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MOTIFS DE DÉCISION  (TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Introduction

[1]  Drew Woodcock, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a commencé à travailler à l’Agence du revenu du Canada (ARC ou l’« employeur ») en juin 1985. Il prévoyait prendre sa retraite en juin 2020, soit après 35 années de service. L’employeur l’a licencié pour des motifs disciplinaires le 24 août 2016, après 31 ans de service.

[2]  Le fonctionnaire a consacré la majeure partie de sa carrière à travailler dans le service à la clientèle direct; plus récemment, il occupait un poste d’agent principal des services aux particuliers, classifié au groupe et au niveau SP-05. Toutefois, son poste a été éliminé lorsque le modèle de service de l’ARC est passé à un numéro 1-800 centralisé à l’échelle nationale. Lorsque le fonctionnaire a accepté un poste d’agent des bureaux locaux pour les non-déclarants, classifié au groupe et au niveau SP-05, ses fonctions ont considérablement changé. Son travail ne consistait plus à fournir un service direct à la clientèle; il devait plutôt veiller à ce que les contribuables non-déclarants produisent leur déclaration de revenus.

[3]  Il était évident que le fonctionnaire aimait le son précédent rôle dans le service à la clientèle, dans lequel il aidait les contribuables à régler leurs problèmes de production de déclaration. Il a exercé ce rôle pendant de nombreuses années dans un petit bureau et a appris à bien connaître certains clients. Plus récemment, le travail qu’il effectuait dans ce rôle consistait à offrir un soutien technique que les employés occupant un poste d’entrée ne pouvaient pas fournir. On lui renvoyait les questions plus complexes. Il trouvait son emploi gratifiant, était fier de son dévouement à l’égard du service à la clientèle et, comme il l’a lui-même dit, il était toujours prêt à fournir un effort supplémentaire.

[4]  Cependant, il semble que le fonctionnaire soit devenu trop à l’aise dans ce rôle et qu’il a fait fi à répétition de certaines des règles les plus fondamentales et les plus importantes de l’ARC. Lorsque l’employeur a enquêté sur ses accès au système pour les quatre années précédentes (le maximum possible, en raison de la capacité de stockage limitée), une tendance très claire s’est dégagée.

[5]  Le fonctionnaire a entre autres ignoré à répétition l’interdiction de consulter des comptes de contribuables qui ne faisaient pas partie de la charge de travail qui lui était attribuée. Du 1er janvier 2012 au 21 août 2015, il a effectué 621 accès non autorisés à 15 comptes de contribuables différents. Le fonctionnaire travaillait toujours au service à la clientèle pendant les neuf premiers mois de la période visée par l’audit. À partir du mois de novembre 2012, il était agent des bureaux locaux pour les non-déclarants. Les accès non autorisés ont été effectués au cours des deux périodes.

[6]  La plupart des comptes de contribuables qu’il a consultés étaient attribués à des proches ou à des amis et leurs proches. L’un d’eux était l’ex-conjointe d’un ami. Un autre était tout simplement un contribuable qu’il avait continué d’aider, et ce, même s’il ne travaillait plus dans le service à la clientèle. La plupart des accès, possiblement à l’exception de l’accès au compte de l’ex-conjointe d’un ami, ont été effectués afin d’accorder un traitement préférentiel aux contribuables dont il avait accédé au compte.

[7]  J’accueille l’argument de l’employeur selon lequel, dans les circonstances en l’espèce, son lien de confiance avec le fonctionnaire, qui est nécessaire à l’exécution de ses tâches, a été irrémédiablement rompu. Par conséquent, le licenciement ne constituait pas une réponse excessive à son inconduite.

II.  Contexte

[8]  En juillet 2015, l’ARC a reçu un renseignement anonyme alléguant que le fonctionnaire indiquait un état civil erroné dans ses déclarations de revenus. Cette allégation a fait l’objet d’une enquête et s’est avérée non fondée; l’enquête a toutefois mis en lumière certains accès douteux à des comptes de contribuables par le fonctionnaire. Cette découverte a mené à un examen par la direction locale, qui a révélé de nombreux accès non autorisés. En conséquence, une enquête plus poussée a été nécessaire.

[9]  En avril 2016, la Division des affaires internes et du contrôle de la fraude (DAICF) de l’ARC a lancé une enquête. Le fonctionnaire a été interrogé le 18 mai 2016, et a eu la possibilité de répondre aux allégations suivantes : il a accédé à répétition et sans y être autorisé à de multiples comptes de contribuables, notamment pour offrir un traitement préférentiel à 15 particulier; il s’est placé en situation de conflit d’intérêts en omettant de dire qu’il avait préparé une déclaration T1 qui contenait un revenu d’entreprise, contrairement à la politique; il a aidé un membre de la famille à régler ses affaires fiscales privées en lui donnant un accès privilégié à des renseignements confidentiels; il a fait des remarques inappropriées sur les mesures prises par l’ARC à l’égard du compte de ce membre de sa famille.

[10]  Le fonctionnaire était accompagné d’un représentant syndical. On lui a présenté la piste de vérification, indiqué le nom de chacun des contribuables dont il avait accédé au compte et donné l’occasion de s’expliquer. À la fin de l’entrevue, il a lu les notes que l’enquêteuse a prises sur ses réponses et a reconnu leur exactitude en signant chacune des pages. Rien ne portait à croire à un manquement à l’équité procédurale dans le processus d’enquête.

[11]  Au départ, le fonctionnaire a nié toutes les allégations. Il a nié avoir produit des déclarations d’impôts autres que les siennes et celles de deux de ses proches. Il a nié avoir fait des accès non autorisés. Il a nié avoir produit une déclaration de revenus dans laquelle un revenu d’entreprise était déclaré.

