Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a présenté une demande afin d’être accréditée comme agent négociateur des membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) – elle a allégué que le défendeur a enfreint la disposition sur le gel prévu par la loi énoncée dans la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral en modifiant les conditions d’emploi au cours de la période de gel qui suit une demande d’accréditation – la plainte concernait des modifications alléguées apportées aux arrangements concernant le stationnement touchant les membres de la GRC situés au détachement du centre-ville de Victoria, en Colombie-Britannique – une nouvelle politique de stationnement a été mise en œuvre en ce qui concerne l’utilisation du stationnement adjacent au détachement – la plaignante a allégué que la nouvelle politique enfreignait la disposition sur le gel prévu par la loi – la formation de la Commission a conclu que la nouvelle politique ne représentait pas une modification aux conditions d’emploi des membres de la GRC – même si c’était le cas, la formation de la Commission aurait conclu que la modification était conforme aux pratiques habituelles de la GRC – la formation de la Commission aurait également conclu que la politique était conforme avec ce qu’auraient dû être les attentes raisonnables des membres.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20200626

Dossier : 561-02-40397

 

Référence : 2020 CRTESPF 72

 

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

enTRE

 

FÉDÉration DE LA Police NationalE

plaignante

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Gendarmerie royale du Canada)

 

défenderesse

Répertorié

Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Devant :  David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante :  Chris Rootham, avocat

Pour la défenderesse :  Sean Kelly, avocat

Affaire entendue à Victoria (Colombie‑Britannique),

les 4 et 5 mars 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Résumé

[1]  La question du stationnement est une question qui soulève les passions. Pour ceux qui doivent se rendre au travail en voiture, la question de savoir où l’on peut stationner et ce qu’il faut payer pour le faire peut être très importante.

[2]  C’est clairement le cas de certains membres réguliers nouvellement accrédités de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Leur agent négociateur, la Fédération de la police nationale (la « FPN » ou la « plaignante »), a déposé deux plaintes concernant des changements aux conditions de stationnement touchant les membres réguliers de la GRC (« membres » ou « membres de la GRC »).

[3]  Selon ces plaintes, le Conseil du Trésor et la GRC (la « défenderesse ») auraient violé l’art. 56 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») en modifiant les conditions d’emploi pendant la période de gel qui suit une demande d’accréditation. Le 18 avril 2017, la FPN a présenté une demande d’accréditation en vertu de la Loi pour représenter les membres et les réservistes de la GRC, soit environ 19 000 membres à travers le Canada.

[4]  Les plaintes concernent des modifications alléguées apportées aux arrangements de stationnement touchant les membres de la GRC dans deux endroits précis de la Colombie-Britannique. Ces modifications ont été mises en œuvre après le dépôt de la demande d’accréditation de la FPN.

[5]  Bien que les deux affaires portent sur la question du stationnement et qu’elles ont été entendues consécutivement par la même formation de la Commission, la présente décision ne concerne que la plainte sur les changements apportés au stationnement à la Direction générale de la GRC à Victoria, en Colombie‑Britannique (la « plainte relative au stationnement à Victoria »; dossier 561-02-40397). L’affaire connexe touche des membres de la GRC qui travaillent dans la municipalité de villégiature de Whistler (C.‑B.) (la « plainte relative au stationnement à Whistler »; dossier 561‑02‑870); je la trancherai dans une décision distincte.

[6]  Le quartier général du district de l’île (QGDI) de la GRC se trouve à Victoria. Environ 172 employés y travaillent, dont entre 60 et 70 membres de la GRC qui sont maintenant représentés par la FPN.

[7]  Le parc de stationnement du QGDI compte autour de 124 espaces de stationnement. Jusqu’au 3 juin 2019, environ le cinquième (25) des places étaient réservées à des véhicules de police particuliers. Les places restantes étaient à la disposition des autres véhicules de la GRC, des véhicules fédéraux ou municipaux, des visiteurs et des employés. Le parc de stationnement fonctionnait selon le principe du premier arrivé premier garé, que les deux parties ont qualifié de stationnement [traduction] « sans place garantie ».

[8]  À partir du 3 juin 2019, la GRC a mis en œuvre une nouvelle politique régissant l’utilisation du parc de stationnement du QGDI, en vertu de laquelle 80 p. 100 des places, environ, ont été assignées à des véhicules de police particuliers de la GRC. Ce changement a eu pour effet de réduire le nombre de places disponibles aux fins du stationnement sans place garantie.

[9]  La FPN a allégué que la nouvelle politique contrevenait aux dispositions sur le gel prévues à l’art. 56 de la Loi. Elle a demandé à la Commission de déclarer que la défenderesse avait enfreint la Loi, et d’ordonner que le stationnement sans frais soit rétabli au QGDI et que le coût des laissez‑passer publics soit remboursé aux membres touchés, rétroactivement à la date à laquelle ils n’ont plus été autorisés à se garer au QGDI.

[10]  Même si la présente plainte soulève de nombreuses questions analogues à celles visées dans la plainte concernant le stationnement à Whistler, la décision que je rends dans la présente affaire repose sur des facteurs très différents. En l’espèce, il incombait à la FPN de démontrer que la nouvelle politique constituait une modification des conditions d’emploi en vertu de l’art. 56 de la Loi. Si la FPN avait eu gain de cause à cette première étape, elle aurait ensuite dû établir que la modification était incompatible avec les pratiques [traduction] « antérieures » de la défenderesse. Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’estime que la FPN n’a pas établi que l’employeur a enfreint l’art. 56, et la plainte est rejetée.

II.  Plainte devant la Commission

[11]  Comme je l’ai mentionné, la FPN a déposé sa demande d’accréditation le 18 avril 2017. Elle cherchait à représenter une unité de négociation composée de tous les membres et réservistes de la GRC, autre que les « officiers » de la GRC au sens du par. 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (L.R.C. (1985), ch. R-10).

[12]  Les modifications apportées à la politique de stationnement visant le parc du QGDI ont d’abord été annoncées dans un courriel adressé à certains employés du QGDI, y compris certains membres, le 6 mars 2019.

[13]  La FPN a déposé la présente plainte le 8 mai 2019.

[14]  La nouvelle politique a été exposée en détail dans un courriel adressé à tout le personnel du QGDI le 9 mai 2019, et a pris effet le 3 juin 2019.

[15]  Au moment du dépôt de la plainte, la demande d’accréditation n’avait pas encore été tranchée. Cependant, la FPN a été accréditée en tant qu’agente négociateur le 12 juillet 2019 (voir Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 74). Il convient de noter que, conformément au paragraphe 56b) de la Loi, la période de gel se termine 30 jours après l’accréditation d’une organisation d’employés. Ainsi, au moment où cette plainte a été portée devant la Commission, la période de gel était en vigueur. Cependant, une fois que l’agent négociateur nouvellement accrédité a signifié un avis de négocier (le 15 juillet 2019), la disposition sur le gel énoncée à l’art. 107 a pris effet.

[16]  En août 2019, j’ai été affecté à titre de formation de la Commission pour instruire la présente plainte, et je l’ai gérée conjointement avec la plainte concernant le stationnement à Whistler. À la suite de diverses conférences préparatoires à l’audience, les parties ont convenu de soumettre un énoncé conjoint des faits et un recueil conjoint de 25 documents avant l’audience.

[17]  Je tiens à remercier les représentants des deux parties pour la collaboration dont ils ont fait preuve dans la préparation de l’énoncé conjoint des faits et du recueil de documents, lesquels ont beaucoup aidé à instruire l’affaire de manière efficace.

[18]  Comme je l’ai déjà mentionné, l’audience orale de cette plainte a été tenue consécutivement à celle du 3 mars 2020, qui portait sur la plainte similaire concernant le stationnement à Whistler. Compte tenu des similitudes des affaires, les parties ont répété de nombreux arguments principaux et ont utilisé les mêmes recueils de jurisprudence pour les deux affaires. J’ai brièvement envisagé de rendre une seule décision pour trancher les deux plaintes. Comme ma décision dans chaque affaire dépend de faits et d’analyses propres aux situations locales, j’ai décidé de rendre deux décisions distinctes.

[19]  Cependant, étant donné cette situation, je commence chaque décision par un cadre analytique commun utilisé pour les deux plaintes relatives au gel, avant de passer aux détails de chaque affaire.

[20]  Au moment où l’affaire a été entendue, les parties ont noté que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (et ses prédécesseurs, la Commission des relations de travail dans la fonction publique et la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique; collectivement, dans cette décision, la « Commission ») n’avait pas encore rendu de décision concernant l’art. 56 de la Loi. Contrairement à l’art. 107 (la disposition sur le gel à la suite d’un avis de négocier), en vigueur depuis le début de la négociation collective dans la fonction publique fédérale en 1967, l’art. 56 n’a été ajouté qu’en 2005, lorsque la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral a remplacé la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-35).

[21]  Cependant, à la suite de l’audience de cette affaire, la Commission a rendu sa décision dans Fédération de police nationale c. Conseil du Trésor, 2020 CRTESPF 44 (« Règles sur les promotions de la GRC »), qui impliquait les mêmes parties et une plainte en vertu de l’art. 56. Par conséquent, cette décision constitue la première de la Commission impliquant l’art. 56. Dans cette décision, la Commission a conclu que la défenderesse avait violé l’art. 56 lorsque, pendant la période de gel, elle a modifié les règles sur les promotions affectant les candidatures des membres de la GRC aux postes de sergent et de caporal.

[22]  Par conséquent, la présente décision et son pendant (la plainte concernant le stationnement à Whistler) seront les deuxième et troisième décisions de la Commission concernant l’art. 56 de la Loi.

