Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable, principalement en omettant de l’informer de manière adéquate de la date limite pour déposer un grief – la défenderesse a soutenu que la plainte était hors délai – la Commission a conclu que, bien que la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral ne prévoie aucun pouvoir discrétionnaire permettant de renoncer au délai pour déposer une plainte de pratique déloyale de travail ou de le modifier, la Commission peut déterminer la date à laquelle un plaignant a eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte – la Commission a conclu que la plainte était hors délai – elle n’a pas accepté l’argument de la plaignante selon lequel, même si elle savait que la défenderesse ne l’aiderait pas à présenter un grief, elle ne savait pas qu’elle ne changerait pas sa décision – le délai ne continue pas d’évoluer en fonction des mesures ou des circonstances qui surviennent après qu’une décision a été prise et communiquée – une plainte doit être déposée dans un délai de 90 jours après que le syndicat a communiqué une décision qu’un plaignant souhaite contester; s’il en était autrement, un plaignant pourrait proroger indéfiniment le délai en envoyant simplement un courriel exprimant son désaccord avec une décision.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision


 

MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Plainte devant la Commission

[1]  Le 7 novembre 2018, Christine Nemish (la « plaignante ») a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’art. 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») dans laquelle elle allègue une violation de l’art. 187, qui vise le devoir de représentation équitable.

[2]  Les défendeurs nommés sont le Syndicat des employées et employés nationaux (SEN), Mary Anne Walker (vice‑présidente régionale, Ontario, SEN) et Kevin King (président national, SEN). Le SEN est une composante de l’agent négociateur, soit l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Dans la présente décision, l’AFPC sera désignée comme « la défenderesse ».

[3]  La plaignante a allégué que la défenderesse avait manqué à son devoir de la représenter équitablement, principalement en omettant de l’informer de manière adéquate de la date limite pour déposer un grief. L’AFPC a nié avoir agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi et a demandé que la plainte soit rejetée sans audience, car elle est hors délai et, subsidiairement, parce que la plaignante ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve en vertu de l’art. 187 de la Loi.

[4]  Une audience a été tenue le 20 janvier 2020 afin de trancher la question du respect des délais.

II.  Résumé de la preuve

[5]  La plaignante était une employée nommée pour une durée déterminée à l’Agence fédérale de développement économique pour le Sud de l’Ontario (« FedDev »). Le 15 novembre 2017, elle a informé FedDev qu’elle exerçait un refus de travailler en vertu du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L‑2) et qu’elle prenait un congé de maladie, prenant effet immédiatement, car elle avait été victime d’intimidation et de harcèlement de la part d’un collègue. Elle n’est retournée au travail que le 24 janvier 2018.

[6]  Le 16 novembre 2017, l’employeur a informé la plaignante qu’il avait déposé une demande auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail. Il a ajouté que tout congé qu’elle prendrait serait sans solde, qu’elle devrait utiliser tout congé payé ou congé de maladie non payé qui lui est disponible, et que toute absence continue serait considérée comme un congé de maladie sans solde, à moins que la demande ne soit approuvée.

[7]  La plaignante et le SEN (principalement sa représentante syndicale, Mme Walker) ont eu de nombreuses discussions au cours des mois qui ont suivi. Les discussions portaient sur de nombreuses questions, notamment le souhait de la plaignante de convertir son congé sans solde du 15 novembre 2017 au 23 janvier 2018 en un congé payé. Le bien‑fondé de la plainte relative au devoir de représentation équitable tourne autour de ces discussions. Aux fins de la présente procédure, il suffit de dire que le SEN n’a pas déposé un grief au nom de la plaignante en vue de faire convertir son congé.

[8]  Son emploi d’une durée déterminée à FedDev s’est terminé à la fin de mars 2018. Le 3 avril 2018, elle a commencé à occuper un nouveau poste au ministère des Anciens Combattants (« Anciens Combattants »). Ses discussions avec le SEN au sujet de son salaire et d’autres questions découlant du congé qu’elle avait pris à FedDev se sont poursuivies.

[9]  Le 7 août 2018, la plaignante a reçu un courriel de Leslie Sanderson, agente des relations de travail du SEN, l’informant qu’un grief concernant un congé payé serait hors délai et que le SEN ne l’aiderait pas à en déposer un. Le courriel de Mme Sanderson est rédigé en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

Étant donné que vous demandez une réparation de la part de FedDev et que vous avez quitté l’emploi de FedDev depuis plus de 25 jours ouvrables, vous n’avez plus le droit, conformément à l’article 18.15 de la convention collective des Services des programmes et de l’administration (voir ci‑dessous), de déposer un grief ou une plainte contre cet employeur. Par conséquent, le SEN ne peut plus vous aider relativement aux réclamations antérieures visant FedDev.

