Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte dans laquelle il allègue que l’employeur a fait preuve d’abus de pouvoir dans la tenue du processus de nomination en litige – la Commission a refusé la demande d’anonymisation du plaignant – la Commission a conclu que le plaignant n’a pas établi que l’employeur avait fait preuve d’abus de pouvoir dans la tenue du processus de sélection et au moment d’établir les qualifications essentielles énumérées dans l’énoncé des critères de mérite – la Commission a déterminé que le plaignant n’a déposé aucune preuve de fond à l’appui de l’allégation selon laquelle l’employeur avait fait preuve d’abus de pouvoir lorsqu’il a nommé des candidats qui ne répondaient pas aux qualifications essentielles – la Commission a également conclu que le plaignant n’a présenté aucun argument qui répondait au critère établissant une crainte raisonnable de partialité en faveur des personnes nommées ni aucune preuve convaincante à l’appui de son allégation selon laquelle les membres du jury de sélection n’étaient pas qualifiés – la Commission a conclu que le plaignant n’a pas présenté une preuve prima facie de discrimination.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

(Traduction de la CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Paul Abi‑Mansour, le plaignant, a posé sa candidature à un poste de chercheur classifié au groupe et au niveau EC‑04 (numéro du processus de sélection 2016‑CSD‑IA‑NHQ‑14685) à la Direction générale des compétences et de l’emploi d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) à Gatineau, au Québec. Il a été éliminé à la première étape du processus de nomination parce qu’il ne possédait pas deux qualifications essentielles. Dans sa plainte datée du 11 août 2016, il allègue que le défendeur, l’administrateur général d’ESDC, a commis un abus de pouvoir dans le cadre du processus de nomination, en violation de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, article 12 et 13; LEFP). L’alinéa 77(1)a) prévoit ce qui suit :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle‑ci une plainte selon laquelle elle na pas été nommée ou fait lobjet dune proposition de nomination pour lune ou lautre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

[...]

 

[2] La plainte (numéro de dossier EMP‑2016‑10810) a été déposée le 8 novembre 2016, auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP), comme elle était désignée à l’époque. Elle comportait les allégations suivantes :

[Traduction]

[...]

Abus de pouvoir

Utilisation d’outils d’évaluation inappropriés

Nomination de candidats qui ne satisfont pas aux qualifications essentielles, violant ainsi le principe du mérite

Favoritisme et népotisme

Crainte de partialité

Racisme et discrimination

 

[3] Au moyen d’une ordonnance de la CRTEFP, deux autres dossiers concernant le même processus de nomination, portant les numéros EMP‑2016‑10812 et 10874, ont été regroupés avec le dossier EMP‑2016‑10810.

[4] Le plaignant a réitéré ses allégations le 5 juin 2017, comme suit :

[...]

a) Abus de pouvoir dans le processus de sélection et l’élimination du plaignant (y compris la mauvaise foi).

b) ECM mal élaboré et ambigu

c) Abus de pouvoir dans l’établissement des qualifications essentielles énoncées dans l’ECM

d) Abus de pouvoir dans la nomination de candidats qui ne satisfont pas aux qualifications essentielles, violant ainsi le principe du mérite prévu au paragraphe 30(2) de la LEFP (alinéa 77(1)a))

e) Crainte raisonnable de partialité en faveur des personnes nommées.

f) Membres non qualifiés du jury de sélection

g) Discrimination contre le plaignant

[...]

 

[5] Il a précisé les mesures correctives suivantes :

[...]

a. Annuler les trois nominations

b. Réintégrer le plaignant dans le processus

c. Dommages‑intérêts prévus en common law pour la mauvaise foi

d. Réparation à titre de discrimination, conformément aux dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne

e. Autres mesures correctives auxquelles aurait droit le plaignant et que la Commission autorise

[...]

 

[6] Le défendeur a nié les allégations. Plus particulièrement, il a expliqué que le plaignant ne répondait pas aux qualifications essentielles suivantes « Expérience de la recherche et de l’analyse de données en utilisant des données économiques ou relatives au marché du travail, de nature quantitative et qualitative » et « Expérience de l’utilisation d’outils pour extraire et transformer des données provenant de sources multiples en des ensembles de données, des bases de données et d’autres formats utilisables ».

[7] En vertu de l’article 79 de la LEFP, la Commission de la fonction publique (CFP) a le droit d’être entendue dans toute plainte de dotation déposée auprès de la Commission. La CFP a refusé de participer à l’audience, mais elle a présenté un résumé écrit décrivant le [traduction] « Cadre de nomination en vigueur après le 1er avril 2016 ».

[8] Les « autres parties », soit les trois candidats retenus dans le cadre du processus, n’ont pas non plus participé à l’audience.

[9] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale, et a modifié de nom de la CRTFP et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique par, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») et la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (LCRTESPF).

II. Avis à la Commission canadienne des droits de la personne

[10] Puisque le plaignant a présenté une allégation de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. 1985, c. H‑6; LCDP), il a informé la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) de sa plainte, comme l’exige l’article 78 de la LEFP, qui prévoit ce qui suit :

78 Le plaignant qui soulève une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne en donne avis à la Commission canadienne des droits de la personne conformément aux règlements de la Commission des relations de travail et de l’emploi.

 

[11] La CCDP a ensuite informé la Commission qu’elle n’avait pas l’intention de présenter des arguments relativement à cette question.

[12] Le paragraphe 20(1) du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique (DORS/2006‑6, modifié par DORS/2014‑250; le « Règlement »), précise le contenu qui doit être inclus dans l’avis, connu sous le nom Formule 5. Cette disposition énonce ce qui suit :

20 (1) Si le plaignant soulève une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans une plainte présentée en vertu des paragraphes 65(1) ou 77(1) de la Loi, il transmet par écrit l’avis prévu au paragraphe 65(5) ou à l’article 78 de la Loi, selon le cas, à la Commission canadienne des droits de la personne. L’avis comporte les éléments suivants :

a) une copie de la plainte;

b) les nom, numéros de téléphone et de télécopieur du plaignant et l’adresse postale ou électronique qui peuvent être communiqués à toutes les parties;

c) le cas échéant, les nom, adresse, numéros de téléphone et de télécopieur et adresse électronique du représentant du plaignant;

d) une description de la question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la pratique ou politique discriminatoire alléguée;

e) le motif de distinction illicite visé;

f) les mesures correctives à prendre;

g) la signature du plaignant ou de son représentant;

h) la date de l’avis.

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

 

[13] Le Règlement exige que le plaignant fournisse une copie de l’avis à la Commission et aux autres parties intéressées. Le paragraphe 20(2) est ainsi rédigé :

20 (2) Le plaignant transmet copie de l’avis aux parties, à la Commission des relations de travail et de l’emploi et, le cas échéant, aux intervenants; il n’est pas tenu d’y joindre une copie de la plainte.

 

[14] Lors de la conférence préparatoire à l’audience convoquée le 6 septembre 2019, j’ai rappelé au plaignant qu’il n’avait pas déposé une copie de son avis de la Formule 5 auprès de la Commission comme l’exige le Règlement, et je lui ai ordonné de s’y conformer. Au début de l’audience, le 30 octobre 2019, il ne l’avait pas fait. Je lui ai de nouveau ordonné de fournir une copie de son avis, soit la Formule 5. Enfin, après l’ajournement de l’audience le 31 octobre 2019, il a fourni une copie de son avis.

[15] La Formule 5 du plaignant comporte la date du 6 octobre 2019, soit 26 mois après la date de dépôt de sa plainte auprès de la Commission. Il s’est acquitté de l’obligation prévue à l’article 78 de la LEFP, uniquement après que j’insiste pour qu’il le fasse.

[16] La seule mention à la CCDP qui figure dans l’avis du plaignant, daté du 6 octobre 2019, se lit comme suit : [traduction] « Le plaignant dans le dossier EMP‑2016‑10810 (audience tenue les 30 et 31 octobre 2019) soulèvera des questions relatives à la discrimination. Aucune mesure de la part de la CCDP n’est nécessaire. »

[17] La Formule 5 du plaignant n’est pas conforme aux exigences du paragraphe 20(1) du Règlement. Plus précisément, le plaignant n’a pas décrit la question qui sous‑tend sa plainte (alinéa 20(1)d), préciser le motif de distinction illicite (alinéa 20(1)e)), ou préciser les mesures correctives demandées (alinéa 20(1)f)).

[18] Lorsque l’audience a repris le 21 janvier 2020, j’ai demandé aux parties de me donner leurs arguments sur la décision, le cas échéant, que je devrais prendre concernant l’allégation de discrimination du plaignant, étant donné la Formule 5 non conforme.

[19] Le plaignant a soutenu qu’en absence d’une disposition législative explicite permettant à la Commission de rejeter une allégation dans ces circonstances, son omission de soumettre une Formule 5 de plainte conforme ne peut avoir aucune répercussion. À son avis, l’omission ne constituait [traduction] « qu’une irrégularité » et, en fait, un [traduction] « point théorique », étant donné que la CCDP a indiqué qu’elle ne présenterait aucun argument. Il a soutenu également que le défendeur n’avait subi aucun préjudice parce que c’était évident, dès le dépôt de sa plainte initiale, qu’il avait l’intention de faire valoir une allégation de discrimination et qu’au cours de la conférence préparatoire à l’audience, il avait énoncé les motifs de distinction illicites invoqués dans ses arguments (la race, l’origine nationale et l’origine ethnique).

[20] Le plaignant a allégué que la CCDP avait un problème à son égard et qu’elle ne voulait rien savoir de ses plaintes. Il a déclaré qu’il ne souhaitait pas que la CCDP participe à une audience devant la Commission parce que la CCDP était hostile à son endroit. En réalité, il a déposé plusieurs plaintes contre elle. Il a également allégué qu’elle n’intervenait jamais dans les audiences de la Commission.

[21] Le défendeur a soutenu que le plaignant est un plaideur chevronné qui connaît les règles. Lors de la conférence préparatoire à l’audience, la Commission lui a ordonné de fournir une copie de sa Formule 5, mais il ne l’a pas fait. Il a choisi de ne pas se conformer à une simple exigence parce que, de son propre aveu, il ne voulait pas que la CCDP assiste à une audience. Il souhaitait priver la CCDP de la possibilité de répondre aux questions dans son affaire.

[22] Le défendeur a fait valoir que, en réalité, le plaignant avait affirmé ce qui suit : [traduction] « La CCDP ne s’est pas présentée – quel est le problème? » Il a insisté sur le fait que la CCDP devait avoir la possibilité d’analyser une plainte avant de décider si elle devait intervenir, mais qu’elle n’avait pas eu cette possibilité en l’espèce parce que le plaignant ne lui avait pas fourni des renseignements adéquats.

[23] Compte tenu de l’attitude cavalière du plaignant à l’égard de la Formule 5, le défendeur a fait valoir que je devrais l’empêcher de présenter un argument fondé sur la discrimination à l’audience.

[24] En réplique, le plaignant a soutenu que le défendeur n’avait pas établi la façon dont il avait subi un préjudice en raison de sa Formule 5 et que la CCDP n’avait pas non plus subi un préjudice et n’interviendrait jamais. Dans ses mots, [traduction] « le défendeur et la CCDP sont heureux; la Commission devrait l’être aussi ».

[25] Après avoir examiné les arguments, j’ai mis ma décision en délibéré et déclaré que je procéderais à l’appréciation de la preuve et des arguments relatifs à l’allégation de discrimination à l’audience, sous réserve de ma décision.

[26] Réflexion faite, j’ai décidé de procéder et d’examiner l’allégation de discrimination du plaignant, malgré sa Formule 5 non conforme. Je ne suis au courant d’aucune jurisprudence de la Commission qui pourrait me guider quant aux mesures appropriées qui pourraient ou devraient être prises lorsqu’il est évident qu’un plaignant n’a pas respecté l’obligation de dépôt énoncée à l’article 20 du Règlement. Même si je crois que la Commission a probablement le pouvoir de se prononcer contre l’admissibilité d’une allégation dans le cadre d’une plainte en matière de dotation, étant donné l’omission de la partie de respecter une disposition réglementaire qui a force de loi, j’ai décidé de ne pas étudier davantage ce pouvoir dans la présente décision. Je le fais, du moins en partie, parce que je ne peux pas conclure que la capacité du défendeur de se défendre contre l’allégation de discrimination a été compromise. Pour ce qui est de la CCDP, je dois me fier à son courriel du 24 octobre 2019, qui indique son intention de ne pas participer à l’audience et à sa décision de fermer son dossier.

[27] Dans d’autres circonstances futures, il pourrait être convenable ou nécessaire que la Commission examine davantage les conséquences d’un non‑respect de l’article 20 du Règlement, surtout si elle avertit au préalable les plaignants qu’une conclusion selon laquelle une Formule 5 ne se conforme pas au Règlement peut entraîner une décision défavorable.

[28] Cela dit, je retiens sans réserve l’argument du défendeur selon lequel le plaignant a fait preuve d’une attitude cavalière à l’égard de l’obligation de dépôt de la Formule 5. Je suis convaincu par ses actes et ses arguments qu’il estime que l’obligation est futile et qu’il n’est pas tenu de se conformer à cette obligation, à moins que la Commission ne l’ordonne.

[29] Selon le paragraphe 79(2) de la LEFP, la CCDP a le droit de présenter des arguments à la Commission. Afin de déterminer si elle souhaite exercer ce droit, le plaignant doit lui fournir, à l’aide de la Formule 5, tous les renseignements requis en vertu du paragraphe 20(1) du Règlement. Qui plus est, toutes les parties à une plainte, ainsi que la Commission, ont le droit de recevoir ces renseignements, afin de bien comprendre l’argumentation concernant la discrimination interdite par la LCDP avancée par le plaignant.

[30] Le plaignant est un plaideur chevronné devant la Commission. Il est impossible qu’il ne soit pas au courant de ses obligations en matière de dépôt. Ses actes étaient intentionnels; il a reconnu qu’il ne voulait pas que la CCDP intervienne. À mon avis, il a fait preuve de mépris à l’endroit de la CCDP. Il a également fait preuve d’un manque de respect envers la Commission lorsqu’il a omis de suivre ses directives concernant le dépôt d’une Formule 5 jusqu’à la dernière occasion possible. Son attitude et ses actes sont inappropriés et ne doivent pas être répétés.

III. Questions préliminaires et décisions

A. Anonymisation

[31] À l’audience du 30 octobre 2019, le plaignant a demandé une ordonnance en vue de maintenir l’anonymat de l’intitulé de la présente décision, à laquelle le défendeur s’est opposé.

[32] Le plaignant a témoigné qu’il avait éprouvé des difficultés à obtenir un poste dans le cadre des nombreux processus de nomination dans la fonction publique auxquels il a présenté sa candidature. Il a précisé que, depuis la décision rendue dans Abi‑Mansour c. Sous‑ministre des Pêches et des Océans, 2018 CRTESPF 53 (« Abi‑Mansour 2018 ») dans laquelle la Commission a rejeté sa demande d’anonymisation, davantage de gestionnaires lui ont dit que ses litiges fréquents, comme en témoignent les décisions publiées de la Commission, étaient considérés comme un problème et avaient une incidence sur ses possibilités d’emploi.

[33] En contre‑interrogatoire, le plaignant a précisé que des gestionnaires, dont l’un vers la fin 2016, un en 2017 et un en 2018, lui avaient conseillé de cesser de déposer des plaintes parce qu’elles apparaissaient dans Google. Il a convenu qu’aucun de ces gestionnaires n’avait été membre d’un comité de sélection.

[34] Le plaignant s’est décrit comme cherchant activement un emploi sur le marché du travail extérieur puisqu’il est en congé non payé depuis le 30 septembre 2019. Il croit que la publication des décisions de la Commission portant son nom permet aux employeurs externes potentiels de chercher son nom sur Google et de cerner des décisions dans le site Web de la Commission qui pourraient jeter une ombre sur lui. Il a également déclaré qu’il avait la possibilité de travailler au Moyen‑Orient, où le droit canadien [traduction] « n’a aucune incidence », mais que la capacité des employeurs potentiels, là et ailleurs à l’étranger, d’avoir accès aux décisions de la Commission à l’aide de recherches dans Internet compromet ses possibilités.

[35] En contre‑interrogatoire, le défendeur a offert des documents, décrits dans la section suivante, indiquant d’autres renseignements déjà accessibles dans Internet qui décrivent le plaignant de manière négative. Ces renseignements se rapportent à son expérience de travail. Étant donné qu’il indique cette expérience dans son curriculum vitae, le défendeur soutient qu’il a effectivement orienté un employeur potentiel vers des renseignements défavorables concernant son dossier d’emploi déjà accessibles dans Internet.

[36] Le défendeur a également mentionné la référence suivante dans Abi‑Mansour 2018, au sujet de la possibilité que les décisions de la Commission puissent avoir des répercussions négatives à l’égard des employeurs potentiels : « Il est trop tard pour fermer l’écurie, quand le cheval s’est sauvé ».

[37] Le plaignant est revenu à la question de l’anonymisation dans son dernier argument. Il a soutenu que la décision dans A.B. v. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 53 (« A.B. c. Agence du revenu du Canada »), en vue d’anonymiser l’intitulé devrait s’appliquer en l’espèce. Il a également soutenu que Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835 et R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442, invoqués en tant que jurisprudence principale dans Abi‑Mansour 2015, s’appliquent uniquement lorsqu’une requête est présentée pour sceller des documents et, par conséquent, n’ont aucune incidence sur sa demande d’anonymisation. Il m’a demandé de me fier plutôt à A.B. c. Bragg Communications Inc., 2012 CSC 46 (« A.B. c. Bragg ») et à A.B. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 237 (« A.B. c. Canada »), dans lesquels le critère applicable est celui de savoir si le refus de l’anonymisation entraînerait un « préjudice objectivement discernable ». (Je souligne qu’il a omis de fournir des copies des décisions A.B. c. Bragg et A.B. c. Canada.)

[38] Le plaignant a également soutenu qu’aucune disposition de la LEFP ne prévoit que les audiences sont publiques.

[39] Les éléments de preuve présentés par le plaignant pour étayer sa demande ne diffèrent pas de manière importante de ceux que la Commission a examinés dans Abi‑Mansour 2018. Essentiellement, il a seulement ajouté que des gestionnaires lui ont parlé de ses litiges depuis Abi‑Mansour 2018 et qu’il cherche maintenant un emploi sur des marchés plus vastes, où les employeurs potentiels pourraient avoir accès aux décisions de la Commission.

[40] Je conclus que la preuve du plaignant au sujet des commentaires formulés par les gestionnaires constitue du ouï‑dire. Même si je peux retenir son témoignage en tant que preuve que les gestionnaires ont fait des commentaires à son sujet, tel qu’il l’a signalé, je ne peux aller plus loin et le considérer comme une preuve que les décisions de la Commission qui l’identifient par son nom ont eu des conséquences négatives sur ses possibilités dans le cadre de processus de nomination dans la fonction publique. Bien entendu, si une telle preuve était présentée, elle ne justifierait pas en soi l’anonymisation.

[41] Le plaignant a soutenu qu’aucune disposition de la LEFP ne prévoit que les audiences sont publiques. En tant que tribunal quasi judiciaire indépendant, il n’est pas contesté dans la jurisprudence que le principe de transparence judiciaire protégée par la Constitution s’applique aux procédures de la Commission.

[42] Le plaignant a invoqué trois décisions qui n’ont pas été débattues dans Abi‑Mansour 2018. Dans les circonstances examinées dans A.B. c. Agence du revenu du Canada, la Commission a conclu qu’un plaignant avait fait l’objet d’un traitement raciste dans sa vie quotidienne qui ne se rapportait pas aux questions soulevées à l’audience. Elle a accepté que la publication de son nom « [...] pourrait accroître considérablement le risque d’aggravation du traitement raciste » et qu’il soit qualifié de « sympathisant terroriste ». En appliquant le critère Dagenais‑Mentuck aux circonstances particulières auxquelles étaient confrontées le fonctionnaire s’estimant lésé, la Commission a conclu, au paragraphe 149, que « [...] les effets bénéfiques de l’ordonnance l’emportent sur les effets préjudiciables sur les droits et intérêts des parties et du public [...] ».

[43] Le plaignant est essentiellement préoccupé par le fait que la publication de son nom dans une décision défavorable de la Commission augmente la probabilité que les employeurs potentiels, au sein et à l’extérieur de la fonction publique, puissent tirer des conclusions négatives au sujet de sa candidature. Je ne peux conclure qu’un tel résultat, s’il est réalisé, est comparable à ce que le fonctionnaire aurait pu être confronté dans A.B. c. Agence du revenu du Canada. Dans cette affaire, la Commission a décrit ces circonstances comme « extrêmement rares », surtout étant donné que les éléments de preuve comprenaient des articles publiés dans les médias sociaux par le fonctionnaire s’estimant lésé qui pouvaient être considérés comme sympathisants avec les groupes terroristes. À mon avis, aucune telle circonstance « extrêmement rar[e] » n’existe relativement à la situation du plaignant. La Commission a déjà publié plusieurs décisions comportant son nom. Son témoignage, qui laisse entendre l’effet néfaste que pourrait avoir la publication de décisions portant son nom, n’est que spéculatif; je ne dispose d’aucun élément de preuve permettant d’établir une telle répercussion ou un « préjudice objectif », si je l’acceptais en tant que critère. Les éléments de preuve limités dont je suis saisi ne correspondent certainement pas à la preuve concrète acceptée dans A.B. c. Agence du revenu du Canada d’antécédents du traitement raciste grave auquel le fonctionnaire avait été assujetti.