III.  Cadre d’analyse des plaintes liées au gel en vertu de la Loi

[23]  Je vais commencer par exposer le cadre général que j’appliquerai pour évaluer la présente plainte liée au gel, ainsi que la plainte connexe concernant le stationnement à Whistler.

[24]  À bien des égards, les parties se sont entendues au sujet du cadre juridique ou analytique à appliquer. Cependant, elles étaient nettement en désaccord en ce qui concerne plusieurs aspects de la façon dont la Commission devrait appliquer la décision de la Cour suprême du Canada (CSC) dans Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal-Mart du Canada, 2014 CSC 45 (« Wal-Mart »).

[25]  La plaignante a généralement soutenu que je devrais suivre la décision rendue par la Commission dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 110 (« Bureau fiscal de Sudbury »), qui analysait l’application de Wal-Mart à une plainte relative au gel en vertu de l’article 107 impliquant des changements applicables aux horaires de travail variables.

[26]  La défenderesse a généralement soutenu que la décision de la Commission dans Bureau fiscal de Sudbury était contraire à la directive de la CSC dans Wal-Mart. Elle a fait valoir que la décision de la CSC avalisait de nouveaux critères d’analyse des plaintes relatives au gel, que la Commission doit appliquer. Elle a soutenu que la Commission n’avait pas correctement appliqué ces critères non seulement dans Bureau fiscal de Sudbury, mais également dans d’autres décisions, dont il sera question plus loin dans la présente décision.

[27]  Le but de cette section est d’évaluer ces arguments en termes généraux avant de les appliquer à la plainte en question.

A.  L’objet des dispositions sur le gel

[28]  Les dispositions sur le gel qui s’appliquent à la suite de la demande d’accréditation d’une unité de négociation sont ainsi énoncées à l’art. 56 de la Loi :

Maintien des conditions d’emploi

56 Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie ou la section 1 de la partie 2.1, l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires de l’unité de négociation proposée et pouvant figurer dans une convention collective, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par la Commission. Cette interdiction s’applique, selon le cas :

a)   jusqu’au retrait de la demande par l’organisation syndicale ou au rejet de celle-ci par la Commission;

b)   jusqu’à l’expiration du délai de trente jours suivant la date d’accréditation de l’organisation syndicale.

[29]  Cette disposition est semblable à la disposition sur le gel à la suite d’un avis de négocier, qui est énoncée à l’art. 107 comme suit :

Obligation de respecter les conditions d’emploi

107 Une fois l’avis de négocier collectivement donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve de l’article 132, les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou :

a)   dans le cas où le mode de règlement des différends est l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue;

b)   dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

[30]  L’élément essentiel de ces dispositions est très similaire en ce sens qu’il est interdit à un employeur d’apporter des modifications unilatérales aux conditions d’emploi une fois qu’une demande d’accréditation ou un avis de négocier est signifié. L’article 56 contient une disposition en vertu de laquelle un employeur peut demander l’autorisation à la Commission de modifier les conditions. Bien que cela n’existe pas à l’art. 107, ce dernier permet aux parties de parvenir à un accord sur une modification des conditions.

[31]  Bien que les deux types de gel aient un effet similaire, leurs objectifs ont été reconnus comme étant quelque peu différents. La Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) a décrit le but d’un gel des négociations comme suit (voir Canadian Union of Public Employees v. Scarborough Centenary Hospital Association, 1978 CanLII 506 (ON LRB), au paragraphe 8) :

[Traduction]

[…] maintenir le statu quo de la relation d’emploi de sorte que le syndicat ait la possibilité d’entamer des négociations et de négocier une convention collective à partir d’un point de départ déterminé et dans une ambiance de relations industrielles sécuritaires qui n’est pas perturbée par des modifications aux conditions de travail […]

[32]  Le but du gel après l’accréditation est différent; la CSC a reconnu (dans Wal‑Mart) qu’il s’agissait de « faciliter l’accréditation » (au paragraphe 34). Le gel lié à l’accréditation affecte la capacité de gestion de l’employeur et fait ce qui suit (au paragraphe 35) :

[…] restreint l’influence potentielle de celui-ci sur le processus associatif, diminue les craintes des employés qui exercent activement leurs droits et facilite le développement de ce qui deviendra éventuellement le cadre des relations de travail au sein de l’entreprise.

[33]  Malgré les différences d’objectif, les commissions des relations de travail ont généralement traité les deux types de plaintes de la même façon, ce que la Commission a décrit dans Règles sur les promotions de la GRC, au paragraphe 45, comme suit :

[45] Les deux types de gels figurent  dans la législation sur les relations de travail de chaque juridiction provinciale ainsi qu’au niveau fédéral dans la Loi et dans le Code canadien du travail (L.R.C., 1985, ch. L-2; le « Code »). La jurisprudence des commissions du travail de toutes les juridictions a largement appliqué les mêmes approches analytiques aux deux types de gel, et les deux parties ont suggéré que la Commission fasse de même. Je propose de le faire, tout en gardant à l’esprit le fait que, bien que les deux types de gel soient d’une importance cruciale pour notre régime de relations de travail, je suis d’avis que le gel en vertu de l’article 56 sert l’objectif quelque peu accru de faciliter l’accréditation elle-même, qui est la base même de la relation de négociation collective.

B.  La première étape de l’analyse

[34]  L’analyse commence par une première étape, au cours de laquelle le décideur évalue si la plainte satisfait au critère à quatre volets suivant (voir, par exemple, Bureau fiscal de Sudbury, au paragraphe 137, et Wal-Mart, au paragraphe 39 :

1) qu’une condition d’emploi existe le jour du dépôt de la demande d’accréditation (ou à la suite d’un avis de négocier, en cas de gel des négociations);

2) que l’employeur ait modifié la condition d’emploi sans le consentement ou l’approbation de la Commission (ou de l’agent négociateur, en cas de gel des négociations);

3) que la modification ait été apportée au cours de la période de gel;

4) que la condition d’emploi puisse être incluse dans une convention collective.

[35]  Les parties ont convenu que pour qu’une plainte soit accueillie, elle doit satisfaire aux quatre volets du critère.

C.  La deuxième étape de l’analyse

[36]  Les plaintes sont ensuite évaluées pour déterminer si la modification apportée par un employeur aux conditions d’emploi est justifiable en utilisant un ou plusieurs critères établis dans la jurisprudence. Comme la Commission l’a indiqué dans Règles sur les promotions de la GRC, au paragraphe 52 :

[52] […] La jurisprudence a reconnu que les employeurs doivent continuer de gérer leurs activités, en particulier compte tenu du délai parfois long entre la demande et l’accréditation et l’accréditation en soi, et entre l’avis de négocier collectivement et la finalisation d’une convention collective.

[37]  Par conséquent, les gels de négociation et d’accréditation ne sont pas ce que l’on a appelé un [traduction] « gel total », en vertu duquel les employeurs sont empêchés d’apporter des modifications quelconques au lieu de travail pendant le gel (voir Ontario Public Service Employees Union v. Royal Ottawa Health Care Group Institute of Mental Health Research, 1999 CanLII 20151 (ON LRB), au paragraphe 85; « Royal Ottawa »).

[38]  Il a généralement été conclu que les employeurs ne violaient pas une disposition de gel lorsque la modification apportée était conforme à ce que l’on appelle le critère du « maintien du cours normal des affaires » ou de la « poursuite des activités normales ». Encore une fois, une décision de la CRTO souvent citée, Spar Professional and Allied Technical Employees Association v. Spar Aerospace Products Ltd., [1979] 1 C.L.R.B.R. 61, [1978] CRTO Rep. Sept. 859, au paragraphe 23; « Spar Aerospace »), définit l’approche comme suit :

[Traduction]

23 L’approche du maintien du cours normal des affaires ne signifie pas qu’un employeur ne peut continuer de gérer ses activités. Elle signifie simplement qu’un employeur doit continuer de gérer ses activités en poursuivant les habitudes établies avant les circonstances ayant mené au gel, ce qui donne un point de départ clair pour la négociation et élimine l’effet de « douche froide » qu’un retrait d’avantages attendus aurait sur la représentation des employés par un syndicat  […]

[39]  Un autre critère consiste à déterminer si la modification apportée aux conditions d’emploi est conforme à ce que l’on appelle les « attentes raisonnables des employés ». En d’autres termes, était-il raisonnable pour les employés de s’attendre à ce que la condition soit maintenue? Si c’est le cas, la plainte sera accueillie. Souvent, cette analyse permet d’examiner si un employeur a déjà mis en marche un processus de modification des conditions d’emploi et s’il l’a communiqué aux employés.

[40]  J’examinerai brièvement quelques cas dans lesquels la Commission a appliqué ces principes ensemble.

[41]  Le premier cas est une autre plainte relative au gel impliquant des modifications au stationnement des employés, Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2016 CRTEFP 26. En 2015, le ministère de la Défense nationale a mis en place un stationnement payant à la BFC d’Halifax environ six mois après la signification de l’avis de négocier. La Commission a conclu que l’employeur avait réexaminé ses politiques de stationnement pendant plusieurs mois avant que l’avis de négociation ne soit signifié et que d’autres modifications étaient « à venir » (au paragraphe 51). Par conséquent, le « mouvement s’est enclenché » (au paragraphe 52) avant que le gel entre en vigueur. De plus, l’employeur avait informé à la fois l’agent négociateur et les employés que des modifications au stationnement pourraient survenir bien avant la signification de la négociation et la Commission a conclu que les employés ne pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que le stationnement gratuit se poursuive (au paragraphe 61). La plainte a été rejetée.

[42]  La Commission est parvenue à des conclusions similaires dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 107 (« NAFC Firebird »), qui traitait de changements aux horaires de poste des employés des équipages des navires faisant partie de l’équipage du navire auxiliaire des Forces canadiennes (NAFC) Firebird en 2015. Tout en convenant que des modifications ont été apportées aux horaires de travail pendant la période de gel, la Commission a conclu au paragraphe 46 que « […] le processus de modification a été entrepris avant que l’avis de négocier ne soit signifié » et que les employés du NAFC avaient été avisés qu’une telle modification était à venir.

