Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

En novembre 2009, la fonctionnaire s’estimant lésée a consulté un service de consultation psychologique offert par l’employeur dans le cadre du Programme d’aide aux employés (PAE) – ce service est offert dans un cadre de confidentialité, à moins qu’il y ait un motif raisonnable de croire qu’il y aurait danger pour la personne ou pour autrui – l’intervenante du PAE a interprété les propos de la fonctionnaire s’estimant lésée comme signifiant une menace réelle pour une autre personne – elle a appelé la police et la fonctionnaire s’estimant lésée a subi une évaluation psychiatrique à l’hôpital, qui concluait qu’elle ne posait aucun danger pour personne – l’intervenante du PAE a partagé les propos de la fonctionnaire s’estimant lésée avec les gestionnaires de celle-ci et les services de sécurité –l’employeur a exigé que la fonctionnaire s’estimant lésée subisse une évaluation de l’aptitude au travail – ayant l’impression que tous ses collègues étaient au courant de ses problèmes psychologiques, la fonctionnaire s’estimant lésée a changé d’emploi pour travailler dans un autre secteur du gouvernement fédéral – par la suite, la fonctionnaire s’estimant lésée a arrêté de travailler en 2013 – son agent négociateur lui a conseillé d’entamer une poursuite civile, ce qu’elle a fait devant la Cour supérieure du Québec, car le PAE est un service offert à l’extérieur de son milieu de travail – la fonctionnaire s’estimant lésée a eu gain de cause en première instance, et on lui a accordé sa réclamation contre deux employées du PAE et le gouvernement fédéral, pour le bris de confidentialité, les dommages psychologiques infligés et la perte de salaire – cette décision a été infirmée par la Cour d’appel du Québec, qui a jugé que l’unique recours pour la fonctionnaire s’estimant lésée était le dépôt d’un grief – la Cour d’appel du Québec ne s’était pas penchée sur le fond de la cause – le 15 septembre 2016, la fonctionnaire s’estimant lésée a présenté à la Cour suprême du Canada une demande d’autorisation pour en appeler de la décision de la Cour d’appel du Québec l– le 21 octobre 2016, elle a présenté un grief à l’employeur afin de préserver ses droits pour déposer un grief – l’employeur a soutenu que le grief n’avait pas été déposé dans le délai prévu de 25 jours – la Commission a reconnu que le grief avait été déposé en retard, soit près de sept ans après les évènements qui y ont donné lieu – pour déterminer si une prorogation de délai devrait être accordée, la Commission a analysé les critères de la décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1 – elle a jugé que le retard et sa durée s’expliquent et que la fonctionnaire s’estimant lésée avait fait preuve de diligence – elle a ajouté que le préjudice subi par la fonctionnaire s’estimant lésée en cas de refus de prorogation, qui la priverait de tout recours, était beaucoup plus grave que l’inconvénient pour l’employeur de continuer à se défendre – quant aux chances de succès du grief, considérant la décision de la Cour supérieure du Québec, cet élément de l’analyse penche plutôt en faveur de la prorogation du délai –la Commission a jugé que l’analyse en vertu des critères Schenkman que la Commission applique généralement à ce genre de situation n’était pas entièrement concluante en l’espèce – le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral prévoit que la Commission a le pouvoir de proroger les délais, « […] par souci d’équité » – la Commission a jugé qu’il serait injuste de refuser à la fonctionnaire s’estimant lésée le recours que la Cour d’appel du Québec déclare être son unique recours.

Demande de prorogation de délai accordée.

Contenu de la décision

Date:  20200810

Dossiers:  566-02-14255

568-02-41753

 

Référence:  2020 CRTESPF 82

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Julie Tremblay

fonctionnaire s'estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

 

employeur

Répertorié

Tremblay c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage et une demande de prorogation de délai

Devant :  Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée : Eric Langlais et Tia Hazra, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Adam C. Feldman, avocat

Décision rendue sur la base d'arguments écrits
déposés
les 5 et 26 juin et le 3 juillet 2020.