[44] Je dois également souligner que, tout en faisant valoir que le critère Dagenais‑Mentuck ne s’applique que lorsqu’une partie demande une ordonnance de mise sous scellés, le plaignant m’a demandé d’appliquer la conclusion dans A.B. c. Agence du revenu du Canada, fondé sur le critère Dagenais‑Mentuck, dans des circonstances où aucune demande de mise sous scellés n’a été déposée.

[45] La décision de la Cour suprême du Canada dans A.B. c. Bragg portait sur la demande d’une victime de cyberintimidation âgée de 15 ans, visant à obtenir une ordonnance obligeant un fournisseur de services Internet à divulguer l’identité de la ou des personnes qui ont publié sur Facebook des renseignements faux et qui auraient été diffamatoires au sujet de la victime. Dans A.B. c. Canada, la Cour fédérale a examiné une demande visant à annuler le refus d’une demande de statut de réfugié concernant un enfant de huit ans qui avait été agressé sexuellement par son père.

[46] Il est difficile d’accepter que la situation du plaignant soit en quelque sorte analogue aux circonstances auxquelles l’enfant exploité est confronté dans A.B. c. Bragg et A.B. c. Canada. Cela dit, selon son argument, les deux décisions favorisent un critère différent pour trancher une demande d’anonymisation fondée sur le principe de « préjudice objectivement discernable ». Dans A.B. c. Bragg, il est vrai que l’analyse de la Cour suprême du Canada porte sur les conclusions de la Cour concernant le « préjudice objectif », mais il n’est pas vrai que la décision l’emporte sur le critère Dagenais‑Mentuck, comme il ressort clairement du paragraphe 11, qui mentionne ce qui suit :

[11] Le principe de la publicité des débats judiciaires exige qu’en règle générale, les procédures judiciaires soient accessibles au public et aux médias. On a dit de ce principe qu’il est une « caractéristique d’une société démocratique » (Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43 (CanLII) [2004] 2 R.C.S. 332, par. 23) et il est inextricablement lié à la liberté d’expression. A.B. a demandé deux mesures qui restreignent le principe de la publicité des débats judiciaires, à savoir le droit de procéder de façon anonyme et une ordonnance de non‑publication visant le contenu du faux profil Facebook. Il s’agit de déterminer si chacune de ces mesures est nécessaire pour assurer la protection d’un intérêt juridique important et porte le moins possible atteinte à la libre expression. Si d’autres moyens permettent d’assurer tout aussi efficacement la protection des intérêts en jeu, la restriction est injustifiée. S’il n’existe pas d’autres moyens d’assurer cette protection, il faut se demander si le juste équilibre a été établi entre le principe de la publicité des débats judiciaires et les droits de l’adolescente en matière de vie privée : Dagenais c. Société Radio‑Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76 (CanLII), [2001] 3 R.C.S. 442.

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

 

[47] De plus, la décision de la Cour fédérale dans A.B. c. Canada invoque le critère Dagenais‑Mentuck, comme il ressort clairement du paragraphe 39 :

[39] Les procédures devant la Cour sont ouvertes au public. Les parties sont identifiées publiquement par leur nom. La transparence des procédures judiciaires est garantie constitutionnellement en vertu de la liberté de presse (Edmonton Journal c Alberta (Procureur général), [1989] 2 RCS 1326). La publication, cependant, peut être restreinte afin de protéger les intérêts opposés importants. La Cour suprême du Canada a statué dans plusieurs affaires que différents types d’ordonnances de confidentialité peuvent être appropriés quand on a fait la preuve de « la nécessité de l’interdiction de publication » et de « la proportionnalité entre les effets bénéfiques et les effets préjudiciables de l’interdiction » (R c Mentuck, 2001 CSC 76 au paragraphe 32, [2001] 3 RCS 442; voir également Dagenais c Canadian Broadcasting Corp, [1994] 3 RCS 835; Sierra Club of Canada c Canada (ministre de la Finance), 2002 CSC 41, [2002] 2 RCS 522).

 

[48] Il convient de noter que A.B. c. Bragg et A.B. c. Canada portent sur des demandes d’anonymisation d’un intitulé et non sur des demandes de mise sous scellés. Ces décisions n’étayent clairement pas l’affirmation du plaignant selon laquelle le critère Dagenais‑Mentuck ne s’applique que dans le contexte d’ordonnance de mise sous scellés.

[49] Étant donné ce qui précède, je conclus que la jurisprudence invoquée par le plaignant n’empêche pas la Commission d’utiliser le critère Dagenais‑Mentuck pour statuer sur les demandes d’anonymisation d’un intitulé. Il se peut que le principe de « préjudice objectif » puisse faire partie de l’analyse, mais le critère de base demeure celui de l’équilibre entre les effets bénéfiques d’une ordonnance d’anonymisation et les effets préjudiciables d’une telle ordonnance sur les parties et le public.

[50] Je conclus en outre qu’il n’est pas nécessaire que je répète une analyse détaillée en utilisant le critère Dagenais‑Mentuck. Les éléments dont je dispose correspondent essentiellement à la preuve appréciée par la Commission dans Abi‑Mansour 2018. Par conséquent, j’estime qu’il convient de m’associer pleinement au raisonnement détaillé et convaincant de la Commission dans cette affaire (aux paragraphes 15 à 44). J’approuve son raisonnement et le principe fondamental de transparence judiciaire qu’il protège dans le cadre de cette décision.

[51] La décision de la Commission dans Abi‑Mansour 2018 a résisté à l’examen judiciaire. Le plaignant a déposé une requête devant la Cour d’appel fédérale en vue d’obtenir une ordonnance de suspension de sa publication, l’autorisation de présenter une demande sous le pseudonyme de « M. P. » et d’autres suspensions (voir le dossier no 18‑A‑32 de la Cour d’appel fédérale). La requête a été rejetée avec dépens le 24 août 2018. Il a ensuite déposé une demande d’autorisation d’appel auprès d’une formation de trois personnes de la Cour, qui a été rejetée avec dépens le 20 décembre 2018. Enfin, il a déposé une demande d’autorisation d’appel de la décision dans le dossier 18‑A‑32 devant la Cour suprême du Canada, le 31 mars 2019, en vue de demander plusieurs ordonnances, dont une demande d’anonymisation (voir le dossier no 38728 de la Cour suprême du Canada). Le 31 octobre 2019, la Cour suprême a refusé l’autorisation d’interjeter appel et a rejeté la demande d’anonymisation, entre autres. En conséquence, le rejet de la demande d’anonymisation dans Abi‑Mansour 2018 et les motifs de ce rejet demeurent une jurisprudence faisant autorité de la Commission.

[52] Il n’y a pas lieu de douter de l’issue de la demande d’anonymisation présentée par le plaignant en l’espèce. Selon Abi‑Mansour 2018, le raisonnement que j’ai retenu, et la décision de la Cour suprême du Canada dans la demande d’autorisation dans le dossier no 38728, la demande est rejetée.

[53] Le plaignant a d’autres plaintes en suspens devant la Commission. Son témoignage a permis de confirmer qu’il continue de tenter de poursuivre en justice la question d’anonymisation dans d’autres affaires. À moins qu’il n’existe des circonstances différentes importantes dans ces affaires qui permettraient de justifier l’examen par la Commission d’une demande d’anonymisation conformément au critère énoncé dans Dagenais et Mentuck, le plaignant serait bien avisé de ne pas soulever de nouveau cette question. Sinon, à mon avis, cela pourrait être interprété comme étant vexatoire en vertu de l’article 21 de la LCRTESPF.

B. Décisions concernant les éléments de preuve déposés à l’audience des 30 et 31 octobre 2019

1. Le dossier antérieur du plaignant

[54] À l’appui de son argument s’opposant à la demande d’anonymisation de l’intitulé présentée par le plaignant, le défendeur a présenté trois pièces au cours de son contre‑interrogatoire. Celles-ci portaient sur l’emploi antérieur du fonctionnaire en Ontario et sur les décisions prises au sujet de sa conduite professionnelle par un organisme de réglementation et par les tribunaux. Le défendeur a soutenu que les pièces démontraient que les renseignements défavorables au sujet du plaignant, sans rapport à son expérience en tant que plaideur dans l’administration publique fédérale, pouvaient facilement être trouvés dans Internet par des employeurs potentiels.

[55] J’ai admis provisoirement les trois documents et je les ai inscrits comme les pièces R‑1 à R‑3, sous réserve de la décision quant à leur admissibilité.

[56] Le défendeur a ensuite posé une série de questions au sujet des événements concernant ces pièces.

[57] Le plaignant a soutenu que le défendeur tentait clairement de le diffamer, que son expérience de travail antérieure n’avait aucune pertinence en l’espèce et que les gestionnaires responsables de l’embauche dans la fonction publique ne s’intéressent qu’aux activités concernant le gouvernement fédéral.

[58] Comme j’ai conclu qu’il existe une bonne raison de rejeter la demande d’anonymisation de l’intitulé présentée par le plaignant dans la section précédente, sans avoir à mentionner les trois documents présentés par le défendeur, ceux-ci ne pourraient être admis dans la présente instance que s’ils comportent une pertinence défendable aux allégations figurant dans la plainte. Je conclus qu’ils ne le sont pas. À mon avis, ils concernent exclusivement la question d’anonymisation.

[59] Les documents inscrits provisoirement comme pièces R‑1 à R‑3 ne sont pas admis et ne feront pas partie du dossier. Je n’ai pas tenu compte des réponses du plaignant aux questions subséquentes du défendeur concernant ceux‑ci dans l’évaluation de ses allégations.

2. Le rapport du comité de sélection – exigences en matière d’études

[60] En faisant référence au rapport du comité de sélection dans lequel figurent les cotes accordées à tous les candidats (pièce C‑17), le plaignant a demandé que je demande au défendeur de fournir des renseignements non caviardés qui lui permettraient d’établir un lien entre les conclusions « oui » ou « non » de l’exigence en matière d’études aux candidats particuliers dans un recueil de toutes les candidatures présentées aux fins du processus de nomination (pièce C‑16).

[61] Le défendeur s’est opposé à la demande au motif qu’il s’agissait d’une recherche à l’aveuglette renouvelée dans laquelle le plaignant tentait d’obtenir ce qui avait été refusé trois fois avant l’audience. Il a soutenu que les renseignements sur les études n’étaient pas pertinents parce que le plaignant avait satisfait aux exigences en matière d’études.

[62] J’ai rejeté la demande. À moins que d’autres éléments de preuve convaincants n’aient été déposés démontrant que la candidature du plaignant ait été éliminée en raison de ses études, malgré une preuve claire du contraire (pièces C‑7 et C‑17), les renseignements qu’il demande ne sont pas pertinents à la question de son omission de répondre aux exigences concernant l’expérience essentielle ou à toute autre allégation (voir, particulièrement, la question 5, plus loin dans la présente décision).

[63] Plus tôt à l’audience, le plaignant a renvoyé à une référence au critère des études dans un courriel provenant de Marie‑Annik Pelland, un membre du comité de sélection (pièce C‑8). Le défendeur a précisé à ce moment‑là qu’il n’avait pas été éliminé en raison de ses études, malgré la référence, citant l’avis officiel par courriel de Mme Pellant à son intention, dans lequel elle a expliqué son élimination du processus de nomination parce qu’il ne répondait pas aux qualifications essentiels E1 et E4 en matière d’expérience. Aucune mention n’a été faite au facteur des études (pièce C‑7). Son témoignage subséquent, résumé sous la question 1, offrait un contexte supplémentaire expliquant la mention des études.

3. Demande de réexamen concernant la situation d’équité en matière d’emploi

[64] Le plaignant a demandé le réexamen d’une décision préalable à l’audience lui refusant une ordonnance de communication de renseignements (OCR) décrivant la situation des candidats concernant l’équité en matière d’emploi dans le cadre du processus de nomination. Le défendeur s’est opposé à la demande pour deux motifs. Selon le premier, il ne savait pas si les renseignements demandés seraient utiles et il ne s’agissait que d’une « recherche à l’aveuglette ». Selon le deuxième motif, il n’existait aucune preuve prima facie de discrimination – une preuve qui permettrait d’établir qu’une personne moins qualifiée que lui, mais sans [traduction] « élément discriminatoire » répondait aux exigences.

[65] J’ai accepté de réexaminer la décision antérieure, car j’avais reçu plus de renseignements sur le contexte de la demande. J’ai indiqué que je ne pouvais pas exclure entièrement la possibilité que des éléments de preuve puissent être présentés au cours de l’audience qui permettraient d’établir une preuve prima facie de discrimination, même si la demande de renseignements à ce moment‑là de l’audience ressemblait à une recherche à l’aveuglette. Pour être juste envers le plaignant et par prudence, j’ai demandé au défendeur de fournir une version du rapport du jury de sélection qui indiquait les situations d’équité en matière d’emploi des candidats (admis par la suite en tant que pièce C‑18).

4. Courriel de Mme Papamarkakis

[66] Le défendeur a soutenu qu’un courriel provenant du plaignant à l’intention de Peggy Papamarkakis, un membre du comité de sélection, daté du 29 avril 2016 (admis antérieurement de manière provisoire en tant que pièce C‑9), n’était pas pertinent, principalement parce qu’il a été envoyé quatre jours après la décision du défendeur d’éliminer le fonctionnaire du processus et parce qu’il concernait un autre processus de nomination. Après l’avoir examiné, j’ai déterminé que la pièce serait conservée et qu’elle serait plus considérée comme étant provisoire parce que le plaignant avait utilisé le courriel dans son témoignage en vue d’établir un lien à une conversation de suivi avec Mme Papamarkakis. La valeur probante de la pièce pourra être déterminée lorsque l’on examinera cette conversation, au besoin.

IV. Décisions relatives aux questions soulevées par le plaignant le 21 janvier 2020

[67] Avant de se concentrer sur les détails de ses allégations à l’encontre du défendeur dans son argumentation finale, le plaignant a présenté une série d’arguments plus généraux ayant trait à la jurisprudence existante de la Commission en matière de dotation et de ses procédures. Il a fondé ses arguments en affirmant que, dans une société qui protège contre les traitements cruels, il vit [traduction] « dans une zone de traitement cruel ou à proximité de celle‑ci ». Il a allégué que le défendeur ne le voulait tout simplement pas et que les voies de recours dont il dispose l’ont soumis à des évaluations subjectives défavorables auxquelles il s’opposera à chaque occasion.

[68] Il est devenu clair pour moi que le plaignant souhaitait profiter de l’occasion de l’audience pour faire valoir sa théorie relative à ce qui devrait sous‑tendre les recours en matière de dotation et à la façon dont la Commission devrait traiter les plaintes en matière de dotation. Parmi ses thèses, j’estime que je dois aborder ce qui suit avant de procéder à l’étude de ses allégations particulières :

  1. Les procédures de la Commission sont équivalentes à un contrôle judiciaire d’une décision d’un administrateur général et la Commission devrait appliquer la norme de contrôle utilisée par la Cour d’appel fédérale.
  2. La Commission doit préciser la définition d’« abus de pouvoir » pour y inclure les erreurs ou les omissions.
  3. Le principe de stare decisis (« maintien de la décision ») ne s’applique pas à la Commission. Elle ne doit pas tenir compte de décisions antérieures de la Commission qui sont, selon lui, [traduction] « [...] le résultat de problèmes entre les décideurs et le plaignant et non les résultats d’un processus décisionnel juste et de bonne foi ».
  4. Le fardeau de la preuve adopté dans Tibbs c. Canada (Défense nationale), 2006 TDFP 8, doit être modifié. Dans la mesure où il s’applique à une allégation de discrimination, un plaignant n’a qu’à présenter une preuve prima facie pour étayer toute autre allégation d’abus de pouvoir.
  5. Le critère utilisé par la Commission pour déterminer une crainte raisonnable de partialité ne s’applique pas.
  6. La seule preuve dont la Commission peut tenir compte dans une plainte en matière de dotation est la preuve des motifs d’une décision tels qu’ils apparaissaient au moment où la décision a été prise. La Commission n’a pas le droit de tenir compte, lors d’une audience, d’un témoignage rétrospectif de vive voix sur le processus décisionnel.

[69] À un moment donné, le plaignant a déclaré qu’une décision de la Commission en l’espèce qui adopterait ce qu’il a appelé [traduction] « une définition étroite de l’abus de pouvoir » risquerait de contrevenir à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982), qui consacre le droit des Canadiens de ne pas être soumis à des traitements ou à des peines cruels et inusités. Le défendeur est intervenu. Il a qualifié sa déclaration de « menace » contre la Commission, a soutenu qu’aucun des avis requis n’avait été donné pour débattre une question constitutionnelle et a fait valoir que l’article 12 ne s’appliquait tout simplement pas. J’ai demandé au plaignant de confirmer s’il me posait une question qui nécessitait une interprétation constitutionnelle et je lui ai donné le temps d’examiner sa position. Lorsque l’audience a repris, il a indiqué qu’il laisserait la question concernant l’article 12 [traduction] « pour une autre fois ».

[70] J’examinerai maintenant chacune des six positions soutenues par le plaignant. Au cours de l’audience, il a soulevé d’autres propositions accessoires, mais j’estime qu’il n’est pas nécessaire que je les aborde pour trancher la plainte. Je me sens obligé d’ajouter qu’il n’était pas toujours facile de suivre les arguments qu’il a présentés, étant donné son style de présentation, mais j’ai tenté de résumer aussi fidèlement que possible les points essentiels qu’il a soulevés.

[71] Le défendeur n’a soulevé aucun argument détaillé en réplique à chacune des propositions du plaignant. Pour cette raison, je me suis écarté de la pratique habituelle, par souci d’efficacité, d’indiquer les arguments généraux du défendeur en premier, plutôt que de manière distincte dans les sections suivantes. Ces arguments faisaient valoir ce qui suit :

  1. que la common law accorde aux décideurs de la Commission un vaste pouvoir discrétionnaire pour rendre des décisions qui s’écartent de la jurisprudence existante dans les affaires qui le justifient, mais que les décideurs doivent quand même faire preuve de déférence à l’égard des décisions antérieures et s’assurer que les parties qui se trouvent dans une situation semblable soient traitées de manière semblable;
  2. que le plaignant a clairement fait savoir qu’il souhaitait être traité comme une affaire particulière et que la Commission devrait s’écarter de sa jurisprudence et élaborer de nouvelles règles pour lui, sans aucun élément de preuve pour étayer la raison pour laquelle elle devrait le faire;
  3. que le plaignant ne comprend pas bien les rôles de la Commission et de la Cour fédérale et confond une audience de novo et un processus de contrôle judiciaire;
  4. que la Commission devrait être guidée par Abi‑Mansour 2018 et par Abi‑Mansour c. Président de la Commission de la fonction publique, 2016 CRTEFP 53 (« Abi‑Mansour 2016 »), qui prévoient des orientations pour l’examen des nouveaux arguments du plaignant;
  5. que des mécanismes de contrôle judiciaire établis soient mis à la disposition du plaignant s’il allègue que des erreurs de droit ont été commises;
  6. que ses allégations à l’encontre des commissaires qui ont rendu la décision dans Abi‑Mansour 2016 et Abi‑Mansour 2018 attaquent ces décideurs sans preuve et sont incompatibles avec notre système juridique;
  7. que le plaignant a été averti auparavant de son comportement abusif envers les décideurs lorsque leurs décisions ne répondent pas à ses attentes (voir Abi‑Mansour c. Canada (Procureur général), 2015 CF 882, au paragraphe 117).

A. La norme de contrôle de la Commission

[72] Le plaignant affirme qu’un plaignant ne peut se prévaloir que d’une seule voie de recours réaliste pour aborder un abus de pouvoir, soit une plainte déposée auprès de la Commission en vertu de l’article 77 de la LEFP. Une enquête sur un processus de dotation amorcée par un administrateur général ou par la CFP en vertu du paragraphe 67(2) est inutile parce que les décisions en matière de dotation sont prises en vertu du pouvoir d’un administrateur général qui ne peut être impartial dans les affaires liées aux mesures prises en son nom; la CFP n’agit pas non plus de manière impartiale. Une demande directe de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale, un deuxième mécanisme de recours, n’est pas accessible en raison des coûts et de la difficulté du processus. En outre, le législateur a privé les employés de la fonction publique du droit de demander un contrôle judiciaire de la décision d’un administrateur général directement à la Cour fédérale parce que la LEFP prévoit un autre contrôle administratif. La Cour suprême a également donné une mise en garde contre la poursuite devant les tribunaux avant d’épuiser le processus de contrôle administratif disponible (voir, par exemple, Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11).

[73] Si un employé procède au moyen d’une plainte en vertu du paragraphe 67(2) de la LEFP, la norme de contrôle est celle de l’« erreur » ou de l’« omission ». Si un employé procède directement à la Cour fédérale, la norme de contrôle est celle de la décision correcte ou raisonnable.

[74] Étant donné qu’un candidat non retenu n’a aucun autre moyen de recours contre la décision d’un administrateur général que de déposer une plainte devant la Commission en vertu du paragraphe 77(1) de la LEFP, le plaignant soutient que la Commission devrait appliquer des normes d’examens qui tiennent compte du processus de contrôle judiciaire. Cette affirmation est tirée de ses arguments :

[Traduction]

[...] un contrôle judiciaire équivaut à une plainte en vertu de l’article 77, avec de petites différences. Le plaignant soutient que les normes de contrôle utilisées dans le cadre d’un contrôle judiciaire peuvent également être utilisées pour examiner, dans une plainte en vertu de l’article 77, la décision d’un administrateur général dans le cadre d’un processus de dotation.