[43]  La Commission a également adopté l’entrelacement des critères de maintien du cours normal des affaires et des attentes raisonnables dans une décision impliquant une réduction des heures de travail de temps plein à temps partiel en 2014 pour un groupe d’une cinquantaine d’employés travaillant dans les pénitenciers fédéraux de Service correctionnel du Canada dans la région du Pacifique  (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 11; « Services correctionnels »). La Commission a conclu que l’employeur avait pour habitude de ne pas réduire les heures de travail des employés, ce qui a conduit à une attente raisonnable de la part de ces derniers de continuer de travailler à temps plein après la signification d’un avis de négocier (au paragraphe 99). La plainte a été maintenue.

[44]  La Commission a également accueilli une plainte concernant une modification apportée en 2015 par le Bureau de la traduction aux horaires de travail des traducteurs parlementaires pendant la période où le Parlement ne siège pas (Association canadienne des employés professionnels c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (Services publics et Approvisionnements Canada), 2016 CRTEFP 68, « Traducteurs parlementaires »). La Commission s’est concentrée principalement sur le critère de la poursuite des activités normales décrit dans Spar Aerospace, mais a de nouveau déclaré que ce critère n’était pas exclusif au critère des attentes raisonnables. En d’autres termes, l’approche normale de l’employeur pour gérer les horaires de travail lorsque le Parlement ne siégeait pas était directement liée aux attentes des traducteurs parlementaires (au paragraphe 129).

[45]  En l’espèce, la FPN a soutenu que les critères du maintien cours normal des affaires et des attentes raisonnables sont des concepts connexes que la Commission peut évaluer ensemble. La défenderesse n’était pas d’accord avec cette approche et a soutenu que Wal-Mart avait modifié le cadre analytique.

[46]  Ce débat était également évident dans Règles sur les promotions de la GRC, dans laquelle la défenderesse a contesté l’entrelacement par la Commission du critère du maintien du cours normal des affaires et du critère des attentes raisonnables des employés. Elle a soutenu que les deux critères étaient distincts et que de les considérer ensemble allait à l’encontre de l’analyse de la CSC dans Wal-Mart.

[47]  Par conséquent, dans Règles sur les promotions de la GRC, la Commission a procédé à une analyse minutieuse de l’évolution historique de la jurisprudence sur le gel et à une analyse très approfondie des directives de la CSC, y compris une analyse des conclusions de la Commission dans Chargehands, NAFC Firebird, Services correctionnels et Traducteurs parlementaires.

[48]  Je souscris à la conclusion de la Commission dans Règles sur les promotions de la GRC, qui a été résumée comme suit :

[70] Le concept relatif aux attentes des employés est un aspect intrinsèquement logique d’une analyse relative au cours normal des affaires. Si les employés s’attendent raisonnablement à ce que quelque chose se produise, en l’absence d’une preuve du contraire, on peut supposer qu’ils ont cette attente parce que cela s’est déjà produit, parce que cela se produit généralement ou parce qu’on leur a dit que cela se produirait. Leurs attentes ne sont pas créées de toutes pièces, mais sont basées sur leurs expériences de travail ou sur ce qu’on leur a dit. C’est une simple question de logique et de probabilité.

[49]  Je vais maintenant aborder deux autres points de désaccord entre les parties concernant la façon d’analyser correctement ce type de plaintes. Le premier point de désaccord concerne la question de savoir qui doit s’acquitter du fardeau de la preuve en ce qui concerne le critère du maintien du cours normal des affaires. Le second point de désaccord concerne la manière et le moment d’appliquer les critères qui, selon la défenderesse, sont nécessaires compte tenu des conclusions de la CSC dans Wal-Mart.

D.  Maintien du cours normal des affaires – Fardeau de la preuve

[50]  À ce sujet, les observations de la plaignante décrivaient l’analyse à la deuxième étape comme des [traduction] « moyens de défense potentiels de l’employeur ». En d’autres termes, il appartient à l’employeur de justifier un changement comme étant conforme au maintien du cours normal des affaires. Elle a fait référence à l’analyse de la Commission dans Bureau fiscal de Sudbury, qui a conclu que l’employeur dans cette affaire (l’Agence du revenu du Canada) n’était pas en mesure de démontrer que les modifications qu’il avait apportées aux heures de travail étaient conformes à la pratique antérieure.

[51]  La défenderesse a soutenu que la plaignante inversait le fardeau de la preuve d’une manière incompatible avec les directives de la CSC dans Wal-Mart. Conformément au principe du stare decisis, la Commission est tenue de suivre cette direction (en d’autres termes, la Commission ne peut pas s’écarter de la décision de la CSC; seule cette Cour peut renverser un précédent juridique qu’elle a établi).

[52]  La défenderesse a expressément contesté l’analyse de la Commission dans Bureau fiscal de Sudbury, lorsqu’elle a déclaré que lors de l’évaluation d’un critère de maintien du statu quo, elle « […] examine la défense présentée par l’employeur […] » (au paragraphe 137). La défenderesse e a soutenu que l’erreur s’est répétée lorsque la Commission a conclu que « […] l’intimée n’a pas présenté une défense répondant à la norme exposée dans Walmart […] » (au paragraphe 172).

[53]  La défenderesse a soutenu que Wal-Mart indique clairement que le fardeau de la preuve incombe au plaignant, comme suit : « Contrairement à l’art. 17 du [Code du travail du Québec], l’art. 59 ne crée ni présomption “de modification” ni renversement automatique du fardeau de preuve. Le fardeau de présentation demeure sur les épaules des employés et du syndicat » (au paragraphe 54).

[54]  La CSC a réitéré cette conclusion lorsqu’elle a examiné la décision initiale de l’arbitre (qui avait conclu que la société avait enfreint les dispositions relatives au gel). En jugeant sa décision raisonnable, elle a déclaré qu’il « […] n’a pas imposé à l’employeur un fardeau de preuve inapproprié » (au paragraphe 95). Un peu plus loin, la CSC a noté que l’arbitre « […] n’a ni créé de présomption légale ni inversé le fardeau de preuve » sur l’employeur (au paragraphe 97).

[55]  Je conviens avec la défenderesse que la CSC a clairement indiqué que le fardeau de la preuve dans une plainte relative au gel comme celle-ci incombe au plaignant non seulement à la première, mais aussi à la deuxième étape de l’analyse.

[56]  Par ailleurs, la notion selon laquelle il est attendu d’un employeur qu’il se défende n’équivaut pas nécessairement à un renversement du fardeau de la preuve. Lors d’un arbitrage, il est attendu que le défendeur se défende activement. La CSC l’a clairement reconnu. Après avoir reconnu que le fardeau de la preuve incombe au syndicat, elle a expliqué ce qui suit (au paragraphe 54 de Wal-Mart) :

[54] […] Toutefois, rien n’empêche l’arbitre chargé d’entendre la plainte d’induire des présomptions de fait de l’ensemble de la preuve présentée devant lui, conformément aux règles générales du droit de la preuve civile […] et à leur mise en application normale. Ainsi, dans la mesure où le syndicat présente des éléments de preuve permettant à l’arbitre d’induire qu’un changement donné ne semble pas être conforme à ces pratiques habituelles, l’absence de présentation d’une preuve contraire par l’employeur risque de lui être défavorable […]

[57]  À la suite de cette analyse, je ne pense pas que la Commission ait renversé le fardeau en se référant aux moyens de défense de l’employeur dans Bureau fiscal de Sudbury. Dans cette affaire, le syndicat a allégué que les restrictions imposées par l’employeur à des horaires de travail variables représentaient un changement important par rapport à la pratique antérieure. Le syndicat a présenté des preuves à cet effet; l’employeur a présenté des preuves pour se défendre. La Commission a soupesé la preuve de l’employeur par rapport à celle du syndicat et a statué en faveur de ce dernier.

[58]  Cela dit, je pense qu’il convient d’indiquer clairement qu’il incombe au plaignant de s’acquitter du fardeau de la preuve.

E.  Les critères énoncés dans Wal-Mart

[59]  La défenderesse a soutenu qu’avec Wal-Mart, la CSC a approuvé de nouveaux critères qui doivent être pris en compte dans chaque plainte relative au gel. Elle a soutenu que dans bon nombre de ses récentes décisions, la Commission n’a pas correctement appliqué ces critères, notamment dans Bureau fiscal de Sudbury.

[60]  Premièrement, la défenderesse a soutenu que Wal-Mart avait établi un critère selon lequel il « aurait procédé de la même manière ». En d’autres termes, si un employeur peut démontrer que le changement des conditions d’emploi aurait été effectué même en l’absence d’une demande d’accréditation, il n’y a aucune violation des dispositions relatives au gel.

[61]  Deuxièmement, la défenderesse a soutenu que Wal-Mart avait établi un critère de « l’employeur raisonnable ». Dans les cas visés par la Loi, ce critère exige que la Commission examine si une modification des conditions est conforme à ce qu’aurait fait un employeur raisonnable placé dans la même situation. Si c’est le cas, aucune violation ne s’est produite.

[62]  Avec ce critère, la défenderesse a soutenu que Wal-Mart avait établi une exigence selon laquelle, pour obtenir gain de cause dans une plainte relative au gel, un agent négociateur doit démontrer pour deux motifs distincts que (a) le changement en question est incompatible avec la pratique antérieure de l’employeur, et (b), le changement en question est incompatible avec la décision qu’un employeur raisonnable aurait prise dans les mêmes circonstances.

