Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a présenté une demande afin d’être accréditée comme agent négociateur des membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) – elle a allégué que le défendeur a enfreint la disposition sur le gel prévu par la loi énoncée dans la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (LRTSPF) en modifiant les conditions d’emploi au cours de la période de gel qui suit une demande d’accréditation – la plainte concernait des modifications alléguées apportées aux arrangements concernant le stationnement touchant les membres de la GRC près du détachement dans la municipalité de villégiature de Whistler (MVW), en Colombie-Britannique – la MVW s’est vu accorder le statut d’intervenant – la plainte était particulièrement exceptionnelle en raison du rôle de la MVW dans le processus décisionnel qui a donné lieu aux modifications des arrangements concernant le stationnement – la formation de la Commission a conclu que les éléments de preuve ont démontré que c’est la MVW, et non la GRC, qui a pris la décision de modifier les arrangements concernant le stationnement pour les membres de la GRC – la MVW n’est pas un employeur en vertu de la LRTSPF et, à ce titre, la formation de la Commission a conclu que l’employeur n’avait pas modifié une condition d’emploi au cours de la période de gel.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20200626

Dossier : 561-02-870

 

Référence : 2020 CRTESPF 71

 

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

Fédération de la police nationale

plaignante

 

et

 

Conseil du Trésor

(Gendarmerie royale du Canada)

défenderesse

et

La Municipalité de villégiature de Whistler

intervenante

Répertorié

Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant :  David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante :  Chris Rootham, avocat

Pour la défenderesse :  Sean Kelly, avocat

Pour l’intervenante :   Adrienne Atherton, avocate, et Nicholas Krishan, stagiaire en droit

 

Décision rendue sur la base d’arguments écrits,
déposés le 5 novembre et le 16 décembre 2019, et les 10, 21 et 28 février 2020

et d’observations présentées le 3 mars 2020, à Victoria (Colombie-Britannique).

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE LA DÉCISION  (TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Résumé

[1]  Le stationnement est une question qui soulève les passions. Pour ceux qui doivent se rendre au travail en voiture, la question de savoir où l’on peut stationner et ce qu’il faut payer pour le faire peut être très importante.

[2]  C’est clairement le cas pour certains des membres réguliers nouvellement accrédités de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Leur agent négociateur, la Fédération de la police nationale (la « FPN » ou la « plaignante ») a déposé deux plaintes concernant des changements aux conditions de stationnement touchant les membres réguliers de la GRC (« membres » ou « membres de la GRC »).

[3]  Selon ces plaintes, le Conseil du Trésor et la GRC (la « défenderesse ») auraient violé l’art. 56 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») en modifiant les conditions d’emploi pendant la période de gel qui suit une demande d’accréditation. Le 18 avril 2017, la FPN a présenté une demande d’accréditation en vertu de la Loi pour représenter les membres et les réservistes de la GRC, soit environ 19 000 membres à travers le Canada.

[4]  Les plaintes concernent des modifications alléguées apportées aux arrangements de stationnement touchant les membres de la GRC dans deux endroits précis de la Colombie-Britannique. Ces modifications ont été mises en œuvre après le dépôt de la demande d’accréditation de la FPN.

[5]  Bien que les deux affaires portent sur la question du stationnement et qu’elles ont été entendues consécutivement par la même formation de la Commission, cette décision ne concerne que la plainte sur les changements apportés au stationnement au détachement de la GRC à Whistler, en Colombie-Britannique (la « plainte relative au stationnement à Whistler »; dossier 561-02-870). L’affaire connexe touche des membres de la GRC qui travaillent au quartier général du district de l’île à Victoria, en Colombie-Britannique, (la « plainte relative au stationnement à Victoria »; dossier 561-02-40397), que je trancherai dans une décision distincte.

[6]  Les services de la GRC dans la municipalité de villégiature de Whistler (MVW) font partie du détachement Sea-to-Sky de la GRC, qui fournit des services de police municipaux et provinciaux. Environ 32 membres de la GRC travaillent à Whistler.

[7]  Par le passé (d’au moins 1993 à 2012), les membres de la GRC pouvaient stationner leurs véhicules personnels dans un stationnement adjacent à l’édifice de la Sécurité publique de Whistler, qui abrite la GRC et le Service d’incendie de Whistler. La MVW est propriétaire à la fois de cet immeuble et du stationnement adjacent (le « terrain de la Sécurité publique »).

[8]  En 2012, une structure dite « temporaire » a été installée sur le terrain de la Sécurité publique, réduisant le nombre d’emplacements disponibles selon le principe du premier arrivé, premier servi. Les membres qui ne pouvaient pas y stationner stationnaient alors dans un stationnement municipal de l’autre côté de la rue. Ils n’étaient pas tenus de payer pour ce stationnement, conformément à une pratique selon laquelle ils devaient inscrire leur plaque d’immatriculation de véhicule dans la base de données de l’Application des règlements municipaux de la MVW.

[9]  En 2016, la MVW a commencé à revoir les modalités de stationnement à Whistler, y compris l’utilisation du terrain de la Sécurité publique et des stationnements municipaux de l’autre côté de la rue. À la suite de cet examen, au début de mai 2017, la MVW a informé la GRC qu’elle interdirait tout stationnement de véhicules personnels sur le terrain de la Sécurité publique et qu’elle mettrait fin à l’entente selon laquelle les membres de la GRC pouvaient stationner gratuitement sur les terrains municipaux. La MVW a indiqué que les deux changements entreraient en vigueur le 1er juin 2017.

[10]  La FPN a allégué que ces modifications contrevenaient aux dispositions sur le gel de l’art. 56 de la Loi. Elle a demandé à la Commission de déclarer que la défenderesse avait enfreint la Loi et d’ordonner à la GRC de rétablir le stationnement gratuit, rétroactivement au 1er juin 2017.

[11]  Le rôle de la MVW dans le processus décisionnel qui a conduit au changement des conditions de travail est particulièrement unique à cette plainte. J’estime que la preuve démontre que la décision de modifier les dispositions relatives au stationnement pour les membres de la GRC a été prise par la MVW, et non par la GRC. La MVW n’est pas un employeur en vertu de la Loi. J’ai examiné chacun des arguments de la FPN qui suggèrent néanmoins que la GRC était responsable du maintien du stationnement gratuit pendant la période de gel. Cependant, pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée.

II.  Plainte devant la Commission

[12]  Comme je l’ai mentionné, la FPN a déposé sa demande d’accréditation le 18 avril 2017. Elle cherchait à représenter une unité de négociation composée de tous les membres et réservistes de la GRC, autres les « officiers » de la GRC au sens du par. 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (L.R.C. (1985), ch. R-10).

[13]  Les modifications aux dispositions relatives au stationnement à Whistler ont été communiquées aux membres sur place le 19 mai 2017, et sont entrées en vigueur le 1er juin 2017.

[14]  La FPN a déposé cette plainte le 2 août 2017.

[15]  Au moment du dépôt de la plainte, la demande d’accréditation n’avait pas encore été tranchée. Cependant, la FPN a été accréditée en tant qu’agente négociateur le 12 juillet 2019 (voir Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 74). Il convient de noter que, conformément au paragraphe 56b) de la Loi, la période de gel se termine 30 jours après l’accréditation d’une organisation d’employés. Ainsi, au moment où cette plainte a été portée devant la Commission, la période de gel était en vigueur. Cependant, une fois que l’agent négociateur nouvellement accrédité a signifié un avis de négocier (le 15 juillet 2019), la disposition sur le gel énoncée à l’art. 107 a pris effet.

[16]  Initialement, cette plainte a été confiée à une formation de la Commission composée de Stephan Bertrand. Il a entendu la plainte lors d’audiences tenues à Vancouver, en Colombie-Britannique (en février 2018) et à Whistler (en mai 2018). Cependant, il n’avait pas encore rendu de décision lors de son décès malheureux et soudain en mai 2019, alors qu’il était encore commissaire à plein temps.

[17]  Par conséquent, en juin 2019, la plainte a été confiée à une nouvelle formation de la Commission. Une téléconférence sur la gestion de l’instance a été tenue avec les parties le 18 juillet 2019, pour discuter de la marche à suivre pour entendre l’affaire à nouveau. À ce moment, les parties ont convenu de préparer un recueil conjoint de documents et un exposé conjoint des faits et de tenter de limiter le nombre de témoins, afin de faciliter une nouvelle audience de l’affaire.

[18]  À ce moment, j’ai également sollicité les positions des parties sur le rôle de la MVW, que M. Bertrand avait accepté à titre d’intervenante au cours de l’audience précédente. J’ai demandé aux parties si elles pouvaient convenir d’un rôle pour la MVW. Elles ont proposé qu’elle soit acceptée en tant qu’intervenante en partant du principe qu’elle ne présenterait pas de preuve, mais qu’elle soit en mesure d’assister à l’audience et de présenter des arguments écrits et oraux. Elles étaient également d’accord sur le fait que l’ordonnance serait sans préjudice et qu’elle ne devrait pas constituer un précédent en matière de droit ou de capacité de la MVW ou de toute autre municipalité à intervenir dans une future procédure de la Commission.

[19]  Après avoir donné à la MVW la possibilité de présenter des observations sur son rôle, j’ai ordonné qu’elle obtienne le statut d’intervenante dans cette affaire sur la base proposée par les parties.

[20]  Deux autres conférences de cas ont eu lieu avec les parties et l’intervenante pour discuter du processus et des dates d’audience. Finalement, aucune des parties n’a appelé de témoins et l’affaire s’est déroulée comme suit :

1) Les parties ont présenté un recueil conjoint de documents le 5 novembre 2019;

2) Elles ont déposé un exposé conjoint des faits le 19 décembre 2019;

3) La plaignante a présenté des observations écrites le 10 février 2020;

4) La défenderesse a présenté des observations écrites le 21 février 2020;

5) L’intervenante a présenté des observations écrites le 28 février 2020;

6) L’audience a eu lieu le 3 mars 2020, à Victoria, au cours de laquelle la Commission a demandé aux parties de clarifier certains aspects de leurs faits convenus et au cours de laquelle les parties et l’intervenante ont présenté des arguments oraux supplémentaires.

[21]  Je tiens à remercier les représentants des deux parties pour la collaboration dont ils ont fait preuve dans la préparation de l’exposé conjoint des faits et du recueil de documents, lesquels ont grandement aidé à assurer une audience efficace de l’affaire.