[...]

 

[75] Selon le plaignant, les [traduction] « petites différences » se rapportent au fait que l’examen ne tient pas compte de la question de savoir si l’administrateur général a tiré une conclusion de fait erronée de façon arbitraire, conformément à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C., 1985, ch. F‑7).

[76] Aux fins de référence, je cite le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales dans son intégralité :

18.1 (4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

 

[77] En résumé, le plaignant soutient que la norme de contrôle de la Commission, qui consiste essentiellement à procéder à un contrôle judiciaire de la décision d’un administrateur général, est celle de la décision raisonnable ou correcte et qu’elle peut examiner les décisions en cas d’erreurs ou d’omissions.

[78] J’ai trouvé que les arguments du plaignant concernant la norme de contrôle étaient parfois difficiles à suivre, mais deux points étaient quand même clairs, soit que, selon lui : (1) la Commission effectue réellement un contrôle judiciaire lorsqu’elle examine une plainte en vertu de l’article 77 de la LEFP; et (2) la norme de contrôle que la Commission doit appliquer devrait reproduire un processus de contrôle judiciaire.

[79] Le plaignant a manifestement tort. La Commission ne remplace ni la Cour fédérale ni la Cour d’appel fédérale. Elle n’applique pas les motifs de contrôle prévus au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales. Au contraire, la Cour d’appel fédérale applique ces motifs lorsqu’elle procède à un contrôle judiciaire d’une décision de la Commission.

[80] La Commission est un tribunal administratif qui permet aux parties à une plainte en vertu de l’article 177 de la LEFP d’avoir une audience de novo. Elle reçoit des éléments de preuve et elle les apprécie selon la prépondérance des probabilités. Elle examine les arguments des parties sur l’application des lois, fondés sur la jurisprudence existante, afin de déterminer s’il y a eu contravention à la LEFP.

[81] Dans cette mesure, il est probablement trompeur, ou du moins inutile, de discuter de la norme de contrôle de la Commission. Elle n’applique pas une norme de contrôle comme le fait la Cour d’appel fédérale lorsqu’elle examine les décisions de la Commission, parce qu’une instance devant la Commission n’est pas menée comme un contrôle judiciaire. Dans le cas d’une plainte déposée en vertu de l’article 77 de la LEFP, la Commission examine de novo les circonstances qui ont donné lieu à la plainte et décide si la partie à qui incombe le fardeau de la preuve s’est acquittée de ce fardeau selon la norme civile de la prépondérance des probabilités en fonction des éléments de preuve. La Commission demande si la décision contestée est conforme aux exigences de la loi, conformément au libellé précis des dispositions qui régissent cette dernière. Il est possible de soulever des arguments portant sur la signification et l’application de ces dispositions, ce qui amènera la Commission à consulter la jurisprudence pour obtenir une orientation.

[82] À mon avis, le véritable problème du plaignant porte sur le fait que, selon lui, les décisions de la Commission concernant les plaintes en matière de dotation ont défini la question d’abus de pouvoir de façon trop étroite. Son argument selon lequel la Commission procède à un contrôle judiciaire de la décision d’un administrateur général est, essentiellement, une demande d’élargir le principe d’abus de pouvoir, ce que j’examine maintenant. Il soutient que l’abus de pouvoir devrait être [traduction] « bien ouvert » à l’interprétation. 

B. Définition d’« abus de pouvoir »

[83] La jurisprudence de la Commission a abordé le principe d’abus de pouvoir et le cadre législatif de la façon suivante.

[84] L’alinéa 77(1)a) de la LEFP confère à une personne dans la zone de sélection le droit de présenter une plainte si elle n’a pas été nommée ou si sa nomination n’a pas été proposée en raison d’un abus de pouvoir, comme suit :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle‑ci une plainte selon laquelle elle na pas été nommée ou fait lobjet dune proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2); [...]

 

[85] L’exigence selon laquelle une nomination doit être fondée sur le mérite est énoncée au paragraphe 30(1) de la LEFP, comme suit :

30 (1) Les nominations – internes ou externes – à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

 

[86] L’alinéa 30(2)a) de la LEFP énonce les instructions suivantes pour analyser le mérite :

30 (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles – notamment la compétence dans les langues officielles – établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir; [...]

 

[87] L’expression « abus de pouvoir » n’est pas directement définie dans la LEFP. Toutefois, le paragraphe 2(4) précise qu’un abus de pouvoir comprend « la mauvaise foi et le favoritisme personnel ». (La CFP, dans ses arguments, précise que la mauvaise foi et le favoritisme personnel impliquent l’abus délibéré de pouvoirs prévus par la loi à une fin illégitime.)

[88] La jurisprudence de la Commission et de son prédécesseur, soit le Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP), a étudié de manière exhaustive et distincte le concept d’abus de pouvoir. Dans Abi‑Mansour 2016, par exemple, la Commission l’a résumé comme suit au paragraphe 20 :

[20] [...] Comme il est indiqué dans Tibbs c. le sous‑ministre de la Défense nationale et al., 2006 TDFP 8, au paragraphe 71, un abus de pouvoir peut inclure un geste, une omission ou une erreur que le législateur ne peut avoir envisagé comme faisant partie du pouvoir discrétionnaire accordé aux détenteurs des pouvoirs délégués de dotation. L’abus de pouvoir est une question de degré. Pour en arriver à la conclusion qu’il y a eu abus de pouvoir, l’erreur ou l’omission doit être à ce point grave qu’elle ne puisse être inhérente au pouvoir discrétionnaire délégué du gestionnaire (voir, par exemple, Renaud c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 26, au paragraphe 32). [...]

 

[89] Il incombe au plaignant d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur a commis un abus de pouvoir. (Voir Tibbs, au paragraphe 50, et Abi‑Mansour 2016, aux paragraphes 21 à 24.)

[90] À l’appui de son argument visant la modification de la jurisprudence existante, le plaignant renvoie à Kane c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 19. Il soutient que Kane établit qu’il faut donner une interprétation large à l’abus de pouvoir. Il fait valoir qu’en plus d’une erreur ou d’une omission, une approche plus large en matière d’abus de pouvoir ouvre l’analyse à des considérations comme les caractères raisonnable et exact qui s’appliquent dans le cadre de contrôles judiciaires.

[91] Je suis guidé par Tibbs pour dire que l’abus de pouvoir « [...] peut inclure un geste, une omission ou une erreur que le législateur ne peut avoir envisagé comme faisant partie du pouvoir discrétionnaire accordé aux détenteurs des pouvoirs délégués de dotation », tel qu’il a été cité antérieurement dans Abi‑Mansour 2016. Je ne crois pas que la jurisprudence m’amène davantage à adopter des principes plus larges, comme les caractères raisonnable et exact, comme l’a préconisé le plaignant fondé sur Kane. Bien sûr, je précise que, dans son mémoire, la CFP a soutenu que la Cour suprême du Canada avait complètement écarté Kane dans Canada (Procureur général) c. Kane, 2012 CSC 64. La CFP continue de s’appuyer plutôt sur Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684, pour la définition appropriée de l’abus de pouvoir. Lavigne, également cité favorablement par le défendeur, met en garde contre le fait que l’abus de pouvoir « [...] exige plus que l’erreur ou l’omission, ou même une conduite irrégulière » (au paragraphe 62). Tel qu’il a été conclu dans Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, au paragraphe 39, à moins qu’il n’y ait une telle incurie ou insouciance grave pour présumer la mauvaise foi, une erreur ou l’omission ne suffit pas pour établir un abus de pouvoir.

[92] De nombreuses autres décisions ont contribué à notre compréhension de l’abus de pouvoir en vertu de la LEFP. Le défendeur cite, par exemple, Portree c. Canada (Ressources humaines et Développement social), 2006 TDFP 14, au paragraphe 47, comme suit :

[47] L’allégation d’abus de pouvoir est une question très grave et ne doit pas être prise à la légère. En résumé, pour obtenir gain de cause devant le Tribunal, une plainte d’abus de pouvoir doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a un acte répréhensible grave ou une faute majeure dans le processus, qui constitue plus qu’une simple erreur, omission ou conduite irrégulière justifiant l’intervention du Tribunal.

 

[93] Le défendeur a également fait référence à Glasgow c. Sous‑ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7, aux paragraphes 36 et 39, comme suit :

[36] Bien que la LEFP ne définisse pas ce qu’est l’abus de pouvoir, elle englobe clairement dans ce concept le favoritisme personnel. [...]

[39] [...] le législateur fait précisément référence à la mauvaise foi et au favoritisme personnel pour s’assurer que nul ne conteste le fait que ces formes d’inconduite constituent un abus de pouvoir. Il convient de noter que le mot « favoritisme » est qualifié par l’adjectif « personnel », ce qui met en évidence l’intention du législateur de faire en sorte que les deux mots soient lus ensemble, et que c’est le favoritisme personnel, non pas tout autre type de favoritisme, qui constitue un abus de pouvoir.

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

 

[94] Je n’ai pas à examiner davantage la jurisprudence à ce stade. Selon l’allégation ou les allégations précises dans une plainte, d’autres décisions peuvent offrir des conseils utiles sur l’interprétation de l’abus de pouvoir. La conclusion importante en l’espèce est que la jurisprudence n’appuie pas l’intégration des principes des caractères raisonnable et correcte dans l’analyse comme si la Commission effectuait un contrôle judiciaire. En ce qui concerne ce point, le plaignant a tort.

C. Stare decisis

[95] Le plaignant soutient que le principe de stare decisis ne s’applique pas à la Commission; c’est‑à‑dire, en tant que tribunal administratif, la Commission n’est pas liée par ses décisions antérieures. Dans cette mesure, son affirmation n’est pas controversée. Toutefois, il va plus loin en m’invitant à ne pas tenir compte de « décisions incorrectes » antérieures le concernant, ce qui signifie principalement Abi Mansour 2016 et Abi‑Mansour 2018. Il allègue que ces décisions [traduction] « [...] sont le résultat de problèmes entre les décideurs et le plaignant et non le résultat d’un processus décisionnel juste et de bonne foi ».

[96] Je suis tout à fait d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel les allégations du plaignant contre les commissaires qui ont tranché Abi‑Mansour 2016 et Abi‑Mansour 2018 attaquent ces décideurs sans éléments de preuve et sont inacceptables. Le plaignant a entièrement le droit de ne pas souscrire aux décisions de la Commission et, s’il le juge approprié, de demander un contrôle judiciaire des conclusions qu’il conteste. En fait, le fait de soutenir qu’une décision défavorable démontre qu’il existe des problèmes dans ses relations avec les décideurs et que ceux‑ci ont agi injustement ou de mauvaise foi dépasse les commentaires acceptables.

[97] Comme l’a fait remarquer le défendeur, le plaignant a déjà été averti contre l’abus envers les décideurs. Je souligne les commentaires de l’honorable M. le juge Leblanc de la Cour fédérale dans 2015 CF 882, comme suit :

[...]

[100] Le demandeur affirme que le Tribunal [traduction] « voulait seulement donner gain de cause à Sa Majesté » comme en fait foi sa décision. Il affirme que lorsqu’on l’examine du point de vue de la personne éclairée, l’affaire suscite une crainte raisonnable de partialité.

[101] Dans une décision rendue dans le présent dossier le 21 novembre 2014 en réponse à une question préliminaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que les « allégations de partialité non fondées [du demandeur] constituent un abus de procédure » (Abi‑Mansour c Ministère des Affaires autochtones, 2014 CAF 272 au paragraphe 14). Pour reprendre les propos de la Cour d’appel fédérale, les allégations du demandeur ne fournissent qu’un autre exemple de « personnes qui demandent l’aide de la Cour en sa qualité d’arbitre indépendant et qui ensuite se plaignent à répétition de sa partialité lorsque les décisions de la Cour ne répondent pas à leurs attentes » (idem).

[102] Les allégations de partialité sont très graves parce qu’elles remettent en question l’intégrité de l’administration de la justice tout entière (Coombs c Canada (Procureur général), 2014 CAF 222 au paragraphe 14). Elles doivent être formulées explicitement et sans équivoque et ne peuvent reposer sur de « vagues insinuations ». Là encore, les allégations de partialité du demandeur ne sont pas fondées et elles constituent un abus de procédure.

[...]

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

D. Fardeau de la preuve

[98] Le plaignant demande à la Commission de s’écarter de Tibbs en ce qui concerne le fardeau de la preuve. Aux paragraphes 49 et 50 de Tibbs, le TDFP a statué comme suit :

[49] La règle générale devant les tribunaux civils et dans les audiences en matière d’arbitrage veut qu’il incombe à la partie qui fait une allégation de prouver celle‑ci plutôt qu’à l’autre partie de la réfuter. [...]

[50] [...] La règle générale dans les causes civiles devrait être suivie et il incombe à la plaignante, dans les procédures intentées auprès du Tribunal, de faire la preuve de l’allégation d’abus de pouvoir.

 

[99] En invoquant une [traduction] « légère » dérogation à Tibbs, le plaignant soutient que le fardeau de la preuve devrait être renversé dans les plaintes en matière de dotation. Tout comme les allégations de discrimination, la Commission devrait exiger qu’un plaignant ne présente qu’une preuve prima facie d’une allégation, après quoi il incombe au défendeur d’établir qu’il n’a pas fait preuve d’abus de pouvoir. À titre d’exemple, dans son allégation selon laquelle les candidats retenus n’étaient pas qualifiés (question 4 plus loin dans la présente décision), le plaignant a soutenu qu’il [traduction] « [...] est suffisant pour le plaignant de simplement soulever la croyance que les personnes nommées n’étaient pas qualifiées pour transférer le fardeau au défendeur ».

[100] Le plaignant a inclus dans ses arguments concernant le fardeau de la preuve des motifs allégués selon lesquels le processus de la Commission en vue d’obtenir une ordonnance de communication de renseignements (OCR) s’est avéré [traduction] « futile » : Il formule également des commentaires sur les « conclusions défavorables », dans lesquels il affirme que la Cour fédérale a établi un lien à l’établissement d’une preuve prima facie; voir Première Nation des Chippewas de Kettle et de Stony Point c. Shawkence, 2005 CF 823, au paragraphe 43 (« Chippewas »). Le plaignant m’a également renvoyé à Ma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 509, au paragraphe 3.

[101] Je dois avouer que je n’ai pas été en mesure de comprendre le lien entre le « fardeau de la preuve » et les « conclusions défavorables » que le plaignant cherche à défendre; je ne vois pas en quoi Chippewas et Ma fournissent des conseils utiles. Je ne vois pas non plus comment les problèmes allégués liés au processus d’obtention d’une OCR peuvent faire utilement partie de la discussion. En fin de compte, son omission de préciser ses arguments à l’égard de ces points n’aide pas, mais ne me dissuade pas de trancher la question relative au fardeau de la preuve approprié.

[102] Pour cette question, la jurisprudence dominante ne laisse aucun doute. Autre que dans le cas d’une allégation de discrimination où il est incontesté que le fardeau de présentation du plaignant consiste à présenter une preuve prima facie, le fardeau de la preuve relative à l’allégation d’abus de pouvoir incombe manifestement au plaignant, qui doit l’étayer à l’aide d’une preuve claire et convaincante, selon la prépondérance des probabilités. Au‑delà de l’arrêt primordial Tibbs, cité dans bon nombre de décisions, j’ai trouvé très utile la décision rendue dans Abi‑Mansour 2016 où la Commission a abordé une tentative antérieure du plaignant de faire valoir le même argument que celui en l’espèce. Je reproduis au long un extrait de la décision :

[...]

21 En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le plaignant a invoqué Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, au paragraphe 29, et a fait valoir qu’il était renversé lorsqu’une preuve prima facie était démontrée. Selon l’intimé, une lecture appropriée de Lahlali permet de conclure que, tout au long de l’affaire, il incombe au plaignant de s’acquitter du fardeau de la preuve.

22 En effet, pour l’ensemble de l’analyse, le plaignant doit s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe. Toutefois, tel qu’il est indiqué dans McGregor c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 197, l’intimé peut avoir à s’acquitter d’un fardeau tactique afin de répondre à la preuve du plaignant.

23 McGregor est antérieure aux changements qui ont été apportés à la LEFP en vertu desquels le Tribunal a été créé. Quoi qu’il en soit, les principes du fardeau de la preuve décrits comme suit aux paragraphes 27 à 29 de McGregor s’appliquent toujours dans le contexte actuel :

[27] Pour que l’appel fondé sur l’article 21 soit utile, il faut que l’appelant axe sa preuve sur les éléments précis du processus de sélection qui démontrent, selon lui, que le principe du mérite n’a pas été respecté. Plus la cause de l’appelant est solide, plus le ministère d’embauche élaborera ce qu’on pourrait appeler un « fardeau tactique » en vue de présenter des éléments de preuve pour réfuter ceux sur lesquels l’appelant se fonde, de crainte d’une décision défavorable. Toutefois, ce fardeau tactique ne repose pas sur la loi, mais sur le simple bon sens. En tout temps, c’est sur l’appelant que repose le fardeau ultime et la charge de persuader le comité d’appel que le jury de sélection n’a pas respecté le principe du mérite (voir John Sopinka et al., The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1999, aux paragraphes 3.47 et 3.48).

[28] Le fait que les enquêtes prévues à l’article 21 sont conçues de manière à s’assurer que le principe du mérite est respecté ne justifie pas de déplacer la charge de la preuve de l’appelant à l’intimé. M. McGregor s’attache à une déclaration que l’on trouve dans l’arrêt Charest c. Procureur général du Canada, [1973] C.F. 1217, à la page 1221, dans lequel notre Cour a déclaré que l’objet du droit d’appel institué par l’article 21 de la LEFP « n’est pas de protéger les droits de l’appelant, mais plutôt d’empêcher une nomination contraire au principe du mérite ». Suivant M. McGregor, cet objet justifie de déplacer le fardeau de la preuve sur le ministère d’embauche pour établir que le principe du mérite a été respecté. Je ne suis pas de cet avis.

[29] Ainsi que je l’ai déjà expliqué, il n’est pas concevable d’obliger dans chaque cas le jury de sélection à démontrer que la procédure suivie respectait le principe du mérite à tous les égards. Le facteur est le même, peu importe que l’article 21 vise l’objectif d’intérêt public plus large consistant à s’assurer que le principe du mérite est respecté à l’échelle de la Fonction publique. Il n’est pas dans l’intérêt du public de consacrer d’abondantes ressources à réfuter des allégations qui ne peuvent être étayées. [...]

24 Le plaignant allègue qu’il y a eu abus de pouvoir et qu’il a fait l’objet de discrimination. Il doit présenter une preuve à l’appui de ces allégations, et l’intimé doit y répondre en présentant ses propres éléments de preuve. Une fois que les deux parties ont présenté leurs éléments de preuve, la Commission doit décider, selon la prépondérance des probabilités, si la preuve présentée par le plaignant suffit à conclure en sa faveur.

[...]

 

[103] Je confirme sans réserve l’approche de la Commission relative au fardeau de la preuve, telle qu’elle a été appliquée dans Abi‑Mansour 2016 et dans l’ensemble de sa jurisprudence portant sur les plaintes en matière de dotation.

[104] Tel qu’il est indiqué ci‑dessous, le plaignant est revenu plus loin dans ses arguments à la question du fardeau de la preuve, en citant Burke c. Sous‑Ministre de la défense nationale, 2009 TDFP, aux paragraphes 67 et 68 (« Burke ») à l’appui de son argument selon lequel le fardeau de la preuve incombe au défendeur. Le plaignant présente Burke de manière erronée. Dans cette décision, le plaignant s’était acquitté de son fardeau de la preuve consistant à établir un abus de pouvoir; la question de savoir ce que le défendeur devait établir est survenue uniquement à l’étape de la détermination de la mesure corrective appropriée.

E. Crainte raisonnable de partialité

[105] Le plaignant fait valoir que le critère utilisé par la Commission pour déterminer si une crainte raisonnable de partialité a été établie par un plaignant ne devrait pas être utilisé dans son cas. Il demande un critère [traduction] « plus souple », distinct de ce qui est requis en vertu de Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 (« Committee for Justice and Liberty »), à la p. 394. Le défendeur, en revanche, a demandé que je ne déroge pas à la définition de partialité énoncée dans cet arrêt.

[106] La raison pour laquelle le plaignant estime qu’il devrait être soustrait de l’application du critère énoncé dans Committee for Justice and Liberty n’est pas évidente, autre que ce qu’il a indiqué dans ses deux déclarations suivantes :

[Traduction]

Le plaignant soutient que, dans des affaires concernant une crainte raisonnable de partialité, la norme de « crainte de partialité » varie selon le contexte et le type de fonction exécutée par le décideur administratif.

Ici, les décideurs sont des gestionnaires, la LEFP ne prévoit aucune disposition permettant de garantir que les gestionnaires possèdent une expertise en droit administratif et qu’ils soient impartiaux, comme il en est ainsi pour les commissaires. Par conséquent, il ne devrait exister aucune présomption d’impartialité de la part des gestionnaires responsables de l’embauche dans la fonction publique.

 

[107] Il suggère que les indicateurs de partialité suivants soient appliqués par la Commission pour apprécier son allégation selon laquelle le défendeur a commis un abus de pouvoir en faisant preuve d’une crainte raisonnable de partialité en faveur des personnes nommées (voir la question 5 plus loin dans la présente décision) :

[Traduction]

[...]

a) Une hostilité non expliquée

b) Décisions prises après une inspection sommaire sans documentation

c) Ignorer les forces d’un candidat et ne tenir compte que de ses faiblesses

d) Au cours du processus de plainte : (recours agressif, opposition à chaque requête, tentative de radier la plainte sans une audience)

e) Pendant l’audience (tentative de diffamation de quelque façon que ce soit du plaignant, présentation d’allégations à l’encontre d’un plaignant sans rapport à la plainte)

f) Autres comportements qui dérogent à la norme

[...]