[63]  La défenderesse a réitéré son argument selon lequel, selon le principe du stare decisis, la Commission est tenue de suivre les instructions de la CSC et d’appliquer les critères.

[64]  D’autre part, la plaignante a soutenu que l’analyse de la Commission dans Bureau fiscal de Sudbury devrait s’appliquer. Dans cette décision, la Commission a conclu que le critère de l’employeur raisonnable est effectivement une troisième étape de l’analyse qui n’est engagée que si la question ne peut être réglée à la deuxième étape (maintien du cours normal des affaires et attentes raisonnables).

[65]  La plaignante a soutenu que la Commission devrait suivre ses propres décisions (ce qu’elle a appelé le « stare decisis horizontal »), à moins qu’elles ne soient manifestement erronées, ce qui n’est pas le cas de la décision dans Bureau fiscal de Sudbury.

[66]  Il ne fait aucun doute que Wal-Mart renvoie fréquemment au concept « aurait procédé de la même manière ». Il ne fait également aucun doute que, dans cette affaire, la CSC a appliqué le critère de l’employeur raisonnable en cherchant à évaluer les circonstances uniques de cette affaire (la fermeture d’un magasin prospère et rentable à Jonquière, au Québec, juste après que le syndicat eut déposé une demande d’arbitrage de la première convention collective à la suite d’une accréditation réussie). Sur la base de ces critères, la CSC a confirmé la conclusion selon laquelle Wal-Mart avait violé les dispositions relatives au gel du Code du travail du Québec en fermant ce magasin.

[67]  La question est de savoir comment ces critères devraient s’intégrer dans l’analyse des plaintes relatives au gel dans des situations plus simples que Wal-Mart.

[68]  Dans Bureau fiscal de Sudbury, la Commission a abordé le critère « aurait procédé de la même manière » et a conclu qu’il ne devrait pas être appliqué de manière à contourner l’objectif d’un gel statutaire. Au paragraphe 166, elle cite Wal-Mart (au paragraphe 49) comme suit : « Or, lui permettre de continuer à utiliser ses pouvoirs de gestion comme si rien n’avait changé reviendrait en définitive à lui permettre de faire ce que la loi vise pourtant à prohiber ».

[69]  Je partage cet avis. De plus, je ne suis pas convaincu que la CSC ait approuvé le concept « aurait procédé de la même manière » en tant que critère distinct. Selon mon interprétation de Wal-Mart, ce n’est qu’un moyen de reformuler le critère du maintien du cours normal des affaires. Cela ressort clairement de l’introduction par la CSC du terme suivant au paragraphe 52 comme autre façon de décrire le maintien du cours normal des affaires:

[52] Dans ce cadre, pour conclure à l’absence de modification illégale des conditions de travail au sens de l’art. 59 du Code [du travail du Québec], l’arbitre ne peut se contenter de vérifier si l’employeur détenait le pouvoir d’agir comme il l’a fait avant l’arrivée du syndicat dans son entreprise. Il lui faut également être convaincu que la décision de l’employeur demeurait conforme à ses pratiques habituelles de gestion ou, exprimé autrement, qu’il aurait procédé de la même manière en l’absence d’une requête en accréditation.

[70]  Cela est également évident au paragraphe 60, où, comme suit, la CSC a cité Spar Aerospace, entre autres, comme jurisprudence à l’appui de cette conclusion :

[60] […] Ainsi, dans tous les régimes généraux de relations de travail au Canada, si l’employeur ne perd pas son droit de gestion du seul fait de l’arrivée d’un syndicat dans son entreprise, il doit désormais l’exercer comme il le faisait ou l’aurait fait avant cet événement […]

[71]  Comme je l’ai déjà mentionné, Spar Aerospace demeure l’arrêt de principe sur la justification du maintien du cours normal des affaires pour modifier les conditions d’emploi.

[72]  La Commission a également examiné cette question dans Règles sur les promotions de la GRC et a conclu que l’importation de l’intention de l’employeur dans l’analyse reviendrait à « […] importer la suggestion d’une exigence de sentiment antisyndical pour prouver une violation de la disposition sur le gel » (au paragraphe 110). La Commission a soutenu que les gels d’accréditation et de négociation demeurent des dispositions strictes en matière de responsabilité (au paragraphe 38) et a conclu que l’interprétation était conforme à Wal-Mart (voir Règles sur les promotions de la GRC, au paragraphe 111, citant Wal-Mart, au paragraphe 38).

[73]  Quant à la bonne application du critère de l’employeur raisonnable, aucun des arguments de la défenderesse ne m’a convaincu que la Commission avait mal appliqué Wal‑Mart dans Bureau fiscal de Sudbury.

[74]  Dans Bureau fiscal de Sudbury, la Commission a soigneusement analysé la décision de la CSC et a conclu que le critère de l’employeur raisonnable devrait être appliqué « […] dans certains scénarios où il est difficile ou impossible de déterminer si une pratique de gestion donnée existait avant […] » (au paragraphe 156, citant le paragraphe 56 de Wal-Mart).

[75]  La Commission a en outre conclu ce qui suit :

 [171] Si le régime de négociation collective qui est au cœur de la Loi doit effectivement s’appliquer conformément à l’objet énoncé dans le préambule de la Loi, il est essentiel qu’un employeur respecte l’injonction à l’égard des modifications unilatérales des conditions d’emploi durant la période de gel prévue à l’art. 107. Les motifs justifiant l’exception aux pratiques habituelles doivent être interprétés sans exagérations, à mon avis, afin de ne pas aller à l’encontre de l’objet impérieux de l’art. 107. Le fait, encore une fois, qu’un employeur raisonnable ait pu exercer ses pouvoirs d’une certaine façon dans des circonstances contrefactuelles, ne devrait pas constituer une défense suffisante dans la plupart des circonstances. La défense doit normalement étayer davantage, à moins, suivant le paragraphe 56 de Walmart, qu’il n’y ait aucune preuve de la pratique de gestion antérieure sur laquelle une défense puisse se fonder. Même en pareil cas, il faut faire preuve de prudence. Autrement, cela enfreindrait la disposition sur le gel statutaire.

[76]  La défenderesse a soutenu que Wal-Mart avait été appliqué correctement dans un certain nombre de cas d’une manière qui devrait permettre à la Commission de rejeter Bureau fiscal de Sudbury. Je ne suis pas convaincu que l’une des affaires citées me permette de m’en écarter.

[77]  Prenons, par exemple, Canadian Helicopters Limited c. Syndicat international des employées et employés professionnels(les) et de bureau, 2020 CAF 37, soit une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) confirmant une plainte relative au gel concernant les horaires de travail des pilotes. Vers la fin de la décision, la Cour d’appel fédérale (CAF) a noté que le CCRI n’avait pas appliqué le critère de l’employeur raisonnable. Cependant, comme l’a soutenu la plaignante, la conclusion de la CAF était hautement spéculative, concluant en fait que Wal-Mart « […] ne peut donc pas constituer un motif valable pour annuler la décision du [CCRI], même si la décision du [CCRI] aurait pu être différente s’il avait été invoqué » (au paragraphe 36).

[78]  La défenderesse a également cité la décision de la CAF dans Fedex Freight Canada, Corp. c. Section Locale 31 des Teamsters, 2017 CAF 78, laquelle examinait les demandes de contrôle judiciaire, déposées à la fois par le syndicat et l’employeur, d’une décision du CCRI et de sa propre décision sur le réexamen. Bien que la CAF ait mentionné l’importance des principes de Wal-Mart, elle n’a pas abordé directement la question de savoir comment et quand le critère de l’employeur raisonnable devrait être utilisé. Selon la principale conclusion tirée des sections pertinentes de la décision, il n’était pas déraisonnable pour le CCRI de retirer le sentiment antisyndical de son analyse relative au gel.

[79]  La défenderesse a également souligné la décision du CCRI concernant des changements aux conditions d’emploi lors d’un gel de la certification impliquant des enseignants travaillant dans le nord du Québec. La décision originale était Syndicat des enseignantes et enseignants de la communauté innue de Pessamit - CSN c. Conseil des Innus de Pessamit, 2016 CCRI 831 (« Conseil des Innus 2016 »). Dans la demande de réexamen (Syndicat des enseignantes et enseignants de la communauté innue de Pessamit - CSN c. Conseil des Innus de Pessamit, 2017 CCRI 861 (« Conseil des Innus 2017 »)), le syndicat a soutenu que la formation initiale avait ignoré les enseignements de l’arrêt Wal-Mart, qui « […] constitue un changement de paradigme historique et juridique puisqu’il établit que la disposition sur le gel […]vise à faciliter l’accréditation et à favoriser la négociation de bonne foi » (au paragraphe 20). Le CCRI a cité de nombreux passages de Wal-Mart. Cependant, il a finalement conclu que Wal-Mart « [...] ne change pas de façon substantielle la jurisprudence du [CCRI] dans son analyse et l’application qu’il fait de la disposition sur le gel des conditions de travail » (au paragraphe 26).

[80]  Enfin, la défenderesse a soutenu qu’une troisième décision de la CAF (Association des pilotes fédéraux du Canada c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 52) a renforcé l’application du critère de l’employeur raisonnable pour les plaintes relatives au gel. Lors de l’examen d’une décision de la Commission (Association des pilotes fédéraux du Canada c. Ministère des Transports, Bureau de la sécurité des transports et Secrétariat du Conseil du Trésor, 2018 CRTESPF 91), la CAF a déclaré qu’il n’était pas nécessaire d’avoir appliqué le critère des attentes raisonnables et que « […] le point important était de déterminer si les modifications contestées avaient eu lieu avant le début du gel, ou si elles faisaient partie d’une approche que l’employeur avait déjà adoptée ou qu’il aurait pu raisonnablement adopter » (au paragraphe 12). Bien que je convienne que ce passage appuie la prise en compte du caractère raisonnable des décisions d’un employeur, je ne pense pas qu’on puisse s’appuyer sur ce seul passage à titre d’autorité pour contredire l’examen détaillé de la manière exacte dont un tel critère doit être appliqué, qui a été fourni par la Commission dans Bureau fiscal de Sudbury.

