur

[26]  L’employeur est d’avis que le grief devrait être rejeté. L’accommodement était raisonnable, et le fonctionnaire ne peut prétendre avoir droit à une réintégration instantanée. La mutation était en fait la seule mesure qui satisfaisait aux exigences de la situation.

[27]  Le fonctionnaire ne peut soulever dans le cadre du présent réexamen des arguments qui ont déjà été écartés par la Cour. Ainsi, le fonctionnaire ne peut invoquer le bulletin 2006-05, que la Commission a expressément écarté dans sa décision. De plus, la Commission a déjà accepté le caractère raisonnable de chercher une réaffectation permanente et de tenir compte de certaines contraintes, dont le bilinguisme. Elle ne peut revenir là-dessus dans le réexamen.

[28]  L’enjeu, encore une fois, est de déterminer si l’accommodement était raisonnable dans les circonstances. La contrainte excessive n’a pas été invoquée par l’employeur, puisque celui-ci estime qu’il a offert un accommodement raisonnable.

[29]  L’arrêt Coallier s’applique, puisque le grief est continu. Le grief, daté du 22 août, demande une mesure de redressement de février à juin 2012. Il est clair qu’il ne peut y avoir redressement, puisque les dates débordent largement le cadre des 25 jours prévus dans la convention collective.

[30]  Il est important de noter que le fonctionnaire n’a pas fait la preuve qu’il existait un poste pour lui pendant la période en question.

[31]  L’employeur demande donc que le grief soit rejeté.

V.  Analyse

[32]  La Cour a soulevé plusieurs points qui marquent le caractère déraisonnable de la décision 2018 CRTESPF 52. L’employeur soutient que, par conséquent, le grief doit être rejeté. Le fonctionnaire fait valoir qu’il s’agit de mieux étoffer le raisonnement de la Commission.

[33]  La Cour a enjoint la Commission de réexaminer le grief à la lumière de ses motifs offerts dans la décision 2019 CAF 290. Elle déclare également qu’il n’est pas acquis que le grief devrait être rejeté. Je comprends de cette déclaration qu’il y a dans la preuve, et à partir des conclusions factuelles que je ne peux remettre en question, matière à conclure que le grief peut être accordé, du moins partiellement.

[34]  Il y a deux questions à décider : L’employeur a-t-il pris des mesures d’adaptation raisonnables à l’égard du fonctionnaire? Si tel n’est pas le cas, quelle est la mesure de redressement à laquelle le fonctionnaire a droit?

[35]  La décision 2018 CRTESPF 52 contenaient, aux paragraphes 71, 72 et 78, les conclusions de faits qui suivent :

71 Je ne suis pas prête à faire un procès d’intention à Mme Robitaille. Je crois qu’elle a fait les démarches qu’elle estimait nécessaires pour réintégrer le fonctionnaire avec succès au SCC. L’exigence de bilinguisme pour les postes à Cowansville, l’accusation de violence conjugale, alors que l’ex-conjointe du fonctionnaire se trouvait à Cowansville ou les préoccupations du SCC quant aux objections du syndicat local à l’établissement de Donnaconna et la présence du détenu impliqué dans l’accident de travail, tous ces faits ne sont pas des prétextes, mais bien de légitimes préoccupations.

72 Le fonctionnaire a souligné l’absence de tentatives de trouver une affectation temporaire en attendant un poste permanent. Là encore, je reconnais que le raisonnement de l’employeur est valable : dans un poste CX-2, il est préférable de faire une intégration réussie et à long terme.

[…]

78 Il n’est pas question ici de mesures d’adaptation pour faciliter l’exécution des tâches. Une seule mesure est requise, soit de trouver un poste dans un autre établissement. Le SCC rend le fonctionnaire responsable de trouver un autre poste – il doit faire une demande de mutation, qu’il doit ensuite renouveler après deux mois. On lui laisse entendre que sa mutation est complexe, vu le nombre d’employés déplacés de l’établissement Leclerc, la dotation particulière dans les établissements, les questions budgétaires, et ainsi de suite. On ne traite pas sa situation de retour au travail comme étant une question d’accommodement, mais bien comme une question de mutation. Mme Robitaille et M. Lanoie [le directeur de l’établissement de Donnaconna à l’époque] l’ont confirmé.

[36]  Je ne peux revenir sur la procédure de mutation en soi, ni sur les contraintes qui entouraient la mutation du fonctionnaire aux établissements de Cowansville et de Donnaconna, ni sur la décision de l’employeur de lui trouver une affectation permanente.

[37]  La Cour a souligné « […] qu’il n’existe pas de droit procédural à un accommodement distinct qui impose une procédure particulière que l’employeur doit suivre lorsqu’il cherche à prendre des mesures d’accommodement en faveur d’un employé » (par. 25).

[38]  Cependant, les démarches faites par l’employeur dans cette affaire étaient insuffisantes pour décharger son obligation d’accommodement à l’égard du fonctionnaire.

[39]  Pendant trois mois, l’employeur a limité sa recherche d’affectation aux établissements identifiés par le fonctionnaire dans la demande de mutation, alors que le formulaire de mutation développé par l’employeur limitait à trois le nombre d’établissements pouvant être identifiés. Dans un contexte d’adaptation, dont le but est de respecter les limitations du fonctionnaire afin de faciliter sa réintégration au travail, une telle limitation ne saurait être raisonnable, puisque l’employeur peut considérer beaucoup plus d’établissements parmi lesquels il peut chercher une affectation pour le fonctionnaire. De plus, la preuve établit que le fonctionnaire était prêt à considérer une affectation à Port Cartier et à Ottawa. Si l’employeur avait élargi sa recherche d’affectation à tous les lieux de travail disponibles, il est fort possible qu’il aurait pu réintégrer le fonctionnaire bien avant le 19 juin 2012 ou, du moins, dès la fin de sa convalescence le 24 mai 2012.