 

[108] Voici le critère énoncé dans Committee for Justice and Liberty :

[...]

La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[...]

 

[109] Je trouve extraordinaire que le plaignant estime qu’il était bien placé pour suggérer ses propres critères pour permettre de tirer une conclusion de crainte raisonnable de partialité, adapté évidemment à ses propres circonstances et, ce faisant, écarter les directives de la Cour suprême du Canada qui ont été suivies fidèlement depuis tant d’années par les tribunaux administratifs et les autres tribunaux.

[110] J’examinerai les prétendus éléments de preuve relativement à l’hostilité et à l’examen sommaire, ainsi que la façon dont le plaignant a été évalué dans le cadre de mon examen de plusieurs de ses allégations, mais non parce que j’accepte le fait que ses points a), b) et c) suggérés devraient l’emporter sur le critère énoncé dans Committee for Justice and Liberty, ce qu’ils ne peuvent évidemment pas faire. Je ne suis au courant d’aucun précédent dans la jurisprudence de la Commission qui écarte le critère énoncé dans Committee for Justice and Liberty, et je l’appliquerai en l’espèce.

[111] Les points d) et e) du plaignant reflètent sa tentative de contester la façon dont le défendeur et son avocat ont débattu la plainte en justice. Outre le fait que l’historique des litiges en l’espèce, avant et pendant l’audience, n’est pas pertinent pour évaluer la décision initiale de dotation – il sera démontré plus loin dans la présente décision que le plaignant soutient que seuls les éléments de preuve consignés à compter du moment de la décision sont pertinents – je n’ai rien vu dans la tenue de la présente affaire qui laisse entendre que le défendeur ou son avocat ait commis une irrégularité. À mon avis, les accusations du plaignant à l’effet contraire sont entièrement dénuées de fondement.

[112] Son point f) est entièrement subjectif et vague. Il peut estimer que certains comportements en l’espèce ont dérogé à la norme, mais il doit prouver à l’aide d’éléments de preuve les comportements particuliers pertinents quant à la décision de l’administrateur général en matière de dotation qui indiquerait une crainte raisonnable de partialité. À ce stade, le critère énoncé dans Committee for Justice and Liberty s’appliquera.

F. Limitation des témoignages de vive voix

[113] Le plaignant soutient que la Commission ne peut tenir compte que des éléments de preuve concernant les décisions de dotation, tels qu’ils apparaissent au moment où les décisions ont été prises. En l’espèce, je crois qu’il veut dire les éléments de preuve consignés qui sont antérieurs à la décision initiale. Par conséquent, la Commission ne peut pas tenir compte de témoignages à une audience par un témoin qui, selon les mots du plaignant, [traduction] « tente de compléter une décision de dotation » en répondant rétrospectivement aux questions sur le processus décisionnel. À l’appui de cette affirmation, il cite Khatun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 3, au paragraphe 10, comme suit :

[10] Le défendeur se base sur cet affidavit [...] les considérant comme une preuve de la suffisance des motifs. Cependant, je suis d’avis que le défendeur ne peut utiliser cet affidavit pour compléter les motifs formulés dans la lettre de décision. La jurisprudence de la Cour a été constante en ce que le défendeur ne peut soumettre d’affidavit durant la procédure de contrôle judiciaire pour tenter d’étayer les motifs donnés dans la décision [...]

 

[114] Le plaignant cite également Barboza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1420, aux paragraphes 26 à 29, à l’appui de son argument.

[115] Le plaignant utilise son affirmation au sujet de l’irrecevabilité de la preuve supplémentaire pour étayer l’argument selon lequel le témoignage de vive voix du seul témoin du défendeur, Mme Pelland, un membre du comité de sélection, était irrecevable. Si son témoignage [traduction] « supplémentaire » est rejeté, le moyen de défense du défendeur ne comporte rien contre les allégations du plaignant, selon lui, et le plaignant doit obtenir gain de cause.

[116] Khatun concerne la décision d’un agent de révision en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27), qui a déterminé qu’il existait des motifs raisonnables de conclure qu’un demandeur avait présenté de façon erronée des faits importants. Barboza concerne le rejet, en vertu du pouvoir de la même loi, d’une demande de résidence permanente présentée par un demandeur qui soutenait faire partie de la catégorie des travailleurs qualifiés.

[117] Au‑delà des domaines politiques et légaux lointains visés par Khatun et Barboza, il est primordial de mentionner que ces deux affaires relevaient de la Cour fédérale, qui effectuait un contrôle judiciaire. Il ne s’agissait pas d’une procédure de novo, comme les audiences de la Commission, et les règles de la preuve sont différentes. Encore une fois, le plaignant a tenté à tort de décrire les procédures de la Commission comme équivalentes à un contrôle judiciaire. Comme le démontre de manière concluante une myriade de ses décisions, la Commission a depuis longtemps l’obligation de recevoir et d’apprécier les témoignages de vive voix sur la façon dont les décisions de dotation ont été prises. Les commissaires se prononcent de manière routinière sur l’admissibilité de la preuve, mais le fait qu’un témoin offre un témoignage en examinant un processus décisionnel ne constitue pas en soi une raison valable d’exclure un tel témoignage. Bien entendu, si le plaignant avait raison dans son argumentation, il n’y aurait guère lieu de convoquer des audiences. Les commissaires seraient limités à évaluer les dossiers documentaires qui se rapportent à une décision, une tâche qui peut normalement être accomplie sur la base d’arguments écrits.

[118] Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, je n’ai aucune raison de rendre une décision contre l’admissibilité du témoignage de vive voix de Mme Pelland en fonction de l’argument erroné du plaignant.

V. Allégations à l’appui de la plainte

[119] Le plaignant a présenté sept allégations à l’appui de sa plainte selon laquelle le défendeur a commis un abus de pouvoir.

[120] Le plaignant a témoigné pour son propre compte et n’a cité aucun témoin. Le défendeur a présenté la preuve par l’entremise d’un témoin, Mme Pelland, qui était le principal membre du comité de sélection. Afin de parvenir à ces motifs, j’ai examiné tous les éléments de preuve présentés pendant deux jours de témoignage, mais je n’inclus que les parties des témoignages que j’estime être les plus pertinentes à l’égard de chaque allégation particulière.

A. Preuve

1. Question 1 : Le défendeur a commis un abus de pouvoir dans le processus de sélection et l’élimination du plaignant

[121] Les quatre qualifications essentielles ont été indiquées pour le poste dans l’annonce de possibilité d’emploi (pièce C‑5), comme suit :

[...]

E1.

Expérience de la recherche et de l’analyse de données en utilisant des économiques ou relatives au marché du travail, de nature quantitative et qualitative.

E2.

Expérience de l’analyse et de l’intégration de sources de données socioéconomiques, de géolocalisation ou relatives au marché du travail afin d’appuyer l’élaboration de stratégies de services, de programme ou la prestation de service d’un important site web.

E3.

Expérience de la recherche et de l’organisation de sources de données et de renseignements dans le but de répondre à des demandes variées.

E4.

Expérience de l’utilisation d’outils pour extraire et transformer des données provenant de sources multiples en des ensembles de données, des bases de données et autres formats utilisables.

[...]

 

[122] Dans sa demande, le plaignant a donné les réponses suivantes en ce qui concerne les qualifications E1 et E4, soit les deux qualifications auxquelles il a été jugé ne pas satisfaire (pièce C‑4) :

[Traduction]

[E1 :]

Il s’agit de l’une de mes forces. Je suis expert dans l’utilisation de MSQuery pour me connecter à l’énorme base de données relationnelle Oracle10g, en utilisant Windows ODBC et dans la récupération des données nécessaires à l’aide de demandes dans SQL et dans leur importation à Excel pour effectuer les analyses statistiques et de données. J’importe également des données de la base de données Access. J’utilise des fonctions avancées dans Excel (graphiques de régression, corrélation linéaire [...]) pour effectuer des analyses et élaborer des solutions relatives à l’établissement de rapports pour expliquer les données de manière significative. J’élabore également des scripts dans Visual Basic pour recueillir les données de plusieurs feuilles de calcul et gérer un vaste ensemble de données aux fins de l’analyse des données. Après l’importation des données requises, je commence mon analyse en utilisant les fonctions d’Excel comme les tableaux croisés dynamiques, les graphiques, les filtres, la mise en forme conditionnelle et/ou l’application des fonctions statistiques.

Je travaille dans une unité des ressources humaines et je suis la personne responsable de tous les besoins en informatique et en analyse de données de mon unité. Après avoir terminé mon analyse, qui peut être une analyse financière, statistique ou de données, je formule des recommandations ou les prochaines étapes quant à la façon de régler la question analysée. Normalement, je suis le format suivant : contexte, développement, conclusion, prochaines étapes [...] Cela est effectué lorsque nous avons besoin de l’approbation du directeur général pour accorder une exemption à un officier de marine. Dans ce cas, j’informerais le DG au moyen d’une note d’information et je lui donnerais des conseils sur les renseignements relatifs à la demande d’exemption. Je formule également des recommandations sur les besoins en informatique de ma division et recommande des mises à jour stratégiques pour le système de GI de l’Agence (Garde côtière), ainsi que des recommandations relatives aux solutions logicielles et aux façons de gérer nos données électroniques de manière sécuritaire et d’interpréter ces données de manière significative. Les données sont recherchées dans plusieurs endroits, comme les bases de données, les feuilles de calcul, les pages Web ou d’autres publications. J’ai également effectué des recherches sur d’autres questions, comme la recherche politique et juridique et la recherche concernant les systèmes d’information.

J’ai également effectué des dizaines d’analyses de données qualitatives pour traiter la qualité des données et j’ai recommandé des solutions pour la corriger. J’ai également assumé la direction d’un projet visant à créer un plan de qualité des données pour mon groupe, notamment pour assurer les données de la meilleure qualité dans les bases de données, y compris une recherche et une définition de termes et d’expressions et de la fonctionnalité totale des systèmes. Il y a ensuite la question du type de données que je traite et que j’extrais. La réponse est qu’il existe un vaste éventail de types de données, comme les données sur les ressources humaines et les profils socio‑économiques des employés, les données opérationnelles relatives à l’exécution de programme et à la prestation de services à bord des navires, les données financières et les données du SIG [système d’information géographique] (la latitude, la longitude et les renseignements géographiques) et les données juridiques.

[E4 :]

J’ai indiqué clairement dans les trois expériences précédentes mon expérience à extraire les données de bases de données relationnelles à l’aide d’outils comme SQL Developper, SQL Navigator et MS Query. Je développe également des bases de données dans Access et je gère ces projets du début à la fin. En plus des bases de données, j’extrais des données de dossiers Excel, de sites Web, de publications, de décisions judiciaires et je transforme ces extractions en des ensembles de données propres qui sont prêts à être analysés et à faire l’objet de rapports. Pour ce faire, j’utilise mes compétences en VBA pour extraire des données de diverses ressources, pour nettoyer les données et pour les organiser de manière significative aux fins de la préparation de rapports et de résumés.

 

[123] Les quatre membres du comité de sélection ont évalué la candidature du plaignant en fonction des quatre qualifications essentielles (pièce C‑6) comme suit : Etienne Philion pour E1, Mme Papamarkakis pour E2, Mme Pelland pour E3 et Mina Riad pour E4.

[124] En ce qui concerne les qualifications E1 et E4, les notes relatives à la cotation sont les suivantes :

[Traduction]

[E1, cotée par E Philion :]

Commentaire [E.P1] : EXP.1 = Éliminé, j’ai besoin d’un deuxième examinateur parce que je ne crois pas que le candidat ait clairement démontré comment il a fait la recherche et l’analyse. Je constate plus d’extraction et de manipulation de données ici.

J’appuie cela. (M.‑A. Pelland)

[E4, cotée par M. Riad :]

Commentaire [MR.5] : EXP. 4 = ÉLIMINÉ – Besoin d’un deuxième examinateur. La réponse est très courte et ne contient aucun exemple concret.

J’appuie cela. (M.‑A. Pelland)

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

 

[125] Même s’il ne travaille pas dans le domaine de l’analyse du marché du travail, le plaignant a soutenu qu’il possède une expérience largement semblable en travaillant avec des données socio‑économiques. En fait, il s’est décrit comme étant surqualifié pour le poste et a déclaré que c’était [traduction] « trop facile pour lui ».

[126] Le plaignant a témoigné qu’il avait réussi l’étape de présélection dans les processus de nomination pour des postes semblables, tant avant que depuis le processus visé par sa plainte (pièces C‑10 à C‑15). Les exigences en matière d’expérience dans ces processus étaient semblables, y compris, dans au moins un cas, l’expérience en analyse des renseignements sur le marché du travail (pièce C‑10).

[127] Le plaignant a examiné un recueil contenant les candidatures de tous les candidats qui ont participé au processus de nomination (pièce C‑16). Il a soutenu que les renseignements figurant dans bon nombre de candidatures laissaient entendre que les candidats qui avaient été présélectionnés étaient moins qualifiés que lui à l’égard de l’E1 ou l’E4 ou les deux ou, contrairement à lui, possédaient des diplômes d’une université canadienne (voir, par exemple, les candidats 2, 5, 6, 9 et 12 à 16).

[128] En contre‑interrogatoire, le plaignant a convenu qu’il avait présenté différentes candidatures pour les autres processus de nomination (décrites dans les pièces C‑10 à C‑ 15) et qu’il existait des différences dans les exigences en matière d’expériences et d’études dans certains d’entre eux. Il a expliqué que, parfois, il aurait pu préparer une nouvelle candidature, mais qu’il avait souvent adopté l’approche de [traduction] « couper‑coller », en utilisant des réponses classiques.

[129] Mme Pelland occupe le poste d’analyste des politiques, classifié au groupe et au niveau EC‑05, à la Division de la banque d’emplois de la Direction de l’information sur le marché du travail d’EDSC. La Division comprend plus de 70 postes d’équivalents temps plein et tous les employés travaillent au même étage. Elle a été déléguée par son gestionnaire pour doter trois postes vacants à titre de membre principal du comité de sélection dans le processus numéro 2016‑CSD‑IA‑NHQ‑14685. Elle a organisé le comité, a élaboré l’affiche de l’avis du processus de nomination avec le gestionnaire (pièce C‑5), élaboré les outils d’évaluation et les guides de cotation (pièces C‑3 et R‑4, onglet 2). Elle a communiqué les résultats au plaignant.

[130] Mme Pelland a souligné que le comité de sélection n’avait pas examiné l’exigence en matière d’études à l’étape de la présélection. Elle a expliqué qu’un comité de sélection avait le droit de rejeter les candidats en fonction du facteur des études au début du processus, mais que, selon la pratique quotidienne, il pouvait choisir de le faire, au besoin, après l’étape de la présélection en fonction des qualifications essentielles. Dans le cadre du processus de nomination en l’espèce, le comité de sélection n’a pas tenu compte des études dès le début et le rapport de sélection indique « Oui » pour tous les candidats au critère concernant les études.

[131] Le comité de sélection n’a pas non plus examiné le curriculum vitae à l’étape de la présélection.

[132] Mme Pelland a déclaré que l’utilisation de questions ouvertes pour les qualifications essentielles à l’étape de la présélection constituait une pratique courante, tel qu’en témoigne le site Web de la CFP. Elle a suivi cette pratique avec succès à maintes reprises.

[133] Selon Mme Pelland, les membres du comité de sélection avaient convenu d’une approche appropriée en matière d’évaluation. Elle a ajouté que son travail consistait à s’assurer que les trois autres membres comprenaient ce qu’il fallait chercher. Les qualifications essentielles ont été cotées comme réussite ou échec; aucune note n’a été accordée. Si un candidat ne possédait pas une ou plusieurs qualifications essentielles, sa candidature était éliminée.

[134] Une question à évaluer a été attribuée à chacun des membres du comité de sélection afin d’assurer une évaluation uniforme de chacune des qualifications essentielles à l’égard de tous les candidats. Si un membre n’était pas certain d’une évaluation, il pouvait demander l’avis d’un deuxième membre, afin de prendre la décision requise. Les candidatures ont été évaluées et cotées en ligne de manière sécuritaire et n’ont pas été imprimées, afin d’assurer la confidentialité.

[135] Mme Pelland a déclaré qu’il incombe au candidat de fournir les renseignements qui convaincront l’évaluateur qu’il possède les qualifications essentielles. L’énoncé de critères de mérite (ECM) précise clairement les « renseignements que vous devez fournir » et donne une mise en garde aux candidats selon laquelle il leur « incombe de fournir des exemples pertinents démontrant comment vous répondez à chaque exigence » (pièce C‑5).

[136] À la question de savoir pourquoi le plaignant ne possédait pas la qualification E1, Mme Pelland a indiqué que sa réponse ne comportait pas beaucoup d’éléments portant sur les sources économiques ou du marché du travail et ne traitait pas de tous les éléments de la question posée. Elle a expliqué que l’expérience relative aux données économiques et sur le marché du travail était essentielle parce que le site de la Banque d’emplois est une plateforme du marché du travail qui permet d’établir un lien entre les demandeurs d’emploi et les employeurs. Tous les renseignements sur ce site sont liés au marché du travail.

[137] En ce qui concerne la qualification E4, Mme Pelland a dit que la réponse du plaignant était très courte et ne décrivait pas la façon dont il a utilisé les outils pour transformer les données. Dans sa réponse, il a mentionné la réponse relative aux cases de réponses pour les qualifications E1 à E3; cependant, chaque case a été évaluée de manière indépendante par un autre évaluateur.

[138] À la question de savoir si les deux qualifications E1 et E4 étaient techniques et comportaient des données, Mme Pelland a convenu que la qualification E1 exigeait une expérience en matière de données, mais qu’elle exigeait également des composantes analytiques supplémentaires et de l’analyse technique. Elle a dit que, évidemment, la qualification E4 porte sur des données.

[139] Mme Pelland a indiqué qu’à la fin de toutes les étapes du processus de sélection, cinq candidats ont été retenus. Le défendeur a offert à trois candidats des postes au sein de la Division des banques d’emplois, et les deux autres candidats ont obtenu des emplois ailleurs, car ils avaient été inscrits dans le bassin de candidats admissibles.

[140] Le 25 avril 2016, Mme Pelland a communiqué les résultats du plaignant à l’étape de la présélection par courriel (pièce R‑4, onglet 5). Elle a décrit le format du courriel comme un modèle standard utilisé par les Ressources humaines (RH). Le courriel offrait au plaignant la possibilité de participer à une discussion informelle en vue d’expliquer les résultats. Après avoir accepté l’offre au moyen d’une conversation téléphonique avec Mme Pelland, celle-ci a reconnu la discussion par courriel (pièce C‑8), ce qui constitue également une pratique courante. Dans ce courriel, elle a de nouveau mentionné son défaut de satisfaire aux qualifications E1 et E4 et a déclaré que le comité de sélection n’accepterait pas d’autres observations.

[141] L’avocat du défendeur a demandé à Mme Pelland de donner la raison pour laquelle le courriel comprenait les termes [traduction] « et ainsi que le critère relatif aux études ». Elle a répondu qu’elle avait mentionné les études dans sa discussion informelle avec le plaignant afin de l’aider dans le cadre de processus de nomination futurs. Elle lui a dit qu’il pourrait peut‑être fournir des renseignements plus précis sur ses études, comme le nom de l’établissement qui lui a octroyé le diplôme et l’année à laquelle il a obtenu le diplôme, dans une demande future. Elle a signalé qu’il avait répondu qu’elle devrait consulter son curriculum vitae.

[142] En terminant son interrogatoire principal, Mme Pelland a confirmé de nouveau que le comité de sélection avait utilisé le guide de cotation (pièce R‑2, onglet 6) pour évaluer les qualifications essentielles, qu’il n’a pas évalué les connaissances à l’étape de la présélection et que les seuls facteurs pris en compte pour éliminer le plaignant étaient les qualifications E1 et E4 relatives à l’expérience.

[143] En contre‑interrogatoire, Mme Pelland a déclaré que, selon elle, Mme Riad avait raison de conclure que le plaignant n’avait pas fourni des exemples concrets dans sa réponse à la question concernant la qualification E4. Elle a indiqué que, d’après son expérience, les candidats étaient souvent éliminés parce qu’ils ne fournissaient pas suffisamment, voire pas du tout, d’exemples concrets. Elle a également déclaré dans son témoignage que le comité de sélection ne pouvait pas accepter sa déclaration faisant référence à ses réponses concernant les qualifications E1 à E3. L’approche standard à l’égard de la cotation, dans le cadre de la prérogative du comité de sélection, consistait à évaluer chaque facteur en se fondant uniquement sur la réponse du candidat concernant ce facteur. Selon l’expérience de Mme Pelland, tous les processus de nomination se déroulent de cette façon. Il s’agissait de l’approche recommandée par les RH et qui a été enseignée dans les cours de formation. Il faudrait plus de temps pour chercher ailleurs. Mme Pelland a indiqué qu’aucun autre candidat qui a participé au processus de sélection n’a renvoyé les évaluateurs à ses réponses précédentes.