[81]  La Commission a eu de nombreuses occasions d’étudier l’application de Wal‑Mart aux plaintes relatives au gel en vertu de la Loi outre que Bureau fiscal de Sudbury. Les décisions de la Commission dans Chargehands, NAFC Firebird, Services correctionnels et Traducteurs parlementaires ont été rendues bien après Wal-Mart.

[82]  La seule des quatre affaires à avoir même mentionné Wal-Mart était Chargehands. Dans cette affaire, l’agent négociateur a soutenu que la Commission devrait appliquer le critère de l’employeur raisonnable. La Commission a rejeté cet argument, concluant que les arguments portant sur « la motivation et le bien-fondé » de la décision d’imposer des frais de stationnement n’étaient pas « pertinents à la question en litige » (au paragraphe 28). En outre, elle a conclu que « […] il n’importe pas que le changement mis en œuvre par l’employeur ait été potentiellement déraisonnable, arbitraire ou mal conçu, ce que je ne crois pas, en tout état de cause » (au paragraphe 56).

[83]  À titre informatif, la défenderesse a soutenu que la Commission avait tort dans cette partie de Chargehands et qu’elle aurait pu demander le contrôle judiciaire de la décision n’eût été du fait que la Commission a rejeté la plainte pour d’autres motifs, comme il a été mentionné précédemment.

[84]  En fin de compte, il a été expliqué dans Bureau fiscal de Sudbury que si une affaire peut être réglée d’une manière ou d’une autre sur la base du critère du maintien du cours normal des affaires, il n’est pas nécessaire de considérer le critère de l’employeur raisonnable. Ce critère ne devrait être appliqué que dans des situations uniques, comme Wal-Mart, dans lesquelles une analyse du maintien du cours normal des affaires ne permet pas de régler l’affaire d’une manière ou d’une autre.

[85]  En faisant valoir qu’un plaignant doit obtenir gain de cause sur la base des critères du maintien du cours normal des affaires et de l’employeur raisonnable, la défenderesse essayait de tenter sa chance deux fois. Même si elle était tout à fait disposée à renoncer au critère de l’employeur raisonnable si elle obtenait gain de cause sur la base d’une analyse du maintien du cours normal des affaires, elle a fait valoir qu’une perte sur la base de ce critère nécessite l’application du critère de l’employeur raisonnable comme approche tout à fait alternative pour rejeter une plainte.

[86]  Conformément à ce raisonnement, je ne trouve aucun fondement pour soutenir l’argument de la défenderesse.

F.  Résumé

[87]  En somme, j’estime que la bonne approche analytique à appliquer comprend deux, ou dans certains cas, trois étapes d’analyse.

[88]   la première étape, il faut examiner si un employeur a apporté des modifications non approuvées aux conditions d’emploi pendant une période de gel, étant entendu que les conditions modifiées puissent être incluses dans une convention collective.

[89]  À la deuxième étape, il faut se demander si ce changement était conforme aux pratiques habituelles de l’employeur. Souvent, à ce stade, il est nécessaire de déterminer si les changements faisaient ou non partie des attentes raisonnables de l’employé.

[90]  Une troisième étape est requise dans les situations où il est difficile, voire impossible, d’appliquer les critères du maintien du cours normal des affaires ou des attentes raisonnables. Dans ce cas, il faut appliquer le critère de l’employeur raisonnable énoncé dans Wal-Mart.

[91]  Enfin, tout en reconnaissant que les employeurs doivent pouvoir continuer à gérer leurs opérations, l’analyse doit partir du principe qu’une disposition sur le gel est une responsabilité stricte, et non une disposition qui nécessite un sentiment antisyndical. Les conclusions doivent respecter l’objectif des dispositions sur le gel, qui est de créer un environnement de relations de travail stable au sein duquel l’accréditation ou la négociation peuvent se dérouler.

[92]  Avant d’appliquer ce cadre analytique à l’espèce, je résumerai brièvement le contexte factuel.

IV.  Résumé de la preuve

[93]  Outre le dépôt de l’énoncé conjoint des faits et du recueil conjoint de documents, la défenderesse a cité un témoin, Sean Sullivan, surintendant principal (SP) du district de l’île de la GRC. Le résumé qui suit reflète selon moi les points saillants de l’énoncé conjoint des faits et du témoignage du SP Sullivan.

[94]  La GRC est un service de police national, qui assure les services de police nationaux partout au pays et offre des services de police à contrat à trois territoires et huit provinces. En C.‑B., la GRC fournit les services de police nationaux et provinciaux, ainsi que des services de police municipaux à un grand nombre de petites ou moyennes municipalités.

[95]  La GRC est répartie en divisions qui reposent essentiellement sur les frontières provinciales. À l’intérieur de la Division E (la province de la C.‑B.), il y a quatre districts. Le district de l’île comprend l’île de Vancouver, les îles côtières adjacentes et la moitié septentrionale de Sunshine Coast, qui est située dans la partie continentale de la C.‑B.

[96]  L’édifice du QGDI se trouve sur la rue Nanaimo, à Victoria. En moyenne, 172 personnes y travaillent, dont les suivantes au moment de l’audience :

1) 70 membres, dont 7 détenaient le grade d’inspecteur ou un grade plus élevé et 10 travaillaient à l’extérieur des locaux temporairement;

2) 19 membres civils;

3) 5 gendarmes de réserve;

4) 39 fonctionnaires fédéraux;

5) 21 agents de police municipaux et 10 employés municipaux;

6) un nettoyeur;

7) sept commissionnaires.

[97]  Étant donné que les officiers brevetés sont exclus de l’unité de négociation, j’ai conclu que les membres de la GRC qui étaient représentés par la FPN composaient environ le tiers du nombre total d’employés travaillant au QGDI.

[98]  Le SP Sullivan a témoigné au sujet des divers rôles et fonctions au QGDI. Certaines personnes, comme lui et celles qu’il supervise directement, encadrent et soutiennent les 27 détachements du district de l’île de la GRC, qui comprend 1 100 employés en tout. D’autres unités du QGDI ne relèvent pas du SP Sullivan. L’une des plus grandes unités au QGDI est le Groupe intégré des crimes majeurs de l’île de Vancouver (GICMIV), qui réunit des agents de police municipaux et des membres de la GRC principalement chargés des enquêtes sur les homicides dans l’ensemble du district de l’île.

A.  La situation liée au stationnement au QGDI avant juin 2019

[99]  Le parc de stationnement situé dans la propriété du QGDI compte 124 places de stationnement. Avant juin 2019, environ 25 places seulement étaient réservées aux véhicules particuliers. La centaine de places restantes devait accueillir les véhicules de police de la GRC (dont le nombre dépassait à peine 100) et d’autres véhicules appartenant au gouvernement fédéral ou à la municipalité, aux visiteurs et aux employés qui travaillaient au QGDI, y compris les membres.

[100]  Comme le parc de stationnement du QGDI n’était pas tout à fait assez spacieux pour accueillir tous les véhicules, les personnes qui travaillaient au QGDI devaient se battre pour les places de stationnement selon le principe du premier arrivé premier garé, ce qui était qualifié de stationnement sans place garantie au niveau local.

[101]  Compte tenu du manque de places de stationnement, beaucoup d’employés qui travaillaient au QGDI devaient souvent garer leur véhicule personnel dans l’une des rues adjacentes. Une limite de temps, de deux heures en règle générale, s’applique au stationnement sur rue dans le voisinage du QGDI. Les membres (et d’autres employés) qui se garaient sur la rue devaient souvent quitter le bureau pour déplacer leur véhicule personnel afin d’éviter que les agents chargés de faire appliquer le règlement de la Ville de Victoria ne leur remettent une contravention.

[102]  Souvent, les employés replaçaient leur véhicule personnel dans le parc de stationnement du QGDI, où des places étaient libérées durant la journée par les véhicules de police de la GRC qui étaient utilisés aux fins des patrouilles ou des enquêtes.

[103]  La situation liée au stationnement sans place garantie s’appliquait aussi aux véhicules de police de la GRC. Lorsque le parc de stationnement du QGDI était rempli, les membres qui revenaient au QGDI devaient souvent garer ces véhicules dans la rue.

[104]  Au fil des ans, de nombreux incidents ont occasionné des dommages aux véhicules de police, à la fois dans le parc de stationnement du QGDI et dans les rues avoisinantes. D’autres incidents sont survenus, notamment des intrusions, des vols et des cas où des personnes louches ont photographié des voitures de police, ou encore, des personnes sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool sont entrées dans le parc.

[105]  Par conséquent, autour de 2015, la GRC a lancé un projet de construction visant à entourer le parc de stationnement d’une clôture, afin de protéger le QGDI et les voitures de police qui y étaient assignées. Les travaux exécutés conformément au plan conceptuel de la clôture ont été réalisés pendant la première moitié de l’année 2017. Au moment de l’audience, le projet était presque achevé mais l’installation des barrières de sécurité se faisait toujours attendre.

[106]  Le SP Sullivan est entré en fonction à titre de surintendant de police en chef au QGDI en septembre 2017. Il a déclaré qu’à ce moment‑là, il a rapidement pris connaissance des problèmes découlant de la situation liée au stationnement.

[107]  Le SP Sullivan a déclaré que la plupart des employés du QGDI travaillent du lundi au vendredi, entre 7 h et 17 h.