[12]  Cependant, lorsqu’on lui a montré la piste de vérification des 621 accès, le fonctionnaire a avoué les avoir effectués. Lorsqu’on lui a montré la preuve de la déclaration du revenu d’entreprise, il a avoué avoir produit la déclaration, tout en indiquant qu’il ignorait que cela allait à l’encontre de la politique. Il n’a pas été franc pendant l’interrogatoire, comme l’a suggéré son représentant. Il a plutôt commencé par tout nier en bloc; lorsque l’employeur lui a présenté des preuves, le fonctionnaire a progressivement avoué son inconduite.

[13]  En outre, bien qu’il ait fini par reconnaître son inconduite, le fonctionnaire a également cherché à la minimiser ou à la justifier de plusieurs façons. Lorsqu’il a été interrogé sur l’aide qu’il a fournie à l’un des membres de sa famille, il a répondu qu’il la considérait comme un service à la clientèle. Il essayait seulement d’aider; il avait été formé pour offrir un bon service et ne comprenait pas en quoi il s’agissait d’un traitement préférentiel. Selon lui, il aidait tout le monde de la même façon. Il a indiqué à l’enquêteuse avoir lu le Code d’éthique et de conduite de l’ARC (le « Code ») et l’avoir reconnu, mais il ne se rappelait pas d’avoir lu quoi que ce soit sur l’offre d’un traitement préférentiel.

[14]  Le 24 mai 2016, la DAICF a confirmé à la direction locale que le fonctionnaire avait bel et bien effectué les accès non autorisés. Il a été placé en suspension administrative pour une durée indéterminée le 9 juin 2016, en attendant l’issue de l’enquête.

[15]  Le 15 juin 2016, la DAICF a conclu dans son rapport d’enquête définitif que le fonctionnaire avait contrevenu au Code et à la Directive sur les conflits d’intérêts et l’après-mandat (la « Directive ») en vigueur à ce moment, comme suit :

  [Traduction]

[16]  Le fonctionnaire a participé à une audience disciplinaire le 28 juillet 2016, accompagné d’un représentant syndical. Une copie du rapport d’enquête a été remise au fonctionnaire et l’employeur a confirmé auprès de lui qu’il l’avait examiné. Le fonctionnaire a eu la possibilité d’expliquer la conduite décrite dans le rapport ou de donner de nouveaux renseignements. Le même jour, une entrevue de « résolution du doute » a été menée dans le cadre de la « révision pour motif valable » de sa cote de fiabilité.

[17]  Le fonctionnaire a été licencié le 24 août 2016. Le 1er septembre 2016, il a été informé que sa cote de fiabilité était révoquée. Il a déposé un grief relatif à son licenciement et deux griefs relatifs à la révocation de sa cote de fiabilité. Le 3 avril 2017, les griefs ont été renvoyés à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, maintenant appelée la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

III.  Question

[18]  À l’audience, le fonctionnaire a retiré les griefs 566-34-13951 et 13952 liés à la révocation de sa cote de fiabilité. Il ne reste donc que le grief lié au licenciement à trancher.

[19]  L’employeur a fait valoir que l’inconduite grave et répétée du fonctionnaire avait irrémédiablement rompu le lien de confiance dans la relation d’emploi et que le licenciement était la seule option viable.

[20]  Le fonctionnaire a avoué que l’inconduite s’était produite. Il a toutefois affirmé que des mesures disciplinaires progressives auraient dû être prises étant donné qu’il n’avait jamais fait l’objet de mesures disciplinaires pendant ses 31 ans de services et à la lumière d’autres facteurs atténuants. Il a demandé que l’on tienne compte du fait qu’il ne souhaitait pas retourner au lieu de travail et qu’il demandait à être réintégré  uniquement dans le but de combler l’écart financier d’ici sa retraite. Son représentant a fait valoir que le licenciement devrait être réduit à une suspension de 15 à 30 jours.

[21]  Par conséquent, la seule question à trancher est celle de savoir si le licenciement devrait être remplacé par une sanction moins sévère.

IV.  Ordonnance de confidentialité

[22]  À l’audience, l’employeur a demandé la mise sous scellés de certaines des pièces déposées en l’espèce, car elles contiennent les noms et les renseignements personnels confidentiels de contribuables. Le fonctionnaire ne s’y est pas opposé. Je suis toutefois tenue de considérer non seulement les opinions des parties, mais aussi l’intérêt du public à maintenir le principe de transparence judiciaire, qu’il faut soupeser par rapport à tout risque sérieux pour les intérêts des tiers dans la confidentialité de leurs renseignements fiscaux et autres renseignements personnels.

[23]  Dans ces circonstances, la Commission applique ce que l’on appelle maintenant le critère Dagenais/Mentuck (Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835 et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76), qui a été reformulé dans Sierra Club du Canada c. Canada (ministre des Finances), 2002 CSC 41, au paragraphe 53, afin d’indiquer que malgré l’importance du principe de transparence judiciaire, une ordonnance de confidentialité peut être rendue lorsque :

[…]

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important [...] dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[24]  Je conclus qu’il est nécessaire de rendre l’ordonnance demandée afin de prévenir un risque grave pour la vie privée des contribuables tiers qui ne participent pas autrement à la procédure en l’espèce. Je conclus également que l’effet bénéfique de l’ordonnance demandée l’emporte sur tout effet néfaste sur la liberté d’expression, y compris l’intérêt du public à l’égard de procédures d’arbitrage de griefs ouvertes et accessibles. Par conséquent, les pièces seront mises sous scellés.