[144] Ensuite, en ce qui concerne la qualification E4, Mme Pelland a déclaré que le plaignant devait démontrer de manière concrète son expérience à traiter les « ensembles de données », mais qu’il n’avait fourni aucun exemple. Il n’a pas démontré ce qu’il avait fait, quels en étaient les résultats et quels étaient les formats utilisables. Elle a reconnu qu’il avait mentionné des sources, mais qu’il n’avait pas précisé clairement comment il avait transformé les données de ces sources en des ensembles de données utilisables. Le comité de sélection avait besoin d’une situation réelle pour confirmer concrètement qu’il pouvait satisfaire à l’exigence d’un poste classifié au groupe et au niveau EC‑04. Elle a répété qu’il incombait à chaque candidat de fournir des exemples appropriés et qu’il appartenait au comité de sélection de décider si les renseignements fournis étaient suffisants. Essentiellement, le plaignant devait donner des exemples appropriés démontrant [traduction] « pourquoi, quoi et quand ».

[145] Mme Pelland a reconnu que le comité de sélection n’avait pas fourni un modèle détaillé sur la façon dont un candidat devrait répondre à la qualification E4. Elle a également répondu qu’il n’y avait aucun dossier sur les exigences particulières de Mme Riad.

[146] À la question de savoir pourquoi il n’aurait pas été convenable d’inviter les candidats à subir une évaluation, Mme Pelland a déclaré qu’il n’y avait rien de mal à une telle approche, mais que le comité de sélection avait décidé d’adopter une autre approche, comme il avait le droit de le faire.

[147] Orientée encore une fois par le plaignant vers la mention du critère des études dans son courriel (pièce C‑8), Mme Pelland a répété que le plaignant n’avait pas échoué ce critère. Elle a simplement fait un suivi de leur conversation téléphonique durant laquelle elle lui avait conseillé de s’assurer de présenter la prochaine fois une demande de candidature plus détaillée en précisant l’établissement d’enseignement et l’année de l’obtention du diplôme.

2. Question 2 : Le défendeur a commis un abus de pouvoir lorsqu’il a utilisé un ECM peu clair et peu élaboré
3. Question 3 : Le défendeur a commis un abus de pouvoir lorsqu’il a établi les qualifications essentielles énoncées dans l’ECM

[148] Étant donné que les questions 2 et 3 concernent l’EMC utilisé pour le processus de nomination (pièce C‑5), elles seront traitées ensemble.

[149] À mon avis, la preuve de la pertinence possible des questions 2 et 3 était faible.

[150] En interrogatoire principal, le plaignant a accepté que l’affiche d’emploi énonçait ce que le défendeur voulait.

[151] En contre‑interrogatoire, le plaignant a contesté le fait que les directives pour répondre aux questions étaient claires. Même si les directives indiquaient que chaque candidat devrait répondre en environ 300 mots, il a soutenu qu’elles n’indiquaient pas, par exemple, ce qui se passerait si un candidat n’utilisait que 100 mots. Il a fait valoir que les directives en général étaient [traduction] « très limitées ».

[152] En contre‑interrogatoire, à la question de savoir s’il avait déjà élaboré un ECM, le plaignant a indiqué qu’il l’avait fait une fois pour un processus de nomination d’été pour étudiants, qu’il avait été membre du comité de sélection de ce processus et qu’il avait participé au comité de sélection de deux autres postes administratifs.

[153] En faisant référence à la description de travail du poste (pièce C‑1), le plaignant a déclaré que l’expérience relative aux données économiques pourrait bien être requise pour exécuter les fonctions décrites, mais qu’il ne constatait pas [traduction] « beaucoup de mentions des données sur le marché du travail ».

[154] Mme Pelland a témoigné qu’elle avait élaboré l’ECM avec la gestionnaire responsable de l’embauche, soit Mme Riad. Mme Pelland était d’avis que la description des qualifications essentielles figurant dans l’ECM énonçait clairement ce qui était nécessaire pour exécuter le travail d’analyste de données. Elle a déclaré qu’elle avait consulté la description de travail, qu’elle avait examiné d’autres descriptions de travail et d’autres affiches d’emploi, qu’elle avait demandé des conseils aux RH de l’organisation et que, en général, elle avait tenu compte des leçons apprises dans le cadre de processus de sélection antérieurs.

[155] En contre‑interrogatoire, le plaignant a demandé à Mme Pelland comment l’outil d’évaluation était équitable. Elle a répondu que tous les candidats étaient assujettis au même processus et qu’ils répondaient aux mêmes questions et que plus d’une personne participait à l’étape de la présélection. Elle a également affirmé que tous les fonctionnaires devaient savoir comment présenter leur candidature dans le cadre d’un processus de nomination.

4. Question 4 : Le défendeur a commis un abus de son pouvoir lorsqu’il a nommé des candidats qui ne possédaient pas les qualifications essentielles, violant ainsi le principe du mérite énoncé au paragraphe 30(2) de la LEFP

[156] À mon avis, le plaignant n’a présenté aucune preuve de fond pertinente quant à son affirmation selon laquelle les candidats retenus ne possédaient pas les qualifications essentielles.

5. Question 5 : Le défendeur a commis un abus de pouvoir en faisant preuve d’une crainte raisonnable de partialité en faveur des personnes nommées

[157] Dans un courriel daté du 25 avril 2016 (pièce C‑7), Mme Pelland a informé le plaignant qu’il ne possédait pas les deux qualifications essentielles et elle lui a offert de participer à une discussion informelle pour examiner les raisons de son élimination du processus de nomination. Il a décrit la conversation téléphonique qui a suivi avec elle comme [traduction] « ne s’étant pas bien déroulée ». Il l’a décrite comme faisant preuve d’une [traduction] « hostilité inexpliquée » et d’une [traduction] « attitude arrogante » et il a déclaré qu’elle avait un esprit fermé et qu’elle avait été têtue, ce qui laissait entendre qu’elle avait un problème à son égard.

[158] Selon le plaignant, Mme Pelland a refusé son offre de fournir d’autres renseignements pour établir ses qualifications, comme elle l’a confirmé dans son courriel du 9 mai 2016 (pièce C‑8).

[159] En contre‑interrogatoire, le plaignant a déclaré que son souvenir de la conversation qu’il avait eue avec Mme Pelland n’était pas frais. Il a déclaré qu’il était « possible » qu’il lui ait demandé d’examiner l’ensemble de sa candidature ou de recevoir plus de renseignements. Il a répété qu’il se souvenait qu’elle avait eu un esprit fermé et qu’elle avait fait preuve d’une hostilité inexpliquée.

[160] Mme Pelland a témoigné qu’elle ne pouvait pas se souvenir particulièrement du ton de la conversation, mais qu’elle estimait que rien n’avait [traduction] « sorti de l’ordinaire ». Le plaignant a posé un certain nombre de questions et a voulu ajouter à sa candidature. En contre‑interrogatoire, elle s’est souvenue d’avoir expliqué son échec relatif aux qualifications E1 et E4, qu’elle avait profité de l’occasion pour lui donner des conseils et qu’elle n’avait pas accepté sa demande de présenter des renseignements supplémentaires.

[161] Le plaignant a témoigné qu’il avait envoyé un courriel à Mme Papamarkakis, le 29 avril 2016, concernant un autre processus de nomination avant qu’il ne découvre le rôle de cette dernière au sein du comité de sélection (pièce C‑9). Il a affirmé dans son témoignage que, lors d’un appel de suivi ce jour‑là, elle a fait preuve de la même attitude hostile que Mme Pelland.

[162] En contre‑interrogatoire, à la question de savoir s’il avait déjà travaillé à EDSC ou s’il avait déjà rencontré les membres du comité de sélection, le plaignant a répondu que non.

[163] Mme Pelland a témoigné qu’elle n’avait jamais entendu parler du plaignant avant le processus de nomination. En contre‑interrogatoire, elle a confirmé qu’elle n’avait pas fait une recherche de son nom dans Internet et qu’il ne s’agissait pas d’une pratique courante.

[164] Mme Pelland a confirmé que Mme Riad était la gestionnaire d’un des candidats retenus, mais elle a affirmé qu’elle n’était pas certaine de savoir si un deuxième candidat retenu relevait également de Mme Riad parce qu’elle avait changé de poste.

6. Question 6 : Le défendeur a commis un abus de pouvoir lorsqu’il a mis sur pied le comité de sélection composé de membres non qualifiés

[165] En contre‑interrogatoire, le plaignant a affirmé qu’il ne savait rien des qualifications des membres du comité de sélection au moment du processus de nomination.

[166] Dans le cadre de son interrogatoire principal, Mme Pelland a indiqué que ses fonctions à la Division de la banque d’emplois étaient axées sur les ressources humaines, les finances et d’autres dossiers administratifs. Elle a déclaré dans son témoignage qu’elle avait été chargée de diriger les activités de recrutement de sa division pendant 10 ans et qu’elle avait participé à environ 30 processus de sélection depuis leur lancement jusqu’aux étapes d’évaluation et à la mise en œuvre des décisions de dotation qui en avaient découlé. Mme Pelland a indiqué qu’elle avait suivi des cours offerts par la CFP et d’autres fournisseurs sur la planification stratégique, les pouvoirs délégués, la classification, la supervision et les approches objectives pour évaluer les candidats.

[167] Mme Pelland a indiqué qu’elle avait travaillé avec des analystes de données pendant de nombreuses années et qu’elle comprenait leur travail.

[168] En contre‑interrogatoire, Mme Pelland a souligné que, même si elle occupait un poste d’analyste de politiques, elle consacrait 80 % de son temps à des questions de ressources humaines pour son gestionnaire, principalement des questions de dotation. Elle détient un baccalauréat en administration des affaires avec spécialisation en ressources humaines.

[169] La carrière de Mme Pelland dans la fonction publique s’étend sur 23 ans, dont 15 ans dans son emploi actuel. Au cours de cette dernière période, elle a participé de plus en plus aux processus de dotation. Dans les sept ou huit dernières années, elle a géré de cinq à six processus de sélection chaque année. La plupart des cours de formation qu’elle a suivis ont été axés sur les ressources humaines, dont la grande partie a été offerte par l’École de la fonction publique du Canada. Elle est accréditée comme conseillère en ressources humaines.

[170] À la question de savoir si elle avait suivi des cours d’analyse de données, Mme Pelland a répondu [traduction] « pas récemment ».

[171] À la question de savoir pourquoi elle n’avait pas attribué les responsabilités d’évaluation à quelqu’un d’autre qui, contrairement à elle, possédait une expertise primaire en analyse de données, Mme Pelland a répondu encore une fois qu’elle était le membre du comité de sélection ayant une expérience en RH et qu’elle avait conseillé les autres membres au sujet de l’évaluation des qualifications.

[172] Mme Pelland a témoigné que Mme Papamarkakis était la gestionnaire d’une unité de politiques et qu’elle ne faisait pas partie de l’équipe dans laquelle des postes étaient dotés. Mme Riad était la gestionnaire de cette équipe et M. Phillion relevait de Mme Riad.

[173] Mme Pelland a indiqué que Mme Riad et M. Phillion étaient les experts en analyse de données. À la question de savoir pourquoi elle avait donné un deuxième avis sur les qualifications E1 et E4 (pièce C‑6), mais pas en tant qu’experte, elle a répondu que son expertise était en évaluation des qualifications.

7. Question 7 : Le défendeur a commis un abus de pouvoir en faisant preuve de discrimination à l’égard du plaignant

[174] Le plaignant a affirmé dans son témoignage qu’il s’identifiait comme [traduction] « Arabe ou Asiatique occidental » aux fins de l’équité en matière d’emploi.

[175] Selon le plaignant, les deux candidats retenus dans le cadre du processus de nomination faisaient partie de groupes visés par l’équité en matière d’emploi.

[176] En plus de faire référence au fait que le plaignant ne possédait pas les deux qualifications essentielles en matière d’expérience, dans son courriel du 9 mai 2016 (pièce C‑8), Mme Pelland a également écrit qu’il ne répondait pas au critère en matière d’études. Cette référence l’a amené à témoigner que le défendeur avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de ses qualifications en matière d’études à l’étranger.

[177] Le plaignant a également fait référence à un rapport du comité de sélection. Ce rapport a été révisé en fonction de ma directive à l’audience (en réponse à sa demande) afin d’indiquer le statut d’équité en matière d’emploi des candidats qui participaient au processus de nomination (pièce C‑18). Il a souligné que, selon ses calculs, 43 % des candidats (7 sur 16) ayant le statut de membre d’une minorité visible avaient réussi la présélection, par rapport à 55 % des candidats (5 sur 9) qui n’avaient pas ce statut.

B. Résumé de l’argumentation

1. Pour le plaignant

[178] Le plaignant a critiqué de nombreux aspects du témoignage de Mme Pelland. Il a soutenu que sa formation se limitait aux ressources humaines. Il a fait remarquer qu’elle connaissait deux des candidats qui ont été embauchés et il a allégué qu’il ne s’agissait pas d’une coïncidence. Il a fait valoir qu’il n’existait aucun document a dossier qui corroborait son témoignage sur la façon dont elle avait élaboré l’ECM et que, dans le cadre du processus de sélection, elle n’a examiné rien de plus que chaque facteur d’expérience. Il a qualifié de vague et dénué de sens son témoignage selon lequel l’approche de sélection utilisée dans le cadre du processus de nomination avait été utilisée avec succès dans d’autres processus. Il l’a accusé d’avoir fait preuve d’une hostilité inexplicable pendant leur conversation téléphonique après le processus.

[179] Le plaignant a soutenu que les candidats n’avaient pas été prévenus que les lettres d’accompagnement seraient utilisées pour évaluer leur souci du détail. L’absence de directives claires dans l’ECM concernant le souci du détail pose un problème; voir Poirier c. Sous‑ministre des Anciens Combattants, 2011 TDFP 3, au paragraphe 52. Cet élément aurait été beaucoup mieux évalué dans le cadre d’une entrevue. L’ECM ne comportait rien au sujet de la longueur des réponses.

[180] Selon le plaignant, l’accent que l’ECM mettait sur les données sur le marché du travail était indûment limité et favorisait les candidats qui travaillaient déjà à EDSC. Un pourcentage de 87 % (7 sur 8) des candidats d’EDSC ont été retenus, mais uniquement 29 % (5 sur 17) des candidats externes ont été retenus. Il a soutenu qu’il n’est pas nécessaire qu’un candidat ait des connaissances des marchés du travail pour bien faire son travail.

[181] Il a allégué que deux des gestionnaires qui ont évalué les facteurs d’expérience ne savaient pas quoi faire et ont fait part de leur décision à Mme Pelland, qui a essentiellement exercé une fonction d’appel. Aucune diligence raisonnable n’a été exercée dans le processus de sélection. L’examen sommaire des facteurs d’expérience indique la mauvaise foi.

[182] En ce qui concerne les critères en matière d’études, le plaignant a fait valoir qu’il était le seul des 25 candidats qui a été éliminé en fonction de ce facteur. Le fait que le rapport du comité de sélection (pièce C‑17) a indiqué qu’il avait obtenu une cote « O » (pour « Oui ») n’a aucun sens, comme l’a démontré la lettre de suivi de Mme Pelland à sa demande d’une discussion informelle (pièce C‑8), dans laquelle elle a déclaré qu’il n’avait pas répondu aux critères en matière d’études. Le défendeur n’a jamais abordé ce point dans sa réponse à la plainte initiale, ce qui démontre qu’il tentait de cacher quelque chose. Le plaignant a fait remarquer que jamais dans sa vie il n’avait été jugé comme ne répondant pas aux critères en matière d’études.

[183] Le plaignant m’a exhorté à accorder un poids limité au rapport du comité de sélection (pièce C‑17), ainsi qu’à la copie dans laquelle figure la colonne ajoutée et qui indique le statut concernant l’équité en matière d’emploi des candidats (pièce C‑18). Dans son argumentation, la règle de la meilleure preuve exige que je me fie plutôt à ce que Mme Pelland a déclaré dans sa lettre (pièce C‑8) au sujet du fait qu’il ne répondait pas au facteur des études.

[184] Selon le plaignant, aucun élément de preuve ne permet de corroborer la raison pour laquelle deux des personnes nommées ont réussi l’étape de la présélection. La preuve indiquant qu’elles n’étaient pas qualifiées existe quelque part en la possession de l’administrateur général, mais la Commission n’en est pas saisie. Selon le plaignant, si l’administrateur général avait présenté des éléments de preuve corroborant à l’audience, il aurait retiré l’allégation.

[185] Le plaignant a décrit les candidats comme des [traduction] « candidats limites » dont les réponses concernant les facteurs d’études ont été renvoyées à Mme Pelland aux fins d’un deuxième avis. Seuls lui et un autre candidat (numéro 21) ont été traités comme des candidats limites; en ce qui concerne l’autre candidat limite, un seul facteur a été renvoyé à Mme Pelland. Le plaignant a accusé Mme Pelland, qu’il a qualifiée de [traduction] « encore moins qualifiée » que les autres évaluateurs, d’avoir effectué un examen sommaire dans ces cas; voir Pardy c. Le sous-ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 2012 TDFP 14, au paragraphe 109. Il a également allégué qu’elle n’avait pas suffisamment documenté ses motifs; voir Hunter c. Sous‑ministre de l’Industrie, 2019 CRTESPF 83, au paragraphe 93. Il a soutenu qu’il lui était impossible d’infirmer les conclusions de ses collègues de niveau supérieur possédant une expertise technique et qu’elle aurait dû plutôt renvoyer la question à un groupe d’experts en données. Il a également fait valoir qu’elle aurait dû inviter les candidats à effectuer un examen pour déterminer leur situation concernant les facteurs d’études.

[186] Même si le plaignant a soutenu que les commentaires des deux membres du comité de sélection (dont les cotes ont été examinées par Mme Pelland) ont révélé qu’ils n’étaient pas qualifiés, il a précisé que son allégation selon laquelle les membres du comité de sélection n’étaient pas qualifiés (voir la question 6) visait uniquement Mme Pelland.

[187] Le plaignant a fait valoir que le processus de sélection aurait dû être axé sur le mérite plutôt que sur des formalités de sélection rigoureuses; voir Canada (Procureur général) c. Allard, 2008 CF 1294, au paragraphe 77. Il a soutenu que les indicateurs utilisés pour évaluer les qualifications E1 et E4 n’étaient pas appropriés, violant ainsi l’exigence selon laquelle les outils d’évaluation doivent évaluer de manière efficace les qualifications; voir Healey c. Président de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2014 TDFP 14, au paragraphe 60 et Ammirante c. Le sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2010 TDFP 3, au paragraphe 111. Si la Commission conclut que le plaignant a fait l’objet d’une évaluation sévère quant aux facteurs d’études, elle peut ne pas tenir compte de ces cotes; voir Hughes c. Transports Canada, 2014 TCDP 19.

[188] Le plaignant a fait valoir qu’il incombe au défendeur de s’acquitter du fardeau de la preuve; voir Burke (commentaires figurant au paragraphe 104, ci‑dessus).

[189] La partialité est démontrée par le fait que certains des candidats retenus ont rédigé des réponses semblables à celles du plaignant, mais ont satisfait aux critères. L’hostilité dont a fait preuve Mme Pelland envers lui pendant leur conversation téléphonique permet également d’établir la partialité. Enfin, les efforts déployés par le défendeur pour le diffamer à l’audience permettent de corroborer davantage la partialité et peuvent servir à tirer une conclusion au sujet des points de vue de l’administrateur général au moment du processus de sélection.

[190] Le plaignant a soutenu que le défendeur avait fait preuve de discrimination à son endroit fondée sur des motifs de race (Moyen‑Orient, Arabe), d’origine nationale (Libanais) et d’origine ethnique (Arabe, Moyen‑Orient). Les deux candidats nommés ne possèdent aucune de ces caractéristiques; le statut de l’autre candidat nommé est inconnu. Les candidats nommés ne détiennent pas non plus de diplômes étrangers.

[191] Le rapport du comité de sélection (pièce C‑17) indique que le taux de réussite à l’étape de la présélection sélection des candidats appartenant à des minorités visibles (45 %) était inférieur à celui des autres candidats (55 %). Ce fait permet d’établir directement une preuve prima facie de discrimination; voir Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP). Les actes du défendeur avant et pendant l’audience sont également pertinents puisqu’ils comportent de « subtiles odeurs » de discrimination; voir O’Bomsawin c. Conseil des Abénakis d’Odanak, 2017 TCDP 4.

[192] Quel que soit le critère utilisé pour déterminer si un plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, la Commission parviendra à la même conclusion en faveur du plaignant; voir Shakes v. Rex Pak Ltd. (1981), 3 C.H.R.R. D/1001 et Israeli c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1983 CanLII 6 (TCDP). Étant donné le recours à des décisions subjectives pour éliminer les candidats, la Commission doit examiner encore plus minutieusement les actes du défendeur pour déceler la discrimination; voir Premakumar c. Air Canada, 2002 CanLII 23561 (TCDP), au paragraphe 88 et Kasongo c. Financement agricole Canada, 2005 TCDP 24, aux paragraphes 18 à 22.

[193] Le plaignant a conclu en renvoyant à Breast, Charles A. c. Whitefish Lake First Nation, 2010 TCDP 10, selon laquelle la Commission peut accorder du poids à sa croyance qu’il est qualifié, mais qu’il vaut mieux démontrer qu’il est qualifié à l’aide de renseignements objectifs. Il a soutenu qu’il l’a fait à l’aide de la preuve de son expérience dans le cadre d’autres processus de nomination (pièces C‑10 à C‑15).