[108]  Comme je l’ai déjà mentionné, le parc de stationnement comptait 124 places, dont 25 seulement étaient réservées, ce qui laissait une centaine de places non réservées. Cependant, celles‑ci n’étaient pas toutes à la disposition des employés, puisque de nombreux véhicules de police y étaient garés pendant la nuit.

[109]  Le SP Sullivan a déclaré que pendant la matinée, normalement, il y avait autour de 35 places de stationnement sans garantie à la disposition des employés, mais qu’elles étaient habituellement toutes occupées dès 7 h.

[110]  Le SP Sullivan a expliqué qu’une fois que les employés se présentaient au travail, les véhicules de la GRC qui étaient utilisés sortaient par vagues, la première autour de 7 h 30 et la deuxième entre 9 h et 10 h 30.

[111]  Selon le SP Sullivan, pendant la journée, le personnel allait régulièrement jeter un coup d’œil au stationnement en regardant par la fenêtre, afin de voir si des places s’étaient libérées. En pareil cas, ils quittaient leur poste de travail ou une réunion, sortaient de l’immeuble, et déplaçaient leur véhicule vers une place vacante. Le SP Sullivan a déclaré qu’après les départs par vagues des véhicules de la GRC, le nombre total de véhicules personnels garés dans le parc s’élevait à une cinquantaine ou une soixantaine.

[112]  Comme je l’ai mentionné, lorsque des membres revenaient avec un véhicule de police et ne pouvaient pas trouver de place dans le parc du QGDI, ils devaient se garer dans la rue. Le SP Sullivan a expliqué qu’à un moment donné, les agents chargés de faire appliquer le règlement de la Ville de Victoria ne distribuaient pas de contraventions aux véhicules de la GRC ou annulaient celles‑ci. Cependant, ils ont mis fin à cette pratique et ont été très actifs dans le voisinage, ce qui a entraîné de nombreuses contraventions liées à des véhicules de police.

[113]  Même si les gestionnaires avaient l’habitude de couvrir les coûts des contraventions, à un moment donné, la direction de la GRC a décidé que le membre qui garait un véhicule devait payer les contraventions de stationnement, dont le coût était normalement de 40 $ - l’amende était néanmoins réduite de moitié si elle était payée dans un délai de 20 jours. La GRC remboursait les contraventions de stationnement uniquement dans les cas où un véhicule participait à des opérations secrètes.

[114]  Le SP Sullivan a déclaré que le manque de places de stationnement pour les véhicules des employés et de la flotte avait occasionné de nombreuses plaintes de la part des gestionnaires et des employés.

[115]  Le SP Sullivan a expliqué qu’après son entrée en fonction au QGDI, il a formé un comité chargé d’examiner les problèmes de stationnement. En février 2018, le comité d’intégration du stationnement des employés (CISE) du QGDI a commencé à recueillir des données et à examiner les possibilités de stationnement qui s’offraient aux employés. Le CISE a travaillé pendant environ sept mois. Il a mené un sondage auprès des employés, lequel a permis de constater que 69 des 87 répondants avaient besoin de garer leur véhicule personnel. Le sondage a donné lieu à plusieurs pages de préoccupations et de commentaires exprimés par les employés.

[116]  Le CISE a aussi enquêté sur les possibilités de stationnement auprès des commerces locaux. Il a examiné les améliorations apportées aux stationnements pour motocyclettes et bicyclettes, ainsi que l’accès aux stationnements incitatifs et au transport en commun. Il a aussi envisagé la possibilité de demander des exemptions aux contraventions auprès de la Ville de Victoria ou d’augmenter la durée du stationnement de deux heures à quatre, quoique sans succès.

[117]  Des mises à jour de la situation liée au stationnement ont aussi été présentées lors de certaines réunions du personnel, notamment celles que le GICMIV a tenues en avril et en mai 2018.

[118]  Le SP Sullivan a déclaré qu’à un moment donné, le travail réalisé avec le comité avait [traduction] « frappé un mur », et qu’il avait organisé une séance de discussion ouverte au rez‑de‑chaussée du QGDI afin de discuter de la situation et de répondre aux questions. Par la suite, il a rencontré la direction pour discuter des étapes suivantes.

B.  La modification apportée à la politique sur le stationnement en juin 2019

[119]  Le 6 mars 2019, dans un courriel adressé aux membres du GICMIV, un inspecteur a communiqué que le QGDI adopterait un nouveau modèle de stationnement à l’édifice. Il a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le nouveau modèle est fondé sur la reconnaissance du fait qu’il n’y a pas suffisamment de places disponibles dans le parc, que la GRC a la responsabilité d’assurer le stationnement des voitures de police, ainsi que sur le sentiment d’équité en vertu duquel les employés ne pourront pas tous avoir accès aux places restantes. L’édifice passera à un modèle selon lequel le parc aura des places de stationnement assignées aux voitures de police. Les autres places seront assignées aux employés ou mises à la disposition des visiteurs. Les places assignées aux employés seront attribuées par tirage au sort et accordées selon une formule de paiement.

[…]

[120]  Dans son courriel, l’inspecteur a expliqué qu’il ne savait pas encore quels seraient les frais de stationnement. Il a dit que le nouveau système pourrait débuter en mai 2019. Il a reconnu qu’il ne s’agirait [traduction] « […] pas d’une bonne nouvelle pour un bon nombre d’employés » et que certains pourraient [traduction] « […] décider de continuer à faire leur petite marche toutes les deux heures » (en faisant allusion à la pratique qui consistait à déplacer les véhicules garés dans la rue toutes les deux heures, afin d’éviter les contraventions).

[121]  Ce courriel est à la source de la plainte de la FPN.

[122]  En mai 2019, divers courriels portant sur les nouveaux plans de stationnement ont été envoyés aux employés du QGDI, y compris les membres de la GRC. Plusieurs précisions concernant le nouveau système ont varié au fil de ces communications. Le système de tirage au sort a été abandonné dans les plans, en faveur du maintien du stationnement sans place garantie compte tenu du nombre de places limité. Les employés ont été renvoyés à une liste de ressources créée par le CISE, notamment une liste d’endroits où ils pourraient se garer à proximité du QGDI.

[123]  Le SP Sullivan a déclaré que le nouveau plan avait suscité de nombreuses réactions négatives et que, en conséquence, diverses concessions avaient été faites.

[124]  Un schéma du parc de stationnement a été envoyé par courriel à tous les employés le 30 mai 2019, accompagné d’un rappel indiquant que le nouveau système entrerait en vigueur le lundi 3 juin, à 7 h. Sur les 124 places, 35 places ont été marquées en « vert » comme étant à la disposition des employés et des visiteurs. Les autres ont été marquées en « rouge » comme étant réservées à des véhicules particuliers de la GRC. Quelques places étaient utilisées à des fins spéciales.

[125]  Un document en date du 4 juillet 2019, intitulé [traduction] « Guide de stationnement du district de l’île », figurait dans le recueil conjoint de documents. Entre autres choses, il indiquait aux employés que chaque véhicule de police se verrait attribuer une place désignée numérotée, et que seuls ces véhicules seraient autorisés à utiliser ces places. Le document informait les employés qu’un échange un pour un contre un véhicule n’appartenant pas à la police serait approuvé si le véhicule de police était sorti aux fins d’une garde ou d’un déplacement de nuit. Le document expliquait les politiques relatives aux permis et aux contraventions qui étaient mises en vigueur.

[126]  Le SP Sullivan a aussi déclaré que la situation liée au stationnement avait évolué depuis juin 2019. Parmi les points qu’il a soulevés, je retiens les points saillants qui suivent :

1) L’emplacement précis des places marquées en rouge ou en vert a un peu fluctué, tout comme les exigences liées à l’augmentation ou à la diminution du nombre de places de stationnement réservées aux véhicules de la flotte, et il pouvait varier à l’avenir.

2) La disposition et l’emplacement des places marquées en rouge ou en vert ont varié à mesure que le projet de clôture du périmètre était réalisé.

3) Malgré ce qui est écrit dans le document de politique, l’autorisation d’échanger des véhicules durant la journée est laissée à la discrétion des gestionnaires, de sorte qu’il est parfois possible de garer un véhicule à une place marquée en rouge lorsque le véhicule désigné de la flotte est sorti de jour, plutôt que de nuit seulement.

4) En date de janvier 2020, 35 places marquées en vert étaient encore disponibles dans le stationnement sans place garantie des employés et des visiteurs.

5) En date de mars 2020, le nombre moyen de véhicules garés dans le parc chaque jour s’élève [traduction] « peut‑être » à 45, selon les mots du SP Sullivan, ce qui comprend les places officielles (en vert) du stationnement sans place garantie et l’échange géré de véhicules personnels aux places marquées en rouge.

6) Actuellement, une équipe d’employés travaille à un autre endroit. À son retour, le nombre de places dans le stationnement sans place garantie sera réduit de 10.

7) Le SP Sullivan est le seul membre de l’équipe de gestion qui dispose d’une place marquée en rouge réservée à son véhicule personnel; les autres gestionnaires ont refusé d’en demander une.

8) Selon les mots du SP Sullivan, de nombreux [traduction] « utilisateurs réguliers » ont choisi de louer une place de stationnement ailleurs, en payant des frais mensuels. Un grand nombre d’employés continuent de se garer dans la rue.

[127]  En contre‑interrogatoire, le SP Sullivan a déclaré qu’au moment de l’adoption de la nouvelle politique, il savait que la FPN avait présenté une demande d’accréditation. Il a affirmé qu’il avait discuté de cette question avec la section des relations de travail de la GRC. Il a confirmé qu’il n’avait pas consulté la FPN. Il a déclaré avoir une relation de travail étroite avec un membre qui siège au conseil exécutif de la FPN, mais qu’il ne l’avait pas consulté au sujet du changement.