[…]

 

[10]  La plaignante a envoyé un courriel à Mme Sanderson le 25 septembre 2018. Elle a contesté cette décision et a indiqué que, à son avis, même si elle travaillait alors à Anciens Combattants, le Conseil du Trésor était son employeur et un grief pouvait encore être déposé.

[11]  Mme Sanderson a répondu le même jour. Elle a déclaré que, afin de contester sa question du congé sans solde pour la période de congé qui s’est terminée le 23 janvier 2018, la plaignante aurait dû déposer un grief au plus tard le 27 février 2018. Mme Sanderson a affirmé que le SEN n’appuierait pas le dépôt d’un grief hors délai et a répété que le SEN ne pouvait pas appuyer un grief, puisque FedDev n’était plus l’employeur de la plaignante.

[12]  Le 1er octobre 2018, la plaignante a écrit à M. King et à Christopher Aylward, président national de l’AFPC. M. King n’a pas répondu et M. Aylward a répondu au moyen d’une lettre datée du 3 octobre 2018, que la plaignante a reçue le 5 octobre 2018.

III.  Argumentation de la défenderesse

[13]  La défenderesse a soutenu que le SEN avait informé la plaignante qu’il ne déposerait pas de grief en son nom le 7 août 2018. Par conséquent, il s’agit de la date à laquelle la plaignante a eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte.

[14]  La défenderesse a fait remarquer que la plainte, que la plaignante a remplie et déposée, en indique autant. Dans le formulaire de plainte, soit le formulaire 16 de la Commission intitulé « Plainte visée à l’article 190 de la Loi », le point 5 est rédigé comme suit : « Date à laquelle le plaignant ou la plaignante a pris connaissance de l’action, de l’omission ou de la situation ayant donné lieu à la plainte ». Dans l’espace prévu pour la réponse, la plaignante a inscrit « 07‑08‑2018 ».

[15]  Bien qu’elle ait indiqué dans son formulaire de plainte que l’élément déclencheur est survenu le 7 août 2018, la plaignante a déposé sa plainte 92 jours après cette date, soit le 7 novembre 2018. La défenderesse a reconnu que ce n’était que deux jours après le délai de 90 jours, mais elle a soutenu que la jurisprudence indique clairement que la Commission n’a pas le pouvoir de proroger le délai même lorsqu’une plainte est déposée seulement deux jours après le délai prescrit. Le pouvoir discrétionnaire de la Commission se limite à déterminer la date à laquelle l’élément déclencheur est survenu, qui est indiquée dans la plainte comme étant le 7 août 2018.

[16]  La plaignante a envoyé d’autres courriels au SEN après avoir reçu le courriel de Mme Sanderson du 7 août, dans lequel elle contestait la position du SEN. La défenderesse a soutenu que la jurisprudence indique également clairement que toute autre communication avec le SEN dans le but de modifier la décision ne modifiait pas la date à laquelle l’élément déclencheur s’est produit et ne prolongeait pas le délai pour déposer une plainte.

[17]  En conséquence, la Commission n’a pas compétence pour entendre la plainte, car elle n’a pas été déposée en temps opportun.

IV.  Le témoignage et l’argumentation de la plaignante

[18]  La plaignante a témoigné qu’elle avait inscrit le 7 août 2018, en tant que réponse à la question 5 dans le formulaire de plainte parce qu’elle a reçu la lettre de Mme Sanderson ce jour-là. Toutefois, elle n’avait eu aucun contact antérieur avec Mme Sanderson, ce qui l’a amenée à se demander si Mme Sanderson disposait de tous les renseignements requis. À son avis, qu’elle soit employée à FedDev ou à Anciens Combattants, son employeur était le Conseil du Trésor, et elle pouvait encore déposer un grief concernant le congé sans solde à FedDev. Elle estimait que si Mme Sanderson avait disposé de tous les renseignements, sa conclusion aurait changé, et c’est pourquoi elle a écrit à Mme Sanderson le 25 septembre.

[19]  Mme Sanderson a répondu très rapidement, confirmant et expliquant la position du SEN. La plaignante a déclaré que Mme Sanderson avait répondu [traduction] « dans un délai d’une heure ». La plaignante n’estimait pas que son cas pouvait être rejeté aussi rapidement.