2. Pour le défendeur

[194] Le défendeur a demandé à la Commission d’examiner les éléments de preuve présentés par le plaignant qui n’étaient pas spéculatifs. Il a qualifié le témoignage du plaignant de parfois imprécis et difficile à suivre. Il a toutefois souligné que le fonctionnaire avait admis, tôt dans le processus, ne pas avoir d’expérience relative au marché du travail, soit une qualification essentielle dans le processus de sélection (pièce C‑5).

[195] Les éléments de preuve présentés par le plaignant concernant son expérience dans d’autres processus de nomination (pièces C‑10 à C‑15) aident peu. Les ECM étaient différents; différentes qualifications étaient demandées. Très peu de poids devrait être accordé à son opinion selon lequel il était qualifié dans le processus de sélection visé, en se fondant sur son expérience dans les autres processus.

[196] Le défendeur a fait valoir que les renseignements sur l’équité en matière d’emploi ajoutés dans le rapport du comité de sélection (pièce C‑18) ne revêtent que peu de pertinence statistique. Les statuts d’équité en matière d’emploi des candidats retenus ne sont pas connus; on ne sait pas non plus comment ils se sont identifiés. Le plaignant aurait pu les citer à témoigner, mais il ne l’a pas fait. En conséquence, il ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait. Le défendeur a écarté toute suggestion selon laquelle le rapport comportant les statuts aurait pu être modifié après coup, ce qui laisse entendre une fraude.

[197] En contre‑interrogatoire, le plaignant a démontré qu’il avait une expérience limitée en dotation, qu’il n’avait aucune expérience auprès du ministère d’embauche et qu’il n’avait aucune expérience auprès de la Banque d’emplois. Son avis concernant le caractère approprié de l’ECM est donc sans fondement.

[198] En revanche, selon le défendeur, Mme Pelland possède une vaste expérience en dotation et occupe son poste depuis plus de 15 ans. Elle a témoigné de manière franche au sujet de l’élaboration de l’ECM en fonction des commentaires de la gestionnaire responsable de l’embauche, qui était la meilleure personne pour déterminer les compétences requises pour exécuter le travail. Le travail concerne la Banque d’emplois, un site Web qui permet d’établir un lien entre les employeurs et les chercheurs d’emploi. Le rôle du candidat retenu consiste à prendre différents types de données sur le marché du travail et à développer des outils en ligne utilisables par les chercheurs d’emplois.

[199] Le défendeur a soutenu qu’il était tout à fait approprié pour le comité de sélection d’utiliser les facteurs d’expérience E1 et E4 pour évaluer les candidats. Pour chacun de ces facteurs, un membre du comité de sélection a évalué tous les candidats, afin d’assurer l’uniformité. Lorsqu’un évaluateur constatait qu’un candidat ne répondait pas au critère, la réponse du candidat était renvoyée à un deuxième examinateur afin d’assurer l’équité.

[200] Mme Pelland a témoigné clairement que le comité de sélection n’avait pas évalué le plaignant relativement aux études, un fait qui a été renforcé par le rapport officiel du comité de sélection (pièce C‑17). Dans ce rapport, chaque candidat a reçu un « O » relativement aux études. Le recueil (pièce C‑16) offre des renseignements détaillés sur le contenu de sa demande et il contient des renseignements complets sur ses qualifications en matière d’études. Aucun des commentaires de l’évaluateur ne l’a éliminé relativement aux études (pièce C‑6). L’avis officiel indiquait qu’il avait été jugé ne pas posséder les qualifications E1 et E4 et qu’il avait été éliminé pour cette raison (pièce C‑7). Il n’y a aucune mention d’études. La seule mention qui a été faite par rapport aux études l’a été dans le cadre du suivi effectué par Mme Pelland relativement à sa demande de discussion informelle (pièce C‑8). Elle a témoigné avoir mentionné les études dans le cadre de la discussion informelle uniquement parce qu’elle souhaitait l’informer sur la fourniture de renseignements sur les qualifications en matière d’études qui sont plus étroitement conformes à ce qu’on demandait aux candidats.

[201] En ce qui concerne les éléments de preuve susmentionnés, le défendeur a soutenu que la Commission devrait accepter que le plaignant n’a pas été éliminé en raison de ses études (une conclusion auquel je suis parvenu dans une décision à l’étape de la présentation de la preuve de l’audience; voir la section III(B)(2) plus tôt dans la présente décision).

[202] Mme Pelland ne connaissait pas le plaignant au moment de la décision de présélection. Elle connaissait deux des trois candidats retenus parce qu’ils travaillaient dans son ministère, mais elle n’avait pas des relations étroites avec eux.

[203] Le défendeur m’a renvoyé à Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, pour la proposition selon laquelle ce ne sont pas tous les motifs de distinction qui constituent une discrimination. Il a soutenu que le plaignant n’a pas établi un lien entre ses caractéristiques d’identification et la décision de présélection. Compte tenu du rapport du comité de sélection comportant les statuts d’équité en matière d’emploi (pièce C‑18), ainsi que du témoignage du plaignant, il y avait peu de différences entre l’expérience des candidats ayant un statut concernant l’équité en matière d’emploi et ceux n’ayant pas ce statut. Il n’y avait aucune distinction en ce qui concerne les études. Le défendeur a soutenu qu’en fonction de l’appréciation de la preuve selon la prépondérance des probabilités, le plaignant n’a établi aucun lien entre son statut de membre d’une minorité visible et son élimination du processus de sélection.

[204] Lablack c. le sous‑ministre de Santé Canada, 2013 TDFP 7, au paragraphe 45, décrit le fardeau du plaignant consistant à établir une preuve prima facie de discrimination, fondée sur Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 (« O’Malley »). Le plaignant ne s’est pas acquitté de ce fardeau. Si la Commission utilise plutôt le critère énoncé dans Shakes, elle parviendra à la même conclusion. Deux candidats qualifiés ont été retenus dans le cadre du processus de sélection. Il n’y a aucune preuve de leur groupe d’identification aux fins de l’établissement d’un lien en vertu du critère énoncé dans Shakes.

[205] Le défendeur m’a renvoyé à Jolin c. Canada (Ressources humaines et du Développement social), 2007 TDFP 11, et a soutenu que les gestionnaires responsables de l’embauche jouissent d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour établir et évaluer les qualifications. Le témoignage de Mme Pelland a permis d’établir que le processus de sélection était fondé sur des critères rationnels pour évaluer le mérite et que les outils de sélection appropriés avaient été utilisés. L’exercice du pouvoir discrétionnaire dans le processus de sélection doit être respecté.

[206] Le défendeur a offert, dans ses propres mots, les [traduction] « arguments finaux » suivants :

[Traduction]

 

1. que le plaignant n’a présenté aucun élément de preuve, autre que des conjectures, pour étayer ses affirmations;

2. que la décision d’éliminer sa candidature lors de la présélection était correcte, peu importe si le plaignant a été jugé ne pas avoir fourni de réponses complètes et ne pouvait pas être évalué ou, subsidiairement, s’il n’avait pas l’expérience pour posséder les qualifications essentielles;

3. que l’ECM indiquait clairement que l’omission d’un candidat de démontrer comment il possédait chacune des qualifications essentielles pourrait entraîner son élimination;

4. que bien que le plaignant ait suggéré que l’attention aux détails ne constituait pas une qualification requise, un candidat ne devrait pas être nommé s’il ne peut pas lire et suivre les directives sur les exigences des candidats;

5. qu’il est naturel que les candidats internes puissent bénéficier de leurs connaissances de l’organisation et que la promotion au sein des niveaux est encouragée;

6. que le plaignant n’a pas établi le népotisme, étant donné que Mme Pelland ne connaissait pas bien les candidats internes et qu’un des candidats retenus était un candidat externe.

 

[207] Le défendeur m’a exhorté à conclure que le processus de sélection était normal, qu’il ne comportait aucun acte répréhensible grave ou faute majeure et qu’aucun élément de l’exercice du pouvoir discrétionnaire pendant le processus ne justifie l’intervention par la Commission. Le plaignant n’a pas démontré, selon la prépondérance de la preuve, qu’il y a eu de l’abus dans le processus de présélection ou à l’égard de l’ECM. Il n’a pas démontré que les membres du comité de sélection n’étaient pas qualifiés, et n’a présenté aucun élément de preuve permettant d’établir une partialité. Il n’a pas démontré le lien nécessaire pour établir une preuve prima facie de discrimination et n’a présenté aucune preuve de népotisme.

[208] Pour tous les motifs qui précèdent, la Commission devrait rejeter la plainte.

3. La réfutation du plaignant

[209] Dans sa réfutation, le plaignant a recommencé à critiquer les moyens de recours offerts à une personne qui souhaite contester un abus de pouvoir reproché dans un processus de dotation. Il a affirmé que c’était une [traduction] « blague » qu’une action puisse être intentée devant la Cour d’appel fédérale; dans ses mots, [traduction] « regardez ce qui s’est passé la dernière fois ». Il s’est à nouveau plaint des décideurs dans Abi‑Mansour 2016 et Abi‑Mansour 2018, soutenant qu’ils avaient non seulement commis des erreurs, mais qu’ils l’avaient également attaqué personnellement. Il a indiqué en particulier que le décideur dans Abi‑Mansour 2018 [traduction] « avait un problème » avec le nombre de plaintes que le plaignant avait déposées, soutenant que la Commission devrait être [traduction] « très, très prudente » avant de suivre cet exemple.

[210] Le plaignant s’est opposé à l’affirmation du défendeur selon laquelle son exposé avait plus à voir avec la conjecture qu’une preuve tangible. Selon son argumentation, le formulaire de demande, le courriel de Mme Pelland, le recueil et le rapport du comité de sélection comportant les statuts concernant l’équité en matière d’emploi (pièces C‑6, C‑8, C‑16 et C‑18, respectivement) corroborent son témoignage et offrent plus que ce qui est nécessaire pour établir ses allégations. La crédibilité de son témoignage devrait être évaluée conformément à ce qui est indiqué dans Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354.

[211] Le plaignant a fait valoir que son expérience de travail était [traduction] « presque équivalente » à celle relative au marché du travail. Le fait qu’il avait été présélectionné dans bien d’autres processus de sélection pour des postes classifiés au groupe et au niveau EC‑04 concernant l’analyse de politiques ou de données appuie fortement son affirmation selon laquelle il possédait clairement les qualifications requises en matière d’expérience dans le processus de sélection en litige.

[212] Le plaignant a fait valoir qu’il possédait une vaste expérience en dotation, qu’il avait participé à un processus de nomination pour étudiants dans son ministère d’attache, qu’il possédait, selon lui, [traduction] « beaucoup d’autres expériences relatives au comité de sélection » et qu’il était comparable à Mme Pelland à cet égard.

[213] Le plaignant a fait remarquer, en se fondant sur le recueil et le rapport du comité de sélection comportant les statuts concernant l’équité en matière d’emploi (pièces C‑16 et C‑18, respectivement), que les deux candidats retenus se sont identifiés comme faisant partie d’un groupe d’équité en matière d’emploi et que le troisième ne l’avait pas fait. Pour sa part, le plaignant s’identifie comme un immigrant et comme faisant partie d’une minorité visible. Selon les éléments de preuve disponible, il a soutenu que la Commission doit considérer les personnes nommées comme n’ayant pas les caractéristiques distinctives qui le distinguent et qui constituent le lien à l’appui de sa preuve prima facie de discrimination. Cela dit, il a ensuite soutenu que le rapport comportant les statuts (pièce C‑18) n’avait pas d’importance parce qu’il n’offre pas la [traduction] « meilleure preuve », laquelle, selon son argumentation, la Commission n’est pas saisie.

[214] Le plaignant a soutenu que le courriel de suivi de Mme Pelland (pièce C‑8), qui mentionne le critère en matière d’études, ne constitue pas un « document orphelin ». Sa conversation téléphonique avec elle permet également d’établir que les études ont été prises en considération dans la décision du comité de sélection. Son courriel et la conversation téléphonique constituent des éléments de preuve plus fiables que le rapport de sélection (pièce C‑18).

[215] Le plaignant a soutenu que la Commission peut utiliser Shakes, Israeli ou O’Malley pour déterminer s’il a établi une preuve prima facie de discrimination. Quel que soit le critère utilisé par la Commission, elle doit, dans le cadre de l’examen de la preuve prima facie, éliminer tous les arguments du défendeur et uniquement déterminer si la preuve qu’il a fournie est suffisante pour satisfaire au critère; voir Kasongo, au paragraphe 2.

[216] Le défendeur n’a offert aucune explication raisonnable en réponse à la preuve prima facie bien établie par le plaignant. Selon Lavigne, il a soutenu à tort qu’un élément d’intention est requis, contrairement à Abi‑Mansour 2018. Puisque, selon lui, cela [traduction] « est sans fondement en droit », le défendeur ne devrait pas être autorisé à invoquer de nouveau Lavigne.

[217] Le plaignant a fait valoir plusieurs arguments finaux, à savoir :

[Traduction]

 

1. que le défendeur n’a pas répondu à bon nombre de ses allégations;

2. que toute directive concernant le nombre de mots (300) pour une réponse relative aux qualifications requises en matière d’expérience était sans pertinence et ne pouvait être appliquée;

3. que le souci du détail n’avait pas été mentionné dans l’ECM;

4. qu’il aurait dû jouir d’une chance égale avec les candidats internes, étant donné qu’EDSC a choisi un processus de nomination ouvert aux candidats externes.

[218] En résumé, la plainte est fondée.

VI. Requête après l’audience

[219] Le 27 février 2020, un mois après la fin de l’audience, le plaignant a demandé à la Commission l’autorisation de déposer d’autres arguments écrits en guise de réponse finale. Le défendeur s’est opposé à la demande dans une réponse datée du 4 mars 2020, invoquant la jurisprudence à l’appui. Le plaignant a présenté d’autres commentaires le 6 mars 2020.

[220] J’ai ensuite rejeté la demande du plaignant.

[221] J’ai énoncé mes motifs, comme suit :

[Traduction]

 

L’audience de cette affaire a pris fin le 21 janvier 2020, y compris une journée complète de plaidoyers finaux présentés par les parties. Les parties ont eu l’entière possibilité de présenter leurs arguments devant la Commission. Le plaignant n’a pas indiqué à ce moment‑là que ses arguments étaient incomplets ou insuffisants pour permettre à la Commission de rendre une décision.

À l’appui de sa requête, le plaignant a renvoyé à des questions qui, à son avis, exigent d’autres arguments en guise de réponse finale.

Il soutient que le défendeur n’a révélé qu’à l’étape des plaidoyers finaux que les données sur l’équité en matière d’emploi divulguées pendant l’étape de présentation de la preuve de l’audience en octobre 2019 « ne concernent pas les minorités visibles, mais plutôt les groupes d’emploi ». La Commission n’estime pas qu’il existait un doute pendant la présentation des éléments de preuve en octobre selon lequel les renseignements communiqués par le défendeur, en vertu d’une ordonnance de la Commission, ajoutaient une colonne finale en tenant compte du statut des candidats concernant l’équité en matière d’emploi. Le défendeur n’a, à aucun moment, soutenu que les données sur l’équité en matière d’emploi communiquées faisaient état du statut de membre d’une minorité visible des candidats. Le plaignant aurait pu demander à la Commission de rendre une ordonnance pour obtenir des renseignements supplémentaires sur les statuts de membres d’une minorité visible des candidats; ce qu’il n’a pas fait.

La Commission est convaincue que le plaignant a eu amplement l’occasion à l’audience d’examiner ou de contester les éléments de preuve et de faire valoir leur importance. Elle ne voit aucune raison impérieuse de prendre la mesure exceptionnelle de rouvrir le processus d’audience en vue d’obtenir d’autres arguments sur cet élément.

Le plaignant présente également des arguments concernant l’intention présumée qui sous‑tend les pièces R‑1, R‑2 et R‑3 proposées, sur la prétendue « tentative de retourner le commissaire contre le plaignant », la question d’anonymisation et la question de savoir si les audiences de la Commission sont des « procédures publiques ». Pour ce qui est de toutes ces questions, la Commission estime qu’elle a compris les arguments présentés le 21 janvier 2020 et en octobre, et qu’ils fournissent un fondement complet et suffisant en fonction duquel elle peut rendre les décisions requises. Selon la jurisprudence, la Commission n’estime pas que le fait de prendre des décisions en fonction des arguments déjà présentés, sans rouvrir l’affaire, présente un risque de causer une injustice grave au plaignant.

Une décision sur le fond de la plainte et sur toutes les questions accessoires nécessaires à la décision de la Commission sera rendue en temps opportun.

VII. Analyse

[222] Les parties ont présenté un nombre considérable de décisions à l’audience, tant pour éclairer mes décisions provisoires et en guise d’argumentation finale. Aux fins de cette analyse, j’ai examiné toutes les décisions présentées et j’aborde bon nombre de celles‑ci plus loin dans la présente décision. Toutefois, je n’ai formulé aucun commentaire à l’égard de plusieurs de ces décisions, parce que je suis d’avis qu’elles semblaient moins importantes aux arguments des parties.

A. Les questions en litige

1. Question 1 : Le défendeur a‑t‑il commis un abus de pouvoir dans le processus de sélection et l’élimination du plaignant?

[223] Dans une décision en matière de preuve pendant l’audience, j’ai rejeté la demande du plaignant visant à obtenir des renseignements supplémentaires qui permettraient de déterminer les qualifications en matière d’études des candidats particuliers (voir la section III(B)(2) plus tôt dans la présente décision). Je l’ai fait en me fondant sur l’affirmation du défendeur selon laquelle le plaignant n’avait pas été éliminé en vertu du facteur des études, et selon le témoignage et les pièces qui ont permis, à mon avis, de confirmer ce point.

[224] Puisque, dans son argumentation, le plaignant a recommencé à faire valoir qu’il avait été éliminé en raison de ses études et non seulement en raison des qualifications essentielles E1 et E4, j’ai examiné les éléments de preuve une fois de plus pour déterminer si ma décision provisoire demeurait valable. Le plaignant fonde sa position principalement sur sa conversation téléphonique avec Mme Pelland, le 9 mai 2015, et sur le paragraphe principal de son courriel (pièce C‑8), qui est ainsi rédigé :

[Traduction]

Comme je l’ai mentionné à la fin de notre conversation, le comité de sélection a décidé de ne pas accepter d’autres explications ou arguments en vue de compléter votre demande après votre élimination en vertu de deux des quatre critères relatifs à l’expérience essentielle, ainsi qu’en vertu du critère en matière d’études.

[Je souligne]

 

[225] Le courriel de Mme Pelland (pièce C‑8) est troublant s’il est examiné isolément. Toutefois, je suis convaincu, selon la prépondérance de la preuve, que la mention du critère en matière d’études constituait une erreur. L’élément le plus déterminant est l’avis officiel à l’intention du plaignant selon lequel il a été jugé qu'il ne possédait pas les qualifications E1 et E4 et qu’il avait été éliminé pour cette raison (pièce C‑7). Le rapport du comité de sélection (pièce C‑17) étaye cette conclusion, en consignant que chacun des candidats a obtenu un « O » en matière d’études. Dans son témoignage, Mme Pelland a affirmé clairement et catégoriquement que le facteur des études n’avait pas été utilisé pour éliminer le plaignant. Elle a indiqué qu’elle avait mentionné les études dans sa conversation téléphonique avec lui pour l’informer que, à des fins futures, il devrait fournir plus de renseignements sur ses qualifications en matière d’études. J’estime que son témoignage au sujet de la conversation téléphonique est crédible. Pour sa part, le plaignant a témoigné que son souvenir de sa conversation avec elle [traduction] « n’était pas frais ». Notamment, il n’a pas témoigné qu’elle avait confirmé au cours de la conversation qu’il avait été éliminé en vertu de ses études, mais qu’il l’avait plutôt renvoyé à son curriculum vitae si d’autres renseignements sur ses qualifications étaient requis. Ce dernier souvenir, s’il est exact, laisse entendre que Mme Pelland aurait peut‑être constaté une absence de renseignements sur ses études dans sa demande, mais il est bien loin de saper les autres éléments de preuve concrets selon lesquels il ne satisfaisait pas aux facteurs E1 et E4, et non aux études.

[226] Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, je suis convaincu que ma décision antérieure en matière de preuve selon laquelle j’accepte que le plaignant n’a pas été éliminé en vertu du facteur des études demeure valable. Par conséquent, dans l’examen de la question 1, je mettrai l’accent sur la détermination de la question de savoir s’il existe des éléments de preuve de l’abus de pouvoir reproché dans le processus de sélection, sans mentionner davantage les études. (Ma décision relative aux études oriente également un aspect de mon examen qui suivra sur l’allégation de discrimination.)

[227] À la suite de Tibbs et d’autres décisions, la question qui se pose est celle de savoir s’il existe, dans le processus de sélection et dans la décision d’éliminer le plaignant, des éléments de preuve établissant la mauvaise foi, une erreur ou une omission ou toute autre erreur suffisamment grave pour établir l’allégation d’abus de pouvoir.

[228] Si l’on ne tient pas compte des questions concernant l’ECM, des qualifications des membres du comité de sélection et de la partialité alléguée, qui sont examinées séparément plus loin dans la présente décision, l’élément fondamental à examiner, à mon avis, est l’approche suivie par le comité de sélection pour évaluer les réponses du plaignant relativement aux qualifications en matière d’expérience E1 et E4. Le rôle de la Commission ne consiste pas à substituer son jugement quant au caractère adéquat des réponses du plaignant concernant ces deux facteurs, mais plutôt à examiner la façon dont le comité de sélection a procédé à l’élimination en vertu de ces réponses. Pour emprunter de Portree, il faut déterminer s’il existait, selon la prépondérance des probabilités, « [...] un acte répréhensible grave ou une faute majeure dans le processus, qui constitue plus qu’une simple erreur, omission ou conduite irrégulière [...] ».

