Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que l’employeur a contrevenu à l’article 19 (l’article sur l’élimination de la discrimination) de la convention collective conclue entre ce dernier et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services des programmes et de l’administration, ainsi qu’à la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H 6) puisqu’il n’a pas pris les mesures d’adaptation appropriées à l’égard de son incapacité – l’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission pour entendre le grief parce que ce dernier n’a pas été renvoyé du deuxième au troisième palier de la procédure de règlement des griefs dans le délai indiqué dans la convention collective – la convention collective indique qu’un fonctionnaire s’estimant lésé peut présenter un grief à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs qui suit le premier, lorsque la décision ou la solution ne lui donne pas satisfaction, dans les 10 jours qui suivent la date à laquelle la décision lui a été communiquée par écrit par l’employeur – si l’employeur ne lui a pas communiqué de décision au cours du délai prescrit par la convention collective, le fonctionnaire s’estimant lésé peut présenter le grief au palier suivant dans les 15 jours qui suivent la présentation du grief au palier précédent – l’employeur a soutenu que la fonctionnaire s’estimant lésée aurait dû porter son grief au palier suivant dans les 15 jours suivant la présentation de son grief au deuxième palier – plutôt que de porter le grief au troisième palier dès que possible, elle a attendu la réponse de l’employeur – elle a soutenu que la convention collective prévoyait deux solutions de rechange et qu’elle a attendu une réponse avant de présenter le grief au palier suivant – la Commission a conclu que, même si la fonctionnaire s’estimant lésée avait pu porter son grief au palier suivant 15 jours après sa présentation, il n’était pas obligatoire qu’elle le fasse; elle avait le droit d’attendre la réponse de l’employeur – l’employeur n’a pas contesté le fait que le grief avait été renvoyé au troisième palier dans les 10 jours suivant sa décision au deuxième palier.

Objection rejetée.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1]  Rose Halleran, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a déposé un grief le 24 mars 2015, dans lequel elle a allégué que le Conseil du Trésor (l’« employeur ») a contrevenu à la clause 19 (l’article sur l’élimination de la discrimination) de la convention collective conclue entre l’employeur et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services des programmes et de l’administration, qui est venue à échéance le 20 juin 2014 (la « convention collective »), ainsi qu’à la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6). La fonctionnaire allègue que l’employeur n’a pas pris les mesures d’adaptation appropriées à l’égard de son incapacité.

[2]  L’affaire a été renvoyée à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») le 12 décembre 2019. L’employeur s’oppose à la compétence de la Commission pour entendre cette affaire au motif du respect des délais. Il allègue que le grief est hors délai parce qu’il n’a pas été renvoyé du deuxième au troisième palier de la procédure de règlement des griefs en temps opportun, conformément à la clause 18.16b) de la convention collective.

II.  Contexte

[3]  La réponse de l’employeur au grief au premier palier a été fournie le 4 mai 2015. Le grief a ensuite été mis en suspens à la demande de la fonctionnaire jusqu’en août 2017. La consultation du grief au deuxième palier a été tenue le 23 août 2017. La réponse de l’employeur au deuxième palier est datée du 29 septembre 2017. La fonctionnaire a présenté son grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs le 21 décembre 2017.

[4]  La clause 18.17 de la convention collective en vigueur à l’époque déclarait ce qui suit : « À tous les paliers de la procédure de règlement des griefs sauf le dernier, l’Employeur répond normalement à un grief dans les dix (10) jours qui suivent la date de présentation du grief […] ».

[5]  La clause 18.16 énonce les délais pour porter un grief au palier suivant, comme suit :

18.16 Un employé‑e s’estimant lésé peut présenter un grief à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs qui suit le premier :

a. lorsque la décision ou la solution ne lui donne pas satisfaction, dans les dix (10) jours qui suivent la date à laquelle la décision […] lui a été communiquée par écrit par l’Employeur,

ou

b. lorsque l’Employeur ne lui a pas communiqué de décision au cours du délai prescrit dans la clause 18.17, dans les quinze (15) jours qui suivent la présentation de son grief au palier précédent.

 

[6]  L’employeur affirme que, comme la consultation du grief au deuxième palier a été tenue le 23 août 2017, il avait jusqu’au 7 septembre 2017 pour fournir une réponse au deuxième palier. Toutefois, il ne l’a fait que le 29 septembre 2017. L’employeur soutient en outre qu’en l’absence d’une réponse de sa part au 7 septembre, la fonctionnaire avait jusqu’au 14 septembre 2017 pour porter son grief au palier suivant (15 jours après la présentation du grief au deuxième palier). Comme elle ne l’a pas fait, l’employeur s’est opposé au grief au motif du respect des délais au troisième palier, comme suit :

[Traduction]

À titre préliminaire, je fais remarquer que la transmission de votre grief au troisième palier était hors délai, conformément à la clause 18.16b) de la convention collective. Votre grief est donc rejeté pour ce motif.

 

[7]  La fonctionnaire fait valoir que la clause 18.16 prévoit deux possibilités : un fonctionnaire s’estimant lésé peut présenter un grief à chacun des paliers suivants soit a) dans les 10 jours qui suivent la réponse de l’employeur; soit b) en l’absence d’une réponse de l’employeur, dans les quinze (15) jours qui suivent la présentation du grief au palier précédent.

[8]  Plutôt que de porter le grief au troisième palier dès que possible, la fonctionnaire a attendu la réponse de l’employeur. La fonctionnaire allègue qu’il est courant entre les parties d’attendre une réponse à chaque palier de la procédure de règlement des griefs avant de porter un grief au palier suivant. L’employeur n’indique pas le contraire.