V.  Motifs de décision

[25]  La décision Wm. Scott & Co. c. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P‑162, [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL) fournit le cadre pour l’analyse que je dois mener en l’espèce. Ayant entendu la preuve, je dois maintenant répondre aux trois questions suivantes : (1) Existait-il un motif pour imposer une mesure disciplinaire? (2) Le cas échéant, le licenciement constituait-il une réponse excessive compte tenu des circonstances? (3) Si le licenciement était excessif, quelle mesure devrait y être substituée? Voir aussi Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24 (CanLII).

A.  Existait-il un motif pour imposer une mesure disciplinaire?

[26]  Le fonctionnaire a avoué son inconduite, mais a soutenu qu’il méritait une sanction moins grave que le licenciement. Cependant, pendant l’audience, le fonctionnaire a continué d’afficher le même comportement que celui qui était ressorti de façon évidente à l’entrevue liée à l’enquête. Même s’il a affirmé ne pas nier l’inconduite, il a tenté d’en minimiser l’ampleur ou de la justifier de différentes façons.

[27]  Il a continué de laisser entendre que certains des accès effectués en 2012 auraient pu être légitimes, car il travaillait encore au service à la clientèle de janvier à novembre 2012. Toutefois, tous les accès effectués avant novembre 2012, au moment où il travaillait toujours au service à la clientèle, ont été faits pour des amis ou des proches et enfreignaient donc la politique pour cette raison. Il n’a pu relever aucun accès qui aurait été effectué de façon légitime dans le cadre de son emploi au service à la clientèle.

[28]  Le fonctionnaire a également tenté de justifier certains des accès effectués plus tard, soit après 2012. Il n’a pas contesté les éléments de preuve déposés par l’employeur, qui démontraient que les accès n’avaient pas été effectués pour des non-déclarants et qu’ils ne faisaient pas partie de sa charge de travail attribuée. Il a toutefois fait valoir qu’il avait gardé le même numéro de téléphone et le même bureau, même s’il occupait un nouveau rôle. Étant donné qu’il avait travaillé avec un grand nombre de clients au fil des ans, il continuait de recevoir des demandes de renseignements de clients par courrier, par téléphone ou par l’entremise du commis du bureau. Il s’agissait d’un symptôme de ce que le fonctionnaire appelait le « syndrome du petit bureau ». Par conséquent, il jouait en réalité deux rôles — celui d’agent des bureaux locaux pour les non-déclarants, et celui d’agent des services à la clientèle. Il a sous-entendu qu’il se sentait obligé de continuer à traiter ces demandes de renseignements par altruisme et pour [traduction] « faire un effort supplémentaire », particulièrement en raison de la frustration que ressentaient les contribuables par rapport au nouveau modèle de service à la clientèle.

[29]  Ce témoignage n’était pas convaincant. Le fonctionnaire n’avait pas à répondre aux demandes de renseignements des déclarants simplement parce que certains avaient communiqué avec lui. Il devait veiller à obtenir la conformité des non-déclarants — tel était son travail.

[30]  Hank Koudsi, directeur adjoint du Recouvrement des recettes à ce moment-là, a indiqué dans son témoignage qu’une trousse de communication complète avait été préparée lorsque le modèle de service a changé. La fermeture des comptoirs de service avait été effectuée progressivement, des présentations avaient été faites aux employés et le commissaire de l’ARC avait envoyé un courriel à l’échelle nationale. Tous les employés avaient reçu de M. Koudsi des instructions claires par courriel selon lesquelles ils devaient indiquer aux clients sans rendez-vous de prendre une fiche d’information sur les options de service, offerte dans le hall d’entrée, et les renvoyer au numéro 1-800. Si un contribuable avait un problème urgent, il pouvait être renvoyé à un agent de résolution des problèmes, mais il aurait d’abord fallu en discuter avec le chef d’équipe dans un tel cas.

[31]  Le fonctionnaire ne pouvait pas expliquer pourquoi il avait continué d’offrir un service qu’il ne lui appartenait plus de fournir après novembre 2012, et qui n’existait plus après le 1er octobre 2013.

[32]  Il est important de mentionner que les accès effectués par le fonctionnaire n’auraient pas été légitimes même s’ils avaient été attribuables à son incapacité de bonne foi de se détacher des fonctions de service à la clientèle qu’il s’était lui-même attribuées, comme il l’a insinué. Toutefois, la grande majorité des accès non autorisés qu’il a effectués, à l’exception possible de quelques-uns faits pour aider un contribuable à régler son problème de pension étrangère en 2014 et en 2015, ne découlaient pas de demandes de renseignements de ce genre. Rien dans les éléments de preuve déposés n’étayait son récit de dévouement continu à l’égard de ses anciens clients qui sont maintenant mal servis selon lui.

[33]  En réalité, le fonctionnaire n’a pas fourni un service à la clientèle à des contribuables aléatoires qui continuaient de lui présenter des demandes de renseignements. Il a plutôt accédé aux comptes d’amis et de proches afin de préparer leurs déclarations de revenus pour eux. Le fait d’avouer son inconduite et de présenter par la suite cette justification fictive pour l’expliquer soulève une question grave de crédibilité.

[34]  À la lumière des éléments de preuve, je conclus qu’il existait un motif d’imposer la mesure disciplinaire à l’égard des nombreux accès non autorisés. Le fonctionnaire a également avoué les autres actes d’inconduite (la préparation d’une déclaration T1 qui contenait un revenu d’entreprise, l’aide et les renseignements confidentiels fournis à ses proches, et les commentaires inappropriés sur les mesures prises par l’ARC). Je dois maintenant déterminer si le licenciement constituait une sanction excessive pour cette inconduite.