[22]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’audience orale de cette plainte a eu lieu immédiatement après l’audience orale des 4 et 5 mars 2020, concernant la plainte relative au stationnement de Victoria, qui était similaire. Compte tenu des similitudes des affaires, les parties ont répété de nombreux arguments principaux et ont utilisé les mêmes recueils de jurisprudence pour les deux affaires. J’ai brièvement envisagé de rendre une seule décision pour trancher les deux plaintes. Comme ma décision dans chaque affaire dépend de faits et d’analyses propres aux situations locales, j’ai décidé de rendre deux décisions distinctes.

[23]  Cependant, étant donné cette situation, je commence chaque décision par un cadre analytique commun utilisé pour les deux plaintes relatives au gel, avant de passer aux détails de chaque affaire.

[24]  Au moment où l’affaire a été entendue, les parties ont noté que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (et ses prédécesseurs, la Commission des relations de travail dans la fonction publique et la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique; collectivement, dans cette décision, la « Commission ») n’avait pas encore rendu de décision concernant l’art. 56 de la Loi. Contrairement à l’art. 107 (la disposition sur le gel à la suite d’un avis de négocier), en vigueur depuis le début de la négociation collective dans la fonction publique fédérale en 1967, l’art. 56 n’a été ajouté qu’en 2005, lorsque la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral a remplacé la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-35).

[25]  Cependant, à la suite de l’audience de cette affaire, la Commission a rendu sa décision dans Fédération de police nationale c. Conseil du Trésor, 2020 CRTESPF 44 (« Règles sur les promotions de la GRC »), qui impliquait les mêmes parties et une plainte en vertu de l’art. 56. Par conséquent, cette décision constitue la première de la Commission impliquant l’art. 56. Dans cette décision, la Commission a conclu que la défenderesse avait violé l’art. 56 lorsque, pendant la période de gel, elle a modifié les règles sur les promotions affectant les candidatures des membres de la GRC aux postes de sergent et de caporal.

[26]  Ainsi, cette décision et sa décision connexe (la plainte relative au stationnement à Victoria) constitueront les deuxième et troisième décisions de la Commission concernant l’art. 56 de la Loi.

III.  Cadre d’analyse des plaintes liées au gel en vertu de la Loi

[27]  Je commencerai par exposer le cadre général que j’appliquerai pour évaluer cette plainte relative au gel ainsi que la plainte connexe concernant le stationnement à Victoria.

[28]  À bien des égards, les parties se sont entendues au sujet du cadre juridique ou analytique à appliquer. Cependant, elles étaient nettement en désaccord en ce qui concerne plusieurs aspects de la façon dont la Commission devrait appliquer la décision de la Cour suprême du Canada (CSC) dans Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal-Mart du Canada, 2014 CSC 45 (« Wal-Mart »).

[29]  La plaignante a généralement soutenu que je devrais suivre la décision rendue par la Commission dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 110 (« Bureau fiscal de Sudbury »), qui analysait l’application de Wal-Mart à une plainte relative au gel en vertu de l’article 107 impliquant des changements applicables aux horaires de travail variables.

[30]  La défenderesse a généralement soutenu que la décision de la Commission dans Bureau fiscal de Sudbury était contraire à la directive de la CSC dans Wal-Mart. Elle a fait valoir que la décision de la CSC avalisait de nouveaux critères d’analyse des plaintes relatives au gel, que la Commission doit appliquer. Elle a soutenu que la Commission n’avait pas correctement appliqué ces critères non seulement dans Bureau fiscal de Sudbury, mais également dans d’autres décisions, dont il sera question plus loin dans la présente décision.

[31]  Le but de cette section est d’évaluer ces arguments en termes généraux avant de les appliquer à la plainte en question.

A.  L’objet des dispositions sur le gel

[32]  La disposition sur le gel qui s’appliquent à la suite d’une demande d’accréditation d’une unité de négociation est énoncée à l’art. 56 de la Loi :

Maintien des conditions d’emploi

56 Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie ou la section 1 de la partie 2.1, l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires de l’unité de négociation proposée et pouvant figurer dans une convention collective, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par la Commission. Cette interdiction s’applique, selon le cas :

a)    jusqu’au retrait de la demande par l’organisation syndicale ou au rejet de celle-ci par la Commission;

b)   jusqu’à l’expiration du délai de trente jours suivant la date d’accréditation de l’organisation syndicale.

[33]  Cette disposition est semblable à la disposition sur le gel à la suite d’un avis de négocier, qui est énoncée à l’art. 107 comme suit :

Obligation de respecter les conditions d’emploi

107 Une fois l’avis de négocier collectivement donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve de l’article 132, les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou :

a)   dans le cas où le mode de règlement des différends est l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue;

b)   dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

[34]  L’élément essentiel de ces dispositions est très similaire en ce sens qu’il est interdit à un employeur d’apporter des modifications unilatérales aux conditions d’emploi une fois qu’une demande d’accréditation ou un avis de négocier est signifié. L’article 56 contient une disposition en vertu de laquelle un employeur peut demander l’autorisation à la Commission de modifier les conditions. Bien que cela n’existe pas à l’art. 107, ce dernier permet aux parties de parvenir à un accord sur une modification des conditions.

[35]  Bien que les deux types de gel aient un effet similaire, leurs objectifs ont été reconnus comme étant quelque peu différents. La Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) a décrit le but d’un gel des négociations comme suit (voir Canadian Union of Public Employees v. Scarborough Centenary Hospital Association, 1978 CanLII 506 (ON LRB), au paragraphe 8) :

[Traduction]

[…] maintenir le statu quo de la relation d’emploi de sorte que le syndicat ait la possibilité d’entamer des négociations et de négocier une convention collective à partir d’un point de départ déterminé et dans une ambiance de relations industrielles sécuritaires qui n’est pas perturbée par des modifications aux conditions de travail […]

[36]  Le but du gel après l’accréditation est différent; la CSC a reconnu (dans Wal‑Mart) qu’il s’agissait de « faciliter l’accréditation » (au paragraphe 34). Le gel lié à l’accréditation affecte la capacité de gestion de l’employeur et fait ce qui suit (au paragraphe 35) :

[…] restreint l’influence potentielle de celui-ci sur le processus associatif, diminue les craintes des employés qui exercent activement leurs droits et facilite le développement de ce qui deviendra éventuellement le cadre des relations de travail au sein de l’entreprise.

[37]  Malgré les différences d’objectif, les commissions des relations de travail ont généralement traité les deux types de plaintes de la même façon, ce que la Commission a décrit dans Règles sur les promotions de la GRC, au paragraphe 45, comme suit :

[45] Les deux types de gels figurent  dans la législation sur les relations de travail de chaque juridiction provinciale ainsi qu’au niveau fédéral dans la Loi et dans le Code canadien du travail (L.R.C., 1985, ch. L-2; le « Code »). La jurisprudence des commissions du travail de toutes les juridictions a largement appliqué les mêmes approches analytiques aux deux types de gel, et les deux parties ont suggéré que la Commission fasse de même. Je propose de le faire, tout en gardant à l’esprit le fait que, bien que les deux types de gel soient d’une importance cruciale pour notre régime de relations de travail, je suis d’avis que le gel en vertu de l’article 56 sert l’objectif quelque peu accru de faciliter l’accréditation elle-même, qui est la base même de la relation de négociation collective.

B.  Première étape de l’analyse

[38]  L’analyse commence par une première étape, au cours de laquelle le décideur évalue si la plainte satisfait au critère à quatre volets suivant (voir, par exemple, Bureau fiscal de Sudbury, au paragraphe 137, et Wal-Mart, au paragraphe 39) :

[39]  Les parties ont convenu que pour qu’une plainte soit accueillie, elle doit satisfaire aux quatre volets du critère.

C.  Deuxième étape de l’analyse

[40]  Les plaintes sont ensuite évaluées pour déterminer si la modification apportée par un employeur aux conditions d’emploi est justifiable en utilisant un ou plusieurs critères établis dans la jurisprudence. Comme la Commission l’a indiqué dans Règles sur les promotions de la GRC, au paragraphe 52 :

[52] […] La jurisprudence a reconnu que les employeurs doivent continuer de gérer leurs activités, en particulier compte tenu du délai parfois long entre la demande et l’accréditation et l’accréditation en soi, et entre l’avis de négocier collectivement et la finalisation d’une convention collective.

[41]  Par conséquent, les gels de négociation et d’accréditation ne sont pas ce que l’on a appelé un [traduction] « gel total », en vertu duquel les employeurs sont empêchés d’apporter des modifications quelconques au lieu de travail pendant le gel (voir Ontario Public Service Employees Union v. Royal Ottawa Health Care Group Institute of Mental Health Research, 1999 CanLII 20151 (ON LRB), au paragraphe 85; « Royal Ottawa »).

[42]  Il a généralement été conclu que les employeurs ne violaient pas une disposition de gel lorsque la modification apportée était conforme à ce que l’on appelle le critère du « maintien du cours normal des affaires » ou de la « poursuite des activités normales ». Encore une fois, une décision de la CRTO souvent citée, Spar Professional and Allied Technical Employees Association v. Spar Aerospace Products Ltd., [1979] 1 C.L.R.B.R. 61, [1978] CRTO Rep. Sept. 859, au paragraphe 23; « Spar Aerospace »), définit l’approche comme suit :

[Traduction]


23 L’approche du maintien du cours normal des affaires ne signifie pas qu’un employeur ne peut continuer de gérer ses activités.
Elle signifie simplement qu’un employeur doit continuer de gérer ses activités en poursuivant les habitudes établies avant les circonstances ayant mené au gel, ce qui donne un point de départ clair pour la négociation et élimine l’effet de « douche froide » qu’un retrait d’avantages attendus aurait sur la représentation des employés par un syndicat […]

 

[43]  Un autre critère consiste à déterminer si la modification apportée aux conditions d’emploi est conforme à ce que l’on appelle les « attentes raisonnables des employés ». En d’autres termes, était-il raisonnable pour les employés de s’attendre à ce que la condition soit maintenue? Si c’est le cas, la plainte sera accueillie. Souvent, cette analyse permet d’examiner si un employeur a déjà mis en marche un processus de modification des conditions d’emploi et s’il l’a communiqué aux employés.

[44]  J’examinerai brièvement quelques cas dans lesquels la Commission a appliqué ces principes ensemble.

[45]  Le premier cas est une autre plainte relative au gel impliquant des modifications au stationnement des employés, Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2016 CRTEFP 26. En 2015, le ministère de la Défense nationale a mis en place un stationnement payant à la BFC d’Halifax environ six mois après la signification de l’avis de négocier. La Commission a conclu que l’employeur avait réexaminé ses politiques de stationnement pendant plusieurs mois avant que l’avis de négociation ne soit signifié et que d’autres modifications étaient « à venir » (au paragraphe 51). Par conséquent, le « mouvement s’est enclenché » (au paragraphe 52) avant que le gel entre en vigueur. De plus, l’employeur avait informé à la fois l’agent négociateur et les employés que des modifications au stationnement pourraient survenir bien avant la signification de la négociation et la Commission a conclu que les employés ne pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que le stationnement gratuit se poursuive (au paragraphe 61). La plainte a été rejetée.

