Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été accusé de conduite avec facultés affaiblies – après la divulgation de ce renseignement défavorable et conformément à sa politique, l’employeur a pris un ensemble de mesures qui ont abouti à la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé – sa cote de sécurité secrète a été révoquée pour des motifs d’ordre administratifs, puisqu’un employé ne peut pas détenir une cote de sécurité secrète sans détenir une cote de fiabilité – l’employeur a licencié le fonctionnaire s’estimant lésé puisque la cote de fiabilité est une condition essentielle de tout emploi à l’ARC – le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la révocation de sa cote de fiabilité et son licenciement – la formation de la Commission a souligné qu’il est maintenant bien établi que, dans les cas de licenciement, la Commission a compétence pour examiner les motifs de l’employeur de révoquer une cote de sécurité sans invoquer la notion de mesure disciplinaire déguisée – les renseignements défavorables concernant le fonctionnaire s’estimant lésé ont révélé une inconduite qui comprenait les infractions suivantes : conduite agressive et dangereuse, course sur route, rage au volant, conduite avec facultés affaiblies, défaut de demeurer sur les lieux d’un accident, grave abus d’alcool, manquement répété d’avoir un permis valide ou les documents d’immatriculation du véhicule, négligence de payer de nombreuses contraventions pour infractions provinciales, conduite répétée alors que son permis était suspendu, défaut de s’identifier correctement à la police en usurpant l’identité de son frère jumeau, menacer et intimider d’autres conducteurs, et interactions agressives et belliqueuses répétées avec les agents de police – la formation de la Commission a conclu que l’ARC avait des motifs valables et légitimes de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé et que, par conséquent, le licenciement était motivé – la formation de la Commission a en outre déterminé qu’il y avait des circonstances exceptionnelles justifiant l’anonymisation du nom du fonctionnaire s’estimant lésé dans cette affaire – l’anonymisation était nécessaire pour prévenir un risque sérieux pour un intérêt important, soit le droit à la vie privée des tiers qui n’étaient pas en cause dans cette affaire – la formation a également déterminé que les effets bénéfiques de l’anonymisation du nom du fonctionnaire s’estimant lésé afin de protéger la vie privée des membres de sa famille l’emportaient sur les préjudices causés à l’intérêt du public en ce qui concerne le principe de transparence judiciaire.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date : 20200708

Dossiers : 566-34-14115 et 14116

 

 Référence : 2020 CRTESPF 74

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

enTRE

 

FONCTIONNAIRE S’ESTIMANT LÉSÉ x

 

fonctionnaire s’estimant lésé

 

 

et

 

 

AgencE DU REVENU DU Canada

 

employeur

 

Répertorié

Fonctionnaire s’estimant lésé X c. Agence du revenu du Canada

 

 

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant :  Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Amanda Montague-Reinholdt, avocate

Pour l’employeur :  Spencer Shaw, avocat

 

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),

du 9 au 12 avril 2019.

Arguments écrits déposés le 29 avril 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Contexte

[1]  Le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a commencé à travailler à l’Agence du revenu du Canada (ARC ou l’« Agence ») en 2009, comme préposé au centre d’appels. Il a gravi les échelons en occupant plusieurs postes à responsabilité croissante et il a finalement occupé un poste de gestionnaire intérimaire au sein de la Direction de la sécurité et des affaires internes de l’ARC. À ce poste, le fonctionnaire supervisait le traitement des demandes d’attestation de sécurité.

[2]  Le 3 mars 2016, soit juste avant d’entrer en fonction à ce poste intérimaire, le fonctionnaire a été inculpé de conduite avec facultés affaiblies. Il a divulgué ce renseignement à la direction, comme l’exige la politique de l’ARC. La divulgation ne l’a pas empêché d’occuper le nouveau poste, mais elle a constitué un renseignement défavorable qui a remis en question sa cote de sécurité.

[3]  La politique et la procédure de l’ARC énoncent une série de mesures qu’il faut prendre lorsque des renseignements défavorables sont reçus au sujet d’un employé, peu importe la source. Ces mesures ont été prises, et le 21 juillet 2016, l’Agence a révoqué la cote de fiabilité du fonctionnaire. Sa cote de sécurité de niveau secret a été révoquée sur le plan administratif, parce qu’un employé ne peut pas détenir une cote de sécurité de niveau secret en l’absence d’une cote de fiabilité. Le fonctionnaire a été licencié parce que la cote de fiabilité est une condition d’emploi essentielle de tous les postes à l’ARC.

[4]  Le fonctionnaire a contesté la révocation de sa cote de fiabilité et son licenciement. Le 28 avril 2017, les deux griefs ont été renvoyés à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (maintenant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral) pour arbitrage.

[5]  Il est maintenant bien établi que dans les affaires de licenciement, la Commission a compétence pour examiner les motifs pour lesquels l’employeur a révoqué une cote de sécurité, sans recourir à la notion de mesure disciplinaire déguisée (voir Canada (Procureur général) c. Féthière, 2017 CAF 66; Canada (Procureur général) c. Heyser, 2017 CAF 113 et Jassar c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 54). La Commission doit déterminer si le licenciement reposait sur un motif valable, ce qui veut dire examiner si l’ARC avait des motifs valables et légitimes pour révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire.

[6]  Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je conclus que l’ARC avait des motifs valables et légitimes et que, par conséquent, le licenciement reposait sur un motif valable. En conséquence, je rejette les griefs.

II.  Les préoccupations de l’ARC en matière de sécurité

[7]  Tous les ministères du gouvernement ont des préoccupations en matière de sécurité; cependant, plusieurs témoins de l’Agence ont déclaré que le niveau de ces préoccupations est plus élevé dans le cas de l’ARC. Ils ont affirmé que le régime fiscal canadien repose sur la conformité volontaire, et qu’il est d’une importance fondamentale pour un tel régime que les contribuables canadiens aient un degré élevé de confiance en l’Agence. Les contribuables doivent fournir beaucoup de renseignements personnels à l’Agence et ils doivent être confiants que ces renseignements sont en sécurité à l’Agence. Si cette confiance s’effrite, les Canadiens ne seront pas disposés à fournir leurs renseignements personnels à l’Agence.

[8]  En mars 2016, André St. Pierre était directeur, Division du filtrage de sécurité du personnel et de la sécurité de l’administration centrale à la Direction de la sécurité et des affaires internes. Il a témoigné que la confiance est très importante pour l’ARC, parce que celle‑ci rapporte beaucoup d’argent. Il a qualifié l’ARC de moteur du Canada. Le programme de sécurité est un élément clé qui permet à l’ARC de s’acquitter de son mandat, qui est de percevoir les impôts. L’Agence détient le plus vaste dépôt de renseignements personnels au Canada, ce qui la rend susceptible d’être la cible du crime organisé. L’Agence gère aussi des questions liées à la protection des témoins. Des systèmes et des processus sont en place pour gérer les informateurs qui fournissent des renseignements sur les changements d’identité et les fraudeurs fiscaux.

[9]  Michel Lafleur, gestionnaire, Section de l’analyse et du soutien aux enquêtes à la Division des affaires internes et du contrôle de la fraude, a déclaré que l’employeur a vu plusieurs cas de risque grave se concrétiser par suite de l’association de certains employés avec des criminels. Un incident est survenu lorsqu’une employée de l’ARC s’est engagée dans une relation amoureuse avec un membre d’un gang de motards et a utilisé son accès pour transmettre au gang des renseignements personnels concernant les débiteurs de l’Agence et leurs avocats. Un autre employé en relation avec un gang de motards a utilisé son accès pour fournir aux membres de ce gang des renseignements personnels concernant des membres du service de police, par exemple, les endroits où se trouvaient les services de garde d’enfants. M. Lafleur a indiqué que ces scénarios illustrent clairement comment un employé qui ne protège pas les renseignements des clients peut entraîner un danger grave, et que de pareils risques sont inacceptables. M. Lafleur a souligné que les risques sont réels, comme en témoigne le fait que, selon ses mots, [traduction] « Nous avons vu ça arriver ».

[10]  En raison de ces préoccupations et d’autres encore concernant la sécurité, lorsque des renseignements défavorables concernant un employé sont révélés, d’autres données sont recueillies et une évaluation préliminaire du risque est effectuée afin de déterminer si les renseignements peuvent avoir une incidence sur la fiabilité de l’employé. Si tel est le cas, l’Agence entreprend une révision pour motif valable de la cote de fiabilité de l’employé, qui comprend l’évaluation des renseignements obtenus par rapport au Code d’intégrité et de conduite professionnelle (le « Code ») de l’Agence.

[11]  Le Code énonce les normes de conduite attendue des employés de l’ARC, y compris les responsabilités liées à la sécurité. Ce Code, qui est affiché sur l’intranet de l’ARC, est remis aux nouvelles recrues afin qu’elles le lisent et le signent, et tous les employés doivent le lire et s’engager solennellement à le respecter chaque année. Le Code définit une norme élevée pour les employés, qui doivent s’assurer que leur conduite, au travail et en dehors du travail, est irréprochable. Voici ce que prévoit le Code au sujet de la conduite en dehors du travail :

Conduite en dehors du travail

Le rôle de fonctionnaire amène des possibilités, ainsi que des responsabilités et des contraintes. L’une de ces contraintes est la prise en considération de la perception de nos actes au travail et en dehors du travail par le public. Les activités d’un employé en dehors du travail pourraient refléter une image négative de l’Agence et du gouvernement du Canada et peuvent avoir une incidence sur la confiance et le respect du public. […]

Si vous êtes accusé, appréhendé ou détenu en vertu d’une loi, d’un règlement, d’une loi fédérale ou du Code criminel, vous devez en informer votre gestionnaire sans tarder. Votre conduite en dehors du travail est habituellement une affaire privée, qui peut devenir liée au travail si elle :

nuit à la réputation de l’ARC (par exemple, violations personnelles des lois que l’ARC administre);

vous rend incapable d’exécuter vos fonctions de façon satisfaisante;

entraîne le refus, la réticence ou l’incapacité chez d’autres employés à travailler avec vous;

enfreint le Code criminel;

rend difficile pour l’Agence la gestion efficace de ses activités et de son effectif.