[20]  La plaignante croyait qu’il en était ainsi parce que, à l’époque pertinente, elle recevait des conseils d’un ami et ancien collègue qui avait été le vice‑président national d’une différente composante de l’AFPC. Selon la plaignante, il était un représentant syndical chevronné, et ce qu’il lui disait différait de ce que le SEN lui disait. En conséquence, elle était encore plus convaincue que Mme Sanderson modifierait son évaluation une fois qu’elle aurait pris connaissance de tous les faits ou qu’elle les comprenne.

[21]  Son ami et conseiller a ensuite suggéré qu’elle écrive à M. King et à M. Aylward, ce qu’elle a fait le 1er octobre 2018. Tout comme son courriel du 25 septembre à Mme Sanderson, elle l’a fait parce qu’elle estimait que le SEN ne disposait pas de tous les faits et qu’il modifierait sa décision lorsqu’il les aurait. Elle estimait que M. King et M. Aylward pourraient modifier la décision du SEN et qu’ils le feraient une fois que tous les faits leur auraient été communiqués.

[22]  La plaignante a déclaré que c’est pour cette raison que ce n’est que lorsqu’elle a reçu la réponse de M. Aylward confirmant la décision de Mme Sanderson qu’elle a véritablement compris que le SEN ne déposerait pas son grief. Par conséquent, la plaignante a soutenu que jusqu’au 5 octobre 2018, elle ne connaissait pas les circonstances relatives à sa plainte, soit que le SEN ne déposerait pas un grief en son nom.

[23]  La plaignante a fait valoir que selon la loi, les mesures et les circonstances constituent des questions distinctes. Elle a ajouté  que même si elle était au courant des mesures prises par Mme Sanderson le 7 août, elle n’avait pas connaissance de l’ensemble des circonstances relatives à sa plainte avant de recevoir la réponse de M. Aylward. Elle a renvoyé à plusieurs définitions contenues dans des dictionnaires des termes « mesures » et « circonstances » afin d’appuyer son argument.

[24]  La plaignante a également cité un dossier d’enquête de la Commission de la fonction publique, portant le numéro 19‑20‑10. Cette enquête portait sur une plainte de favoritisme dans une affaire de dotation. La plaignante a soutenu que les répercussions du favoritisme dans cette affaire n’ont été reconnues que lorsque toutes les circonstances ont été prises en compte dans leur ensemble. L’affaire concernait un calendrier évolutif et il n’était pas clair à quel moment les candidats non retenus auraient dû présenter une plainte. La plaignante a fait valoir que le même type de scénario s’appliquait à son cas, en ce sens que les événements s’inscrivaient dans un continuum, que le délai avait évolué en conséquence, et que les circonstances n’ont été apparentes que le 5 octobre 2018.

[25]  La plaignante a également soutenu qu’il y avait des circonstances atténuantes, notamment le fait qu’elle avait commencé un nouvel emploi le 29 octobre 2018, ce qui l’a obligé à se concentrer entièrement sur sa formation et un examen que son nouveau gestionnaire a exigé qu’elle subisse. En outre, elle souffrait d’une commotion cérébrale, qui a touché sa capacité à se concentrer sur sa plainte. Elle a présenté une note d’un médecin confirmant qu’elle avait subi une commotion cérébrale le 5 septembre 2018, et qu’elle avait souffert des symptômes pendant quatre mois après cette date.

[26]  Pour terminer, la plaignante a témoigné que le formulaire 16 l’avait désorientée et qu’elle l’avait rempli rapidement le jour même où elle l’avait envoyé par télécopieur à la Commission.

[27]  En contre‑interrogatoire, la plaignante a confirmé qu’elle comprenait ce que Mme Sanderson avait dit dans son courriel du 7 août – soit que le SEN ne l’aiderait pas à déposer un grief – mais qu’elle estimait qu’il s’agissait de l’interprétation de Mme Sanderson. La plaignante a convenu que dans son courriel du 25 septembre, elle a relevé quelque chose qui, selon elle, n’avait pas été pris en considération par Mme Sanderson afin de tenter de la convaincre de modifier la décision. De même, la plaignante a confirmé que ses courriels à M. King et à M. Aylward avaient pour but de tenter de modifier la décision du SEN.