[46]  La Commission est parvenue à des conclusions similaires dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 107 (« NAFC Firebird »), qui traitait de changements aux horaires de poste des employés des équipages des navires faisant partie de l’équipage du navire auxiliaire des Forces canadiennes (NAFC) Firebird en 2015. Tout en convenant que des modifications ont été apportées aux horaires de travail pendant la période de gel, la Commission a conclu au paragraphe 46 que « […] le processus de modification a été entrepris avant que l’avis de négocier ne soit signifié » et que les employés du NAFC avaient été avisés qu’une telle modification était à venir.

[47]   La Commission a également adopté l’entrelacement des critères de maintien du cours normal des affaires et des attentes raisonnables dans une décision impliquant une réduction des heures de travail de temps plein à temps partiel en 2014 pour un groupe d’une cinquantaine d’employés travaillant dans les pénitenciers fédéraux de Service correctionnel du Canada dans la région du Pacifique  (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 11; « Services correctionnels »). La Commission a conclu que l’employeur avait pour habitude de ne pas réduire les heures de travail des employés, ce qui a conduit à une attente raisonnable de la part de ces derniers de continuer de travailler à temps plein après la signification d’un avis de négocier (au paragraphe 99). La plainte a été maintenue.

[48]  La Commission a également accueilli une plainte concernant une modification apportée en 2015 par le Bureau de la traduction aux horaires de travail des traducteurs parlementaires pendant la période où le Parlement ne siège pas (Association canadienne des employés professionnels c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (Services publics et Approvisionnements Canada), 2016 CRTEFP 68, « Traducteurs parlementaires »). La Commission s’est concentrée principalement sur le critère de la poursuite des activités normales décrit dans Spar Aerospace, mais a de nouveau déclaré que ce critère n’était pas exclusif au critère des attentes raisonnables. En d’autres termes, l’approche normale de l’employeur pour gérer les horaires de travail lorsque le Parlement ne siégeait pas était directement liée aux attentes des traducteurs parlementaires (au paragraphe 129).

[49]  En l’espèce, la FPN a soutenu que les critères du maintien cours normal des affaires et des attentes raisonnables sont des concepts connexes que la Commission peut évaluer ensemble. La défenderesse n’était pas d’accord avec cette approche et a soutenu que Wal-Mart avait modifié le cadre analytique.

[50]  Ce débat était également évident dans Règles sur les promotions de la GRC, dans laquelle la défenderesse a contesté l’entrelacement par la Commission du critère du maintien du cours normal des affaires et du critère des attentes raisonnables des employés. Elle a soutenu que les deux critères étaient distincts et que de les considérer ensemble allait à l’encontre de l’analyse de la CSC dans Wal-Mart.

[51]  Par conséquent, dans Règles sur les promotions de la GRC, la Commission a procédé à une analyse minutieuse de l’évolution historique de la jurisprudence sur le gel et à une analyse très approfondie des directives de la CSC, y compris une analyse des conclusions de la Commission dans Chargehands, NAFC Firebird, Services correctionnels et Traducteurs parlementaires.

[52]  Je souscris à la conclusion de la Commission dans Règles sur les promotions de la GRC, qui a été résumée comme suit :

[70] Le concept relatif aux attentes des employés est un aspect intrinsèquement logique d’une analyse relative au cours normal des affaires. Si les employés s’attendent raisonnablement à ce que quelque chose se produise, en l’absence d’une preuve du contraire, on peut supposer qu’ils ont cette attente parce que cela s’est déjà produit, parce que cela se produit généralement ou parce qu’on leur a dit que cela se produirait. Leurs attentes ne sont pas créées de toutes pièces, mais sont basées sur leurs expériences de travail ou sur ce qu’on leur a dit. C’est une simple question de logique et de probabilité.

[53]  Je vais maintenant aborder deux autres points de désaccord entre les parties concernant la façon d’analyser correctement ce type de plaintes. Le premier point de désaccord concerne la question de savoir qui doit s’acquitter du fardeau de la preuve en ce qui concerne le critère du maintien du cours normal des affaires. Le second point de désaccord concerne la manière et le moment d’appliquer les critères qui, selon la défenderesse, sont nécessaires compte tenu des conclusions de la CSC dans Wal-Mart.

D.  Maintien du cours normal des affaires – Fardeau de la preuve

[54]  À ce sujet, les observations de la plaignante décrivaient l’analyse à la deuxième étape comme des [traduction] « moyens de défense potentiels de l’employeur ». En d’autres termes, il appartient à l’employeur de justifier un changement comme étant conforme au maintien du cours normal des affaires. Elle a fait référence à l’analyse de la Commission dans Bureau fiscal de Sudbury, qui a conclu que l’employeur dans cette affaire (l’Agence du revenu du Canada) n’était pas en mesure de démontrer que les modifications qu’il avait apportées aux heures de travail étaient conformes à la pratique antérieure.

[55]  La défenderesse a soutenu que la plaignante inversait le fardeau de la preuve d’une manière incompatible avec les directives de la CSC dans Wal-Mart. Conformément au principe du stare decisis, la Commission est tenue de suivre cette direction (en d’autres termes, la Commission ne peut pas s’écarter de la décision de la CSC; seule cette Cour peut renverser un précédent juridique qu’elle a établi).

[56]  La défenderesse a expressément contesté l’analyse de la Commission dans Bureau fiscal de Sudbury, lorsqu’elle a déclaré que lors de l’évaluation d’un critère de maintien du statu quo, elle « […] examine la défense présentée par l’employeur […] » (au paragraphe 137). La défenderesse e a soutenu que l’erreur s’est répétée lorsque la Commission a conclu que « […] l’intimée n’a pas présenté une défense répondant à la norme exposée dans Walmart […] » (au paragraphe 172).

[57]  La défenderesse a soutenu que Wal-Mart indique clairement que le fardeau de la preuve incombe au plaignant, comme suit : « Contrairement à l’art. 17 du [Code du travail du Québec], l’art. 59 ne crée ni présomption “de modification” ni renversement automatique du fardeau de preuve. Le fardeau de présentation demeure sur les épaules des employés et du syndicat » (au paragraphe 54).

[58]  La CSC a réitéré cette conclusion lorsqu’elle a examiné la décision initiale de l’arbitre (qui avait conclu que la société avait enfreint les dispositions relatives au gel). En jugeant sa décision raisonnable, elle a déclaré qu’il « […] n’a pas imposé à l’employeur un fardeau de preuve inapproprié » (au paragraphe 95). Un peu plus loin, la CSC a noté que l’arbitre « […] n’a ni créé de présomption légale ni inversé le fardeau de preuve » sur l’employeur (au paragraphe 97).

[59]  Je conviens avec la défenderesse que la CSC a clairement indiqué que le fardeau de la preuve dans une plainte relative au gel comme celle-ci incombe au plaignant non seulement à la première, mais aussi à la deuxième étape de l’analyse.

[60]  Par ailleurs, la notion selon laquelle il est attendu d’un employeur qu’il se défende n’équivaut pas nécessairement à un renversement du fardeau de la preuve. Lors d’un arbitrage, il est attendu que le défendeur se défende activement. La CSC l’a clairement reconnu. Après avoir reconnu que le fardeau de la preuve incombe au syndicat, elle a expliqué ce qui suit (au paragraphe 54 de Wal-Mart) :

[54] […] Toutefois, rien n’empêche l’arbitre chargé d’entendre la plainte d’induire des présomptions de fait de l’ensemble de la preuve présentée devant lui, conformément aux règles générales du droit de la preuve civile […] et à leur mise en application normale. Ainsi, dans la mesure où le syndicat présente des éléments de preuve permettant à l’arbitre d’induire qu’un changement donné ne semble pas être conforme à ces pratiques habituelles, l’absence de présentation d’une preuve contraire par l’employeur risque de lui être défavorable […]

[61]  À la suite de cette analyse, je ne pense pas que la Commission ait renversé le fardeau en se référant aux moyens de défense de l’employeur dans Bureau fiscal de Sudbury. Dans cette affaire, le syndicat a allégué que les restrictions imposées par l’employeur à des horaires de travail variables représentaient un changement important par rapport à la pratique antérieure. Le syndicat a présenté des preuves à cet effet; l’employeur a présenté des preuves pour se défendre. La Commission a soupesé la preuve de l’employeur par rapport à celle du syndicat et a statué en faveur de ce dernier.

[62]  Cela dit, je pense qu’il convient d’indiquer clairement qu’il incombe au plaignant de s’acquitter du fardeau de la preuve.

E.  Les critères dans Wal-Mart

[63]  La défenderesse a soutenu qu’avec Wal-Mart, la CSC a approuvé de nouveaux critères qui doivent être pris en compte dans chaque plainte relative au gel. Elle a soutenu que dans bon nombre de ses récentes décisions, la Commission n’a pas correctement appliqué ces critères, notamment dans Bureau fiscal de Sudbury.

[64]  Premièrement, la défenderesse a soutenu que Wal-Mart avait établi un critère selon lequel il « aurait procédé de la même manière ». En d’autres termes, si un employeur peut démontrer que le changement des conditions d’emploi aurait été effectué même en l’absence d’une demande d’accréditation, il n’y a aucune violation des dispositions relatives au gel.

[65]  Deuxièmement, la défenderesse a soutenu que Wal-Mart avait établi un critère de « l’employeur raisonnable ». Dans les cas visés par la Loi, ce critère exige que la Commission examine si une modification des conditions est conforme à ce qu’aurait fait un employeur raisonnable placé dans la même situation. Si c’est le cas, aucune violation ne s’est produite.

[66]  Avec ce critère, la défenderesse a soutenu que Wal-Mart avait établi une exigence selon laquelle, pour obtenir gain de cause dans une plainte relative au gel, un agent négociateur doit démontrer pour deux motifs distincts que (a) le changement en question est incompatible avec la pratique antérieure de l’employeur, et (b), le changement en question est incompatible avec la décision qu’un employeur raisonnable aurait prise dans les mêmes circonstances.

[67]  La défenderesse a réitéré son argument selon lequel, selon le principe du stare decisis, la Commission est tenue de suivre les instructions de la CSC et d’appliquer les critères.