B.  Le licenciement constituait-il une réponse excessive dans toutes les circonstances?

1.  Connaissance des politiques de la part des employés de l’ARC

[35]  J’ai été renvoyée au Code (2012) et à sa version ultérieure, le Code d’intégrité et de conduite professionnelle (2015), ainsi qu’à plusieurs versions de la Directive (collectivement, « les politiques »). Les parties pertinentes des différentes versions de ces documents de politique sont essentiellement identiques et montrent que le type d’inconduite commis par le fonctionnaire est interdit de façon constante depuis des décennies.

[36]  Le Code de 2012 commence par un message du commissaire et du commissaire adjoint du revenu de l’ARC, qui est rédigé en partie comme suit :

  [Traduction]

L’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu nous ordonne d’être des plus scrupuleux quant à la protection et à la sécurité des renseignements sur les contribuables. Nous devons veiller à ce que tout accès à ces renseignements ou toute divulgation de ceux-ci ne soit qu’à des fins autorisées en vertu de la loi. Toute mauvaise utilisation des renseignements sur les contribuables donnera lieu à des mesures disciplinaires graves pouvant aller jusqu’au licenciement [...]

Si vous êtes un nouvel employé à l’ARC, vous devez attester que vous acceptez de respecter les normes établies dans le Code. On demande aussi à tous les employés d’examiner chaque année leur obligation en vertu du Code.

 

[37]  Sous le titre intitulé [traduction] « Votre norme de conduite attendue » (à la section c), [traduction] « Soin et utilisation des renseignements de l’Agence (confidentialité) », le Code prévoit ce qui suit :

  [Traduction]

Il vous est interdit de servir des amis, des connaissances, des membres de la famille, des collègues ou d’anciens collègues à titre de clients (par exemple, à titre de contribuables, d’entrepreneurs ou de représentants d’organisations). Si cette occasion se présente, vous devez d’abord en informer votre gestionnaire, qui s’assurera que quelqu’un d’autre les serve [...]

[…]

Vous ne devez jamais :

accéder aux renseignements qui ne font pas partie officiellement de la charge de travail qui vous est attribuée;

divulguer des renseignements de l’ARC qui n’ont pas été rendus publics;

utiliser les renseignements de l’ARC qui ne sont pas disponibles publiquement, pour utilisation, gains ou avantages financiers personnels pour vous-mêmes, votre parenté ou quiconque.

Le fait d’agir de la sorte compromettrait l’intégrité du régime fiscal et la protection des renseignements sur les contribuables. Cela pourrait aussi vous mettre dans une situation de conflit d’intérêts grave, qui pourrait entraîner une mesure disciplinaire sévère, notamment le licenciement, et pourrait aller jusqu’à des accusations au criminel.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[38]  À la section g), [traduction] « Accès et utilisation des réseaux électroniques », on trouve la mise en garde suivante :

  [Traduction]

Vous ne devez utiliser les systèmes informatiques primaires et les bases de données de l’ARC, comme Rapid et les Systèmes administratifs d’entreprise (SAE), qu’à des fins opérationnelles autorisées, c’est-à-dire pour mener les tâches qui font partie de la charge de travail qui vous est assignée [...]

N’oubliez pas que, chaque fois que vous ouvrez une session, les systèmes informatiques et les réseaux électroniques de l’ARC ne sont utilisés qu’à des fins opérationnelles autorisées [...] sauf pour l’utilisation personnelle très limitée prévue, sous certaines conditions, dans la Politique sur la surveillance de l’utilisation des réseaux électroniques [...]

Les employés doivent être conscients que tous les renseignements obtenus, stockés, transmis ou reçus à l’aide des réseaux électroniques de l’ARC sont assujettis à une surveillance de routine et qu’ils seront examinés lorsqu’il y a des motifs raisonnables de le faire.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[39]  Et à la section q), [traduction] « Critique publique de l’ARC », il est indiqué ce qui suit :

  [Traduction]

En tant qu’employé de l’ARC, vous devez vous assurer que vos déclarations ou actions publiques n’entravent pas votre capacité à exécuter vos tâches ni ne mettent en doute votre impartialité quant à l’exécution de ces tâches. Vous devriez utiliser des moyens internes pour porter à l’attention de la direction de l’ARC toute critique que vous pourriez vouloir formuler.

 

[40]  La Directive énonce certaines des obligations pertinentes des employés de l’ARC. Dans la version de 2014, par exemple, elles sont énoncées à la section 7, [traduction] « Rôles et responsabilités », comme suit :

  [Traduction]

7.1 Employés

Les employés de l’ARC sont tenus de prévenir, cerner, divulguer et gérer toute situation de conflit d’intérêts survenant entre leurs fonctions officielles et leurs intérêts privés et/ou activités opérationnelles extérieures et doivent :

[…]

k) Ne pas servir des amis, membres de la famille, connaissances, partenaires d’affaires, collègues actuels/anciens ou à des supérieurs actuels/anciens, ou s’occuper de leur dossier, à moins d’avoir obtenu l’autorisation préalable de leur gestionnaire immédiat.

[…]

m) Ne pas assister toute personne, entité privée ou collègue actuel/ancien ou supérieur actuel/ancien, dans leurs négociations avec l’ARC lorsque cette aide constitue ou pourrait constituer un traitement de préférentiel ou un accès privilégié.

[…]

p) Ne pas discréditer l’ARC ou le gouvernement du Canada.