[229] Mme Pelland a décrit en détail comment le comité de sélection avait procédé à l’évaluation. Chaque évaluateur a évalué une question à l’égard de tous les candidats, afin d’assurer l’uniformité. Ils n’ont examiné que ce qui était écrit dans l’espace de réponse prévue pour une question. S’ils estimaient qu’un deuxième avis était nécessaire pour une réponse, afin de confirmer une évaluation, elle était renvoyée à Mme Pelland. Les candidats ont été avertis au préalable « [...] de fournir des exemples pertinents démontrant comment vous répondez à chaque exigence » et que « [à] défaut de le faire, votre demande pourrait être rejetée » (pièce C‑5). Mme Pelland a décrit le processus comme étant conforme à la pratique antérieure dans de nombreux processus de nomination et à la formation sur la façon de mener des processus. Elle a ajouté qu’il s’agissait d’un processus dans le cadre duquel l’exercice du pouvoir discrétionnaire du comité de sélection relevait clairement des prérogatives de la direction.

[230] Rien dans le processus en soi ne me semble sérieusement problématique. Par exemple, le plaignant a soutenu que les évaluateurs auraient dû pouvoir prendre en considération d’autres réponses dans l’évaluation des qualifications E1 et E4 ou l’ensemble de sa demande. Même si je suis porté à être d’accord avec le fait que de limiter une évaluation strictement au contenu d’une certaine case de réponse semble quelque peu restrictif ou de ne pas tenir compte de la préoccupation selon laquelle faire autrement exigerait plus de temps et d’efforts, je ne peux conclure que l’approche suivie par le comité de sélection était entachée d’un vice fatal ou qu’elle était [traduction] « sommaire », comme l’a allégué le plaignant. Les actions du comité de sélection devraient être considérées comme relevant du pouvoir accordé à un administrateur général en vertu de l’article 36 de la LEFP pour « [...] avoir recours à toute méthode d’évaluation [...] qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications [...] ».

[231] En ce qui concerne l’évaluation des réponses du plaignant aux qualifications E1 et E4, le témoignage de Mme Pelland laisse entendre que les jugements faits, même s’ils étaient nécessairement subjectifs à certains égards, renvoyaient néanmoins aux lacunes quant au fond. Par exemple, elle a indiqué que le plaignant n’avait pas démontré de manière concrète son expérience dans le nettoyage des ensembles de données, n’avait pas indiqué clairement la façon dont il avait transformé les données de sources en des ensembles de données utilisables et n’avait pas décrit [traduction] « une situation réelle » qui démontre sa capacité de répondre aux conditions de travail d’un poste EC‑04. En résumé, son témoignage indiquait que le plaignant ne possédait pas les qualifications E1 et E4 parce qu’il n’avait pas fourni d’exemples satisfaisants qui établissaient [traduction] « pourquoi, quoi et quand ».

[232] Il n’est pas sans importance que le plaignant ait reconnu qu’il n’avait pas une expérience appréciable dans l’utilisation des données sur le marché du travail. Il a plutôt fondé son affirmation selon laquelle il était qualifié, au moins en partie, sur le fait que son expérience dans d’autres domaines d’analyse de politiques et de données était [traduction] « presque équivalente » et qu’elle l’avait outillé pour exécuter le travail. Je ne peux pas juger si cela est vrai, mais je dois respecter le fait que d’exiger une expérience directe en analyse des données sur le marché du travail en tant que condition de travail à la Banque d’emplois relevait du pouvoir discrétionnaire légitime du comité de sélection.

[233] Encore une fois, le rôle de la Commission n’est pas de substituer son jugement concernant le classement du plaignant relatif aux qualifications E1 et E4 à l’avis du comité de sélection, mais de poser la question de savoir si les éléments de preuve indiquent un abus de pouvoir lorsqu’il a formulé cet avis. À mon avis, tel n’est pas le cas. Les arguments du plaignant selon lesquels il était plus que qualifié pour le poste, qu’il était mieux qualifié que les autres candidats retenus et que son dossier de succès à l’étape de la présélection dans d’autres processus de sélection prouve ses qualifications, ne changent pas ma conclusion. À cet égard, je retiens l’argument du défendeur selon lequel chacun des autres processus était distinct et comportait une distinction entre les qualifications et les évaluations. Il peut bien exister des similitudes entre les processus de nomination, mais mon analyse doit être axée essentiellement sur l’évaluation des qualifications dans les limites du processus de sélection en litige. Je conclus également que la Commission ne devrait pas exercer une comparaison des qualifications du plaignant à celles des candidats retenus, même si celles-ci pouvaient être établies avec certitude, ce qui n’est pas le cas. Il ne s’agit pas de la responsabilité de la Commission en l’espèce. Il incombait au plaignant de démontrer dans la preuve présentée à la Commission que des candidats moins qualifiés que lui avaient été retenus. À mon avis, le plaignant ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

[234] Citant Allard, le plaignant a soutenu que le processus de sélection aurait dû être axé sur le mérite plutôt que sur les formalités rigoureuses de présélection. Les directives données dans Allard sont importantes, mais afin de les appliquer, il faut que je conclue que le processus de sélection était si rigide qu’il empêchait une évaluation du mérite. Je ne crois pas qu’il en soit ainsi en l’espèce. Je précise également que les circonstances examinées dans Allard étaient plutôt différentes, comme le suggère le paragraphe 79 suivant :

[79] Sans doute, la plupart des candidats rejetés à la présélection furent causés par l’omission d’avoir avisé les candidats de l’importance de spécifier leurs postes antérieurs d’une façon détaillée. Les qualités initiales requises dans l’avis de concours exigeaient que les candidats démontrent une « vaste expérience » dans la gestion de cas et d’escorte. Il n’y a pas eu mention des postes spécifiques, ce que le Comité de présélection a imposé une fois les candidatures reçues.

 

[235] Rien dans le processus de sélection en litige ne laisse entendre que les candidats n’ont pas été informés de l’importance de fournir des détails sur leur expérience ou que le comité de sélection avait changé les exigences après coup.

[236] Pour ce qui est d’Ammirante, de Hughes et de Pardy, citées également par le plaignant pour contester l’outil et le processus de sélection, je conclus qu’elles sont distinctes. Dans Ammirante, au paragraphe 111, la Cour a conclu que le comité de sélection dans cette affaire n’avait pas démontré comment l’application des critères d’évaluation avait mené à la cote attribuée. Je suis convaincu que le témoignage de Mme Pelland a expliqué la raison pour laquelle le plaignant ne possédait pas les qualifications E1 et E4. Selon Hughes, la preuve d’une cotation [traduction] « sévère » des facteurs d’expérience peut justifier une décision de ne pas tenir compte des notes. En l’espèce, rien dans la preuve ne constitue une preuve suffisante permettant de déterminer que les évaluations du comité de sélection étaient sévères au point de les invalider. Pardy porte sur des circonstances qui, au moins en partie, comportent une ambiguïté et des erreurs alléguées dans l’attribution des notes aux candidats. Aucune note n’a été attribuée en l’espèce.

[237] Le plaignant m’a en outre orienté vers une décision plus récente de la Commission dans Hunter, qui porte, entre autres, sur l’allégation d’une omission de la part d’un gestionnaire responsable de l’embauche de consigner et de conserver convenablement les renseignements sur un processus de nomination. Dans cette affaire, la Commission a conclu que le gestionnaire responsable de l’embauche n’avait rédigé le raisonnement de sa décision qu’après la publication de l’avis de nomination et qu’il ne pouvait fournir aucune preuve claire de la façon dont elle a été établie à l’audience. Hunter précise ce qui suit aux paragraphes 67 et 69 :

[67] En ce qui concerne l’allégation a), M. LeDuc a indiqué initialement dans son témoignage qu’il avait rédigé la justification en mai 2016. Toutefois, lorsqu’il a été confronté avec la séquence des événements et le témoignage de M. Hunter, il a fini par convenir qu’il l’avait probablement rédigée après la discussion informelle du 14 juin 2016. Quoi qu’il en soit, la justification écrite n’est pas datée.

[68] Dans l’ensemble, j’accorde beaucoup plus de crédibilité au témoignage et aux éléments de preuve de M. Hunter. Après de nombreuses questions, M. LeDuc ne se souvenait simplement pas des détails des réunions et n’avait pas de notes ni de documents à l’appui de ses affirmations. M. Hunter avait un net souvenir des événements de 2016, qui étaient étayés par les notes détaillées qu’il a incluses dans sa plainte et dans le document contenant les allégations de septembre 2016.

[69] Selon les éléments de preuve dont je suis saisi, je conclus que la justification a été rédigée entre le 14 et le 20 juin 2016. Le fait que la justification n’était pas datée et que l’intimé ne pouvait produire un récit cohérent de la façon dont elle a été mise sur pied est une omission importante qui compromet le principe de la transparence des pratiques d’emploi décrites dans le préambule de la LEFP.

 

[238] À mon avis, il n’existait aucune faute majeure comparable dans les documents présentés à l’audience de la plainte visée en l’espèce. Aucune allégation selon laquelle les principaux documents décrivant les résultats de l’évaluation n’auraient pas été préparés au moment où la décision de présélection a été prise n’a été présentée à la Commission; je n’ai pas conclu non plus que le souvenir du processus de Mme Pelland était altéré ou que son récit des raisons de l’échec du plaignant était incohérent.

[239] Le plaignant a fait valoir que le comité de sélection aurait dû résoudre toute préoccupation au sujet de ses réponses relatives aux qualifications E1 et E4, soit en les renvoyant à un groupe d’experts ou en appelant les candidats pour leur faire passer d’autres examens. De telles options auraient pu être utilisées à bon escient, mais le comité de sélection a choisi de ne pas les choisir, ce qui constituait une décision légitime relevant de son pouvoir discrétionnaire. Le caractère approprié du deuxième avis donné par Mme Pelland relativement à une réponse à la qualification E1 ou E4 pourrait être débattu, mais elle a expliqué que son rôle en tant qu’experte en méthode d’évaluation consistait à assurer l’uniformité et la conformité des critères du comité de sélection. Elle l’a fait en se fondant sur son expérience dans de nombreux processus de nomination antérieurs, sur ses connaissances des exigences de la gestionnaire d’embauche et sur ses connaissances des analyses de données effectuées typiquement dans le cadre du travail à la Division de la banque d’emplois. Je retiens ce témoignage.

[240] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le plaignant n’a pas établi l’allégation relative à la première question, selon la prépondérance de la preuve.

2. Question 2 : Le défendeur a‑t‑il commis un abus de pouvoir lorsqu’il a utilisé un ECM peu clair et peu élaboré?
3. Question 3 : Le défendeur a‑t‑il commis un abus de pouvoir lorsqu’il a établi les qualifications essentielles énoncées dans l’ECM?

[241] Le plaignant soutient que l’ECM était peu clair et peu élaboré. Il a également fait valoir que l’ECM ne mentionnait pas que les lettres d’accompagnement seraient utilisées pour évaluer le souci du détail des candidats et ne précisait pas la longueur des réponses.

[242] Le plaignant n’a pas été éliminé du processus de nomination en raison de sa lettre d’accompagnement, mais plutôt en raison de ses réponses dans le corps de sa demande aux questions posées relativement aux qualifications E1 et E4. La question de savoir si l’ECM met particulièrement l’accent sur les détails me semble peu importante. Les candidats ont été évalués en fonction de la façon dont ils ont répondu aux questions figurant dans le formulaire de demande. Les détails fournis dans leurs réponses sur le formulaire, ou l’absence de détails, est ce qui importe. Les candidats n’auraient pas pu supposer raisonnablement qu’ils n’avaient pas à être attentifs aux détails lorsqu’ils remplissaient le formulaire. À mon avis, l’argument du plaignant à cet égard n’établit pas clairement un abus de pouvoir.

[243] Le plaignant a cité Poirier, au paragraphe 52, qui énonce ce qui suit :

52. Selon ces lignes directrices, les candidats ont droit à une possibilité raisonnable et équitable de voir leur candidature prise en considération pour des postes dans la fonction publique. Cette possibilité raisonnable de prise en considération suppose des instructions claires, appliquées de façon uniforme, ainsi que des mesures appropriées pour corriger les erreurs et régler les problèmes qui peuvent survenir au cours du processus d’évaluation.

 

[244] Évidemment, il n’y a rien de litigieux dans ce que Poirier exige. La contestation du plaignant, à la suite de Poirier, visait à établir que les directives n’étaient pas claires. À mon avis, les éléments de preuve qu’il a présentés ne répondent pas à ce critère. En ce qui a trait à la question 1, je n’ai pas non plus été convaincu que la façon dont le comité de sélection a appliqué les directives et mené le processus de sélection révèle un abus de pouvoir. Je souligne également que le demandeur dans Poirier avait mal interprété les directives de l’annonce d’emploi et avait été éliminé en conséquence. Pour autant que je le sache, le plaignant en l’espèce n’a pas soutenu qu’il avait mal interprété les directives.

[245] En ce qui concerne la question relative à la longueur des réponses, les demandes examinées dans le cadre du processus (pièces C‑4 et C‑16) indiquent qu’on a demandé aux candidats [traduction] « [...] d’expliquer la façon dont [ils] possédaient cette expérience en environ 300 mots » pour chaque facteur d’expérience. Grâce à ces directives, les candidats ne pouvaient avoir de doute quant aux paramètres généraux de leurs réponses. Le fait que l’ECM soit silencieux quant à la longueur des réponses ne peut certainement pas être considéré comme une omission sérieuse qui est suffisante pour établir un abus de pouvoir.

[246] Le plaignant a souligné l’absence de définitions des qualifications évaluées comme un indicateur d’abus de pouvoir, en citant Healey, au paragraphe 60. Il est vrai que l’ECM énonce les qualifications recherchées dans les qualifications E1 et E4 et dans les autres qualifications essentielles, sans proposer une définition plus détaillée. Le formulaire de demande (pièce C‑6) reprend les mêmes énoncés sous forme de questions. S’agissait‑il d’une faute majeure équivalant à un abus de pouvoir? Le manque de définitions plus détaillées peut être critiqué, mais à défaut d’éléments de preuve supplémentaires selon lesquels les candidats ont effectivement mal compris ce qui était requis en raison de la brièveté ou de l’absence de définitions, il est dangereux de déclarer une preuve concluante d’abus de pouvoir. Évidemment, le témoignage du plaignant, pris dans son ensemble, a indiqué qu’il avait une bonne appréciation de ce qui était demandé dans le processus de sélection. Ses arguments selon lesquels il possédait pleinement les qualifications requises ne laissent pas non plus entendre un manque de compréhension de ce que les qualifications E1 et E4 concernaient.

[247] Je souligne également Neil c. Sous‑ministre d’Environnement Canada, 2008 TDFP 4, au paragraphe 51, qui est ainsi rédigé :

[51] Toutefois, le fait de ne pas informer les candidats de la définition précise d’un critère de mérite ne constitue pas, en soi, un abus de pouvoir. La qualification choisie par les gestionnaires et en fonction de laquelle les candidats seraient évalués figurait dans l’énoncé des critères de mérite. Le Tribunal estime que cette qualification était suffisamment détaillée pour permettre aux candidats de démontrer qu’ils la possédaient.

[248] Selon le plaignant, l’accent que l’ECM mettait sur les données sur le marché du travail était indûment limité et favorisait les candidats qui travaillaient déjà à EDSC. Un pourcentage complet de 87 % (7 de 8) des candidats d’EDSC ont été retenu, mais uniquement 29 % (5 de 17) des candidats de l’extérieur d’EDSC ont été retenus. Il a fait valoir qu’il n’était pas nécessaire qu’un candidat ait des connaissances des marchés du travail pour bien faire le travail.

[249] Le plaignant a droit à son opinion selon laquelle il n’était pas nécessaire qu’il possède des connaissances des données sur le marché du travail pour bien exécuter le travail, mais son opinion ne permet pas de trancher la question. Il n’est pas contesté que la LEFP autorise les administrateurs généraux à établir des critères de mérite, à condition que les qualifications essentielles se rapportent au travail à accomplir et qu’elles respectent la norme de qualification établie par l’employeur (alinéa 30(2)a), paragraphe 31(1), (2) et article 36). La jurisprudence a souvent confirmé la latitude accordée à l’administrateur général en ce qui concerne les méthodes d’évaluation; voir, par exemple, Visca c. Sous‑ministre de la Justice, 2007 TDFP 24, au paragraphe 51, ou Jolin, au paragraphe 77, qui mentionne ce qui suit :

77 L’article 36 de la LEFP prévoit que l’administrateur général peut avoir recours à toute méthode d’évaluation indiquée dans un processus de nomination interne. Pour que le Tribunal considère qu’il y ait abus de pouvoir dans le choix des méthodes d’évaluation, la plaignante doit démontrer que le résultat est inéquitable et que les méthodes d’évaluation sont déraisonnables et ne peuvent évaluer les qualifications prévues à l’énoncé des critères de mérite, qui n’ont aucun lien avec ceux‑ci ou qu’elles sont discriminatoires.

 

[250] Dans le processus de sélection en litige, l’accent a été mis sur les données sur le marché du travail, ce qui découle légitimement du pouvoir discrétionnaire de l’administrateur général. Le plaignant n’a présenté aucun élément de preuve permettant d’établir que le travail du poste n’exigeait pas une expérience relative aux données sur le marché du travail; la norme de sélection de l’employeur n’a pas non plus été remise en question. L’accent mis sur les données sur le marché du travail semble n’avoir été ni injuste, ni déraisonnable, ni discriminatoire.

[251] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le plaignant n’a pas établi, selon la prépondérance de la preuve, que l’administrateur a commis un abus de son pouvoir discrétionnaire relativement à l’ECM. Les allégations invoquées dans les questions 2 et 3 ne sont pas fondées.

4. Question 4 : Le défendeur a‑t‑il commis un abus de pouvoir lorsqu’il a nommé des candidats qui ne possédaient pas les qualifications essentielles, violant ainsi le principe du mérite énoncé au paragraphe 30(2) de la LEFP?

[252] J’ai indiqué plus tôt mon point de vue selon lequel le plaignant n’a présenté aucune preuve de fond à l’appui de cette allégation. Il a confirmé mon observation dans son dernier argument en affirmant que la preuve démontrant que les candidats retenus n’étaient pas qualifiés existe quelque part en la possession de l’administrateur général, mais que le défendeur ne l’a pas présentée à l’audience.

[253] Il incombe au plaignant d’établir l’allégation. Il n’incombe pas au défendeur de présenter des éléments de preuve susceptibles d’étayer la position du plaignant. Il ressort clairement de ses paroles qu’il a présenté sa quatrième allégation sans aucune preuve. Il aurait pu citer à témoigner les candidats retenus, mais il ne l’a pas fait. À cet égard, il a agi de manière irresponsable. Il a contesté les candidats retenus en se fondant uniquement sur des conjectures en présentant à la Commission une allégation qui nécessitait inutilement son attention et celle du défendeur. S’il s’agissait de la seule allégation dans sa plainte, je l’aurais rejetée pour des motifs de mauvaise foi, en invoquant le pouvoir conféré par l’article 21 de la LCRTESPF, qui dispose ce qui suit : « La Commission peut rejeter de façon sommaire toute affaire qu’elle estime futile, frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. »

[254] Je conclus que le plaignant n’a pas établi l’allégation de la quatrième question, selon la prépondérance de la preuve.

5. Question 5 : Le défendeur a‑t‑il commis un abus de pouvoir en faisant preuve d’une crainte raisonnable de partialité en faveur des personnes nommées?

[255] Les principaux arguments présentés par le plaignant à l’appui de son allégation de partialité étaient les suivants :

[Traduction]

 

1. que certains des candidats retenus ont rédigé des réponses semblables aux siennes, mais ils ont été sélectionnés;

2. que le processus favorisait les candidats internes;

3. que Mme Pelland a fait preuve d’hostilité envers lui pendant leur conversation téléphonique;

4. que le défendeur a tenté de le diffamer antérieurement, ainsi qu’à l’audience et qu’une telle preuve peut servir à déduire les points de vue de l’administrateur général au moment de l’exécution du processus de sélection.

[256] Dans la section IV(E), j’ai confirmé que le critère pour établir une crainte raisonnable de partialité demeure tel qu’il a été énoncé à l’origine dans Committee for Justice and Liberty, comme suit :

[...]

La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[...]

 

[257] À mon avis, aucun des arguments présentés par le plaignant ne répond au critère.

[258] Compte tenu des renseignements disponibles, il est impossible de comparer directement les réponses données par les candidats retenus (qui n’ont pas été identifiés de manière concluante) à celles fournies par le plaignant; il ne s’agit pas non plus du rôle de la Commission. Son argument à cet égard constitue plutôt une opinion ou une conjecture qui ne comporte aucune preuve fiable. Par conséquent, il n’y a aucune possibilité pour une personne « raisonnable et bien informée » de conclure que la tendance relative aux évaluations révèle une crainte raisonnable de partialité.

[259] Les éléments de preuve quant au succès comparatif des candidats internes et externes ne sont, au mieux, pas concluants. L’observateur raisonnable conclurait que des candidats internes et externes ont été retenus dans le cadre du processus.