[68]  D’autre part, la plaignante a soutenu que l’analyse de la Commission dans Bureau fiscal de Sudbury devrait s’appliquer. Dans cette décision, la Commission a conclu que le critère de l’employeur raisonnable est effectivement une troisième étape de l’analyse qui n’est engagée que si la question ne peut être réglée à la deuxième étape (maintien du cours normal des affaires et attentes raisonnables).

[69]  La plaignante a soutenu que la Commission devrait suivre ses propres décisions (ce qu’elle a appelé le « stare decisis horizontal »), à moins qu’elles ne soient manifestement erronées, ce qui n’est pas le cas de la décision dans Bureau fiscal de Sudbury.

[70]  Il ne fait aucun doute que Wal-Mart renvoie fréquemment au concept « aurait procédé de la même manière ». Il ne fait également aucun doute que, dans cette affaire, la CSC a appliqué le critère de l’employeur raisonnable en cherchant à évaluer les circonstances uniques de cette affaire (la fermeture d’un magasin prospère et rentable à Jonquière, au Québec, juste après que le syndicat eut déposé une demande d’arbitrage de la première convention collective à la suite d’une accréditation réussie). Sur la base de ces critères, la CSC a confirmé la conclusion selon laquelle Wal-Mart avait violé les dispositions relatives au gel du Code du travail du Québec en fermant ce magasin.

[71]  La question est de savoir comment ces critères devraient s’intégrer dans l’analyse des plaintes relatives au gel dans des situations plus simples que Wal-Mart.

[72]  Dans Bureau fiscal de Sudbury, la Commission a abordé le critère « aurait procédé de la même manière » et a conclu qu’il ne devrait pas être appliqué de manière à contourner l’objectif d’un gel statutaire. Au paragraphe 166, elle cite Wal-Mart (au paragraphe 49) comme suit : « Or, lui permettre de continuer à utiliser ses pouvoirs de gestion comme si rien n’avait changé reviendrait en définitive à lui permettre de faire ce que la loi vise pourtant à prohiber ».

[73]  Je partage cet avis. De plus, je ne suis pas convaincu que la CSC ait approuvé le concept « aurait procédé de la même manière » en tant que critère distinct. Selon mon interprétation de Wal-Mart, ce n’est qu’un moyen de reformuler le critère du maintien du cours normal des affaires. Cela ressort clairement de l’introduction par la CSC du terme suivant au paragraphe 52 comme autre façon de décrire le maintien du cours normal des affaires :

[52] Dans ce cadre, pour conclure à l’absence de modification illégale des conditions de travail au sens de l’art. 59 du [Code du travail du Québec], l’arbitre ne peut se contenter de vérifier si l’employeur détenait le pouvoir d’agir comme il l’a fait avant l’arrivée du syndicat dans son entreprise. Il doit également être convaincu que la décision de l’employeur était conforme à ses pratiques de gestion normales ou, en d’autres termes, qu’il aurait fait la même chose s’il n’y avait pas eu de demande de certification.

[74]  Cela est également évident au paragraphe 60, où, comme suit, la CSC a cité Spar Aerospace, entre autres, comme jurisprudence à l’appui de cette conclusion :

[60] […] dans tous les régimes généraux de relations de travail au Canada, si l’employeur ne perd pas son droit de gestion du seul fait de l’arrivée d’un syndicat dans son entreprise, il doit désormais l’exercer comme il le faisait ou l’aurait fait avant cet événement […]

[75]  Comme je l’ai déjà mentionné, Spar Aerospace demeure l’arrêt de principe sur la justification du maintien du cours normal des affaires pour modifier les conditions d’emploi.

[76]  La Commission a également examiné cette question dans Règles sur les promotions de la GRC et a conclu que l’importation de l’intention de l’employeur dans l’analyse reviendrait à « […] importer la suggestion d’une exigence de sentiment antisyndical pour prouver une violation de la disposition sur le gel » (au paragraphe 110). La Commission a soutenu que les gels d’accréditation et de négociation demeurent des dispositions strictes en matière de responsabilité (au paragraphe 38) et a conclu que l’interprétation était conforme à Wal-Mart (voir Règles sur les promotions de la GRC, au paragraphe 111, citant Wal-Mart, au paragraphe 38).

[77]  Quant à la bonne application du critère de l’employeur raisonnable, aucun des arguments de la défenderesse ne m’a convaincu que la Commission avait mal appliqué Wal‑Mart dans Bureau fiscal de Sudbury.

[78]  Dans Bureau fiscal de Sudbury, la Commission a soigneusement analysé la décision de la CSC et a conclu que le critère de l’employeur raisonnable devrait être appliqué « […] dans certains scénarios où il est difficile ou impossible de déterminer si une pratique de gestion donnée existait avant […] » (au paragraphe 156, citant le paragraphe 56 de Wal-Mart).

[79]  La Commission a en outre conclu ce qui suit :

[171] Si le régime de négociation collective qui est au cœur de la Loi doit effectivement s’appliquer conformément à l’objet énoncé dans le préambule de la Loi, il est essentiel qu’un employeur respecte l’injonction à l’égard des modifications unilatérales des conditions d’emploi durant la période de gel prévue à l’art. 107. Les motifs justifiant l’exception aux habitudes doivent être interprétés sans exagérations, à mon avis, afin de ne pas aller à l’encontre de l’objet impérieux de l’art. 107. Le fait, encore une fois, qu’un employeur raisonnable ait pu exercer ses pouvoirs d’une certaine façon dans des circonstances contre-factuelles, ne devrait pas constituer une défense suffisante dans la plupart des circonstances. La défense doit normalement être plus étayée, à moins, suivant le paragraphe 56 de Walmart, qu’il n’y ait aucune preuve de la pratique de gestion antérieure sur laquelle une défense puisse se fonder. Même en pareil cas, il faut faire preuve de prudence. Autrement, cela enfreindrait la disposition sur le gel statutaire.

[80]  La défenderesse a soutenu que Wal-Mart avait été appliqué correctement dans un certain nombre de cas d’une manière qui devrait permettre à la Commission de rejeter Bureau fiscal de Sudbury. Je ne suis pas convaincu que l’une des affaires citées me permette de m’en écarter.

[81]  Prenons, par exemple, Canadian Helicopters Limited c. Syndicat international des employées et employés professionnels(les) et de bureau, 2020 CAF 37, soit une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) confirmant une plainte relative au gel concernant les horaires de travail des pilotes. Vers la fin de la décision, la Cour d’appel fédérale (CAF) a noté que le CCRI n’avait pas appliqué le critère de l’employeur raisonnable. Cependant, comme l’a soutenu la plaignante, la conclusion de la CAF était hautement spéculative, concluant en fait que Wal-Mart « […] ne peut donc pas constituer un motif valable pour annuler la décision du [CCRI], même si la décision du [CCRI] aurait pu être différente s’il avait été invoqué » (au paragraphe 36).

[82]  La défenderesse a également cité la décision de la CAF dans Fedex Freight Canada, Corp. c. Section Locale 31 des Teamsters, 2017 CAF 78, laquelle examinait les demandes de contrôle judiciaire, déposées à la fois par le syndicat et l’employeur, d’une décision du CCRI et de sa propre décision sur le réexamen. Bien que la CAF ait mentionné l’importance des principes de Wal-Mart, elle n’a pas abordé directement la question de savoir comment et quand le critère de l’employeur raisonnable devrait être utilisé. Selon la principale conclusion tirée des sections pertinentes de la décision, il n’était pas déraisonnable pour le CCRI de retirer le sentiment antisyndical de son analyse relative au gel.

[83]  La défenderesse a également souligné la décision du CCRI concernant des changements aux conditions d’emploi lors d’un gel de la certification impliquant des enseignants travaillant dans le nord du Québec. La décision originale était Syndicat des enseignantes et enseignants de la communauté innue de Pessamit - CSN c. Conseil des Innus de Pessamit, 2016 CCRI 831 (« Conseil des Innus 2016 »). Dans la demande de réexamen (Syndicat des enseignantes et enseignants de la communauté innue de Pessamit - CSN c. Conseil des Innus de Pessamit, 2017 CCRI 861 (« Conseil des Innus 2017 »)), le syndicat a soutenu que la formation initiale avait ignoré les enseignements de l’arrêt Wal-Mart, qui « […] constitue un changement de paradigme historique et juridique puisqu’il établit que la disposition sur le gel […]vise à faciliter l’accréditation et à favoriser la négociation de bonne foi » (au paragraphe 20). Le CCRI a cité de nombreux passages de Wal-Mart. Cependant, il a finalement conclu que Wal-Mart « [...] ne change pas de façon substantielle la jurisprudence du [CCRI] dans son analyse et l’application qu’il fait de la disposition sur le gel des conditions de travail » (au paragraphe 26).

[84]  Enfin, la défenderesse a soutenu qu’une troisième décision de la CAF (Association des pilotes fédéraux du Canada c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 52) a renforcé l’application du critère de l’employeur raisonnable pour les plaintes relatives au gel. Lors de l’examen d’une décision de la Commission (Association des pilotes fédéraux du Canada c. Ministère des Transports, Bureau de la sécurité des transports et Secrétariat du Conseil du Trésor, 2018 CRTESPF 91), la CAF a déclaré qu’il n’était pas nécessaire d’avoir appliqué le critère des attentes raisonnables et que « […] le point important était de déterminer si les modifications contestées avaient eu lieu avant le début du gel, ou si elles faisaient partie d’une approche que l’employeur avait déjà adoptée ou qu’il aurait pu raisonnablement adopter » (au paragraphe 12). Bien que je convienne que ce passage appuie la prise en compte du caractère raisonnable des décisions d’un employeur, je ne pense pas qu’on puisse s’appuyer sur ce seul passage à titre d’autorité pour contredire l’examen détaillé de la manière exacte dont un tel critère doit être appliqué, qui a été fourni par la Commission dans Bureau fiscal de Sudbury.

[85]  La Commission a eu de nombreuses occasions d’étudier l’application de Wal‑Mart aux plaintes relatives au gel en vertu de la Loi outre que Bureau fiscal de Sudbury. Les décisions de la Commission dans Chargehands, NAFC Firebird, Services correctionnels et Traducteurs parlementaires ont été rendues bien après Wal-Mart.

[86]  La seule des quatre affaires à avoir même mentionné Wal-Mart était Chargehands. Dans cette affaire, l’agent négociateur a soutenu que la Commission devrait appliquer le critère de l’employeur raisonnable. La Commission a rejeté cet argument, concluant que les arguments portant sur « la motivation et le bien-fondé » de la décision d’imposer des frais de stationnement n’étaient pas « pertinents à la question en litige » (au paragraphe 28). En outre, elle a conclu que « […] il n’importe pas que le changement mis en œuvre par l’employeur ait été potentiellement déraisonnable, arbitraire ou mal conçu, ce que je ne crois pas, en tout état de cause » (au paragraphe 56).