MOTIFS DE DÉCISION

I.  Objection dans le cadre d’un grief individuel renvoyé à l'arbitrage et demande de prorogation de délai

[1]  Julie Tremblay, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») a renvoyé un grief à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). Le ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux (l’« employeur »), où elle travaillait à l’époque des événements donnant lieu au grief, s’est opposé au renvoi, compte tenu du délai considérable entre les événements donnant lieu au grief et le dépôt du grief. La fonctionnaire est d’avis qu’il n’y a pas véritablement eu de délai, vu la façon dont les événements subséquents se sont déroulés. Dans l’éventualité où la Commission juge qu’il y a eu délai, elle demande une prorogation du délai prescrit.

[2]  À la suite d’une conférence préparatoire, les parties ont convenu qu’il était préférable que je tranche d’abord la question du délai. Normalement, il y aurait eu une demande de prorogation du délai, une réponse de l’employeur et une réplique de la fonctionnaire. Dans le cas présent, le point de départ est plutôt l’objection de l’employeur. La question est donc traitée de la façon suivante : l’employeur a élaboré son objection, la fonctionnaire y a répondu, et l’employeur y a répliqué. Les deux parties ont tenu compte dans leur argumentation de la demande de prorogation du délai. La présente décision porte donc sur l’objection de l’employeur quant au délai, et sur la demande de prorogation de ce délai de la fonctionnaire. Pour les motifs qui suivent, je fais droit à la demande de prorogation du délai.

II.  Contexte

[3]  En novembre 2009, la fonctionnaire a consulté, pour des motifs personnels, le service d’aide aux employés. Le gouvernement fédéral, à titre d’employeur, offre à ses employés, dans le cadre de son Programme d’aide aux employés (PAE), un service de consultation psychologique, dans le cadre duquel la confidentialité des renseignements donnés par l’employé est garantie. Cette confidentialité, toutefois, peut être enfreinte par un employé du PAE, si celui-ci juge qu’un renseignement reçu d’un client donne un motif raisonnable de croire qu’il y aurait danger pour la personne ou pour autrui.

[4]  La fonctionnaire a consulté parce qu’elle avait des pensées troublantes au sujet de son père, avec qui elle entretenait une relation conflictuelle. L’intervenante du PAE a interprété ses propos comme signifiant une menace réelle pour le père. Elle a appelé la police pour que la fonctionnaire soit accompagnée à l’hôpital afin d’y subir une évaluation psychiatrique. Selon la conclusion de cette évaluation, la fonctionnaire ne posait aucun danger, ni pour elle-même ni pour son père.

[5]  La brève entrevue avec l’intervenante a eu des conséquences majeures pour la fonctionnaire. Les confidences qu’elle a faites à l’intervenante ne sont pas restées confidentielles, bien au contraire, elles ont été partagées avec ses gestionnaires et les services de sécurité. Son employeur a exigé une évaluation de l’aptitude au travail, malgré le fait qu’elle n’avait jamais eu la moindre difficulté au travail.

[6]  La fonctionnaire est revenue au travail après un certain temps, mais elle avait l’impression que tout le monde était au courant de ses problèmes psychologiques. Bien qu’elle ait changé d’emploi pour travailler dans un autre secteur du gouvernement fédéral, elle a continué d’avoir la sensation que les gens parlaient d’elle et de ses problèmes. Depuis 2013, elle est en arrêt de travail.

[7]  Dès décembre 2009, la fonctionnaire a envisagé de déposer un grief pour se plaindre du traitement du PAE à son égard. Son agent négociateur lui a laissé entendre qu’elle ne pouvait déposer un grief, puisque le PAE est un service offert à l’extérieur de son milieu de travail, bien qu’il soit fourni par l’employeur, dans les locaux de l’employeur et durant les heures de travail. L’agent négociateur lui a plutôt conseillé d’entamer une poursuite civile, ce qu’elle a fait.