Vous ne pouvez pas utiliser votre titre professionnel ou toute pièce d’identification officielle pour influencer autrui ou obtenir un privilège ou une faveur pour vous-même ou d’autres personnes, ni faire quoi que ce soit d’illicite, d’inapproprié ou qui contrevient aux meilleurs intérêts de l’ARC.

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

 

[12]  Le cadre du processus de révision pour motif valable est défini dans le document de procédure intitulé [traduction] « Procédures de révision pour motif valable d’une cote de fiabilité ou d’une cote de fiabilité + ». À la page sept, les questions à examiner et celles auxquelles il faut répondre au moment d’effectuer cette révision sont énumérées :

[Traduction]

[…]

Considérations générales

Au moment de vérifier la fiabilité d’une personne, il faut se demander si elle peut se montrer digne de la confiance qu’on pourrait lui accorder. Il faut procéder à une évaluation afin de déterminer si on peut faire confiance à cette personne pour exercer les fonctions de son poste au niveau de confiance exigé. Il faut notamment se demander s’il existe un motif raisonnable de croire que cette personne peut :

constituer une menace pour la sécurité des clients (contribuables) ou des employés de l’ARC;

ne pas réussir à protéger les renseignements de l’ARC ou les biens qui lui sont confiés;

exploiter les actifs et les renseignements de l’ARC afin d’en tirer un bénéfice pour elle‑même ou pour d’autres personnes;

afficher un comportement qui risquerait de discréditer sa fiabilité;

afficher un comportement qui risquerait de porter atteinte à l’intégrité de l’ARC;

voler des objets de valeur appartenant à l’ARC.

Si la réponse à l’une des questions ci‑dessus est oui, la révocation de la cote de fiabilité ou de la cote de fiabilité + devient une possibilité, et il faut procéder à une révision pour motif valable et prendre une décision fondée sur une évaluation globale de tous les renseignements connus.

  […]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

III.  Le poste du fonctionnaire et son accès à des renseignements sensibles

[13]  À partir du 4 avril 2016, le fonctionnaire était chef intérimaire, Enquête de sécurité sur le personnel, Unité de la sécurité du personnel à la Direction de la sécurité et des affaires internes. Il dirigeait une équipe chargée de procéder aux vérifications nécessaires et de traiter les demandes d’attestation de sécurité pour tous les niveaux de sécurité. Il avait le pouvoir de signer les demandes de cote de fiabilité, si aucun renseignement défavorable n’avait été reçu à leur égard.

[14]  Dans le cadre de ses fonctions, le fonctionnaire avait accès à une grande quantité de renseignements personnels, soit tous les dossiers d’enquêtes de sécurité sur le personnel, y compris les renseignements fournis par les requérants, tels que les renseignements biographiques et familiaux, les adresses, les dates de naissance, les numéros d’assurance sociale, les renseignements médicaux, les renseignements sur les voyages et les antécédents professionnels. Il avait accès à l’ensemble de la situation financière des requérants, y compris les renseignements bancaires comprenant les soldes de comptes, les rapports de crédit complets, certains renseignements sur les contribuables dans les cas où une vérification de l’observation fiscale avait été effectuée, les dettes liés aux impôts et les dossiers relatifs à toutes les demandes de fonds présentées par un requérant. Le fonctionnaire avait aussi accès aux vérifications des empreintes digitales et des casiers judiciaires, aux vérifications des dossiers d’information policière (VDIP), aux réponses classées secrètes du Service canadien du renseignement de sécurité, aux cotes de sécurité de niveau très secret et aux renseignements relatifs à la protection des témoins.

[15]  Le fonctionnaire avait accès aux renseignements papier et numérique des employés et des requérants. L’ARC compte autour de 40 000 employés et, à l’époque, elle avait environ 100 000 dossiers d’enquête de sécurité, qui étaient conservés pour la plupart dans des dossiers papier placés sur des étagères roulantes. Il y avait deux niveaux de sécurité. Un employé devait passer par une porte périphérique, puis s’identifier pour entrer dans la zone autorisée. Les classeurs roulants étaient fermés à clé le soir; cependant, une fois qu’un employé était entré dans cette zone durant le jour, rien ne l’empêchait de prendre un dossier ou de le lire. Le fonctionnaire y avait accès sans restriction.

[16]  Le poste d’attache du fonctionnaire à la Direction générale des affaires publiques lui donnait aussi accès à des renseignements sensibles. Il y rédigeait des notes à l’intention des médias et d’autres destinataires semblables, et il devait détenir une cote de sécurité de niveau secret en raison de son accès à des documents classifiés. Il avait accès à des renseignements concernant des questions de haute visibilité avant qu’elles ne soient annoncées publiquement, telles que des questions pénales, la situation fiscale des citoyens qui s’adressaient à la Cour de l’impôt, ainsi que les premières ébauches des lois ou des budgets.

IV.  La vérification des dossiers d’information policière (VDIP)

[17]  La VDIP est un outil utilisé par le personnel de la sécurité de l’ARC à l’égard de toutes les demandes d’attestation de sécurité pour la cote de fiabilité plus ou d’un niveau plus élevé. Les VDIP ne sont pas demandées systématiquement dans un cas de vérification de la cote de fiabilité, mais elles sont généralement utilisées chaque fois qu’une question est soulevée au sujet de la fiabilité d’un employé. Tout comme la vérification d’un casier judiciaire, un rapport de la VDIP fait état des accusations et des condamnations criminelles, mais il va plus loin que cela et renferme aussi des renseignements concernant l’ensemble des interactions avec les autorités policières. La GRC collabore avec la police locale et puise dans 16 bases de données différentes pour obtenir les renseignements voulus.

[18]  Dana‑Lynne Hills, directrice générale, Direction de la sécurité et des affaires internes et agente de sécurité de l’Agence, a expliqué que l’ARC examine tous les renseignements et pas seulement les accusations criminelles, parce qu’en cas d’association criminelle, les employés qui procèdent à des vérifications de nature délicate, par exemple, pourraient être intimidés par des criminels. Un long rapport de la VDIP peut aussi mettre en lumière des questions liées à la fiabilité, au jugement et au caractère. L’absence de condamnation criminelle ne veut pas dire que les renseignements ne peuvent pas aider à évaluer le caractère et l’honnêteté. Même s’il existe un casier judiciaire, celui‑ci n’indique que les condamnations, tandis qu’une VDIP peut fournir de plus amples renseignements au sujet des incidents qui ont entraîné une condamnation. Cette vérification aide l’Agence à mieux évaluer si un employé constitue un risque pour ses actifs, ses renseignements ou d’autres employés. Parfois, une VDIP peut aider à atténuer les préoccupations, par exemple, lorsqu’un rapport démontre qu’un incident ayant entraîné une accusation criminelle a été la seule fois où une personne a interagi avec la police – soit un incident isolé. En raison des renseignements complets que procure la VDIP, celle‑ci est maintenant l’un des outils standard utilisés dans le processus d’enquête de sécurité pour déterminer s’il existe des renseignements défavorables dont l’Agence devrait être au courant.

[19]  L’avocate du fonctionnaire a fait remarquer le caractère unilatéral d’un rapport de la VDIP, dans la mesure où, contrairement à un casier judiciaire, il repose uniquement sur les notes de la police et est, par conséquent, susceptible de contenir des erreurs et de mauvaises interprétations. Je conviens que les données saisies dans un rapport de la VDIP ne peuvent pas être admises à titre de renseignements factuels simplement parce qu’elles y figurent. Cependant, selon la procédure de l’ARC, l’employé faisant l’objet de l’évaluation doit recevoir le rapport de la VDIP et avoir la possibilité d’apporter des corrections, de réfuter des faits ou de contester toute mauvaise interprétation qu’il renferme, ce que le fonctionnaire a fait.. Le rapport lui a été remis avant son entrevue de résolution du doute, et il était prêt à aborder toutes les données qui y figuraient avec lesquelles il n’était pas d’accord. Il a expliqué certaines d’entre elles et a apporté plusieurs documents pour étayer ses explications ou fournir de plus amples renseignements.

[20]  Le fonctionnaire a réfuté l’exactitude d’une seule donnée, soit celle qui le désignait comme le conducteur d’un véhicule qui avait été intercepté par la police, alors qu’en réalité, il était le propriétaire du véhicule mais n’avait pas été présent au moment pertinent. Lorsque cette inexactitude a été soulevée, elle a été corrigée, et la GRC a produit un rapport de la VDIP révisé. Aucune autre inexactitude n’a été soulevée. À l’entrevue de résolution du doute et à l’audience, le fonctionnaire a tenté d’expliquer ou de justifier certains des incidents mentionnés dans le rapport de la VDIP, mais ne les a pas réfutés et a confirmé en grande partie leur exactitude factuelle, telle que décrit. Par conséquent, je conclus  que, en l’espèce, les renseignements contenus dans le rapport de la VDIP étaient fiables et factuels.

[21]  La VDIP concernant le fonctionnaire couvrait la période de 10 ans allant de 2005 à 2015. Elle fait état de six accusations criminelles découlant de trois incidents, 19 interactions négatives avec la police et 48 notifications d’infraction provinciale. Certaines des 19 interactions correspondent aux incidents ayant donné lieu aux accusations criminelles ou aux notifications d’infraction provinciale. Les autres ne sont que des interactions avec la police qui n’ont pas donné lieu à une accusation criminelle ou à une notification d’infraction provinciale.

A.  Accusations criminelles

[22]  Toutes les accusations criminelles sont survenues alors que le fonctionnaire était un employé de l’ARC. Elles se rapportent aux trois incidents exposés ci‑dessous.

[23]  Le 8 août 2010, le fonctionnaire a conduit en état d’ébriété alors qu’il allait chercher son frère à un poste de police. Il a été mêlé à un incident de rage au volant et n’est pas resté sur les lieux. Il a été inculpé de conduite avec facultés affaiblies et de conduite avec une alcoolémie supérieure à 0,08 milligramme. Le 14 mai 2012, il a été déclaré coupable de conduite avec une alcoolémie [traduction] « dépassant 0,08 milligramme », a reçu une amende de 1000 $, et il lui a été interdit de conduire un véhicule pendant un an.