[87]  À titre informatif, la défenderesse a soutenu que la Commission avait tort dans cette partie de Chargehands et qu’elle aurait pu demander le contrôle judiciaire de la décision n’eût été du fait que la Commission a rejeté la plainte pour d’autres motifs, comme il a été mentionné précédemment.

[88]  En fin de compte, il a été expliqué dans Bureau fiscal de Sudbury que si une affaire peut être réglée d’une manière ou d’une autre sur la base du critère du maintien du cours normal des affaires, il n’est pas nécessaire de considérer le critère de l’employeur raisonnable. Ce critère ne devrait être appliqué que dans des situations uniques, comme Wal-Mart, dans lesquelles une analyse du maintien du cours normal des affaires ne permet pas de régler l’affaire d’une manière ou d’une autre.

[89]  En faisant valoir qu’un plaignant doit obtenir gain de cause sur la base des critères du maintien du cours normal des affaires et de l’employeur raisonnable, la défenderesse essayait de tenter sa chance deux fois. Même si elle était tout à fait disposée à renoncer au critère de l’employeur raisonnable si elle obtenait gain de cause sur la base d’une analyse du maintien du cours normal des affaires, elle a fait valoir qu’une perte sur la base de ce critère nécessite l’application du critère de l’employeur raisonnable comme approche tout à fait alternative pour rejeter une plainte.

[90]  Conformément à ce raisonnement, je ne trouve aucun fondement pour soutenir l’argument de la défenderesse.

F.  Sommaire

[91]  En somme, j’estime que la bonne approche analytique à appliquer comprend deux, ou dans certains cas, trois étapes d’analyse.

[92]  À la première étape, il faut examiner si un employeur a apporté des modifications non approuvées aux conditions d’emploi pendant une période de gel, étant entendu que les conditions modifiées puissent être incluses dans une convention collective.

[93]  À la deuxième étape, il faut se demander si ce changement était conforme aux pratiques habituelles de l’employeur. Souvent, à ce stade, il est nécessaire de déterminer si les changements faisaient ou non partie des attentes raisonnables de l’employé.

[94]  Une troisième étape est requise dans les situations où il est difficile, voire impossible, d’appliquer les critères du maintien du cours normal des affaires ou des attentes raisonnables. Dans ce cas, il faut appliquer le critère de l’employeur raisonnable énoncé dans Wal-Mart.

[95]  Enfin, tout en reconnaissant que les employeurs doivent pouvoir continuer à gérer leurs opérations, l’analyse doit partir du principe qu’une disposition sur le gel est une responsabilité stricte, et non une disposition qui nécessite un sentiment antisyndical. Les conclusions doivent respecter l’objectif des dispositions sur le gel, qui est de créer un environnement de relations de travail stable au sein duquel l’accréditation ou la négociation peuvent se dérouler.

[96]  Avant d’appliquer ce cadre analytique à l’espèce, je résumerai brièvement le contexte factuel.

IV.  Résumé de la preuve

[97]  Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits ainsi qu’un recueil conjoint de 32 documents. Certains aspects de ces faits et documents ont été clarifiés lors de l’argumentation. Le résumé suivant reflète ce que j’estime être les points d’entente les plus saillants.

A.  La GRC de Whistler

[98]  La GRC est une organisation nationale qui, en plus de fournir des services de police dans tout le pays, les fournit sous contrat à trois territoires et huit provinces. En Colombie-Britannique, elle fournit des services de police nationaux et provinciaux et fournit des services de police municipaux à un grand nombre de petites et moyennes municipalités, y compris la MVW.

[99]  Dans la MVW, la GRC emploie environ 32 membres, dont 24 fournissent des services de police municipaux et 8 des services de police provinciaux. Leur travail est supervisé par un inspecteur, qui est l’officier responsable du détachement Sea-to-Sky de la GRC, qui comprend la MVW, Pemberton, Squamish et Bowen Island. L’officier responsable partage la majeure partie de son temps entre les bureaux de la GRC de la MVW et de Squamish.

[100]  Les 32 membres de la GRC font partie de l’unité de négociation maintenant accréditée par la FPN. À titre d’officier breveté, l’officier responsable est exclu de cette unité de négociation. Les services de soutien à la police sont fournis par 1 employé de la fonction publique fédérale (classifié au niveau AS-01) et environ 8 employés de la MVW.

[101]  La fourniture de services de police par la GRC dans la MVW est régie par deux accords entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Colombie-Britannique, l’un pour la prestation de services de police provinciaux et l’autre pour la prestation de services de police municipaux. À son tour, la MVW et le gouvernement de la Colombie-Britannique ont conclu un troisième accord qui énonce leurs obligations respectives de fournir des services de police dans la MVW.

[102]  Aucun des trois accords ne traite directement de la question du stationnement des employés. L’entente sur les services de police municipaux prévoit que chaque municipalité fournira et entretiendra des locaux comprenant des bureaux, des cellules de prison et, au besoin, un garage chauffé et éclairé.

[103]  À Whistler, la GRC travaille dans l’édifice de la Sécurité publique, qui appartient à la MVW. L’édifice abrite également les services d’incendie municipaux et certaines autres fonctions de la MVW. En août 2015, la GRC et la MVW ont conclu une convention d’occupation relative aux services de police dirigés à partir de cet édifice (la « convention d’occupation »). La convention précise que la municipalité couvrira les coûts d’occupation associés aux services de police municipaux et qu’elle facturera à la GRC la part des coûts associés aux responsabilités provinciales en matière de services de police.

[104]  La seule mention du stationnement dans la convention d’occupation se trouve au point 2.1, qui se lit comme suit :

[Traduction]

2.1 La municipalité accorde par la présente une convention d’occupation donnant le droit à la GRC municipale et non-municipale d’occuper le bâtiment du détachement. Cette convention d’occupation doit inclure le droit de la GRC, de ses employés, fonctionnaires, agents, clients et invités d’accéder et d’utiliser le bâtiment du détachement et comprend également le droit d’accéder et d’utiliser toutes les entrées, les aires de stationnement, les trottoirs, les zones de chargement et d’arrêt communs dans et autour du bâtiment du détachement.

[105]  Adjacent au bâtiment est le terrain de Sécurité publique. Son emplacement est au coin de Blackcomb Way et de Village Gate Boulevard, dans une partie de la MVW appelée le Village. Directement en face de Blackcomb Way se trouvent cinq terrains appelés « stationnements de jour », appartenant à la province de la Colombie-Britannique, et cogérés par la MVW et Whistler Blackcomb, qui est la station de ski. Les terrains de jour 2 et 3 sont directement de l’autre côté de la rue. Le terrain de jour 1 est de l’autre côté de la rue et à environ un demi-pâté de maisons au sud. Les terrains 4 et 5 sont à quelques centaines de mètres au nord.

B.  L’évolution des arrangements de stationnement touchant les membres de la GRC

[106]  Avant 2010, la MVW permettait aux pompiers et aux membres en service de la GRC de stationner dans les espaces de stationnement résiduels du terrain de la Sécurité publique non utilisés pour les véhicules opérationnels. Les pompiers et les membres en service stationnaient leur véhicule ailleurs si ce terrain était plein. Avant 2010, l’utilisation des stationnements de jour était gratuite.

[107]  En 2010, les Jeux olympiques d’hiver ont eu lieu à Vancouver et de nombreux événements ont été tenus à Whistler. Après les Jeux olympiques, la MVW a commencé à rendre payant le stationnement sur les terrains de jour 1, 2 et 3 (qui ont été pavés), tandis que les terrains de jour non pavés 4 et 5 sont restés gratuits.

[108]  Après les Jeux olympiques, les membres ont eu droit à 9 à 10 places de stationnement personnelles sur le terrain de la Sécurité publique. Cela répondait à la plupart de leurs besoins de stationnement personnels pendant toutes les périodes de la semaine, sauf les plus occupées. On leur a demandé d’utiliser ce terrain uniquement lorsqu’ils étaient au travail et non pour des courses personnelles dans le Village.

[109]  Cette entente a été décrite en détail dans un courriel à l’intention des membres de la GRC à Whistler, daté du 29 juillet 2011, de l’inspecteur Neil Cross, alors l’officier responsable du détachement Sea-to-Sky. Dans son courriel, il a commencé par expliquer que, à l’origine, la MVW devait exclure tout stationnement personnel sur le terrain de la Sécurité publique, mais il a poursuivi en déclarant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Il a été avancé que nos agents étaient soumis à des appels d’urgence ainsi qu’à des heures diverses de début et de fin de quart de travail, parfois tardives, et qu’il y avait un risque pour la sécurité de nos agents de quitter le détachement et de se diriger vers les terrains de jour après le quart de travail. Cette justification a été acceptée par la haute direction de la MVW à la condition que nos agents n’utilisent pas le terrain pour le stationnement personnel, le ski, le vélo, le magasinage ou pour se rendre à des restaurants ou des festivités dans le Village. Cela a été convenu et on nous a attribué 10 places de stationnement à utiliser gratuitement pour les véhicules personnels pour les besoins opérationnels.

[…]

 

[110]  Le courriel expliquait qu’un certain nombre de fois, des membres avaient été vus dans leur temps libre stationner sur le terrain de la Sécurité publique et entrer dans le Village pour des raisons non liées à leur travail. L’inspecteur Cross a averti les membres comme suit :

[Traduction]

[…]

Je voudrais rappeler à tout le monde que, compte tenu de la situation du stationnement payant qui s’est récemment envenimée et des changements en attente concernant le stationnement payant sur tous les terrains (1-5), nous devrons nous assurer d’utiliser le stationnement de la Sécurité publique comme convenu ou nous pourrions finir par perdre le stationnement (gratuit) que nous avons actuellement. Nous devons également être conscients du fait que nos employés internes de Muni doivent actuellement marcher depuis le terrain 5 et devront bientôt payer pour le stationnement.

[…]

[111]  Fin 2012, un bâtiment temporaire (portable) a été placé sur le terrain de la Sécurité publique pour abriter du personnel municipal supplémentaire. Bien qu’il ait été appelé un bâtiment temporaire, il est toujours en place aujourd’hui. Après son installation, le nombre de places de stationnement personnel disponibles pour les membres de la GRC a été réduit (entre six et huit, selon la saison et la configuration). Une pratique a été mise en place selon laquelle les membres stationnaient sur le terrain de jour 3 et indiquaient leurs plaques d’immatriculation au sergent de la GRC, Robert Knapton, qui à son tour fournissaient les numéros de plaque aux agents des règlements municipaux pour les saisir dans une base de données. Cela permettait aux membres de stationner leurs véhicules sur le terrain 3 gratuitement.