V.  Analyse et motifs

[128]  J’appliquerai maintenant le cadre analytique des plaintes relatives au gel décrit à la section III de la présente décision aux faits de cette plainte.

[129]  Les parties s’entendent sur les éléments suivants qui relèvent des critères applicables à la première étape de l’analyse :

1) un avis de demande d’accréditation a été déposé le 18 avril 2017;

2) une modification apportée aux dispositions de stationnement a pris effet le 3 juin 2019, durant la période de gel;

3) la FPN n’a pas consenti à la modification; la défenderesse n’en a pas demandé l’approbation à la Commission;

4) le stationnement gratuit pour les employés est une condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective.

[130]  Toutefois, les parties n’ont pas la même opinion en ce qui concerne la question de savoir si la modification apportée aux dispositions de stationnement constituait une modification d’une condition d’emploi.

[131]  La plaignante a expliqué avoir déposé la plainte lorsque la défenderesse a informé les membres que l’ensemble du stationnement serait assigné, que des frais s’appliqueraient aux places mises à la disposition des employés et que celles‑ci seraient offertes par tirage au sort.

[132]  Après le dépôt de la demande, la défenderesse a avisé les membres qu’elle ne mettrait pas en œuvre le système d’attribution par tirage au sort et qu’elle continuerait à offrir le stationnement gratuit sans place garantie. Cependant, le nombre de places de stationnement sans garantie a été passablement réduit, selon la plaignante. Avant la modification, près d’une centaine de places de stationnement sans garantie étaient disponibles. Après la modification, 19 places seulement étaient disponibles, et elles ne l’étaient que selon le principe du premier arrivé premier servi. Même si la preuve de la défenderesse indique qu’il y a actuellement 35 places, le SP Sullivan a clairement déclaré qu’une réduction de 10 places était prévue sous peu, et il a admis que le nombre de places marquées en vert sans garantie pouvait encore faire l’objet d’une réduction.

[133]  En résumé, la FPN a soutenu qu’il y avait eu un changement important par rapport au cours normal des affaires antérieur au début du gel, ce qui constituait une modification d’une condition d’emploi.

[134]  La défenderesse a reconnu que le changement apporté au stationnement avait entraîné une augmentation du nombre de places assignées aux véhicules de police. Cependant, ceux-ci étaient garés dans le parc avant le 3 juin 2019, et on a continué à les y garer après cela. L’augmentation du nombre de places assignées aux véhicules de police ne constituait pas une modification d’une condition d’emploi.

[135]  En ce qui concerne le stationnement à la disposition des employés, la défenderesse a soutenu que ces derniers pouvaient se garer dans le parc avant que la modification n’ait été apportée et qu’ils ont pu continuer de s’y garer après le 3 juin 2019, en fonction d’un nombre de places qui était à peu près le même. Avant la modification, les membres pouvaient échanger un véhicule de police contre un véhicule personnel; après la modification, cette possibilité existe toujours, quoiqu’avec l’autorisation de la direction. Selon la défenderesse, il n’y a pas eu de modification d’une condition d’emploi au sens de l’art. 56 de la Loi.

[136]  Je dois entamer mon évaluation de la question de savoir si une condition d’emploi a été modifiée en procédant à l’analyse de ce qui était en place à la fois avant et après le gel.

[137]  Dans beaucoup de plaintes liées au gel, la situation qui prévalait avant le gel est rédigée sous forme de politique, de directive ou de règle (voir, par exemple, Traducteurs parlementaires ou Règles de la GRC en matière de promotion). Ce n’est pas le cas en l’espèce. Aucune preuve à cet égard n’a été produite. Je dois me fonder sur l’énoncé conjoint des faits et le témoignage du SP Sullivan.

[138]  Après avoir examiné cette preuve, j’estime que la liste ci‑dessous renferme les principales conclusions concernant les dispositions de stationnement avant le gel :

1) Dans le parc, 25 places étaient assignées à des véhicules de police particuliers, ce qui laissait autour d’une centaine de places pour le stationnement des autres véhicules de police et ceux des invités ou des employés.

2) Pendant la nuit, un grand nombre de véhicules de police étaient garés dans le parc. Chaque matin, il y avait autour de 35 places vacantes à la disposition des employés aux fins du stationnement sans place garantie. Presque tous les matins, ces places étaient occupées dès 7 h.

3) Manifestement, le parc ne pouvait pas répondre aux besoins de tous les employés qui souhaitaient garer leur véhicule personnel. Un bon nombre d’entre eux se garaient dans les rues résidentielles adjacentes, guettaient le départ des véhicules de police, puis sortaient afin de garer leur véhicule personnel dans le parc.

4) En l’absence de places dans le parc, les employés devaient déplacer leur véhicule toutes les deux heures afin d’éviter que les agents chargés de faire appliquer le règlement de la Ville de Victoria ne leur remettent une contravention.

5) Subsidiairement, les employés auraient pu payer un stationnement dans un terrain privé, utiliser le transport en commun, ou bien se rendre au travail à pied ou en bicyclette.

[139]  Dans quelle mesure cet arrangement procurait‑il l’avantage d’un stationnement gratuit aux employés, et plus particulièrement aux membres?

[140]  Le seul élément de preuve quant au nombre d’employés qui souhaitaient utiliser le parc de stationnement est ressorti du sondage mené auprès des employés en 2018, dans lequel 69 des 87 répondants ont affirmé qu’ils avaient besoin d’une place de stationnement. Étant donné qu’environ 172 employés travaillent au QGDI, le sondage n’a clairement pas été exhaustif. Aucun élément de preuve n’a été présenté expliquant pourquoi seulement 87 employés ont participé au sondage. Je peux seulement conclure qu’au moins 69 personnes souhaitaient se garer dans le parc régulièrement. Le nombre réel pourrait être plus élevé. Par conséquent, je peux aussi conclure que les 35 places qui étaient ordinairement libres à 7 h pouvaient au mieux accueillir la moitié seulement (35 sur 69) des employés qui souhaitaient s’y garer. L’hébergement réel pourrait représenter moins de la moitié.

[141]  On ne m’a présenté aucun élément de preuve précis au sujet l’utilisation de ces arrangements de stationnement par les membres de la GRC, par opposition à l’ensemble des employés. Rappelons‑nous que les membres représentent environ le tiers de l’effectif total en cause.

[142]  En ce qui concerne la modification qui est entrée en vigueur le 3 juin 2019, je souligne qu’il y a eu des messages contradictoires dans les communications écrites. À titre d’exemple, le 9 mai 2019, l’annonce faite à tous les employés indiquait ce qui suit : [traduction] « […] aucun stationnement ne sera fourni pour les employés, sauf dans certaines circonstances ayant fait l’objet d’une discussion avec votre chef de service ». Cependant, ce message comprenait aussi un schéma du parc et l’énoncé suivant : [traduction] « Les places marquées en vert sont à la disposition des employés et des visiteurs sans garantie, selon le principe du premier arrivé premier servi ». Le 30 mai 2019, le schéma illustrant les 35 places de stationnement marquées en vert était joint au courriel de rappel envoyé à tous les employés.

[143]  Une autre contradiction dans les communications initiales est le fait qu’il n’y a eu aucune mention de l’échange entre les véhicules de police et les autres véhicules. Cependant, le Guide de stationnement du district de l’île indiquait ce qui suit : [traduction] « Les places des véhicules de police peuvent être utilisées sous la forme d’un échange un pour un contre un véhicule n’appartenant pas à la police, si le véhicule de police est sorti aux fins d’une garde ou d’un déplacement de nuit ». Les employés ont été informés qu’ils devaient placer un permis de stationnement dans les véhicules qui n’appartenaient pas à la police lorsque ceux‑ci étaient garés à ces places.

[144]  Cette section de la politique n’est pas compatible avec la pratique qui est actuellement en vigueur, selon le témoignage du SP Sullivan. Ce dernier a déclaré que les gestionnaires pouvaient autoriser des échanges si les véhicules de police étaient sortis pour la journée, et qu’il arrive encore parfois que les véhicules de police soient garés dans la rue (mais seulement pour deux heures au maximum). Le SP Sullivan a ajouté que l’utilisation de permis de stationnement dans le cas des véhicules qui n’appartiennent pas à la police n’est pas mise en application.

[145]  Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, j’estime que la liste ci‑dessous renferme les principales conclusions concernant les dispositions de stationnement après le 3 juin 2019 :

1) Environ 89 places du parc sont assignées à des véhicules de police particuliers, ce qui laisse environ 35 places de stationnement sans garantie pour les employés et les invités.

2) Une unité de police travaille à l’extérieur des locaux. À son retour, le nombre de places de stationnement sans garantie sera réduit de 10. Une fois que la barrière de sécurité sera installée, ou si d’autres besoins se manifestent, le nombre de places de stationnement sans garantie pourra être réduit à nouveau.

3) Avec l’autorisation de leurs gestionnaires, les employés peuvent échanger leur véhicule personnel et le garer à une place marquée en rouge si le véhicule désigné pour cette place est sorti pour la journée ou la nuit.

4) Le parc ne répond toujours pas aux besoins de tous les employés qui souhaitent y garer leur véhicule personnel.

5) Certains employés se garent encore dans les rues résidentielles adjacentes et sortent le déplacer toutes les deux heures, afin d’éviter que les agents chargés de faire appliquer le règlement de la Ville de Victoria ne leur remettent une contravention. Subsidiairement, les employés peuvent payer un stationnement dans un terrain privé, utiliser le transport en commun, ou bien se rendre au travail à pied ou en bicyclette.

[146]  Cette modification des arrangements de stationnement constitue-t‑elle une modification des conditions d’emploi?