[24]  Le 28 juillet 2014, le fonctionnaire a conduit un véhicule alors que son permis de conduire était suspendu, a faussement déclaré à la police qu’il avait oublié son portefeuille à la maison, puis s’est identifié comme étant son frère jumeau identique, qui détenait un permis de conduire valide. Le 26 juin 2015, le fonctionnaire a été déclaré coupable d’entrave volontaire à un policier, infraction pour laquelle il a reçu une amende et une absolution inconditionnelle. Les procédures relatives à une inculpation d’usurpation d’identité ont été suspendues.

[25]  Le 3 mars 2016, le fonctionnaire a été inculpé de conduite avec facultés affaiblies, de conduite avec une alcoolémie supérieure à 0,08 milligramme et de conduite interdite. Ces accusations découlaient de l’incident qu’il a divulgué et qui a mené l’employeur à demander la VDIP. Ces accusations n’avaient pas encore été portées devant le tribunal au moment de la révision pour motif valable; cependant, le fonctionnaire a été déclaré coupable le 24 février 2017, a reçu une amende de 1300 $, et il lui a été interdit de conduire un véhicule pendant deux ans.

B.  Interactions avec les autorités policières

[26]  Hormis les accusations et condamnations criminelles, la VDIP a fait ressortir un certain nombre de questions au sujet de la conduite du fonctionnaire en dehors du travail et de son jugement. Ces questions sont regroupées en trois grandes catégories dans les paragraphes ci‑dessous. Bien entendu, ces catégories se chevauchent considérablement.

1.  Utilisation d’une fausse identité pour induire la police en erreur

[27]  Une catégorie déterminante, soit celle du comportement problématique pour l’employeur, est liée au fait d’avoir donné de faux renseignements concernant son identité aux policiers. D’un point de vue fiscal, l’identité est très importante, puisque certaines personnes utilisent une fausse identité pour se soustraire au fisc. D’un point de vue sécuritaire, M. Lafleur a déclaré ce qui suit : [traduction] « Si nous ne sommes pas sûrs que la personne que nous soumettons à une enquête de sécurité est la bonne, tout s’écroule ». Le fait d’apprendre que le fonctionnaire semblait assez régulièrement se présenter comme étant quelqu’un d’autre a été perçu comme une préoccupation grave pour la fiabilité. Il a été allégué que le fonctionnaire se serait présenté sous une fausse identité à l’occasion des trois incidents décrits ci-dessous.

[28]  Le 8 août 2010, le fonctionnaire a été impliqué dans un accident qui a entraîné la première condamnation pour conduite avec facultés affaiblies. Son frère et lui étaient allés à une réunion de famille, et le fonctionnaire avait bu toute la journée. Son frère a quitté les lieux et a été arrêté. Le fonctionnaire, en compagnie de deux passagers, est parti chercher son frère en voiture à un poste de la police provinciale de l’Ontario (PPO). En s’y rendant, il a été mêlé à une altercation de rage au volant, et l’autre conducteur a appelé la police afin de signaler que le fonctionnaire conduisait dangereusement et n’était pas resté sur les lieux d’un accident. Un policier est sorti le rencontrer au moment où il s’engageait dans le stationnement du poste et lui a demandé une pièce d’identité.

[29]  Selon le témoignage du policier, qui est consigné dans la décision du tribunal, le fonctionnaire a présenté son permis de conduire valide, mais lorsque le policier lui a demandé à nouveau de s’identifier quelques minutes plus tard, il a présenté le permis expiré de son frère. Le policier, qui savait que le frère du fonctionnaire était en état d’arrestation, a conclu que le fonctionnaire s’identifiait frauduleusement. Cependant, lorsque le policier lui a demandé à nouveau de s’identifier, le fonctionnaire a réalisé qu’il avait présenté le mauvais permis au policier et a tenté de le reprendre. Le policier ne lui a pas remis.

[30]  Ce scénario est pour le moins déroutant. On ne sait pas pourquoi le policier a demandé à nouveau une pièce d’identité, alors que le fonctionnaire avait déjà présenté un permis de conduire valide. Le fonctionnaire était en état d’ébriété; il ne se souvient pas de l’interaction et affirme qu’il ignore pourquoi il aurait présenté la pièce d’identité de son frère alors qu’il savait que celui‑ci était en état d’arrestation, puisqu’il était là afin d’aller chercher. D’un autre côté, le fonctionnaire a aussi témoigné que son frère et lui laissaient habituellement traîner leur permis respectif dans les voitures pour l’un et l’autre et, apparemment, il avait le permis expiré de son frère en sa possession à ce moment‑là. Rien dans cette situation ne laisse croire à un bon jugement. À mon avis, toutefois, il y a trop de questions sans réponse pour conclure qu’il s’agissait d’une tentative d’usurpation d’identité délibérément frauduleuse.

[31]  Le 9 mars 2012, une plaignante a appelé le Service de police d’Ottawa (SPO) pour signaler que son véhicule, qui était garé, avait été endommagé. Un témoin avait laissé une note indiquant le numéro de plaque d’immatriculation du véhicule qui avait causé les dommages; il a été établi par la suite qu’il appartenait au fonctionnaire. La police a appelé le fonctionnaire. Selon le rapport de la VDIP, le fonctionnaire s’est faussement identifié au téléphone comme étant son frère jumeau et a donné à la police de fausses coordonnées (celles de son frère plutôt que les siennes). Lorsque la police a appelé au numéro qu’on lui avait donné, le frère du fonctionnaire a répondu et a déclaré que le fonctionnaire utilisait faussement son nom.

[32]  Deux jours plus tard, le fonctionnaire a appelé la police et a admis avoir été au volant du véhicule, mais a nié avoir endommagé le véhicule de la plaignante ou avoir présenté à la police une fausse identité et de fausses coordonnées. Il a dit à la police qu’il était allé à une fête réunissant 80 personnes, et qu’il ignorait qui aurait pu détenir son téléphone. À l’entrevue de résolution du doute, le fonctionnaire a dit qu’il était allé à une réunion de famille et que n’importe qui aurait pu répondre à son téléphone. À l’audience, il a affirmé qu’il était avec quelques amis et a avancé l’hypothèse que quelqu’un aurait pu répondre à son téléphone et donner des coordonnées erronées (celles de son frère) à la police.

[33]  Le fonctionnaire nie avoir parlé au téléphone, et rien ne prouve directement qu’il s’agissait de lui. Cependant, l’autre scénario est entièrement fantaisiste; lors d’une grande fête, d’une réunion de famille ou alors que le fonctionnaire se trouvait en compagnie de quelques amis, une personne inconnue a répondu à son téléphone et a induit la police en erreur. Je conclus qu’il est plus probable que le fonctionnaire ait induit la police en erreur à cette occasion en se faisant passer pour son frère.

[34]  Le 28 juillet 2014, après avoir omis de faire un arrêt et d’utiliser son clignotant, le fonctionnaire a été intercepté. On lui a demandé de présenter une pièce d’identité. Il a dit à la police qu’il avait oublié son portefeuille à la maison et s’est identifié comme étant son frère jumeau. Après vérification, la police a déterminé que le jumeau du fonctionnaire détenait un permis de conduire valide, mais que le permis du fonctionnaire avait été suspendu. Le fonctionnaire a continué de prétendre qu’il était son frère jumeau jusqu’à ce que la police trouve dans la voiture son portefeuille contenant son permis de conduire suspendu. Le fonctionnaire a alors admis sa véritable identité. Il s’agit de l’incident qui a entraîné les accusations d’usurpation d’identité et d’entrave volontaire mentionnées plus haut.

[35]  En résumé, je conclus qu’en deux occasions, et non trois comme il a été allégué, le fonctionnaire a présenté de faux renseignements concernant son identité à la police.

[36]  Je souligne aussi que dans son commentaire sur le point de la VDIP qui l’identifiait à tort comme le conducteur de son véhicule alors qu’il n’était pas présent, le fonctionnaire a émis l’hypothèse, lors de l’entrevue de résolution du doute, qu’il s’agissait peut-être de son frère au volant de la voiture. Il a fondé cette hypothèse sur un incident survenu en 2006, lorsque son frère avait utilisé son identité. Je souligne aussi que le fonctionnaire a témoigné que son frère et lui laissaient habituellement traîner leurs permis dans les voitures. Il l’a affirmé à l’entrevue de résolution du doute, puis réaffirmé à l’audience. Selon le fonctionnaire, ils n’échangeaient pas souvent leur identité, mais il était évident qu’ils se donnaient mutuellement accès à leur permis de conduire respectif afin de faciliter cette pratique chaque fois que cela pouvait sembler avantageux.

2.  Intimidation

[37]  Une autre catégorie de préoccupation qui a été soulevée par la VDIP était la propension manifeste du fonctionnaire à recourir à l’intimidation et aux menaces. Le rapport faisait état de plusieurs tentatives d’intimidation à l’endroit d’autres conducteurs et de la police. Le fonctionnaire a lui‑même fourni des documents qui illustraient de telles tentatives au moyen de ses titres de compétence à l’ARC.

[38]  Le 15 août 2007, un plaignant a appelé le SPO pour signaler qu’un conducteur très agressif le suivait. Le plaignant a déclaré que le conducteur (ultérieurement identifié comme étant le fonctionnaire) conduisait de façon erratique, le talonnait, le coupait et avait presque heurté son véhicule. Le plaignant a affirmé que le fonctionnaire avait baissé sa fenêtre et avait crié, en français : [traduction] « Fais attention, tu ne sais pas qui je suis ». Le fonctionnaire a aussi pris de nombreuses photos du plaignant. Cet incident est survenu un an et demi avant l’entrée en fonction du fonctionnaire à l’ARC.

[39]  Le fonctionnaire a présenté deux explications différentes de ce qu’il avait voulu dire en criant cela à l’autre conducteur. À l’entrevue de résolution du doute, il a affirmé qu’étant donné que deux membres de la famille de sa petite amie avaient des liens avec la police d’Ottawa, il se sentait invincible. À l’audience, il a nié avoir tenté d’invoquer ce qu’il percevait comme ses liens avec la police à cette occasion, bien qu’il ait admis l’avoir fait à d’autres moments. Il a affirmé qu’à cette occasion, il avait seulement essayé d’intimider l’autre conducteur en lui disant qu’il ne pouvait pas le dénoncer, puisqu’il ignorait qui il était et où il habitait. Si la première explication est vraie, il s’agissait alors d’une tentative d’abuser d’un lien perçu avec le pouvoir ou l’autorité. Si la deuxième est vraie, il s’agissait alors d’une menace implicite de violence, qui se fondait sur le fait que son identité n’était pas connue de la victime visée.