[8]  Le 6 octobre 2014, la Cour supérieure du Québec lui a donné raison et a accordé sa réclamation contre deux employées du PAE et le gouvernement fédéral, pour le bris de confidentialité, les dommages psychologiques infligés et la perte de salaire. Dans son jugement, la Cour a écarté l’argument de l’employeur selon lequel toute réclamation ayant trait aux conditions de travail devait être présentée dans le cadre d’un grief. Selon la Cour, le gouvernement fédéral agissait à titre de fournisseur de service, et non d’employeur, pour ce qui est du PAE. Par conséquent, la Cour a jugé que la fonctionnaire avait bel et bien une réclamation civile qui pouvait être présentée à un tribunal judiciaire.

[9]  Le 20 juillet 2016, la Cour d’appel du Québec en a jugé autrement. La Cour d’appel ne s’est pas penchée sur le fond de la cause, la seule question tranchée étant le ressort approprié pour l’action en justice de la fonctionnaire. S’appuyant sur l’article 236 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), la Cour d’appel a jugé que l’unique recours pour la fonctionnaire était le dépôt d’un grief en vertu de l’article 208 de la Loi.

[10]  Le 15 septembre 2016, la fonctionnaire a présenté à la Cour suprême du Canada une demande d’autorisation pour en appeler de la décision de la Cour d’appel. Le 21 octobre 2016, afin de préserver ses droits pour déposer un grief, la fonctionnaire a présenté un grief à l’employeur. N’ayant plus de superviseur immédiat, le grief a été adressé au service des ressources humaines. L’employeur a refusé de traiter le grief au premier et deuxième palier de la procédure de règlement de griefs. Il l’a finalement traité au troisième et dernier palier de cette procédure. L’employeur a soulevé, au troisième palier et au moment du renvoi à l’arbitrage, le délai excessif.

III.  Résumé de l’argumentation

[11]  Les parties ont consacré une partie de leur argumentation à la question de savoir si le grief avait été présenté au-delà des délais prescrits. Selon l’employeur, même en s’accordant pour que la date de départ pour le calcul du délai soit la date de la décision de la Cour d’appel, le grief serait en retard puisqu’il n’a été déposé que le 21 octobre 2016, trois mois après la décision de la Cour d’appel, et non à l’intérieur du délai prévu de 25 jours. La fonctionnaire a répondu à cet argument en faisant valoir que la date de départ pour le calcul devrait être le 15 septembre 2016, lorsqu’elle a décidé d’interjeter appel de la décision à la Cour suprême du Canada.

[12]  Je n’ai aucune difficulté à reconnaître que le grief est en retard. Il a été présenté près de sept ans après les événements qui y ont donné lieu. Si l’on intègre la procédure judiciaire dans l’histoire, le grief aurait dû être déposé dans les vingt-cinq jours de la décision de la Cour d’appel. La fonctionnaire soutient que puisque l’employeur n’a pas répondu aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement de griefs, il ne peut s’opposer au motif que le délai n’a pas été respecté, conformément au paragraphe 95(2) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005-79 (« le Règlement »); l’article 95 se lit comme suit :

95 (1) Toute partie peut, au plus tard trente jours après avoir reçu copie de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage :

a) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable au grief n’a pas été respecté ;

b) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour le renvoi du grief à l’arbitrage n’a pas été respecté.

(2) L’objection visée à l’alinéa (1)(a) ne peut être soulevée que si le grief a été rejeté au palier pour lequel le délai n’a pas été respecté et à tout palier subséquent de la procédure applicable au grief en raison de ce non-respect.

[13]  L’employeur plaide que dans les circonstances assez inhabituelles du dépôt du grief, le fait qu’il n’ait pas répondu aux deux premiers paliers ne devrait pas l’empêcher de soulever une objection quant au délai. Je constate que les circonstances sont inhabituelles et le grief n’a pas suivi le cours normal. D’une part, je pense que le grief a été validement déposé aux ressources humaines; d’autre part, je ne peux tenir rigueur à l’employeur de ne pas avoir répondu aux premier et deuxième paliers, puisque le grief n’a pas été déposé auprès du superviseur immédiat. L’employeur a soulevé la question du délai dans sa réponse au grief et lors du renvoi à l’arbitrage.