[40]  Bien que la Cour ait conclu que le choix de l’employeur de procéder par mutation n’était pas déraisonnable en soi, la façon dont l’employeur a limité les possibilités de mutation a néanmoins entravé la réaffectation du fonctionnaire.

[41]  D’une part, la CSST et son médecin lui disaient qu’il était apte à travailler, il était lui-même disposé à travailler, et, d’autre part, l’employeur lui présentait tous les obstacles qui s’opposaient à sa réintégration. Je n’ai rien vu, dans les communications de l’employeur, et je n’ai rien entendu des témoignages de Mme Robitaille, de Marc Lanoie [le directeur de l’établissement de Donnaconna à l’époque] ou d’Alessandria Page [la sous-directrice de l’établissement de Cowansville à l’époque], qui démontrait une préoccupation de faciliter la réintégration d’un agent correctionnel souffrant de limitations fonctionnelles.

[42]  En effet, les témoins de l’employeur sont revenus plusieurs fois sur le fait que le salaire du fonctionnaire ne pouvait être payé, puisqu’il ne pouvait retourner à son poste dans son établissement d’attache. De plus, le fait que l’employeur ait assujetti la réintégration du fonctionnaire à la discrétion des directeurs d’établissement confirme bien que l’employeur était plus préoccupé par des considérations d’ordre organisationnel que par son obligation de respecter les limitations du fonctionnaire pour faciliter sa réintégration.

[43]  Si le fonctionnaire avait pu revenir à son établissement d’attache, la direction de celui-ci l’aurait réintégré immédiatement, puisqu’il était apte à accomplir toutes ses fonctions. Le fonctionnaire a mis en lumière dans sa plaidoirie la pratique de l’employeur, codifiée par l’entente globale et le bulletin 2006-05, voulant que l’agent correctionnel apte à travailler qu’on ne peut réintégrer tout de suite ait droit à son salaire. Je ne peux invoquer l’entente globale pour appuyer mon raisonnement, puisque les parties ont convenu qu’elle ne pouvait servir de fondement à un grief. Cela dit, cette pratique de l’employeur me paraît refléter une solution d’accommodement raisonnable, d’ailleurs convenue entre les parties.

[44]  Je conclus donc que l’accommodement était insuffisant. En outre, je note l’atteinte à la dignité du fonctionnaire, sa détresse causée par un employeur qui ne semblait pas comprendre son obligation de respecter les limitations du fonctionnaire afin de faciliter sa réintégration. En limitant la recherche d’affectation aux seuls trois établissements identifiés par le fonctionnaire dans la demande de mutation, l’employeur a indûment minimisé l’importance de son obligation de faciliter la réintégration du fonctionnaire.

[45]  De février à juin 2012, c’est le fonctionnaire qui a dû, à maintes reprises, s’enquérir de la démarche. Le directeur de l’établissement d’attache ne s’est manifesté nulle part, ni dans la preuve, ni dans les témoignages, ni par sa présence à l’audience. Je n’ai reçu aucune preuve que la situation du fonctionnaire devait être considérée comme une recherche de mesure d’accommodement, avec l’urgence que cela implique. La mutation était une procédure acceptable en soi, mais il aurait fallu reconnaître qu’elle ne tirait pas son origine d’un simple vœu du fonctionnaire (comme quelqu’un qui souhaite déménager), mais bien d’une lésion professionnelle.

[46]  Je suis convaincue que, si la recherche d’affectation avait été perçue sous l’angle de l’accommodement médical, le fonctionnaire aurait été traité différemment. Je continue donc de penser que l’accommodement était déficient, dans le traitement qu’on a infligé au fonctionnaire pendant cette période, et que le fonctionnaire a par conséquent été victime de discrimination. Ce n’est pas qu’une mutation n’était pas une solution raisonnable, mais plutôt qu’à aucun moment on n’ait rassuré le fonctionnaire qu’on cherchait un accommodement raisonnable, compte tenu de sa situation médicale. Bien au contraire. On opposait à ses demandes d’information non seulement des obstacles d’ordre personnel (bilinguisme, présence de l’ex-conjointe et du détenu), mais aussi des obstacles systémiques (par exemple le budget et le nombre de postes en région).

[47]  La Cour me demande de tenir compte des principes de l’arrêt Renaud. Il me semble que, d’après cet arrêt, la collaboration de tous est essentielle. Cette collaboration aurait été concrétisée si l’employeur avait convoqué le fonctionnaire et l’agent négociateur dès le 13 mars 2012 pour faire état de la situation et parler de solutions pour réaffecter le fonctionnaire. Il ne l’a pas fait. Dans les circonstances, c’est la collaboration limitée de l’employeur qui pose problème.

[48]  La Cour suprême du Canada a souvent dit que la discrimination n’est pas une question d’intention, mais bien une question de l’effet discriminatoire (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par. 49). Je pense que le cas présent l’illustre bien.

[49]  Compte tenu de la décision de la Cour, je ne vois pas comment maintenir ma décision de faire verser le salaire au fonctionnaire pour la période du 1er février au 19 juin 2012. Par contre, pour sa détresse et le défaut d’accommodement, je maintiendrais la compensation en vertu de la LCDP.

[50]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI.  Ordonnance

 

[51]  Le grief est accueilli, en partie.

[52]  J’ordonne à l’employeur de verser au fonctionnaire une indemnité de 5 000$ aux termes de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[53]  Le montant dû aux termes du paragraphes 52 doit être versé dans les 60 jours de la présente décision.

Le 15 mai 2020.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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