[40]  L’interaction du 8 août 2010 survenue dans le stationnement de la PPO, qui a été évoquée plus haut, comportait aussi une tentative d’intimidation. Il s’agissait de l’incident lors duquel le fonctionnaire était allé chercher son frère et avait été arrêté à son arrivée au poste, après avoir fait l’objet d’un signalement pour conduite dangereuse et défaut de rester sur les lieux d’un accident. Les remarques qu’il a adressées aux policiers étaient du genre : [traduction] « Oh, vous verrez, toute ma famille est de la police. Vous allez le regretter. Vous verrez ». Le policier a décrit au tribunal l’attitude du fonctionnaire, comme suit : [traduction] « Il essayait de faire le dur, en tenant des propos grossiers selon lesquels il avait des liens avec des membres du Service de Police d’Ottawa ». Il est également souligné dans la décision que pour le policier, il s’agissait seulement de la bravade d’un homme ivre.

[41]  Qu’il s’agisse ou non de la bravade d’un homme ivre, ces remarques ont préoccupé l’employeur, parce qu’elles rappelaient l’incident antérieur, lorsque le fonctionnaire avait menacé un autre conducteur en disant [traduction] « Fais attention, tu ne sais pas qui je suis ». Contrairement à cet incident, celui-ci est survenu à un moment où le fonctionnaire était un employé de l’ARC. Le fonctionnaire ne se souvenait pas précisément d’avoir dit cela à cette occasion, mais il a témoigné que cela ressemblait à quelque chose qu’il pourrait dire. Il a expliqué qu’en raison des membres de la famille de sa petite amie, il se sentait invincible et avait le sentiment d’avoir des liens avec la police. Il comprend maintenant que ce n’était pas le cas.

[42]  À l’entrevue de résolution du doute, le fonctionnaire a apporté des documents concernant une plainte qu’il avait présentée au Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP). Cette plainte concernait un autre incident signalé dans le rapport de la VDIP. Le 23 mai 2012, le fonctionnaire était en état d’ébriété et il a été vu descendre du trottoir en trébuchant pour s’engager sur la chaussée. Des policiers du SPO lui ont fait signe de s’arrêter en utilisant à la fois le klaxon et la sirène de leur véhicule, ce à quoi le fonctionnaire a répondu par un juron agressif et un geste vulgaire. Il s’est montré extrêmement menaçant, a saisi un policier par la chemise de son uniforme afin de le retourner pour le prendre en photo. Finalement, le fonctionnaire s’est plaint qu’une force excessive avait été utilisée pour le maîtriser et a demandé l’annulation de ses deux contraventions (pour ivresse publique et ne pas avoir emprunté un passage pour piétons), ainsi que des excuses par écrit de la part du policier. Il a achevé sa plainte en affirmant qu’il était prêt à porter l’affaire à l’attention des médias et des tribunaux.

[43]  Le 12 juin 2012, le BDIEP a avisé le fonctionnaire qu’il examinait sa plainte de force excessive, mais que les contraventions seraient mieux gérées en vertu d’une autre loi. Le BDIEP a averti le fonctionnaire que les lois qui s’appliquaient aux contraventions prévoyaient des délais stricts, que le BDIEP ne pouvait pas modifier. Subséquemment, le SPO a offert de régler la plainte, mais le fonctionnaire s’y est opposé au motif que l’offre ne s’appliquait qu’au comportement du policier à son endroit et ne tenait pas compte des contraventions. Il a réitéré qu’il était prêt à porter l’affaire à l’attention des médias et des tribunaux, et qu’il pourrait aussi ajouter une demande d’indemnisation si ses contraventions n’étaient pas annulées.

[44]  La plainte initiale du fonctionnaire ne contenait que son nom, son adresse ainsi que son adresse électronique personnelle sur Yahoo!. Cependant, sa lettre de suivi, dans laquelle il refusait l’offre de régler l’affaire et menaçait d’intensifier le différend et d’ajouter une demande d’indemnisation si ses contraventions n’étaient pas annulées, a été envoyée à partir de son compte courriel de l’ARC à 15 h 57, avec copie conforme à son compte Yahoo!. Par conséquent, il y a lieu de penser que l’utilisation de son courriel du travail était délibérée, et rien ne prouvait le contraire. Non seulement le fonctionnaire a‑t‑il utilisé son compte courriel de l’ARC, mais il a aussi inclus tout son bloc de signature de l’ARC, qui indiquait ce qui suit : son titre de coordonnateur de la Division, Agence du revenu du Canada, Gouvernement du Canada, son adresse électronique à l’ARC, l’adresse postale et les numéros de téléphone et de télécopieur. En l’absence de preuve du contraire, je conclus qu’il s’agissait d’une tentative visant à intimider et à utiliser ses titres professionnels de l’ARC pour en tirer un avantage personnel.

[45]  L’affaire a été réglée ultérieurement. Le policier s’est excusé de vive voix; le fonctionnaire s’est excusé de vive voix pour s’être montré agressif et a retiré sa demande d’annulation de ses contraventions.

3.  Comportement agressif envers les autorités policières

[46]  Le rapport de la VDIP a nettement démontré la tendance du fonctionnaire à ne pas collaborer et à se montrer agressif envers les autorités policières. Il a souvent demandé (apparemment sans motif fondé sur des faits, ce qu’il n’a pas contesté) les numéros des insignes des policiers ou pris ces derniers en photos, laissant entendre, et souvent en déclarant, qu’une plainte serait déposée contre eux. Même si la police n’a probablement pas pris ces menaces au sérieux, je considère que ce comportement illustre la propension du fonctionnaire à tenter d’intimider pour en tirer un avantage, c’est‑à‑dire éviter de recevoir une contravention ou d’être inculpé d’une infraction. Je souligne aussi que ce comportement, même s’il se manifeste souvent dans le contexte de la bravade d’un homme ivre, comme l’a décrit un policier, a aussi été utilisé à des moments où aucun état d’ébriété n’a été signalé. Les paragraphes qui suivent n’en donnent que quelques exemples.

[47]  Le 7 mars 2007, la police a intercepté le fonctionnaire parce que le silencieux de son véhicule était bruyant et qu’un phare était cassé. Le fonctionnaire a demandé le numéro d’insigne du policier et a avisé celui‑ci qu’il déposerait une plainte contre lui.

[48]  Le 29 avril 2007, le fonctionnaire a commencé à argumenter avec un policier à un feu de circulation lorsque le policier lui a parlé de ses freins et du fait qu’il suivait le véhicule de police de trop près. Le fonctionnaire a déclaré qu’il voulait le nom et le numéro d’insigne du policier. Ce dernier a dit au fonctionnaire de se ranger sur l’accotement et qu’il lui fournirait ces renseignements. Après s’être rangé, le fonctionnaire n’a pas été en mesure de produire les documents d’enregistrement du véhicule et a reçu une contravention. Le fonctionnaire a alors demandé le nom du superviseur du policier et a dit qu’il déposerait une plainte.

[49]  Le 14 mai 2008, le fonctionnaire a été intercepté pour avoir conduit alors que son permis était suspendu. Il a immédiatement recherché la confrontation, s’est dirigé vers la voiture de police, a demandé les noms et numéros d’insignes des policiers et a pris des photos de ceux‑ci et de la voiture de police. Le lendemain, soit le 15 mai 2008, puis à nouveau le 29 mai 2008, le fonctionnaire a été intercepté pour avoir conduit un véhicule alors que son permis était suspendu. Cependant, il n’a pas demandé de numéro d’insigne à ces deux occasions.

[50]  Le fonctionnaire a aussi eu des interactions avec la police qui ne comprenaient aucune menace de déposer des plaintes, mais qui démontraient simplement un gros manque de jugement, par exemple, en accélérant et en talonnant des policiers de la GRC alors qu’il n’avait pas les bonnes plaques sur sa voiture et n’avait pas d’assurance.

[51]  Cette agressivité envers la police a révélé à l’Agence un manque de respect alarmant pour la loi et les autorités policières. Ce manque de respect a aussi été considéré comme une préoccupation pour la réputation, parce que l’Agence interagit régulièrement avec les autorités policières et que, dans son poste intérimaire,  le fonctionnaire interagissait directement avec la GRC en tant que fournisseur de services. Lorsqu’on a demandé au fonctionnaire, à son entrevue de résolution du doute, pourquoi il était aussi agressif envers la police, il a répondu, encore une fois, qu’en raison des membres de la famille de sa petite amie, il avait le sentiment d’avoir des liens avec la police et d’être, par conséquent, invincible.

4.  Allégations d’associations criminelles

[52]  Le rapport de la VDIP fournissait aussi des renseignements suggérant d’éventuelles associations criminelles. M. Lafleur a parlé de l’inscription du rapport de la VDIP qui, selon le fonctionnaire, était inexacte. Selon cette inscription, le fonctionnaire avait été identifié à tort comme étant le conducteur d’une voiture interceptée par la police. Le fonctionnaire a émis l’hypothèse que son frère aurait pu être au volant, mais s’est ensuite souvenu qu’il avait loué le véhicule, dont il était le propriétaire, à un ami et qu’il n’était pas présent au moment des faits. Même si le fonctionnaire ne se trouvait pas dans la voiture, l’employeur était préoccupé par l’incident puisque la GRC a présenté des renseignements concernant l’importante criminalité de l’un des individus qui se trouvait dans la voiture. Il n’était pas précisé si cette personne était l’ami auquel le fonctionnaire avait loué sa voiture ou un passager, mais d’une façon ou d’une autre, la nature grave de la criminalité invoquée était préoccupante.

[53]  Il s’agit d’un lien très faible avec tout ce qui peut ressembler à des [traduction] « associations criminelles ». Il y a peut-être plus que cela; cependant, M. Lafleur ne pouvait pas révéler de plus amples renseignements, et le rapport de la VDIP a été caviardé en raison des renseignements concernant des tiers qui ne pouvaient pas être divulgués. Par conséquent, au vu des faits limités dont je suis saisie, je conclus que toute suggestion selon laquelle le fonctionnaire pouvait avoir des associations criminelles au‑delà de celles qu’il a révélées lorsqu’on lui a posé la question est non fondée – à savoir que deux membres de sa famille avaient été déclarés coupables de conduite avec facultés affaiblies et qu’un autre avait reçu une condamnation pour voies de fait il y a très longtemps. Son ami (un autre que celui auquel il avait loué sa voiture) avait aussi été déclaré coupable de cascades au volant.