[14]  L’employeur oppose également que le grief est défectueux, qu’il n’a pas été déposé comme il se doit au superviseur immédiat et n’a pas été présenté à tous les paliers de la procédure de règlement de griefs avant d’être renvoyé à l’arbitrage. Je ne retiens pas ces arguments. Avec le temps écoulé, la fonctionnaire a choisi d’envoyer son grief aux ressources humaines, un représentant de l’employeur. Il est vrai que l’article 225 de la Loi prévoit qu’un grief doit être présenté à tous les paliers requis. Cependant, l’employeur n’a pas répondu au grief aux premier et deuxième paliers parce qu’il n’avait pas été déposé auprès du superviseur immédiat. Dans les circonstances, je considère que l’agent négociateur a de bon droit renvoyé le grief au troisième et dernier palier de la procédure de règlement de griefs, ce que l’employeur a accepté. Le grief a été entendu au palier final, l’employeur a eu l’occasion d’y répondre. J’accepte que, dans les circonstances, l’employeur puisse soulever une objection quant au délai. Je ne pense toutefois pas que les défauts techniques devraient empêcher le grief d’être entendu.

[15]  L’unique question que je dois trancher, par conséquent, est celle de savoir si la prorogation de délai devrait être accordée. Je résume les arguments des parties sur ce point, et mon analyse portera uniquement sur cette question.

A.  Pour l’employeur

[16]  L’employeur invoque les cinq critères de la décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, que la Commission applique à chaque fois qu’elle examine une question de prorogation de délai. Ces critères sont les suivants :

· la justification du retard par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence du fonctionnaire s’estimant lésé;

· la mesure de l’injustice causée au fonctionnaire si la prorogation de délai est refusée, par rapport au préjudice subi par l’employeur si elle est accordée;

· les chances de succès du grief.

[17]  D’après l’employeur, le retard ne peut se justifier par des raisons claires, logiques et convaincantes. Dans un premier temps, la fonctionnaire n’a pas déposé de grief; elle a plutôt pris un recours devant un tribunal civil, sur les conseils de l’agent négociateur. Dans un deuxième temps, une fois que la Cour d’appel s’est clairement prononcée sur la nécessité du grief, la fonctionnaire a encore attendu pour déposer son grief, alors qu’il était clair que c’est ce qu’elle devait faire.

[18]  Le délai à déposer le grief est excessivement long, soit près de sept ans après les événements donnant lieu au grief. Selon l’employeur, rien n’empêchait la fonctionnaire de déposer un grief pour préserver ses droits, malgré la démarche devant les tribunaux judiciaires.

[19]  La fonctionnaire a manqué de diligence, d’abord en ne préservant pas son droit au grief, ensuite en attendant près de trois mois après la décision de la Cour d’appel du Québec pour déposer un grief.

[20]  Pour ce qui est de la prépondérance des inconvénients, la fonctionnaire ne subirait aucune injustice du fait de ne pas prolonger le délai, puisque l’employeur a répondu à son grief. Par ailleurs, l’employeur subirait un préjudice du fait du retard, qui est totalement imputable à la fonctionnaire.

[21]  Pour ce qui est des chances de succès du grief, l’employeur soutient qu’il n’est pas possible de dire que le grief est fondé, puisque la décision de la Cour supérieure a été invalidée par la Cour d’appel.

B.  Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[22]  La fonctionnaire soutient que la raison du retard est claire, logique et convaincante. Elle a mené à terme une procédure civile que lui avait conseillée son agent négociateur.

[23]  La fonctionnaire est d’avis qu’il n’y a pas de retard, puisqu’elle a agi dans les vingt-cinq jours de la dernière étape de sa procédure civile, soit la demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada.