[112]  La preuve a démontré que l’attribution des places sur le terrain de la Sécurité publique était ajustée de temps à autre selon les différentes utilisations (véhicules de la GRC, véhicules d’urgence et places de stationnement personnelles). La disponibilité des places était réduite en hiver (en raison des tas de neige).

[113]  En 2016, en réponse à la croissance continue et à l’augmentation de la demande de stationnement, la MVW a commencé à examiner tous les stationnements disponibles dans la municipalité. Dans le cadre de sa réponse à ces demandes, la MVW a mis à jour son équipement de lecture de plaques d’immatriculation. À ce moment-là, le directeur général de la MVW, Norm McPhail, qui travaillait pour la MVW depuis 2010, a pris connaissance pour la première fois de la pratique consistant à offrir aux membres de la GRC un stationnement gratuit sur le terrain de jour 3.

[114]  Les parties ont convenu qu’il n’y avait aucune explication quant à la raison pour laquelle M. McPhail n’avait pas été informé de cette pratique plus tôt, alors qu’elle était en place depuis 2012.

[115]  Le 26 octobre 2015, M. McPhail a écrit à l’inspecteur Cross pour l’aviser que la pratique avait été portée à son attention et que la MVW l’examinerait avec le comité d’exploitation des terrains de jour (CETJ), qui existe parce que les stationnements sont gérés conjointement par la MVW et l’exploitant de la station de ski. Il a informé l’inspecteur Cross que le stationnement gratuit est un avantage imposable qui devrait être déclaré dans les déclarations de revenus des particuliers. Il a fait remarquer que la MVW avait reçu des demandes similaires de stationnement gratuit de la part d’autres services, lesquelles avaient toutes été refusées.

[116]  M. McPhail a poursuivi en écrivant [traduction] : « Je ne suis pas sûr des attentes qui ont été créées à ce jour parmi les membres de la GRC et je vois que cela peut être une question controversée pour certains. J’espère que nous pourrons nous rencontrer avant la prochaine réunion du CETJ pour mettre en place un plan réalisable. »

[117]  L’inspecteur Cross a répondu le lendemain, expliquant que le plan avait été mis en place après l’installation du bâtiment temporaire. Il a indiqué que le même arrangement était en place pour les pompiers. M. McPhail a répondu en leur demandant de garder le problème « au sein de la direction » jusqu’à ce que la MVW présente une stratégie.

[118]  M. McPhail a de nouveau soulevé la question en décembre 2017, auprès d’un nouvel officier responsable. Une fois de plus, il a expliqué qu’en examinant tous les stationnements de la MVW, il avait découvert l’arrangement en vertu duquel les membres de la GRC recevaient un stationnement gratuit sur le terrain 3. Il a déclaré que [traduction] « […] il semble que ce soit un accord parallèle non approuvé par la haute direction ni par le conseil de la MVW. » Il a indiqué que [traduction] « la MVW demandera éventuellement plus ouvertement que le stationnement personnel des membres de la GRC et des pompiers soit transféré vers les terrains de jour 4 et 5, ou dans un stationnement payant du terrain 3 ». Il a dit que la MVW [traduction] « […] commençait à se renseigner sur cet objectif tôt [car il savait] que le stationnement pouvait être un problème majeur pour certains ». Il a terminé en déclarant que la MVW envisageait une date d’entrée en vigueur au 1er avril 2017. Il lui a également demandé de garder cela confidentiel au sein de la direction de la GRC.

[119]  Le 31 janvier 2017, ou vers cette date, la MVW a finalisé une étude sur le stationnement qui avait été entreprise en hiver et en été 2016.

C.  Le changement à la politique sur le stationnement

[120]  Le 4 mai 2017, la MVW a écrit à la GRC et aux services d’incendie de Whistler pour les informer de sa décision d’interdire le stationnement personnel sur le terrain de la Sécurité publique, à compter du 1er juin 2017. Seuls les véhicules des parcs municipaux, de police et d’urgence pouvaient y être stationnés après cette date.

[121]  La MVW a effectué un suivi le lendemain en envoyant un courriel adressé à l’officier responsable intérimaire et à d’autres membres du personnel de la GRC indiquant que, en raison du changement, le stationnement gratuit dans les terrains de jour prendrait fin pour les membres de la GRC. Dans ce courriel, M. McPhail a expliqué qu’aucun stationnement gratuit dans les stationnements payants n’était offert à aucun autre membre du personnel. Il a réitéré que l’arrangement avait été mis en place sans l’approbation de la direction de la MVW.

[122]  Le 17 mai 2017, le sergent Knapton (qui avait été chargé de transmettre les numéros d’immatriculation des véhicules personnels aux agents municipaux) a écrit à un nouvel officier responsable, l’inspecteur Jeff Christie, l’interrogeant sur l’état de la décision. Il s’est plaint du manque de consultation, s’est demandé si la GRC pouvait utiliser la convention d’occupation pour contester la décision de la MVW et a soulevé un certain nombre de préoccupations en matière de santé et de sécurité concernant le fait de ne pas pouvoir stationner sur le terrain de la Sécurité publique.

[123]  Le 19 mai 2017, l’inspecteur Christie a informé tous les membres de la GRC à Whistler de la décision de la MVW. En la décrivant, il a indiqué que [traduction] « la réallocation de cette zone de l’utilisation actuelle (stationnement gratuit) – est conforme à la direction prise par la MVW pour être équilibrée et équitable pour tous les employés, visiteurs et citoyens. » Il a reconnu que [traduction] « le stationnement payant est sans aucun doute une préoccupation pour ceux qui ont traditionnellement accédé à cette zone sans frais ».

[124]  Les nouvelles dispositions de stationnement sont entrées en vigueur le 1er juin 2017. Après cette date, les membres de la GRC ont eu la possibilité de stationner sur le terrain de jour 3 au tarif de 60 $ par mois ou sur les terrains de jour 4 et 5 (30 $ par mois en haute saison et gratuit pendant les mois hors pointe).

[125]  Après le changement, la direction de la GRC (l’officier responsable) et les membres ont discuté de plusieurs préoccupations, ce qui a donné lieu à quelques exceptions à la règle interdisant le stationnement aux véhicules personnels sur le terrain de la Sécurité publique. Il s’agissait notamment d’autoriser le stationnement de certains véhicules personnels en cas d’urgence et de délivrer des cartes de stationnement pendant les quarts de nuit (car les terrains de jour ferment de 3 h à 6 h). Des préoccupations ont également été exprimées au sujet du risque pour les membres stationnant sur les terrains 4 et 5 et marchant jusqu’au détachement de la GRC en uniforme. L’inspecteur Christie a dit qu’il était prêt à installer des casiers supplémentaires dans les bureaux de la GRC afin que les membres puissent marcher dans leurs vêtements civils.

D.  Autres faits convenus

[126]  Les parties ont avancé trois autres points dans leur exposé conjoint des faits, qui ne sont pas intégrés dans la chronologie.

[127]  Premièrement, les parties ont convenu que la GRC n’avait pas de mandat du Conseil du Trésor pour obtenir un stationnement personnel pour les membres lors de la négociation d’ententes de service de police ou d’occupation. De plus, la GRC ne rembourse pas aux membres le stationnement personnel à tout lieu de travail où le stationnement est payant, sauf dans les cas prévus par les politiques de la GRC, du Conseil du Trésor ou du Conseil national mixte.

[128]  Deuxièmement, les parties ont déclaré ce qui suit en ce qui concerne les attentes des employés et de la direction concernant le stationnement :

[Traduction]

Les membres travaillant à la MVW s’attendaient à pouvoir stationner gratuitement leur véhicule personnel lorsqu’ils se rendent au travail. La Passation de marchés de la GRC, la direction de la GRC et la MVW s’attendaient à ce que le stationnement sur le terrain de la Sécurité publique soit limité aux véhicules des services de police. La Passation de marchés de la GRC, la direction de la GRC et la MVW s’attendaient également à ce que le stationnement des véhicules personnels des membres dans n’importe quel stationnement de la MVW, y compris le stationnement de la Sécurité publique, était un avantage offert à titre gracieux par la MVW qui pouvait être annulé à tout moment.

[129]  Enfin, les parties ont noté que la MVW offre certains avantages à titre gracieux aux membres de la GRC, y compris un laissez-passer de loisirs accordant un accès gratuit au gymnase de la MVW.

V.  Analyse et motifs

[130]  J’appliquerai maintenant le cadre analytique des plaintes relatives au gel décrit à la section III de la présente décision aux faits de cette plainte.

[131]  Les parties ont convenu que plusieurs éléments des critères de la première étape de l’analyse étaient respectés, comme suit :

[132]  Cependant, deux éléments essentiels restent à considérer, à savoir a) si la capacité de stationner sur le terrain de la Sécurité publique ou de stationner gratuitement sur le terrain de jour 3 était, en réalité, une condition d’emploi des membres de la GRC à Whistler et b) si la défenderesse a modifié les arrangements de stationnement.

[133]  La défenderesse a soutenu qu’elle n’avait jamais fourni de stationnement gratuit aux membres de la GRC à Whistler. Il s’agissait d’un avantage à titre gracieux fourni par la MVW, et non par la GRC. De plus, la GRC ou le Conseil du Trésor n’ont pas pris la décision d’interdire le stationnement personnel sur le terrain de la Sécurité publique et de mettre fin à l’arrangement de stationnement gratuit sur le terrain 3. La MVW a pris cette décision; elle n’est pas un employeur en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; « LGFP »). Par conséquent, comme la Loi définit « employeur » par référence à la LGFP, la MVW n’est pas un employeur en vertu de la Loi. Par conséquent, l’art. 56 de la Loi n’est pas en cause et la plainte devrait être rejetée pour ce motif, a soutenu la défenderesse.

[134]  L’intervenante a présenté des arguments similaires, ajoutant que la Commission n’a pas compétence sur la façon dont l’intervenante a exercé ses droits de contrôler l’utilisation et l’accès à ses stationnements. Pour cette raison, la Commission ne peut pas tenir la MVW responsable des changements qu’elle a décidé d’apporter ou lui imposer une réparation qui dicte la façon dont elle gère son stationnement.

[135]  J’ai commencé cette analyse en examinant les arguments de la défenderesse et de l’intervenante parce que ma conclusion sur ces points affecte de manière significative mon approche de l’analyse des autres arguments des parties concernant cette plainte.