[28]  En ce qui concerne la question 5 dans le formulaire de plainte, la plaignante a convenu que la formulation était claire et qu’elle y avait répondu en indiquant la date du 7 août 2018, soit la date du premier courriel de Mme Sanderson.

[29]  L’avocate de la défenderesse a demandé à la plaignante pourquoi elle s’était empressée de remplir le formulaire de plainte, comme elle l’avait indiqué dans son témoignage. Elle a répondu, entre autres, qu’il y avait la contrainte relative au délai.

[30]  La plaignante a été interrogée davantage sur la raison pour laquelle elle estimait qu’elle avait été obligée de remplir le formulaire 16 et déposer sa plainte le 7 novembre. Si elle estimait que la date pertinente était le 5 octobre (date à laquelle elle a reçu la réponse de M. Aylward), comme elle a témoigné, elle disposait donc encore de deux mois pour déposer sa plainte. À l’aide des réponses de la plaignante à une série de questions de suivi, il est devenu clair qu’elle avait calculé la date limite de 90 jours à compter du premier courriel de Mme Sanderson du 7 août 2018, et qu’elle s’était empressée de respecter cette date limite. Toutefois, elle avait mal calculé le nombre de jours et elle croyait avoir jusqu’au 7 novembre pour déposer sa plainte.

V.  Motifs

[31]  Le paragraphe 190(2) de la Loi énonce que « [...] les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu ».

[32]  La date limite prévue par la loi est obligatoire, ce qui est indiqué clairement par le libellé de la Loi qui énonce que les plaintes « […] doivent être présentées dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date […] ». Étant donné ce libellé obligatoire et l’absence de toute autre disposition législative conférant à la Commission un pouvoir discrétionnaire, la Commission a régulièrement conclu qu’elle ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi pour proroger le délai de 90 jours prévu au par. 190(2) (voir Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, au par. 55, Paquette c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 20, au par. 36, Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98, et de nombreuses autres décisions).

[33]  Le point de vue selon lequel les tribunaux administratifs n’ont pas compétence pour proroger les délais prévus par la loi en l’absence d’un pouvoir conféré par la loi a été confirmé récemment dans Maclean c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 277. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour proroger le délai d’un an prévu par loi pour qu’un plaignant présente une demande d’annulation ou de modification d’une décision. Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale a formulé les commentaires suivants :

[…]

[6] À notre avis, la décision de la Division d’appel était raisonnable et ne comporte aucune erreur susceptible de révision. La demande d’annulation ou de modification a été formulée longtemps après l’échéance du délai de prescription d’un an fixé par le paragraphe 66(2) de la Loi, qui ne prévoit aucun pouvoir discrétionnaire permettant de renoncer au délai de prescription ou de le modifier.

[…]

 

[34]  Dans cette affaire, contrairement à l’espèce, le retard était extrêmement important. Toutefois, le libellé du dispositif de la Cour, à mon avis, est que « […] la Loi […] ne prévoit aucun pouvoir discrétionnaire permettant de renoncer au délai de prescription ou de le modifier ». Il en est également ainsi en vertu de la Loi. Le paragraphe 190(2) prévoit le délai et la loi ne confère à la Commission aucun pouvoir discrétionnaire d’y renoncer ou de le modifier.

[35]  Toutefois, cela dit, le par. 190(2) confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de déterminer la date à laquelle un plaignant a eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte.

[36]  Voici ce que l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) a énoncé dans Esam c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Syndicat des employées et employés nationaux), 2014 CRTFP 90 :

[…]

[33] Dans England c. Taylor et al., 2011 CRTFP 129, la Commission a indiqué que la seule latitude donnée à la Commission dans l’interprétation du paragraphe 190(2) de la LRTFP est de déterminer le moment où la plaignante a eu – ou aurait dû avoir – connaissance des circonstances ayant donné lieu à la plainte. Dans Boshra c. Association canadienne des employés, 2011 CAF 98, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’afin de pouvoir appliquer le paragraphe 190(2) aux faits d’un cas en particulier, la Commission doit déterminer la nature fondamentale de la plainte et décider la date à laquelle le plaignant a eu – ou aurait dû avoir – connaissance des circonstances y ayant donné lieu.

[…]

 

[37]  Je n’accepte pas l’argument de la plaignante selon lequel elle ne connaissait que les mesures prises par le SEN (la lettre de Mme Sanderson), et non la totalité des circonstances (que M. Aylward ne modifierait pas la décision du SEN). En premier lieu, le libellé du par. 190(2) de la Loi est disjonctif – le délai est calculé à compter de la date à laquelle le plaignant a connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte. En outre, le délai ne continue pas d’évoluer en fonction des mesures ou des circonstances qui surviennent après qu’une décision a été prise et communiquée.