[260] En ce qui concerne l’affirmation du plaignant selon laquelle Mme Pelland a fait preuve d’une [traduction] « hostilité inexplicable » envers lui pendant leur conversation téléphonique, dont elle ne se souvient pas, je dois encore garder à l’esprit le fait qu’il a témoigné que son souvenir de la conversation [traduction] « n’était pas frais », ce qui a soulevé la possibilité qu’il ait exagéré le ton et la teneur de ses commentaires. Si j’acceptais effectivement qu’elle a fait preuve d’hostilité pendant l’appel, est-ce qu’il y aurait un risque qu’une crainte raisonnable de partialité soit soulevée?

[261] Je crois que non. Vraisemblablement, notre personne bien informée conclurait que l’hostilité dont a fait preuve un membre du comité de sélection au cours d’une conversation qui s’est déroulée bien après que le comité ait décidé d’éliminer le plaignant en vertu des qualifications E1 et E4 ne pourrait raisonnablement être acceptée comme une preuve permettant d’établir la partialité au moment de la décision. En outre, la prépondérance de la preuve remettrait en question la possibilité de la partialité de la part des évaluateurs au moment où ils ont évalué le plaignant, étant donné qu’il n’existe aucun élément de preuve indiquant qu’un ou plusieurs membres le connaissaient à cette époque. Pour en être certain, Mme Pelland a témoigné directement qu’elle ne le connaissait pas au moment de la sélection.

[262] J’ai déjà conclu que l’approche du défendeur et sa conduite à l’audience ne révélaient aucune diffamation. Le plaignant s’est fermement opposé à la présentation de documents par le défendeur concernant sa carrière précédente – que je n’ai finalement pas admis – mais il a ouvert la voie à ce type d’éléments de preuve lorsqu’il a tenté d’établir la nécessité d’une ordonnance d’anonymisation de l’intitulé, étant donné la possibilité que les employeurs éventuels puissent trouver des renseignements négatifs à son égard sur Internet. Le fait que le défendeur ait adopté cette voie et ait cerné des renseignements négatifs à son sujet qui étaient facilement accessibles au moyen d’une recherche Google n’a pas permis d’établir la diffamation. Il a signalé des documents consignés à son sujet qui étaient clairement dans le domaine public, en tant que tactique de contre‑interrogatoire. Étant donné que je n’ai pas admis les documents pour des motifs de pertinence, la tactique n’a eu aucune incidence sur ma décision. De plus, et plus précisément, le témoignage indiquait que Mme Pelland n’avait aucune connaissance du plaignant lorsqu’elle l’a éliminé et que, à ce moment‑là, elle n’avait jamais effectué une recherche sur Internet pour obtenir des renseignements à son sujet.

[263] Si j’avais accepté le fait qu’il existait un élément diffamatoire dans l’approche du défendeur à l’audience, ce que je n’ai clairement pas fait, je ne peux retenir les arguments du plaignant qu’il s’agirait d’une preuve de partialité qui pourrait servir à déduire les points de vue de l’administrateur général au moment de l’exécution du processus de sélection. Cette logique échapperait certainement à un observateur raisonnable. Comment des mesures ou des déclarations qui ont précédé l’audience et ensuite au cours de l’audience peuvent-elles établir la partialité dont ont fait preuve les membres du comité de sélection il y a plus de trois ans? Elles ne le peuvent pas.

[264] Je souligne, entre parenthèses, que le sens juridique général de la « diffamation » renvoie au préjudice à la réputation d’une autre personne en faisant une fausse déclaration écrite ou orale à son sujet à un tiers. Si j’avais admis les pièces proposées par le défendeur, le plaignant aurait eu à s’acquitter du fardeau d’établir que le contenu écrit était faux.

[265] Je conclus que le plaignant n’a pas établi l’allégation relative à la cinquième question, selon la prépondérance de la preuve, à l’aide du critère énoncé dans Committee for Justice and Liberty.

6. Question 6 : Le défendeur a‑t‑il commis un abus de pouvoir lorsqu’il a mis sur pied le comité de sélection composé de membres non qualifiés?

[266] Le plaignant a stipulé que son allégation concernant les qualifications des membres du comité de sélection ne visait que Mme Pelland.

[267] Je dois souligner que, dans son argumentation finale, le plaignant a soulevé un doute considérable à l’égard de son allégation. À un moment donné, il a soutenu que son expérience en dotation était vaste et, à cet égard, comparable à celle de Mme Pelland. Comment alors n’était‑elle pas qualifiée si, comme le plaignant, elle possédait une [traduction] « vaste » expérience?

[268] La réponse est claire. La vaste expérience de Mme Pelland à mener des processus de dotation pour la Division de la banque d’emplois était bien consignée, tout comme sa formation élargie et pertinente pour de tels processus. Le témoignage du plaignant au sujet de son expérience en dotation ne laissait guère entendre des qualifications comparables.

[269] Le seul élément possible en litige concernant les qualifications de Mme Pelland à exercer son rôle au sein du comité de sélection concerne l’affirmation du plaignant selon laquelle elle n’est pas une experte en analyse de données ou ne possède pas au moins le niveau d’expertise en analyse de données que d’autres pourraient posséder.

[270] Le plaignant n’a présenté aucune preuve convaincante et concrète à l’appui de son affirmation. D’autre part, Mme Pelland a témoigné qu’elle avait travaillé pendant de nombreuses années à la Division de la banque d’emplois et qu’elle connaissait la nature de son travail. Dans son témoignage, elle a également affirmé que sa compréhension des compétences en analyse de données requises pour le poste était fondée à la fois sur la description de travail détaillée (pièce C‑1) et sur les commentaires de la gestionnaire responsable de l’embauche au moment de l’élaboration de l’ECM.

[271] Dans l’ensemble, le plaignant ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve consistant à établir l’allégation relative à la question 6.

7. Question 7 : Le défendeur a‑t‑il commis un abus de pouvoir en faisant preuve de discrimination à l’égard du plaignant?

[272] Selon l’article 80 de la LEFP, la Commission peut interpréter et appliquer la LCDP dans son analyse d’une plainte d’abus de pouvoir aux termes de l’article 77. L’article 7 de la LCDP est ainsi rédigé :

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

 

[273] Les motifs de distinction illicite en vertu de la LCDP sont décrits comme suit au paragraphe 3(1) :

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

 

[274] La Commission compte un vaste éventail de jurisprudence sur les allégations de discrimination dans les plaintes relatives à la dotation. Le plaignant connaît très bien l’approche fondamentale, qui exige qu’un plaignant établisse une preuve prima facie de discrimination; elle a été décrite en détail par le décideur érudit dans Abi‑Mansour 2016. Cette décision a examiné, entre autres, Shakes, Israeli et O’Malley. Dans Abi‑Mansour 2016, contrairement à ce qui s’est passé en l’espèce, les parties ne se sont pas entendues quant à la décision précise à suivre afin de déterminer si une preuve prima facie de discrimination avait été établie. Je trouve utile de citer Abi‑Mansour 2016 de façon assez détaillée, comme suit :

[...]

74 Pour conclure qu’il y a eu discrimination, la Commission doit d’abord déterminer si le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination. Dans l’affirmative, l’intimé doit présenter une explication non discriminatoire raisonnable pour la pratique qui serait autrement discriminatoire, à défaut de quoi on conclura à la discrimination (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 536 (« O’Malley »)).

75 Le plaignant et l’intimé ne s’entendent pas sur le critère que je devrais appliquer afin de déterminer si le plaignant a satisfait à l’exigence de la preuve prima facie. Le plaignant a fondé ses arguments sur Shakes v. Rex Pak Ltd. (1981), 3 C.H.R.R. D/1001 et Israeli c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), (1983) 4 C.H.H.R. D/1616; l’intimé a fondé son argument sur Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4. Je conclus que, dans les circonstances de cette affaire, tous les critères mènent à la même conclusion, soit qu’il n’y a pas de preuve prima facie de discrimination.

76 Comme il est indiqué dans Abi‑Mansour c. le sous‑ministre des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, 2012 TDFP 8, le critère dans Shakes peut être résumé comme suit :

· le plaignant était qualifié pour l’emploi en cause;

· le plaignant n’a pas été embauché;

· une personne qui n’était pas plus qualifiée, mais qui n’avait pas le trait distinctif à l’origine de la plainte de discrimination a obtenu le poste.

77 Le critère dans Israeli a été appliqué dans Abi‑Mansour c. sous‑ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada, 2013 TDFP 6, et il indique ce qui suit :

· le plaignant appartient à l’un des groupes susceptibles d’être victimes de discrimination aux termes de la LCDP, du fait, par exemple, de sa race ou de son origine nationale ou ethnique;

· le plaignant s’est porté candidat à un poste que l’employeur désirait doter et il possédait les qualifications voulues;

· sa candidature a été éliminée en dépit du fait qu’il était qualifié;

· par la suite, l’employeur a continué d’étudier les demandes de candidats possédant les mêmes qualifications que le plaignant.

78 Dans McGill, aux paragraphes 49 et 50, le juge Abella a résumé le critère pour une preuve prima facie de discrimination de la manière qui suit :

[49] Il en résulte une différence entre discrimination et distinction. Les distinctions ne sont pas toutes discriminatoires. Il ne suffit pas de contester le comportement d’un employeur pour le motif que ce qu’il a fait a eu une incidence négative sur un membre d’un groupe protégé. La seule appartenance à un tel groupe n’est pas suffisante pour garantir l’accès à une réparation fondée sur les droits de la personne. C’est le lien qui existe entre l’appartenance à ce groupe et le caractère arbitraire du critère ou comportement désavantageux – à première vue ou de par son effet – qui suscite la possibilité de réparation. Et ce fardeau de preuve préliminaire incombe au plaignant.

[50] Si l’existence de ce lien est établie, il y a alors preuve prima facie de l’existence de discrimination. C’est à ce stade que le critère de l’arrêt Meiorin s’applique et qu’il appartient alors à l’employeur de justifier le comportement discriminatoire à première vue. Si le comportement est justifié, il n’y a pas de discrimination.

79 Le juge Abella a ajouté ce qui suit, au paragraphe 53 : « Il n’est pas nécessaire de justifier ce qui, à première vue, n’est pas discriminatoire. »

80 Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (procureur général), 2005 CAF 154 (« Morris »), la Cour d’appel fédérale a abordé la question du critère juridique approprié pour déterminer si une preuve prima facie de discrimination a été établie dans le contexte de la dotation. M. Morris s’est plaint qu’il n’avait pas été promu, contrairement à ses attentes, en raison d’une discrimination fondée sur l’âge. La Cour d’appel fédérale a réaffirmé le critère préconisé dans O’Malley de la preuve prima facie, comme suit au paragraphe 14 : [...] « la preuve fournie par la Commission était suffisante, dans la mesure où l’on y ajoutait foi et en l’absence d’explications raisonnables, pour établir le bien‑fondé de la plainte. »

81 Dans la même décision, la Cour d’appel fédérale a formulé les commentaires qui suivent au sujet de Shakes et Israeli :

[26] À mon avis, l’arrêt Lincoln [Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 FCA 204] est déterminant : l’arrêt O’Malley indique le critère juridique de la preuve prima facie de discrimination à appliquer en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les décisions Shakes et Israeli indiquent simplement la preuve qui, si l’on y ajoute foi et si l’intimé ne donne pas d’explications satisfaisantes, suffira pour que le plaignant ait gain de cause dans certains contextes d’emploi.

[...]

[275] Le plaignant a soutenu que la Commission peut appliquer Shakes, Israeli ou O’Malley, qui permettront toutes de parvenir à la même conclusion. Le défendeur, dans son argumentation, a renvoyé principalement à O’Malley.

[276] J’ai décidé d’être guidé par O’Malley parce que, contrairement à Shakes et à Israeli, elle n’exige pas de conclure que le plaignant soit qualifié ni à l’existence d’une présomption à cet effet. (Par exemple, il convient de noter que l’absence de preuve permettant d’établir que le plaignant possédait les qualifications essentielles a amené le décideur dans Abi‑Mansour 2016 à conclure qu’il ne répondait pas à un des éléments des critères énoncés dans Shakes et Israeli.)

[277] O’Malley m’amène à poser les trois questions suivantes : Le plaignant possède‑t‑il une caractéristique protégée par la LCDP? A‑t‑il subi un effet préjudiciable? Sa caractéristique protégée a‑t-elle joué un rôle dans la décision?

[278] La réponse à la première question est la suivante : le plaignant possède une caractéristique protégée par la LCDP, qu’il s’agisse de race, d’origine nationale ou d’origine ethnique. Il s’auto‑identifie de manière variée, comme Arabe, comme Asiatique occidental ou comme d’origine libanaise. Il s’est aussi décrit comme un « immigrant » afin de se distinguer des autres candidats. La LCDP ne considère pas en soi le fait d’être un immigrant comme un motif de distinction illicite.

[279] Le plaignant a‑t‑il subi un effet préjudiciable? Oui. Il a été éliminé du processus de sélection, ce qui l’a empêché de bénéficier d’un emploi à ESDC.

[280] La caractéristique protégée du plaignant a‑t‑elle joué un rôle dans la décision? Ou, pour reprendre les paroles du défendeur, existait‑il un lien entre la décision de l’éliminer et la caractéristique ou les caractéristiques protégées en vertu de la LCDP?

[281] Le fardeau du plaignant en vertu du critère de la preuve prima facie consiste à présenter une preuve qui, si elle est présumée vraie, permet d’établir une preuve suffisante de discrimination.

[282] Le plaignant a fait valoir que le défendeur a fait preuve de discrimination à son égard fondée sur la race, l’origine nationale et l’origine ethnique parce que deux des candidats nommés ne possédaient pas ses caractéristiques d’identification – Moyen‑Orient, Arabe et Libanais. Il a reconnu que le statut de l’autre candidat nommé est inconnu.

[283] Le problème est qu’il n’existe aucune preuve directe et fiable qui précise les caractéristiques d’identification des candidats retenus. Leur nom est connu, mais les noms à eux seuls n’établissent pas de manière concluante leur identité. Les statuts concernant l’équité en matière d’emploi des candidats sont disponibles (pièce C‑18), mais il est impossible de déterminer directement ceux qui ont été nommés. Le plaignant aurait pu régler la question en citant à témoigner les candidats retenus, mais il ne l’a pas fait.

[284] Seuls deux autres renseignements sont disponibles. Tout d’abord, au début de la procédure, le défendeur a confirmé que deux des candidats nommés se sont auto‑identifiés comme appartenant à des groupes d’équité en matière d’emploi. Même si le plaignant soutient que le seul élément de preuve qu’il a présenté devrait servir à déterminer s’il a présenté une preuve prima facie, il semble juste d’inclure des renseignements présentés par le défendeur à cette fin. Le deuxième élément d’information que le plaignant fait valoir (fondé sur la pièce C‑18) est que les taux de réussite à l’étape de sélection initiale des candidats appartenant à des minorités visibles (45 %) étaient inférieurs à ceux des autres candidats (55 %). Dans les arguments du plaignant, ce fait établit directement une preuve prima facie de discrimination. Il a cité Basi à l’appui.

[285] Malheureusement, le plaignant n’a pas indiqué exactement ce que Basi étaye dans ses arguments; il n’a pas cité non plus de paragraphes particuliers qui devraient guider la Commission. J’ai lu Basi et il convient de noter que le décideur a conclu que la preuve établissait que le plaignant dans cette affaire répondait à tous les éléments du critère énoncé dans Shakes, y compris qu’il était qualifié pour le poste. Ce n’est pas le cas dans la présente plainte devant la Commission.

[286] La preuve invoquée par le plaignant permet‑elle d’établir que ses caractéristiques d’identification ont joué un rôle dans la décision de présélection? (Il convient de noter que la jurisprudence est claire : ils ne doivent constituer qu’un facteur parmi peut‑être plusieurs facteurs. Je suis également d’accord avec lui pour dire que, selon la jurisprudence, il n’est pas nécessaire d’établir l’intention.) Puisque deux candidats retenus possédaient ses caractéristiques d’auto‑identification selon lesquelles ils étaient des membres de groupes d’équité en matière d’emploi, cette caractéristique en soi ne semble pas avoir joué un rôle dans la décision de sélection. Le plaignant poursuit en quantifiant ce qu’il décrit comme la différence dans les taux de réussite entre les candidats appartenant à des minorités visibles et les autres candidats. Même si je ne peux pas accepter qu’il soit possible de déduire le statut de minorité visible en se fondant sur les éléments de preuve disponibles relatifs au statut concernant l’équité en matière d’emploi, je ne serais pas convaincu par ailleurs que l’importance de la différence calculée par le plaignant suffirait pour établir une tendance claire. Si un autre candidat ayant le statut de minorité visible allégué avait été retenu à l’étape de la sélection (parmi 16) et un autre sans ce statut allégué avait été éliminé (parmi 8), le résultat comparatif serait inversé; c’est‑à‑dire, les candidats ayant un statut de minorité visible allégué auraient joui d’un taux de réussite plus élevé que celui des autres candidats. En fin de compte, comme je l’ai mentionné, tout ce que la preuve permet d’établir de manière fiable est que l’auto‑identification en tant que membre d’un groupe d’équité en matière d’emploi ne semble pas avoir joué un rôle dans la décision de sélection.

[287] Le plaignant a soutenu, apparemment à titre subsidiaire, que les candidats retenus ne possédaient pas sa caractéristique d’identification en tant qu’immigrant. Cela pourrait bien être le cas, mais il n’a présenté aucun élément de preuve à cet effet, uniquement des conjectures. Aux fins du critère prima facie, un fait allégué peut être considéré comme véridique, mais il doit exister au moins une certaine impression qu’il y a un fondement pour l’invoquer. En l’espèce, tout simplement, on ne sait rien des statuts d’immigration des autres candidats. En outre, tel qu’il a été indiqué, les motifs de distinction illicites en vertu de la LCDP ne comprennent pas le statut d’immigrant en soi. L’origine nationale des candidats, si elle est connue, pourrait laisser entendre leur statut d’immigration, mais le plaignant n’a présenté aucun renseignement fiable sur cette caractéristique distinctive.

[288] Enfin, le plaignant a examiné brièvement la question des diplômes étrangers dans le cadre de ses arguments, en alléguant que ses diplômes provenant d’un établissement étranger constituaient une caractéristique d’identification qui permettait de le distinguer des candidats retenus et, par déduction, que cette caractéristique a joué un rôle dans la décision de sélection. Étant donné que j’ai conclu effectivement que le défendeur n’a pas éliminé le plaignant en vertu du facteur des études, je n’ai pas à examiner cette allégation.

[289] Je conclus de ce qui précède que le plaignant n’a pas établi qu’une caractéristique protégée a joué un rôle dans la décision de l’éliminer au sens d’O’Malley. Par conséquent, la Commission ne peut conclure qu’il a établi une preuve prima facie de discrimination.

[290] Par conséquent, le plaignant ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve consistant à établir l’allégation de la question 7.

VIII. Les conclusions

[291] Mon analyse des six premières allégations soulevées par le plaignant a révélé que, dans chaque cas, il n’a pas réussi à démontrer qu’il y a eu abus de pouvoir selon la prépondérance de la preuve. En ce qui concerne la septième allégation, j’ai conclu qu’il n’avait pas établi une preuve prima facie de discrimination.

[292] Compte tenu de mes conclusions, la plainte doit être rejetée.

[293] Je tiens à souligner que, dans ces motifs, je n’ai pas répondu aux échanges faits au cours de l’audience au sujet de l’interdiction imposée au plaignant de se présenter sur certains lieux du défendeur. Je n’ai accordé aucune importance à ces échanges aux fins de ma décision, ni en tant que preuve présumée que le défendeur l’a diffamé d’une façon ou d’une autre ni pour établir une allégation de partialité dans le cadre du processus de sélection initial.

[294] Je dois également souligner que, même si le plaignant a accusé rapidement le défendeur de l’avoir diffamé, il n’a pas répugné à attaquer personnellement les décideurs de la Commission, à critiquer la Cour d’appel fédérale, à laisser entendre que les représentants de l’administrateur général avaient caché ou modifié des renseignements et – peut‑être le plus grave – à essentiellement attaquer l’ensemble du processus de recours, dont les éléments ont été qualifiés, à un moment donné de la procédure, [traduction] de « blague ».

[295] À mon avis, l’approche adoptée par le plaignant pour faire valoir sa plainte, au stade de l’audience et parfois avant cette dernière, soulève des questions quant à sa bonne foi. Plus d’une fois au cours de l’audience, je me suis demandé s’il s’intéressait plus à présenter des thèmes généraux de mécontentement concernant le régime de recours et à promouvoir ses autres points de vue quant à la façon dont il devrait fonctionner plutôt que de faire valoir le bien-fondé particulier de ses allégations. Il ressort clairement du nombre de plaintes qu’il a déposées auprès de la Commission qu’il n’hésite pas à participer à une action en justice. C’est certainement son droit, mais cela ouvre la voie à des arguments possiblement répétitifs. Lorsque des décisions antérieures ou le poids de la jurisprudence militent clairement contre un argument, il est problématique de le soulever à nouveau en l’absence de nouvelles circonstances importantes. Il peut prolonger et compliquer inutilement le litige et, dans le pire des cas, assujettir le plaideur à une conclusion de vexation ou de mauvaise foi.

[296] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IX. Ordonnance

[297] La demande d’anonymisation de l’intitulé présentée par le plaignant est rejetée.

[298] Les trois documents déposés et inscrits provisoirement comme les pièces R‑1 à R‑3 ne sont pas admis et seront éliminés du dossier.

[299] La plainte est rejetée.

Le 6 avril 2020.

Traduction de la CRTESPF

D. Butler,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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