[24]  La fonctionnaire a toujours fait preuve de diligence, et a poursuivi sans relâche son recours.

[25]  En ce qui a trait à la prépondérance des inconvénients, il est clair que de refuser la possibilité d’un grief à la fonctionnaire serait une profonde injustice, puisqu’il s’agit de son unique recours. Pour l’employeur, il n’y a pas vraiment de préjudice, puisqu’il a toujours été au courant de la démarche de la fonctionnaire. Il n’est pas pris par surprise, et la cause est depuis longtemps préparée.

[26]  Enfin, pour ce qui est des chances de succès, il existe déjà une décision judiciaire qui donne raison à la fonctionnaire. Il serait donc injuste de la priver de la possibilité de se faire entendre par la Commission.

[27]  Contrairement à ce qu’affirme l’employeur, la décision sur le fond rendue par la Cour supérieure n’a pas été remise en question. La Cour d’appel s’est prononcée sur le ressort approprié, mais non sur le fond.

IV.  Analyse

[28]  L’article 61 du Règlement, prévoit ce qui suit :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

a) soit par une entente entre les parties ;

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

[29]  C’est en vertu de cet article que la fonctionnaire fait une demande de prorogation de délai. Je retiens du libellé de cet article les mots suivants : « […] par souci d’équité ».

[30]  La fonctionnaire a pris un recours civil pour défendre ses droits, et la Cour supérieure du Québec lui a donné raison. L’employeur a soutenu en appel que le recours devait être par voie de grief, et la Cour d’appel du Québec a jugé en ce sens. Suivant sa propre logique, la Cour d’appel ne s’est nullement prononcée sur le fond de la réclamation de la fonctionnaire.

[31]  Comme les deux parties l’ont soulevé, la Commission a depuis longtemps adopté une approche systématique pour déterminer si une prorogation de délai devrait être accordée, en se fondant sur les critères de la décision Schenkman. J’analyse dans les paragraphes suivants chacun de ces critères, au regard de la situation de la fonctionnaire.

A.  La justification du retard par des raisons claires, logiques et convaincantes

[32]  Il est clair que le grief n’a pas été déposé dans les 25 jours suivant les événements de novembre 2009, parce que la fonctionnaire croyait sincèrement qu’elle devait avoir recours à un tribunal civil, selon les renseignements fournis par son agent négociateur. L’utilisation d’un recours plutôt que d’un autre me paraît une raison claire et logique de ne pas avoir déposé un grief, puisqu’on avait laissé entendre à la fonctionnaire que ce serait inutile. Le retard à déposer le grief après la décision de la Cour d’appel pourrait s’expliquer par l’hésitation, après toutes ces années, à entreprendre une démarche au départ découragée. J’hésite à dire que le retard est justifié, mais il est compréhensible.

B.  La durée du retard

[33]  Il y a en fait deux retards à expliquer. Le premier est le retard de près de sept ans entre les événements et le dépôt du grief. Le second est le retard de deux mois entre la décision de la Cour d’appel et le dépôt du grief.

[34]  Le retard de sept ans est certes considérable, mais il s’explique entièrement par les procédures judiciaires dans cette affaire. En outre, le retard est souvent considéré comme dommageable et injuste pour l’employeur, qui est en droit de s’attendre à ce qu’un grief soit déposé et traité en temps voulu. Ici, toutefois, l’employeur était partie aux procédures judiciaires, il a plaidé la voie du grief et, par conséquent, il ne peut maintenant prétendre que le grief lui cause un tort.

[35]  Le second retard est beaucoup moindre et pourrait s’expliquer, comme il est mentionné ci-dessus, par le changement de démarche, après 6 ans, pour une nouvelle procédure, d’abord déconseillée.

C.  La diligence de la fonctionnaire

[36]  Je pense qu’il ne peut y avoir aucun doute que dans toute cette affaire, la fonctionnaire a fait preuve de diligence. Elle s’est représentée elle-même devant la Cour supérieure (où elle a eu gain de cause) et la Cour d’appel, ce qui prend du courage, de la détermination et de l’organisation pour quelqu’un qui n’a pas une formation juridique.