[38]  La CRTFP a abordé ce type d’argument dans Ennis c. Meunier‑McKay, 2012 CRTFP 30, qui cite Éthier c. Service correctionnel du Canada et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, 2010 CRTFP 7, au par. 21, comme suit :

[21] […] Le délai pour déposer une plainte n’est pas pour autant prolongé par les tentatives d’un plaignant de convaincre le syndicat de revenir sur sa décision. Dans la mesure où il y a une violation de la loi, il n’y a pas de norme minimale ou maximale pour ce qui est du degré de connaissance que doit avoir un plaignant avant de déposer sa plainte.

 

[39]  Je n’accepte pas non plus l’argument selon lequel la capacité de la plaignante à déposer une plainte en temps opportun a été compromise par la commotion cérébrale qu’elle a malheureusement subie le 5 septembre 2018. Aucune preuve médicale n’a été déposée établissant que sa connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte avait été compromise par cette blessure, et son témoignage a démontré clairement que ce n’était pas le cas.

[40]  Je conclus que la plaignante avait connaissance des mesures et des circonstances ayant donné lieu à sa plainte le 7 août 2018. Malheureusement, le courriel de Mme Sanderson n’était pas aussi clair qu’il aurait pu l’être en ce qui concerne les motifs de la décision du SEN. Cependant, il était très clair sur le point principal, à savoir que le SEN n’aiderait pas la plaignante à déposer un grief.

[41]  La plaignante l’a compris, c’est pourquoi elle a écrit à Mme Sanderson le 25 septembre et à M. King et à M. Aylward le 1er octobre. Elle tentait de modifier la décision du SEN parce qu’elle comprenait qu’une décision avait été prise et elle n’y souscrivait pas. C’est également pour cette raison qu’elle a répondu à la question 5 du formulaire de plainte en indiquant la date du courriel de Mme Sanderson et qu’elle s’est empressée de remplir le formulaire de plainte et de l’envoyer par télécopieur.

[42]  Le témoignage de la plaignante selon lequel, selon sa compréhension, le SEN refusait de déposer son grief uniquement lorsqu’elle a reçu la lettre de M. Aylward n’était pas crédible. Elle venait tout juste de commencer un nouvel emploi, était à une étape d’apprentissage active et se préparait à un examen, ce qui nécessitait toute son attention. Elle n’a pas pu expliquer pourquoi elle s’est empressée de déposer sa plainte le 7 novembre, alors qu’elle avait encore deux mois pour le faire. En fin de compte, le témoignage de la plaignante en  contre‑interrogatoire a démontré clairement qu’elle avait calculé le délai à compter du 7 août 2018, mais qu’elle avait malheureusement mal calculé le nombre de jours et estimait que le délai de 90 jours correspondait au 7 novembre 2018.

[43]  Il est tout à fait compréhensible que la plaignante tente de fournir au SEN d’autres renseignements ou de faire valoir une autre façon d’interpréter les renseignements, en vue de tenter de modifier sa décision. Toutefois, la jurisprudence énonce clairement que de tels efforts n’ont aucune incidence sur le délai.

[44]  La CRTFP l’a déclaré dans Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100, comme suit :

[…]

[47] Je dois donc conclure que la Commission n’est pas autorisée à tenir compte des efforts du plaignant visant à poursuivre sa collaboration avec la défenderesse au sujet de son grief. Le paragraphe 190(2) de la Loi exige que la plainte soit déposée dans le délai prescrit, même lorsqu’on déploie des efforts en vue de résoudre le problème à l’amiable. Si ces efforts finissent par donner des résultats positifs, le plaignant peut alors retirer sa plainte.

[…]

 

[45]  S’il en était autrement, un plaignant pourrait proroger indéfiniment le délai en envoyant simplement un courriel exprimant son désaccord avec une décision. Une plainte doit être déposée dans les 90 jours suivant la date à laquelle le syndicat a communiqué une décision que le plaignant souhaite contester. Les efforts visant à convaincre le syndicat de modifier la décision peuvent alors se poursuivre et, s’ils permettent de modifier la décision, la plainte peut toujours être retirée.

[46]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI.  Ordonnance

[47]  La plainte est rejetée.

Le 23 juillet 2020.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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