[…]

r) Ne pas utiliser, directement ou indirectement, ni permettre l’utilisation directe ou indirecte de biens appartenant à l’ARC ou au gouvernement du Canada ou loués par l’un ou l’autre pour des activités autres que les activités officiellement autorisées.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[41]  Deux témoins, M. Koudsi et David Beamer, un directeur adjoint, ont parlé de l’importance des politiques. Ils ont parlé de la nécessité de protéger les renseignements confidentiels des contribuables pour garantir que le régime fiscal du Canada fonctionne efficacement et avec intégrité. Ils ont décrit comment il était clairement et fréquemment communiqué aux employés qu’ils devaient accéder uniquement aux dossiers faisant partie de leur charge de travail. Ils ont aussi expliqué à quel point il était important d’éviter d’accorder un traitement préférentiel, ou de donner l’apparence d’accorder un tel traitement, afin de maintenir la confiance des contribuables canadiens.

[42]  On rappelle régulièrement aux employés qu’ils ne doivent jamais traiter les dossiers de proches, d’amis ou de connaissances. Cette interdiction ne fait aucune distinction entre les amis et les connaissances. Si le dossier d’un ami, d’une connaissance ou d’un proche apparaît dans la charge de travail attribuée à l’employé, celui-ci doit immédiatement en informer son superviseur, qui confiera le compte du contribuable à un autre employé.

[43]  M. Koudsi, qui est un employé de l’ARC depuis 28 ans, occupe actuellement le poste de directeur du Bureau des services fiscaux du Centre-Est de l’Ontario. Au moment des événements en question, il était directeur adjoint du Recouvrement des recettes. Le fonctionnaire relevait de son superviseur direct, qui relevait du gestionnaire et qui, à son tour, rendait compte à M. Koudsi.

[44]  M. Koudsi a indiqué dans son témoignage que les employés doivent prêter serment ou prononcer une affirmation solennelle qui les engage à maintenir et à protéger la confidentialité des renseignements des contribuables lorsqu’ils commencent leur emploi à l’ARC. M. Beamer a témoigné que, en tant que directeur adjoint, chaque fois que de nouvelles équipes commençaient à travailler, il leur parlait toujours de cet engagement et leur indiquait les conséquences graves d’enfreindre les politiques, lesquelles peuvent aller jusqu’au licenciement. Il a aussi raconté que lorsqu’il a commencé à travailler à l’ARC, il y a 20 ans, son gestionnaire lui avait expliqué qu’il aurait accès à une quantité considérable de renseignements. Dans un langage franc maintenant révolu, son gestionnaire lui avait dit qu’il le mettrait à la porte s’il touchait à autre chose que ce qui était contenu dans sa charge de travail.

[45]  M. Koudsi a expliqué que chaque année suivant la première affirmation, on demande par courriel aux employés d’entrer dans le système administratif d’entreprise et de se rendre à la section intitulée « Mon engagement » afin de répéter le processus d’affirmation et de divulguer tout ce qu’ils ont fait ou font qui pourrait aller à l’encontre de la politique. Les employés peuvent et doivent communiquer ce genre de questions à leur superviseur en tout temps. Cependant, un processus de divulgation est également intégré au processus d’affirmation annuel.

[46]  Outre les affirmations annuelles, les politiques sont souvent portées à l’attention des employés de l’ARC d’autres façons, comme dans le cadre de séances de discussion ouverte. L’attente à l’égard du respect des politiques est renforcée au moyen de courriels envoyés par les Ressources humaines ou par le commissaire de l’ARC. En novembre 2013, la Direction de la sécurité de l’ARC a présenté des scénarios, qui se voulaient des exemples pour expliquer les différents types d’infractions aux politiques et les conséquences d’une telle inconduite. Chaque fois que les politiques sont mises à jour, les nouvelles versions sont jointes à un courriel explicatif, en plus d’être affichées dans le réseau local de l’ARC.

[47]  Quotidiennement, chaque fois qu’un employé ouvre une session dans le réseau local, il reçoit un rappel qui lui indique que l’accès à l’information ne doit être effectué qu’en cas de nécessité et que les renseignements doivent être traités avec respect. Lorsqu’un employé entre dans les systèmes de l’ARC, un autre message s’affiche afin d’indiquer que l’accès non autorisé est interdit et une mise en garde apparait indiquant que l’employé pourrait faire l’objet d’une vérification.

[48]  Selon M. Koudsi, même si un employé ne consulte pas les politiques, des rappels lui sont fournis plus que régulièrement.

2.  La connaissance des politiques du fonctionnaire

[49]  Le fonctionnaire a indiqué à l’enquêteuse qu’il avait lu le Code. Il a indiqué dans son témoignage à l’audience qu’il était au courant de l’existence du Code, mais qu’il ne le connaissait pas bien. Il a affirmé ignorer l’existence de la Directive et ajouté qu’il n’avait jamais lu aucune des politiques du début à la fin.

[50]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il croyait avoir le droit d’accéder aux renseignements d’un contribuable si ce dernier lui en donnait « l’autorisation », parce que c’est ainsi que l’on procède dans le service à la clientèle. Il ignorait qu’il n’avait le droit d’accéder qu’aux comptes de contribuables qui faisaient partie de a charge de travail qu’on lui avait attribuée. Il n’était au courant d’aucune interdiction de servir sa famille ou ses amis et ne voyait pas en quoi le fait d’aider ses proches était considéré comme un traitement préférentiel. Il a affirmé qu’il ne savait pas qu’il n’avait pas le droit de préparer une déclaration de revenus qui contient un revenu d’entreprise. Il comprend maintenant que tous ces gestes allaient à l’encontre de la politique et a affirmé qu’il ne les aurait pas commis s’il l’avait su à ce moment.