[136]  En ce qui concerne la question de savoir si le stationnement gratuit était une condition d’emploi, il y a des arguments de part et d’autre. Du point de vue des membres de la GRC, je comprends certainement pourquoi ils estiment que les modalités de stationnement font partie de leurs conditions d’emploi. Bon nombre d’entre eux se rendent au travail en voiture. Ils doivent stationner leur véhicule personnel avant de se présenter au travail. La plupart d’entre eux ont pu utiliser des places réservées pour eux sur le terrain de la Sécurité publique pendant des années, bien que le nombre de places ait diminué au fil du temps. La possibilité de stationner gratuitement sur le terrain 3 était en place depuis 2012. Pour les membres utilisant ce terrain, la possibilité d’y stationner gratuitement aurait été une activité quotidienne liée au travail.

[137]  Par contre, du point de vue de la défenderesse, elle n’était pas responsable d’obtenir ou de négocier un stationnement gratuit. Il semble que les parties aient accepté ce point de vue comme une conclusion de fait. Comme il est indiqué dans l’exposé conjoint des faits, la GRC [traduction] « […] n’a pas de mandat du Conseil du Trésor pour obtenir un stationnement gratuit pour les membres lors de la négociation d’ententes de service de police ou d’ententes d’occupation. » Les parties ont également convenu que la GRC ne rembourse pas aux membres le stationnement payant pour les véhicules personnels. Par conséquent, le stationnement doit être compris comme un avantage à titre gracieux offert par la MVW. La défenderesse a soutenu que la MVW a choisi de fournir le stationnement gratuit et peut donc choisir de le retirer, tout comme un restaurant peut décider d’offrir un repas gratuit.

[138]  Il y a un autre angle à cette question, qu’aucune des parties n’a soulevé. Le principal objectif de la présence de la GRC à Whistler est de fournir des services de police à la municipalité. Elle n’est pas là pour exploiter un magasin ou un restaurant avec des employés qui bénéficient d’un stationnement gratuit. Elle est là parce que la MVW l’a embauchée au moyen d’ententes entre elle et la province et entre la province et la GRC. Les membres travaillent pour la GRC, qui travaille pour le MVW pour lui fournir des services. De ce point de vue, j’accepte comme raisonnable que les membres considèrent le stationnement gratuit comme faisant partie de leurs conditions d’emploi.

[139]  Cependant, même si le stationnement gratuit était accepté comme condition d’emploi, il faudrait tout de même se demander si la défenderesse a offert cette condition d’emploi et, plus important encore, si elle l’a modifiée. Rappelons que l’art. 56 de la Loi stipule que « […] l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires de l’unité de négociation proposée et pouvant figurer dans une convention collective, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par la Commission […] ».

[140]  Il s’agit d’un enjeu beaucoup plus difficile pour la FPN. Bien qu’elle ait expressément nié que la MVW était entièrement responsable de la décision d’annuler le stationnement gratuit, j’estime que la preuve démontre clairement que la MVW a pris toute l’initiative de modifier l’arrangement lié au stationnement. Elle a amorcé l’examen du stationnement. Elle a soulevé la possibilité de changements liés au stationnement à la direction de la GRC en octobre et décembre 2016. Son directeur municipal a signé la lettre du 4 mai 2017, annonçant que le stationnement des véhicules personnels ne serait plus autorisé sur le terrain de la Sécurité publique après le 1er juin 2017. Son directeur général, M. McPhail, a envoyé le courriel de suivi du 5 mai 2017, expliquant que le stationnement gratuit sur le terrain 3 prendrait également fin.

[141]  Les mots de M. McPhail expliquaient clairement la source de prise de décision comme suit [traduction] : « La décision de la direction de la MVW à ce sujet est qu’aucun stationnement gratuit sur les terrains de stationnement payants ne sera fourni aux membres de la GRC pour les véhicules personnels – ce qui est le cas pour tout le personnel de la MVW. »

[142]  De même, le courriel de l’inspecteur Christie du 19 mai 2017, envoyé à tous les membres de la GRC, indiquait clairement que la MVW mettait en œuvre les modifications liées au stationnement.

[143]  En résumé, c’est la MVW, et non la défenderesse, qui a modifié les modalités de stationnement en cause. La MVW n’est pas un employeur en vertu de la Loi. Le Conseil du Trésor est l’employeur des membres de la GRC. Par conséquent, l’art. 56 de la Loi n’est pas en cause et la plainte devrait être rejetée pour ce seul motif.

[144]  Ceci étant, le seul motif qui permettrait de maintenir la plainte est de savoir si la FPN pourrait faire valoir avec succès que, malgré le rôle de la MVW, la GRC est responsable de l’arrêt du stationnement gratuit et devrait donc être tenue responsable de son maintien pendant la période de gel.

[145]  Autrement dit, la disposition sur le gel oblige-t-elle la GRC à agir pour combler le vide et à fournir un stationnement gratuit aux membres de la GRC de Whistler?

[146]  Je poursuivrai l’analyse des arguments des parties sur cette base. Ce faisant, je noterai que ce mode d’analyse n’engage plus les intérêts de l’intervenante. Par conséquent, je ne discuterai pas davantage de ses arguments.

[147]  La plaignante a soutenu que le fait que la MVW ou la GRC soit légalement propriétaire des espaces de stationnement n’est pas déterminant en l’espèce. Les membres de la GRC ont reçu un stationnement gratuit comme condition d’emploi, et la GRC a la capacité de répondre à cette condition d’emploi par des choix sous son contrôle. L’accent devrait être mis sur la capacité de contrôler les conditions d’emploi, et non sur la prise de décision. La GRC peut autoriser les membres à utiliser ses espaces de stationnement sur le terrain de la Sécurité publique ou elle peut leur rembourser les frais de stationnement privé.

[148]  En formulant cet argument, la FPN a admis qu’il arrive rarement que des événements se produisent qui échappent entièrement au contrôle de l’employeur et qui l’empêchent de se conformer à un gel statutaire.

[149]  Par exemple, dans Conseil des Innus 2016, l’employeur avait réduit le nombre de jours d’enseignement au cours d’une année scolaire en remplaçant un vendredi sur deux par des journées d’éducation autochtone. La commission scolaire utilisait du personnel non enseignant pendant ces jours. Lorsque, à la suite d’une demande d’accréditation, la commission scolaire a annulé cette décision et obligé les enseignants à se rendre au travail tous les vendredis, le syndicat a déposé une plainte relative au gel. Le CCRI a déterminé qu’il n’y avait pas eu violation de la disposition sur le gel parce que le gouvernement fédéral avait ordonné à l’employeur de reprendre une année scolaire complète ou de faire face à des compressions budgétaires. Par conséquent, la commission scolaire n’avait aucun autre choix. Le CCRI a confirmé cette décision dans Conseil des Innus 2017.

[150]  La FPN a soutenu que le seul autre exemple d’actions de tiers excusant une violation d’une disposition de gel statutaire était Syndicat de la fonction publique d’Ottawa-Carleton, section locale 503 c. Conseil d’administration de la Bibliothèque publique d’Ottawa, (1995 CanLII 9953 (ON LRB), « Bibliothèque publique d’Ottawa »). Dans cette affaire, la bibliothèque avait promis à certains employés mal rémunérés une augmentation de salaire de 3 %. Après que le syndicat ait fait une demande d’accréditation, la Ville d’Ottawa a réduit le budget de la bibliothèque, ce qui l’a empêchée de mettre en œuvre l’augmentation de salaire. La CRTO a conclu que la décision de la bibliothèque n’avait pas violé la disposition sur le gel parce que les employés comprenaient que l’augmentation dépendait de la Ville d’Ottawa.

[151]  La FPN a soutenu que contrairement à Conseil des Innus et Bibliothèque publique d’Ottawa, la GRC a des choix sous son contrôle pour maintenir l’avantage du stationnement gratuit. Elle a fait valoir que la position de l’employeur selon laquelle il ne pouvait pas le faire était similaire à la « théorie de l’impossibilité d’exécution » en common law, selon laquelle des événements survenus en dehors du contrôle d’une partie empêchaient une partie de respecter un contrat. Elle a fait valoir qu’une partie ne peut revendiquer cette impossibilité d’exécution si elle avait la possibilité d’éviter l’événement et d’épuiser tous les moyens de contester ou de faire appel de la décision du tiers. Appliquant ce principe à cette situation, la FPN a soutenu que la GRC aurait pu contester la décision de la MVW ou en faire appel en vertu de l’article 7 de la convention d’occupation. Comme elle ne l’a pas fait, elle ne peut prétendre qu’elle n’est pas en mesure d’intervenir et de remplir les conditions.

[152]  Cette argumentation de la FPN est étroitement liée à son argument selon lequel la convention d’occupation accordait à la GRC le droit d’utiliser le terrain de la Sécurité publique pour ses employés. Elle a mentionné le libellé de la section 2.1, que je répéterai par souci de commodité; certains mots ayant été mis en caractères gras par la FPN :

[Traduction]

2.1 La municipalité accorde par la présente une convention d’occupation donnant le droit à la GRC municipale et non- municipale d’occuper le bâtiment du détachement. Cette convention d’occupation doit inclure le droit de la GRC, de ses employés, fonctionnaires, agents, clients et invités d’accéder et d’utiliser le bâtiment du détachement et comprend également le droit d’accéder et d’utiliser toutes les entrées, les aires de stationnement, les trottoirs, les zones de chargement et d’arrêt communs dans et autour du bâtiment du détachement.

[Je mets en évidence.]

[153]  Pour la FPN, cette clause de la convention d’occupation établit que la GRC a le droit d’utiliser le bâtiment du détachement et les entrées et aires de stationnement qui lui sont associées et qu’elle peut étendre ce droit aux employés. Par conséquent, la GRC pourrait utiliser les places encore disponibles pour les véhicules opérationnels (c’est-à-dire, les voitures de police) pour permettre le stationnement personnel. En fait, elle a fait usage de ce droit lorsqu’elle a accordé aux membres la possibilité de stationner sur le terrain de la Sécurité publique en cas d’urgence et la possibilité de stationner pendant les quarts de nuit, a fait valoir la FPN. Elle a exercé ce droit sans aucune indication d’avoir demandé l’autorisation ou l’accord de la MVW.

[154]  La défenderesse a soutenu que la jurisprudence relative aux tiers citée par la plaignante n’est pas pertinente. Conseil des Innus et Bibliothèque publique d’Ottawa découlent de situations où un employeur a fourni et modifié une condition d’emploi à la suite d’une action d’un tiers. Ce n’est pas le cas en l’espèce. La MVW possède et exploite le bâtiment et le terrain de la Sécurité publique. La province de la Colombie-Britannique est propriétaire du terrain 3 et la MVW le gère conjointement avec la station de ski. Il n’y a pas de jurisprudence concernant un employeur se mettant à la place d’un tiers pour fournir un avantage que l’employeur n’a jamais fourni.