[147]  À mon avis, l’augmentation du nombre de places de stationnement désignées pour des véhicules de police ne constitue pas, en soi, une modification au sens de l’art. 56 de la Loi. Dans la pratique, cette modification visait à protéger les véhicules de police et à réduire le nombre de contraventions de stationnement qu’ils recevaient.

[148]  La question qu’il faut examiner est celle des répercussions du changement sur le stationnement pour les employés et, plus particulièrement, dans le cadre de la présente plainte, sur le stationnement touchant les membres de la GRC.

[149]  Si la défenderesse avait imposé un tirage au sort, ou si elle avait imposé des frais de stationnement dans le parc, j’aurais pu conclure qu’une modification avait eu lieu et passer à l’étape suivante de l’analyse.

[150]  Cependant, la défenderesse a agi différemment. Le SP Sullivan a déclaré qu’après l’annonce des plans initiaux, la direction s’est efforcée de répondre aux préoccupations des employés à l’égard de la nouvelle politique et avait changé de cap en conséquence.

[151]  La défenderesse a maintenu le stationnement sans place garantie, et il ressort de la preuve que le nombre de places disponibles en matinée avant la modification est le même que le nombre de places disponibles actuellement en vertu de la nouvelle politique — autour de 35. À mon avis, même si une réduction d’au moins 10 places de stationnement est imminente, cette future réduction n’est pas en soi suffisamment importante pour être assimilée à une modification d’une condition d’emploi au sens de l’art. 56 de la Loi.

[152]  Les faits démontrent que les places de stationnement qui étaient disponibles en matinée avant la modification (autour de 35) répondaient, au mieux, à la moitié de la demande en stationnement. Les places de stationnement qui sont disponibles en matinée à l’heure actuelle (35 places marquées en vert) ne répondent encore, au mieux, qu’à la moitié de la demande.

[153]  En ce qui concerne l’utilisation des places laissées vacantes par des véhicules de police pour garer des voitures personnelles durant la journée, avant le gel, cette pratique semble avoir libéré entre 15 et 25 places de plus. La pratique a entraîné des perturbations parce qu’elle n’a pas été gérée. L’échange de véhicules est encore autorisé, mais géré plus soigneusement, puisqu’il est assujetti à l’approbation du superviseur de la personne en question.

[154]  Aucun élément de preuve ne m’a été présenté quant au nombre d’employés qui peuvent actuellement tirer avantage de l’échange de leur véhicule contre un véhicule de police à une place de stationnement. Le SP Sullivan a déclaré que [traduction] « peut‑être 45 » d’entre eux peuvent bénéficier d’une place marquée en vert (sans garantie) ou en rouge (échange) durant la journée.

[155]  En dernier lieu, aucun élément de preuve ne m’a été présenté quant aux répercussions du nouveau système d’échange sur les membres à titre de sous‑ensemble d’employés. Ces derniers peuvent être plus désavantagés par le nouveau système parce qu’ils peuvent être appelés à l’extérieur du bureau plus souvent, ou bien être davantage en mesure d’en profiter parce qu’ils savent à quel moment les véhicules de police vont quitter le stationnement.

[156]  J’estime que la FPN n’a pas réussi à établir que l’employeur avait modifié une condition d’emploi en vertu de l’art. 56 de la Loi. Les employés n’avaient pas clairement droit au stationnement gratuit dans le parc du QGDI avant l’entrée en vigueur du gel. Cela est confirmé par le nom même de l’arrangement : stationnement sans place garantie. Avant le gel, les employés devaient se battre pour les places de stationnement limitées le matin et au fil de la journée. Après le gel, cette situation persiste, avec quelques contraintes de plus seulement.

[157]  En outre, j’estime que la FPN n’a pas réussi à établir les répercussions précises de ces arrangements sur ses membres, par opposition à l’effectif global qui travaille au QGDI.

[158]  En m’appuyant sur cette conclusion, je pourrais mettre fin à mon analyse à la première étape et rendre ma décision sur ce seul fondement. Cependant, je tiens à examiner encore les arguments présentés par les parties concernant les pratiques relatives au maintien du cours normal des affaires, puisqu’ils concernent l’ensemble des conclusions que je viens de tirer au vu de la preuve.

[159]  La FPN a soutenu qu’il n’y avait aucune preuve d’une défense fondée sur le maintien du cours normal des affaires qui aurait justifié la modification que la défenderesse a apportée. Même s’il avait entamé des discussions au sujet de l’installation de la clôture périphérique du parc avant le gel, la construction de la clôture n’a aucun effet sur l’utilisation du parc à l’intérieur du périmètre. Les discussions au sujet de la clôture ne comportaient aucune discussion concernant qui pourrait garer dans le parc.

[160]  Même si la FPN a reconnu que beaucoup de discussions avaient été tenues avec les employés au sujet de la situation liée au stationnement, elle a soutenu que ces discussions n’avaient pas débuté avant l’automne 2017, au moment où le gel était déjà en vigueur.

[161]  La défenderesse a soutenu qu’elle avait amorcé un processus de changement bien avant le gel. Les problèmes liés au stationnement étaient bien connus des gestionnaires et des employés. Le projet de clôture avait été lancé afin de régler les problèmes de sécurité relativement aux véhicules de police lorsqu’ils étaient garés dans le parc ou sur la rue. Avant le gel, la GRC avait eu une pratique de gestion consistant à assigner des places aux véhicules de police, et sa décision d’augmenter le nombre de places assignées ne démontre pas qu’une pratique de gestion a été modifiée.

[162]  Selon mon analyse, la preuve démontre clairement qu’avant l’entrée en vigueur du gel, le parc de stationnement n’était pas suffisamment grand pour répondre aux besoins liés à ses véhicules et aux besoins en stationnement des employés. La GRC a tenté de gérer la situation liée au stationnement de façon à équilibrer le besoin opérationnel de garer les véhicules de police et le besoin en stationnement des employés. Il s’agissait d’un système qui fonctionnait mal, et qui a entraîné des contraventions pour les véhicules de police et les véhicules personnels, ainsi que des perturbations de la journée de travail, tout en ne fournissant pas suffisamment de places de stationnement pour les employés.

[163]  Selon mon analyse, les changements qui sont entrés en vigueur le 3 juin 2019 étaient compatibles avec la pratique antérieure. L’utilisation accrue de places assignées aux véhicules de police semble avoir eu pour effet de réduire les infractions aux règles de stationnement pour ces véhicules, tout en maintenant autant de places de stationnement que possible dans les limites du parc, ce qui a été accompli par la défenderesse en laissant tomber l’idée de l’attribution par tirage au sort et celle du stationnement payant.

[164]  Aucune des parties ne m’a présenté d’arguments détaillés relativement au critère des attentes raisonnables des employés, qui constitue souvent une partie importante de l’analyse des pratiques relatives au maintien du cours normal des affaires. Cependant, compte tenu de la façon dont fonctionnait le système de stationnement avant le gel, il m’est impossible de conclure que les employés nourrissaient l’attente raisonnable de pouvoir se garer quotidiennement dans le parc du QGDI. À mon avis, un employé raisonnable qui aurait examiné cette situation aurait su que le système ne garantissait pas qu’il serait possible de se garer dans le parc. Un employé raisonnable se serait attendu à ce que survienne un changement quelconque visant à réduire l’incertitude quant à l’endroit où garer les véhicules de police, et à ce que ce changement puisse entraîner des répercussions sur le stationnement pour les employés.

[165]  Je conviens avec la plaignante que la création du CISE par la défenderesse, le lancement du sondage auprès des employés et la tenue d’une séance de discussion ouverte ont tous eu lieu durant la période de gel. À ce titre, ces événements ne peuvent pas, à eux seuls, être invoqués par la défenderesse pour établir que le processus était amorcé. Parallèlement, au moment de la mise en place des changements du 3 juin 2019, on aurait difficilement pu s’attendre à ce que les employés soient surpris.

[166]  Comme dans la plainte concernant le stationnement à Whistler, la défenderesse a raté l’occasion de consulter officiellement la FPN sur le changement de politique avant son entrée en vigueur. Comme dans la situation à Whistler, je n’arrive pas à la conclusion que le défaut de consulter de la défenderesse est suffisamment important pour modifier ma décision sur le bien‑fondé de la plainte.

[167]  En résumé, même si j’avais conclu que le changement du 3 juin 2019 constituait une modification des conditions d’emploi des membres de la GRC, selon l’art. 56 de la Loi, je conclurais que ce changement était compatible avec les pratiques relatives au cours normal des affaires de la GRC et qu’il n’était pas en décalage par rapport à ce qu’auraient dû être les attentes raisonnables des membres, à mon avis.

[168]  La défenderesse a soutenu que je devais appliquer le critère selon lequel l’employeur aurait procédé de la même manière, ce qui obligerait la FPN à démontrer que le changement aurait été géré différemment s’il n’y avait eu aucune tentative de syndicaliser l’effectif. Conformément à mon analyse dans la section III de la présente décision, j’ai conclu que la disposition sur le gel demeure un critère de stricte responsabilité, qui est tout à fait distinct d’un critère se rapportant à un sentiment antisyndical, et je n’examinerai pas davantage les arguments de la défenderesse.

[169]  La défenderesse a également soutenu que je devrais appliquer le critère de l’employeur raisonnable dans Wal-Mart et conclure que, dans la mesure où il modifiait la politique de stationnement, cela était conforme à ce qu’un employeur raisonnable aurait fait dans les mêmes circonstances. Conformément au cadre analytique décrit à la section III de la présente décision, je n’ai pas besoin de prendre en considération les arguments de la défenderesse fondés sur l’employeur raisonnable, car l’affaire a été tranchée aux première et deuxième étapes de l’analyse.

[170]  Pour tous les motifs énoncés ci‑dessus, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance figure à la page suivante.)


VI.  Ordonnance

[171]  La plainte est rejetée.

Le 26 juin 2020.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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