[51]  Lorsque le fonctionnaire a été embauché, les politiques lui ont été remises sous la forme d’un dépliant. Il a indiqué dans son témoignage qu’il les avait probablement consultées, mais qu’on lui avait dit de les placer dans sa mallette, ce qu’il a fait. Il n’a pas été démontré clairement à quel moment le processus d’affirmation annuel a commencé ou s’il avait toujours été en place au cours de son emploi. Quoi qu’il en soit, il a décrit la procédure annuelle, du moins depuis que le processus d’affirmation était effectué par courriel. Il a indiqué dans son témoignage que d’une année à l’autre, il cliquait tout simplement sur le bouton électronique pour affirmer son engagement, même s’il n’avait pas lu les politiques ou divulgué tout agissement pouvant aller à l’encontre de celles-ci, comme il est requis.

[52]  Il est difficile de comprendre comment le fonctionnaire peut être si peu conscient de ces politiques si fondamentales après avoir passé des décennies dans la fonction publique. La meilleure façon d’évaluer la crédibilité est de soumettre le récit du témoin à un [traduction] « examen de son uniformité par rapport aux probabilités qui entourent les conditions actuelles » (Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, à la p. 357). De nouveaux employés pourraient dire qu’ils ne connaissaient pas les politiques ou qu’ils ne les comprenaient pas. Un employé qui travaille au même endroit depuis 31 ans et à qui l’on rappelle ces politiques quotidiennement au moment d’ouvrir une session, qui en entend parler dans des séances de discussion ouverte, qui reçoit des courriels à leur sujet de plusieurs sources et à qui l’on demande chaque année de les examiner et d’affirmer qu’il les respectera, ne peut tout simplement pas faire une telle affirmation.

[53]  De plus, les dénis initiaux du fonctionnaire aux questions de l’enquêteuse portent fortement à croire qu’il était bel et bien au courant des politiques. S’il croyait vraiment ne rien faire de mal, comme il l’a affirmé, pourquoi a-t-il nié au départ avoir fait les accès non autorisés, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus maintenir ces dénis face à la preuve irréfutable de la piste de vérification? Pourquoi a-t-il affirmé n’avoir jamais préparé de déclarations de revenus contenant un revenu d’entreprise, avant d’indiquer plus tard qu’il ignorait que le fait d’en préparer une allait à l’encontre de la politique?

[54]  En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a été renvoyé à une section du Code qui présente trois exemples de scénarios sur l’accès aux renseignements de contribuables et la divulgation de ceux-ci. Ces scénarios sont les suivants : se faire demander par un proche d’accéder à ses renseignements fiscaux, se faire demander par un collègue d’accéder aux renseignements fiscaux d’un joueur de hockey célèbre, et vouloir accéder à ses propres renseignements fiscaux. Le fonctionnaire a indiqué qu’il était frustré contre lui-même, parce qu’il savait qu’il ne devait pas accéder à ses propres renseignements fiscaux ni à ceux du joueur de hockey célèbre; toutefois, il ne s’était jamais rendu compte qu’il ne pouvait pas accéder aux dossiers de ses proches. Comme il n’avait jamais lu les politiques, il savait qu’il y avait une interdiction concernant deux types d’inconduite, dont on ne prétendait pas qu’il avait commises, mais il ignorait totalement que le type d’accès qu’il avait effectué était interdit. Cela n’est pas crédible.

[55]  Le fonctionnaire a également reconnu que, même lorsqu’il travaillait au service à la clientèle, si l’un de ses proches se présentait au comptoir, il essayait de trouver quelqu’un d’autre pour le servir, mais il le servait lui-même s’il était le seul employé disponible. Bien qu’un tel agissement ne respecte pas la politique en vigueur, même ce genre d’effort pour éviter l’apparence de l’offre d’un traitement préférentiel contredit son témoignage, dans lequel il a affirmé n’avoir aucune idée qu’il y avait quelque chose de mal dans le fait d’aider ses amis et ses proches.

[56]  Le fonctionnaire a soit ignoré les politiques pendant sa longue carrière, soit il a tout simplement menti à propos de absence de connaissance des politiques. Les éléments de preuve suggèrent qu’il s’agit de la deuxième possibilité.

3.  Contradictions dans le témoignage du fonctionnaire sur ses amitiés avec des contribuables

[57]  À plusieurs reprises pendant l’audience, le fonctionnaire a nié son amitié avec les deux contribuables au nom desquels, directement ou indirectement, la plupart des accès avaient été faits. Les notes de l’enquêteuse indiquent qu’il a laissé entendre l’existence d’un certain lien d’amitié avec les deux contribuables, en suggérant qu’il s’était lié d’amitié avec eux dans le cadre de son travail au service à la clientèle et qu’il avait continué de les aider en tant que clients. Il a toutefois affirmé à l’audience qu’ils étaient tout simplement d’anciens clients qu’il avait rencontrés dans le cadre de son travail au service à la clientèle et qu’il avait continué d’aider. Il a catégoriquement nié entretenir des liens d’amitié avec ces deux contribuables.

[58]  Toutefois, la femme de l’un de ces contribuables a confirmé à l’enquêteuse que le fonctionnaire et son mari étaient des amis de longue date et qu’ils se voyaient régulièrement. Elle a donné des exemples précis, y compris leurs repas hebdomadaires ensemble et les visites du fonctionnaire à leur domicile. Le fonctionnaire a préparé la déclaration de revenu de ce contribuable, de sa femme, de la fille de sa femme, de son fils et de la petite amie de ce dernier. Il a accédé au compte de l’ex-conjointe de ce contribuable à une occasion au moyen d’un logiciel qui avait permis de localiser son compte grâce à son adresse domiciliaire. C’est aussi pour ce contribuable qu’il a préparé une déclaration de revenus T1 qui contenait un revenu d’entreprise.