V.  L’entrevue de résolution du doute

[54]  Amy Bal, analyste de la sécurité, a évalué les renseignements défavorables qui figuraient dans la VDIP et a rédigé l’évaluation préliminaire du risque. M. St. Pierre a témoigné qu’une révision pour motif valable est essentiellement un processus d’évaluation des renseignements obtenus par rapport au Code, qui consiste à examiner l’honnêteté, l’intégrité et les facteurs de risque. M. St. Pierre a affirmé que l’évaluation de la sécurité du personnel n’offre pas une réponse nettement tranchée, comme celle de la sécurité physique. L’exercice consiste à examiner les tendances comportementales et à évaluer le risque futur. Si les renseignements défavorables qui ont été reçus révèlent un comportement préoccupant ou un manque apparent de fiabilité, une entrevue de résolution du doute est justifiée.

[55]  Par conséquent, une fois que l’évaluation préliminaire du risque a été achevée, l’Agence a organisé une entrevue de résolution du doute avec le fonctionnaire. Cette entrevue lui offrait la possibilité de répondre aux questions ou de présenter des explications ou des facteurs atténuants à l’égard des questions soulevées dans l’évaluation préliminaire du risque.

[56]  M. Lafleur a témoigné que lors d’une entrevue de résolution du doute, l’employeur cherche à évaluer l’honnêteté, la fiabilité et le caractère de l’employé. Il ne s’agit pas d’une recherche de faits, qui est la fonction d’une VDIP. L’employeur cherche à voir si l’employé s’exprime ouvertement et honnêtement et l’aide à évaluer le risque découlant de tout problème de sécurité courant. Il s’agit de déterminer, à long terme, si la personne est digne de confiance pour exercer ses fonctions au niveau de confiance exigé.

[57]  Barbara Radmore, directrice adjointe de la Sécurité pour la région de la capitale nationale, a mené l’entrevue en compagnie de M. Lafleur et Mme Bal. Le fonctionnaire a été invité à emmener un tiers en qualité d’observateur, mais a confirmé qu’il avait l’intention de procéder seul. Il comprenait le but de l’entrevue et a abordé le contenu du rapport de la VDIP. Il était préparé et avait apporté des documents à l’appui de certaines de ses explications. Malheureusement, aucun doute n’a été dissipé à l’entrevue.

[58]  M. Lafleur et Mmes Radmore et Bal ont tous témoigné avoir eu le sentiment que le fonctionnaire n’assumait pas la responsabilité de sa conduite, minimisait la gravité de ses actes, blâmait les autres ou n’était pas tout à fait sincère. Mme Bal et M. Lafleur ont témoigné que, parfois, ils avaient l’impression que le fonctionnaire ne disait pas la vérité.

[59]  Mme Radmore a mentionné que même si le fonctionnaire n’avait pas nié le contenu du rapport de la VDIP, il n’avait pas non plus assumé une grande part de responsabilité à l’égard des préoccupations que ce rapport avait soulevées. En ce qui concerne son agressivité envers des policiers, il a seulement fait allusion au fait d’avoir fait, selon ses mots, des [traduction] « erreurs stupides » pendant sa jeunesse. Il a à peine abordé les incidents au cours desquels il a utilisé l’identité de son frère et ne les a ni niés ni reconnus. Il a plutôt eu recours à des déclarations générales telles que [traduction] « je ne me souviens pas » ou « je ne suis pas certain ».

[60]  M. Lafleur était d’avis que l’incapacité du fonctionnaire à assumer vraiment la responsabilité de ses actes soulevait la question de savoir s’il pouvait corriger ce comportement et changer de voie à l’avenir. M. Lafleur a conclu que le fonctionnaire n’était pas digne de confiance et pensait qu’on ne pouvait pas se fier sur lui pour protéger les renseignements des clients et pour exercer ses fonctions avec le niveau de confiance requis.

VI.  La recommandation de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire

[61]  Le fonctionnaire avait accès à beaucoup de renseignements sensibles concernant les demandeurs de cote de sécurité et les employés. Les témoins de l’employeur ont reconnu que le poste intérimaire du fonctionnaire constituait un facteur aggravant, puisqu’il menait et supervisait des enquêtes de sécurité. Cependant, les témoins se sont aussi demandé si l’on pouvait faire confiance au fonctionnaire à son poste d’attache, dans lequel il aurait également accès à des renseignements sensibles, quoique d’un genre différent. Il a été estimé que la conduite préoccupante du fonctionnaire avait également des répercussions sur le niveau de confiance exigé à son poste d’attache. En fait, M. St. Pierre a témoigné qu’en raison du mandat de l’ARC, il est convaincu que tous ses postes requièrent de la confiance. Il aurait des préoccupations au sujet du fonctionnaire même s’il travaillait à la salle du courrier ou au centre d’appels. M. St. Pierre était d’avis que le fonctionnaire représentait un risque pour l’ARC à n’importe quel poste.

[62]  Il existait une préoccupation grave relative à la réputation en ce qui concerne les partenaires des autorités policières de l’Agence, qui était aggravée par le fait que le fonctionnaire occupait un poste lié à la sécurité. Toutefois, il existait aussi une préoccupation relative à la réputation en ce qui concernait les citoyens qui présenteraient leur candidature à un poste quelconque. Si ces questions devenaient connus, les gens se poseraient des questions sur les personnes que l’ARC embauche. Le compte Twitter du fonctionnaire est « @taxman »([traduction] @percepteur). Ce dernier a témoigné que ses amis savent où il travaille. Ils doivent aussi connaître son comportement. Cette situation pourrait entraîner des questions et la méfiance du public.

[63]  La propension du fonctionnaire à se faire passer pour son frère était particulièrement préoccupante. L’identification adéquate est très importante pour l’ARC, en ce qui concerne les contribuables et les attestations de sécurité des employés. Apparemment, le fonctionnaire avait une propension à faire une mauvaise utilisation des documents juridiques et à présenter son identité de façon erronée.

[64]  Le fonctionnaire a été considéré comme ayant de graves problèmes de jugement, une incapacité à suivre les règles et un manque de respect pour la loi et les autorités policières, ce qui donnait à penser qu’il y avait un risque  en ce qui concerne la protection des renseignements de l’Agence. Le fonctionnaire avait le potentiel d’être exploité. Il pourrait être sollicité pour faire réduire des impôts ou pour avoir accès à des renseignements tels que des noms, des adresses, et ainsi de suite. Il n’était pas exagéré de présumer qu’à un moment donné, il pourrait prendre des mesures qui seraient avantageuses pour lui et non pour l’Agence. M. St. Pierre a souligné que les employés de l’ARC usent de leur jugement quotidiennement et ne cessent de prendre inconsciemment des décisions. Le comportement du fonctionnaire s’était répété pendant plus de 10 ans et semblait ancré en lui. Il avait pris de mauvaises décisions à maintes reprises et n’en avait tiré aucune leçon.

[65]  Les témoins de l’ARC ont témoigné qu’ils avaient examiné tous les renseignements que le fonctionnaire leur avait fournis qui auraient pu excuser sa conduite ou l’atténuer à l’avenir. Ils ont sondé les éléments permettant de croire que ce comportement ne se répéterait pas, comme un quelconque problème de santé faisant l’objet d’un diagnostic officiel, et les intentions du fonctionnaire à l’avenir, puis ils se sont demandé s’il était raisonnable d’attribuer cette conduite aux répercussions du décès de la mère du fonctionnaire, comme celui‑ci l’avait laissé entendre. Dans les réponses du fonctionnaire, les témoins n’ont trouvé aucun élément permettant d’atténuer la préoccupation à l’avenir.

[66]  L’ARC peut essayer de réduire le risque de diverses façons. Dans le cas du fonctionnaire, il a été envisagé de limiter considérablement son accès aux renseignements. Cependant, compte tenu de ce que la VDIP avait révélé à l’égard du jugement, et compte tenu des réponses insatisfaisantes du fonctionnaire à l’entrevue de résolution du doute, la direction était convaincue que rien ne pouvait être fait pour atténuer suffisamment le risque que présenterait le fonctionnaire à leur avis, où que ce soit au sein de l’organisation.

VII.  La décision de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire

[67]  Mme Hills est chargée de la surveillance du programme de sécurité de l’ARC. Elle voit entre 25 et 30 examens de statut chaque année, lesquels entraînent ordinairement une dizaine ou une douzaine de révocations. Elle est la décideuse finale. Mme Hills a expliqué que cette fonction est centralisée au poste d’agent de sécurité de l’Agence afin d’être indépendante des procédures d’enquête. Mme Hills ne participe pas aux entrevues de résolution du doute, ni aux autres volets du processus; elle ne fait qu’examiner le dossier complet. Cette façon de procéder permet de s’assurer que les renseignements dont elle dispose sont les mêmes que ceux dont disposerait toute autre personne qui prendrait la décision. Habituellement, Mme Hills ne connaît pas la personne dont le statut fait l’objet d’un examen, et elle ne connaissait pas le fonctionnaire.

[68]  Après l’entrevue de résolution du doute, beaucoup de doutes subsistaient au sujet de l’honnêteté du fonctionnaire, de sa fiabilité et de son aptitude à suivre les règles. Mme Hills a eu le sentiment que rien n’indiquait que le fonctionnaire avait assumé la responsabilité de ses actes et que, par conséquent, il était fort peu probable qu’il puisse modifier son comportement.