[155]  La défenderesse a fait valoir la pertinence d’une affaire concernant un contrat avec un tiers devant la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique (CRTCB) (voir Galt Western Personnel Ltd. v. CAW-Canada Local 3000, [1998] B.C.L.R.B.D. No. 306 (QL) (confirmé dans [1998] B.C.L.R.B.D. No. 360). Dans cette affaire, l’employeur était sous contrat avec l’aéroport international de Vancouver pour fournir différents services de bureau pour un projet. Aux termes du contrat, l’aéroport pouvait ordonner à Galt Western de retirer des employés du projet. Elle l’a fait, pour trois employés, peu de temps après que le syndicat eut demandé l’accréditation des employés de Galt Western. Le syndicat a déposé une plainte relative au gel, que la CRTCB a rejetée. Elle a conclu que le Code des relations de travail de la Colombie-Britannique (RSBC 1996 C 244) [traduction] « […] ne protège pas les employés contre l’exercice de bonne foi par un tiers de ses droits en vertu d’un contrat préexistant avec l’employeur » (au paragraphe 50).

[156]  De plus, la défenderesse a soutenu que ni la FPN ni les membres ne sont parties à la convention d’occupation entre la MVW et la GRC. Citant le principe du « lien contractuel », elle a fait valoir que la FPN ne peut pas faire une réclamation fondée sur un contrat auquel elle n’est pas partie (voir London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 RCS 299). Ce principe a été maintenu dans le contexte du travail (voir, par exemple, Timberwest Forest Co. v. United Steelworkers, Local 1-1937, [2013] B.C.C.A.A.A. No. 7 (QL), au paragraphe 38). La seule exception à cette règle se produit lors de l’utilisation d’un contrat avec un tiers comme « bouclier » pour défendre ses intérêts, a-t-elle soutenu, mais en l’espèce, la plaignante a tenté d’utiliser la convention d’occupation comme une « épée » pour obtenir un avantage.

[157]  Même si la convention d’occupation était considérée comme exécutoire par la Commission, la défenderesse a soutenu qu’elle ne prévoit pas clairement le stationnement des employés. Lorsqu’elle est lue dans le contexte des accords entre la province et la GRC pour fournir des services de police, la convention d’occupation ne peut pas être lue comme un bail accordant à la GRC l’usage exclusif du terrain de la Sécurité publique. L’objectif principal de la convention est de permettre le partage des coûts entre les parties municipales et provinciales des opérations de la GRC. Elle devrait être interprétée comme s’appliquant uniquement aux opérations policières et, dans la mesure où cela accorde à la GRC la possibilité d’utiliser et d’accéder au terrain de la Sécurité publique, elle permet cela uniquement pour les opérations policières et non pour le stationnement personnel.

[158]  Bien que j’aie exploré l’argumentation de la FPN, rien de ce qu’elle a proposé comme argument ou jurisprudence ne modifie ma conclusion selon laquelle la modification des arrangements de stationnement a été apportée par la direction de la MVW, et non par la direction de la GRC. Je conviens avec la défenderesse qu’à la différence de Conseil des Innus et de Bibliothèque publique d’Ottawa, il ne s’agit pas d’un cas dans lequel une action de tiers a forcé un employeur à modifier les conditions d’emploi. En l’espèce, la MVW a modifié ses règles de stationnement.

[159]  Pour cette raison, toute l’argumentation sur le sens et le caractère exécutoire de la convention d’occupation ne constitue qu’une diversion. Si cette entente avait clairement indiqué que la GRC avait négocié le droit des employés d’utiliser le terrain de la Sécurité publique pour le stationnement personnel, j’aurais pu me plonger dans la vaste jurisprudence citée par les parties concernant le principe du lien contractuel. Mais je suis d’accord avec l’analyse de la défenderesse selon laquelle la convention d’occupation énonce simplement l’occupation du bâtiment et établit comment les coûts seront partagés. Même si j’avais conclu le contraire, j’aurais quand même dû revenir à la question de savoir si la défenderesse a modifié les conditions d’emploi.

[160]  Une seule autre argumentation pourrait être considérée comme une raison pour que la GRC intervienne pour prendre en charge l’avantage du stationnement de la MVW, soit de déterminer s’il existe une justification fondée sur le maintien du cours normal des affaires pour une telle action. En d’autres termes, existe-t-il des preuves que la pratique de gestion normale de la GRC, en réponse aux changements liés au stationnement apportés par la MVW, consiste à se substituer à cette dernière et à régler le problème?

[161]  L’historique en matière d’arrangements de stationnement montre que des changements réguliers ont été apportés à la façon dont les membres de la GRC pouvaient utiliser le terrain de la Sécurité publique et le terrain de jour 3. Tous les changements sont survenus à l’initiative de la MVW. Le stationnement payant a été mis en place sur les terrains 1 à 3 après les Jeux olympiques de 2010, et l’utilisation du terrain de la Sécurité publique est devenue plus réglementée par la suite. En 2012, la MVW a installé le bâtiment temporaire, ce qui a réduit les places disponibles. De temps à autre, l’entente concernant les places de stationnement sur le terrain de la Sécurité publique était modifiée.

[162]  Quelle a été la réaction de la direction de la GRC à ces changements apportés par la MVW? Les éléments de preuve démontrent que la principale réponse a été de communiquer les décisions de la MVW. Le courriel de 2011 de l’inspecteur Cross envoyé aux membres indiquait clairement que la MVW contrôlait l’utilisation du terrain de la Sécurité publique. En réponse aux préoccupations selon lesquelles les membres l’utilisaient pour des déplacements personnels dans le Village, le rôle de la GRC était de rappeler aux membres les règles établies par la MVW.

[163]  Il existe des preuves que la direction de la GRC a plaidé en faveur du stationnement des membres auprès de la MVW. Le courriel de 2011 de l’inspecteur Cross expliquait qu’en réponse à la mise en place d’un stationnement payant sur les terrains 1 à 3 après les Jeux olympiques [traduction] « […] il a été avancé que nos agents étaient soumis à des appels d’urgence […] ». Il a déclaré que la haute direction de la MVW a accepté cette justification et a ensuite accepté de permettre aux membres de stationner sur le terrain de la Sécurité publique. Cela suppose au moins que la direction de la GRC a joué un rôle déterminant dans la création de l’entente.

[164]  En 2016-2017, en réponse à la surprise du directeur général de la MVW en découvrant l’arrangement concernant le stationnement gratuit pour le terrain 3, la direction de la GRC a également pris soin d’expliquer l’origine de l’arrangement, qui remontait à l’installation du bâtiment temporaire, et lui a proposé de participer à la prochaine réunion du CETJ pour expliquer cet historique.

[165]  Cependant, aucune de ces actions n’est la preuve d’une pratique habituelle consistant à intervenir pour fournir un avantage que la MVW a retiré.

[166]  Il n’est pas clair quelles mesures, le cas échéant, la direction de la GRC a prises en 2012 lorsque la pratique consistant à saisir les plaques d’immatriculation des membres dans la base de données de la MVW a commencé pour offrir un stationnement gratuit sur le terrain de jour 3. Le directeur général de la MVW a qualifié cette pratique de [traduction] « transaction parallèle » que la direction de la MVW n’avait pas approuvée. Je n’ai aucune preuve suggérant que cela a été mis en place à la suite d’initiatives de la direction de la GRC. En réalité, aucune preuve écrite concernant la source de l’arrangement ne m’a été présentée.

[167]  J’estime que la réaction relative à la poursuite des activités normales de la GRC en ce qui concerne les modifications apportées au stationnement de la MVW a été de les communiquer aux employés. C’est précisément ce qu’elle a fait dans la communication du 19 mai 2017, à l’intention des membres.

[168]  Comme nous l’avons conclu précédemment, il est clair que les membres avaient fini par s’attendre à ce que le stationnement gratuit fasse partie de leurs conditions d’emploi. Était-il donc raisonnable pour eux de s’attendre à ce que cela se poursuive? Je n’en suis pas convaincu. Même s’ils ne vivent pas dans la MVW, en tant que policiers, ils font partie de la communauté. La preuve a clairement démontré que la situation du stationnement à Whistler est devenue de plus en plus difficile, compte tenu des Jeux olympiques d’une part et de l’expansion du Village d’autre part. En résumé, le stationnement était un dossier chaud, non seulement pour les membres, mais aussi pour la communauté. Le courriel de 2011 avertissant les membres de ne pas stationner sur le terrain de la Sécurité publique lorsqu’ils n’étaient pas en service n’aurait pas pu être plus clair – leur utilisation de ce terrain était sous surveillance, et la MVW pouvait y mettre fin. En tant que membres de la communauté de la MVW, cela n’aurait pas dû surprendre les membres d’apprendre que la MVW avait révisé ses ententes de stationnement et y apporterait des modifications.

[169]  Bien sûr, si la municipalité et la direction de la GRC n’avaient pas omis d’informer les membres du changement imminent à l’automne 2016, il ne serait pas question des attentes des membres, comme c’est le cas dans Chargehands.

[170]  La défenderesse a soutenu que [traduction] « la machine était en marche » pour des changements au stationnement, étant donné les préavis que la MVW avait fournis à la GRC à l’automne 2016. Cependant, je suis d’accord avec la Commission comme elle l’a écrit dans Règles sur les promotions de la GRC, au paragraphe 82, comme suit : « le concept de “machine mise en marche” doit signifier un travail effectué pour mettre en œuvre une décision définitive dont les employés sont au courant. Une machine en marche silencieusement à la connaissance d’un groupe exclusif seulement ne signifie rien. »

[171]  Cependant, le fait que la direction de la GRC n’ait pas communiqué en l’espèce ce que la MVW envisageait de faire ne suffit pas pour infirmer les autres conclusions auxquelles je suis parvenu. Communiquer plus tôt aurait été une meilleure pratique, mais le fait de ne pas le faire ne modifie pas mon évaluation des attentes raisonnables des membres.

[172]  La défenderesse a également soutenu que je devrais appliquer le critère de l’employeur raisonnable dans Wal-Mart et conclure que, dans la mesure où il modifiait la politique de stationnement, cela était conforme à ce qu’un employeur raisonnable aurait fait dans les mêmes circonstances. Conformément au cadre analytique décrit à la section III de la présente décision, je n’ai pas besoin de prendre en considération les arguments de la défenderesse fondés sur l’employeur raisonnable, car l’affaire a été tranchée aux première et deuxième étapes de l’analyse.

[173]  Pour tous ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI.  Ordonnance

[174]  La plainte est rejetée.

Le 26 juin 2020

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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