[37]  Lorsque la Cour d’appel a déclaré que son recours devait se faire par voie de grief, elle a considéré ses options et a déposé une requête en pourvoi à la Cour suprême du Canada puis un grief, selon les instructions de la Cour d’appel, advenant un rejet de sa demande d’autorisation (qui a été rejetée le 26 janvier 2017).

[38]  On pourrait soutenir qu’il y a manque de diligence en ce sens que la fonctionnaire aurait pu au moins préserver son droit de grief en déposant le grief en temps opportun. Toutefois, encore une fois, il est compréhensible qu’elle ait choisi la voie judiciaire, compte tenu des conseils reçus de son agent négociateur à l’époque, et cette démarche a été faite de façon diligente.

D.  La prépondérance des inconvénients

[39]  En l’espèce, il faut déterminer qui, de la fonctionnaire ou de l’employeur, subit le plus grand préjudice selon que la prorogation soit accordée ou non.

[40]  L’employeur a demandé à la Cour d’appel d’annuler la décision qui donnait raison à la fonctionnaire, parce que le recours approprié était le grief. Le fait de maintenant refuser à la fonctionnaire la possibilité de renvoyer le grief à l’arbitrage signifie qu’elle n’a aucun recours contre une action qui, selon elle, lui a causé de graves préjudices.

[41]  L’inconvénient causé à l’employeur du fait d’accorder la prorogation est réel, puisqu’il devra poursuivre sa défense. Cependant, cette conséquence est le résultat de l’action de l’employeur, qui a prôné le grief comme recours. En outre, les raisons habituelles invoquées pour parler d’inconvénient ne tiennent pas ici – l’employeur n’est pas pris par surprise, il ne pouvait s’attendre à tourner la page sans conséquence, alors que la fonctionnaire insiste depuis 2009 qu’un tort lui a été causé, et qu’elle poursuit cette cause sans relâche depuis.

[42]  Entre les deux, il est clair que le préjudice subi par la fonctionnaire en cas de refus de prorogation, qui la priverait de tout recours, est beaucoup plus grave que l’inconvénient pour l’employeur de continuer à se défendre.

E.  Les chances de succès du grief

[43]  Cet élément de l’analyse est souvent écarté par la Commission, puisque la preuve n’a pas encore été entendue et qu’il est donc difficile de se prononcer sur les chances de succès du grief. En l’occurrence, les faits qui seront présentés dans le cadre de l’audience du grief ont déjà été présentés à la Cour supérieure du Québec. La Commission n’est pas liée par cette décision, mais il reste que l’examen attentif de la situation a mené la Cour supérieure à donner raison à la fonctionnaire. On peut dire que, à tout le moins, cet élément de l’analyse penche plutôt en faveur de la prorogation du délai.

[44]  L’analyse en vertu des critères Schenkman que la Commission applique généralement à ce genre de situation n’est pas entièrement concluante en l’espèce. Le délai est long, la fonctionnaire aurait dû procéder par voie de grief. Mais je reviens au fait qu’une décision judiciaire a donné raison à la fonctionnaire, et que cette décision a été invalidée uniquement parce que la fonctionnaire avait fait erreur quant au ressort qui aurait compétence. Le Règlement prévoit que la Commission a le pouvoir de proroger les délais, dans un souci d’équité. Il me semble que c’est l’argument le plus concluant pour accorder la prorogation. Dans une perspective d’équité, il paraitrait inique de refuser à la fonctionnaire le recours que la Cour d’appel du Québec déclare être son unique recours.

[45]  Le délai pour déposer le grief est prorogé. Le grief est validement renvoyé à l’arbitrage.

[46]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[47]  La prorogation de délai est accordée. L’audience du grief de la fonctionnaire sera mise au rôle de la Commission.

Le 10 août 2020.

Marie-Claire Perrault,

 une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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