[69]  Mme Hills a témoigné que la conduite de longue date du fonctionnaire l’avait préoccupée. L’usurpation d’identité et l’utilisation de documents juridiques inexacts à des fins frauduleuses étaient particulièrement préoccupantes, tout comme la propension apparente du fonctionnaire à se sortir des situations difficiles en étant malhonnête. Son apparente disposition à blâmer les autres, son hostilité envers l’autorité policière et son manque de jugement constituaient tous des préoccupations. Mme Hills a souligné l’apparente incapacité du fonctionnaire à apprendre du passé et à corriger son comportement, par exemple, lorsqu’il a été intercepté pour avoir conduit un véhicule sous le coup d’une suspension de son permis deux jours de suite. Mme Hills a estimé que les problèmes de jugement étaient frappants et a souligné, par exemple, que le fonctionnaire avait inexplicablement déclenché et envenimé une dispute avec un policier, alors qu’il savait qu’il ne détenait pas les documents d’enregistrement de sa voiture.

[70]  Mme Hills a aussi fait référence à la condamnation pour conduite avec facultés affaiblies en 2012, en soulignant que le fonctionnaire avait autorisé deux amis à mentir sous serment et à témoigner qu’il n’avait pas été au volant du véhicule. Cette conduite a tout naturellement été jugée très grave. Les deux témoins n’ont guère été convaincants, et le juge a énoncé clairement dans sa décision qu’il ne prêtait pas foi à leurs témoignages. (À l’audience de la Commission, le fonctionnaire a admis qu’il était bien le conducteur. Il a affirmé que son avocat avait pris les dispositions nécessaires pour que le faux témoignage soit présenté au tribunal en son nom, qu’il savait avant le procès qu’au moins l’un des amis mentirait, et qu’il avait accepté le plan.)

[71]  Mme Hills a examiné la question de savoir comment ces préoccupations étaient liées au travail du fonctionnaire à l’ARC. Elle a renvoyé à la Norme sur le filtrage de sécurité du Conseil du Trésor et a affirmé que la décision comporte un examen des renseignements recueillis et leurs liens avec les éléments que l’Agence essaie d’évaluer. L’Agence doit examiner l’honnêteté, la fiabilité et l’intégrité. Elle doit analyser si, d’après les renseignements reçus, l’employé protégera les actifs, les renseignements et la réputation de l’ARC. L’Agence doit évaluer si, le moment venu, l’employé agira dans son propre intérêt et non dans celui de l’Agence. Celle‑ci disposait d’éléments de preuve remontant à dix ans faisant état de la conduite du fonctionnaire et rien ne laissait penser que cette conduite ne persisterait pas à l’avenir et ne s’ingérerait pas dans le travail du fonctionnaire.

[72]  Mme Hills a souligné que la réputation de l’Agence auprès des autorités policières constituait un facteur de préoccupation, mais que celui‑ci n’était pas accablant, puisqu’il aurait pu être atténué en plaçant le fonctionnaire dans un rôle différent. Les cas d’intimidation revêtaient plus d’importance; par exemple, la tentative d’intimidation auprès d’autres conducteurs et de policiers, tout comme l’utilisation de son courriel de l’ARC pour menacer de porter sa plainte au BDIEP à l’attention des médias et des tribunaux. Le risque pour la réputation découlant de ce genre de conduite a été jugé très important.

[73]  Mme Hills a témoigné qu’elle avait examiné les renseignements atténuants qu’avait soulevés le fonctionnaire, tels que son jeune âge à l’époque de certains incidents et ses problèmes de santé. Elle était toutefois d’avis que ces facteurs n’atténuaient pas le risque pour la sécurité à l’avenir. En ce qui concerne la surconsommation d’alcool du fonctionnaire à la suite du décès de sa mère, Mme Hills a souligné que même si elle compatissait à la perte subie par le fonctionnaire et en comprenait les répercussions sur lui, il ne s’agissait pas d’une situation particulière. Il était également évident que ce comportement était apparu bien avant et avait persisté bien après le décès de sa mère. Les problèmes de santé n’étaient pas documentés, et de toute façon, ils ne semblaient pas expliquer le comportement du fonctionnaire.

[74]  Mme Hills a fondé sa décision sur les renseignements fournis dans l’évaluation préliminaire du risque, le rapport de la VDIP, les observations du fonctionnaire à l’entrevue de résolution du doute et l’évaluation finale du risque. Cette compilation des renseignements comprenait les documents que le fonctionnaire avait lui‑même présentés, qui démontraient sa mauvaise utilisation de ses titres professionnels à l’ARC. La production de ces documents n’a servi qu’à illustrer le même penchant à l’intimidation. Ces documents devaient apaiser les préoccupations de l’Agence, mais ont eu l’effet contraire. L’ensemble des renseignements compilés a amené l’Agence à conclure que le fonctionnaire présentait un risque inacceptable pour l’Agence. Mme Hills voit beaucoup de cas et, à son avis, celui qui nous occupe touchait au cœur même des raisons pour lesquelles l’Agence mène des enquêtes de sécurité et procède à des vérifications qui ne se rapportent pas directement à la conduite au travail.

VIII.  L’argumentation du fonctionnaire

[75]  L’avocate du fonctionnaire a soutenu que l’employeur n’avait pas de motifs légitimes pour révoquer la cote de sécurité du fonctionnaire, essentiellement pour quatre raisons. J’examinerai chacune d’elles à tour de rôle.

A.  L’absence de lien à l’emploi

[76]  En premier lieu, il a été soutenu que l’employeur n’avait pas établi l’existence d’un lien entre les incidents mentionnés dans la VDIP et tout risque significatif pour l’ARC. La conduite du fonctionnaire en dehors du travail n’était pas liée à son travail et ne comportait pas le risque que le fonctionnaire adopte un comportement problématique au travail.

[77]  La conduite en dehors du travail est souvent distincte et sans lien avec les intérêts d’un employeur, mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Certaines informations provenant de la VDIP auraient eu peu de liens avec le travail du fonctionnaire s’il s’était agi d’incidents isolés. Cependant, ce n’était pas le cas. Ils faisaient partie d’une tendance claire et prolongée à faire preuve d’un manque de jugement, d’un manque de respect de la loi et des documents juridiques, de malhonnêteté et d’une propension à user d’une fausse identité, à intimider et à abuser d’un pouvoir perçu. Il n’est pas possible de conclure qu’il n’existait aucun risque que la conduite du fonctionnaire en dehors du travail ne dégénère en un comportement problématique au travail.

[78]  À mon avis, il ne s’agissait pas seulement d’un risque – cela s’était déjà produit. Le fonctionnaire avait tenté d’utiliser son statut à l’ARC pour convaincre le SPO d’annuler deux contraventions. Il a d’abord présenté sa plainte de recours à la force excessive au moyen de son courriel personnel, sans mentionner le lieu où il travaillait. Cependant, il a rapidement exacerbé l’affaire et affiché son association avec l’ARC lorsqu’il est apparu que ses contraventions ne seraient pas annulées.

[79]  À mon avis, il est plus que probable que ce type de conduite empiète à nouveau dans le travail du fonctionnaire.

B.  Les facteurs atténuants n’ont pas été pris en considération

[80]  En second lieu, l’avocate du fonctionnaire a soutenu que l’analyse de l’employeur ne tenait pas compte du contexte global, par exemple, des facteurs atténuants. L’avocate a souligné que la majorité des incidents mentionnés se sont produits avant que le fonctionnaire ne soit un employé de l’ARC, lorsqu’il avait 18 ou 19 ans. Il avait été un adolescent perturbé, élevé dans des circonstances difficiles, et avait eu de la difficulté à accepter le décès de sa mère. Il était en outre allégué que le fonctionnaire assumait la responsabilité de sa conduite.

[81]  Il est évident que l’employeur a tenu compte des facteurs atténuants soulevés par le fonctionnaire. Chacun de ses témoins a déclaré qu’ils l’avaient fait, mais que les facteurs soulevés ne permettaient pas d’atténuer la gravité de la conduite. Je dois souscrire à cette constatation. Il ne fait aucun doute que le fonctionnaire a été profondément affecté par le décès de sa mère en 2010 et qu’il a consommé trop d’alcool à cette époque, comme il l’a déclaré dans son témoignage. Cependant, douze des interactions du fonctionnaire avec la police ont eu lieu entre 2006 et 2008; six d’entre elles ont eu lieu entre 2012 et 2016. Un seul incident (quoiqu’il ait été grave) est survenu entre 2009 et 2011, soit la période qui a précédé et suivi le décès de la mère du fonctionnaire.

[82]  Même si un bon nombre des incidents sont survenus à la fin de l’adolescence du fonctionnaire et avant son emploi à l’ARC, il ne s’agit pas d’un facteur atténuant en l’espèce. Les 12 premiers incidents sont survenus lorsque le fonctionnaire était âgé de 18 à 20 ans, juste avant son entrée en fonction à l’ARC en 2009, à l’âge de 21 ans. D’accord, il était jeune, mais il ne s’agissait pas des méfaits d’un adolescent datant d’un passé lointain et sans lien avec son identité d’adulte actuelle. Non seulement s’agissait‑il d’évènements récents, mais la ligne de conduite est demeurée la même à un niveau remarquable; elle s’est simplement aggravée et a donné lieu à des abus d’alcool plus importants à mesure que le fonctionnaire passait à l’âge adulte.

[83]  Quant à l’allégation selon laquelle le fonctionnaire aurait assumé la responsabilité de ses actes, quatre témoins de l’employeur estimaient que ce n’était pas le cas. Après avoir lu ses réponses à l’entrevue de résolution du doute et avoir entendu son témoignage, je suis également de cet avis. Hormis l’avoir formulé verbalement, rien de ce que le fonctionnaire a fait ou dit ne laissait penser qu’il assumait la responsabilité de ses actes ou même qu’il comprenait ce que cela pouvait supposer. À mon avis, assumer la responsabilité supposerait, d’abord et avant tout, de reconnaître le besoin d’être traité sérieusement pour ses abus d’alcool et ses problèmes de gestion de la colère et de recevoir un tel traitement. Le fonctionnaire n’a pas signalé son intention de prendre des mesures concrètes pour s’assurer que ce comportement ne persiste pas à l’avenir.