[59]  Le deuxième contribuable a mentionné à l’enquêteuse que le fonctionnaire et lui étaient de bons amis depuis plus de 20 ans et qu’ils s’étaient rencontrés par l’entremise du premier contribuable. Le rapport d’enquête indique que le fonctionnaire avait changé l’adresse de la femme de ce contribuable en 2001. Le fonctionnaire a préparé les déclarations de revenus annuels de ce contribuable, de sa femme et de son fils, qui se trouvait à l’étranger.

[60]  La majorité des éléments de preuve concernant ces amitiés se trouvaient dans les notes de l’enquêteuse sur l’interrogatoire du fonctionnaire et dans le rapport d’enquête. L’enquêteuse, qui était en congé, n’était pas disponible pour témoigner. Les deux documents ont toutefois été produits en preuve sur consentement. Les notes ont été remises au fonctionnaire afin qu’il en confirme l’exactitude, et il a signé chaque page. Le rapport d’enquête lui a également été remis et, à l’audience disciplinaire, le fonctionnaire a confirmé l’avoir examiné et avoir eu la possibilité d’en contester n’importe quelle partie. À l’audience tenue devant moi, il ne voyait pas pourquoi la femme du premier contribuable ou le deuxième contribuable lui-même inventeraient des amitiés de longue date avec lui. Il n’a pas été en mesure d’expliquer comment ou pourquoi l’enquêteuse aurait consigné cette information sur deux personnes différentes si cela ne lui avait pas été communiqué.

[61]  Comme il a été indiqué précédemment, les politiques ne font aucune distinction entre les amis et les connaissances. Même si l’on pouvait caractériser ces deux contribuables comme de simples anciens clients que le fonctionnaire avait appris à bien connaître, il ne pouvait quand même pas accéder de façon légitime à leurs comptes et à ceux des membres de leurs familles, même lorsqu’il occupait un poste au service à la clientèle. En outre, il n’aurait assurément pas pu le faire de façon légitime lorsqu’il était agent des bureaux locaux pour les non-déclarants, et que ces dossiers ne faisaient pas partie de la charge de travail qui lui était attribuée.

[62]  Ces éléments de preuve sont toutefois importants parce qu’ils contredisent le témoignage du fonctionnaire. Il a eu l’occasion, à plusieurs reprises pendant l’audience, de reconnaître ses liens d’amitié avec ces deux personnes et ces liens l’ont clairement mené à leur offrir, à leurs familles et à eux-mêmes, un traitement préférentiel important. Il a nié son amitié avec eux tout au long de l’audience.

4.  Mesures disciplinaires progressives - gravité de l’inconduite

[63]  Le fonctionnaire a fait valoir que des mesures disciplinaires progressives auraient dû être prises étant donné son service de plusieurs années et son dossier disciplinaire impeccable. Des mesures disciplinaires progressives doivent certainement être prises lorsqu’une inconduite est préoccupants sans être suffisamment grave au point de rompre le lien de confiance entre un employeur et un employé. Il peut toutefois être justifié de procéder au licenciement lorsque l’inconduite est suffisamment grave, et ce, même s’il s’agit du premier incident d’inconduite consigné.

[64]  La nature répétitive de l’inconduite du fonctionnaire est très inquiétante. Il a effectué des accès non autorisés d’une année à l’autre, tout juste avant la date limite pour le dépôt des déclarations. Si l’on n’examine que les quatre années visée par la vérification, les 621 accès non autorisés représentent un nombre très important que l’on ne peut ignorer et dépassent largement les autres cas de l’ARC qui portent sur ce genre d’infractions. L’affaire qui s’en rapproche le plus, à laquelle on m’a renvoyée, est Campbell c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 66, dans laquelle on confirmait le licenciement d’un fonctionnaire qui s’était livré au même genre d’inconduite pour des motifs très semblables, mais qui avait fait considérablement moins d’accès non autorisés.

5.  Facteurs atténuants et aggravants

[65]  M. Beamer a indiqué dans son témoignage qu’il avait examiné la Directive sur la discipline de l’ARC et qu’il avait suivi ses instructions. Cette directive propose une gamme de mesures disciplinaires pour différents cas d’inconduite.

[66]  Il a pris en considération tous les facteurs atténuants, soit le nombre d’années de service du fonctionnaire, son dossier d’emploi, sa coopération à l’enquête et les remords qu’il a montrés au cours de celle-ci. Le représentant du fonctionnaire a indiqué que la coopération de celui-ci n’avait pas été mentionnée en tant que facteur atténuant dans la lettre de licenciement. Je suis d’accord que le fait de mentionner tout facteur atténuant ou aggravant pris en considération dans la lettre de licenciement est une bonne pratique. Cependant, ce n’est pas une exigence. Le représentant du fonctionnaire n’a pas contesté davantage le témoignage de M. Beamer, dans lequel il a indiqué avoir pris en considération ce facteur, et je suis convaincue qu’il l’a fait.

[67]  Le représentant du fonctionnaire a également fait valoir que l’employeur avait mal appliqué le nombre considérable d’accès répétés et le traitement préférentiel en  les considérant comme des facteurs aggravants, plutôt que comme faisant partie de l’inconduite en tant que telle. Je ne lis pas la lettre de licenciement de cette façon. À mon avis, l’employeur a simplement énuméré les facteurs atténuants avant d’aborder l’inconduite. Le nombre considérable d’accès effectués pourrait être considéré comme un facteur aggravant; je ne vois toutefois aucun renvoi à des facteurs aggravants dans la lettre.