[9]  Cependant, l’employeur souligne que, comme la fonctionnaire n’a pas reçu de réponse en temps opportun le 7 septembre, elle aurait dû porter son grief au palier suivant dans les 15 jours suivant la présentation de son grief au deuxième palier, conformément à la clause 18.16b) de la convention collective.

III.  Motifs

[10]  Je suis d’accord avec la fonctionnaire que la clause 18.16 offre deux possibilités. Même si la fonctionnaire aurait pu porter son grief au palier suivant le 14 septembre en vertu de la clause 18.16b), il n’était pas obligatoire qu’elle le fasse. Elle avait le droit d’attendre la réponse (tardive) de l’employeur. Une fois reçue, selon la clause 18.16a), elle avait alors 10 jours pour le présenter au palier suivant.

[11]  Je souligne l’utilisation des termes « ou » et « peut » dans la clause de la convention collective. Ce libellé indique clairement que la fonctionnaire n’était pas tenue de présenter le grief au palier suivant immédiatement lorsque l’employeur n’a pas répondu. Lorsque l’employeur a répondu plus tard, elle a eu une autre occasion de le présenter au palier suivant, dans les 10 jours suivant la réponse de l’employeur.

[12]  L’article 95 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral porte sur les objections soulevées quant au respect des délais, comme suit :

Délai pour soulever une objection

a) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable au grief n’a pas été respecté;

[…]

Circonstance où une objection ne peut être soulevée

(2) L’objection visée à l’alinéa (1)a) ne peut être soulevée que si le grief a été rejeté au palier pour lequel le délai n’a pas été respecté et à tout palier subséquent de la procédure applicable au grief en raison de ce non‑respect.

[13]  La Commission a conclu qu’un employeur doit s’opposer, à sa première occasion, à l’omission d’un fonctionnaire s’estimant lésé de porter un grief au palier suivant dans les délais impartis. L’employeur ne peut pas aller de l’avant avec la procédure et ne formuler des objections qu’après le fait, par exemple, lorsque le grief est renvoyé à l’arbitrage devant la Commission. La Commission a réaffirmé ce principe récemment dans Pannu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 4.

[14]  Dans cette affaire, la Commission a décrit un libellé de convention collective semblable, qui établit une procédure pour présenter les griefs. Toutefois, contrairement à l’espèce, où l’employeur a répondu, quoique tardivement, l’employeur dans Pannu n’a pas répondu du tout au grief. N’ayant reçu aucune réponse de l’employeur, le fonctionnaire s’estimant lésé dans Pannu a présenté son grief au palier suivant, ce qu’il était en droit de faire. Toutefois, il ne l’a pas fait dans le délai prévu par la clause pertinente; il l’a fait environ six mois plus tard.

[15]  La Commission a conclu ce qui suit :

[…]

[39] Cependant, l’omission du fonctionnaire de transmettre son grief du deuxième au dernier palier dans le délai exigé n’est pas fatale, à moins qu’au dernier palier, l’employeur ne soulève la présente objection relative au respect des délais.

[40] Une fois que le fonctionnaire a porté son grief au dernier palier, bien que hors délai, l’employeur demeurait tenu d’y répondre dans le délai imparti. S’il voulait s’y opposer au motif qu’il était hors délai, il devait le faire au dernier palier.

[41] La jurisprudence établie par les prédécesseurs de la Commission traite de cette question dans LafranceMcWilliams et Sidhu. Dans Lafrance, il a été conclu qu’en vertu de l’article 95 du Règlement, l’employeur ne peut soulever une objection relative au délai de présentation d’un grief (comme convenu dans une convention collective ou prévu par le Règlement) que si le grief a été rejeté pour cette raison dès la première possibilité et à toutes les étapes subséquentes de la procédure applicable aux griefs. Sidhu et McWilliams suivent le raisonnement exposé dans Lafrance.

[42] La plus récente décision qui traite de l’interprétation d’une objection à la compétence découlant d’un défaut de présenter un grief dans les délais imposés par le Règlement ou par une convention collective est Emard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)2019 CRTESPF 66. Cette décision confirme la jurisprudence antérieure.

[…]

 

[16]  L’objection de l’employeur à la transmission hors délai du grief était clairement fondée sur la clause 18.16b) de la convention collective, c’est‑à‑dire que la fonctionnaire, n’ayant reçu aucune réponse dans le délai imparti à l’égard de l’employeur pour communiquer une réponse, n’a pas présenté son grief au palier suivant dans les 15 jours qui ont suivi la présentation de son grief au deuxième palier. Toutefois, comme il a été mentionné plus tôt, il ne s’agissait pas de la date limite de la fonctionnaire.

[17]  Une fois que l’employeur a fourni sa réponse au grief au deuxième palier, la clause 18.16a) est devenue le délai applicable à respecter. L’employeur ne peut pas invoquer la clause 18.16b) pour présenter son objection fondée sur le respect des délais – le libellé de la clause ne correspond tout simplement pas à l’interprétation de l’employeur.

[18]  L’employeur ne s’est pas opposé au respect des délais applicables au grief en vertu de la clause 18.16a). Son objection est fondée sur la clause 18.16b). Par conséquent, je conclus que l’objection de l’employeur concernant la compétence de la Commission ne peut être maintenue.


IV.  Ordonnance

[19]  L’objection de l’employeur est rejetée.

Le 15 juin 2020.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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