C.  L’Agence s’est fondée sur des faits erronés et non établis

[84]  En troisième lieu, il a été soutenu que l’analyse du risque de l’ARC était fondée sur des faits erronés et non établis qui étaient mentionnés dans le rapport de la VDIP,  que le fonctionnaire a niés. En fait, le fonctionnaire a nié très peu de choses. Il a indiqué qu’une donnée saisie dans la VDIP était erronée, ce qui a été reconnu et corrigé. Le fonctionnaire a aussi contesté une donnée saisie dans la VDIP selon laquelle il avait répondu au téléphone en se faisant passer pour son frère. Le fonctionnaire l’avait nié à la police à l’époque, et son déni a été correctement inscrit dans le rapport de la VDIP. Le fonctionnaire a continué à le nier dans son témoignage; selon moi, son déni n’était pas crédible. Il n’a relevé aucun autre événement décrit dans la VIDP qui, selon lui, serait inexact; en fait, il a confirmé presque tous les faits qui avaient été allégués au sujet de sa conduite.

D.  Le fonctionnaire a conservé son accès à l’Agence durant la révision pour motif valable

[85]  En dernier lieu, il a été soutenu que les actes de l’employeur étaient incompatibles avec la conviction que le fonctionnaire présentait un risque. Non seulement celui‑ci est‑il demeuré en poste après avoir divulgué l’accusation de conduite avec facultés affaiblies, mais il a aussi repris son poste de gestionnaire intérimaire responsable de la surveillance des enquêtes de sécurité. Il n’a pas été suspendu, et l’employeur ne lui a pas non plus retiré son pouvoir décisionnel en attendant la tenue d’une enquête. Le fonctionnaire a gardé un plein accès aux locaux et aux documents sensibles, jusqu’à ce qu’il soit licencié.

[86]  Je ne peux pas reprocher à l’employeur d’avoir autorisé le fonctionnaire à occuper son poste de gestionnaire intérimaire après que celui‑ci eut divulgué l’accusation de conduite avec facultés affaiblies dont il faisait l’objet. La preuve a clairement démontré que, en soi, une pareille accusation n’aurait vraisemblablement pas nuit à sa cote de sécurité. Il était également clair que le contenu du rapport de la VDIP avait été une surprise complète pour l’Agence.

[87]  Quant à la décision de ne pas suspendre le fonctionnaire, Mme Hills et M. St. Pierre ont tous deux témoigné que le fait de suspendre un employé et, par conséquent, de même mettre fin à son revenu immédiatement, est une mesure sévère à prendre avant d’avoir obtenu tous les renseignements. Ils ont affirmé qu’il est important d’être équitable, qu’il y a toujours deux versions, et qu’ils doivent entendre celle de l’employé et connaître tous les facteurs atténuants avant d’agir. Mme Hills a aussi souligné que compte tenu du contenu de la VDIP, il était prévu que le laps de temps nécessaire pour révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire serait bref si l’entrevue de résolution du doute ne permettait pas de dissiper les doutes, ce qui s’est avéré être le cas. Dix semaines se sont écoulées entre la réception du rapport de la VDIP, le 13 mai, et la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire, le 21 juillet. Le processus de révision pour motif valable a été mené avec une diligence raisonnable, et il était à l’avantage du fonctionnaire de continuer à toucher son salaire durant cette période relativement brève.

[88]  La preuve concernant le défaut de retirer le pouvoir décisionnel du fonctionnaire, comme l’a recommandé la Direction de la sécurité, était moins claire. Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait conservé son pouvoir décisionnel et qu’il avait plein accès pendant toute la période de la révision pour motif valable. Aucun des témoins de l’employeur n’a pu affirmer le contraire; ils avaient présumé que la recommandation aurait été mise en œuvre et ne disposaient d’aucun renseignement indiquant le contraire. Selon le témoignage du fonctionnaire, je conclus que la recommandation n’a pas été mise en œuvre et que le fonctionnaire a conservé son pouvoir décisionnel pendant toute la période de la révision.

[89]  Cependant, compte tenu de la période assez courte durant laquelle la révision pour motif valable a été effectuée, je ne suis pas disposée à conclure que les préoccupations de l’Agence relativement à la sécurité n’étaient pas crédibles parce que celle‑ci n’a pas suspendu immédiatement le fonctionnaire, ni parce qu’elle n’a pas mis en œuvre la recommandation de l’équipe responsable de la sécurité de retirer au fonctionnaire son pouvoir décisionnel.

IX.  Conclusion

[90]  Les renseignements défavorables concernant le fonctionnaire, que la VDIP a mis au jour, ont révélé diverses formes d’inconduite, y compris la conduite automobile agressive et dangereuse, la course sur route, la rage au volant, la conduite avec facultés affaiblies, le défaut de rester sur les lieux d’un accident, des abus d’alcool graves, le défaut répété d’avoir en main les documents d’immatriculation ou d’enregistrement du véhicule, la négligence de régler de nombreuses contraventions liées à des infractions provinciales, la conduite automobile sous le coup d’une suspension de son permis à maintes reprises, le défaut de s’identifier correctement à la police en usurpant l’identité de son frère jumeau, des menaces et de l’intimidation envers d’autres conducteurs, ainsi que des interactions agressives et belliqueuses avec des policiers à maintes reprises. Les renseignements ont révélé une tendance de longue date à l’emportement, à l’agressivité et à l’adoption d’un comportement menaçant, souvent, mais pas toujours, sous l’effet de l’alcool. Manifestement fort peu conscient de ses actes, tant à l’entrevue de résolution du doute qu’à l’audience, le fonctionnaire s’est décrit sous les traits d’un [traduction] « joyeux buveur ».

[91]  La conduite du fonctionnaire révèle un manque de jugement important et une apparente incapacité à apprendre des erreurs passées. À de nombreuses reprises, il a agi à l’encontre de son propre intérêt en se conduisant de telle façon qu’il attirait inévitablement l’attention des autorités policières, après quoi il envenimait la situation en se montrant inutilement agressif envers les policiers. Il a agi ainsi parce qu’il avait le sentiment d’avoir des liens familiaux avec la police et, par conséquent, d’être invincible. Autrement dit, il le faisait simplement parce qu’il croyait pouvoir le faire impunément.

[92]  Quoique volumineux, le rapport de la VDIP n’a dévoilé aucun incident touchant directement l’ARC. Cependant, à l’entrevue de résolution du doute, le fonctionnaire a produit des documents qui ont démontré à l’employeur qu’il avait utilisé à mauvais escient son association avec l’ARC, afin d’en tirer un avantage personnel – soit tenter de convaincre la police d’annuler deux contraventions. Le fait que le fonctionnaire ait produit lui‑même cette preuve indique qu’il ne voyait rien de mal à tenter d’abuser du pouvoir de cette façon. En s’efforçant d’atténuer quelque peu le comportement dénué de sérieux qu’il avait affiché à cette occasion (les contraventions visaient l’ivresse publique et la traversée illégale), le fonctionnaire a révélé une inconduite beaucoup plus grave, qui était directement liée aux préoccupations de sécurité de l’employeur. Plus qu’un manque de jugement, cela dénote une incompréhension fondamentale de ce que l’ARC, et la politique du gouvernement fédéral dans son ensemble, exige de la part des fonctionnaires.

[93]  Le manque de compréhension du fonctionnaire, si on l’examine parallèlement à sa propension apparente à intimider les autres en usant de menaces, qui mettent souvent en cause des liens avec le pouvoir et l’autorité qui pourraient être exercés à l’encontre de la personne menacée, donne un aperçu du risque grave pour les intérêts, les actifs et l’intégrité de l’Agence. Le fonctionnaire a fait un mauvais usage de ses titres professionnels à l’Agence au moins une fois. Sa tendance à se tourner rapidement vers diverses formes d’intimidation lorsqu’il s’estime lésé, que ce soit par d’autres conducteurs ou par la police, est de longue date et bien documentée. À mon avis, la preuve étaye les préoccupations légitimes de l’ARC selon lesquelles il existe un risque que le fonctionnaire fasse à nouveau une mauvaise utilisation de ses titres professionnels de l’Agence, à son profit ou pour le compte d’autres personnes qui pourraient s’adresser à lui dans ce but.

[94]  La preuve étaye aussi les préoccupations de l’Agence au sujet du manque de respect du fonctionnaire pour la loi et les documents juridiques exacts. Ces préoccupations ont été démontrées par le fait que le fonctionnaire avait présenté de faux renseignements d’identité aux policiers et qu’il avait usurpé l’identité de son frère. Le fonctionnaire ne semblait pas penser qu’il était répréhensible d’échanger son permis de conduire avec celui de son frère, selon le permis de conduire qui était suspendu, ou pas, à un moment donné. Il est évident que cette pratique est de longue date, et je n’ai entendu aucun argument convaincant de la part du fonctionnaire pouvant m’amener à conclure qu’il comprend maintenant qu’il s’agit d’une conduite problématique, ou qu’il est peu probable qu’elle se manifeste à nouveau.

[95]  Plus grave encore, le manque de respect du fonctionnaire pour la loi et la vérité a été illustré lorsque deux de ses amis ont livré un faux témoignage devant le tribunal pour son compte. Selon ce témoignage, le fonctionnaire n’était pas le conducteur en état d’ébriété d’un véhicule, alors qu’en fait, comme celui-ci l’a reconnu à l’audience, il était bien le conducteur. Le fonctionnaire a admis qu’il avait consenti à l’idée de présenter un faux témoignage au tribunal.

[96]  En ce qui concerne les facteurs atténuants, le fonctionnaire a parlé de ses abus d’alcool en disant qu’il avait trop consommé après le décès de sa mère en 2010. La première condamnation du fonctionnaire pour conduite avec facultés affaiblies visait un incident survenu en 2010. Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait réduit sa consommation depuis. Cependant, la preuve a démontré que, en 2012, soit deux ans après le décès de sa mère, le fonctionnaire a reçu une contravention liée à une infraction provinciale pour avoir été ivre dans un endroit public. En 2014, soit quatre ans après le décès de sa mère,  le rapport de la VDIP décrivait le fonctionnaire comme étant [traduction] « fortement enivré » lorsqu’il a initié une altercation avec un homme qui se trouvait assis dans son camion. Le fonctionnaire a fracassé le rétroviseur du camion à coup de poing, a reçu 17 points de suture à la main et a accepté de payer le remplacement du rétroviseur. En 2016, soit six ans après le décès de sa mère, le fonctionnaire a été inculpé de conduite avec facultés affaiblies et de conduite avec une alcoolémie supérieure à 0,08 milligramme.