[68]  Le représentant du fonctionnaire a fait valoir d’autres facteurs atténuant. Il a soutenu que le fonctionnaire voulait seulement aider les gens et non frauder l’employeur d’une quelconque façon, qu’il n’a tiré aucun avantage financier direct, et qu’il a été franc et qu’il a exprimé des remords lorsqu’il a été confronté à son inconduite. Il a également été soutenu que son milieu de travail devrait être pris en considération, c’est‑à‑dire le syndrome du petit bureau, où il était appelé à jouer divers rôles et continuait d’offrir un service à la clientèle.

[69]  Dans son témoignage, M. Beamer a indiqué que les nombreux accès inappropriés effectués pendant de nombreuses années, le courriel critique et irrespectueux envoyé par le fonctionnaire qui n’incarnait pas les valeurs fondamentales de l’ARC, et la suggestion continue du fonctionnaire selon laquelle il tentait d’améliorer le piètre service à la clientèle de l’ARC étaient des facteurs aggravants. L’employeur a également soutenu que l’argument continu du fonctionnaire selon lequel certains des accès qu’il a effectués auraient pu être légitimes constituait un facteur aggravant.

[70]  Je suis convaincu que le fonctionnaire n’a tiré aucun avantage financier des gestes qu’il a posés et qu’il n’avait pas l’intention de frauder l’employeur à son profit.

[71]  J’ai déjà abordé l’argument du syndrome du petit bureau. Loin d’être un facteur atténuant, il s’agit plutôt d’un récit fictif qui soulève une grave question de crédibilité, ce qui constitue un facteur aggravant. En ce qui concerne ce récit, le fonctionnaire a aussi nié catégoriquement que les deux contribuables au nom de qui il avait fait la majorité des accès non autorisés étaient des amis de longue date. Cette affirmation était manifestement fausse.

[72]  Enfin, le représentant du fonctionnaire a invoqué les 31 années de service de ce dernier en tant que facteur atténuant. Un long service peut être un facteur atténuant, bien entendu, mais il peut également représenter un facteur aggravant. Bien que l’employeur ait indiqué qu’il s’agissait d’un facteur atténuant, je suis d’avis qu’il s’agit plutôt d’un facteur aggravant dans ces circonstances. Après avoir passé trois décennies à travailler à l’ARC, le fonctionnaire aurait dû mieux s’informer et, comme je l’ai conclu, il était sans doute mieux informé.

[73]  En ce qui concerne l’affirmation selon laquelle le fonctionnaire s’est montré franc et qu’il a exprimé des remords pendant l’enquête, je souligne que les témoins de l’employeur ont indiqué qu’il avait manifesté des remords et s’était montré coopératif. Je n’ai pas vu de véritables remords dans ses tentatives continues de justifier sa conduite en indiquant qu’il avait seulement tenté d’aider les gens; je suis toutefois d’accord avec l’opinion de l’employeur selon laquelle il a exprimé des remords pendant l’interrogatoire et qu’il faut en tenir compte à titre de facteur atténuant. Je ne suis cependant pas d’accord avec l’évaluation de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire s’est montré coopératif ou franc. Les notes de l’enquêteuse, que le fonctionnaire a examinées et signées afin d’en confirmer l’exactitude, indiquent le contraire. On ne peut pas définir ainsi des dénis généraux suivis de lents aveux soutirés seulement en présence de preuve irréfutable.

[74]  Selon moi, les facteurs aggravants, dont le plus important est le manque de franchise du fonctionnaire, l’emportent considérablement sur ces quelques facteurs qui pourraient atténuer l’inconduite.

[75]  Le témoignage du fonctionnaire à l’audience a mis au jour de nouveaux éléments de preuve. Ces nouveaux éléments de preuve ont révélé de l’information sur d’autres actes d’inconduite survenus avant le licenciement, mais qui ne constituaient pas le fondement de quelque allégation que ce soit qui a été déposée à l’endroit du fonctionnaire. L’employeur a tenté de recourir à ces renseignements en tant que facteurs aggravants seulement.

[76]  Je conclus que l’employeur aurait pu être au courant de ces renseignements avant le licenciement (voir Air Canada v. Canadian Auto Workers, Local 2213 [Desroches Grievance], [1999] C.L.A.D. No. 713, 86 L.A.C. 4th 232 (QL)). Il n’avait tout simplement pas fait preuve de diligence raisonnable ou tourné son esprit vers l’importance des faits en sa possession. Je n’ai donc pas pris en considération ces renseignements pour en arriver à ma conclusion.

VI.  Conclusion

[77]  Je conclus que le fonctionnaire a effectué un nombre très élevé d’accès non autorisés aux comptes de contribuables pendant de multiples années et qu’il a accordé un traitement préférentiel à un cercle élargi d’amis, de connaissances et de proches. Il a omis de divulguer qu’il avait préparé une déclaration de revenus qui contenait un revenu d’entreprise, ce qui allait à l’encontre de la politique. Il a fourni à l’une de ses proches des renseignements confidentiels et a formulé des commentaires inappropriés sur les mesures prise par l’ARC à l’égard de son compte.

[78]   Je conclus que le lien de confiance entre l’employeur et le fonctionnaire est rompu et qu’il ne peut être réparé. Le licenciement ne constituait pas réponse excessive compte tenu des circonstances.

[79]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[80]  Le grief contre le licenciement 566-34-13953 est rejeté.

[81]  Les pièces suivantes seront mises sous scellés : pièce 4, onglets 1, 2, 4 et 10; pièce 6; et pièce 7.

Le 29 juin 2020.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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