[97]  Le fonctionnaire a affirmé que parfois, dans le passé, il accompagnait un membre de sa famille aux réunions des Alcooliques anonymes (AA) afin d’offrir du soutien. Il a trouvé les réunions intéressantes. Cependant, maintenant que le membre de sa famille a cessé d’assister aux réunions, il n’y va plus. Il n’y a pas assisté pour lui‑même, mais seulement à titre de personne de soutien.

[98]  Le fonctionnaire n’a ni demandé ni indiqué son intention de demander une assistance ou un traitement quelconque qui pourrait l’aider à gérer ses abus d’alcool ou les autres comportements destructeurs qui sont relatés dans la présente affaire. Par conséquent, il n’y a rien qui me permet de conclure que ces problèmes pourraient s’atténuer à l’avenir.

[99]  L’Agence a démontré que le fonctionnaire présente un risque inacceptable pour la sécurité et qu’elle avait des motifs valables et légitimes de révoquer sa cote de fiabilité.

X.  L’anonymisation et le principe de transparence judiciaire

[100]  À l’issue de l’audience, le fonctionnaire a demandé que son nom soit rendu anonyme dans la présente décision. La défenderesse ne s’y est pas opposée. La Commission a demandé des observations sur cette question. Par la suite, la représentante du fonctionnaire a écrit à la Commission pour retirer la demande, étant entendu que la Commission s’efforcerait d’exclure les renseignements sensibles de la décision, comme il en avait été discuté à l’issue de l’audience. Plus tard, la Commission a conclu qu’il n’était pas possible de rédiger la décision sans divulguer les renseignements sensibles et a demandé des observations sur l’anonymisation. Le fonctionnaire a révisé sa demande d’anonymisation et a déposé une observation. La défenderesse a réitéré qu’elle ne prenait pas position.

[101]  La Commission exerce ses activités conformément au principe de transparence judiciaire, une composante essentielle de notre système juridique. Il s’agit d’un principe d’une importance fondamentale, auquel les tribunaux ne devraient déroger que dans des circonstances exceptionnelles.

[102]  Ce principe est appliqué au moyen du critère Dagenais/Mentuck, que la Cour suprême du Canada a perfectionné ultérieurement dans Sierra Club du Canada c. Canada (ministre des Finances), 2002 CSC 41 (C.S.C.). Il y est statué qu’une ordonnance de confidentialité n’est justifiée que si elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque, et si ses effets bénéfiques l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur le droit à la liberté d’expression, qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt important du public à la transparence et à l’accessibilité des processus judiciaires. (Voir Canada (Procureur général) c. Philps, 2019 CAF 240, Basic c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 120 et AB c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 53).

[103]   Dans sa « Politique sur la transparence et la protection de la vie privée », la Commission confirme l’importance de ce principe et traite des circonstances exceptionnelles qui justifient d’y déroger :

Le principe de transparence judiciaire occupe une place importante dans notre système de justice. Suivant ce principe, garanti par la Constitution, la Commission tient ses audiences en public, sauf dans des circonstances exceptionnelles. De par son mandat et la nature des affaires qu’elle entend, la Commission pratique une politique d’ouverture qui favorise la transparence de ses procédures, la responsabilisation et l’équité dans la conduite de ses audiences.

Sur son site Web, de même que dans ses avis, bulletins d’information et autres publications, la Commission fait savoir aux parties ainsi qu’à la communauté des relations de travail que ses audiences sont ouvertes au public. Les parties qui ont recours aux services de la Commission doivent savoir qu’elles s’engagent dans un processus où il est entendu que le différend qui les oppose sera débattu en public et que les décisions rendues par la Commission seront elles aussi publiques. Les parties et leurs témoins sont assujettis à l’examen du public lorsqu’ils témoignent devant la Commission; ils sont donc plus enclins à dire la vérité si leur identité est connue. Les décisions de la Commission indiquent le nom des parties et des témoins et fournissent toute information à leur sujet qui est pertinente et nécessaire pour décider du différend.

Parallèlement, la Commission reconnaît que, dans certains cas, la mention de renseignements personnels au cours d’une audience ou dans une décision écrite peut avoir des répercussions sur la vie de la personne concernée. Des préoccupations liées à la protection de la vie privée surviennent le plus souvent lorsque des renseignements sur certains aspects de la vie d’une personne deviennent publics. […]

Devant les progrès de la technologie et la facilité d’afficher électroniquement des documents, y compris ses propres décisions, la Commission reconnaît que, dans certaines circonstances, il puisse être justifié de limiter le concept de transparence en ce qui concerne les circonstances de personnes qui sont parties ou témoins à des affaires dont la Commission est saisie.

Dans des circonstances exceptionnelles, la Commission déroge à son principe de transparence judiciaire pour accéder à des demandes visant la protection de la confidentialité d’éléments spécifiques de la preuve et adapter ses décisions au besoin pour protéger la vie privée d’une personne (notamment en tenant une audience à huis clos, en scellant des pièces présentées en preuve qui contiennent des renseignements médicaux ou personnels de nature délicate ou en protégeant l’identité de témoins ou de tierces parties). La Commission peut accorder de telles demandes lorsqu’elles respectent les normes applicables reconnues dans la jurisprudence.

 

[104]  Le Conseil canadien de la magistrature (CCM) a aussi produit des lignes directrices intitulées « L’usage de renseignements personnels dans les jugements et protocole recommandé », qui traitent de l’usage de renseignements personnels dans les décisions des tribunaux. Il y est dit que même si la publication des décisions sur Internet a facilité l’accès à la justice, elle a également suscité de nouvelles préoccupations en matière de vie privée. Le protocole a pour but d’aider les juges à établir un équilibre entre le droit à la vie privée et le principe de transparence judiciaire.

[105]  Le protocole définit différents niveaux de protection, en fonction du type de renseignements personnels. Au niveau de protection le plus élevé se trouvent les renseignements personnels qui ont une grande valeur du point de vue de la vie privée, comme les dates de naissance, les numéros d’assurance sociale et les renseignements liés aux comptes financiers. Ce genre de renseignements ne devrait jamais figurer dans une décision, à moins qu’ils ne soient absolument nécessaires. Le deuxième niveau comprend les identificateurs personnels moins directs tels que les noms des membres de la famille, des collègues, des groupes communautaires et récréatifs, les adresses et les lieux géographiques. Le protocole indique que les renseignements de ce genre ne devraient pas être publiés à moins d’être [traduction] « importants pour rendre une décision motivée ».

[106]  Au cours de l’audience, afin de mettre en contexte certains des comportements affichés pendant sa jeunesse et au début de l’âge adulte, y compris lorsqu’il était à l’emploi de l’ARC, le fonctionnaire a livré un témoignage sur des aspects très sensibles de ses antécédents personnels et sur divers membres de sa famille, vivants et décédés. La demande d’anonymisation du fonctionnaire se fonde sur son intérêt à protéger sa vie privée en excluant la divulgation publique de ces antécédents.

[107]  Il n’est pas difficile de voir un lien entre les antécédents personnels difficiles du fonctionnaire et la conduite qui constituait une préoccupation pour la sécurité de l’ARC. Cependant, le fonctionnaire n’a ni allégué une incapacité ni présenté une attestation médicale à cet égard. Par conséquent, la preuve présentée concernant ces antécédents était en grande partie inutile pour rendre la décision et n’y est pas exposée.

[108]  Cependant, il y a d’autres questions dans la présente affaire dont je dois tenir compte aux fins d’une demande d’anonymisation. Les allégations d’usurpation d’identité et de fausse identification m’ont obligée à mentionner le frère jumeau du fonctionnaire à plusieurs reprises dans la présente décision. Le frère du fonctionnaire était mêlé à plusieurs des incidents signalés dans la vérification des dossiers de la police; même s’il n’est pas nommé, il serait facilement identifiable si le nom du fonctionnaire figurait dans la décision publiée.

[109]  Un autre membre de la famille du fonctionnaire serait également identifiable, quoique dans une moindre mesure. Les éléments de preuve concernant les abus d’alcool du fonctionnaire figurent nécessairement dans la décision, puisqu’il s’agissait d’un aspect fréquent de ses interactions avec la police qui ont été consignées. Pour déterminer l’issue juste et appropriée du grief, il était important d’examiner si le fonctionnaire avait pris des mesures ou indiqué l’intention de prendre des mesures pour gérer ses abus d’alcool. Le seul élément de preuve produit à cet égard était axé sur un autre membre de la famille et ses antécédents auprès des Alcooliques anonymes; l’unique lien du fonctionnaire avec les AA était à titre de personne de soutien pour ce membre de la famille.

[110]  À mon avis, ce genre de renseignement est analogue à ce qui est qualifié de renseignement de [traduction] « deuxième niveau » dans le protocole du CCM. Les renseignements personnels concernant des membres de la famille du fonctionnaire sont importants aux fins de la décision et, par conséquent, y figurent. Cependant, ces renseignements, comme le nom du fonctionnaire, rendraient ces personnes presque aussi facilement identifiables que si leur nom figurait dans la décision. C’est tout particulièrement vrai dans le cas du frère jumeau du fonctionnaire.

[111]  Je crois que, dans ces circonstances exceptionnelles, l’anonymisation du fonctionnaire est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, à savoir la protection de la vie privée des tiers qui ne sont pas en cause dans la présente affaire. Je crois aussi que les effets bénéfiques de l’anonymisation du fonctionnaire visant à protéger la vie privée des membres de sa famille l’emportent sur ses effets préjudiciables pour l’intérêt du public à la transparence et à l’accessibilité des processus judiciaires.

[112]  Le fonctionnaire a participé à une audience publique et la décision fait par ailleurs état de tous les éléments de preuve pertinents, ainsi que de mon raisonnement et de l’issue de l’affaire. À mon avis, cela suffit dans cette affaire précise. Il n’est pas nécessaire que le public connaisse l’identité du fonctionnaire, étant donné que son nom exposerait les renseignements personnels sensibles de deux membres de sa famille.

[113]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

XI.  Ordonnance

[114]  Les griefs sont rejetés.

[115]  Le fonctionnaire sera identifié comme étant le fonctionnaire X dans la présente décision, et toutes les pièces contenant son nom, les noms des membres de sa famille, ainsi que les autres renseignements identificatoires les concernant, seront mises sous scellées.

Le 8 juillet 2020.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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